Pie XII 1940 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX ET A DES ENFANTS ROMAINS (26 juin 1940)


LETTRE AUX CARDINAUX ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES DE FRANCE (29 juin 1940)

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Au moment douloureux de la défaite de la France par l'Allemagne, les cardinaux, archevêques et évêques de France ont écrit au Saint-Père qui a répondu par la lettre suivante, les assurant de sa paternelle affection :

L'expression de dévouement filial que vous Nous faites parvenir au lendemain du désastre sans précédent qui vient de s'abattre sur votre patrie et la prière que vous Nous adressez pour avoir de Nous une parole de réconfort, répondent à Notre vif désir de Nous trouver en ce moment au milieu de vous, très chers fils et Vénérables Frères, pour vous dire l'écho profond éveillé dans Notre coeur de Père par la calamité qui plonge la France dans le deuil. Certes, ce sentiment de toute paternelle affection qui Nous a permis de partager si souvent, de loin comme de près, la joie de vos fêtes religieuses, ne Nous permet pas de rester à l'écart au jour de votre malheur, tandis que les larmes coulent à travers la France aussi abondantes que le sang généreux dont sa vaillante jeunesse lui a fait, au cours de cette guerre, un si noble sacrifice.

Nous voici donc avec vous, pasteurs, prêtres, fidèles, ému de votre sort, mais consolé en même temps de retrouver en vous aux jours de l'épreuve, dans toute sa dignité, l'âme catholique de cette France que la prospérité a pu égarer parfois hors de ses plus nobles traditions, mais que le malheur n'a jamais abattue et a si souvent rapprochée de Dieu pour la rendre plus vigoureuse et consciente à sa grande mission spirituelle et chrétienne. C'est précisément vers cette mission, qui est son plus beau titre de gloire, que Nous voulons vous inviter à élever vos yeux, ainsi que vos meilleures espérances, pour vous rendre plus parfaitement compte qu'en une heure si triste de votre histoire votre rôle providentiel reste dans toute sa valeur.

Oui, les malheurs mêmes par lesquels Dieu visite aujourd'hui votre peuple seront, Nous n'en doutons pas, dans les adorables desseins de sa Providence, la condition propice d'un plus sûr travail spirituel pour le relèvement de la nation tout entière et pour son plus riche rendement dans la société chrétienne.

N'est-ce pas là la vraie grandeur d'un peuple, aussi bien que de tout homme ayant conscience de sa dignité et de la valeur de la vie ? N'est-ce pas dans la douleur qu'il nous est donné à tous de mieux ouvrir les yeux à la vérité éternelle et de retrouver les chemins de la sagesse pour notre véritable félicité ?

Or, nous n'ignorons pas de quelles ressources spirituelles la France dispose pour entrer dans cette voie et se ressaisir dans son âme, pour faire de son malheur le levier d'une nouvelle ascension spirituelle, qui sera pour elle le gage d'un solide et durable bonheur.

Ces ressources sont si nombreuses et si puissantes qu'elles n'attendront pas — Nous en sommes sûr — la conclusion de la paix pour se mettre en oeuvre et donner au monde le spectacle d'un grand peuple, digne de ses traditions séculaires, qui trouve dans sa foi et dans sa charité inlassable la force de faire face à l'adversité et de reprendre sa marche sur le chemin de l'honneur et de la justice chrétienne.

Aussi aimons-Nous à croire que vous tous, chers pasteurs et prêtres de Jésus-Christ, après avoir tout donné à la patrie dans les horreurs de la guerre, vous vous empresserez maintenant de vous rendre à vos postes et, dans la reprise laborieuse de la vie du pays, vous ferez un devoir de vous pencher, comme le bon Samaritain de l'Evangile, sur vos ouailles blessées pour soigner leurs plaies et soulager leurs maux par les moyens sans nombre dont la charité dans votre pays a toujours eu le secret.

C'est dans cette douce confiance que Nous Nous adressons, chers fils et Vénérables Frères, à vos âmes d'évêques et de pères pour porter à la grande famille française, aujourd'hui plus que jamais serrée autour de ses pasteurs, Notre parole de réconfort dans la lumière de ce Dieu qui n'humilie jamais ses enfants si ce n'est pour les redresser dans sa justice et les rendre dignes de lui.

