Pie XII 1944




DOCUMENTS PONTIFICAUX

de Sa Sainteté PIE XII



1944

« Combien plus fort et plus efficace serait le rayonnement de la pensée et de la vie chrétiennes sur les bases morales des futurs plans de paix et de reconstruction sociale, s'il n'y avait la vaste division et séparation des confessions religieuses... ! »

2 juin 1944. Pie XII.

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de Sa Sainteté PIE XII

es sous la direction de

Mgr SIMON DELACROIX

EDITIONS SAINT-AUGUSTIN SAINT-MAURICE (Suisse)

marchait-il sans hésitation dans la voie inaugurée par son prédécesseur sacrant, le 26 octobre 1926, les six premiers évêques chinois. Enfin, le 8 décembre de cette même année, Pie XII approuvait pleinement et ratifiait les décisions de la S. C. « de Propaganda Fide » par lesquelles était supprimée l'obligation du serment sur les rites chinois, serment prescrit par Benoît XIV le 11 juillet 1742.

Le 9 avril 1940, une nouvelle suppression intervenait : celle du serment sur les rites malabars. Deux mois plus tard, exactement le 13 juin, Pie XII adressait à l'épiscopat, au clergé et aux fidèles du Portugal l'encyclique « Saeculo exeunte », dans laquelle, après avoir rappelé aux destinataires leur glorieux passé missionnaire, Sa Sainteté constatait que les anciens diocèses de l'Afrique portugaise souffraient d'une grande pénurie d'apôtres et indiquait les moyens de faire renaître le passé : prières pour les vocations, appartenance des prêtres à l'Union missionnaire du clergé, connaissance des missions à donner dans les séminaires diocésains, préparation des futurs missionnaires. Est-il besoin d'ajouter que ces pages du Saint-Père à l'adresse du Portugal valaient et valent encore pour toutes les autres nations chrétiennes et que s'en inspirer largement ne peut qu'être profitable ? Et, comme pour clôturer cette année, voilà que le 6 novembre le premier évêque indonésien était sacré à son tour.

Comme l'aperçu que nous avons envisagé de donner dans cette préface nous amène à présent à 1944 et que les documents pontificaux de cette année font précisément l'objet de ce volume, on nous permettra de nous y étendre davantage. Le 24 juin, soit dix-neuf jours après l'entrée à Rome des troupes alliées, Pie XII prononçait une importante allocution devant l'assemblée annuelle du Conseil supérieur des OEuvres pontificales missionnaires, en laquelle il saluait « comme une représentation et le symbole de l'Eglise universelle ». Il y développait les idées que voici :

1. Les missions, preuve de la catholicité de l'Eglise : * Y a-t-il une manifestation plus évidente de la profonde conscience que l'Epouse du Christ possède de sa mission pour tous les pays et tous les peuples que son action missionnaire pendant ces derniers siècles ? Une chose certaine, c'est que l'idée de catholicité a toujours été vivante dans l'Eglise qui, fidèle au commandement de son divin Fondateur : «• Allez dans le monde entier, prêchez l'Evangile à toute créature" (Mc 16, IS), a mis la main au travail missionnaire toujours et partout où des portes jusqu'alors fermées à la prédication évangélique se sont ouvertes devant elle. »

2... preuve également de sa divinité : «• Considérons... les prières, les aumônes et les offrandes, l'holocauste de leur personne que les missionnaires font sans limitation ni réserve, non point pour un mois ou un an, mais jusqu'à la mort et, en de nombreux cas, jusqu'à la mort violente pour l'amour du Christ ; et tout cela dans le but de faire participer à la Rédemption et au salut dans le temps et l'éternité, à la paix avec Dieu et avec eux-mêmes, à la dignité du chrétien qui seule représente la pleine dignité, des peuples étrangers et inconnus, vivant dans les terres et continents lointains... Un tel amour, selon la parole de l'apôtre saint Jean (1Jn 4,7), ne peut venir que de Dieu, et Nous n'hésitons pas à affirmer que l'oeuvre catholique des missions dans l'ère moderne constitue à elle seule une preuve admirable de la divinité de l'Eglise. »

