Pie XII 1940 - HOMÉLIE PASCALE (24 mars 1940)


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX ET A DAUTRES GROUPES DE PÈLERINS

(27 mars 1940) 1

Le 27 mars, le Saint-Père reçut en audience des religieuses du Cénacle, des zélatrices de l'Apostolat de la Prière et de nombreux couples de nouveaux époux. S'adressant successivement à chacun de ces groupes, il leur rappela la nécessité du recours fréquent à Dieu.

En cette semaine pascale, Nous ne croyons pas, bien chers fils et filles, pouvoir vous accueillir avec un salut plus affectueusement paternel que celui qu'adressa Jésus lui-même, le soir de la Résurrection, à ses disciples réunis au Cénacle : Pax vobis ! (Jn 20,19).

Aux religieuses du Cénacle :

Chères religieuses, qui avez précisément pour patronne « Notre-Dame de la Retraite au Cénacle », cette parole rappelle à votre esprit le souvenir des apôtres recueillis autour de Marie, pour se préparer par une prière persévérante à Pévangélisation du monde (Ac 1,14). Après qu'ils eurent reçu le Saint-Esprit, ils abandonnèrent cette solitude bénie, sans toutefois l'oublier, et ils conservèrent dans leur coeur la flamme allumée par les divines langues de feu ; car, celui qui veut conquérir les âmes doit, avant tout, se sanctifier soi-même dans la retraite. Or, pour vous, cette retraite dure toujours ; vous passez votre vie dans le Cénacle ; et pourtant, selon l'esprit de votre Institut, vous devez en même temps vous montrer des apôtres !

Jésus, dans sa vie publique, ne se limita pas à parcourir villes et campagnes ; parfois, il s'asseyait sur une montagne (Mt 15,29) ou au bord de la mer (Mt 13, i) ; et dans le calme du crépuscule, on lui amenait les malades et les possédés du démon pour qu'il les guérît (Mc 1,32). Tel est l'exemple que vous imitez. Il est des vierges consacrées à Dieu qui vont au-devant des misères physiques et morales ; à vous, la Providence conduit dans votre retraite même les âmes faibles ou affligées ; elles viennent y chercher la solitude, où Dieu leur parlera au coeur (Os 2,16) ; elles aspirent à goûter au moins quelques jours de douce intimité avec son universelle présence, si souvent méconnue ou oubliée ; et là, elles commencent à comprendre combien le Sauveur aime leur surnaturelle beauté (Ps 44,12). Mais, pour leur enseigner à prêter l'oreille à la voix divine (Ps 44,11), il faut que vous-mêmes ayez depuis longtemps déjà appris à l'écouter. Pour leur révéler le secret du Cénacle, c'est-à-dire la suavité intérieure de l'union avec Dieu, il faut que vous l'ayez goûtée jusqu'à être comme imprégnées de ce parfum qui attire les âmes à suivre Jésus (Ct 1,3).

Et vous, chères filles des congrégations mariales et du Cercle d'études, institutrices et enseignantes, zélatrices des retraites fermées et des vocations sacerdotales, employées, domestiques, mères chrétiennes, auxiliaires des catéchismes de persévérance, enfants de la Croisade eucharistique qui, tout en ne vivant pas continuellement à l'abri des asiles privilégiés du Cénacle, y allez chercher direction et conseil pour vos oeuvres de piété et d'Action catholique, soyez, vous aussi, des âmes de prière par-dessus tout. Quelques-unes d'entre vous mènent au milieu du monde une vie en apparence profane. Aussi doivent-elles se rappeler que le devoir accompli en état de grâce et en esprit de foi, c'est-à-dire avec Dieu et pour Dieu, loin de dissiper une âme aimante, l'unit plus intimement à l'Artisan divin qui vit et opère en elle. Dans la plus humble action de Marie, jeune mère à Bethléem, occupée des soins domestiques à Nazareth, partout servante de son fils Jésus, compagne de ses douleurs au Calvaire comme de ses apôtres au Cénacle, il y avait un trésor immense d'amour.

