Pie XII 1944 - ALLOCUTION AU PATRICIAT ET A LA NOBLESSE ROMAINE


CHIROGRAPHE CONCERNANT L'ADMINISTRATION

DE L'INSTITUT POUR LES OEUVRES DE RELIGION

(24 janvier 1944) 1

Ce chirographe complète le chirographe du 27 juin 1942 en définissant l'ordre administratif de l'Institut.

Par Notre chirographe du 27 juin 1942, Nous avons fondé et érigé dans la Cité du Vatican l'Institut pour les OEuvres de religion lui attribuant la personnalité juridique et maintenant en vigueur pour cet Institut les dispositions du statut que Nous avions approuvé le 17 mars 1941 pour l'administration préexistante des OEuvres de religion, pour autant que ces dispositions ne sont pas en opposition avec le présent chirographe et jusqu'à ce qu'apparaisse l'opportunité de les réformer.

Le cardinal Carlo Cremonesi qui avait assuré avec tant de zèle la présidence de l'office administratif d'abord de l'Administration des OEuvres de religion, puis de l'Institut érigé par Nous, ayant été récemment appelé à jouir du repos éternel, il y a lieu de procéder à la nomination d'un nouveau président de l'office administratif de l'Institut ; Nous avons décrété, et Nous disposons par Notre autorité, que soient prises les dispositions suivantes :

I. — Le président de l'office administratif de l'Institut pour 'les OEuvres de religion est un prélat à nommer par la Commission cardinalice de vigilance de cet Institut. Il exerce toutes les fonctions qui étaient déjà de la compétence du cardinal président de cet Institut.

1 D'après le texte latin des A. A. S., 36, 1944, p. 45.

II. — Le secrétaire, le substitut, les employés subalternes de l'office administratif et les consulteurs de cet office sont nommés par ladite Commission cardinalice de vigilance.

III. — La même commission nomme deux reviseurs ordinaires de compétence éprouvée en la matière pour faire les vérifications périodiques prescrites par les statuts et la revision administrative et financière annuelle ainsi que l'examen du bilan de chaque année avec rapport à présenter à la Commission cardinalice. La même commission nommera les experts qu'elle voudrait éventuellement charger d'inspections extraordinaires.

IV. — Le prélat président est secrétaire de la Commission cardinalice de vigilance de l'Institut pour les OEuvres de religion et aussi le ponent c'est-à-dire le rapporteur pour les matières inscrites à l'ordre du jour dans les séances de la commission.

V. — Pour tous les effets juridiques, l'Institut est représenté conjointement par le prélat président de l'office administratif et par le secrétaire de cet office.

VI. — La Commission cardinalice de vigilance de l'Institut rédigera et Nous proposera les modifications au statut du 17 mars 1941 qui apparaîtraient nécessaires pour l'exécution du présent chirographe.

VII. — Toute disposition contraire à Notre présent chirographe est abrogée.

VIII. — Notre présent chirographe sera publié dans les A. A. S.


LETTRE

AU DOYEN DE LA FACULTÉ D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DE L'UNIVERSITÉ GRÉGORIENNE

(10 février 1944) 1

A l'occasion du XXVe anniversaire de la consécration episcopale de Pie XII, les professeurs de la Faculté d'histoire ecclésiastique de l'Université grégorienne ont dédié et offert au pape, en hommage spécial, un volume de « Miscellanea » ou « Xenia Piana » qui contenait huit monographies embrassant toutes les époques de l'histoire bimillénaire du pontificat romain. Le Saint-Père a daigné répondre par la lettre suivante au R. P. Leturia S. ]., doyen de cette Faculté :

Parmi les nombreux témoignages de considération et de respect par lesquels l'Université pontificale grégorienne a célébré la XXVe année de Notre épiscopat, l'un surtout Nous a été particulièrement agréable. Il s'agit de l'hommage de l'ouvrage ayant pour titre Xenia Piana. Il Nous a été respectueusement dédié et offert par les docteurs et professeurs de la Faculté qui, dans cette même Université, se consacrent avec ardeur aux recherches et à l'enseignement de l'histoire ecclésiastique.