3. Parole de louange et de gratitude... d'espérance et de réconfort : « ... Nous n'hésitons pas, aujourd'hui encore, au cours de ce second et plus formidable conflit, à regarder l'avenir d'un oeil rassuré ; bien plus, Nous avons les meilleures raisons d'avoir confiance. En effet, le travail accompli dans l'intervalle des deux guerres s'est inspiré de l'idée consciente de donner aux missions le caractère d'institutions qui ne soient pas étrangères, mais autochtones. De là est né le besoin d'un clergé et de soeurs indigènes ; de là aussi la consigne de sauvegarder le caractère, les traditions et les coutumes indigènes dans la mesure où ils sont conciliables avec la loi de Dieu... Une autre considération renforce aussi Notre espérance. Les indicibles misères causées par la guerre en beaucoup de pays de mission ont trouvé la charité catholique à la hauteur de son devoir et prête à tout secourir ; bien plus, malgré la détresse dont souffrent beaucoup de pays, elle s'est considérablement accrue... Telle est la raison pour laquelle Nous espérons que le siècle présent — encore que, enfant d'orgueil et de présomption, il ait accumulé désillusions sur désillusions, ruines sur ruines — apportera cependant dans le champ des missions catholiques une riche moisson, après des semailles faites dans les larmes au cours des siècles de travail. »

1945 à 1950. Nous ne ferons que citer ici : d'abord, le radio-message de Noël 1945 sur l'unité et la supranationalité de l'Eglise ; ensuite l'importante allocution du 20 février 1946, lors de l'imposition des barrettes aux trente-deux cardinaux nouvellement créés, sur la puissance et l'influence de l'Eglise au sein de la société pour une véritable et ferme restauration du monde. Ces deux documents sont «• d'une importance capitale pour la théologie de la mission ». En cette même année 1946, le 11 avril, la hiérarchie était érigée en Chine, trois ans à peine avant la proclamation de la République populaire par Mao Tsé-Toung. Enfin, au mois de novembre, le IIIe centenaire des martyrs du Canada fut l'occasion pour Pie XII d'adresser un radiomessage aux catholiques américains.

Le 28 juin 1948, dans l'exhortation « In auspicando » au clergé indigène, le pape mettait l'accent sur les trois idées suivantes : sainteté, science et obéissance à la hiérarchie. Le 23 octobre de la même année, la Délégation apostolique de l'Afrique française était créée.

Le 6 juillet 1949, dans sa réponse au premier ministre accrédité par l'Inde auprès du Saint-Siège, de même que dans celle du 25 mai 1950 lors de la remise des lettres de créance du premier ministre d'Indonésie, le Saint-Père ne manqua point de mettre en relief l'action bienfaisante des missionnaires en ces pays.

Entre-temps, le 18 avril 1950, la hiérarchie était créée en Afrique occidentale britannique et, le 15 juillet suivant, une Délégation apostolique ainsi que la hiérarchie étaient établies au Pakistan.

Avec l'année 1951, nous arrivons à la grande encyclique missionnaire de Pie XII, mais auparavant il faut signaler que, le 11 janvier, la hiérarchie avait été établie en Afrique du Sud et que, le 20 février, par la lettre « Praeses consilii » au cardinal préfet de la S. C. «• de Propaganda Fide », Pie XII avait institué une Journée de la Sainte-Enfance « de manière à promouvoir cette oeuvre... au moyen de prières présentées à Dieu et d'une collecte d'offrandes ». Cette institution entre certainement pour une bonne part dans les sommes importantes recueillies annuellement par la Sainte-Enfance.

L'encyclique « EVANGELII PRAECONES » du 2 juin, sur le développement à donner aux missions :

Dans la première partie de ce document, Pie XII, après avoir rappelé, avec chiffres à l'appui, les progrès accomplis au cours des vingt-cinq années qui s'étaient écoulées depuis la promulgation par son prédécesseur de * Rerum Ecclesiae », n'hésite pas à ajouter : * mais il reste encore beaucoup et toujours plus à faire » et il aborde un sujet douloureux pour son coeur paternel « car au cours de ces dernières années, les persécutions les plus âpres se sont fait sentir contre l'Eglise en certaines nations... »

La deuxième partie, qui forme le corps principal de l'encyclique, peut s'intituler « Les orientations actuelles de l'êvangélisation » et condense un texte très riche autour des quatre idées suivantes :

1. Principes de conduite pour les missionnaires : ils doivent considérer la terre qu'ils évangélisent comme leur seconde patrie, y arriver dûment préparés dans tous les domaines utiles, se rappeler que la mission n'a aucune intention temporelle, rester enfin pour aider le nouvel évêque indigène au moment où il prend la tête de la mission.