A l'Apostolat de la Prière :

Près de la « retraite du Cénacle », vous aussi, pieuses zélatrices de l'Apostolat de la Prière, vous êtes bien à votre place. Parce que, vous aussi, vous voulez unir la prière aux oeuvres, sachant bien que le salut du genre humain est une action collective dans laquelle le bienfait de la Rédemption, réalisée essentiellement et totalement par le Christ, est appliqué aux membres de son Corps mystique, non seulement par la coopération personnelle de chacun, mais

aussi par l'action commune de tous et par l'aide mutuelle de la communion des saints. Parmi les millions d'associés que compte aujourd'hui dans le monde l'Apostolat de la Prière, vous êtes, très chères filles, d'après vos statuts, du nombre de ceux « qui, spécialement consacrés à la piété, brûlent d'une ferveur particulière pour le bien des âmes ». Dans ce IIIe Congrès romain des zélatrices italiennes, où vos travaux ont précisément pour thème fondamental « le zèle », méditez donc sur la relation entre ces deux termes, pour vous bien convaincre que, plus vous vous consacrerez à la piété — la vraie et solide piété, qui ne peut pas se concevoir sans recueillement intérieur et sans esprit de sacrifice — et plus vous deviendrez aptes à promouvoir le règne de Dieu, le salut des âmes et le culte du Sacré-Coeur de Jésus, conformément aux statuts de l'Apostolat 2.

Gloire de Dieu, salut des âmes, propagation du culte du Sacré-Coeur ! Certainement il n'y a là qu'une fin pour vous, comme pour tous et pour tout le monde : la gloire de Dieu. Mais vous glorifierez Dieu en sauvant les âmes, et vous sauverez les âmes en propageant le culte du Sacré-Coeur. Le Sauveur a dit à sainte Marguerite-Marie Alacoque qu'il avait réservé cette dévotion « comme un dernier effort de son amour qui voulait favoriser les hommes, en ces derniers siècles » 3. Or, il y a, entre autres, deux périls qui menacent actuellement l'humanité : d'une part, l'orgueil, qui se rebelle contre Dieu et ses droits ; l'émancipation de la raison faisant fi de l'autorité divine ; l'exaltation de la force pour le grand dommage de la justice et de l'équité. Mais Jésus a dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes » (Mt 11,29). Répandre la dévotion à son Coeur, c'est donc enseigner la douceur et l'humilité, et travailler ainsi pour la paix du monde.

L'autre péril, qui est presque à l'opposé du premier, est la dépression morale, le manque de confiance, conséquences de l'affaiblissement de la foi, de l'espérance et de la charité. Or, ces vertus théologales, rayons de lumière et d'amour entre l'homme et Dieu, acquièrent une nouvelle ardeur aux flammes qui s'échappent du Sacré-Coeur de Jésus. En contemplant ce Coeur et sa blessure ouverte, les hommes comprennent que Dieu n'est pas seulement pour eux le Seigneur que l'on sert et devant lequel on tremble, mais aussi le Père compatissant et tendre que l'on aime et de qui l'on est aimé. Alors le coeur le plus déprimé est soulagé, l'esprit le plus troublé

2 Art. 6.

3 Vie et oeuvres de sainte Marguerite-Marie Alacoque, t. 2, p. 572.

retrouve le calme. Propager le culte du Sacré-Coeur, c'est donc répandre la paix dans les âmes. Pax vobis !

Aux jeunes époux 4 :

C'est à vous enfin que s'adresse Notre salut, jeunes époux, devant qui la vie s'ouvre comme un sentier fleuri. S'il vous conduit parmi les fleurs et les riantes vallées, ce chemin, vous ne l'ignorez pas, aura pour vous, comme pour tous les hommes, ses âpres montées, ses descentes périlleuses et peut-être même ses heures de tempête. Ayez donc vous aussi votre cénacle, un asile de recueillement et de prière dans votre foyer domestique.

Vous y trouverez le repos au soir des journées les plus dures, dans la fidélité à vos promesses et dans l'union parfaite de vos âmes : perseverantes unanimiter, « tous ensemble persévéraient » ; vous y vivrez sous le regard de Marie : cum... Maria matre Jesu, « avec... Marie, mère de Jésus », dont l'image vous réunira chaque soir pour la prière en famille : unanimiter in oratione, « tous ensemble dans la prière ». Mieux encore, toute votre vie personnelle et familiale peut devenir une prière incessante : perseverantes unanimiter in oratione, « tous ensemble persévéraient dans la prière » ; l'Apostolat de la prière vous en donne le moyen dans l'offrande matinale de la journée. La baguette magique des contes de fées change en or tout ce qu'elle touche ; ainsi cette offrande du chrétien en état de grâce qui dirige toutes ses actions vers Dieu, pour les grands besoins de l'Eglise et des âmes, peut convertir en actes surnaturels d'apostolat jusqu'aux actions les plus petites et les plus modestes. Le paysan à sa charrue, l'employé à son bureau, le commerçant à son comptoir, la ménagère dans sa cuisine, tous peuvent devenir les collaborateurs de Dieu qui attend d'eux et accomplit avec eux les humbles tâches de leur devoir d'état.

