Pie XII 1942 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (11 mars 1942)


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (18 mars 1942)

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. IV, p. 3 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. II, p. 117.

La collaboration entre époux dans la vie familiale

C'est un joug pesant, chers jeunes époux, que la vie de l'homme sur la terre. Le Saint-Esprit le proclame bien haut dans l'Ecriture Sainte : « Un joug pesant est sur les enfants des hommes, depuis le jour où ils sortent du sein de leur mère, jusqu'au jour de la sépulture dans le sein de la mère commune. Ce qui trouble leurs pensées et fait craindre leurs coeurs, c'est la pensée de leur attente, c'est la crainte de la mort. Depuis l'homme qui siège sur un trône, dans la gloire, jusqu'au malheureux assis par terre et sur la cendre, depuis celui qui porte la pourpre et la couronne, jusqu'au misérable couvert d'une toile grossière, la colère, l'envie, le trouble, l'agitation, la crainte de la mort, l'aigreur et les querelles sont le partage de tous, et, dans le temps où chacun repose sur sa couche, le sommeil de la nuit bouleverse ses idées » (Si 40,1-5).

Mais ce joug de misère, ce fardeau d'angoisse dont nous a chargés la faute d'Adam, Notre-Seigneur Jésus-Christ, le nouvel Adam, l'a allégé pour nous par le joug de sa grâce et de son Evangile : « Venez à moi, nous dit-il, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug et recevez mes leçons, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est doux et mon fardeau léger » (Mt 11,28-30). O bienheureux joug du Christ, qui ne trouble pas l'esprit ni le coeur, qui ne nous humilie pas, mais nous exalte à ses yeux, et qui nous apaise dans la sérénité de l'amitié divine ! C'est pour vous aussi, bien-aimés jeunes époux, un joug de grâce que le grand sacrement de mariage ; il vous a, devant le prêtre et l'autel, unis par un lien indissoluble dans la communauté d'une même vie, afin que vous cheminiez ensemble ici-bas et que vous vous aidiez l'un l'autre, portant en commun le poids de la famille, des enfants et de leur éducation.

Dans la vie familiale, autres sont les devoirs particuliers à l'homme, autres les devoirs qui regardent l'épouse ; mais ni la femme ne peut demeurer complètement étrangère au travail de son mari, ni le mari aux soucis de sa femme. Tout ce qui se fait dans la famille doit être de quelque manière le fruit de la collaboration, l'oeuvre commune des époux.

Mais qu'est-ce que collaborer ? Est-ce simplement l'addition de deux forces dont chacune travaille pour son propre compte, comme lorsque deux locomotives unissent leurs énergies pour tirer un train trop pesant ? Non, il n'y a point là de véritable collaboration. Par contre, le mécanicien et le chauffeur de chacune de ces deux machines (comme le mécanicien et son aide sur une de ces modernes locomotives électriques), font, eux, oeuvre de véritable collaboration matérielle et consciente, pour assurer la bonne marche du convoi. Chacun, il est vrai, accomplit un travail bien à soi, mais non sans se préoccuper de son compagnon, réglant au contraire son action sur la sienne, selon que celui-ci en a besoin et qu'il est en droit de l'attendre.

que réalise la communauté de pensée, de volonté et d'action.

La collaboration humaine se réalise à la fois dans l'esprit, dans la volonté et dans l'action. Nous disons bien : dans l'esprit, parce que seules les créatures intelligentes peuvent conjuguer leur libre activité, collaborer entre elles. Collaborer, ce n'est pas seulement joindre ses efforts pour son propre compte, mais les adapter à ceux d'autrui afin de les seconder et afin de fusionner, pour ainsi dire, en une commune réalisation. Collaborer, c'est donc subordonner organiquement l'oeuvre particulière de chacun à une pensée commune, en vue d'une fin commune, qui déterminera le sens, la place et la mesure de toute chose dans la hiérarchie des moyens, et qui, dès que plusieurs personnes la désireront en commun, rapprochera leurs intelligences dans un même intérêt et unira leurs coeurs étroitement dans une affection réciproque, les portant à renoncer à leur propre indépendance pour se plier à toutes les nécessités qu'imposera la recherche de cette fin. C'est dans une seule pensée, dans une seule foi, dans une commune volonté que prend naissance toute collaboration véritable,

et elle sera d'autant plus étroite et féconde que cette pensée, cette foi et cet amour agiront avec plus d'intensité et exerceront une influence plus forte sur l'action elle-même tout entière.

Dès lors vous comprenez qu'une collaboration parfaite qui engage l'intelligence, la volonté et l'action, ne soit pas toujours chose aisée. Avec cette grande idée de l'union et de la collaboration des forces, avec cette intime conviction de la fin à atteindre, avec cette ardente volonté d'y arriver coûte que coûte, la collaboration suppose encore une mutuelle compréhension, l'estime sincère et le sens de l'indispensable concours que les autres apportent et qu'ils doivent apporter à la même fin, une large et sage bienveillance à prendre en considération les inévitables diversités entre collaborateurs et à les admettre, résolu, bien loin de s'en irriter, à en tirer profit. La collaboration exige donc une certaine abnégation personnelle qui sache se vaincre et céder, au lieu de vouloir faire prévaloir en tout ses propres vues, de se réserver toujours les travaux qui plaisent et conviennent le mieux et de se refuser à entrer dans l'ombre parfois et à voir le fruit de son propre labeur se perdre, pour ainsi dire, dans le vague anonymat de l'intérêt commun.


Le vrai bonheur familial exige plus que la collaboration des parents pour la vie corporelle.