Tandis que Notre coeur s'ouvre à la plus grande pitié pour tous ces chers fils de France et que Nous les embrassons paternellement en Jésus-Christ, Nous envoyons à tous, pasteurs, prêtres et fidèles, comme gage de Notre toute spéciale bienveillance, la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (3 juillet 1940)

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Le prix infini du Sang de Jésus.

La piété des fidèles consacre le mois de juillet au Précieux Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en l'honneur duquel l'Eglise célèbre une solennelle fête liturgique le premier jour de ce mois. C'est de ce sujet, cher à toute âme chrétienne, que Nous désirons brièvement vous entretenir. Puisse, à une heure de luttes cruelles où coulent des fleuves de sang humain, puisse la contemplation des merveilles du Sang divin, source inépuisable de réconciliation et de paix répandue par pur amour, remplir vos âmes de réconfort et d'espérance.

Vous n'ignorez certes pas le prix infini du Sang rédempteur ; vous savez que certaines églises ou chapelles se vantent d'en conserver quelques restes ou traces, comme celles qu'on vénère à la Scala Santa. Vous savez surtout qu'au tabernacle, sous les apparences de l'hostie, est la réalité même de ce Sang, présent avec le corps, l'âme et la divinité du Sauveur. Vous avez plus d'une fois, en adorant cet auguste sacrement, répété avec la sainte liturgie : Pange, lingua, gloriosi corporis mysterium sanguinisque pretiosi, « Chante, ô ma langue, le mystère du glorieux Corps et du Précieux Sang. » Et nombre d'entre vous, Nous voulons le croire, ont célébré avant-hier par une pieuse communion la fête du Précieux Sang. Saint Pierre emploie cette expression dans son épître aux chrétiens de son temps : « Sachez que vous avez été affranchis de la vaine manière de vivre que vous teniez de vos pères, non par des choses périssables, de l'argent ou de l'or, mais par un Sang Précieux, celui de l'agneau sans défaut et sans tache, le Sang du Christ » (1P 1,18-19).

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. II, p. 163 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. I, p. 119.

Cette même expression est en usage dans les prières de l'Eglise, témoin ce verset du Te Deum qu'on récite à genoux : Te ergo quaesumus, tuis famulis subveni, quos pretioso sanguine redemisti, « Daignez, Seigneur, venir en aide à vos serviteurs, que vous avez rachetés par votre Précieux Sang. »

Il est naturel que chacun estime son propre sang comme un bien de haute valeur ; il transporte, en effet, aux différents tissus la nourriture et l'oxygène, tandis que ses corpuscules blancs défendent l'organisme contre l'invasion des bactéries. Partant, un des premiers soins des parents est de transmettre à leurs enfants un sang non altéré ni appauvri par les maladies internes, des contaminations externes ou une dégénération progressive.

Lorsque vous appelez vos enfants les héritiers de votre sang, vous devez songer à quelque élément plus élevé que la seule génération physique : vous êtes, et vos enfants doivent être, les rejetons d'une race de saints, selon la parole de Tobie à sa jeune épouse : Filii Sanctorum sumus, « Nous sommes enfants des saints » (Tb 8,5), c'est-à-dire des hommes sanctifiés et participants de la nature divine moyennant la grâce. En vertu du baptême qui lui a appliqué les mérites du Sang divin, le chrétien est fils de Dieu, un de « ceux qui, selon saint Jean (i, 12-13), croient en son nom et qui ne sont nés ni du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu ». Lorsque, par conséquent, dans un pays de baptisés, on parle de transmettre le sang des pères aux fils, qui devront vivre et mourir non point comme des animaux sans raison, mais en hommes et en chrétiens, il ne faut pas restreindre le sens de ce mot à une idée purement biologique et matérielle, mais l'étendre à ce qui est comme le liquide nourricier de la vie intellectuelle et spirituelle : le patrimoine de foi, de vertu et d'honneur que les parents transmettront à leurs enfants, est mille fois plus précieux que le sang, si riche soit-il, qu'ils répandent en leurs veines.

