Pie XII 1940 - HOMÉLIE LORS DE LA CANONISATION DES SAINTES GEMMA GALGANI ET MARIE EUPHRASIE PELLETIER


SERMON EN L'HONNEUR DE SAINT FRANÇOIS D'ASSISE ET DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE PATRONS PRIMAIRES DE L'ITALIE

(5 mai 1940) 1

Plus d'une fois, en des siècles proches du nôtre, ce fut un spectacle admirable et bien digne de l'universelle paternité apostolique, que de voir, Vénérables Frères et chers fils, les successeurs de Pierre, Nos prédécesseurs, venir, dans un cortège solennel, en cette église illustre de Sainte-Marie sopra Minerva, célébrer les divins mystères en la fête de la sainte Annonciation et honorer, par leur geste bienveillant, la distribution publique de dons de vie religieuse et de mariage aux jeunes filles, appréciateurs, comme ils l'étaient, de la virginité consacrée à Dieu et de l'honnête maternité familiale, veillant avec les anges du ciel sur les berceaux tout de blancheur, nids des anges humains. A ce joyeux souvenir historique, Notre âme tressaille de joie au milieu du peuple fidèle et aimé qui Nous entoure. Dans la vision du passé, si beau cependant d'une autre lumière, Nous contemplons, renouvelée et offerte de nouveau, en une fête d'une double et très récente auréole, la splendeur de cet autel sous lequel reposent les restes vénérés d'une vierge héroïque, épouse du Christ, paladin de l'Eglise, mère du peuple, ange de paix pour la famille italienne. A côté d'elle, Notre regard rencontre la figure d'un pauvre qui lève la tête, pauvre vêtu de serge, ceint d'une corde, à l'aspect séraphique, les pieds et les mains marqués de cicatrices, au regard qui contemple le ciel, les monts, les vallées, le flot de la mer et des fleuves, qui dans son amour et ses salutations réunit

1 D'après le texte italien des A. A. S., vol. XXXII, 1940, p. 181 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. III, p. 14.

l'agneau et le loup, les malheureux et les heureux, les concitoyens et les étrangers. Ceux-là, ô Italie, sont tes protecteurs célestes auprès de Dieu qui t'a privilégiée parmi tous les rivages de la Méditerranée et des océans, en établissant chez toi, au milieu des admirables vicissitudes d'un peuple vaillant, qui ignorait le dessein et la main divine, le siège de l'empire pacifique du Pasteur universel des âmes rachetées par le sang du Christ. Catherine et François, sous le regard béatifiant de Dieu, protègent Rome et les régions italiennes, parce que l'amour qu'ils nourrirent ici-bas pendant leur vie et leur activité ne s'éteint pas au ciel, mais se ravive dans l'éternel amour divin.

Saint François d'Assise et sainte Catherine de Sienne.

La charité qui ne faiblit pas à l'égard de Dieu et à l'égard des frères, et qui dirige vers Dieu la pensée et les adorations de l'homme est religion ; plus elle monte au ciel et adore plus en redescendant au milieu des hommes, elle se répand et se magnifie, éclaire et réchauffe, comme les rayons émanant du soleil. Catherine fut le soleil de Sienne, comme François celui d'Assise. Leur rayonnement fut lumière et chaleur, non seulement pour l'Ombrie et la Toscane, mais aussi pour la terre et le ciel d'Italie, et l'au-delà des frontières des Alpes et de la mer. Deux âmes gigantesques dans des corps fragiles ; âme virile, la vierge de Sienne ; âme de chevalier, le jeune homme d'Assise. Egaux et différents parce que c'est la gloire de la sainteté d'égaliser ses héros dans la ferveur et le feu de l'esprit ; comme c'est son art de les différencier dans leurs routes et dans leurs oeuvres même d'un bien identique, de rendre l'un plus prompt à fréquenter les humbles, l'autre plus diligente à traiter avec les grands ; l'un vêtu de sa bure de patriarche de la milice franciscaine, l'autre dans sa robe blanche sous le manteau noir dominicain.