Au début de Notre pontificat, dans le discours adressé, le 24 juin 1939, aux élèves des instituts ou collèges romains de l'un et l'autre clergé, Nous avons clairement exposé2 combien Nous apprécions cette discipline, quelles règles on doit suivre dans leur enseignement, quelle abondante matière offrent les monuments, les bibliothèques et les archives de Rome pour arriver à une connaissance plus profonde

1 D'après le texte latin des A. A. S., 36, 1944, p. 101 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VI, p. 67.

2 Voir Documents Pontificaux 1939, p. 151.

et plus juste de l'histoire de l'Eglise depuis ses origines jusqu'à notre époque. Ces sciences, « quand il s'agit de leur enseignement à l'école, ne doivent pas s'arrêter tellement aux questions critiques et purement apologétiques — bien que ces questions aient leur importance — mais plutôt tendre à montrer la vie active et complexe de l'Eglise ». Cette vie complexe et variée, mise comme sous nos yeux durant le cours des siècles, aide beaucoup — et il Nous tient à coeur de l'affirmer de nouveau aujourd'hui — à former un jugement réfléchi sur la condition de l'Eglise et à concevoir un sincère amour envers elle.

Il est évident que cette science de l'histoire ecclésiastique fera défaut aux professeurs, s'ils ne sont pas chaque jour davantage et avec plus de succès formés en cette science par le moyen d'études spécialisées et d'exercices techniques, surtout qu'à l'étude assez difficile de l'histoire ecclésiastique font obstacle les dangers soit d'une érudition indigeste, soit de l'emploi d'une critique ou déficiente par ignorance ou imprudemment excessive, soit surtout de cette appréciation des choses de l'Eglise qui, dérivant facilement d'une imitation des auteurs acatholiques, s'efforce d'une façon téméraire de juger et de mesurer avec les maigres ressources de notre intelligence des événements qui dépassent fréquemment les forces humaines.

C'est pourquoi, après que Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Pie XI, eut, par la Constitution Deus scientiarum Dominus, élevé l'histoire ecclésiastique au rang de science primaire ou de matière principale dans la Faculté de théologie et qu'il eut prescrit que les professeurs des diverses branches fussent pourvus chacun du doctorat, il advint très opportunément qu'on établit également dans Notre Université grégorienne une Faculté complète et spéciale d'histoire ecclésiastique qui devait, comme le faisaient les autres instituts et facultés déjà existants à Rome et énumérés dans la Constitution elle-même, préparer les professeurs des sciences sacrées.

Vous avez voulu Nous offrir, en témoignage de l'activité diligente de votre Faculté pendant ces dix ans écoulés, principalement pour préparer et former parfaitement les meilleurs maîtres, dix-neuf dissertations rédigées avec un soin attentif par des élèves de nationalités et de langues diverses.

Nous voulons, en outre, louer comme elle le mérite la série ou collection intitulée : Miscellaneorum Historiae Pontificiae, inaugurée dès la première année de Notre pontificat par votre même Faculté d'histoire ecclésiastique, et dont le septième volume porte le titre de Xenia Piana. Nous faisons des voeux pour que ces Miscel-


UNIVERSITÉ GRÉGORIENNE

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lanea soient le prélude d'une oeuvre plus ample par laquelle vous vous efforcerez, par vos travaux et vos soins, de continuer et d'achever les publications monumentales sur l'Histoire des Papes que des savants remarquables ont fait paraître jusqu'à présent. Assurément, nulle part plus commodément que dans cette ville de Rome où tout invite à ce travail, on ne peut explorer et entreprendre l'histoire des Pontifes romains, histoire pour la préparation de laquelle il n'existait auparavant aucune collection continue de recueils de documents ou registres.

Afin que votre travail et le travail de ceux qui vous prêteront leur concours soient plus fructueux, Nous accordons de tout coeur dans le Seigneur la Bénédiction apostolique, gage du secours céleste et témoignage de Notre affection, à vous, cher fils, à vos collaborateurs et à tous les élèves de votre Faculté d'histoire ecclésiastique.