Les membres des familles nobles vantent leur sang illustre, et cet insigne honneur, fondé sur le mérite des aïeux, comporte dans leurs héritiers autre chose que de seuls avantages physiques. Mais tous ceux qui ont reçu la grâce du baptême peuvent se dire « princes du sang », non d'un sang simplement royal, mais d'un sang divin. Inspirez donc, chers jeunes époux, aux enfants que Dieu vous donnera, une telle estime de cette noblesse surnaturelle, qu'ils soient prêts à tout souffrir plutôt que de perdre un trésor si précieux.

Les bienfaits du Précieux Sang.

Songez, pour l'apprécier mieux encore, aux bienfaits du Précieux Sang. Vous connaissez l'histoire de la première Pâque de l'Ancien Testament ; quand le Seigneur envoya son ange frapper les premiers-nés des Egyptiens, il ordonna aux enfants d'Israël d'immoler un agneau sans tache et de marquer de son sang les portes de leurs maisons. A la vue de ce signe, l'ange passerait outre et épargnerait les fils du peuple élu (Ex., xn). Toute la tradition, dès les Apôtres et les Pères, voit dans cet agneau la figure du Christ immolé sur la croix afin que les hommes, marqués de son Sang rédempteur, soient sauvés de la mort éternelle.

Si pur que fût l'agneau pascal de l'Ancien Testament, Dieu n'en acceptait l'hommage que comme un rite provisoire. Tout autre est le sang humain par sa fonction et sa valeur symbolique. Versé par un criminel, il crie vengeance devant Dieu, comme celui d'Abel (Gn 4,10). Versé par amour pour le prochain, il constitue le plus grand acte possible de charité (Jn 15,13), celui que le Christ a accompli pour nous. C'est précisément parce que les victimes animales étaient impuissantes à ôter les péchés du monde, que le Verbe s'est incarné pour s'offrir au Père en holocauste d'adoration et d'expiation (He 10) ; dans la plénitude de sa liberté (Is 53,7 ; Jn 10,17-18) il a donné sa vie et versé son sang pour la rédemption de l'humanité pécheresse.

Cette effusion rédemptrice commença huit jours après la naissance de Jésus, dans le rite sacré de la circoncision ; elle se continua plus tard durant les heures douloureuses de sa Passion, dans l'angoisse de l'agonie de Gethsemani, sous les coups de la flagellation, lors du couronnement d'épines au prétoire ; elle se consomma au Calvaire, où son Coeur fut transpercé afin de demeurer toujours ouvert pour nous. Le sang que Jésus répandait ainsi en sacrifice et qui faisait de lui « le Médiateur de la nouvelle alliance », suivant le mot de saint Paul, « parlait mieux qu'Abel » (He 12,24) : parce que son cri de miséricorde et de rémission est celui d'un Homme-Dieu, la voix du pardon couvre celle du délit.

La dévotion au Précieux Sang.

Renouvelez donc en vos coeurs, chers fils et filles, la salutaire dévotion au Précieux Sang ; ineffaçable est le signe que le baptême a imprimé en vous. Dans la nature même, le sang versé semble se coller aux mains du criminel, comme le délit et le remords s'attachent à sa conscience. La poésie et l'art dramatique ont tiré de cette persistance si tenace des effets impressionnants. En vain Pilate lava, devant le peuple, les mains qui avaient signé la condamnation à mort du Juste (Mt 27,24) : jusqu'à la fin des siècles, l'empreinte du Sang divin restera attachée, ineffaçable, à sa mémoire : Passus sub Pontio Pilato, « il a souffert sous Ponce Pilate ». Il dépend de vous, époux chrétiens, de donner au Sang du Christ en vos âmes et en celles de vos enfants une voix de pardon, ou une voix de vengeance. Conservée toujours vive et dans l'éclat de sa première fraîcheur, l'empreinte du Sang divin ne parle que de rédemption et de miséricorde ; obscurcie et souillée par la fange du péché, elle se change en flétrissure de condamnation. Même alors, pourtant, il vous reste un refuge : auriez-vous commis d'innombrables fautes, vous pouvez toujours, par un repentir sincère, laver de nouveau la robe de votre baptême dans le Sang de l'Agneau (Ap 1,5), qui ne cesse de couler pour vous dans les sacrements de pénitence et d'Eucharistie. Ainsi, pieusement conservé, ou reconquis avec un humble courage, ce signe sera votre protection quand passera sur vous et votre postérité l'Ange exécuteur de la Justice divine.

