Pie XII 1941 - DISCOURS AUX CURÉS ET PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME


LETTRE AUX CARDINAUX ET ARCHEVÊQUES DE LA FRANCE OCCUPÉE PAR LES ARMÉES ALLEMANDES

(28 février 1941) 1

Les cardinaux et archevêques de la zone occupée, réunis à Paris, ayant adressé au pape le 28 février 1941 une lettre publiée par la «- Semaine religieuse » de Paris du 29 mars 1941, le Saint-Père y répondit par la lettre suivante :

La lettre que vous Nous avez adressée pour Nous faire part de vos sentiments, de vos espérances, de vos résolutions, en ce moment où la main de Dieu s'appesantit sur votre chère patrie, dans un dessein tout miséricordieux, pour lui préparer un meilleur avenir et lui faire reprendre le cours de sa glorieuse histoire, cette lettre est elle-même pour Nous comme une annonce officielle de ce renouveau de l'esprit auquel vous faites allusion et auquel vous fait aspirer votre amour pour l'Eglise et pour les âmes. Nous inclinant avec vous devant les mystérieuses dispositions de la Providence, plein de compassion pour les souffrances de vos fils qui sont aussi les Nôtres, mais heureux de voir que vous n'avez rien perdu de votre courage en présence de la rude tâche qui vous est imposée, Nous Nous réjouissons de votre zèle à mettre le revirement qui se dessine autour de vous pour vous consacrer avec ardeur, en union avec vos collègues de l'épiscopat, à l'oeuvre de restauration et d'assainissement moral dont vous constatez à la fois l'urgence et les premières heureuses réalisations. Votre attachement à l'Eglise et à son chef visible, votre dévouement pour les âmes, votre amour de la patrie sont pour Nous le gage certain d'un succès qui rendra votre pays à sa

1 D'après le texte français des Actes de S. S. Pie XII, t. III, p. 32.

vraie mission dans le monde, et cela d'autant plus sûrement que le reste de l'épiscopat français et toute 'la France catholique sont avec vous, partageant vos sentiments et s'unissant à vos efforts pour travailler dans le même but. Vous comprenez facilement, chers Fils et Vénérables Frères, quelle grande consolation au milieu des épreuves présentes, quel soulagement à Nos peines est cette assurance de votre labeur intense en esprit d'absolue fidélité au dépôt qui vous est confié, de parfaite union dans le but à poursuivre, de loyale adhésion aux directives du Saint-Siège et, enfin, de sévère discipline dans l'action. Remerciant Dieu qui, dans sa bonté, relève les affligés et ne permet pas qu'ils puissent douter de sa Providence, Nous aimons tout particulièrement à vous féliciter de votre ferme décision de vous tenir sur le plan religieux et de vous appliquer avant tout au bien spirituel des fidèles et au soulagement des infortunés, de ceux surtout qui, plus pauvres, ont davantage à souffrir. Là est bien le rôle des pasteurs des âmes. Et c'est afin que, grâce au secours d'En-Haut, vous puissiez le remplir sans faiblir, que Nous élevons à Dieu Nos voeux et Nos prières, et que Nous tenons à vous exprimer encore une fois toute Notre affectueuse sympathie et Notre confiance paternelle. Heureux de cette nouvelle occasion de Nous trouver de coeur au milieu de vous et de vous témoigner tout l'intérêt que Nous portons à la haute mission qui vous incombe dans les circonstances présentes, Nous vous redisons à tous Notre vive reconnaissance et, en implorant sur vous les trésors de lumière et de force qu'exige, en ce moment plus que jamais, votre dur et difficile travail, Nous vous envoyons, ainsi qu'à vos collègues, à votre dlergé et à tous vos fils en Dieu, la Bénédiction apostolique.


LETTRE AU CARDINAL ET AUX ARCHEVÊQUES DE LA ZONE DE FRANCE NON OCCUPÉE PAR LES ARMÉES ALLEMANDES

(1er mars 1941) 1

La lettre suivante a été adressée par le Saint-Père en réponse à l'adresse que S. Em. le cardinal Gerlier et les évêques de la zone non occupée de France lui avaient envoyée le 6 février :