Cependant, pour difficile qu'apparaisse une aussi harmonieuse et intime collaboration, elle est indispensable au bonheur que Dieu destine à la famille. Ils sont deux, l'homme et la femme, à marcher de pair, à se donner la main, à s'unir par le lien d'un anneau, lien d'amour que le paganisme lui-même n'hésitait pas à appeler « lien conjugal », vinculum jugale2. Qu'est-ce donc que la femme, sinon l'aide de l'homme ? N'est-ce pas à elle que Dieu a accordé le privilège sacré de mettre l'homme au monde ? N'est-ce point une de ses soeurs — la plus grande de toutes, « plus humble et plus haute que ne le fut jamais nulle créature, et fruit des éternels décrets de Dieu » — qui devait nous donner le Rédempteur du genre humain et mettre en liesse par le premier miracle de son Fils le « lien conjugal » des noces de Cana ?

2 Virgile, Enéide, 1. IV, v. 16 et 59.


Dieu a établi que coopèrent à la fin essentielle et primaire du mariage — qui est la procréation des enfants — le père et la mère, et cela par une collaboration librement consentie, dans une commune soumission à tout ce qu'un but si magnifique pourra imposer de sacrifices. But vraiment magnifique, puisque le Créateur fait participer les parents à la suprême puissance par laquelle il forma le premier homme du limon de la terre, tandis que lui se réserve d'infuser le spiraculum vitae, le souffle d'immortelle vie, et qu'il devient par là le souverain collaborateur du père et de la mère, de même qu'il est cause de toute activité et qu'il agit en tous ceux qui agissent 3. Votre joie, ô mères, est donc aussi la sienne, lorsque vous oubliez toutes vos peines pour vous écrier, joyeuses, à la naissance de votre enfant : Natus est homo in mundum ! « Un homme est né dans le monde ! » (Jn 16,21). Elle s'est accomplie en vous cette bénédiction que Dieu avait déjà donnée au paradis terrestre à nos premiers parents et qu'il renouvela après le déluge à Noé, le second père du genre humain : « Croissez et multipliez, et remplissez la terre » (Gn 1,28 Gn 8,17). Mais il ne suffit pas de collaborer pour la naissance de l'enfant à la vie et à la santé corporelles : vous devez collaborer à son éducation spirituelle. En cette âme tendre, les premières impressions laissent de puissantes traces ; la fin principale du mariage ne se limite pas à la procréation des enfants : elle comprend leur éducation4 et leur progrès dans la crainte de Dieu et dans la foi, de sorte que vous retrouviez et goûtiez dans cette collaboration qui doit pénétrer et animer toute votre vie conjugale, la félicité dont Dieu a déposé tant de semences fécondes dans la famille chrétienne.

Mais la pensée et le souci de l'enfant dont la naissance a couronné et consacré l'union des deux époux, ne suffiraient pas encore à créer entre eux la collaboration spontanée d'une vie entière, si venaient à manquer ou à défaillir la volonté de collaborer et la science cordiale de la collaboration. La volonté de collaborer en suscite la résolution, mais cette résolution suppose la conviction de la nécessité de collaborer.

3 S. Thomas, Somme contre les gentils, 1. SCG 3,66-67.
4 Code de Droit Canon, c. CIS 1013, $ 1.


Leur intime et durable collaboration se réalisera par leur conviction de sa nécessité

A-t-il vraiment conscience de cette nécessité de la collaboration, celui qui entre dans la vie conjugale avec la prétention d'y apporter et d'y maintenir jalousement sa propre liberté sans rien sacrifier de son indépendance personnelle ? N'est-ce point là marcher au devant des pires conflits, rêver contre toute justice d'une situation impossible et chimérique dans la réalité de la vie commune ? Il faudra donc comprendre et accepter sincèrement et pleinement, avec un amour cordial, et non seulement avec résignation, une condition si essentielle de la voie choisie ; il faudra embrasser avec générosité, courage et joie, tout ce qui rendra possible, sincère et courtoise cette collaboration, que ce soit le sacrifice de goûts, préférences, habitudes ou désirs personnels, ou que ce soit la monotonie des humbles, obscurs et pénibles travaux de la vie quotidienne.


par leur volonté de collaboration

La volonté de collaborer. Qu'est-ce donc que vouloir collaborer ? Vouloir et chercher la collaboration : c'est aimer à travailler ensemble sans attendre que votre conjoint le propose, le demande ou l'exige ; c'est prendre les devants, c'est savoir faire les premiers pas, s'il le faut, pour mettre soi-même l'oeuvre en train ; c'est souhaiter ces premiers pas, c'est en avoir le désir vif et tenace, c'est avoir, dans une vigilante sollicitude, la persévérance nécessaire pour trouver le moyen d'une liaison réelle de vos deux activités, sans découragements et sans impatiences quand l'aide que vous apporte votre conjoint pourra ne vous sembler pas suffisante ni proportionnée à vos propres efforts, fidèles que vous restez toujours à votre résolution de ne reculer, coûte que coûte, devant aucun sacrifice qui puisse contribuer à la réalisation de cette harmonie si désirable, si indispensable et si profitable dans la recherche commune du bien de la famille.

par leur * science cordiale » de la collaboration.

La « science cordiale » de la collaboration. Nous voulons dire cette science qui ne s'apprend pas dans les livres, mais est enseignée par le coeur, qui aime, lui, l'active collaboration dans le gouvernement et la marche du foyer ; cette science, cet art qui est affection réciproque, mutuelle prévenance et sollicitude dans le même nid" familial ; cet art, enfin, qui est une longue et mutuelle éducation et formation des époux nécessaire à deux âmes qui s'instruisent l'une l'autre pour parvenir à réaliser une vraie et intime collaboration. Si, avant de vivre sous le même toit, les futurs époux ont vécu et se sont formés chacun pour soi ; si l'un et l'autre viennent de familles qui, malgré leurs ressemblances, ne seront jamais pareilles si donc chacun apporte au foyer commun des manières de penser, de sentir, d'agir et de frayer que les premiers contacts ne trouveront jamais en pleine et parfaite harmonie ; vous voyez bien que, pour s'accorder, il faudra avant tout se connaître mutuellement plus à fond que ne l'a permis le temps des fiançailles : il faudra profiter de toutes les circonstances pour chercher et discerner les vertus et les défauts, les capacités et les lacunes de son conjoint, non pas afin de se lancer dans des critiques ou des querelles, ou de se juger supérieur à lui, ne voyant que les faiblesses de celui ou de celle à qui on a lié sa propre vie, mais afin de se rendre compte de ce qu'on ne peut en attendre, de ce qu'on devra suppléer ou compenser soi-même.