Pour la paix.

Chers fils, quand Jésus dans le silence du Cénacle prononçait les paroles : pax vobis, les apôtres n'en tremblaient pas moins de peur, même derrière les portes bien fermées : cum fores essent clausae... propter metum Judaeorum (Jn 20,19).

* Cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. I, p. 83.

La paix, qu'ils n'avaient pu alors goûter dans leur refuge, mais dont ils deviendraient ensuite les hérauts usque ad ultimum terrae, les accompagnera dans leurs voyages, dans leurs épreuves, dans le martyre. Sans doute elle ne sera pas pour eux la colombe aux ailes d'argent (cf. Ps., lxvii, 14), qui gémit doucement dans le feuillage parfumé, mais plutôt l'alcyon qui ne fait pas son nid pendant la tempête, mais qui s'envolant de la crête des vagues jusqu'en haut des mâts du navire, semble dire au marin épouvanté la vanité des efforts et l'inanité des agitations de l'homme laissé à lui-même, et au contraire la puissance et la joyeuse sérénité de la faible créature qui s'abandonne à son Créateur.

Le genre humain voudra-t-il comprendre cette leçon et chercher, dans un confiant retour à Dieu, la reconquête de cette paix, dont la pensée hante les esprits et les coeurs, comme le souvenir hallucinant d'une félicité disparue. De nombreux peuples aujourd'hui ont perdu la paix, parce que leurs prophètes et leurs chefs se sont éloignés de Dieu et de son Christ. Les uns, propagandistes d'une culture et d'une politique areligieuse, se renfermant dans l'orgueil de la raison humaine, cum fores essent clausae, ont fermé la porte à l'idée même du divin et du surnaturel, chassant de la création le Créateur, exilant des écoles et des prétoires l'image du divin Maître crucifié, éliminant des institutions nationales, sociales et familiales toute mention de l'Evangile, tout en ne pouvant cependant en effacer les traces profondes. Les autres se sont enfuis loin du Christ et de sa paix, en reniant des siècles de civilisation lumineuse, bienfaisante et fraternelle, pour s'enfoncer dans les ténèbres du paganisme antique ou des idolâtries modernes. Puissent-ils reconnaître leur erreur et comprendre que le Christ sauveur, malgré leurs défections, leurs reniements, leurs outrages, reste encore et toujours auprès d'eux, les mains tendues, le coeur ouvert, prêt à leur dire : pax vobis, si, de leur côté, dans un élan sincère et confiant, ils veulent bien tomber à ses pieds, avec ce cri de foi et d'amour : Dominus meus et Deus meus, « mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20,28).

Aux nombreuses centaines de jeunes couples reçus en audience ce 3 avril, le Saint-Père adressa le discours suivant les exhortant à la pratique des trois vertus théologales de foi, d'espérance et de charité, fondement d'un bonheur vrai et durable.

Guidés par une pensée de foi, vous venez, chers jeunes époux, appeler sur le printemps de votre vie Notre Bénédiction apostolique, en ce jour où le printemps de la nature vous prodigue ses sourires. C'est aussi une pensée de foi que Nous voudrions vous inspirer, en vous invitant à écouter quelques instants, autour de vous et en vous-mêmes, la chanson du printemps.

Si trois notes sont nécessaires et suffisantes pour fixer par leur accord la tonalité d'une composition musicale, la chanson du printemps pourrait, pour les chrétiens, se réduire à trois notes, dont l'harmonie accorde leur âme avec Dieu lui-même : la foi, l'espérance, la charité.

La foi.

1. — La foi, comme vous le savez, est une vertu théologale par laquelle nous croyons en Dieu, que les yeux du corps ne voient point ; une vertu théologale par laquelle nous croyons en sa Bonté infinie, que sa Justice voile parfois à notre courte vue humaine ; en sa Toute-Puissance, que semble contredire, selon le raisonnement trop hâtif des hommes, sa mystérieuse longanimité.

Or, le retour fidèle du printemps rappelle que Dieu, qui semble parfois changer, en réalité ne change jamais, parce qu'il est éternel ;


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(3 avril 1940) 1

que chacune de ses dispositions apparaît au point voulu ; que chacun de ses desseins s'accomplit à l'heure fixée par la Providence. Hier, c'était encore l'hiver et tout semblait mort dans la nature ; le firmament était voilé de nuages et les montagnes couvertes de neige ; le soleil, languissant et stérile. Mais, tout à coup, le ciel de nouveau s'illumine ; le vent des tempêtes se tait ; le soleil prend plus d'éclat et, sous ses tièdes rayons, la vie palpite de nouveau au sein de la terre. Ainsi l'oeuvre de Dieu ne meurt jamais : chez lui, point d'hiver que ne suive un printemps, et ce qui semble la mort de la nature n'est qu'un prélude de résurrection.