Le manteau dominicain et la bure franciscaine qu'autrefois à travers ses rues la Cité éternelle vit en Dominique et en François s'embrasser dans un élan d'amitié perpétuelle, se rencontrent aujourd'hui à l'ombre de ce temple glorieux devant la tombe de Catherine de Sienne, et s'unissent fraternellement pour glorifier à Rome les deux célestes patrons primaires de l'Italie. Si les restes sacrés de Dominique et de François sont loin, les fils de l'un et de l'autre patriarches sont ici présents, et de leurs lèvres s'échappe une voix qui fait un seul choeur qui résonne des noms de Catherine et de François, les enveloppe dans la même louange et supplication, que ne

peut diviser ni affaiblir le temps qui les sépare, cependant qu'une même sainte préoccupation de combat et de paix pour le Christ, pour l'Eglise, pour l'Italie, les unit.

Dieu fit grande et laborieuse la femme en Catherine ; grand et laborieux l'homme en François, exaltant en eux, unis par de divines et suprêmes ressemblances, les origines de la famille humaine, couronnant les deux du sceau des stigmates d'une passion ineffable, ouverts chez François, invisibles chez Catherine durant sa vie, comme pour démontrer que sous le voile du corps, avec une même douleur, on vit et on agit dans la charité. C'est le mystère de la vie et du travail des saints, des héros et des héroïnes du Christ : se dépasser dans l'amour pour se jeter dans un abîme de douleur, qui est imitation du Christ, pitié pour les malheureux, sacrifice et holocauste de soi-même pour leur rénovation et concorde, restauration des moeurs, remède aux maux, lutte pour le bien et la paix, victoire et triomphe de la vérité dans la justice et dans la charité entre les frères et les peuples ; dans une douleur qui ne supprime pas ou n'éteint pas le sourire sur les lèvres, ni la douceur du langage, ou dans le coeur le battement de la tendresse et l'ardeur du courage. N'était-ce pas cela la joie de Paul dans les angoisses de ses tribulations ? « Je déborde de joie au milieu de toutes mes tribulations » (2Co 7,4).

Zèle de Catherine pour l'Eglise, le Saint-Siège, les âmes.

Catherine était née avec un coeur de femme et une audace de martyr, avec un esprit prompt et une âme virile. Vous voyez en elle un exemple éclatant de ce que peut la femme forte dans les périodes les plus agitées. Si, de dessous cet autel, elle se levait vivante parmi nous, vous entendriez mieux encore que dans ses lettres admirables, vibrant dans un langage virginal, son zèle apostolique impétueux, ardent et doux ; elle ne connaît d'autre patrie que le ciel, et elle voudrait changer en ciel même la patrie d'ici-bas. « L'Eglise de Dieu, écrit-elle, est un glorieux jardin, où Dieu met ses travailleurs pour le cultiver, et nous sommes tous ces travailleurs ; d'une façon, tous les chrétiens qui doivent travailler par d'humbles et saintes prières, et par une véritable et respectueuse obéissance à la sainte Eglise ; d'une autre façon, ceux qui sont établis comme ministres des sacrements, pour paître et nourrir spirituellement les croyants ; d'une troisième façon, ceux qui servent fidèlement l'Eglise de leurs biens et de leur personne, pour son développement et son exaltation, s'affairant virilement dans une intention sainte et sincère pour la douce Epouse du Christ. Et c'est là, dit la vierge de Sienne, la fatigue la plus douce et la plus utile qu'aucune autre fatigue du monde. » 2 Tout est doux pour elle, qui assaisonne de douceur la croix et la mort, le ciel et la terre. Dans ce service de de l'Eglise, vous comprenez bien, chers fils, comment Catherine devance notre époque par une action qui agrandit l'âme catholique et la place à côté des ministres de la foi, docile collaboratrice dans la diffusion et la défense de la vérité et dans la rénovation morale et sociale de la société civile. « Maintenant, c'est le temps des nouveaux martyrs, s'écriait-elle, parce que, en servant l'Eglise et le Vicaire du Christ, vous servez le Christ crucifié. »3 Et l'héroïque vierge de Sienne, soutenue par la vision et par l'ordre de son doux Jésus, combattait pour l'Eglise et pour le Vicaire du Christ ; nouvelle Debora, libératrice de sa nation (Jug., iv-v) ; nouvelle Judith, sans l'épée. Si, pour elle, l'Eglise était le jardin des chrétiens, elle était en même temps la vigne du Seigneur, dans laquelle il convient de travailler la vigne de notre âme et la vigne du prochain 4, qui est celle des frères par le sang, par le voisinage, par la patrie ; au milieu de qui on se sent fils, soeur, mère par l'affection, la compassion et l'entraide.