2. La participation des laïcs à la mission : elle fut en honneur dès les origines de l'Eglise (cf. les noms mentionnés par saint Paul dans ses lettres) et s'est poursuivie tout au long des siècles. (Et Pie XII déroule ici sous nos yeux une réconfortante fresque d'histoire qui montre que, parmi ces laïcs, les saints n'ont pas manqué.) Les laïcs sont actuellement nécessaires, sans préjudice des catéchistes.

3. Les principales activités de la mission : elles ont nom : l'enseignement, où il faut viser particulièrement à former l'élite future du pays ; la presse, où il reste beaucoup à faire ; l'assistance sanitaire, où les religieuses doivent posséder les diplômes officiels et où il convient d'avoir recours à des professionnels ; les questions sociales, où, pour lutter contre le communisme, la charité ne suffit pas alors que la justice est violée. A l'êpiscopat * de veiller à ce que ces principes et ces normes passent dans la pratique », en faisant appel à des instituts spécialisés dans ces diverses tâches.

4. Le respect de tout ce qui est bon dans la civilisation de tous les peuples : telle a été la règle de l'Eglise depuis ses origines. Pie XII insiste sur ce point. La nature humaine, en effet, garde un fonds naturel chrétien et les nouvelles nations ont parfaitement le droit d'accorder la vie chrétienne avec leur culture profane.

La troisième et dernière partie de l'encyclique traite de l'aide du monde chrétien en faveur des missions et met l'accent sur l'importance de l'Union missionnaire du clergé, car « cette association est aux autres oeuvres pontificales de la Propagation de la Foi, de Saint-Pierre-Apôtre pour le clergé indigène et de la Sainte-Enfance, comme la source dont les eaux irriguent des terres fécondes. »

En conclusion, le Souverain Pontife lance un appel aux catholiques, soulignant que l'aide aux missions est une obligation du Corps mystique ; soulignant combien grande est l'importance des missions dans le combat pour ou contre le Christ qui divise l'humanité, et quels sont enfin les fruits de grâce réservés à tous ceux qui aident les missionnaires.

1952 et 1953. Le 12 janvier 1952, le premier cardinal indien était créé ; six jours plus tard, le 18, paraissait la lettre « Cupimus imprimis » aux êvêques, au clergé et aux fidèles de Chine ; le 13 avril, en la fête de Pâques, Pie XII adressait un radiomessage au clergé et au peuple japonais ; le 28 du même mois, le Souverain Pontife prononçait devant le Conseil supérieur des OEuvres pontificales missionnaires une allocution sur le caractère spirituel de ces organismes ; le 4 mai, nouveau radiomessage à l'adresse, cette fois, des catholiques d'Afrique du Sud et à l'occasion de la clôture du premier Congrès mariai de l'Union Sud-Africaine, qui se tenait à Durban ; le 20 du même mois, paraissait l'instruction « Plurimis abhinc » sur l'organisation des collectes en faveur des missions ; enfin, le 31 décembre, la voix des ondes apportait aux catholiques indiens un radiomessage du pape pour le Congrès eucharistique national d'Ernakulam, dont c'était le jour de clôture.

Quant à l'année 1953, elle fut caractérisée : d'abord, par l'établissement de la hiérarchie en Afrique occidentale britannique (25 mars) et le sacre, ce même jour, du premier évêque bantou, élu le 11 décembre précédent, évêque de Leribe, au Basutoland ; ensuite, le 18 octobre (Journée missionnaire mondiale), par un radiomessage aux missionnaires du monde entier.