Pour vous, jeunes époux, à qui s'ouvre le printemps de la vie, entrez-y avec une foi profonde en Dieu, avec une vive confiance en sa puissance et en sa bonté. Vous pourrez avoir des épreuves ; à certains moments, comme un père qui aime à se cacher un instant pour mesurer les forces de son enfant, Dieu semblera vous laisser seuls aux prises avec les difficultés. Sa justice, comme celle d'un père, pourra permettre à la douleur physique ou morale de vous purifier et de vous offrir le moyen d'une pénitence réparatrice. Des nuages pourront passer dans le ciel si bleu de votre mutuel amour et en voiler pour quelque temps la splendeur. Ravivez alors votre foi en Dieu ; rallumez votre foi en vos promesses, la foi dans la grâce sacramentelle, la foi dans la douceur pacificatrice des réconciliations promptes et sincères, qui sont, elles aussi, une sorte de printemps, puisqu'elles apportent, après le froid et les tempêtes, le retour des zéphyrs, de la lumière et de la paix.

'espérance.

2. — A la leçon de la foi, le printemps ajoute celle de l'espérance. S'il dissipe la torpeur de la terre et fait tomber des flancs des montagnes leur blanc manteau, le soleil n'enflamme point encore la terre du feu qui lui donnera tout l'éclat de sa parure et le splendide épanouissement de sa fécondité. La sève amollit les troncs et les tiges et ouvre sur les rameaux les lèvres humides des boutons, mais les arbres n'agitent pas encore au vent la crinière de leur feuillage. Bientôt les nids résonneront du chant des oiseaux. La vie reprend. L'espérance, cette joie d'un bonheur désiré et attendu, mais dont on ne possède encore que la promesse ou le gage, l'espérance éclate au printemps dans toute la création.

Dans l'ordre surnaturel, l'espérance est, comme la foi, une vertu théologale. Elle unit l'homme à Dieu, mais sans soulever le voile

de la foi pour montrer à nos yeux l'éternel et divin objet des contemplations célestes. Mais à l'âme qui correspond à la grâce elle apporte, dans l'infaillible promesse du Rédempteur, l'assurance de sa possession future ; elle lui en donne le gage et comme l'exemple anticipé dans la Résurrection du Dieu fait homme, qui eut lieu à l'aube d'une journée de printemps.

Le chant de l'espérance retentit certainement en ce printemps de vos coeurs. S'épouser c'est, comme les colombes au printemps, construire un nid. Or, le foyer domestique, ce nid d'une jeune famille, les époux ne le construisent souvent que petit à petit, au prix de fatigues et de sollicitudes, dans la cavité de dures roches ou sur un rameau que secoue le vent ; mais ce travail s'accomplit dans la joie, parce qu'il s'entreprend dans l'espérance. Fonder un foyer n'est pas seulement vivre pour soi, développer utilement ses forces physiques, ses facultés morales et ses qualités surnaturelles ; c'est aussi multiplier la vie, c'est pour ainsi dire ressusciter et revivre, en dépit du temps et de la mort, dans les générations successives, dont on ne peut, et c'est là une joie, mesurer du regard le long développement dans la série indéfinie des âges. Malheureux époux qui n'ont pas compris et goûté la douceur de cette espérance ! Plus malheureux encore et coupables ceux qui, par la violation des lois du Créateur, la limitent ou lui ferment l'entrée du nid familial ! Trop tard peut-être, ils verront que, pour quelques joies éphémères, ils ont ouvert sur leur foyer la porte de l'abîme vide de toute espérance.

La charité.

3. — La charité enfin met aussi sa note — on peut dire la note dominante — dans la chanson du printemps, qui est surtout un hymne d'amour. Le vrai et pur amour est le don de soi-même ; c'est la soif de se répandre et de se donner totalement, soif qui est essentielle à la Bonté et par laquelle Dieu, Bonté infinie, Charité substantielle, s'est répandu dans la Création. Cette force d'expansion de l'amour est si grande qu'elle ne souffre pas de limites. Le Créateur aima de toute éternité les créatures qu'il veut appeler dans le temps, par une aspiration toute-puissante de sa miséricorde, du néant à l'existence : In caritate perpetua dilexi te ; ideo attraxi te, miserans, « je t'ai aimée d'un amour éternel, aussi t'ai-je attirée, par miséricorde » (Jr 31,3) ; aussi le Verbe incarné, venu parmi les hommes, cum dilexisset suos, qui erant in mundo, in finem dilexit eos, aima les siens, qui étaient au monde, et les aima jusqu'à la fin (Jn 13,1).