DISCOURS AUX CURÉS ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME

(22 février 1944) 1

Comme à l'accoutumée, le Saint-Père a reçu les curés de Rome et les prédicateurs de carême. Après leur avoir expliqué les articles du Credo les deux années précédentes, il leur a montré cette année comment ils devaient présenter aux fidèles les principaux commandements de Dieu.

Contentement et réconfort paternel.

L'insondable dessein de Dieu qui Nous a établi, sans aucun mérite de Notre part, Père commun des fidèles, Nous a, dans le passé, fait très souvent goûter la joie d'accueillir Nos chers fils et Nos chères filles des pays éloignés, désireux d'entendre Notre parole, Nos avis, Nos encouragements, Notre exhortation au bien. Par contre, aujourd'hui, les conditions si peu favorables aux voyages et aux séjours ont eu pour effet de Nous obliger à renoncer à une aussi chère consolation. De même, il ne Nous est plus donné de saluer les groupes de nouveaux époux qui, les années précédentes, se pressaient nombreux autour de Nous pour Nous entendre parler de la doctrine de l'Eglise sur ce grand sacrement et sur la vie conjugale, et pour implorer sur les commencements de leur communauté familiale le soutien de la main divine. Au reste, s'ils n'entendent plus ici de près Notre parole, Nous voulons néanmoins espérer que, bien que de loin, la voix paternelle de Nos radiomessages et de Nos bénédictions qui, à travers les vicissitudes de la guerre, rapprochent leurs coeurs du Nôtre, leur est parvenue.

Mais, si ces renoncements, que le temps présent réclame de Nous, Nous affligent, le plaisir et le réconfort de voir réunis ici,

1 D'après le texte italien des A. A. S., 36, 1944, p. 69 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VI, p. 70. Les sous-titres sont ceux du texte original.

avec les prédicateurs du carême, vous, chers fils, auxquels est confiée, sous la direction sage et expérimentée de Notre Vénérable Frère le cardinal vicaire, le soin spirituel des fidèles de Notre diocèse, sont d'autant plus grands. Votre présence est pour Nous la vision morale du peuple de Rome, Ville éternelle, plus que dans le temps, dans la destinée indéfectible de l'Eglise, qui a ici son chef visible et son centre de vie et de propagation de la foi, de la charité et de l'espérance dans le monde, avec une autorité et une loi qui contient les préceptes les plus nobles que le Christ lui-même a rétablis par sa parole et renouvelés par son Evangile. Comme lui-même l'affirme, il n'est pas venu nous soustraire à la loi et l'abolir, mais l'accomplir et la parfaire (cf. Mt 5,17). Avec sa doctrine et son enseignement, il a accompli les dix commandements que Dieu promulgua sur le Sinaï pour le peuple d'Israël.

Le précepte de la charité.

Un précepte du Christ qui renferme la voie la plus parfaite et qui résume tous les autres, c'est le précepte de la charité (cf. Rom. Rm 13,8-10 1Co 12,31). Notre âme est encore émue quand elle se souvient comment, l'année dernière, vous vous êtes unis à Nous d'une façon spéciale dans l'activité charitable par laquelle Nous Nous sommes efforcé de soulager, autant que Nos moyens, hélas ! trop limités, le permettaient, les misères qui affluaient à Rome avec les malheureux et qui imploraient un soulagement non moins de Notre coeur que de Nos mains et Nous sollicitions encouragement et secours ; misères et malheureux qui n'ont fait de mois en mois que s'étendre toujours davantage. Nous vous remercions de votre touchante collaboration. Nous sommes heureux de saisir l'occasion de Notre rencontre avec vous pour remercier vivement et louer tous les prêtres de Rome et des régions éprouvées par la guerre qui, pasteurs fidèles, sont restés, malgré les peines et les épreuves de tout genre, au milieu de leurs troupeaux. Comment ne pourrions-Nous pas être satisfait et content en apprenant comment, dans sa portion la meilleure, le clergé s'est montré, en de nombreux endroits, courageux, vaillant, empressé à secourir, s'exposant même aux plus grands dangers — un de vos confrères, curé à Rome, n'a-t-il pas donné sa vie pour accomplir son ministère ? — aux heures des plus cruelles détresses et misères ? Vous avez distribué aux malheureux le pain et la nourriture qui alimentent le corps, mais l'homme a autant besoin d'un aliment et d'un pain spirituel qui nourrissent son âme.