En outre, dès maintenant et pour votre vie entière, vous pouvez faire votre cri d'amour de ce qui fut un cri de haine de la part des Juifs : Sanguis eius super nos et super filios nostros — « Que son Sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » (Mt 27,25) — « Seigneur Jésus, direz-vous, faites qu'il retombe en grâces de rédemption sur nous, sur tous ceux qui nous sont chers et en particulier sur ceux qui seront, s'il vous plaît, les héritiers de notre sang ! »


LETTRE APOSTOLIQUE AU PRÉPOSÉ GÉNÉRAL DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS (6 juillet 1940) \21

A l'occasion du IVe centenaire de la fondation de la Compagnie de Jésus, le Souverain Pontife a adressé au Révérendissime Père Wladimir Ledochowski, préposé général, la lettre suivante :

Vous savez bien en quelle affection et en quelle estime Nous tenons la famille de saint Ignace que, depuis déjà cinq lustres, vous gouvernez avec zèle et sagesse. Au terme donc des quatre siècles écoulés depuis que Notre prédécesseur d'immortelle mémoire, Paul III, a accordé à la Compagnie de Jésus, par la lettre apostolique Regimini militantis Ecclesiae, l'approbation de l'autorité apostolique et l'institution légale, vous ne serez pas surpris que Nous désirions prendre part aux fêtes de votre centenaire et à votre joie. Cette joie, il est vrai, bien des misères et bien des alarmes semblent, à l'heure présente, l'obscurcir d'un voile de tristesse, elle n'en est pas moins la joie de l'Eglise tout entière, dont au cours de cette longue durée, par d'innombrables hauts faits votre société religieuse a si bien mérité. Et ce sont justement ces hauts faits dont Nous tenons aujourd'hui à évoquer à grands traits le souvenir. Nous le ferons, non seulement pour Notre consolation et la vôtre, mais aussi pour que, méditant avec gratitude les merveilles que la divine Providence a accomplies, au cours de ces quatre siècles, par vos aînés et par vous, vous en rendiez tous à cette même puissance céleste d'innombrables actions de grâces, et que, remplis de confiance, vous y trouviez en même temps le gage de nouvelles et infatigables étapes pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes.

1 D'après le texte latin des A. A. S., 32, 1940, p. 289 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. Il, p. 160.

Le temps où vécut saint Ignace.

Ce furent à coup sûr des temps bien difficiles que ceux auxquels fut mêlé votre père et législateur. D'abord un engouement des plus vifs pour la sagesse des païens et leur organisation sociale échauffait et passionnait les esprits à tel point que, souvent, les enseignements du christianisme, ou bien, dépréciés, ne rencontraient que dédain, ou bien, ramenés au niveau de la raison humaine, se trouvaient radicalement viciés. Ajoutez que la conduite d'un grand nombre, et de ceux parfois qui auraient dû servir d'exemple, s'enlisait dans le laisser-aller et la mollesse, quand elle ne se perdait pas, hélas, dans la dernière dépravation. Rien d'étonnant dès lors que, surgissant du septentrion, l'ouragan des novateurs ait paru ébranler et mettre en pièces jusqu'aux fondements de l'Eglise. Rien d'étonnant que, rejetant toute soumission légitime à l'autorité ecclésiastique et particulièrement à la personne du Pontife romain, tant de peuples et de nations se soient retranchés de l'unité catholique et misérablement égarés sur tous les chemins de l'erreur.

Or tandis qu'un si grave bouleversement des esprits et des choses maintenait une poignante angoisse au coeur de tous les gens de bien, et que paraissaient faiblir les forces des ministres sacrés, s'ouvrit encore à eux un nouveau et rude champ de travaux apostoliques. Dans les vastes territoires découverts en Orient et en Occident d'innombrables peuples vivaient privés de la divine vérité révélée par Jésus-Christ et attendaient le don de la grâce divine.