Nous venons à peine de répondre à la filiale adresse que Nous ont fait parvenir vos collègues de la France occupée, quand Nous arrive celle par laquelle vous venez vers Nous à votre tour, pour Nous dire de quel coeur vous vous associez aux sentiments, aux espérances, aux résolutions qui sont les leurs, et dont ils Nous ont fait part en des termes si nobles, avec une ouverture et une confiance qui Nous ont profondément touché. C'est vous dire, cher Fils et Vénérables Frères que votre hommage d'amour et de fidélité a trouvé dans Notre coeur le même écho. Nous étions bien sûr que vos malheurs nationaux n'avaient pu que rendre plus étroite encore l'intime union de l'épiscopat français, en dépit de tous les obstacles, et votre lettre Nous en apporte la consolante confirmation. Cette union dans la pensée et dans l'action, dans la fidélité au Saint-Siège, dans la volonté de garder le dépôt qui vous est confié et de partager vaillamment les souffrances de votre peuple, c'est à Nos yeux le gage plein de promesses de ce relèvement spirituel et moral de votre chère patrie, dont Nous apercevons déjà les premières réalisations, et au sujet duquel Notre cher Fils, le cardinal-archevêque de Lyon, Nous apportait d'ailleurs de vive voix, il n'y a pas si longtemps, de réconfortants témoignages 2. Ce grand oeuvre de redressement auquel vous êtes résolus à travailler en union avec vos collègues de l'épis-copat ne pourra porter vraiment ses fruits — vous le sentez comme Nous — que s'il est appuyé sur le solide fondement de la réforme intérieure des âmes ; aussi ne pouviez-vous mieux entrer dans Nos vues que par votre décision de placer résolument vos activités sur le plan religieux et de vous appliquer avant tout au bien spirituel des fidèles. Plus que jamais, les âmes qu'ont pu éprouver, troubler, dérouter peut-être, les graves événements permis par la divine Providence, ont besoin des solides vérités de la foi pour ne pas chanceler et pour apprendre, au contraire, à faire de leurs souffrances mêmes un levier qui les élèvera vers Dieu. Avec la vérité qui éclaire vous leur porterez la charité qui réchauffe, et ce sera remplir excellemment votre rôle de pasteurs et de pères que de vous consacrer au soulagement des multiples infortunes qui, de toutes parts, sollicitent votre compassion et votre aide. Nous n'avons pas besoin de vous dire, cher Fils et Vénérables Frères, de quel coeur Nous demandons à Dieu de vous assister dans cette tâche. En le priant de daigner répandre sur vous, en abondance, les grâces qui vous permettront de la mener à bien, Nous vous envoyons, ainsi qu'à vos collègues de l'épiscopat, à votre clergé et à tous vos fidèles, la Bénédiction apostolique.

Les époux ministres du sacrement de mariage.

Au pied de l'autel, vous avez échangé dans une joie tout intime les saintes promesses qui unissent vos coeurs et vos vies ; le ministre de Dieu y a répondu en invoquant sur vous, sur votre lien indissoluble et sur votre nouveau foyer qu'un jour égayeront vos enfants « comme des rameaux d'oliviers autour de votre table », l'abondance des bénédictions célestes. A ce moment, vous avez senti se confondre le battement de vos coeurs et se raffermir vos âmes et vos volontés ; vos rêves de bonheur se réalisaient, l'horizon de votre avenir s'éclairait dans la lumière de la sainte Eglise ; vos parents aussi étaient là, et le peuple chrétien qui voit vos noms unis à tout jamais.

Mais dans un délicat sentiment de votre coeur, une tendre piété inspirée par cette foi qui fait de vous des fils dévoués de l'Eglise, vous a amenés à venir demander au Vicaire du Christ, au Père de tous les fidèles, une bénédiction apostolique toute particulière, dans le désir que cette bénédiction confirme votre union et votre joie, donne une force nouvelle à vos résolutions et rende encore plus solide, par l'autorité concédée à Pierre de lier et de délier sur la terre, le lien sacré qui vous unit.

Cependant, si féconde que soit cette bénédiction, elle ne constitue point la source même des grâces et des dons divins qui vous guideront et vous soutiendront sur le chemin de la vie. Au-dessus de toutes les bénédictions données au nom du Seigneur s'élève le sacrement que vous avez reçu, où Dieu a directement agi sur vos âmes pour les sanctifier et pour les fortifier dans l'accomplissement consciencieux de vos nouveaux devoirs.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

5 mars 1941

1

Le ministre des sacrements, simple instrument de Dieu.