L'année 1954, elle, fut marquée, le 7 octobre, par la lettre encyclique «• Ad Sinarum Gentem », dont l'objet se trouve résumé par les phrases suivantes du Saint-Père :

* Il y a près de trois ans, écrit Pie XII, Nous adressions la lettre apostolique « Cupimus imprimis » au peuple chinois qui Nous est très cher, et particulièrement à vous, vénérables Frères et chers Fils, qui professez la religion catholique... Nous l'avons su, ce message que Nous vous adressions n'a pu vous parvenir... Nous avons su également, pour la plus grande consolation de Notre coeur, que vous êtes demeurés inébranlables dans vos résolutions et qu'aucun effort n'a jamais pu vous séparer de l'unité de l'Eglise. Aussi pour cette raison Nous vous en félicitons encore plus et voulons vous témoigner la louange qui vous est due.

» Toutefois, parce que Nous devons Nous soucier du salut éternel de chacun, Nous ne pouvons dissimuler la douleur et l'anxiété de Notre coeur en apprenant que, parmi vous, bien que communément vous conserviez la foi catholique dans une âme intrépide, quelques-uns cependant, ou surpris dans leur bonne foi ou sous l'empire de la crainte ou séduits par de nouvelles idéologies fallacieuses, ont dernièrement encore adhéré à des principes spécieux et funestes que propagent les adversaires de toute religion et, en premier lieu, de celle que Jésus-Christ a divinement révélée... »

1955 à 1957. Le 14 septembre 1955, la hiérarchie est établie en Afrique française et, le 30 novembre, a lieu le sacre du premier évêque camerounais.

C'est le 21 avril 1957, en la fête de Pâques, que parut l'encyclique « FIDEI DONUM » sur la situation des missions catholiques, en Afrique notamment, car « c'est l'heure où celle-ci s'ouvre à la vie du monde moderne et traverse les années les plus graves peut-être de son destin millénaire » (introduction).

Suit alors l'analyse de la situation de l'Eglise sur ce continent (première partie) : « ... l'ampleur de l'oeuvre réalisée ne saurait faire oublier que le travail qui reste à faire demande un immense effort et d'innombrables ouvriers », et cela d'autant plus que ce travail doit se poursuivre dans des conditions générales difficiles que le Saint-Père énumère alors.

Que faire en face d'une telle situation ? C'est de toute l'Eglise que, sous l'impulsion de ce Siège apostolique, doit venir la réponse fraternelle à tant de besoins (deuxième partie). Elle doit venir des évêques d'abord « les premiers membres du Seigneur », ensuite de tous les fidèles. Pie XII y insiste longuement, se référant à l'encyclique «• Mystici Corporis » de 1943 et à la catholicité de l'Eglise.

Enfin (troisième et dernière partie), le Souverain Pontife énonce et développe le triple devoir missionnaire qui incombe aux fils de l'Eglise : prière, aumône et, pour certains, don de soi.

1958. Le 16 juillet, paraissait dans l'« Osservatore Romano » le texte latin de l'encyclique « Meminisse juvat », prescrivant « en faveur de l'Eglise frappée et persécutée » des prières publiques spéciales au cours de la neuvaine précédant la fête de l'Assomption.

En date des 8-9 septembre, le même « Osservatore Romano » publiait le texte latin d'une nouvelle encyclique « Ad Apostolorum Principis », datant du 29 juin précédent. Une fois de plus, Pie XII s'adressait, par ce document, à l'Eglise de Chine, l'exhortant et lui donnant ses directives dans les angoisses de l'heure.

Il y dénonçait ouvertement « l'Association dite patriotique » à laquelle « par tous les moyens on pousse les catholiques à adhérer... Sous le fallacieux prétexte de patriotisme, en effet, l'association veut avant tout conduire graduellement les catholiques à donner leur adhésion et leur appui aux principes du matérialisme athée, négateur de Dieu et de toutes les valeurs spirituelles... Il y aurait des gens, même parmi le clergé, hélas ! qui osent jeter la suspicion et accuser le Saint-Siège de malveillance envers votre pays. Partant de ce présupposé faux et offensant, ils ne craignent pas de limiter à leur gré le magistère suprême de l'Eglise... »

Le pape en vient alors à mentionner « comme signe de cet esprit d'insoumission à l'Eglise un fait grave... le prétendu droit des catholiques d'élire leurs évêques de leur propre initiative... » Pie XII rappelle alors longuement la doctrine catholique sur l'élection et la consécration des évêques, réfutant le prétexte « allégué par les chefs de l'Association pseudo-patriotique quand ils voudraient se justifier en invoquant la nécessité de pourvoir au ministère des âmes dans les diocèses privés de la présence de leur évêque ».