Regardez, chers fils et filles, comme ce besoin de donner et de se donner se manifeste et éclate en ce moment dans la nature. « L'air et l'eau et la terre sont pleins d'amour » 2, s'écrie le poète en exaltant les beautés du printemps. La vie se répand et cette magnificence dans le don de soi-même n'est qu'une faible image de celle de Dieu. Mais, si telle est l'ampleur des largesses de Dieu dans l'ordre de la nature, combien plus merveilleux n'est-il point dans celui de 'la grâce, qui dépasse de toutes parts les plus hautes possibilités de la créature humaine !

Ecoutez maintenant, chers époux, votre propre coeur. Vous l'entendrez chanter l'hymne généreux et désintéressé qui s'élève jusqu'au don total de soi. Ce désir impérieux d'un naturel holocauste ne sera satisfait en vous que si le don naturel, qu'a sanctionné une promesse sacrée, est sans division, sans réserve, sans reprise, pareil au don que vous devez faire de votre personne à Dieu. La charité est une, comme la religion ; le lien du mariage chrétien a quelque chose de divin dans son principe et par là d'éternel dans ses conséquences. Y demeurer fidèle, malgré les épreuves, les tempêtes et les tentations, c'est un idéal qui peut sembler dépasser les forces humaines ; mais il deviendra une réalité surnaturelle, si vous correspondez à la grâce du sacrement, qui vous a été donnée précisément pour affermir votre union dans le sang du Rédempteur, union indissoluble, comme celle du Christ avec son Eglise.

Pétrarque, Sonetto CCLXIX.


ALLOCUTION A L'ORCHESTRE DE LACADÉMIE ROYALE DE SAINTE CÉCILE DE ROME

(6 avril 1940) 1

L'orchestre de l'Académie royale de sainte Cécile de Rome, après avoir donné un concert en présence du Souverain Pontife, a entendu de lui les paroles suivantes :

Nous vous sommes très reconnaissant, directeur distingué, illustres exécutants, pour l'admirable concert dont vous avez voulu Nous faire hommage. Nous en avions facilement pu présager le succès, sachant bien de quelle renommée jouit votre Royale Académie et son orchestre, et quels accroissement et impulsion elle a reçus de son actuel et si méritant président, le comte Enrico di San Martino Valperga. Nous avions par ailleurs confiance dans la protection de sainte Cécile, votre patronne. Puisque, quelque puisse être l'obscurité qui voile aux yeux sévères de la critique historique les dons artistiques de cette noble sainte, elle est en vertu de ses titres mêmes de vierge et de martyre un modèle de pureté de coeur, d'ardeur dans la charité et de constance dans les épreuves : trois caractères essentiels de la sainteté dont l'harmonie enchante comme un accord parfait les oreilles de Dieu et des hommes.

Notre attente a été largement et pleinement satisfaite. L'exécution des chefs-d'oeuvre portés au programme a donné à chacun d'eux — même à la célèbre symphonie qui pour des siècles demeurera « inachevée » — une perfection complète, qui a transporté nos âmes dans le royaume idéal de la mélodie, du rythme et de l'harmonie et les a tirées, ne serait-ce que pour un temps très bref, hors des graves


ACADÉMIE ROYALE DE SAINTE-CÉCILE

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pensées qui surgissent de la sollicitude et du tumulte du monde moderne inquiet. Des « désirs infinis et hautes visions » 2 se sont — à entendre vos merveilleuses harmonies — réveillés en Nous, enveloppés dans ces souvenirs des mouvements de l'esprit, indéterminés et inénarrables que Ponduleuse et sublime beauté de la musique instrumentale suscite, associe, tempère, noue et conclut dans un ravissement qui assume et concentre tout dans la variété des sentiments du coeur, lesquels prennent forme et consonance dans l'entrelacement du flux et du reflux de l'onde des sons fugitifs.