Mais voici qu'à cette heure critique apparut une merveille par où le Christ lui-même sembla préserver sa très chaste Epouse des dangers du dedans et du dehors, et lui infuser une surabondante fécondité spirituelle. Comme sous la poussée d'un nouveau printemps, aux jardins de l'Eglise les plus belles fleurs se lèvent, s'épanouissent et répandent un exquis parfum. Des hommes et des femmes, d'une vertu chrétienne éminente, opposent au flot bourbeux de l'impiété une digue invincible, mettent toute leur industrie à développer la foi catholique, et, soit par des prédications enflammées, soit par des écrits pleins de science, soit enfin par l'exemple de leur sainteté, arrachent les peuples égarés aux sentiers détournés de l'erreur et réussissent à les ramener au droit chemin.

Son action extraordinaire et celle de la Compagnie de Jésus.

Or il est universellement reconnu qu'au nombre de ces saints dont « l'éclat comme celui des étoiles, varie de l'une à l'autre »

(cf. 1Co 15,41), saint Ignace occupe une place des plus brillantes et que la société fondée par lui a pris largement sa part de l'accomplissement de ces travaux. Ce n'est que stricte justice. En effet, pour reprendre un mot de Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, « l'histoire est témoin... que le monde catholique, grâce au renfort si opportun de l'appui d'Ignace, se reprit à respirer ; car il n'est point facile de rappeler combien de grandes choses, en tous les domaines, à l'instigation et à l'exemple d'Ignace, la Compagnie de Jésus a réalisées pour la gloire de Dieu. On voyait des compagnons infatigables briser victorieusement l'opiniâtreté des hérétiques, s'attacher partout au redressement des moeurs corrompues, restaurer la discipline chancelante des clercs, en conduire un grand nombre jusqu'au sommet de la perfection chrétienne ; on les voyait consacrer tous leurs efforts à former la jeunesse à la piété et aux arts, préparant ainsi des générations vraiment chrétiennes, et cependant s'employer avec mérite à gagner les infidèles à la foi, afin d'étendre par de nouvelles conquêtes le règne de Jésus-Christ » 2.

... dans la direction des âmes par les Exercices spirituels.

C'est pourquoi l'on peut affirmer, non seulement que Dieu lui-même, comme il l'a fait à d'autres époques avec d'autres saints, a opposé Ignace et la Compagnie fondée par lui aux nouvelles erreurs de son temps ; mais aussi, qu'au cours de ces quatre siècles, l'innombrable postérité de votre législateur et père a fait front, invincible, aux assauts répétés du mensonge, qu'elle a paré vigoureusement aux besoins naissants de l'Eglise, et qu'elle a produit des fruits de salut de toute espèce. De ces abondants fruits de salut, Nous désirons, en vous félicitant, rappeler brièvement le détail.

Tout d'abord, Nous tenons à décerner les plus grands éloges à la doctrine ascétique de saint Ignace, dont le but principal, dans la direction et la formation des âmes, est que « le Christ soit tout en tous » (Col 3,11) ; bien plus, que toutes choses soient ordonnées uniquement à la plus grande gloire de Dieu, comme à leur fin suprême. Cette doctrine ascétique est proposée aux membres de votre Compagnie, comme aussi à tous les hommes soucieux de leur propre salut, surtout par l'usage opportun des Exercices spirituels, selon la règle de ce petit livre d'or rédigé par Ignace et que Notre