Une fois connu le pas sur lequel il vous faudra régler le vôtre, vous aurez dans un travail généreux à modifier, ajuster et harmoniser vos pensées et vos habitudes. Ce travail s'accomplira insensiblement, par l'affection mutuelle, et ne se laissera point troubler par les transformations, les changements et les sacrifices, qui ne doivent pas peser sur un seul conjoint, mais dont chacun doit porter sa part avec amour et confiance, en songeant que se lèvera bientôt le jour où la joie de l'harmonie de leurs âmes parfaitement réalisée dans la pensée, la volonté et l'action, leur donnera la récompense et le soulagement de leurs peines, dans la satisfaction bien douce d'une pleine et féconde collaboration à la prospérité et au bonheur de leur famille.


Un magnifique exemple.

Tous les hommes ici-bas sont pèlerins de Dieu (cf. 2Co 5,6) et s'acheminent vers lui dans la voie des vivants ; mais sur le chemin battu de la vie conjugale, plus d'une fois la diversité de caractère des deux pèlerins change pour l'un ou l'autre la marche en un exercice de vertu bien capable de l'élever dans la lumière de la sainteté. Lisez la vie de la bienheureuse Anne-Marie Taïgi, et vous verrez avec stupéfaction quelle différence d'origine, de tempérament, d'éducation, d'inclination et de goûts il y avait entre elle et son mari ; elle avait néanmoins réalisé entre leurs deux âmes si diverses un admirable accord. Puisse cette héroïque mère de famille obtenir à chacun et à chacune d'entre vous, bien-aimés fils et filles, l'abondance des grâces célestes, afin que réussisse et fleurisse dans toutes vos familles une aussi véritable et chrétienne collaboration au service de Dieu. Ce sont ces mêmes grâces que Nous demandons pour vous à Notre-Seigneur, en vous accordant de toute Notre paternelle affection la Bénédiction apostolique.



DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (25 mars 1942)

1

La « part de Dieu » dans la famille chrétienne.

Nous Nous proposons, chers jeunes mariés, de vous adresser aujourd'hui une parole qui a toujours chanté la gloire de la famille et des époux chrétiens, et Nous souhaitons qu'elle se grave dans vos coeurs et qu'elle parvienne aussi à tous les autres époux, proches ou lointains. Cette parole, c'est la « part de Dieu » à la table de famille, cette part qu'il arrive à Jésus de vouloir se réserver comme un ami, ou pour ainsi dire comme un nécessiteux. Dans le beau livre de Tobie, que Dieu a inspiré pour enseigner aux hommes les vertus de la vie domestique, il est raconté que Tobie, ayant un jour de fête préparé un grand repas, dit à son fils : « Va et amène quelques hommes de notre tribu, craignant Dieu, afin qu'ils mangent avec nous » (Tb 2,2). C'était jadis en de nombreuses familles chrétiennes, surtout à la campagne, la pieuse et chère coutume de réserver dans les repas de fêtes une part pour le pauvre qu'enverrait la Providence et qui ainsi participerait à l'allégresse commune. C'est ce qui s'appelait, en certaines régions, la « part de Dieu ».

Comme autrefois en Palestine, Dieu appelle des moissonneurs pour son champ qui est l'Eglise.

Le Seigneur, qui sait ? ne pourrait-il pas venir demander un jour une part semblable à votre foyer, à votre table de famille, alors qu'y fleurira déjà la joie de vos enfants, parmi les visages graves et fervents de grands fils ou de grandes filles qu'animent des pensées et des sentiments secrets, présages d'une vie, d'une voie qui les rapproche des anges ? Jésus, qui a béni votre union, qui rendra fécond votre mariage, qui fera croître autour de votre olivier les joyeux rameaux de vos espérances, Jésus passera, peut-être, à l'heure qu'il est seul à savoir, pour frapper à la porte de l'une de vos maisons, comme il a un jour, sur les rives du lac de Tiberiade, appelé à le suivre les deux fils de Zébédée (Mt 4,21), comme il a, à Béthanie, laissé Marthe aux besognes du ménage pour accueillir Marie à ses pieds et lui donner là à entendre et à goûter cette parole que le monde n'entend point (Lc 10,38 et ss.). Il est celui qui dit aux apôtres : « La moisson est grande, mais les ouvriers sont en petit nombre. Prions donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à la moisson » (Mt 9,37-38). Lui, le Rédempteur, qui contemple du regard le champ immense des âmes rachetées de son sang, ne cesse de passer par le monde, dans les campagnes et les cités, le long des lacs et des mers, et il ne cesse de répéter à ses élus, par les secrètes inspirations de sa grâce, le « viens et suis-moi » (Mt 19,21) de l'Evangile, les appelant à défricher et à labourer des terres encore incultes ou à moissonner les blés jaunissants.