L'aliment spirituel.

Vous qui avez la charge des âmes et vous, orateurs sacrés, c'est cet aliment, cette substantielle nourriture que vous donnez au peuple de Rome, pour que l'esprit qui anime le corps se fortifie, grâce à la doctrine du Christ et aux exhortations à la pratique de la vertu et des commandements de Dieu et de l'Eglise en qui se trouve le progrès devant Dieu dans cette perfection de vertu et de justice que le caractère bien trempé du chrétien exige. Pain véritablement très substantiel que la parole de Dieu qui, chaque année pour la préparation à la fête de Pâques, retentit dans les églises aux oreilles de ceux qui ressentent encore dans leur âme la faim de la doctrine, laquelle éclaire l'intelligence en lui faisant connaître ses propres devoirs, rend victorieux des passions, élève au-dessus de ce monde matériel encombré de mille dangers qui sont de si grands obstacles sur le chemin du salut.


I. — DES COMMANDEMENTS DE DIEU EN GÉNÉRAL

Culture religieuse et observance des commandements.

On vous a prescrit, pour les prédications de carême de cette année, d'expliquer le Décalogue aux fidèles et de les exhorter à l'observer. Les dix commandements sont une loi donnée par Dieu lui-même, dans laquelle se reflète la force de la raison humaine et de l'intelligence des sages 2. Pourtant, pour celui qui considère les conditions religieuses et morales de l'heure présente, ce qui apparaît n'est-ce pas un pénible contraste entre le plus haut degré de formation religieuse offerte aujourd'hui au peuple d'une part et, de l'autre, le peu de profit qu'il en retire et la faible force d'élan qui en dérive dans la pratique de la vie ? Dans les précédentes périodes de l'histoire de l'Eglise, l'enseignement religieux était en général bien plus simple, mais ce qui y suppléait c'était qu'en fait tout l'ensemble de la vie humaine était dominé et, grâce à de nombreuses coutumes chrétiennes, imprégné de la crainte de Dieu et de l'obligation imprescriptible de pratiquer ses commandements.

Depuis la moitié du siècle dernier, non seulement la science catholique s'est, dans un admirable élan, répandue toujours davan

2 S. Thomas, Ia II", q. 100, a. 3.

tage, mais le magistère ecclésiastique lui-même, plus qu'en d'autres temps, a exposé et éclairci sous tous ses aspects la foi catholique et indiqué les règles morales pour les situations les plus diverses, tant des individus que de la communauté, tâchant de toutes les manières possibles de donner et d'introduire dans les âmes une pareille richesse de lumière spirituelle. Mais quand on se demande si le niveau d'instruction religieuse et de moralité s'est élevé également d'autant chez le peuple catholique, la réponse ne peut être, trop souvent, affirmative. L'efficacité et la force de l'impulsion religieuse sont allés en diminuant et en disparaissant dans une lamentable opposition avec un développement doctrinal considérable.

Nous ne nierons pas, cela apparaît clairement, qu'il n'a pas manqué et qu'il ne manque pas de catholiques exemplairement fidèles aux commandements de Dieu ; ni l'héroïsme chrétien ni la sainteté ne font défaut. Sur ce terrain, notre époque ne le cède pas aux époques précédentes et Nous ne craignons pas de dire qu'elle en surpasse plusieurs. Mais regardez les opinions, les conditions et les institutions publiques et vous trouverez malheureusement qu'elles sont plus ou moins déchristianisées, pendant que le mépris et l'abandon d'une façon de vivre chrétienne se sont beaucoup répandus. Un courant antireligieux écrasant s'oppose aux chrétiens qui veulent conformer leur vie individuelle, familiale et publique à la loi de Dieu ; ils rencontrent de graves difficultés et obstacles à faire connaître et apprécier leurs convictions. Dès lors, un assez grand nombre faiblissent ou s'attiédissent dans la pratique de la religion. Pour respirer dans l'air corrompu des grandes cités modernes, pour y vivre chrétiennement sans en absorber le poison, il faut un profond esprit de foi et la force de résistance propre aux martyrs.