Si, parvenus au terme de ce rapide inventaire, nous nous demandons à présent : « Que convient-il surtout de retenir en ces pages ? », la réponse nous semble devoir être la suivante :

1. Durant tout son long pontificat, S. S. Pie XII a eu constamment présente à l'esprit la cause des missions, spécialement de celles où l'Eglise était persécutée. Ses paroles et ses actes, dont nous venons de mentionner les principaux, le prouvent amplement. Quant aux résultats obtenus, sous sa haute impulsion, par les missionnaires répandus dans le monde, qu'on en juge par ces quelques chiffres :

a) en 1939, à la mort de Pie XI, 526 circonscriptions ecclésiastiques (dont 211 créées par ce pape) relevaient de la S. C. * de Propaganda Fide ». On y comptait 21 143 328 catholiques confiés aux soins de 14 239 prêtres, dont 358 africains et un peu plus de 5000 asiatiques (cf. Agence Fides des 10 février et 28 octobre 1939). Quant aux évêques de race africaine, il n'y en avait point, les deux premiers ayant été sacrés en 1941 ; ceux de race asiatique atteignaient tout juste la dizaine (ibid., 2 février 1963) ;

b) en 1956-57, donc peu avant le décès de Pie XII et toujours d'après l'Agence Fides (10 janvier 1959 et 2 février 1963), ce même sacré dicastère comptait 683 circonscriptions ecclésiastiques, totalisant (non compris les 167 d'entre elles sous domination communiste) 34 817 702 catholiques assistés par 28 603 prêtres, dont 1811 africains et 5553 asiatiques. Quant aux évêques de race africaine, ils étaient 18 en 1957 et ceux de race asiatique, 61 à la même date.

2. Ces interventions de Pie XII en faveur des missions dénotaient de sa part une connaissance approfondie de leur situation et des remèdes qu'il convenait d'y apporter. Pour s'en rendre compte, qu'on veuille bien se référer à «• Evangelii praecones » du 2 juin 1951 pour les missions en général, à l'encyclique « Ad Sinarum Gentem » du 7 octobre 1954 pour la Chine et à « Fidei Donum » du 21 avril 1957 pour l'Afrique.

Encore n'est-ce là qu'une humble portion de l'énorme travail réalisé par Pie XII, qui * a toujours considéré comme le principal devoir de sa charge d'enseigner et de faire connaître la pensée de l'Eglise sur les multiples problèmes soulevés par la société d'aujourd'hui ». A elle seule, la liste des principaux documents de son pontificat « donne un aperçu de sa prodigieuse activité et de l'ampleur de ses préoccupations, depuis les humbles soucis des corps de métier les plus obscurs jusqu'aux grands problèmes de l'Eglise universelle ».

C'est ainsi qu'on ne pourra refermer ce présent volume des « Documents pontificaux de Pie XII » sans avoir encore présents à la mémoire ses deux importants radiomessages au monde entier (prononcés, l'un, le 1" septembre, l'autre, LE 24 décembre) et sans être absolument convaincu que cette activité inlassable ne pouvait prendre sa source qu'en une science et une piété toujours renouvelées.

Rome, le 25 juin 1963.

f GRÉGOIRE-PIERRE, cardinal AGAGIANIAN Préfet de la S. C. « de Propaganda Fide >


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ALLOCUTION AU PATRICIAT ET A LA NOBLESSE ROMAINE

(19 janvier 1944) 1

Comme à l'accoutumée, le Saint-Père après avoir reçu les voeux traditionnels du patriciat et de la noblesse romaine a répondu par cette allocution où il rappelle le rôle de la noblesse romaine, des élites et de la tradition dans la société actuelle :