Vous n'ignorez pas qu'en tout sacrement celui qui l'administre n'est que l'instrument de la main de Dieu. L'homme, certes, fait quelque chose : il accomplit une cérémonie symbolique et prononce des paroles qui signifient la grâce propre au sacrement ; mais cette grâce, Dieu est seul à la produire : il se sert de l'homme comme d'un ministre agissant en son nom, à l'instar du pinceau dont le peintre se sert pour dessiner et colorer sur la toile l'image présente à son esprit d'artiste. Dieu est donc l'agent principal : c'est lui-même qui agit, tandis que le ministre n'est qu'une cause instrumentale, un instrument qui agit sous l'impulsion de Dieu. C'est pourquoi, ce que le sacrement confère et produit, c'est-à-dire la grâce, qui nous fait participer à la nature de Dieu, ressemble, en tant qu'effet de Dieu, à la cause divine et non pas au ministre 2. Autre conséquence, l'efficacité du sacrement ne peut être contaminée par le ministre : elle est comme la lumière du soleil, qui ne peut se souiller au contact des choses qu'elle illumine 3.

Or, dans le sacrement de mariage, quel est l'instrument de Dieu qui a produit la grâce dans vos âmes ? Est-ce peut-être le prêtre qui vous a bénits et unis dans le mariage ? Non. Il est vrai que, sauf certains cas exceptionnels bien déterminés4, l'Eglise prescrit aux époux, pour que leur lien et leurs engagements mutuels soient valides et leur procurent la grâce, de les échanger en présence du prêtre ; mais le prêtre n'est qu'un témoin qualifié, le représentant de l'Eglise, et ne fait que présider les cérémonies religieuses qui accompagnent le contrat matrimonial. C'est vous-mêmes qui, en présence du prêtre, avez été constitués par Dieu ministres du sacrement de mariage ; c'est de vous qu'il s'est servi pour établir votre indissoluble union et verser dans vos âmes les grâces qui vous rendront constamment fidèles à vos nouveaux devoirs. A quel honneur et à quelle dignité Dieu vous a élevés ! Ne semble-t-il pas avoir voulu que vous soyez, dès le premier instant que vous quittiez le saint autel, les coopérateurs et les instruments de ses oeuvres ? Lui-même vous en a ouvert et sanctifié le chemin.

2 S. Thomas, S. Theol., III 62,1.
3 S. Augustin, In Joannis Evang., tract. V, n. 15 ; Migne, P. L., t. 35, col. 1422.
4 Cf. Code de Droit canonique, can. CIS 1099.

C'est par les époux que se communique la vie de la grâce en ce sacrement, comme ensuite la vie des corps.

Dans le sacrement de mariage, l'acceptation mutuelle de vos personnes, votre consentement réciproque manifesté par la parole, est un acte extérieur qui a attiré sur vous les grâces divines ; dans votre vie conjugale, vous serez les instruments de l'art divin en modelant la matière, le corps de vos enfants. Vous appellerez dans la chair tirée de votre chair l'âme spirituelle et immortelle et c'est à votre appel que Dieu la créera, ce Dieu qui a fidèlement produit la grâce à l'appel du sacrement. Et lorsque viendra au monde votre premier-né, la nouvelle Eve redira avec la mère du genre humain : Possedi hominem per Deum, « j'ai acquis un homme par le secours de Dieu » (Gn 4,1). Dieu seul peut créer les âmes, Dieu seul peut produire la grâce ; mais il daignera se servir de votre ministère pour tirer les âmes du néant, comme il s'en est servi pour vous donner la grâce.

Dans les deux cas, Dieu veut dépendre de leur libre consentement

Dans l'une et l'autre de ces collaborations, Dieu attendra que vous disiez oui, pour user de sa toute-puissance créatrice. Lui qui, « maître de sa force, juge avec douceur et gouverne avec une grande indulgence » (Sg 12,18), il ne veut point vous traiter comme des instruments inertes ou sans raison, à la façon du pinceau dans la main du peintre : il veut que librement vous posiez l'acte qu'il attend pour accomplir son oeuvre de création et de sanctification.

Bien-aimés fils et filles, vous vous trouvez donc comme placés devant le Créateur pour préparer ses voies ; mais il vous a laissés libres et profondément responsables. Il dépendra de vous aussi que viennent au seuil de la vie ces âmes simples qui ne savent rienB, et que l'Amour infini désire si vivement appeler du néant pour en faire un jour ses élus dans l'éternelle félicité du ciel ; et il dépendra, hélas ! également de vous que ces âmes restent à l'état d'images dans la pensée de Dieu, d'images magnifiques, il est vrai, mais qui auraient pu devenir des rayons du Soleil illuminant tout homme venant en ce monde, tandis qu'elles ne seront jamais, par la lâcheté et l'égoïsme des hommes, que des lumières éteintes.