L'année dernière, Nous avons traité de ces conditions sociales en indiquant ce qui est requis pour bien prier et demander avec convenance l'aide divine. Mais s'il était nécessaire d'avoir ces conditions présentes à l'esprit pour parler de la vie de prière, les remémorer est doublement indispensable lorsqu'on veut rappeler la pratique des commandements de Dieu dans toute la conduite des hommes.

Doctrines erronées concernant la nature du péché grave.

Un fait qui se renouvelle toujours dans l'histoire de l'Eglise est celui-ci : lorsque la foi et la morale chrétienne se heurtent contre de forts courants contraires d'erreurs ou de convoitises déréglées, surgissent des tentatives de surmonter les difficultés au moyen de quelque compromis commode, autrement dit de les éviter et de les éluder.

Egalement en ce qui concerne les commandements de Dieu, on a cru avoir trouvé un expédient. On s'est dit : en matière morale il y a inimitié avec Dieu, perte de la vie surnaturelle, faute grave au sens propre, seulement quand l'acte dont on doit répondre a été posé non seulement avec la claire connaissance qu'il est contre le commandement divin, mais aussi avec l'intention expresse d'offenser par lui le Seigneur, de rompre l'union avec Dieu, de refuser de l'aimer. Si cette intention fait défaut, c'est-à-dire si l'homme de son côté n'a pas voulu rompre l'amitié avec Dieu, son acte, affirme-t-on, ne peut lui nuire. Apportons un exemple : les nombreuses et diverses violations du sixième commandement ne seraient, pour le fidèle qui au reste veut demeurer uni à Dieu et se conserver dans son amitié, nullement des manquements graves et n'impliqueraient pas une faute mortelle. Solution stupéfiante ! Qui ne voit que dans la claire connaissance qu'un acte humain déterminé est contre un commandement divin se trouve inclus ceci, à savoir que cet acte ne peut être dirigé au but de l'union avec Dieu, précisément parce qu'il contient l'aversion ou l'éloignement de l'âme de Dieu et de sa volonté (aversio a Deo fine ultimo), aversion qui détruit l'union et l'amitié avec 'lui, ce que réalise précisément le péché grave ? N'est-il pas vrai que la foi et la théologie enseignent que tout péché offense Dieu et tend à 'l'offenser, parce que l'intention renfermée dans la faute grave est contraire à la volonté divine exprimée dans les commandements qu'on transgresse ? Quand l'homme dit oui au fruit défendu, il dit non à Dieu qui lui défend ce fruit ; quand il se préfère lui-même et sa volonté à la loi de Dieu, il éloigne Dieu et son divin vouloir de lui ; c'est en cela que consiste l'aversion de Dieu et l'essence intime du péché grave. La malice de l'acte humain vient de ce qu'il n'est pas conforme à sa règle qui est double ; l'une prochaine et homogène, à savoir la raison humaine elle-même ; l'autre est la règle première, c'est-à-dire la loi éternelle qui est comme la raison de Dieu dont la lumière resplendit dans la conscience humaine, alors qu'elle lui fait voir la distinction entre le bien et le mal 3. Le véritable croyant n'ignore pas que l'intention tendant à l'objet de la faute mortelle n'est pas séparable de l'intention qui transgresse la volonté et la loi divine et brise toute amitié avec Dieu qui sait

S. Thomas, I» II", q. 71, a. 6.

reconnaître les droites et les mauvaises intentions des actes humains, les récompenser ou les punir dans sa pénétrante justice.