2 Lettre apostolique Meditantibus Nobis ; A. A. S., 1922, p. 650.

prédécesseur d'immortelle mémoire Benoît XIV, en sa lettre apostolique Quantum secessus qualifie justement « d'admirables en tous points ». Combien d'hommes en effet, qui, absorbés par les affaires et les pensées de cette vie mortelle, avaient négligé celles du ciel, ou même, séduits par l'appât des plaisirs et de la convoitise, s'étaient plongés dans la fange des vices, obtinrent, avec le redressement de leur conscience, le pardon qu'ils souhaitaient pour leurs fautes, la grâce et la sérénité, lorsqu'un jour enfin ils gagnèrent une maison de retraite spirituelle et là, ne fût-ce que par quelques heures de recueillement, ramenèrent vers le ciel leurs pensées captives de la terre. Tant il est vrai qu'une fois dégagés des affaires extérieures et libres de nous ouvrir dans le secret de notre âme à la sagesse divine, une fois étouffé le tumulte des préoccupations terrestres dans la joie des méditations saintes et d'éternelles délices, nous éprouvons la vérité de cette parole que « rien ne sert à l'homme de gagner l'univers s'il vient à perdre son âme » (Mt 16,26). Et il apparaît à l'évidence que tout ce qui nous détourne du bonheur éternel ou ne nous aide point à y parvenir n'est que « vanité et affliction d'esprit » (Qo 2,17). C'est donc avec raison que Notre prédécesseur immédiat Pie XI, dans son encyclique Mens Nostra, a déclaré que « les Exercices spirituels renferment et constituent une exceptionnelle garantie de salut éternel » 3 ; et puisque la méthode particulière proposée en la matière par Ignace de Loyola est si remarquable, avec raison aussi, répondant dans sa lettre apostolique Summorum Pontificum 4 au voeu de l'épiscopat, il a établi et déclaré ce même saint, patron céleste de tous les Exercices spirituels.

Voilà pourquoi il convient que les membres de la famille de saint Ignace s'attachent de tout leur coeur à ces Exercices, qu'aux jours fixés, ils s'y adonnent avec une application et un soin extrêmes, et qu'ils les regardent comme la source même de leur Compagnie. Aussi bien, d'après une pieuse tradition, c'est au moment où, dans la grotte de Manrèse, loin du contact des hommes et du bruit des affaires, leur père et législateur menait une vie cachée de prière et de méditation, que son intelligence, baignée d'une lumière céleste, vit apparaître pour la première fois la Compagnie sous l'aspect d'une milice sacrée.

Mais il ne suffit pas que les membres de la Compagnie se livrent avec soin et ardeur aux exercices de cette école de vie spirituelle

S A. A. S., 1929, p. 691. * A. A. S., 1929, p. 420.

en vue de leur perfection propre. Ils devront encore s'efforcer, et sans arrêt, comme d'ailleurs ils ne négligent point de le faire, de réunir le plus d'hommes possible, tant du clergé que des groupements de laïcs de toutes les classes, dans les maisons d'Exercices, qui sont ouvertes partout aux bonnes volontés.

Mais voici une autre raison qui Nous pousse à vous adresser, en cette occasion, Nos vives félicitations et les encouragements d'un coeur paternel. Nous savons que dès ses origines votre Compagnie consacra toutes ses forces à garder la foi catholique dans son authentique pureté en face des multiples séductions de l'erreur, à revendiquer les droits sacrés de l'Eglise et du Pontife romain, comme aussi à propager la religion chrétienne et à semer, par ses apôtres, la parole divine à travers toutes les nations. Dans chacun de ces domaines, un examen même rapide de vos annales fait apparaître une foule de faits si glorieux qu'ils dépassent les limites de votre ordre et méritent d'être inscrits en lettres d'or dans les fastes de l'Eglise catholique.

... dans la défense de la foi catholique.

Et ici les noms illustres de personnages d'une éminente sainteté Nous viennent à l'esprit : les uns, comme Pierre Canisius et Robert Bellarmin, proclamés l'un et l'autre docteurs de l'Eglise par Notre prédécesseur immédiat, ont confondu les négateurs de la doctrine catholique par des paroles et des écrits empreints de sagesse et ont jeté sur cette doctrine une vive lumière par les profonds ouvrages qu'ils composèrent ; d'autres, comme Pierre Claver, Jean-François Régis, François de Hiéronimo, apôtres au zèle brûlant et au travail infatigable, ont instruit des vérités chrétiennes, régénéré par le baptême et fait entrer dans le bercail de Jésus-Christ un nombre incalculable d'hommes, ou encore les ont ramenés à un genre de vie plus conforme à la foi catholique ; d'autres enfin, comme François de Borgia et Joseph Pignatelli, chargés du gouvernement de votre famille religieuse, n'ont cessé de susciter, de former, de diriger et d'enflammer du feu de la divine charité ces laborieux ouvriers évan-géliques et ces courageux soldats du Christ. Quant aux nations lointaines — que le grand coeur d'Ignace étreignait déjà de son zèle apostolique dès la première ébauche de son nouvel ordre — votre Compagnie venait à peine de naître que sur l'ordre de Paul III, Notre prédécesseur, ce fils illustre d'Ignace, François-Xavier, entreprenait de les soumettre, à leur tour, au joug très doux du Christ-

