Pie XII 1942 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (25 février 1942)


LETTRE AU VICE-SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DE LA COMPAGNIE DE SAINT-SULPICE (28 février 1942)

1 D'après le texte latin des A. A. S., 34, 1942, p. 94 ; cf. la traduction française des Actes de S.S. Pie Xli, t. IV, p. 40.

A l'occasion du IIIe centenaire de la fondation du Séminaire de Saint-Sulpice par M. Olier, le Saint-Père adressa la lettre suivante à M. l'abbé Pierre Boissard, vice-supérieur général de la Compagnie :

Trois siècles se sont écoulés depuis que le prêtre très pieux Jean-Jacques Olier a fondé votre institut après en avoir longuement médité le dessein. Bien que les angoisses de l'heure nous tiennent tous en suspens et inquiets, et que les joies elles-mêmes sur lesquelles rayonne la lumière divine semblent enveloppées d'un voile de tristesse, il convient cependant que vous commémoriez dans la joie cet heureux événement et que vous le célébriez devant Dieu par un souvenir tout plein de reconnaissance.

Pour Nous qui prenons part avec une paternelle affection aux joies comme aux tristesses de nos fils, Nous voulons, par les présentes lettres, prévenir en quelque sorte ces fêtes séculaires et Nous y associer.

Nous le faisons d'autant plus volontiers que Nous avons toujours présent le doux souvenir des jours que Nous avons passés dans votre Procure de Rome, lorsque, à trois reprises successives, Nous préparions Notre âme craintive mais confiante en Dieu, par les exercices de la retraite, à recevoir les ordres majeurs ; aussi éprouvons-Nous toujours pour vous des sentiments de reconnaissance et de fervente bienveillance.


service eminent rendu par la Compagnie de Saint-Sulpice.

Quand Nous considérons les origines de votre société, ce qui d'abord Nous apparaît et réjouit grandement Notre coeur, c'est que jamais l'Eglise catholique n'a manqué, jamais elle ne manque, jamais elle ne manquera de ces hommes d'élite et éminents qui, bien informés des besoins de leur temps, et y ayant beaucoup réfléchi, s'efforcent de tout coeur et avec courage d'y pourvoir.

Or, au début du XVIIe siècle, lorsque la charge importante entre toutes fut confiée aux évêques de fonder, dès que possible, dans chacun de leur diocèse, conformément aux décrets du concile de Trente, un collège « qui fût un séminaire perpétuel des ministres de Dieu » 2, ce qui paraissait alors manquer le plus à l'Eglise, c'était des prêtres très pieux qui, pourvus d'une saine doctrine et brûlants de charité, voulussent se donner tout entiers à la formation des jeunes clercs, conformément aux exigences de la sainteté de leur état. Animé par ce louable dessein, votre fondateur, ayant longuement réfléchi à l'importance souveraine de l'oeuvre, pris conseil d'hommes prudents et saints et surtout demandé en des supplications ardentes la lumière d'en haut à Dieu, le dispensateur des dons célestes, institua une société de prêtres dont la fonction principale fût d'accomplir cette oeuvre. Vous savez quels fruits abondants, par la faveur de la grâce divine, en résultèrent pour la grande gloire de Dieu et le salut des âmes. En effet, ce n'est pas seulement en France, mais c'est aussi au Canada, aux Etats-Unis et dans les terres lointaines défrichées par les hérauts de l'Evangile, que votre société s'est heureusement propagée pour le progrès spirituel des jeunes séminaristes et le profit de la sainte Eglise. Continuez donc ainsi que vous le faites à poursuivre votre sainte entreprise. Vous savez combien grande et éminente est la dignité du sacerdoce catholique ; il est, en effet, « placé comme un intermédiaire entre la nature divine et la nature humaine, pour adorer et servir la première, pour améliorer la seconde » 3. Vous savez surtout combien il importe que ceux qui sont appelés par une inspiration divine aux fonctions sacrées soient instruits et formés comme l'exige leur future mission de maîtres de divine sagesse et de vertu chrétienne.

Cf. Sess. XXIII, c. XVIII, De Rer.
S. Isidore de Péluse, Epist. III, 20 ; Migne, P. G., t. LXXVIII, c. 476.

L'importance des séminaires.