Vous voyez donc comment une pareille solution est dommageable à la vérité et à la sainteté chrétienne. Nous croyons, pour l'honneur de ceux qui l'ont trouvée et soutenue, qu'ils la renieraient eux-mêmes s'ils voulaient en tirer les conséquences logiques et appliquer cette solution à d'autres matières, par exemple, au parjure et à l'assassinat délibéré ; parce que ces péchés, également dans la majeure partie des cas, se commettent avec l'intention d'en faire des moyens en vue d'une fin qui serait le besoin de sortir d'une attitude difficile.

L'observance des commandements dans la parole du Rédempteur.

Du reste vous connaissez bien le sens de la parole du Christ : : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon i amour, comme moi j'ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour » (Jn 15,10). Donc, il n'y a qu'une seule voie pour arriver à l'amour de Dieu et pour se maintenir dans l'union et l'amitié avec lui : l'observance de ses préceptes. Les paroles comptent peu : ce qui a de la valeur ce sont les faits et c'est pour • cela que le Rédempteur a dit : « Ce n'est pas en me disant : Seigneur, Seigneur, qu'on entrera dans le royaume des cieux, mais c'est en -faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 7,21). Glorifier Dieu en accomplissant sa sainte volonté dans tous ses commandements, y conformer, plutôt y identifier notre volonté, c'est le chemin, et le seul, du ciel. Saint Paul proclame cet axiome de la vie morale dans une formule énergique : « Ne vous y trompez point ! ; ni impudiques, ni idolâtres, ni adultères, ni dépravés, ni infâmes, ni voleurs, ni cupides pas plus qu'ivrognes, insulteurs ou rapaces n'hériteront du royaume de Dieu » (1Co 6,9-10 cf. Gal. Ga 5,19-20). L'Apôtre des nations avait en vue non seulement l'abandon de Dieu par la négation formelle de la foi et par la haine explicite de Dieu, mais aussi toute transgression grave des vertus morales, et sa parole ne visait pas seulement l'habitude de pécher, mais encore tous les actes individuels contre la morale et la justice qui sont des péchés mortels et comportent de soi la damnation éternelle. Donner ainsi à l'homme religieux comme une carte d'immunité de toute faute dans tout ce qu'il pourrait accomplir contre les commandements de Dieu, ne pourrait certainement être estimé ni être en réalité la rédemption de la misère morale pour la suppression de laquelle l'Eglise travaille aujourd'hui.

s Droiture de la conduite de l'Eglise en face des déviations païennes.

Le paganisme semble être renaissant ; dans leurs livres et leurs poèmes, beaucoup l'ont exalté au-dessus du christianisme. Mais l'Eglise, dès son apparition dans le monde, s'est montrée, par la doctrine évangélique et par la vertu héroïque de ses apôtres et de ses fidèles, l'adversaire des sophismes et des persécutions hypocrites ou ouvertes du paganisme. Elle a toujours lutté de front, opposant aux détours du paganisme la force resplendissante des préceptes et des vertus chrétiennes. Les Epîtres de saint Paul donnent un éclatant témoignage de la noblesse des obligations morales apportées par la religion du Christ et de la lutte que les fidèles devaient soutenir pour les remplir. Mais aussi à la fin de l'époque apostolique, les lettres de l'Apocalypse aux sept Eglises en sont une affirmation non moins évidente par la continuelle répétition des mots : Vincenti... Qui vicerit..., « Au vainqueur, je ferai manger de l'arbre de vie, je donnerai de la manne cachée ; je confesserai son nom devant mon Père et devant ses anges, celui qui vaincra ne recevra aucun dommage de la seconde mort » (Ap 2, 7, 11, 17, 26 ; 3, 5, 12, 21).

La vie morale des premiers chrétiens.