Ne vous êtes-vous pas, ministres de son sacrement, librement unis devant Dieu, pour lui demander, saintement et librement, S dociles au commandement donné à nos premiers parents, les âmes qu'il brûle de vous confier ? Devant l'autel, seule votre libre volonté a pu vous unir par le lien du sacrement de mariage et nul autre consentement ne pouvait se substituer au vôtre. D'autres sacrements, qui sont plus nécessaires, peuvent, en l'absence du ministre, être suppléés par la puissance de la miséricorde divine ; Dieu peut se passer des signes extérieurs pour porter la grâce dans les coeurs : au catéchumène qui n'a personne pour lui verser l'eau sur le front, au pécheur qui ne trouve personne pour l'absoudre, le Bon Dieu accordera, en réponse à leurs actes de désir et d'amour, la grâce qui les rend ses amis et ses fils, même sans l'acte sacramentel du baptême et de la confession.

... que rien ne peut suppléer, et lourd de responsabilités.

Mais dans le sacrement de mariage, personne ne peut suppléer les ministres, de même que personne ne peut se substituer aux conjoints eux-mêmes. Ici triomphe l'incomparable splendeur du plus grand des dons, la liberté de la volonté humaine : l'homme, en tant que doué d'intelligence, a la terrible responsabilité d'être le maître de lui-même et de la vie, de sa vie à lui et de celle d'autrui, de la vie qui monte vers l'éternité ; il a le pouvoir d'en arrêter le cours en d'autres, par un acte de rébellion contre Dieu. Un aveugle instinct assure la continuation de la vie dans les espèces privées de raison ; mais, pour la race humaine, pour la race d'Adam, tombée, et qu'a rachetée et sanctifiée le Verbe incarné Fils de Dieu, les froids et astucieux calculs de l'égoïsme jouisseur peuvent s'employer à couper la fleur d'une vie corporelle qui désire s'ouvrir et s'épanouir. Pareil délit empêche le bras de Dieu d'appeler à l'existence le sourire des âmes innocentes qui auraient vivifié ce corps et élevé ces membres à la dignité d'instruments de l'esprit et de la grâce jusqu'à participer un jour à la récompense de leurs vertus et à la joie éternelle dans la gloire des saints.

Soyez fidèles à la fin du mariage

Pour vous, chers époux, conscients de l'inviolable fin du sacrement de mariage, vous préparerez un berceau aux dons de la toute-puissance de Dieu, même si peut-être la divine Providence allait permettre que vos voeux ardents et vos prières ne fussent pas exaucés et que restât vide le berceau préparé avec tant d'amour. Vous verrez sans doute plus d'une fois la grâce inspirer à des âmes généreuses de renoncer aux joies de la famille pour devenir des mères au coeur plus large et d'une plus haute fécondité surnaturelle ; mais vous, dans la belle et sainte union du mariage chrétien, vous avez à votre disposition la vie à communiquer, non seulement dans l'ordre naturel, mais aussi dans l'ordre spirituel et surnaturel, avec la puissance redoutable d'en arrêter le cours.

...et soumis à la loi de Dieu.

Cette faculté de transmettre la vie est pour vous un insigne honneur, mais elle vous soumet dans son usage à la loi de Dieu, dont la sévérité ne doit pas vous surprendre à l'égard de ceux qui, par une détestable faute, la détournent de sa haute et véritable fin. Qu'ils craignent, ceux-là ! (cf. Gn 38,10). Pour vous, chrétiens sincères et obéissants à Dieu, soyez sans crainte, puisque vous avez compris l'étroite collaboration qui unit l'homme et Dieu dans la transmission de la vie. Votre intelligence qu'illumine la foi ne saurait concevoir que Dieu puisse permettre à l'homme de violer impunément les dispositions de sa Providence et de son gouvernement, car ces dispositions furent hautement sanctionnées lorsque, dès le premier jour de l'apparition de l'homme et de la femme sur la terre, Dieu institua le lien du mariage ; et ce lien, le Christ l'a élevé à la dignité de grand sacrement, pour appeler à la vie d'ici-bas des âmes que Dieu destine à se sanctifier dans la lutte et dans la victoire sur le mal, afin de le contempler, aimer et louer dans la bienheureuse éternité.