Comment son âme a travaillé, les lis virginaux de son coeur et le feu de la charité dont elle fut embrasée pour Dieu et pour le prochain, ne le disent-ils pas ? Dans la courte journée de ses trente-trois ans, que ne fit pas cette angélique vierge d'Italie ? Vous comprendrez la nature de son oeuvre et la tristesse de son époque, quand le siège de Pierre était exilé de Rome, quand cette dernière, veuve, était en proie aux factions, quand les municipes italiens prenaient parti et se combattaient cruellement, celui-ci pour les Guelfes, celui-là pour les Gibelins. Dans l'oeuvre de cette femme forte resplendit tout ce qu'il y a de vrai, de vénérable, de juste, de saint, d'aimable, de bon renom, tout ce qui est vertu et louange (Ph 4,8). A elle la très grande gloire d'avoir ramené le pape à Rome, entreprise a laquelle ne suffit pas la plus harmonieuse lyre de son siècle, tempérée de douceur italienne. Pour Urbain VI, Catherine fut comme une autre Mathilde de Canossa ; par les lettres aux reines, aux princes, aux municipes, elle lui maintint l'Italie fidèle, humiliant l'adversaire

Lettres de sainte Catherine de Sienne, publiées par N. Tommaseo, vol. III, pp. 95-96. Loc. cit., vol. IV, pp. 346-347. ioc. cit., vol. IV, p. 175 et suiv.

par l'exaltation de la victoire remportée à Marino par l'armée d'Albéric de Balbiano.

L'héroïque femme mourut à Rome, dans le septième lustre de ses années pleines de vie ardente ; elle mourut au sein de sa famille spirituelle très émue, en présence de sa mère accablée de tristesse. Spectacle mémorable et sublime en cette heure de la naissance, non à la terre, mais au ciel ! Elle mourut en priant pour le pape et pour l'Eglise, divine tutrice de la foi et de la gloire de l'Italie, et dans la tranquillité de la mort, attendant la résurrection rénovatrice de vie plus éclatante et impérissable Nous la contemplons sous cet autel et invoquons son nom puissant pour la protection non seulement de Rome, mais de toute l'Italie.

Saint François d'Assise, le plus pauvre parmi les pauvres.

A côté de cette sainte héroïne de Sienne, il convient d'invoquer le nom du saint héros d'Assise : François, chevalier amant de la pauvreté du Christ, ambitieux du ciel qui lui appartient, père des saintes légions des amis du peuple, celui qui a suscité la charité qui répand la paix et le bonheur parmi les hommes et dans les familles. Véritablement, lui aussi, à une période non moins triste, il précéda Catherine et, comme elle, il fut pour l'Italie l'aurore d'un renouveau spirituel et pacifique. Athlète dépouillé parmi les affamés d'or, avec un coeur plus large que la misère humaine, méprisant tout mépris, il fut l'élite des jeunes, prodigue et aimant le luxe, le musicien et le chantre des joyeux cortèges, le soldat prisonnier de Pérouse, jeté à terre par Dieu sur la route des Pouilles, pour se relever vase d'élection afin de porter le nom du Christ parmi les peuples et les nations.

L'amour des pauvres et des infirmes le fit le plus pauvre parmi les pauvres, parce que dans le pauvre il voyait l'image du Christ ; parce que dans cette grande vallée de l'humanité, il y a plus d'humbles et de pauvres que de grands et de fortunés, de même que sur la surface de la terre il y a plus de plaines et de vallées que de montagnes. En présence de son père au coeur dur, il contracta des noces mystiques avec la pauvreté, montant avec elle le chemin de la vie, joyeux et actif, jusqu'au mont de la nudité crucifiée, imprimée dans sa chair. Un tel dépouillement des biens terrestres le rend supérieur aux honneurs et aux moqueries, aux attraits et aux incommodités, à tout ce que le monde nomme biens et maux, lui donnant en abondance cette richesse spirituelle qui, n'ayant rien, a tout, parce qu'elle ne désire rien, ou, pour mieux dire, ne veut rien parce que dans son rien elle trouve toute chose, ayant abandonné toute convoitise d'ici-bas pour replacer tous ses désirs dans le Père céleste qui nourrit les petits oiseaux et qui vêt les lis des champs.