La ferveur des chrétiens dans les premiers siècles les portait à professer leur foi ouvertement plutôt trop que peu ; à tel point que parfois leur austérité morale dépassa les limites mêmes de la raisonnable mesure demandée par l'esprit de l'Evangile. Les Pères de l'Eglise n'hésitèrent pas à condamner avec une grande rigueur, à cause des désordres qu'ils causaient, les spectacles, les combats des gladiateurs, les théâtres, les danses, les fêtes et les divertissements, qui pourtant semblaient naturels à la société païenne 4. Il n'est donc pas étonnant que la foi ait pu radicalement transformer et améliorer les moeurs de celui qui s'en approchait ; aussi, Origène, au IIIe siècle, pouvait-il dire aux ennemis du christianisme que ceux qui, dans l'Eglise, étaient moins estimés en comparaison des autres, apparaissaient cependant toujours meilleurs que les païens. Qui aurait dès lors confronté le chef d'une Eglise avec les gouverneurs des cités aurait reconnu que, parmi les dirigeants de l'Eglise de Dieu, même ceux qui, par rapport aux plus exemplaires, pouvaient être tenus

4 Cf. Hefele, Beitràge zur Kirchengeschichte, Archàologie und Liturgïk, Tubingen 1864, 1. Band, Ueber den Rigorismus in dem Leben und den Ansicbten der alten Christcn, p. 16 et suiv.

pour négligents dépassaient néanmoins quant à la vertu les magistrats civils5. Si donc aujourd'hui on pousse si souvent le cri : retour au christianisme primitif, qu'on commence à le mettre en pratique avec l'amélioration et la réforme des moeurs ; que ce cri ne soit pas une voix sans effet, mais un sérieux et effectif retour, tel que le demandent, comme vraiment il est nécessaire à notre temps, les exigences des affaires et de la vie morale.

Lutte contre le péché. Méfaits du quiétisme.

Au cours des siècles, l'Eglise a toujours marché dans la même voie et aujourd'hui encore elle n'agit pas autrement. Qui ne sait comment Notre prédécesseur Pie X, de sainte mémoire, a ouvert largement aux fidèles, et spécialement aux petits enfants, la porte vers les sources eucharistiques de la grâce ? Mais ce serait une funeste illusion de croire que l'efficacité du sacrement, Vopus operatum, dispense les âmes de coopérer à l'obtention de leur salut. Un des effets de ia Très Sainte Eucharistie, « qui est comme un antidote qui nous délivre des fautes quotidiennes et nous préserve des péchés mortels » 8, c'est précisément de donner la force pour combattre le péché. La vie du chrétien qui se modèle sur l'exemple du Christ est une vie de combat contre le démon, le monde et la chair. S'abandonner au quiétisme n'a jamais été un bien, un bien aujourd'hui moins que jamais, dans l'Eglise comme société et dans la vie religieuse de n'importe quelle personne. Puissent les fidèles qui écoutent la parole de Dieu prêchée en chaire ouvrir avidement leur intelligence à la connaissance de la vérité et de la vie surnaturelle qui leur est offerte ; mais il est nécessaire qu'ils fassent suivre cette connaissance de l'observance des commandements et que, persévérant dans les bonnes oeuvres, ils grandissent et se fortifient dans la grâce.

Il n'est pas dans Notre intention de favoriser un austère rigorisme. Quiconque a charge d'âmes sait, avec une bienveillante compréhension, tenir compte des personnes et des circonstances qui conseillent douceur et adaptation dans les choses non essentielles. Mais la raison et le devoir inflexibles ont un vaste terrain irréductible là où les commandements de Dieu interviennent, obligeant toujours et par-dessus tout à la soumission volontaire et au renoncement de soi et de ses propres passions, à la maîtrise des mauvais penchants

6 Cf. Origine, Contra Celsum, 3, 29-30 • Concile de Trente, session XIII, C. II.

et au renforcement de notre volonté consciencieuse pour les moments des plus graves résolutions.

Le Christ ne trouve pas l'héroïsme chez tous ; il tend la main et inspire courage à celui qui manifeste même seulement une trace de bonne volonté. Mais en même temps, il ne s'abstient pas de formuler les demandes les plus parfaites : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, se charge de sa croix chaque jour et qu'il me suive » (Lc 9,23). « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48). Pour conduire les hommes à un but aussi élevé, l'Eglise les aide tous, toujours avec l'intention de faire approcher de plus en plus de la perfection du Père céleste tous ceux qui croient au Christ et mettent en pratique ses enseignements et ses commandements.