O chers jeunes époux, levez les yeux au ciel : dans ce sacrement de votre mariage dont vous avez été les ministres, Dieu a marqué et disposé pour vous la voie qui y monte. Puisse-t-il vous faire toujours mieux comprendre et respecter le pouvoir dont vous disposez et qui vient également de lui. Puisse-t-il faire de vous les fidèles instruments de sa Providence, pour le rôle eminent qu'il vous a confié dans l'oeuvre de la puissance créatrice de la Très Sainte Trinité. Cette grâce, Nous l'implorons sur vous et Nous vous donnons du fond du coeur, en gage des dons célestes les plus abondants, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A UN GROUPE DE HAUTES PERSONNALITÉS ESPAGNOLES

(7 mars 1941 )1

Après les obsèques solennelles du roi Alphonse XIII, un groupe de hautes personnalités espagnoles présentées par S. Exc. le vicomte di Santa Clara di Avedillo, ambassadeur d'Espagne, rendirent visite au Saint-Père pour lui témoigner leur reconnaissance pour la part qu'il a prise à l'occasion du deuil de leur nation. Sa Sainteté répondit par ces paroles de réconfort :

Dans le plan admirable de sa paternelle providence, chers fils de la noble et catholique Espagne, Dieu dirige toutes choses avec une suprême sagesse et un amour infini, mêlant tour à tour les douleurs aux joies et les tristesses aux consolations.

Ainsi en est-il dans la circonstance présente. Vous êtes venus à Rome prier devant une tombe déjà fermée et donner libre cours à votre juste douleur, douleur qui est aussi la Nôtre, comme Nous l'avons paternellement montré au cours de la maladie de l'auguste patient et en Nous faisant représenter par Notre ambassadeur extraordinaire aux derniers et solennels hommages que lui a rendus Notre sainte Mère l'Eglise.

Mais cette tristesse Dieu a voulu la changer en joie, en cette douce joie que Nous lisons dans vos yeux de vous trouver dans la maison du Père. Joie sereine que Nous-même avons senti vibrer dans Notre coeur, en regardant dernièrement, de Nos propres yeux, un groupe de Nos fils de la catholique Espagne ; ces fils qui — comme Nous avons eu l'occasion de le proclamer devant les représentants de votre glorieuse armée — savent se sacrifier jusqu'à l'héroïsme pour la défense des droits inaliénables de Dieu et de la religion.


HAUTES PERSONNALITÉS ESPAGNOLES

69

Oui, Nous sommes heureux d'avoir l'occasion d'exprimer publiquement Notre amour pour l'Espagne et de vous dire la grande place que tiennent, dans Notre coeur, vos angoisses et vos difficultés. Nous voulons aussi vous assurer que Nous partageons intimement tous vos espoirs et que Nous sommes persuadé que l'Espagne renaîtra de ses épreuves auréolée d'une nouvelle grandeur. Votre patrie continuera son histoire, fidèle à sa foi traditionnelle qui pénètre toutes les activités de la vie individuelle, familiale et sociale, et fidèle aussi à son ferme attachement au siège de Pierre bien connu dans le passé.

Avec une âme remplie de joie, très chers fils, en ce premier vendredi du mois dédié au divin Coeur de Jésus à qui votre roi défunt, en un jour mémorable, consacra l'Espagne tout entière, Nous voulons vous donner Notre Bénédiction apostolique, pour vous, pour tout le cher peuple espagnol, pour le digne chef de la nation espagnole et son gouvernement. Que Notre bénédiction descende d'en haut, comme une rosée céleste, sur la terre protégée par la Vierge du Pilar et par saint Jacques, pour la conserver toujours féconde en héros et en saints. Qu'elle soit aussi pour vos âmes un gage de bénédictions célestes et le témoignage de la paternelle affection du Vicaire du Christ pour vous et votre patrie.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX ET AU CHAPITRE DES SS CELSE ET JULIEN

(19 mars 1941 J 1

Le mystère de la paternité.

Votre foi dans le Christ et dans l'Eglise, son Epouse, vous a conduits à Nous, chers enfants, à votre Père à tous, au Père de tous les croyants. Vous venez Nous demander de bénir au nom du Christ, de renforcer en quelque sorte par Notre prière, devant Dieu et devant le peuple chrétien, votre union sacrée et votre espérance de la voir fleurir et s'épanouir en fils et filles, car vous avez la conviction que sans les enfants manquerait le couronnement de la joie au bonheur si grand déjà que Dieu vous accorde par l'union de vos âmes.