Le pauvre d'Assise, revêtu d'une saie faite de morceaux, broderies glorieuses, qu'il avait eue d'un mendiant, en échange de ses riches vêtements, leva ici, à Rome, sur le seuil de l'antique basilique du Prince des apôtres, l'étendard de la pauvreté, d'autant plus beau qu'il était plus déchiré ; il ouvrit un nouveau chemin aux champions de la sainteté et de la vertu, à ceux qui règlent les passions humaines, à ceux qui réconcilient les concitoyens divisés, qui rétablissent la communauté familiale et sociale, la paix publique et la tranquillité. Combien ont marché sur ses traces ! Combien se sont rassemblés sous les nattes de ses cabanes, à la Portioncule ! Combien de vierges, avec Claire d'Assise, furent ses disciples ! Combien de Frères mineurs et de Tertiaires se sont tournés vers lui !

Plus d'une fois, Rome a vu François pèleriner par ses rues ; elle l'a vu prosterné devant le pontife approuvant sa règle ; elle l'a vu étreindre sur sa poitrine Dominique ; elle les vit tous deux vénérer comme une mère la sainte Eglise romaine, frères pour la servir, pour travailler à son extension, pour la défendre, comme ils étaient frères en suivant le premier conseil du Christ.

François d'Assise, héraut de l'Evangile.

La pauvreté du Christ ne rapetisse pas le coeur, ne restreint pas ni n'éteint la hardiesse de l'âme généreuse, mais elle allège le fardeau de la vie, met aux pieds des ailes, enflamme le zèle pour allumer sur toute la terre ce feu que le Rédempteur est venu apporter ici-bas. Ainsi l'amour du Christ tira François de sa Thébaïde, en fit le héraut de l'Evangile, apôtre et rassembleur d'apôtres, pacificateur et père de ces chevaliers mystiques de la paix et du bien, messagers du royaume des cieux dans l'Ombrie, en Italie, en Europe, dans le monde. Sa parole se fit entendre à Assise, dans la vallée de Spolète, dans les régions italiennes ; ses pieds laissèrent des traces sur les routes d'Espagne, sur le sol de l'Egypte, de la Syrie et de la Palestine, au-delà de l'Adriatique ; des peuples de langues et de moeurs diverses, le sultan du Nil, les oiseaux de la forêt écoutèrent sa voix. Son coeur ardent battait pour toutes les créatures de Dieu : le soleil, la lune, les étoiles, le vent, l'eau, le feu, notre mère la terre étaient pour lui des frères et soeurs.

Messager du grand Roi, si, à la suite des Chapitres généraux de ses frères aimés, il envoie en Europe et en Afrique des missionnaires, il aime fortement le pays où Dieu lui avait donné un si doux lieu de naissance, et il parcourt souvent les deux versants de l'Apennin, répandant avec les paroles de la foi et l'exemple des vertus, le parfum de cette sainteté courtoise, joyeuse, amoureuse de Dieu et de la nature, brûlante de la mansuétude et de la paix du Christ qui, avec ses fils, fit de l'Italie la terre de François, à lui ardemment dévote, en ceignant de la corde franciscaine pontifes et rois, riches et pauvres, heureux et malheureux, familles et gens du peuple de tout âge et de toute condition.

Exhortation aux Romains et aux Italiens.