Le champ du Christ, sa vigne, vivante image du peuple de Dieu que les pasteurs de l'Eglise doivent cultiver, cette Eglise universelle dans le temps et dans l'espace, qui, au dire de saint Grégoire le Grand, depuis le juste Abel jusqu'au dernier élu, produit, à la manière de la vigne, autant de sarments qu'elle engendre de saints 2 ; cette Eglise, bien-aimés fils et filles, vous savez qu'elle est aussi le champ de Notre sollicitude de Vicaire du Christ. De la sorte, son zèle et sa prière, son amour et sa douleur deviennent Notre amour et Notre douleur, Notre zèle et Notre prière, et Nous sentons l'élan de « la charité du Christ » qui «Nous presse» (2Co 5,14), tandis que les merveilleux progrès du génie humain rapprochent les mers, les terres et le ciel et semblent rendre notre globe plus petit et plus étroit. Quand Nous voyons s'ouvrir sans cesse de nouvelles voies à la prédication de l'Evangile parmi les peuples lointains encore païens, ou à l'apostolat parmi les âmes agitées, troublées, affamées — peut-être à leur insu, par un instinct divin — de vérité éternelle, une des grandes tristesses de Notre coeur, c'est de savoir que le nombre des ouvriers généreux que Notre amour leur envoie pour les secourir est si loin de suffire à la tâche. Qui sait si l'un ou l'autre élu, perdu à cette heure dans le peuple chrétien ou errant dans les terres infidèles, ne dépend point, dans les desseins de Dieu, de la parole et du ministère d'un de ces enfants que Dieu voudra bien vous accorder ? Qui pourrait scruter les profondeurs du conseil de Dieu notre Sauveur, « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1Tm 2,4) ?

Homit. XIX in Evang., n. 1 ; Migne, P. L., t. 76, col. 1154.


Si c'est dans votre famille que le Christ se choisit un de ses prêtres ou religieux, accordez-lui la « part de Dieu ».

Pensez-y, bien-aimés fils et filles, c'est dans la famille chrétienne, établie selon la volonté de Dieu sur l'union légitime de l'homme et de la femme, que le Christ et l'Eglise universelle choisissent les ministres et les apôtres de l'Evangile, les prêtres et les hérauts qui paissent le peuple chrétien et qui traversent les océans pour aller illuminer et sauver les âmes. Que ferez-vous, si le divin Maître vient à vous demander la « part de Dieu », l'un ou l'autre des fils ou des filles qu'il aura daigné vous accorder, pour en faire son prêtre, son religieux ou sa religieuse ? Que répondrez-vous, lorsque vous recevrez leurs confidences filiales et qu'ils vous manifesteront les saintes aspirations que suscite en leur coeur la voix de Celui qui murmure avec amour : Si vis ? « Veux-tu ? » Nous vous en supplions, au nom de Dieu : ne fermez pas alors cette âme, par un geste brutal et égoïste, à l'accueil et à l'acceptation de la voix divine. Vous ne connaissez point les aurores et les couchers du soleil divin sur le lac d'un jeune coeur, ses angoisses et ses soupirs, ses désirs et ses espérances, ses flammes et ses cendres. Le coeur a des abîmes insondables même à un père et à une mère ; mais l'Esprit-Saint qui soutient notre faiblesse, prie pour nous avec des gémissements inénarrables, et Celui qui scrute les coeurs connaît quels sont les désirs de l'Esprit (Rm 8,26-27).

Sans doute, lorsqu'ils découvrent en leur enfant un désir de vie sacerdotale ou religieuse, les parents ont le droit et même, dans certains cas, le devoir, de s'assurer qu'il n'agit point simplement sous l'influence de l'imagination, sous l'influence d'un coeur qui rêve de s'évader du foyer, mais à la suite de réflexions sérieuses, mûries, surnaturelles, qui ont été examinées et approuvées par un sage et prudent confesseur ou directeur spirituel. Cependant, ce serait lutter contre les desseins de Dieu que de vouloir imposer des retards arbitraires, injustes, déraisonnables à la réalisation de ce désir ; à plus forte raison, si l'on prétendait en tenter, en contrôler la solidité et la fermeté par des épreuves inutiles, dangereuses, téméraires, qui risqueraient non seulement de décourager la vocation, mais de mettre en péril le salut de l'âme.

est une grâce inestimable pour l'âme élue et pour toute sa famille.

Si Dieu vous fait un jour l'honneur de vous demander un de vos fils ou une de vos filles pour son service, sachez, en vrais chrétiens à qui n'échappent point la grandeur et l'élévation de la foi au gouvernement divin des familles et de l'Eglise, sachez donc apprécier la valeur et le privilège d'une telle grâce, soit pour le fils ou la fille qu'il se choisit, soit pour vous-mêmes et votre famille. C'est un grand don du ciel qui entre dans votre maison ; c'est une fleur issue de votre sang, abreuvée de la rosée du ciel et qui exhale un parfum virginal, une fleur que vous offrirez en hommage à l'autel du Seigneur, pour qu'elle s'y épanouisse en une vie consacrée à Dieu et aux âmes, en une vie — pour celui qui répond loyalement à l'appel divin — comme il n'y en a pas de plus belle ni de plus réellement heureuse ici-bas, en une vie qui est, même pour vous et pour les vôtres, une source de bénédictions. Il Nous semble voir ce fils ou cette fille que vous avez donnés à Dieu se prosterner devant lui et invoquer sur vous l'abondance des faveurs célestes en récompense du sacrifice qu'il vous a imposé en vous demandant de lui offrir ces enfants. Que de voeux, que de prières ils adresseront au ciel pour vous, pour leurs frères, pour leurs soeurs ! Ces prières, chaque jour, accompagneront vos pas, vos actions, vos besoins ; elles se multiplieront, plus ardentes, aux heures difficiles et tristes ; elles vous suivront et vous réconforteront tout au cours de votre vie, jusqu'au dernier soupir, et au-delà, dans ce monde qui n'appartient qu'à Dieu.