Vous savez, en outre, que les pontifes romains ont toujours eu une particulière sollicitude pour les séminaires « auxquels l'avenir de l'Eglise est si étroitement attaché » 4. Et vous n'avez certainement pas oublié les avertissements si sages que Notre proche prédécesseur d'heureuse mémoire, le pape Pie XI, donnait dans son encyclique Ad catholici sacerdotii 5. De tout coeur, Nous vous exhortons à les relire et à les méditer. Et Nous-mêmes, peu après le début de Notre pontificat, recevant dans la cour Saint-Damase au Vatican les séminaristes venus de toutes les nations dans la Ville éternelle pour se préparer au sacerdoce, Nous leur avons adressé la parole ; et laissant parler Notre coeur de Père, Nous leur disions entre autres choses ceci, qui convient si bien, comme vous le voyez, à la fonction propre de votre institut : « Voici le rôle assigné au sacerdoce catholique : être un soleil surnaturel qui illumine l'esprit des hommes de la vérité du Christ et enflamme leur coeur de la charité du Christ. A ce but ainsi fixé, à cette fin, il faut que toute la préparation et la formation sacerdotale répondent » 6.

La formation des maîtres.

Vous savez aussi que votre travail serait vain et ne produirait pas de fruits surnaturels, si chacun de vous n'avait d'abord nourri son âme de l'esprit de l'Evangile et n'était devenu tellement fervent qu'il pût servir d'exemple aux séminaristes confiés à ses soins. C'est pourquoi votre pieux fondateur, traitant de « la piété du Séminaire de Saint-Sulpice », mettait en tête de son opuscule cette importante affirmation : « La fin première et dernière de cet institut sera de vivre souverainement pour Dieu dans le Christ Jésus Notre-Seigneur (Rm 6,11), de telle sorte que la vie intérieure de son Fils pénètre l'intime de notre coeur et que chacun puisse dire ce qu'avec confiance saint Paul proclamait de lui-même : « Je vis... non pas moi, mais le Christ vit en moi » (Ga 2,20). Telle tout à la fois sera l'espérance et la méditation de tous, l'unique exercice : vivre intérieurement de la vie du Christ et la manifester par nos oeuvres dans notre corps mortel (cf. 2Co 4,10) » 7.

* Léon XIII, Epist. Paternae Providaeque ; Acta Leonis XIII, vol. XIX, p. 194. 5 A. A. S., 1936, p. 5 et suiv.
• Discours du 24 juin 1939 j cf. Documents Pontificaux 1939, p. 151.
7 Opusculum Pietas Seminarii Sancti-Sulpitii, pp. 1-2.

Si donc, et Nous avons confiance qu'il en sera ainsi, vous vous laissez conduire dans cette voie de sagesse et selon cette règle, sous les auspices de la Bienheureuse Vierge Marie, qu'il s'agisse de votre propre formation ecclésiastique ou de celle de vos élèves, vous récolterez une moisson toujours plus abondante de fruits de sainteté. Tels sont le souhait et le voeu que Nous formons en votre fête séculaire et que dans une prière suppliante Nous confions à Dieu afin qu'il daigne les réaliser.

Comme gage des faveurs célestes et en témoignage de Notre bienveillance, Nous vous donnons très affectueusement, à vous, cher fils, à chaque prêtre de votre société, à tous les séminaristes confiés à votre direction, la Bénédiction apostolique.


LETTRE AU R. P. GEMELLI, O. F. M., RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DU SACRÉ-COEUR DE MILAN (3 mars 1942)

1 D'après le texte latin de VOsservatore Romano, du 18 mars 1942 ; cf. la traduction française des Actes de S.S. Pie XII, t. III, p. 48.

A l'occasion du XXe anniversaire de la fondation de l'Université catholique de Milan, le pape a adressé à son recteur la lettre suivante :

Nous ne voulons pas que l'expression de Notre joie et de Nos félicitations fasse défaut lors de la prochaine célébration du XXe anniversaire de la fondation de l'Université catholique de Milan que vous dirigez avec tant de sollicitude 2. Durant son existence, qui n'est pas encore bien longue, ce centre d'études supérieures a produit des résultats très abondants. Ils montrent avec évidence que Dieu qui, dans sa bienveillance, lui fut si propice à ses débuts, lui accordera aussi une vigoureuse croissance. C'est pourquoi avec vous et avec tous ceux qui ont à coeur l'avenir de cette université, Nous remercions le Seigneur, auteur et distributeur de tous les biens, et Nous le prions de vouloir par sa grâce la garder et la développer. Il importe beaucoup, en effet, pour la gloire du catholicisme et pour la prospérité de l'Italie tant aimée que ce noble centre de savoir soit vigoureux et efficace et que les vicissitudes et les changements des temps, loin de l'affaiblir, le fortifient au contraire.