Invoquez donc, ô Romains, ô chers fils d'Italie, François d'Assise et avec lui Catherine de Sienne, vos nobles patrons devant Dieu. Déjà vous vous inclinez aux pieds de beaucoup de héros de la sainteté en priant, en suppliant, en remerciant, en louant, et votre piété et dévotion qui, plus fervente et filiale, s'élève jusqu'à la Reine des saints, monte au ciel, non moins agréable à elle qu'à son divin Fils, glorificateur des saints. Mais Dieu, comme dans la variété des étoiles du firmament, exalte quelquefois dans le groupe de ses héros des âmes créées par lui pour de grandes choses, les prépare aux ouragans des temps, en fait des prodiges pour leur époque et pour les siècles, des miroirs de vertu et d'activité, des modèles qui vont, dans les circonstances tristes ou joyeuses de la vie sociale, stimuler la postérité, pour qu'elle se renouvelle et se fortifie dans le bien, pour le profit de la famille, des citoyens, pour l'Eglise et pour la patrie. Nous voyons en Catherine et en François de telles âmes héroïques. Que si la noble femme qu'ici nous vénérons et glorifions en Catherine, n'a pas, comme François, passé les mers ni poussé jusque chez les Barbares et les infidèles, elle n'a pas eu un coeur moins hardi ; elle aussi, en pacifiant dans la tradition chrétienne l'Italie, en s'employant et en souffrant pour l'Eglise et pour la papauté romaine, elle a souffert et elle a travaillé pour la gloire de l'Italie et le bien général des peuples. Catherine et François sont deux gloires éclatantes de l'Italie ; en eux, plus encore que dans les qualités chevaleresques, les arts, les lettres et les sciences, l'Italie triomphe. Ils surent lier étroitement dans un seul amour leurs frères et Dieu, et ne jamais séparer le service de Dieu du service de leurs frères.

Admirez donc, chers fils, ces deux héros de trempe italienne, dont la foi élève jusqu'au ciel et, de là-haut, les fait protecteurs bienveillants et puissants, plus que d'autres, du cher peuple italien, si voisin de la Chaire de Pierre.

Cette heure, chers fils, pour vous, pour tous, grands et petits, heureux et malheureux, pour l'ensemble des peuples, pour l'Italie, est une heure de prière et d'invocation de la protection et de l'aide des saints ; au moment où l'ouragan de la guerre, qui a jailli des profondeurs des passions et des égoïsmes humains, entraîne de nobles nations dans des luttes déplorables sur terre, sur mer et dans les airs, et gronde, ténébreux et menaçant, au-delà de la barrière des Alpes ; au moment où Dieu, Seigneur de l'univers, de qui dépendent les empires et qui seul est celui qui dresse et renverse les trônes et rend vains les projets des peuples (Ps 32,10), tourne ses regards ici-bas, pour voir s'il ne se trouve pas un homme qui médite sur tant de ruines et s'en attriste, et tend la main à la justice qui appelle la paix. Près de ce Dieu qui, en pardonnant, rend plus manifeste sa puissance, implorons l'intercession de nos insignes protecteurs, Catherine et François, garde et défense de l'Italie.

Prière pour l'Italie et pour le monde.

O Jésus, Verbe tout-puissant, Roi des siècles, qui en divisant les nations et en séparant les fils d'Adam, avez fixé les limites des peuples (Dt 32,8) et avez choisi et rétabli à l'intérieur des frontières d'Italie le lieu saint où réside votre Vicaire, tournez vos regards bienveillants sur ce peuple et sur cette terre que vous chérissez, cette terre baignée du sang des princes de vos apôtres et de tant de martyrs, consacrée par les vertus et par l'oeuvre de tant de vos Vicaires, d'évêques, de prêtres, de vierges et de serviteurs bons et fidèles. Ici, la foi en vous brille toujours, immaculée, sanctifie les grottes et les retraites de vos croyants, purifie les temples des faux dieux et vous élève de riches basiliques d'un bord à l'autre des mers qui en font le tour. Là, votre peuple se groupe davantage et plus nombreux autour de vos autels, oublieux de discussions, soucieux de la concorde des âmes ; ce même peuple implore de vous, ô Roi divin des nations, que vous corroboriez de votre grâce et de votre faveur l'intercession que pour notre protection nous confions d'une façon plus haute et plus particulière auprès de votre trône de bonté et de miséricorde, à vos deux grands serviteurs, François et Catherine. Ecoutez, ô Jésus, la supplique que nous vous présentons par leurs mains. Vous les aimez, vous les avez faits grands et puissants ; vous nous aimez également, nous qui vous prions humblement ; votre amour infini vous retient présent sur cet autel, nourriture et breuvage pour nous, pèlerins vers le ciel, dans une vallée de misères, de craintes et de dangers. Grâce au céleste patronage de vos glorieux serviteurs, que votre grâce triomphe en nous, ainsi que votre pardon, votre libéralité, votre paix. Triomphez, ô grand Dieu, en nous, dans les familles, dans toutes les terres italiennes, dans les plaines et dans les monts, dans les palais et dans les chaumières, dans les cloîtres et dans les services publics, chez les jeunes et chez les vieux, dans les aurores et dans les crépuscules de la vie. Triomphez dans le monde, ô Dieu des armées. Que cette paix que votre coeur donne à l'Italie, cette paix que vous avez laissée à vos apôtres et que nous demandons pour tous les hommes, que cette paix revienne au milieu des peuples et des nations séparés par l'oubli de votre amour et excités par la rancune et brûlants de vengeance ! O Jésus, dissipez l'ouragan de mort qui pèse sur l'humanité rachetée par vous ; faites de vos agneaux fidèles et égarés un seul troupeau pacifique, de sorte que tous les hommes vous écoutent et suivent votre voix ; que tous les peuples vous adorent et vous servent, et que tous réunis dans une même foi, espérance et amour, se détachent du cours irrévocable du temps pour s'abîmer dans la paix ineffable de la bienheureuse éternité. Ainsi soit-il.