La paternité divine en la Trinité

Elle ne se trompe pas, votre foi, lorsqu'elle reconnaît dans le pape avant tout le Père ; mais cette paternité spirituelle et universelle a beau être très grande, elle n'est qu'un reflet lointain de la suprême paternité, transcendante et infinie, que saint Paul, le Docteur des nations, adorait en fléchissant le genou devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « A cause de cela, je fléchis le genou devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de qui tire son nom omnis paternitas, toute paternité, dans les cieux et sur la terre » (Ep 3,14-15). C'est le sublime mystère de la paternité qui éclate dans l'éternelle et inaccessible lumière divine, dans l'impénétrable et incompréhensible secret de la Trinité bienheureuse, où tout l'être, toute la vie, toutes les infinies perfections du Père éternellement se communiquent au Fils, pour s'épancher dans leur commun Amour infini, qui est l'Esprit-Saint. Eternelle paternité qui engendre l'éternelle sagesse et qui s'écoule avec elle dans l'éternel amour. Paternité parfaite, infinie, ineffable, dont le fruit, le terme, le Fils, est semblable, bien plus, égal au Père et un avec le Père dans l'identité de la nature indivise, ne se distinguant de lui qu'en tant que personne qui le connaît et l'aime infiniment. La vie du temps ne connaît qu'une paternité transitoire, dont le fruit, l'enfant, se libère pour vivre de sa propre vie, tandis que la paternité des siècles éternels est éternelle génération et que, dans le présent sans borne de l'éternité, elle ne cesse jamais, toujours en acte et en vie, de dominer tous les temps, ces temps que lance dans leur course à travers le monde une effusion d'immense bonté créatrice, et où le souffle divin de l'Esprit s'étend sur les eaux de l'univers en son enfance, pour répandre la vie, rayonnement de cet amour paternel sur les oeuvres de la toute-puissante main divine.

Ce mystère de la paternité est la gloire de Dieu, comme le Seigneur lui-même le proclame par la bouche d'Isaïe : « Moi qui fais enfanter les autres, n'enfanterai-je pas moi-même ? » (Isaïe, lxvi, 9). Aussi déclare-t-il à son Fils qui lui est égal en divinité et en éternité : « Avant l'étoile du matin je t'ai engendré » (Ps., cix, 3).

dans la création et dans la grâce.

Qu'est-ce que la paternité ? Etre Père, c'est communiquer l'être ; bien plus, c'est mettre dans cet être le mystérieux rayon de la vie. Dieu est Père de l'univers : « Pour nous, il n'y a qu'un seul Dieu, le Père de qui viennent toutes choses » (1Co 8,6). Dieu est le Père, le Créateur du ciel, du soleil, des étoiles qui brillent en sa présence et chantent sa gloire ; Dieu est le Père qui a construit et modelé cette terre où il a semé les fleurs et les bois, multiplié les féconds et gracieux nids d'oiseaux, les inaccessibles retraites des poissons et les bancs de coraux, les bercails et les troupeaux, les refuges des fauves et les tanières des lions rugissants prêts à bondir sur leur proie : toute cette vie immense et variée est fille de l'amour de Dieu, dirigée, soutenue, enveloppée dans sa croissance et dans son développement par la paternelle Providence divine.

Mais la paternité s'élève plus haut ; avec l'être, avec la vie végétale et animale, elle communique encore une vie supérieure, la vie d'intelligence et d'amour. Les anges aussi sont enfants de Dieu. Esprits purs, libres du poids de la chair, sublimes images de la Trinité qu'ils contemplent et qu'ils aiment, les anges participent d'une manière spéciale à la paternité divine. Selon l'enseignement de saint

Thomas 2, l'ange, par la lumière de son intelligence, éclaire et perfectionne un autre ange et devient ainsi son père, à la façon dont le maître est père de son disciple, communiquant sans cesse de nouvelles impulsions à sa vie intellectuelle.

L'homme est également un enfant de Dieu, une image connaissante et aimante de la Trinité. Esprit uni à la matière, Dieu l'a créé de peu inférieur aux anges ; mais en tant que père, il est en quelque sorte supérieur à l'ange : l'ange ne communique à l'ange que la lumineuse activité de sa propre intelligence, tandis que l'homme prête à Dieu son concours dans l'acte de la création et infusion de l'intelligence même en ses enfants, par le fait qu'il engendre le corps qui la recevra.

Chers époux, rappelez-vous le grand jour de la création de l'homme et de sa compagne. Avant d'unir, en une merveilleuse opération, l'esprit à la matière, la Trinité divine semble se recueillir : « Faisons, dit-elle, l'homme à notre image et ressemblance. » Mais si Dieu prend un peu de terre pour former le premier homme, la première vie humaine, vous le voyez, dès qu'il veut que cette première vie se propage et se multiplie, tirer la seconde vie non plus de la terre inerte, mais du flanc vivant de l'homme ; et ce sera la femme, sa compagne, nouveau rayon d'intelligence et d'amour, coopératrice d'Adam dans la transmission de la vie, formée de lui-même et semblable à lui dans toute sa descendance et sa prospérité. Et lorsque, conduisant Eve à Adam, Dieu la lui donne et qu'il prononce l'ordre solennel d'où jaillira la vie : « Croissez et multipliez », ne vous semble-t-il pas que le Créateur transfère à l'homme même son auguste privilège de la paternité, s'en remettant désormais à lui et à sa compagne du soin de faire couler à pleins bords dans le genre humain le fleuve de vie qui émane de son propre amour ?