Dans les harmonies des grands maîtres que vous Nous avez fait entendre, sous la direction expérimentée d'une main dont le geste — Nous l'avons observé — disait la profonde et pleine pénétration de l'idée cachée dans leurs mélodies, dans leurs rythmes, dans la quantité répondante, dans les formes et dans leurs modes, a vibré un langage sans paroles, qui a été une incantation des sens et de l'âme, un baume pour les blessures du coeur.

La musique doit conduire les hommes à Dieu.

Don fait par Dieu aux hommes dans sa munificence : Dei largitate, comme s'exprimait magistralement saint Augustin, la musique doit à son tour conduire les hommes à Dieu et les aider à marcher en sa présence dans l'observation de ses commandements. Or la loi essentielle pour les chrétiens est, après l'adoration et l'amour du Dieu créateur et Père, l'harmonie fraternelle parmi tous ses enfants. Saint Augustin, méditant sur l'exemple du Roi David qui fut un poète inspiré et un chantre immortel et en même temps un monarque glorieux et sage, remarquait que l'accord juste et réglé des sons musicaux variés est l'image de la cité bien gouvernée, où règne l'ordre grâce à l'union organique des éléments divers 3. Unité dans la variété, diversité mais concorde : c'est précisément ce que disent les deux mots dont vous avez fait votre devise : «- Concordia discors », et qui se retrouvent déjà chez les poètes de l'antiquité, dans Ovide et dans Horace : Qui d velit et possit rerum concordia discors *. Ce que votre Concordia discors a entendu et voulu atteindre avec ce délicieux concert, elle a pu aussi l'obtenir ; toutefois, la douleur, adoucie

Leopardi, Sopra il ritratto scolpito in un monumento. De civitate Dei, 1. XVII, c. 14. Horace, Epist. I, 12, 19.

pour quelques moments par votre art, demeure au fond de nos coeurs : douleurs de sentir dans plus d'une partie du monde au lieu des divines mélodies de la nature génératrice de calme, gronder les canons ; angoisse de percevoir l'horrible dissonance de ces éléments divers dont l'accord seul peut assurer aux cités, aux nations, à l'humanité tout entière, l'ordre et la paix : Concordi varietate compactant bene ordinatae civitatis... unitatem.

Le programme de votre concert comprenait des compositeurs de diverses nationalités, mais qui se retrouvent tous réunis dans une région supérieure aux patries terrestres, dans le temple universel de la gloire et de l'art. Puisse la résonance de ce concert s'étendre, se prolonger dans le monde comme un prélude symbolique à l'harmonie désirée entre les nations ! Puisse l'actuel douloureux désaccord des hommes et des peuples se résoudre rapidement dans l'accord parfait et durable d'une juste paix inspirée des divins enseignements du Christ ! Alors les nations se lèveront joyeuses pour chanter dans un choral majestueux dont la puissance secouera terre et ciel : Laudate Dominum omnes gentes..., quoniam confirmata est super nos misericordia eius ! Alors l'humanité rassérénée prendra part à cet « admirable cantate des créatures » dont parle Augustin et dont l'extatique pauvre d'Assise, patron de l'Italie, a fait entendre au monde l'écho immortel.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX ET A UN PÈLERINAGE DE PÉROUSE

(10 avril 1940) 1

Le 10 avril, le Saint-Père recevait en audience générale de nombreux couples de jeunes mariés et un important pèlerinage de l'archidiocèse de Pérouse. S'adressant successivement à l'un et l'autre groupe, Sa Sainteté prononça ces paroles :

Aux jeunes époux :

Comment pourrions-Nous, en vous recevant, chers jeunes époux, ne pas tourner Notre pensée vers saint Joseph, très chaste époux de la Vierge, patron de l'Eglise universelle, dont l'Eglise célèbre aujourd'hui la solennité ? Si tous les chrétiens recourent à bon droit à la protection de ce glorieux patriarche, vous avez certainement un titre spécial à le faire.

L'admirable exemple de saint Joseph

Tous les chrétiens sont fils de l'Eglise. Par le baptême cette sainte et douce Mère donne aux âmes une mystérieuse participation à la nature divine : la grâce ; après les avoir ainsi enfantés à la vie surnaturelle, elle ne les abandonne pas, mais leur procure par les sacrements l'aliment qui maintiendra et développera 'leur vie. Par là, l'Eglise ressemble à Marie, Notre-Dame, de qui le Verbe reçut la nature humaine et dont les soins maternels soutinrent et nourrirent la vie de Jésus. Or, en chacun des enfants de l'Eglise doit se former le Christ (Ga 4,19), et chacun doit tendre à croître in virum perfectum, in mensuram aetatis plenitudinis Christi, « en un homme parfait, à la mesure de la stature du Christ » (Ep 4,13).