Roi : les souverains pontifes, Nos prédécesseurs, ont proclamé François-Xavier apôtre des Indes et patron de toutes les missions, et depuis, des renforts incessants l'ont suivi et le suivent encore, la même Compagnie suscite des hérauts de la vérité évangélique, qui poursuivent, partout et sans trêve, leurs travaux et leurs saintes expéditions. Vous avez aussi vos nombreuses cohortes de martyrs, qui endurèrent tant de souffrances pour la défense et le progrès de la religion et répandirent libéralement leur sang, pour la foi de Jésus-Christ, chez presque tous les peuples du monde.

Les ennemis du divin Rédempteur et de l'Eglise ont poursuivi votre Compagnie d'une haine et d'une hostilité singulières : c'est pour vous, non un déshonneur, mais un de vos plus beaux titres de gloire. Quiconque, en effet, suit le Christ Notre-Seigneur avec une entière fidélité et un amour effectif ne peut échapper ni aux ressentiments ni aux malédictions des méchants. Notre-Seigneur lui-même l'a prédit à ses apôtres : « Vous serez en haine à toutes les nations à cause de mon nom » (Mt 24,9). « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui lui appartient ; mais parce que vous n'êtes pas du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait » (Jn 15,19). Aux prises avec des persécutions, des accusations et des calomnies de toutes sortes, ne perdez pas courage. Souvenez-vous plutôt de cette parole : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des cieux est à eux » (Mt 5,10), et poursuivez vos saintes entreprises avec un bel élan, en vous réjouissant d'avoir été dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus (cf. Actes, Ac 5,41).

dans l'éducation de la jeunesse.

Voilà des mérites de tout premier ordre ; mais Nous ne voulons pas passer sous silence ceux que votre Compagnie s'est acquis pendant quatre siècles en travaillant à former et à instruire la jeunesse. Vous savez, certes, l'importance de cette oeuvre ; vous savez que la destinée des Etats et celle de l'Eglise dépendent essentiellement de la bonne marche des écoles, puisque, le plus souvent, citoyens et chrétiens seront tels que les aura faits la formation du jeune âge. Aussi Nous vous félicitons à bon droit d'avoir ouvert, pour l'étude des lettres, un si grand nombre de maisons où une jeunesse malléable et souple acquiert, par vos soins, tant de culture et de vertu, qu'elle exprime au vif l'idéal de la vie chrétienne et autorise aux regards et à l'imitation de cette jeunesse les exemples de Louis de Gonzague, de Jean Berchmans et de Stanislas Kostka, ces jeunes saints qui ont conservé pur et sans tache, à l'abri des épines de leur pénitence, le lis virginal de leur pureté.

... dans la création d'universités.

Au surplus, l'éducation de la jeunesse n'est pas votre seul souci ; mais comme l'a recommandé dans ses Constitutions votre législateur et Père qui pressentait les besoins de notre temps, vous avez fondé, en plus d'un endroit, des établissements d'études supérieures et des universités. Vous y pourvoyez, selon toutes les règles, à la formation d'un clergé qui est l'espoir de l'Eglise — à Rome, par exemple, presque sous Nos yeux, vous vous en acquittez avec grand honneur à l'Université grégorienne et dans les Instituts qui lui sont rattachés. Vous y préparez aussi, avec un soin éclairé, les citoyens de toute classe à remplir plus tard les charges de la vie publique et de la vie privée. Pour cette oeuvre d'éducation, vous avez un appui solide dans ces écoles de piété et d'apostolat que sont les Congrégations mariales, troupes auxiliaires d'élite, rangées en une armée pacifique sous l'étendard de la Vierge Marie et toujours à la disposition de l'Eglise du Christ. Continuez à promouvoir ces saintes entreprises de toute la vigueur qui vous est coutumière, et ne pensez pas que votre sollicitude, si grande soit-elle, s'étende jamais assez loin. Tandis qu'en tel ou tel endroit des jeunes gens fréquentent des établissements scolaires où l'erreur, déguisée en vérité, tend des pièges à leur esprit et où le souffle de l'impiété corrompt leurs moeurs, tous les efforts doivent tendre à créer en tous lieux des établissements où la formation soit morale et les études de première valeur, où soient offerts aux esprits des auditeurs non seulement l'enseignement d'une solide doctrine, mais aussi celui de la vertu chrétienne.