Vous n'avez pas pensé, chers fils et chères filles, que les épreuves présentes qui arrêtent et troublent la paisible marche de la vie familiale et sociale dussent vous empêcher de venir, comme les autres années, Nous offrir avec une filiale dévotion l'hommage de vos voeux. Cette époque tragique et douloureuse, pleine d'inquiétudes et de soucis, impose de graves devoirs, mesures et résolutions pour la reconstitution de la société humaine, lorsque l'épouvantable cataclysme mondial aura cessé et se sera calmé dans un lendemain pacifique. Jamais les prières n'ont été plus nécessaires ; jamais les voeux n'ont été plus opportuns. De toute l'affection de Notre âme, Nous vous remercions de ceux que vous Nous avez présentés par la voix de votre illustre interprète. Nous vous 'disons un merci encore plus grand pour le concours des intentions et des actions que Nous sommes toujours sûr de trouver en vous. Lorsque la maison brûle, le premier souci fait appeler au secours pour éteindre le feu ; mais après le désastre, il convient de réparer les dommages et de relever l'édifice.

Le cours de l'histoire.

Nous assistons aujourd'hui à l'un des plus grands incendies de l'histoire, à l'un des plus profonds bouleversements politiques et

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. V, p. 177 ; cf. la traduction française des Acte: de S. S. Pie XII, t. VI, p. 60.

z sociaux signalés dans les annales du monde. Un nouvel ordre social va lui succéder ; son secret reste encore caché dans le conseil et dans le coeur de Dieu, dont la Providence dirige le cours des événements humains et leur issue. Les choses terrestres coulent comme les eaux d'un fleuve dans le lit du temps ; le passé cède nécessairement la place et la voie à l'avenir, et le présent n'est qu'un moment fugace joignant l'un avec l'autre. C'est un événement, c'est un mouvement, c'est une loi, ce n'est pas en soi un mal. Le mal serait si ce présent, qui devrait être un flot tranquille dans la continuité du courant, devenait comme une trombe marine dévastant tout sur son parcours à la façon d'un typhon ou d'un ouragan, et creusant dans sa furie destructrice et violente un abîme entre ce qui fut et ce qui devait suivre. Ces sortes de bonds désordonnés que fait l'histoire dans son cours constituent alors et marquent ce qu'on appelle une crise, c'est-à-dire un passage dangereux qui peut conduire au salut ou à une ruine irréparable, mais dont l'issue est entourée de mystère au sein du brouillard des forces opposées.

Celui qui, avec attention, regarde, étudie et juge le passé plus rapproché de nous, ne peut nier que le mal réalisé aurait pu être évité et la crise conjurée grâce à une façon de procéder normale dans laquelle chacun aurait honorablement et courageusement accompli la mission que la Providence divine lui assignait.

Rôle du patriciat et de la noblesse romaine dans la société actuelle.

La société humaine n'est-elle pas ou du moins ne devrait-elle pas être une machine bien organisée dont tous les organes ou rouages concourent à l'action harmonieuse de l'ensemble ? Chaque organe a sa fonction propre ; chacun doit s'appliquer à faire mieux progresser l'organisme social ; il doit, selon ses forces propres et son efficacité particulière, en rechercher le perfectionnement, s'il aime véritablement son prochain et poursuit raisonnablement le bien et l'utilité de tous.

Mais quel rôle vous a-t-on spécialement confié, chers fils et chères filles ? Quelle charge particulière vous a-t-on attribuée ? Précisément celle d'aider ce développement normal : c'est le rôle que, dans la machine, joue et remplit le régulateur, le volant, le rhéostat qui participent à l'activité commune et reçoivent leur part de force motrice pour assurer le mouvement de régime de l'appareil. En d'autres termes, patriciat et noblesse, vous représentez et continuez la tradition.

Ces paroles, on le sait bien, sont pour beaucoup d'oreilles désagréables à entendre : elles déplaisent à bon droit quand elles sont prononcées par certaines bouches. Certains les comprennent mal ; d'autres en font l'étiquette mensongère de leur égoïsme inactif. Dans un tel dissentiment dramatique et équivoque, nombre de voix envieuses, souvent hostiles et de mauvaise foi, plus souvent encore ignorantes ou trompées, vous interrogent et vous demandent cavalièrement : « A quoi servez-vous ? » Pour leur répondre, il faut d'abord s'entendre sur le sens véritable et sur la valeur de cette tradition dont vous voulez être principalement les représentants.