CONCORDAT ENTRE LE SAINT-SIÈGE ET LA RÉPUBLIQUE PORTUGAISE

(7 mai 1940) 1

Conclu le 7 mai, le Concordat ci-après a été ratifié par l'Assemblée nationale du Portugal le 15 mai suivant. L'échange des instruments de ratification a eu lieu le 1er juillet. Voici la traduction de cet acte rédigé en italien et en portugais :

Au nom de la Très Sainte Trinité,

Sa Sainteté le pape Pie XII et S. Exc. le président de la République portugaise, voulant préciser d'un commun accord et d'une manière durable la situation juridique de l'Eglise catholique au Portugal, pour la paix et le plus grand bien de l'Eglise et de l'Etat, ont résolu de conclure entre eux une convention solennelle qui reconnaisse et garantisse la liberté de l'Eglise et protège les légitimes intérêts de la nation portugaise également en tout ce qui concerne les missions catholiques et le patronat en Orient.

A cet effet, Sa Sainteté a nommé comme son plénipotentiaire S. Em. le cardinal Louis Maglione, son secrétaire d'Etat, et S. Exc. le président de la République portugaise a désigné comme ses plénipotentiaires : S. Exc. le général Eduardo Augusto Marques, ancien ministre des Colonies, président de la Chambre corporative, grand-croix des Ordres militaires du Christ, de Saint-Benoît d'Aviz et de l'Ordre de l'empire colonial ; S. Exc. le Dr Mario de Figueiredo, ancien ministre de la Justice et des Cultes, professeur et directeur de la Faculté de droit de l'Université de Coïmbre, député et grand-croix de l'Ordre militaire de Saint-Jacques de l'Epée ; S. Exc. le Dr Vasco-Francisco-Caetano de Quevedo Pessanha, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près le Saint-Siège, grand

1 D'après les textes originaux italien et portugais des A. A. S., 32, 1940, p. 217 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. II, p. 87.

croix de l'Ordre militaire du Christ et chevalier grand-croix de l'Ordre de Saint-Grégoire le Grand, lesquels, après échange de leurs pleins pouvoirs, reconnus en bonne et due forme, ont convenu des articles suivants :


ARTICLE PREMIER

La République portugaise reconnaît la personnalité juridique de l'Eglise catholique.

Les relations amicales avec le Saint-Siège seront assurées dans la forme traditionnelle où elles se sont exprimées dans l'histoire, par le moyen d'un nonce apostolique près la République portugaise et d'un ambassadeur de la République près le Saint-Siège.

ARTICLE 2

Le libre exercice de son autorité est garanti à l'Eglise catholique ; dans le domaine qui relève de sa compétence, elle a la faculté d'exercer, sans aucun empêchement, les actes de son pouvoir d'ordre et de juridiction.

A cet effet, le Saint-Siège peut publier librement n'importe qu'elle disposition (ou ordonnance) relative au gouvernement de l'Eglise, et, pour tout ce qui a trait à son ministère pastoral, communiquer et correspondre avec les évêques ou prélats, le clergé et tous les catholiques du Portugal, comme ceux-ci peuvent le faire avec le Saint-Siège, sans qu'une approbation préalable de l'Etat soit nécessaire pour que les Bulles et n'importe qu'elle autre instruction ou disposition du Saint-Siège puissent être publiées et répandues dans le pays.