Ne cessez pas, non plus de poursuivre et de développer les autres oeuvres de charité et de piété. Vos prédécesseurs vous ont laissé, dans tous les domaines et dans toutes les branches, d'illustres exemples. Efforcez-vous de suivre leurs traces de très près et que leur vertu et la sainteté de leur vie vous poussent à des entreprises et à des progrès toujours plus grands.

'emploi des moyens modernes dans la stabilité de l'institution.

Dans les temps nouveaux où nous vivons, il nous faut, sans doute, des initiatives, des réalisations, des moyens de défense nouveaux, même dans l'ordre spirituel, si nous voulons faire face utilement aux besoins de notre époque, en pleine transformation et en pleine croissance. Ces moyens, j'en appelle à votre activité brûlante, ne les négligez pas. Que vos efforts tendent à utiliser, pour affermir au-dedans et étendre au-dehors le règne de Jésus-Christ, toutes les ressources mises au jour par un siècle parvenu à l'âge adulte. Toutefois, que votre Institut, qui Nous est cher comme à vous, demeure toujours immuable : immuable le gouvernement qui lui donne sa cohésion, immuable l'esprit qui le nourrit, immuable la passion d'obéissance et de fidélité qui vous lie fermement et obstinément au Siège apostolique. En ceci d'ailleurs, point n'est besoin de Notre exhortation, puisque déjà Notre prédécesseur d'immortelle mémoire Pie XI a exprimé, par la lettre apostolique Paterna caritas5, sa volonté que la Compagnie de Jésus ne subît aucun changement, et l'a confirmée à nouveau de son autorité. N'est-ce point aussi un trait caractéristique de votre ordre religieux, une sorte de tradition sacrée héritée de vos devanciers, qu'il ne se laisse pas altérer et se conserve toujours identique à lui-même, dans un progrès constant ?

Tous ces faits, Nous les mentionnons dans cette lettre, bien plus pour louer la Compagnie que pour vous exhorter, fils bien-aimé, et Nous supplions Dieu de vous accorder son céleste secours, pour que les réalisations soient toujours plus parfaites. Que votre père et législateur, fier de sa postérité, que tous les saints innombrables qui ont jeté tant d'éclat par leur vertu et leur savoir sur la Compagnie d'Ignace, vous assistent du haut du ciel, singulièrement en ces heureuses conjonctures. Et qu'ils vous obtiennent du Coeur de Jésus, dont vous êtes si zélés à éveiller et à propager le culte et la dévotion dans toutes les classes sociales (surtout par l'Apostolat de la Prière), une abondance de grâce divine, de fruits de sainteté et d'apostolat.

Pour accroître ces fruits de sainteté par une libéralité puisée au trésor de l'Eglise, Nous accordons très volontiers que le vingt-septième jour du mois de septembre, qui est le jour fixé pour les solennités du centenaire — ou le jour, quel qu'il soit, que choisiraient les supérieurs de votre famille religieuse pour célébrer ces

A. A. S., 1933, pp. 245-246.

solennités — tous les membres de votre ordre et tous les fidèles qui, s'étant confessés et ayant communié, visiteront avec piété une église de la Compagnie ou une église confiée à ses soins, en priant à Nos intentions, puissent gagner une indulgence plénière de leurs fautes.

En attendant, comme gage des dons célestes et comme signe de Notre paternelle bienveillance, à vous fils bien-aimé, à tous les religieux de la Compagnie et à tous leurs élèves, Nous donnons de tout coeur la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1940 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX ET A DES ENFANTS ROMAINS (26 juin 1940)