Sens et valeur de la tradition.

Beaucoup d'esprits, même sincères, s'imaginent et croient que la tradition n'est pas autre chose que le souvenir, le pâle vestige d'un passé qui n'est plus, qui ne peut plus revenir, qui tout au plus est, avec respect, avec reconnaissance s'il vous plaît, relégué et conservé dans un musée que peu d'amateurs ou d'amis visitent. Si c'était en cela que consistait la tradition et à cela qu'elle se réduisait, et si elle impliquait le refus ou le mépris du cheminement vers l'avenir, on aurait raison de lui refuser respect et honneur, et il faudrait regarder avec pitié les rêveurs du passé, qui retardent en face du présent et de l'avenir ; et avec une sévérité plus grande ceux qui, poussés par une intention moins respectable et moins pure, ne sont rien d'autre que les déserteurs des devoirs de l'heure si douloureuse qui s'écoule.

Mais la tradition est chose très différente du simple attachement à un passé disparu ; elle est tout l'opposé d'une réaction qui se méfie de tout progrès salutaire. Son nom lui-même étymologiquement est synonyme de marche et de progrès. Synonymie, non identité. De fait, tandis que le progrès indique seulement le fait de la marche en avant, un pas devant l'autre, en cherchant du regard un avenir incertain, la tradition, elle, signifie encore une marche en avant, mais un cheminement continuel qui se déroule en même temps avec tranquillité et vigueur, selon les lois de la vie, échappant à l'angoissante alternative : « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait ! » Elle ressemble à M. de Turenne dont il a été dit : « Il a eu dans sa jeunesse toute la prudence d'un âge avancé, et dans un âge avancé toute la vigueur de la jeunesse. » 2 Sous la force de la tradition, la jeunesse, éclairée et guidée par l'expérience des anciens, s'avance d'un pas

2 Fléchier, Oraison funèbre, 1676.

plus assuré, et la vieillesse transmet et livre avec confiance la charrue à des mains plus vigoureuses qui vont continuer le sillon commencé. Comme l'indique son nom, la tradition est le don qui passe de génération en génération, le flambeau que le coureur remet, à chaque relais, dans la main d'un autre coureur sans que la course s'arrête ou se ralentisse. Tradition et progrès se complètent réciproquement et avec tant d'harmonie que, de même que la tradition sans le progrès se contredirait avec elle-même, ainsi le progrès sans la tradition serait une entreprise téméraire, un saut dans la nuit.

Non, il ne s'agit pas de remonter le courant, de reculer vers des formes de vie et d'action des âges disparus, mais bien en prenant et en suivant ce que le passé a de meilleur, de marcher face à l'avenir avec la vigueur d'une jeunesse inchangée.

Vocation du patriciat romain.

Mais en marchant ainsi, votre vocation apparaît déjà toute tracée, grande et laborieuse ; elle devrait dès lors vous mériter la reconnaissance de tous et vous mettre bien au-dessus des accusations qui vous seront adressées d'un côté ou de l'autre.

Tandis que vous visez sagement à aider le vrai progrès vers un avenir plus sain et plus heureux, ce serait de l'injustice et de l'ingratitude que de vous reprocher ou de trouver déshonorant le culte du passé, l'étude de son histoire, l'amour des bonnes moeurs, la fidélité inébranlable aux principes éternels. Les exemples glorieux ou funestes de ceux qui ont précédé l'époque actuelle sont une leçon et une lumière devant vos pas. On a déjà dit avec raison que les enseignements de l'histoire font de l'humanité un homme toujours en marche et qui ne vieillit jamais. Vous vivez dans la société moderne non comme des émigrés dans un pays étranger, mais comme des citoyens bien méritants et distingués qui entendent et veulent travailler et collaborer avec leurs contemporains afin de préparer la guérison, la restauration et le progrès du monde.