Mais qui veilllera sur cette mère de Jésus ? Vous l'avez compris, c'est celui qui, voici quelque vingt siècles, fut appelé à devenir l'époux de Marie, le père putatif de Jésus, le chef de la Sainte Famille. Quelle sollicitude il mit à remplir cette sublime mission ! Nous aimerions à en connaître les menues circonstances. Mais ce favori de la confiance divine, qui devait servir comme de voile au double mystère de l'Incarnation du Verbe et de la maternité virginale de Marie, semble dans sa vie terrestre pour ainsi dire caché dans l'ombre. Toutefois, les rares et brefs passages où l'Evangile parle de lui, suffisent à montrer quel chef de famille fut saint Joseph, quel modèle et quel patron spécial il est par conséquent pour vous, jeunes époux.

Gardien très fidèle du précieux dépôt que Dieu lui avait confié en Marie et son divin Enfant, il veille avant tout sur leur vie matérielle. Lorsque, obéissant à l'édit d'Auguste, il partit pour se faire inscrire au registre de recensement de Bethléem, il ne voulut point laisser seule à Nazareth Marie qui allait devenir Mère de Dieu. A défaut de détails dans les textes évangéliques, les âmes pieuses aiment à se représenter plus intimement les soins qu'alors il prodigua à la Vierge et à son Enfant. Elles le voient soulevant la pesante porte de l'auberge qui était déjà pleine, pareille au khan des villages orientaux modernes ; puis s'adresser en vain à ses parents et amis ; enfin rebuté partout, s'efforcer de mettre au moins un peu d'ordre et de propreté dans la grotte. Le voilà qui tient dans ses mains viriles les petites mains tremblantes de froid de Jésus pour les réchauffer.

Ayant appris un peu plus tard que son trésor était menacé, « il emmena de nuit l'enfant et sa mère » (Mt 2,14) et par des pistes sablonneuses, écartant du chemin pierres et ronces, il les conduisit en Egypte. Il y besogna durement pour les nourrir. Sur un nouvel ordre du Ciel, probablement quelques années après son arrivée, au prix des mêmes fatigues, il les conduisit en Galilée. A Nazareth (Mt 2,22-23), il montra à Jésus, son divin apprenti, le maniement de la scie et du rabot ; pour aller travailler au-dehors il quittait parfois son foyer et, le soir à son retour, Jésus et Marie l'attendaient sur le seuil avec un sourire ; avec eux il prenait place autour d'une petite table pour un frugal repas.

Assurer le pain quotidien à son épouse et à ses enfants : telle est la tâche la plus urgente d'un père de famille. Oh ! sa tristesse,

lorsqu'il voit dépérir ceux qu'il aime, parce qu'il n'y a plus rien dans l'armoire, plus rien dans la bourse !

... doit inspirer la foi dans la Providence.

Mais la Providence, qui conduisit le premier Joseph par la main lorsque, trahi et vendu par ses frères, il fut d'abord esclave, pour devenir ensuite surintendant, maître de toute la terre d'Egypte (Gn 41,43 xlv Gn 9) et pourvoyeur de sa propre famille (ib., 45, 18) ; la Providence, qui conduisit le second Joseph dans ce même pays, où il arriva dénué de tout, sans en connaître ni les habitants, ni les moeurs, ni la langue, et d'où il revint néanmoins sain et sauf avec Marie toujours active et Jésus qui croissait en sagesse, en âge et en grâce (Lc 2,52) ; la Providence n'aurait-elle donc plus aujourd'hui la même bonté, la même compassion, la même puissance sans limites ? Ah ! craignons plutôt que les hommes n'oublient les paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Cherchez d'abord le royaume des cieux et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6,33). Courageux et loyaux, donnez à Dieu ce qu'il est en droit d'attendre de vous : tout votre effort personnel, l'obéissance que vous lui devez comme au Maître suprême, la confiance que mérite le meilleur des pères. Alors vous pourrez compter sur ce que vous attendez de lui et qu'il vous a promis par ces paroles : « Regardez les oiseaux du ciel ; regardez les lis des champs, et n'ayez point de souci du lendemain » (Mt 6,26-34).

La prière confiante de la Sainte Famille.