Le Décalogue, fondement de l'ordre moral.

L'Eglise se tient sur la montagne, visible à tous, « mère des saints, image de la cité surnaturelle », pendant qu'il est visible que la déchristianisation a gagné et gagne du terrain. Mais ce fait, pour si douloureux qu'il soit, doit-il vous décourager dans votre ministère et votre apostolat ? L'Eglise est là sur son fondement, inflexible en face des défections et des persécutions parce qu'elle est la force de Dieu et du Christ. On a dit que si Dieu par hasard n'existait pas, il faudrait l'inventer 7. Sans un Dieu qui ait enseigné aux hommes la distinction et les limites du bien et du mal, une loi de moralité ne brillerait pas à la raison sur cette terre. Là où règne la foi en un Dieu personnel, l'ordre moral déterminé par les dix préceptes du Décalogue demeure ferme ; autrement, tôt ou tard, il s'écroule misérablement. Là seulement où cet ordre moral illumine l'esprit, dirige le coeur, commande aux passions, là la vie des individus et de la communauté est aidée et fortifiée et se montre digne de la créature raisonnable. Cet ordre moral seul garantit et ennoblit la dignité humaine dont les traits s'identifient avec ceux du Décalogue ; de sorte que, seulement si elle agit dans l'ordre moral, dans les limites des dix commandements, la libre volonté acquiert de la grandeur dans la vertu et dans ses actes, « comme le don le plus grand que Dieu, dans sa libéralité, ait fait à l'homme en le créant » 8. Si, au contraire, elle sort de ces limites et légitime tous ses caprices 9,

7 Cf. Fédor Dostoïevsky, Les Frères Karamazov. Trad. du russe, 1. II, n. 6, et 1. V, n. 3.

8 Dante, Paradis, 5, 19-20.

9 Idem, Enfer, 5, 56.

vous la voyez se transformer en un torrent impétueux qui a quitté son lit, franchit les digues, se déverse à travers la région, répandant dévastation et mort. N'est-il pas vrai que sans ces liens la libre volonté est plus dangereuse et plus audacieuse que l'instinct naturel des animaux sauvages ou féroces ? Les foules humaines qui ne connaissent pas Dieu dans la religion ne se peuvent à la longue contenir et diriger que par la terreur ; mais la terreur est la fin et la mort de la dignité et de la liberté humaines.

Aujourd'hui, l'humanité qui n'a pas fermé les yeux sur les mouvements sociaux, voit et contemple ce triste enchaînement de causes et d'effets, ainsi que leurs douloureuses et amères conséquences. Si la grande prospérité matérielle des dernières générations rend en quelque sorte lointains les maux dévastateurs qui dérivent de l'éloignement de Dieu ou au moins les recouvre, quand humainement parlant il y aurait pu avoir motif de découragement ; aujourd'hui, en ce temps de misère sans nom et sans secours qui a fait disparaître toute grande prospérité économique, voici que, au milieu de la destruction des institutions publiques, alors que la communauté humaine aurait d'autant plus besoin des forces religieuses et morales, se fait au contraire tristement sentir la diminution de la foi en Dieu et de la pratique de ses commandements. Ce que nous apprend l'expérience et la contemplation de cette heure tragique est comme un enseignement intuitif de l'avertissement de la Sainte Ecriture qui proclame que l'homme, libre de décider, doit savoir que ce qu'il aura choisi, eau ou feu, vie ou mort, ce qu'il aura préféré, lui sera donné (Si 15,17-18). Le temps qui si cruellement s'écoule et entraîne dans le sang et la souffrance tant de peuples et de nations, est vraiment apte à faire entendre et écouter les commandements de Dieu, non comme une parole d'ennuyeuse contrainte, comme on aime à se les représenter aux jours de prospérité extérieure et de bien-être matériel, mais comme une joyeuse nouvelle, comme une promesse de protection, de salut et de rédemption. Ainsi puissiez-vous l'annoncer au peuple !


Pie XII 1944 - ALLOCUTION AU PATRICIAT ET A LA NOBLESSE ROMAINE