Il y a des maladies de la société comme des individus. Ce fut un grand événement dans l'histoire de la médecine quand, un jour, le célèbre Laënnec, homme de génie et de foi, penche avec anxiété sur la poitrine des malades, armé du stéthoscope qu'il avait inventé, en fit l'auscultation, percevant et interprétant les souffles les plus légers, les phénomènes acoustiques à peine perceptibles des poumons et du coeur. N'est-ce pas une fonction sociale de premier ordre et de haut intérêt que de pénétrer au sein du peuple et de prendre conscience des aspirations et des malaises des contemporains, de percevoir et de discerner les battements de leurs coeurs, de chercher le remède aux maux communs, de toucher délicatement les plaies pour les guérir et les préserver de l'infection toujours possible par suite du manque de soins, en évitant de les irriter par un contact trop brutal ?

Comprendre, aimer dans la charité du Christ le peuple de votre temps, donner par des faits la preuve de cette compréhension et de cet amour, voilà l'art et la manière de faire ce plus grand bien qui dépend de vous, non seulement directement à ceux qui vous entourent, mais dans un champ pour ainsi dire illimité quand votre expérience devient un bienfait pour tous. Quelles magnifiques leçons donnent en cette matière tant de nobles esprits qui tendent avec ardeur et élan à faire connaître et à établir un ordre social chrétien !

Un préjugé à combattre.

Non moins offensant pour vous, non moins dommageable à la société serait le préjugé mal fondé et injuste qui ne craindrait pas de faire croire et d'insinuer que le patriciat et la noblesse manqueraient à leur propre honneur et à la dignité de leur rang en prenant et en exerçant des fonctions et des charges qui les mettraient en dehors de l'activité générale. Il est bien vrai qu'en des temps anciens l'exercice d'une profession, si l'on excepte le métier des armes, n'était pas ordinairement regardé comme digne des nobles ; mais, même alors, de nombreux membres de la noblesse n'hésitaient pas, aussitôt que la défense armée les rendait libres, à s'adonner à des travaux intellectuels ou au travail des mains. Aujourd'hui, par suite du changement des conditions politiques et sociales, il n'est pas rare de trouver des noms de grandes familles associés aux progrès de la science, de l'agriculture, de l'industrie, de l'administration publique, du gouvernement ; ces hommes sont des observateurs d'autant plus perspicaces du présent, des pionniers de l'avenir d'autant plus sûrs et ardents, qu'ils sont fermement attachés au passé, prompts à tirer profit de l'expérience de leurs ancêtres, prêts à se garantir contre les illusions ou les erreurs qui furent déjà la cause de beaucoup de faux pas très dommageables.

Devoirs du patriciat d'aujourd'hui.

Gardiens, comme vous voulez l'être, de la vraie tradition qui honore vos familles, vous avez le devoir et 'la gloire de contribuer au salut de la communauté humaine, en la préservant soit de la stérilité à laquelle la condamneraient les contemplateurs mélancoliques trop jaloux du passé, soit de la catastrophe à laquelle l'achemineraient et la conduiraient des aventuriers téméraires ou les prophètes hallucinés 'd'un avenir trompeur et mensonger. Dans votre activité apparaîtra au-dessus de vous et en vous comme l'image de la Providence divine qui, avec force et douceur, dispose et dirige toutes les choses vers leur perfectionnement (cf. Sag. Sg 8,1), tant que la folie de l'orgueil humain n'intervient pas pour contrecarrer ses desseins, toujours par ailleurs supérieurs au ma'l, au hasard et à la chance. Par cette activité, vous serez également de précieux collaborateurs de l'Eglise qui, même au milieu des agitations et des conflits, ne cesse pas de favoriser le progrès spirituel des peuples, cité de Dieu sur la terre préparant la cité éternelle.

Nous implorons les plus abondantes grâces célestes sur votre mission sainte et féconde à laquelle, Nous en sommes certain, vous continuerez fermement à répondre, en travaillant avec un zèle et un dévouement qui sont plus que jamais nécessaires dans ces jours pénibles. En attendant, Nous donnons de grand coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique à vous et à vos chères familles, aux présents et aux absents, aux bien-portants et aux malades, aux prisonniers, aux dispersés, à tous ceux qui se trouvent exposés aux plus dures souffrances ou aux plus graves dangers.


Pie XII 1944