2 L'Université du Sacré-Coeur de Milan a été fondée en 1921 par le pape Benoît XV, par le bref apostolique Cum Semper. Pie XI la poussa vigoureusement en avant et en fit mention dans l'article 38 du Concordat avec l'Italie : selon cet article, les nominations des professeurs de cette université sont subordonnées au nihil obstat de la part du Saint-Siège dont, selon l'article 39, elle dépend uniquement, sans aucune ingérence des autorités scolaires italiennes. Toute l'Italie, par la prière et par de généreuses aumônes recueillies chaque année au jour appelé « la Journée universitaire », s'intéresse à la vie et au développement de l'Université catholique de Milan.


Qui peut, à la vérité, produire chez les peuples la civilisation et la culture qui engendrent les bonnes moeurs et le bonheur sinon la - 49 - vraie religion, la philosophie authentique, l'éclat des lettres et des arts, la noblesse du sentiment, l'élévation des esprits, la constante observation des lois, une juste liberté, une ferme discipline, le zèle diligent et harmonisé de tous pour le bien commun ? Puisse dès lors votre université procurer à l'Eglise et à l'Italie tous ces biens dans une mesure très abondante ! Puisse-t-elle, pour l'avantage et pour la gloire de l'Eglise et de la patrie et avec l'aide — comme cela s'est fait jusqu'ici et se fera à l'avenir — de la générosité attentive des catholiques italiens, continuer à former de nouvelles légions d'hommes qui émergent non seulement par l'étendue de leur science et par leur activité, mais aussi par la noblesse de leur caractère formé selon les préceptes évangéliques, afin qu'ils puissent un jour remplir les fonctions publiques de telle manière que, tout en dirigeant et commandant, ils rendent les plus grands services. C'est pour cette raison que l'université doit être, pour donner l'exemple, un centre spécial et eminent de vérité lumineuse et d'ardente charité et que pour répondre à l'attente générale elle doit ajouter de nouveaux et toujours plus éclatants mérites à ceux qu'elle a déjà acquis.

En formant cordialement ce souhait, Nous accordons très affectueusement la Bénédiction apostolique à vous, cher fils, aux professeurs et aux étudiants, de même à tous ceux qui, par la prière, par leur activité, par leur appui, par leurs aumônes, se dévouent pour Notre très chère université ou lui viennent en aide.


LETTRE AU R. P. GILLET, MAITRE GÉNÉRAL DE L'ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS

(7 mars 1942) 1

Dans cette lettre, le Saint-Père rappelle les grandeurs et les mérites de l'oeuvre de saint Thomas d'Aquin et de saint Albert le Grand et invite les savants à suivre leur exemple.

Puisque ceux qui cultivent les sciences sacrées et profanes contribuent énormément à diriger et à régler la vie des autres hommes et qu'une doctrine saine produit par sa valeur morale l'honnêteté des moeurs tant privées que publiques, les pontifes romains se sont toujours très vivement intéressés à ces hommes d'élite qui, adonnés à l'étude des sciences les meilleures en n'importe quel genre, sont comme des flambeaux sur la route que suit la communauté humaine. C'est pourquoi, comme vous le savez, en 1880, par sa lettre apostolique Cum hoc sit, Notre très sage prédécesseur d'heureuse mémoire, Léon XIII, a proclamé et établi saint Thomas d'Aquin « qui a toujours brillé à la façon du soleil, par la doctrine et par la vertu » 2, comme patron céleste de toutes les écoles catholiques ; en même temps, il l'a désigné spécialement comme protecteur, guide et maître des études philosophiques et théologiques.

Quant à Nous, vivement désireux de ne pas laisser sans protection céleste ceux qui, par devoir professionnel, au prix de recherches laborieuses, s'occupent de scruter les secrets de la nature, Nous avons donné tout récemment, également par lettres apostoliques3, Albert le Grand, docteur eminent aussi bien par la sainteté que par la science, comme patron à ceux qui étudient les sciences physiques.

1 D'après le texte latin des A. A. S., 34, 1942, p. 96 ; cf. la traduction française des Actes de S.S. Pie XII, t. IV, p. 51.
2 Acta Leonis XIII, vol. II, p. 108.
3 Lettre du 16 décembre 1941 ; cf. Documents Pontificaux 1941, p. 315.

Tous deux, après avoir été intimement unis au cours de cette vie mortelle, par des études et des fonctions communes, jouissant tous les deux de l'éternel bonheur, exercent, chacun dans son domaine, leur patronage céleste sur tous ceux qui s'efforcent d'acquérir laborieusement la sagesse humaine et la sagesse divine. L'un et l'autre furent, comme chacun sait, la gloire de la famille dominicaine ; l'un et l'autre furent des flambeaux de science et de vertu.

L'oeuvre de saint Thomas

En effet, le Docteur angélique et universel *, Thomas d'Aquin, a recueilli en lui, telle la mer, tous les ruisseaux de sagesse qui avaient coulé des siècles antérieurs, toutes les questions que la raison humaine avait abordées, dans son activité philosophique et dans ses veilles, tout cet ensemble mis dans un ordre admirable et une clarté lumineuse, sous le rayonnement céleste de l'Evangile, il l'a organisé et ordonné en une synthèse telle que vraiment « il semble n'avoir laissé à ses successeurs que la faculté de l'imiter sans possibilité de le surpasser » 5. Non seulement la doctrine de saint Thomas s'avère des plus aptes pour réfuter les anciennes hérésies et se dresse ainsi « comme le bastion de la foi et un solide rempart de la religion » °, mais aussi elle fournit des armes très puissantes pour triompher des erreurs continuellement renaissantes sous le masque de la nouveauté. En conséquence, si tous les élèves des écoles catholiques de toute catégorie doivent célébrer, vénérer, imiter saint Thomas d'Aquin comme leur patron céleste, à plus forte raison, ceux qui étudient les sciences philosophiques et théologiques et notamment les candidats aux ordres sacrés, appelés par Dieu au sacerdoce et qui grandissent en étant l'espoir de l'Eglise, doivent-ils le suivre comme guide et comme maître7, et bien se souvenir que « la doctrine thomiste possède, avec une éminente excellence, une force et une vertu singulières pour guérir les maux dont notre époque est affligée ».

4 Cf. encycl. Studiorum ducem ; A. A. S., 1923, p. 314. s Acta Leonis Xlii, vol. II, p. 110.
5 Encycl. Aeterni Patris ; Acta Leonis XIII, vol. i, p. 263. 7 C. /. C, can. 1366, 2.


... et celle de saint Albert le Grand.

Mais si le Docteur angélique possède en propre et à un degré élevé d'éclairer par la lumière qui vient du ciel et aussi par le raisonnement tout ce qui concerne la vie divine et la vie humaine et toutes les questions qui s'y rapportent, s'il sait réunir en une synthèse merveilleusement ordonnée toutes les questions traitées par les philosophes, son maître Albert le Grand 8, semble plutôt monter de la recherche et de la connaissance des forces de la nature jusqu'aux sommets de la sagesse philosophique et jusqu'aux cimes de la science surnaturelle. Ce qu'il cherche avant tout, c'est d'emprunter aux très riches arsenaux des sciences physiques des armes pour défendre la vérité catholique. Albert le Grand, remarquablement versé dans la connaissance de ces dernières sciences, comme dans les autres, les étudia avec un succès éclatant, étant donné les conditions de son époque, au point de pouvoir écrire avec érudition sur « les animaux, les végétaux et les plantes, sur la nature des lieux, sur les minéraux, les météores » et sur d'autres matières des sciences naturelles. Cependant, il regardait l'étude à laquelle il se livrait non comme une occasion d'étaler son savoir, mais comme une règle de vie 9 ; et tandis que, avec son esprit puissant et pénétrant et avec la plus grande jouissance intellectuelle, il scrutait les secrets de la nature, il se trouvait transporté dans la sphère plus vaste et plus haute du savoir : élevé jusqu'à l'Auteur et Maître suprême de toute la Création, c'est devant lui qu'il courbait son front fatigué et c'est à lui qu'il faisait l'hommage de son adoration. Car il avait très bien compris la parole de l'Apôtre des nations : « Depuis la création, les attributs invisibles de Dieu, spécialement son éternelle puissance et sa divinité, se laissent comprendre et contempler dans les créatures » (Rm 1,20) ; de même que l'hymne magnifique du psalmiste : « Les cieux racontent la gloire de Dieu et le firmament publie l'oeuvre de ses mains » (Ps 18,2). A cause, par conséquent, de sa méthode de recherche, quand il traite de l'étude des faits et des sciences physiques, il écrit entre autres choses ce qui suit : « C'est pourquoi, nous aussi en traitant des parties de la philosophie, nous étudierons d'abord, avec l'aide de Dieu, toute la science naturelle, et ensuite nous exposerons intégralement les mathématiques et nous terminerons notre programme par la science divine » 10.

8 Voir Dictionnaire de théologie catholique, Albert le Grand, t. Ier, col. 666-675.
9 Cf. Cicéron, Tusc, 2, c. IV.
10 Physicorum, 1. I, traité I, c. 1 in fine.

Exhortation aux savants à dépasser la science des phénomènes pour monter jusqu'à Dieu.