Les Ordinaires et les autres autorités ecclésiastiques jouissent, dans les mêmes termes, de cette faculté par rapport à leur clergé et à leurs fidèles.


ARTICLE 3

L'Eglise catholique au Portugal peut s'organiser librement en conformité avec les prescriptions du Droit canonique et établir dans ce cadre des associations ou organisations auxquelles l'Etat reconnaît la personnalité juridique.

La reconnaissance par l'Etat de la personnalité juridique aux associations, corporations ou instituts religieux canoniquement érigés, résulte de la simple communication faite par écrit à l'autorité

civile compétente par l'évêque (ou par son légitime représentant) du diocèse où lesdites organisations catholiques ont leur siège.

En cas de modification ou de disparition des organisations susdites, la procédure à suivre sera la même et aura les mêmes effets juridiques.


ARTICLE 4

Les associations ou organisations auxquelles se rapporte l'article précédent peuvent acquérir des biens et en disposer de la manière même où le peuvent, selon les lois en vigueur, les autres personnes morales perpétuelles ; ces biens sont administrés librement sous la surveillance et le contrôle de la hiérarchie ecclésiastique compétente. Mais si, outre leurs buts religieux, ces associations se proposent également des buts ou des oeuvres d'assistance et de bienfaisance afin d'accomplir leurs obligations statutaires ou des charges grevant des héritages, legs ou donations, elles seront, dans ce domaine, soumises au régime établi par le droit portugais pour les associations ou corporations de ce genre, régime qui sera appliqué par l'organe de l'Ordinaire compétent et ne pourra jamais être plus onéreux que le régime établi pour les personnes juridiques de même nature.

ARTICLE 5

L'Eglise peut librement recevoir des dons et imposer aux fidèles des quêtes et n'importe quelle contribution destinée à la réalisation de ses fins, notamment à l'intérieur et à la porte des églises, et aussi des édifices et lieux lui appartenant.

ARTICLE 6

Est reconnue à l'Eglise catholique au Portugal la propriété des biens qui antérieurement lui appartenaient et sont encore en possession de l'Etat, comme églises, palais épiscopaux, maisons paroissiales et leurs dépendances, séminaires et leurs annexes, couvents des instituts religieux, ornements et vases sacrés et autres objets consacrés au culte et à la religion catholique, à l'exception de tout ce qui est actuellement appliqué à des services publics, ou a été classé comme « monument national » ou comme « immeuble d'intérêt public ».

Les biens dont il est question dans l'alinéa précédent, mais qui ne sont pas actuellement en possession de l'Etat, peuvent être transférés à l'Eglise par leurs possesseurs sans aucune charge fiscale, si l'acte de transfert a lieu dans les six mois qui suivent le jour de l'échange des ratifications du présent concordat.

Les immeubles classés comme « monuments nationaux » ou comme « d'intérêt public » ou qui viendraient à être ainsi classés, durant les cinq ans à compter du jour de l'échange des ratifications, demeureront la propriété de l'Etat avec destination permanente au service de l'Eglise. La conservation, les réparations et les restaurations de ces immeubles regardent l'Etat ; pour éviter de troubler le service religieux, l'Etat se mettra d'accord avec l'autorité ecclésiastique compétente ; à l'Eglise reviennent la garde et le régime intérieur de ces édifices, notamment pour ce qui concerne les heures de visites, pour la direction desquelles pourra intervenir un fonctionnaire désigné par l'Etat.

Les objets destinés au culte qui font partie de n'importe quel musée de l'Etat ou des corporations autonomes locales ou institutionnelles, seront toujours cédés pour les cérémonies religieuses qui ont lieu dans l'église à laquelle ces mêmes objets appartenaient, si cette église se trouve dans la localité même où lesdits objets sont gardés. Pareille cession se fera à la demande de l'autorité ecclésiastique compétente ; cette dernière aura soin d'assurer la garde des objets cédés, sous la responsabilité d'un fidèle dépositaire.


ARTICLE 7

Aucune église, édifice, dépendance ou objet du culte catholique ne peut être détruit ou employé par l'Etat à un autre usage si ce n'est après un accord préalable avec l'autorité ecclésiastique compétente ou en raison d'une nécessité publique urgente comme la guerre, l'incendie ou l'inondation.