Savoir demander à Dieu ce dont nous avons besoin, c'est le secret de la prière et de sa puissance, et c'est un autre enseignement de saint Joseph. L'Evangile, il est vrai, ne nous dit point expressément quelles étaient les prières qui se faisaient dans la maison de Nazareth. Mais la fidélité de la Sainte Famille aux pratiques religieuses nous est, s'il en était jamais besoin, explicitement attesté lorsque saint Luc (n, 41 et ss.) nous raconte que selon l'usage Jésus allait avec Marie et Joseph au temple de Jérusalem pour les fêtes de Pâques. Il est donc facile, il est doux de se représenter la Sainte Famille à l'heure de la prière. A l'aube dorée ou au crépuscule violet de Palestine, sur la petite terrasse de leur blanche maisonnette, tournés du côté de Jérusalem, Jésus, Marie et Joseph sont à genoux : comme chef de famille, Joseph récite les prières, mais c'est Jésus qui l'inspire et Marie unit sa douce voix aux accents graves du saint patriarche.

Futurs chefs de famille, méditez et imitez cet exemple que trop d'hommes oublient aujourd'hui. Vous trouverez dans le recours confiant à Dieu, non seulement les bénédictions surnaturelles, mais la meilleure garantie de ce « pain quotidien » si anxieusement, si laborieusement et parfois si vainement cherché. Délégués et représentants du Père qui est aux cieux et « de qui tire son nom toute paternité dans les cieux et sur la terre » (Ep 3,15), demandez-lui de vous donner quelque chose de sa puissance, comme il vous a donné quelque chose de sa tendresse, afin de porter dignement le fardeau bien cher, mais parfois bien lourd, des soucis et charges de famille.

ux pèlerins de Pérouse :

La majesté suprême et pourtant souriante du Père éternel, sa puissance et sa bonté harmonieusement unies : voilà un sujet attrayant pour les artistes qui souvent ont tenté de le représenter. Un des plus nobles efforts en ce sens est la célèbre fresque de Pietro Vannucci que l'on admire depuis plus de quatre siècles au « Collegio dei Cambio » à Pérouse, où le Père éternel est représenté au-dessus des prophètes et des sibylles, comme un vieillard à la barbe de fleuve, mais à l'aspect encore jeune, avec la tête légèrement inclinée vers la terre, le visage respirant une infinie douceur, la main droite levée pour bénir. Ce chef-d'oeuvre appartient bien à votre illustre cité, chers pèlerins de Pérouse conduits par votre bien-aimé archevêque Notre Vénérable Frère, que Nous avons la joie de saluer ici avec un sentiment particulier d'affection. Si Pietro Vannucci reçut le nom de « Pérugin » sous lequel il est plus communément connu, ce fut sans doute aussi parce que son art est essentiellement représentatif de votre pays et de vos qualités distinctives. Dans sa composition sagement simple, où la symétrie et l'harmonie classiques ont déjà quelque chose de l'agilité moderne, dans cette pureté de lignes, dans cette symphonie joyeuse des touches légères, se retrouve la transparente profondeur du sentiment chrétien qui s'exalte dans la contemplation ineffable de ces horizons de l'Ombrie devant lesquelles, dans une extase d'amour, priaient et chantaient François, Claire d'Assise, Angèle de Foligno. C'est l'art et la piété qui s'embrassent dans la lumière et la paix.

Votre cité, catholiques de Pérouse, a su à travers les siècles conserver et défendre la foi et cultiver les lettres et les arts ; elle a eu pour guides spirituels de zélés pasteurs, à la fois doux et fermes, comme celui que nous sommes heureux de voir aujourd'hui près de Nous, et elle a donné à l'Eglise universelle en l'un de ses archevêques un des plus glorieux pontifes de l'âge moderne, Notre prédécesseur l'immortel et très sage Léon XIII.

Soyez donc les bienvenus, bien-aimés Perugins ! En cette solennité de saint Joseph Nous désirons vous exhorter à honorer toujours plus et à imiter un si aimable patron. Vénérez sa chère image, qui le représente ordinairement avec l'Enfant Jésus dans ses bras ou à ses côtés. Que saint Joseph, protecteur spécial de tous ceux qui travaillent pour vivre ou pour faire vivre une famille, vous enseigne à trouver Jésus en vous, où il est présent par la grâce sanctifiante et à vous constituer ses gardiens auprès de ceux que vous aimez.

Pendant que Nous invoquons avec vous la protection de saint Joseph sur l'Eglise de Dieu dans les anxiétés de ces temps difficiles et orageux et que Nous implorons ardemment du Seigneur la paix sur le monde et spécialement sur l'Italie, comme gage des faveurs célestes les plus choisies, Nous vous accordons du fond du coeur la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1940 - HOMÉLIE PASCALE (24 mars 1940)