N'allez pas croire que ces coeurs qui se seront entièrement donnés à Notre-Seigneur et à son service, en viennent à vous aimer d'un amour moins fort et moins tendre : l'amour de Dieu ne renie ni ne détruit la nature, mais il la perfectionne et il l'élève à un plan supérieur où la charité du Christ et les battements du coeur humain se rencontrent, où la charité sanctifie les battements de notre coeur, où ils s'unissent et s'embrassent. Que si la dignité et l'austérité de la vie sacerdotale et religieuse exigent le renoncement à l'un ou l'autre témoignage d'affection filiale, n'en doutez point, l'affection elle-même n'en sera pas diminuée ni attiédie, elle puisera dans le renoncement une ardeur plus intense et plus profonde, elle sera plus franche de tout égoïsme et de toute division humaine (cf. 1Co 7,32-34) lorsque Dieu seul partagera ces coeurs avec vous.

Loin de craindre la vocation d'un fils ou d'une fille, demandez-la à Dieu.

Elevez-vous dans l'amour de Dieu et dans le véritable esprit de foi, chers époux, et ne craignez point le don d'une vocation sainte qui descend du ciel parmi vos enfants. Pour celui qui a la foi et qui grandit dans la charité, n'est-ce pas, lorsqu'il entre dans une église ou un monastère, n'est-ce pas un réconfort, une fierté, un bonheur de voir à l'autel son propre fils revêtu des ornements sacerdotaux, offrant le sacrifice non sanglant et rappelant à Dieu le souvenir de son père et de sa mère ? N'est-ce pas une intime consolation pour un coeur maternel que de contempler une fille qui aime et sert le Christ, son Epoux, dans les masures des pauvres, dans les hôpitaux, dans les asiles, dans les écoles, dans les missions et jusque sur les champs de batailles, auprès des blessés et des mourants ? Rendez gloire à Dieu et remerciez-le de se choisir dans votre sang des héros et des héroïnes pour son service, et mettez-vous au rang de ces parents chrétiens qui le supplient de venir prendre sa part dans la belle couronne de leur foyer et qui sont prêts à lui offrir même l'unique rameau de leurs espérances.

Mais votre prière de parents chrétiens doit se laisser guider par les hautes pensées de l'Esprit-Saint. En d'autres temps, et aujourd'hui encore, là où les conditions de vie du clergé sont moins incertaines, lorsque la vie sacerdotale ou religieuse peut apparaître aux yeux profanes comme une profession désirable, des motifs plus ou moins humains et intéressés ont pu ou peuvent pousser des parents à la souhaiter pour leurs enfants : le développement ou le relèvement de la situation de la famille par l'influence et les avantages d'un fils prêtre ; l'espoir de trouver auprès de lui, après une vie laborieuse, un tranquille repos dans leurs vieux jours. Si de pareils sentiments, jadis trop fréquents, ne portent plus habituellement de nos jours le caractère de bas calculs d'ambition ou d'intérêts, ils n'en restent pas moins toujours fort terre à terre et n'ont pas de valeur dans nos prières à l'adresse de Dieu.

Sursum corda. C'est plus haut que doivent monter vos pensées et vos intentions. Pour vous comme pour les familles qui réservent la « part de Dieu » sur les biens qu'elles ont reçus de lui et dont elles ont la jouissance, ce qui doit par-dessus tout exciter en vous la sainte ambition d'une vocation aussi belle pour l'un de vos fils, c'est la pensée des richesses de vie spirituelle que le Christ vous distribue avec tant d'abondance par le moyen de son Eglise, de ses prêtres, de ses religieux. Vous vivez en pays de vieille foi catholique où le zèle des ministres de Dieu veille sur vous et vous réconforte dans vos épreuves et dans vos peines, où les églises et les orateurs sacrés offrent à votre piété et à votre dévotion la nourriture des sacrements, des offices et des messes, des sermons et des oeuvres saintes, tous les secours que la sollicitude maternelle de l'Eglise multiplie pour le bien de vos âmes en toutes les circonstances joyeuses ou tristes de votre vie. Que de souci pour vous, pour vos enfants, pour votre bonheur, dans le coeur du prêtre pieux qui vous visite et prend soin de tous ceux qui lui sont confiés ! De quelle famille est-il sorti ? D'où vient-il à vous ? Qui vous l'envoie ? De qui tient-il son amour paternel pour vous, sa parole et son conseil d'ami ? C'est l'Eglise, c'est le Christ qui l'envoie. N'y aura-t-il que les autres, par la donation à Dieu de leurs fils et de leurs filles, à vous procurer et assurer sans cesse pareille abondance de bienfaits spirituels ? Auriez-vous assez peu de fierté patriotique pour rester à ne rien faire et laisser aux autres le poids des sacrifices qu'exigent la prospérité et la grandeur de votre pays ? Et où serait la fierté de votre sens chrétien, si vous vouliez vous soustraire à l'honneur de concourir et de coopérer, vous aussi, non seulement par quelque don matériel, mais par l'offrande plus précieuse des enfants que Dieu pourrait vous demander à l'exaltation et la diffusion de la foi et de l'Eglise catholique, en un mot, à l'accomplissement de sa divine mission dans le monde au profit des âmes de vos frères ? Aidez l'Epouse du Christ, chers époux, aidez le Christ, le Sauveur des hommes, en donnant les enfants mêmes de votre propre sang. Aidez-Nous, Nous qui sommes son indigne Vicaire, mais qui portons tous les hommes en Notre coeur comme Nos propres fils, soit que l'unique bercail les réunisse déjà, soit qu'ils errent encore dans d'arides pâturages : à tous Nous devons la voie, la vérité et la vie, c'est-à-dire le Christ. Elevez vos fils et vos filles dans la foi qui remporte la victoire sur le monde (1Jn 5,4) ; n'étouffez pas en leur âme l'esprit qui vient du ciel ; enracinez-y cette foi loyale et sincère dont l'apôtre Paul avait la certitude qu'elle était dans son bien-aimé disciple Timothee, comme elle avait été constante dans Lois, l'aïeule de Timothee, et dans sa mère Eunice (2Tm 1,5). Ne soyez pas avares, ne manquez pas de générosité envers Dieu, remettez-lui cette part bénie qu'il pourrait venir un jour demander à votre foyer.