Dans le cas d'expropriation pour cause d'utilité publique, l'autorité ecclésiastique intéressée sera toujours entendue, même pour ce qui a trait au montant de l'indemnité. Dans tous les cas, aucun acte d'appropriation ne sera accompli avant que les biens expropriés n'aient été privés de leur caractère sacré.

ARTICLE 8

Les églises et les objets qu'elles contiennent, les séminaires ou toute autre institution destinée à la formation du clergé, ainsi que les ordonnances et avis relatifs au ministère sacré affichés aux portes des églises, sont exempts de n'importe quel impôt ou contribution générale ou locale. En outre, aucun impôt ou contribution fiscale ne sera imposé aux ecclésiastiques en raison de l'exercice de leur ministère spirituel.

Les biens et les personnes morales ecclésiastiques non compris dans l'alinéa précédent ne pourront être grevés d'impôts ou contributions fiscales particuliers.


ARTICLE 9

Les archevêques et évêques résidentiels, leurs coadjuteurs avec droit de succession, ainsi que leurs auxiliaires, les curés, les directeurs des séminaires et, d'une façon générale, les directeurs et supérieurs des institutions ou associations douées de la personnalité juridique avec juridiction dans une ou plusieurs provinces du pays devront être citoyens portugais.

ARTICLE 10

Avant de procéder à la nomination d'un archevêque, ou d'un évêque résidentiel, ou d'un coadjuteur avec droit de succession, sauf ce qui a été établi en ce qui concerne le patronat ou le semi-patronat d'Orient2, le Saint-Siège communiquera le nom de la personne choisie au gouvernement portugais pour savoir s'il y aurait contre elle des objections d'ordre politique général. Le silence du gouvernement après trente jours écoulés depuis la susdite communication sera interprété dans le sens qu'il n'a pas d'objection à formuler. Toutes les démarches envisagées dans cet article devront rester secrètes.

ARTICLE 11

Les ecclésiastiques jouissent, dans l'exercice de leur ministère, de la protection de l'Etat de la même façon que les autorités publiques.


ARTICLE 12

Les ecclésiastiques ne peuvent être interrogés par les magistrats ou par d'autres autorités sur des faits et choses dont ils ont eu connaissance en raison de leur ministère sacré.

2 Depuis quelques siècles, l'Etat portugais possède dans les pays d'Orient et d'Extrême-Orient, relativement au choix des évêques, un droit de patronage qui a subi, parallèlement aux transferts cje souveraineté politique, d'inévitables modifications et réductions. Successivement, les concordats de 1857 et de 1886, puis les accords de 1928 et 1929 ont mis au point l'étendue de ce droit. Le concordat de 1940 a confirmé la situation antérieurement définie, et l'article 7 de Y Accord missionnaire (7 mai 1940, ci-après p. 159) détermine actuellement l'usage de ce droit de patronat.

ARTICLE 13

Les ecclésiastiques sont dispensés de l'obligation de remplir les fonctions de jurés, de membres des tribunaux ou de membres de commissions fiscales et d'autres charges de ce genre considérées par le Droit canonique comme incompatibles avec l'état ecclésiastique.


ARTICLE 14

Le service militaire sera accompli par les prêtres et par les clercs sous la forme d'assistance religieuse donnée aux forces armées et, en temps de guerre, également dans les formations sanitaires. Toutefois le gouvernement veillera à ce que même en cas de guerre le service militaire dans les formations sanitaires ait lieu avec le moins de préjudice possible pour le soin des âmes des populations dans la métropole et dans les colonies.

ARTICLE 15

Le port de l'habit ecclésiastique ou religieux par des séculiers ou par des personnes ecclésiastiques ou religieuses auxquelles l'usage de l'habit a été interdit par une disposition de l'autorité ecclésiastique compétente, officiellement communiquée aux autorités de l'Etat, est puni des mêmes peines qui sanctionnent l'usage non autorisé de l'uniforme propre à une charge publique. L'exercice abusif de la juridiction et des fonctions ecclésiastiques est puni de même.


Pie XII 1940 - HOMÉLIE LORS DE LA CANONISATION DES SAINTES GEMMA GALGANI ET MARIE EUPHRASIE PELLETIER