Mais l'amour infini d'un Dieu, qui est charité, connaît des voies plus hautes encore pour répandre sa lumière et ses flammes, pour communiquer comme père une vie semblable à la sienne. L'ange et l'homme sont les enfants de Dieu et ils manifestent Dieu par l'image et ressemblance qu'ils ont reçues de lui dans l'ordre naturel comme simples créatures ; mais Dieu possède une paternité plus sublime encore, qui engendre des fils d'adoption et de grâce en un ordre supérieur aux natures de l'homme et des anges, et qui les rend participants de la vie divine elle-même : elle les appelle à partager sa propre béatitude dans la vision de son Essence, dans l'inaccessible lumière où il se révèle, lui et l'intime secret de son incomparable paternité, avec le Fils et l'Esprit-Saint, aux enfants de grâce. En cette sublime lumière, Dieu règne, le Dieu créateur, sanctificateur et glorificateur, le Dieu riche de prédilection pour la dernière de ses créatures intelligentes, pour l'homme, enfant de colère en tant que fils d'Adam, son père coupable (cf. Eph. Ep 2,3) ; et Dieu régénère l'homme, il le fait, par l'eau et l'Esprit-Saint, renaître enfant de grâce, frère de Jésus-Christ, nouvel Adam sans tache, pour le rendre cohéritier de sa gloire céleste. Or, dans la transmission, la conservation et le développement de cette vie surnaturelle qui nous achemine vers une telle gloire céleste, Dieu a voulu, comme pour la vie naturelle, s'assurer la collaboration de l'homme.

Tel est, bien-aimés fils et filles, l'incomparable mystère dans les profondeurs duquel vous introduit votre mariage. Entrez-y comme dans un sanctuaire de la Très Sainte Trinité, pénétrés de respect, de crainte filiale et d'amour confiant, avec la conscience de vos responsabilités et de la grandeur du ministère que vous avez à remplir. « Faisons l'homme à notre image et ressemblance > : vous aussi, vous aurez à prononcer ces paroles, paroles humaines, et paroles divines qui se confondent sur vos lèvres et dans votre coeur. Pesez ces paroles de paternité qui se prononcent de la part de Dieu et de votre part à vous : vos enfants, à votre image à vous et à votre ressemblance. Oui, vos enfants vous ressembleront, ils seront tels que vous êtes, par la nature humaine qu'ils reçoivent de vous dans la génération ; mais vous ressembleront-ils aussi par la vie surnaturelle ? Oui, car vous aurez à coeur, Nous en avons l'intime persuasion, de leur procurer sans retard le baptême qui vous a régénérés vous-mêmes devant Dieu, et qui vous a faits enfants de grâce, héritiers du ciel ; et vous ne manquerez pas à ce devoir, lors même que pour franchir le seuil du paradis un petit ange réclamerait de votre foi et de votre amour une douleur ou un sacrifice.

Devoir de l'exemple d'une vie surnaturelle authentique.

Elevez vos enfants dans la foi, dans l'amour et la crainte de Dieu ; insufflez dans leur âme cette sagesse de vie qui fait le chrétien, cette sagesse qui engage et garde le chrétien dans le sentier de la vertu, à travers même cette multitude d'ennemis qui menacent la jeunesse. Soyez-leur et restez-leur toujours des modèles de vertu, pour que vos enfants n'aient qu'à vous ressembler et qu'il leur suffise d'une louange, celle d'être votre portrait. Ainsi vous répondrez pleinement aux desseins pour lesquels Dieu leur donne par votre intermédiaire une vie semblable à la vôtre. Que votre conduite leur soit une lumineuse règle de vie. Puissent-ils, lorsque vous ne serez plus à leurs côtés, garder le souvenir de vos avis, de ces avis auxquels vous aurez su garantir un fondement et donner une confirmation par votre fidélité à tous les devoirs de la vie chrétienne, par votre conscience du devoir profonde et délicate, par une foi et une confiance en Dieu à toute épreuve, par une mutuelle affection, par une charitable et bienfaisante bonté qui se prodigue à toutes les misères.