Si Nous avons voulu, cher fils, choisir et désigner Albert le Grand comme patron de ceux qui cultivent les sciences physiques et naturelles, c'est surtout afin que, en se souvenant qu'il leur a été donné comme patron, ils marchent sur ses traces et ne s'attachent pas à scruter ou à explorer si à fond les choses périssables de cette vie, au point d'oublier que chacun d'eux possède une âme destinée aux réalités immortelles ; il faudrait que les êtres ou les choses ainsi regardés ou étudiés soient comme autant de degrés par lesquels les savants s'élèvent jusqu'à l'intelligence et la possession souverainement agréable des biens célestes. Puissent-ils dans toutes les forces de la nature voir présente la puissance de Dieu et, remplis de respect, admirer le pur rayonnement de sa gloire ! Qu'ils découvrent, à la vue et sous l'apparence de la douce et frêle grâce des fleurs, la sublime beauté de Dieu ! Dans les flots soulevés de la mer, qu'ils révèrent sa puissance ! Que dans les mouvements harmonisés et admirables des astres qui, à travers les espaces infinis du firmament, obéissent parfaitement à la volonté divine, comme aussi dans les mystères cachés du microcosme que sonde le regard perçant de l'oeil, ils adorent et vénèrent l'éternelle sagesse créatrice ! Si de plus, comme Thomas d'Aquin, comme Albert le Grand, ils apprennent à mettre au très noble service de la vérité divine toute la science qu'ils ont acquise, alors, sans aucun doute, ils sauront par expérience que l'éclat de la divine lumière, reçu dans l'âme, au lieu d'offusquer la lumière de la raison humaine, élargit plutôt et augmente la connaissance elle-même : non seulement l'intelligence ne perd rien de sa dignité, mais elle gagne considérablement en noblesse, pénétration et force 11.

Voilà, cher fils, ce qu'il Nous a plu de vous communiquer à vous qui êtes préposé à la direction de toute la famille de l'Ordre dominicain, dont ces deux saints docteurs sont devenus la gloire et l'ornement. Qu'il Nous soit permis, en cette occasion, non pas tant de vous féliciter de ces services rendus à l'Eglise catholique et au progrès de la science divine et de la science humaine, que de vous exhorter paternellement à suivre, avec une volonté empressée, comme un héritage sacré que vous avez reçu, de si remarquables exemples, et à produire sans cesse de nouveaux fruits de sagesse et de sainteté qui soient capables de renouveler vos gloires anciennes en rivalisant avec elles.

En attendant, que la Bénédiction apostolique que Nous vous accordons très affectueusement dans le Seigneur, à vous, cher fils, à tout l'ordre dominicain, vous soit un gage des dons célestes et un témoignage de Notre bienveillance.

11 Cf. encycl. Aeterni Patris ; Acta Leonis XIII, vol. I, p. 265.


PRIÈRE A SAINTE CATHERINE DE SIENNE, PATRONNE PRINCIPALE DE L'ITALIE

(7 mars 1942) 1

Le Saint-Père, après avoir proclamé sainte Catherine de Sienne et saint François d'Assise patrons principaux de l'Italie, le 5 mai 19402, a communiqué ce jour la prière suivante à sainte Catherine de Sienne :

O sainte Catherine, lys de virginité et rose de charité qui avez orné le jardin dominicain, héroïne du zèle chrétien qui avez été choisie en même temps que saint François d'Assise comme patronne particulière de l'Italie, nous recourons à vous pleins de confiance, invoquant votre puissante protection sur nous et sur toute l'Eglise du Christ, votre bien-aimé, dans le coeur duquel vous avez bu à la source inépuisable de toute grâce et de toute paix pour vous et pour le monde. De ce coeur divin, vous avez fait descendre l'eau vive de la vertu et de la concorde dans les familles, de l'honnête conduite dans la jeunesse, de la réunion pour les peuples ennemis, du renouveau des moeurs publiques et de l'amour fraternel, miséricordieux et bienfaisant à l'égard des malheureux et de ceux qui souffrent, et vous avez enseigné par votre exemple à unir l'amour du Christ et l'amour de la patrie. Si vous aimez la terre d'Italie et son peuple qui vous a été confié, si notre piété envers vous vous émeut, si le tombeau dans lequel Rome vénère et honore votre dépouille virginale vous est cher, tournez avec bienveillance votre regard et votre faveur vers notre peine et vers notre prière et exaucez nos voeux. Défendez, secourez et réconfortez votre patrie et le monde. Prenez sous votre patronage et sous votre protection les fils et les filles d'Italie, nos coeurs et nos âmes, nos peines et nos espérances, notre

1 D'après le texte italien de l'Osservatore Romano, du 29 mars 1942.
2 Cf. Documents Pontificaux 1940, p. 142.

foi et notre amour. Cet amour et cette foi qui furent votre vie, qui firent de vous l'image du Christ crucifié dans votre zèle intrépide pour son épouse la sainte Eglise. O héroïque et sainte messagère d'union et de paix pour l'Eglise du Christ, qui avez rendu le successeur de Pierre au Siège apostolique romain dans la splendeur de son autorité et de son magistère, protégez-le et consolez-le dans sa sollicitude paternelle et universelle, dans ses soucis et dans ses conseils pour le salut et pour la paix des peuples et ravivez, conservez et augmentez en nous et dans tous les chrétiens, ô céleste patronne, l'affection et la soumission que vous aviez pour lui et pour le bercail du Christ, dans la tranquillité du monde. Ainsi soit-il 3.

8 S. S. Pie XII a daigné attacher à la récitation de cette prière une indulgence partielle de 500 jours.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (11 mars 1942)

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. III, p. 385 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. II, p. 107.

Reprenant le thème de son discours du 25 février (cf. ci-dessus, p. 39), sur le rôle de la femme dans la famille, le Saint-Père en expose ici un autre aspect :

II. — L'épouse, la mère, soleil et joie du foyer domestique.

Il vous accompagnera, bien-aimés fils et filles, tout le long de votre vie, le souvenir que vous emporterez de la maison du Père commun et de sa Bénédiction apostolique. Il vous accompagnera comme un doux réconfort et un heureux augure en ce chemin où vous vous engagez le coeur rempli de joyeuses espérances, sous la protection divine, malgré les temps orageux, pour marcher vers un but que vous entrevoyez plus ou moins dans les ténèbres de l'avenir. Mais devant ces ténèbres, votre coeur ne tremble point : l'ardeur et la hardiesse de la jeunesse vous soutiennent, vos coeurs s'unissent dans leurs désirs, vous marchez ensemble dans la vie, vous suivez le même sentier, et ainsi, loin de se troubler, la tranquillité de votre esprit se renouvelle et s'épanouit. Vous êtes heureux et vous ne voyez pas de ténèbres à l'intérieur de votre foyer : votre famille a son soleil, l'épouse.

L'épouse, soleil du foyer par son généreux dévouement

Ecoutez là-dessus les paroles de la Sainte Ecriture : « La grâce d'une femme fait la joie de son mari, et son intelligence répand la vigueur en ses os. C'est un don de Dieu qu'une femme silencieuse, et rien n'est comparable à une femme bien élevée. C'est une grâce au-dessus de toute grâce qu'une femme pudique, et aucun trésor ne vaut une femme chaste. Le soleil se lève dans les hauteurs du Seigneur : ainsi la beauté d'une femme brille dans sa maison bien ornée » (Si 26,16-21).

Oui, l'épouse, la mère, est le soleil de la famille. Elle en est le soleil par sa générosité et son dévouement, par son aide infatigable et sa vigilante et prévoyante délicatesse à procurer tout ce qui peut égayer la vie de son mari et de ses enfants : elle répand autour d'elle lumière et chaleur. L'on a coutume de dire qu'un mariage est heureux lorsque chacun des époux se propose, en s'y engageant, non pas son bonheur à lui, mais le bonheur de son conjoint ; et, si cette noblesse de sentiment et d'intention oblige les deux époux à la fois, elle n'en est pas moins avant tout une vertu de la femme. Oui, cette vertu naît avec les battements et l'intuition du coeur maternel, de ce coeur qui, s'il reçoit des amertumes, ne veut donner que des joies, et qui pour des humiliations ne veut rendre que dignité et respect, tel le soleil qui réjouit de son aurore les matins de brouillards et qui dore les nuages des rayons de son coucher.

L'épouse est le soleil de la famille par la clarté de son regard et la chaleur de sa parole. Son regard et sa parole pénètrent doucement dans l'âme, l'attendrissent, la fléchissent, apaisent le tumulte des passions et rappellent l'homme à la joie du bien-être et de la vie en famille, après une longue journée de labeurs professionnels incessants et parfois pénibles au bureau ou aux champs, ou après d'absorbantes affaires de commerce ou d'industrie. Un seul mouvement de son regard jette une lumière qui brille de mille reflets, et ses lèvres prononcent en un seul accent mille paroles d'affection. Son coeur de mère, les mouvements de son regard et les accents de ses lèvres créent et animent le paradis de l'enfance et rayonnent toujours d'une douce bonté, alors même qu'ils avertissent ou réprimandent, parce que les jeunes coeurs, grâce à leur sensibilité plus vive, offrent un accueil plus profond et plus intime aux commandements de l'amour.

... par sa noblesse et par sa grâce.

L'épouse est le soleil de la famille par son naturel candide, sa digne simplicité, sa parure chrétienne et honnête, aussi bien dans le recueillement et la droiture de son esprit que dans la grâce harmonieuse de son port et de ses vêtements, de son élégance et de son maintien à la fois réservé et affectueux. Sa délicatesse de sentiments, la finesse des traits de son visage, ses silences et sourires ingénus, - 59 - un simple regard et mouvement de complaisance, voilà qui lui donne la grâce d'une fleur exquise et simple à la fois qui ouvre sa corolle pour recevoir et refléter les couleurs du soleil. Oh ! si vous saviez quels profonds sentiments d'affection et de reconnaissance l'image d'une telle mère et d'une telle épouse suscite et imprime dans le coeur du père et des enfants ! Anges, qui veillez sur leur maison et écoutez leur prière, répandez les célestes parfums en ce foyer de bonheur chrétien.

Quand la famille n'a pas de soleil.

Mais qu'arrive-t-il si la famille se voit privée de ce soleil, si, continuellement et à tout propos, jusque dans les rapports les plus intimes, l'épouse n'hésite pas à faire sentir combien lui pèse la vie conjugale ? Où est son affectueuse douceur, lorsqu'une excessive dureté dans l'éducation, une susceptibilité mal dominée, une froideur irritée dans le regard et la parole étouffent chez les enfants l'espoir de trouver auprès de leur mère joie et réconfort ? Quand elle ne fait, hélas ! par sa voix âpre, ses plaintes et ses reproches, que jeter le trouble et l'amertume dans l'intimité de la vie familiale ? Où sont cette généreuse délicatesse et ce tendre amour, quand, au lieu de créer par une naturelle et exquise simplicité une atmosphère de douce tranquillité au foyer, elle y prend des airs de dame à la mode, agitée, nerveuse et exigeante ? Est-ce là répandre les vivants et bienfaisants rayons du soleil ? N'est-ce pas plutôt un vent glacial de tramontane qui gèle le jardin de la famille ? Qui s'étonnera donc, si alors le mari, faute de trouver au foyer un attrait, un lien, un réconfort, le délaisse le plus possible, provoquant par là la mère à s'en éloigner comme lui, à moins que ce ne soient les absences de l'épouse qui aient préparé celles du mari ? Ainsi l'un et l'autre vont chercher ailleurs — au grave péril de leur âme et au détriment de l'union de la famille — la tranquillité, le repos, le plaisir que ne leur donne pas leur propre maison. Quelles sont les plus malheureuses victimes d'un pareil état de choses, sinon, à n'en pas douter, les enfants ?

Epouses, remplissez votre tâche sans compter les sacrifices.

Voilà jusqu'où peut aller, épouses, votre part de responsabilité dans la concorde du bonheur familial. Si c'est à votre mari et à son travail de procurer une vie stable à votre foyer, c'est à vous et à vos soins qu'il incombe d'en assurer le bien-être et de garantir la pacifique sérénité commune de vos deux vies. C'est là pour vous non seulement une tâche que vous impose la nature, mais un devoir religieux, une obligation de vertu chrétienne, et c'est par les actes et les mérites de cette vertu chrétienne que vous grandirez dans l'amour et la grâce de Dieu.

« Mais, dira peut-être l'une ou l'autre d'entre vous, c'est nous demander là une vie de sacrifice ! » Certes, votre vie est une vie de sacrifice, mais elle est aussi autre chose. Croyez-vous donc qu'on puisse ici-bas goûter un vrai et solide bonheur sans l'avoir conquis par quelque privation ou renoncement ? Pensez-vous que la pleine et parfaite béatitude du paradis terrestre se rencontre quelque part en ce monde ? Pensez-vous que votre mari ne doive pas, lui aussi, faire des sacrifices, des sacrifices nombreux parfois et lourds, pour assurer un pain honnête à sa famille ? Ce sont précisément ces sacrifices mutuels supportés par chacun des époux et à leur commun avantage qui donnent à l'amour conjugal et au bonheur de la famille leur cordialité et leur stabilité, leur sainte profondeur et cette exquise noblesse qui se manifeste dans le respect mutuel des époux et les élève dans l'affection et la reconnaissance de leurs enfants. Si le sacrifice de la mère est le plus sensible et le plus douloureux, la puissance d'En Haut l'adoucit. Par son sacrifice, la femme apprend à compatir aux douleurs d'autrui. L'amour du bonheur de son foyer la garde de se replier sur elle-même ; l'amour de Dieu, qui l'amène à se dépasser, lui ouvre le coeur à toute pitié et la sanctifie.

que la nécessité de travailler loin des vôtres ne vous décourage pas.

« Mais, objectera-t-on peut-être encore, la structure sociale du monde moderne pousse un grand nombre de femmes, même mariées, à sortir du foyer et à entrer dans le champ du travail et de la vie publique. » Nous ne l'ignorons pas, chères filles, mais qu'un pareil état de choses constitue un idéal social pour la femme mariée, voilà qui est fort douteux. Cependant, il faut tenir compte de ce fait. La Providence, toujours vigilante dans le gouvernement de l'humanité, a mis dans l'esprit de la famille chrétienne des forces supérieures qui sont à même de tempérer et de vaincre la dureté de cet état social et de parer aux dangers qu'il cache indubitablement. Avez-vous déjà considéré le sacrifice de la mère qui doit pour des motifs particuliers, en plus de ses obligations domestiques, s'ingénier à subvenir par un travail quotidien à l'entretien de sa famille ? Lorsque le sentiment religieux et la confiance en Dieu constituent le fondement - 61 - de la vie familiale, cette mère conserve, bien plus, elle nourrit et développe en ses enfants, par ses soucis et ses fatigues, le respect, l'amour et la reconnaissance qu'ils lui doivent. Si votre foyer doit passer par là, ayez avant tout une pleine confiance en Dieu, si riche en bonté secourable pour ceux qui le craignent et le servent ; et, dans les heures et les jours où vous avez le loisir de vous donner entièrement aux vôtres, ajoutez-y, avec un redoublement d'amour, le souci d'assurer le minimum indispensable à la vraie vie de famille, et, plus que cela, le souci de répandre dans le coeur de votre mari et de vos enfants de lumineux rayons de soleil qui affermissent, alimentent et fécondent, pour les temps de séparation corporelle, l'union spirituelle du foyer.

vous, maris, aidez vos épouses.

Et vous, maris, que Dieu a établis chef de vos épouses et de vos familles, tandis que vous contribuerez à leur entretien, vous aurez aussi à prêter aide à vos épouses dans l'accomplissement de leur sainte et haute et bien souvent fatigante mission ; vous aurez à collaborer avec elles, l'un et l'autre animés de cette affectueuse sollicitude qui unit deux coeurs en un seul coeur, dans une même force et dans un même amour. Mais sur cette collaboration, sur ses devoirs et sur les responsabilités qui en découlent pour le mari lui-même, il y aurait trop de choses à dire, et Nous Nous réservons d'en parler à une autre audience.

A vous voir, chers jeunes mariés, Nous songeons à ces autres époux qui vous ont précédés ici même et qui ont reçu Notre bénédiction, et il Nous souvient de cette grande parole de l'Ecclésiaste : « Une génération passe, une autre lui succède, mais la terre reste toujours » (Qo 1,4). C'est ainsi qu'arrivent les temps nouveaux, mais l'Evangile, lui, ne change pas, non plus que la destinée éternelle de l'homme. La loi de la famille ne change pas, ni l'ineffable exemple de la famille de Nazareth, ce grand soleil composé de trois soleils, l'un plus divinement éclatant et enflammé que les deux autres qui l'entourent. Pères et mères, considérez cette modeste et humble demeure ; contemplez celui qui passait pour « le fils du charpentier » (Mt 13,55), alors qu'il était né de l'Esprit-Saint et de la Vierge, servante du Seigneur, et prenez courage dans les sacrifices et les peines de la vie. Agenouillez-vous comme des enfants devant eux ; invoquez-les, suppliez-les et apprenez d'eux comment, loin d'humilier les parents, les charges de la famille les exaltent, comment elles ne rendent l'homme et la femme ni moins grands ni moins chers aux yeux de Dieu, leur valant un bonheur que vous chercheriez en vain dans les aises d'ici-bas, où tout passe et s'enfuit.

Nous terminerons en adressant à la Sainte Famille de Nazareth, une ardente prière pour toutes vos familles, pour chacun de vos foyers, afin que vous puissiez, bien-aimés fils et filles, accomplir vos devoirs à l'imitation de Marie et de Joseph, et par là nourrir et élever ces enfants chrétiens, membres vivants du Christ (1Co 6,15), qui sont destinés à goûter un jour avec vous l'éternel bonheur du ciel. Nous vous recommandons au divin Maître et Nous vous donnons Notre paternelle bénédiction.


Pie XII 1942 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (25 février 1942)