Chers époux, avec toute l'effusion de Notre coeur de Père, Nous vous donnons la Bénédiction apostolique ; et Nous avons la certitude de ne pas vous importuner, si Nous y ajoutons la prière que le divin Maître daigne vous accorder l'honneur et la grâce de se choisir sa part dans votre famille et qu'il daigne en même temps vous accorder la foi et l'amour qu'il vous faut pour ne pas lui refuser ou contester cette part, mais au contraire pour l'en remercier comme du meilleur de ses bienfaits et surtout comme du gage le plus sûr de ses prédilections pour vous et de la récompense qu'il vous prépare dans le ciel.


LETTRE A DON ANTONIO TORRES, RECTEUR DU COLLÈGE PONTIFICAL ESPAGNOL DE ROME

(29 mars 1942) 1

A l'occasion du 50e anniversaire de la fondation du Collège pontifical espagnol San-José de Rome, fondé le 1er avril 1892, le Saint-Père a adressé à son recteur la lettre suivante :

La bienveillance extrême que Nous portons au collège des clercs espagnols à Rome ne Nous permet pas de passer sous silence l'heureux anniversaire qui vous remplit d'une joie abondante ainsi que les séminaristes qui forment votre couronne et tous ceux, présents ou éloignés, qui consacrent à cet établissement leurs soins et leurs travaux. En effet, la cinquantième année va s'achever depuis que le pape Léon XIII a voulu fonder ce collège à ses frais. Mesurant le chemin parcouru depuis la fondation jusqu'à maintenant, c'est avec de paternelles félicitations que Nous déclarons ouvertement que les espoirs et les souhaits exprimés par Notre prédécesseur, lors des débuts de ce collège, ont été remarquablement et abondamment réalisés pour le plus grand profit et l'honneur de la chère nation espagnole. Le collège, en effet, a été établi auprès du Saint-Siège afin d'imprégner de la vraie foi prêchée par les apôtres les séminaristes choisis dans toute l'Espagne, afin de les instruire dans les lettres ét les sciences sacrées et de leur faire prendre un généreux esprit de charité et de force par leur séjour au milieu des si nombreux monuments de l'antiquité chrétienne et des exemples des saints. Le collège espagnol n'a pas trompé les espoirs mis en lui. Pendant le temps écoulé depuis sa fondation, il a produit une moisson toujours croissante de bons fruits. De son sein sont sortis beaucoup de prêtres et d'évêques d'une vertu et d'une sagesse éclatantes qui, dans leur patrie, ont bien mérité de la religion catholique. Parmi eux, Nous devons, à cause de l'honneur principal qui leur revient, mentionner la phalange de ceux qui récemment répandirent leur sang pour les droits sacrés de la religion.

Avec vous et avec tous ceux auxquels ce collège est cher, Nous rendons à Dieu les actions de grâces qui lui sont dues pour une pareille distribution de célestes bienfaits et Nous le prions de daigner le protéger, de l'encourager et de le faire grandir dans la bienveillance continue de sa faveur. Nous ne pouvons omettre la juste louange que méritent les évêques espagnols qui rivalisent d'émulation pour pourvoir aux intérêts du collège et Nous ne doutons pas que cette bienveillance attentive ne soit aussi à l'avenir aussi constante et solide. En effet, dans la très sérieuse situation présente, il est absolument nécessaire que les ministres sacrés soient des exemples éclatants de vertu évangélique et que, par leur science et l'ardeur de leur action apostolique, ils soient le plus possible à la hauteur des charges qu'ils ont à remplir. Que sortent donc de ce collège de tels prêtres qui, imitant les exemples des anciens, plaident le plus vaillamment possible la cause du Christ : pieux, irréprochables, zélés, ne cherchant pas leurs avantages, appliqués à leur ministère, capables de soumettre à la foi même les esprits rebelles et de former les moeurs des hommes selon les nobles règles de l'Evangile, bien convaincus que rien n'est plus glorieux que de se vouer au service de Dieu et rien n'est plus important que de pourvoir à son salut éternel et à celui du prochain.

Afin que cela arrive selon Notre pensée, Nous recommandons à saint Joseph, dans une prière suppliante, ce collège qui le salue et le vénère comme son patron céleste secourable ; afin qu'il protège les fidèles qui habitent dans cette maison et qu'il les garde toujours pour des choses plus parfaites et que, promoteur de sainteté, il en fasse ses imitateurs. Enfin, sollicitant avec instance toutes les choses joyeuses et heureuses, Nous vous accordons très affectueusement dans le Seigneur la Bénédiction apostolique à vous, cher fils, aux professeurs et élèves actuels et passés de ce collège, ainsi qu'à tous ceux qui assisteront à la fête qui commémorera l'anniversaire en question.


ALLOCUTION A UN GROUPE D'AVEUGLES DE GUERRE DE L'INSTITUT D'ASSISTANCE DE ROME

(Ie' avril 1942) 1

A ce groupe d'aveugles présentés par l'Institut d'assistance des aveugles de guerre et son aumônier, Mgr Antonio Giordani, le Saint-Père avec une extrême bonté a donné ses encouragements les plus paternels en comparant leur cécité à l'obscurité et â la lumière de la foi :

Votre présence, Vénérable Frère et chers fils, est aujourd'hui particulièrement agréable à Notre coeur paternel. Vous êtes pour Nous des fils d'autant plus chers que la douce lumière qui Nous console et Nous réjouit Nous-même et tous ceux qui vous entourent de leur affection et de leurs soins bienveillants et attentifs ne peut arriver au fond de votre prunelle que vous avez sacrifiée à vos devoirs de commandants, d'officiers, de soldats. Nous remercions ceux qui ont accompagné et guidé vos pas pour vous permettre cet hommage de piété filiale que vous avez désiré Nous offrir — comme déjà auparavant vous l'aviez fait à Notre immortel prédécesseur Pie XI — avec la grande ferveur qui vient de votre foi intense. Ils Nous ont procuré l'agréable occasion de vous voir ainsi réunis dans la maison du Père commun et de vous adresser une parole qui réconforte votre coeur comme un jour la lumière a été le réconfort de votre oeil.

La nuit des yeux et l'obscurité de la foi.

Chers fils, le coeur a aussi ses yeux et il voit plus loin et plus haut que les yeux du front. Sa lumière n'est pas le soleil qui se couche et laisse derrière lui la nuit ; mais c'est le soleil de la vérité et du bien qui descend de l'intelligence pour faire du coeur lui-même une volonté éclairée et puissante qui ne s'affaisse pas sous le poids du malheur, mais qui, du malheur même, se fait une échelle pour monter à des hauteurs plus grandes, jusqu'aux hauteurs de la foi, jusqu'aux sommets des nuits divines du Christ priant, agonisant, mourant sur la croix au milieu des ténèbres qui enveloppent la terre. Les heures de la nuit sont des heures de prière ; dans cette solitude et dans ce silence du temps et de la nature, combien d'âmes se prosternent devant Dieu et lui chantent des hymnes ! Dans la nuit de vos yeux, vous, également, avez cherché et rencontré la foi ; parce que la foi aussi chemine dans l'obscurité, mais avec un pied solide et un pas assuré, comme celle qui est « le fondement de ce qu'on espère et la preuve de ce qu'on ne voit pas » (Par., 24, 64-65 ; He 11,1). Vous aussi — oh ! combien de fois — vous avez élevé des profondeurs la voix vers Dieu (Ps., cxxix, 1) et dans votre longue nuit, en vous touchant les yeux, vous avez dit : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; que le nom du Seigneur soit béni ! » (Jb 1,21). Votre prière n'a pas été une plainte, votre foi vive Nous le certifie, mais résignation, soupir de paix, conformité et adhésion à la très haute et très aimable volonté de Dieu, qui dispose et tourne toute chose pour notre bien. Comme il a plu au Seigneur, vous êtes-vous écrié, ainsi cela est arrivé ! De cette façon, n'avez-vous pas appris que dans l'obscurité de votre journée l'âme se concentre mieux, rentre mieux en elle-même, en sort plus facilement pour s'adresser au ciel, pour contempler du seuil de votre nuit l'aube qui descend d'autres firmaments plus sublimes, plus voisins de Dieu ?

La lumière du Christ.

Oh ! oui ; vous avez certainement compris que votre nuit est semblable à l'obscurité de la foi ; mais sachez aussi que dans l'obscurité de la foi brille une Lumière plus éclatante que le soleil et que c'est par cette Lumière que le soleil et l'univers ont été faits ; cette vraie Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, c'est le Verbe de Dieu incarné qui a habité parmi nous et a dit de lui-même : « Je suis la lumière du monde ; qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie » (Jn 8,12). Quand les rayons du soleil couchant déclinent, une obscurité singulière enveloppe la terre. Mais en croyant au Christ, en le suivant, Lui qui est le soleil du monde surnaturel des âmes, nous ne marchons pas dans les ténèbres ; nous avons la Voie, la Vérité et la Vie pour notre marche ; nous sommes au nombre de ces fortunés dont le Christ lui-même a dit : « Heureux ceux qui auront cru sans voir » (Jn 20,29). « Tous, nous sommes aveugles », voyants et non-voyants, devant Dieu et devant ses mystères de la vie et de la grâce qui éclatent par la joie non moins que par la douleur. Ouvrez le coeur à l'espérance ! Vous savez que votre Rédempteur est vivant et que, au dernier jour, dans votre chair ressuscitée, vous verrez votre Dieu ; vous le verrez vous-mêmes ; vos yeux le contempleront ; des yeux refaits intacts et incorruptibles : conservez le baume de cette espérance consolatrice cachée dans votre sein (cf. Job, Jb 19,25-27).

La cécité atteste l'amour vrai de la patrie.

L'espérance ne « fuit pas les tombeaux », comme elle ne fuit pas la douleur et le malheur ; vous avez prouvé que la douleur est, aux coeurs généreux et valeureux, une école et un terrain d'amour, et que, par les cicatrices de vos yeux et de votre corps, regarde et parle l'amour du devoir et de la patrie qui a décoré votre poitrine des décorations aussi en or de sa reconnaissance. Destinés à une patrie qui se trouve au-delà des étoiles, mais encore voyageurs sur la terre, vous avez également ici-bas une patrie qui vous est chère comme un nid où vous fûtes doucement nourris, où l'affection vous unit aux aïeux et aux fils, où les monts et les vallées, les plaines et les eaux, l'histoire et les monuments, la religion et la vie, les luttes et les victoires, les douleurs et les joies, vous ont rendus tous frères sur les terrains de la fatigue, de l'étude, de l'action, du sacrifice. Et le signe de votre plus haut et plus lumineux sacrifice, très noble comme la lumière qui s'est dérobée, signe que vous portez sur votre visage, est le sceau de votre amour pour la patrie qui, en vous ennoblissant devant les hommes, vous pousse à vous prosterner plus respectueusement devant Dieu dans cette charité plus élevée qui vous unit à lui et, en vous exaltant en lui, souffre tout, croit tout, espère tout, supporte tout.

Le travail est encore un service.

Vous avez donné et sacrifié à la patrie les beaux jours de clarté de votre vie ; aujourd'hui, vous la servez dans l'ombre et l'obscurité, dans un travail qui, pour vous, est une seconde vie et en même temps une seconde lumière. Mais si la lumière des yeux ne vous aide pas dans votre travail, il y a celle des autres sens auxquels, dans la façon de parler, nous attribuons par extension la dignité et l'assurance de la vision des yeux2. C'est pourquoi, spécialement dans la langue latine, le mot videre (voir) est employé également dans le sens générique de percevoir à l'aide des sens. C'est pourquoi, le grand poète Virgile peut écrire : Mugire videbis sub -pedibus terram, « tu verras la terre mugir sous tes pieds »3. Visaeque canes ululare per umbram, « on vit les chiens hurler dans l'ombre » 4.

2 Cf. Summa Theol., I 67,1.
3 Enéide, lib. IV, v. 490-491.
4 Ibid., lib. VI, v. 257.

Ce qui reste aux aveugles.

Mais nous élevons et appliquons particulièrement à l'esprit la splendeur de la lumière et de la vision. Dans l'obscurité de votre journée resplendit encore dans votre intelligence et votre mémoire le soleil qui, à votre vif regard, éclairait les aurores, les midis, les crépuscules des plus limpides journées de votre adolescence et de votre enfance. Les images et les souvenirs de la lumière ne sont pas en vous les illusions tactiles d'un aveugle-né, mais bien une invitation à retourner, pour les revoir, aux beautés de la nature et de l'art, aux dures joutes, aux terrains arrosés de vos sueurs ou théâtre de votre bravoure, que vous avez contemplés un jour dans la lumière éclatante du soleil et qui éclairent encore votre esprit, en fortifient et en protègent la science et le savoir qui vous font travailleurs, maîtres et artistes. Vos mains sont des yeux, pour vous, pour votre travail ; avec elles, palpant les objets, vous connaissez ce que vous ne voyez pas ; guidés par l'ouïe qui s'affine davantage dans la cécité, vous pouvez de vos doigts éveiller de cordes harmoniques un flot de sons qui vous enivrent l'esprit. L'ouïe n'est-elle pas pour vous plus que la lumière ? Si votre regard est privé de toute clarté, votre oreille reste vigilante, plus attentive et plus apte à percevoir les sons. Si votre vision ne va pas loin, la voix prodigieuse du génie de Marconi vous parvient, vous parle d'au-delà des montagnes et des mers. Ainsi, par l'ouïe, comme déjà par la foi, vous acquérez et vous augmentez le savoir et la science ; lumière pour vous est celui qui vous dirige dans la piété et dans les devoirs religieux ; lumière pour vous « sont ces âmes délicates qui vous visitent, qui se font vos lectrices, à cause de la vénération et de cette fraternelle affection dont la plus profonde racine est la charité du Christ, qui met aussi des fleurs dans l'amour de la patrie.

Si le soleil est lumière et chaleur, la foi est encore plus fertile en lumière et en chaleur, la foi qui, devant Dieu et le divin Rédempteur, rend les âmes soeurs. Cette clarté et cette chaleur de foi, qui sont vérité et vie, Nous savons combien intensément elles vivent en vous et en ceux qui vous donnent leurs soins assidus et empressés ; comme dans la foi, votre travail s'éclaire et s'élève jusqu'à mériter une vie meilleure ! Vous, chères filles, qui visitez et assistez, comme des anges consolateurs, tous ces grands mutilés de guerre et qui, en étant leurs lectrices, êtes l'oeil pour leur prunelle éteinte, en leurs personnes, vous soulagez le Christ qui vous dira un jour : « J'étais malade et vous m'avez visité » (Mt 25,36).

Exhortation.

Fils aimés, votre maison de travail veut donc être une maison de la bienveillance et de la reconnaissance, une maison de Nazareth pour vous, si une pensée pieuse et d'affection rappelle à votre esprit ce Dieu que l'on croyait « fils du charpentier » (Mt 13,55) et qui, dans l'ombre et le travail de sa très sage adolescence, cachait le mystère de cet Evangile qui devait être lumière pour le monde. Cependant, ce Dieu caché n'a pas cessé d'agir et de travailler en vous et avec vous, parce qu'il vous soutient par sa parole puissante ; parce que lui qui a créé toutes choses agit et gouverne dans le monde de la nature comme dans le monde surnaturel ; artisan invisible et tout-puissant tant des énigmes -des firmaments explorés par l'oeil des astronomes que des mystères de sa bonté attentive, toujours paternelle et bienveillante, soit quand elle nous ouvre les yeux à la lumière, soit quand elle les ferme par la cécité.

Au cours de votre travail, que le regard et la main de Dieu vous soient présents ; reconnaissez l'affabilité des amis de Dieu qui sont aussi les vôtres dans la voix qui sort des lèvres de ceux qui vous font la lecture, qui vous parlent et qui vous répondent ; en celui qui guide vos pas, reconnaissez un petit frère de l'archange Raphaël, envoyé par le Seigneur à Tobie aveugle pour être le compagnon de voyage de son fils encore jeune ; ayez à l'égard de tous, de celui qui vous dirige et qui est à la tête de votre maison de travail, de la reconnaissance ; la sentir profondément est un honneur et une gloire pour vous, la manifester est un besoin du coeur. Chers fils, Nous aussi Nous devons être reconnaissants à vous et à tous ceux qui vous ont accompagnés ici, directeurs, compagnons, amis, membres de votre famille. Si Notre regard ne s'est pas rencontré avec le vôtre, votre coeur a rencontré le Nôtre. Notre parole de Père commun plein d'affection a répondu à vos sentiments de filial respect et de piété chrétienne. De sorte que, maintenant, Notre consolation ne désire pas autre chose que de s'épancher en implorant pour vous, chers fils, pour tous ceux que vous avez dans le coeur — et aussi pour tous les aveugles de guerre qui, dans le monde entier, partagent votre sort — les faveurs célestes ; elles développent dans vos âmes leur sage activité, la tranquillité de l'esprit, l'intensité de la foi, de l'espérance et de la charité, trois lumières qui éclairent le firmament de la grâce de Dieu ; elles seront aussi le baume dans le malheur, non moins que les arrhes de la joie éternelle.


Pie XII 1942 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (11 mars 1942)