Vos enfants attendent beaucoup des soins vigilants dont vous entourez leurs premiers pas et l'éveil de leur intelligence et de leur coeur. En les remettant plus tard aux mains de maîtres qui méritent votre confiance de parents chrétiens, vous leur garderez toujours l'aide de vos conseils et de vos encouragements. Mais la voix de vos exemples résonnera plus haut que la voix de vos paroles : vos exemples traduiront continuellement aux yeux de vos enfants, durant de longues années, la réalité quotidienne de votre vie, que vous la passiez dans l'intimité ou dans l'abandon du foyer domestique ; et vos enfants examineront vos exemples, ils les jugeront, avec la terrible clairvoyance et l'inexorable pénétration de leurs jeunes regards.

Comme elle est belle et mémorable, cette bénédiction que Raguel prononce sur le jeune Tobie, lorsqu'il apprend de qui il est le fils : Benedictio sit tibi, fili, quia boni et optimi viri filius est, « Sois béni, mon fils, car tu es fils d'un homme de bien, du meilleur des hommes » (Tb 7,7). Le vieux Tobie n'était plus riche des biens de la terre ; le Seigneur lui avait envoyé l'épreuve de l'exil et de la cécité ; mais il avait pour richesse quelque chose de mieux : les admirables exemples de sa vertu et les sages avis qu'il donnait à son fils. Nous aussi nous vivons en des temps difficiles ; et vous ne réussirez peut-être pas toujours à procurer à vos enfants la vie belle et aisée dont vous rêvez pour eux : la vie tranquille et contente, avec le pain quotidien — lequel, grâce à la divine Providence, ne leur manquera jamais, Nous l'espérons — et avec tous les biens que vous aimeriez leur assurer. Mais plus encore que les biens de cette terre, qui ne changent pour personne, pas même pour les puissants et les hommes de bonne chère, cette vallée de larmes en un paradis de délices, vous devez donner à vos enfants et héritiers des biens supérieurs : ce pain et cette richesse de la foi, cet esprit d'espérance et de charité, cet élan de vie chrétienne, de vaillance et de fidélité où votre tâche de père et de mère conscients de la paternité que vous avez reçue du ciel, les fera grandir et progresser, pour votre réconfort, devant Dieu et devant les hommes.

Afin que se réalisent ces voeux, Nous implorons sur vous, chers nouveaux mariés, l'abondance des faveurs célestes, et la paternité spirituelle de Notre coeur vous en donne un gage dans la Bénédiction apostolique.

S'adressant ensuite à une délégation du chapitre des saints Celse et Julien, le Saint-Père poursuivit ainsi :

Que cette bénédiction descende — comme de coutume — et s'étende sur tous Nos autres chers fils et filles ici présents, et en particulier sur la nombreuse et à Nous bien agréable délégation de l'illustre chapitre des saints Celse et Julien avec son très digne archi-prêtre et de la paroisse romaine de Saint-Jean des Florentins. Que cette bénédiction descende plus que jamais abondante en ce jour consacré au nom et à la vénération du patriarche saint Joseph, père putatif du Rédempteur, ceint par le Père Eternel de la brillante auréole de paternité vigilante, prudente et prévoyante, dont il a voulu voiler aux yeux du monde méchant la conception virginale de son divin Fils, fait chair dans le sein de l'Epouse de Joseph, Marie, la très sainte servante du Seigneur. Dans le territoire de votre paroisse, Notre coeur a laissé de doux souvenirs. C'est là qu'il y a soixante-cinq ans, en ce même mois de mars, Nous fûmes dans la lumière de Rome appelé à la vie naturelle et, le jour suivant, régénéré par le saint baptême à la vie surnaturelle de la grâce. C'est au milieu de vous, chers paroissiens, que Nous avons grandi ; avec vous Nous avons respiré le même air ; avec vous Nous Nous sommes incliné et avons prié devant les mêmes autels ; avec vous Nous avons contemplé, de plus loin que maintenant, la coupole du plus grand temple de la chrétienté et admiré l'ange qui, à la cime du Môle d'Hadrien, remet l'épée au fourreau en signe de la cessation du châtiment divin, comme Nous voudrions que les nations aujourd'hui en conflit puissent le plus tôt possible rengainer leur épée par la conclusion d'une paix sûre dans la justice et dans la charité, dans l'honneur et la liberté de tous. C'est pourquoi Nous vous recommandons à la protection du précurseur, votre patron spécial et, en ce jour de pieuse festivité, à celle du patron universel de l'Eglise, le glorieux et très chaste gardien de Jésus et de la Vierge sa Mère, à qui, de grand coeur, Nous confions votre bonheur terrestre et votre bonheur éternel.


Pie XII 1941 - DISCOURS AUX CURÉS ET PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME