Pie XII 1942 - ALLOCUTION AUX ENFANTS DE MARIE (25 octobre 1942)

ALLOCUTION AUX ENFANTS DE MARIE (25 octobre 1942)

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A l'occasion du LXXV anniversaire de la fondation des Enfants de Marie à Rome (1867) par l'abbé Passeri, chanoine du Latran, le Saint-Père a reçu en audience les déléguées d'Italie et leur a adressé l'allocution suivante :

C'est avec une joie particulière que Nous vous accueillons et saluons, chères filles, réunies autour de Nous en cette célébration du LXXV* anniversaire de votre pieuse union. Vous êtes désireuses de recevoir la bénédiction du Vicaire du Christ, bénédiction qui vous aidera à marcher avec fidélité — mieux encore, à avancer toujours davantage dans une sainte ardeur d'édification et de piété — dans le chemin que vous indiquent vos célestes patronnes, la Vierge Immaculée, Mère de Dieu, et Agnès, la martyre.

Nécessité de la force et de la pureté chez la jeune fille.

Pureté et force : ces deux vertus, nécessaires en tous temps, mais plus que jamais dans le nôtre, sont, les deux ensemble, le véritable charme et la protection de la jeune fille qui réunit en elle la grâce et la dignité, la retenue pleine de modestie et la franche et audacieuse activité.

L'exemple de Marie Immaculée.

Pure, incomparablement plus pure que tous les anges, dont elle est la Reine, l'Immaculée est aussi la femme forte, active, fidèle à tous ses devoirs, empressée à les accomplir en toutes circonstances, fussent-elles dures et terribles. A peine l'ange Gabriel lui a-t-il apporté le divin message que vous pouvez la contempler, servante du Seigneur qui contemple l'éminente dignité et la haute charge où elle est appelée : Mère glorieuse du Christ, au pied de la croix Mère douloureuse du Rédempteur, Mère de l'humanité souffrante et misérable, secours des chrétiens, refuge des pécheurs, consolatrice des affligés. Consciente de tant de grandeur et d'un tel fardeau, la Vierge, sans hésiter, répond oui à l'ange. Alors qu'elle était renfermée dans le recueillement du Temple, dans la solitude de sa petite demeure de Nazareth, la voici maintenant qui marche d'un pas rapide par les sentiers montagneux, impatiente de visiter et d'assister sa parente Elisabeth ; au début de la vie publique du Christ, nous la voyons, aux noces de Cana, veiller à ce que rien ne manque à la joie des époux et des convives ; perdue dans la foule, elle attend patiemment le moment de parler à Jésus ; le coeur transpercé d'un glaive, elle se tient debout au pied de la croix de son divin Fils ; au milieu des apôtres, elle prie et les prépare à recevoir la force d'en haut pour la diffusion de la Bonne Nouvelle.

Vous, chères filles, qui, réunies en ce moment devant Nous, semblez être comme une grande nuée toute blanche, sillonnée par vos rubans d'azur pareils à un ciel serein et resplendissant, n'oubliez pas que cette pureté et cette candeur doivent vous préparer aux devoirs de demain, vous soutenir, d'ores et déjà, dans les rudes devoirs d'aujourd'hui. Ce n'est pas tout d'un coup que Marie se trouva prête à dire sont Fiat ; elle s'y était préparée par sa force d'âme non moins que par sa pureté. Jeunes femmes et jeunes filles de notre temps, vous aussi vous devez regarder vers l'avenir ; vous entraîner dans la pureté et dans la force, vous rendre franchement promptes à passer du repos de la famille et de votre pieuse union à la vie sainte et joyeuse, mais aussi difficile, d'épouses et de mères chrétiennes. Dès maintenant, employez-vous à faire alterner les heures de liesse et de tranquillité de vos réunions avec l'activité extérieure, qui exige de vous un énergique et joyeux dévouement, dans l'oubli de vous-mêmes, dans l'accomplissement des devoirs de votre état, dans les fécondes entreprises de la charité.

Comme Marie Immaculée, vous devez marcher, sinon à travers les montagnes, du moins par les rues et les places publiques, et, agiles, alertes, mais circonspectes comme dans les excursions montagneuses, vous rendre là où vous appellent vos occupations ; vous devez, dans votre vie sociale, parmi vos parents, amis et connaissances, porter avec vous la gentillesse et l'aisance, l'honnête agrément d'une courtoisie aimable et empressée ; vous devez en toute simplicité et prudence, vous mêler à une foule si diverse, affligée ou frivole, indifférente ou hostile ! Debout au pied de la croix, vous avez à dominer vos impressions de peine ou de découragement, à vous maintenir fermes dans les épreuves de la vie pour compatir aux malheurs d'autrui, pour consoler et fortifier les autres. Ne voyez-vous pas quelle pureté et quelle force tout cela requiert, si vous voulez vraiment avoir le courage de faire chaque jour votre devoir, si vous voulez, parmi tant d'immondices, garder intacte la blancheur de votre voile, l'azur céleste de votre ruban ?

Les temps actuels sont bien différents des temps passés.

Les temps sont révolus, chères enfants, où il était donné à la jeune fille de conserver la fraîcheur de sa pureté, comme le lis conserve la neige de ses pétales et l'or de son pistil, à l'abri du vent et de la poussière, dans le jardin fermé de la famille et de l'école, de l'église et de la pieuse union. Il suffisait alors de la bonne volonté, avec le soutien du sentiment de la vertu, pour grandir, fleurir, et s'épanouir dans une adolescence et une jeunesse toutes de pureté, de piété, de candeur, ignorant jusqu'à l'erreur et le mal.

Le monde d'aujourd'hui est bien différent ! Tous ceux qui se penchent avec une plus grande attention et perspicacité sur les âmes de notre temps, pour discerner les causes et les manifestations de la crise intellectuelle et morale qui agite l'humanité, sont unanimes à signaler, parmi les formes les plus périlleuses d'un tel trouble, l'irréligiosité et Pamoralité qui ont pénétré une notable partie du monde féminin ; ils montrent avec quelle facilité, dès qu'on a banni de l'esprit et du coeur toute pensée et tout sentiment religieux, la femme adhère facilement aux plus funestes erreurs et, dans l'entraînement de la passion, se trouve incapable de s'arrêter et d'hésiter devant les conséquences extrêmes, fussent-elles les plus déraisonnables et les plus répugnantes, des doctrines qui l'ont séduite, et comment alors, pour elle, si riche de sensibilité, il n'est plus de frein qui puisse la retenir, soit dans le domaine des idées, soit dans le domaine de la conduite morale.

C'est ainsi que dans l'atmosphère troublée d'aujourd'hui la plus délicate enfant — jusqu'ici si jalousement gardée et défendue — se trouve, en sortant de sa maison ou de sa famille, exposée par nécessité à se sentir le front brûlé par un air embrasé, ou fouetté d'un vent glacial et les yeux aveuglés et endoloris par la poussière soulevée sur le chemin.

Dangers et tentations d'aujourd'hui.

Oui, vos yeux voient et verront, même sans le vouloir, des obscénités morales ; ils en seront comme éblouis, ils en éprouveront la morsure ; ils doivent pourtant s'habituer à réprimer et à mortifier la curiosité malsaine qui est complice des séductions du monde. Comme un vent de tempête, vous sentirez siffler à vos oreilles la tentation séduisante ou narquoise : il faut que, sans l'écouter, sans y prendre garde, vous passiez outre, dédaigneuses d'une parole ou d'un- regard.

Le vent tiède viendra, tôt ou tard, caresser votre front, enjôler votre coeur, ou peut-être même le vent brûlant viendra l'embraser d'une flamme trop vive et trop précoce ; conservez-le fidèle à Dieu, à la famille, aux bonnes amitiés. Quant à l'autre amour, attendez dans la sérénité l'heure fixée par la Providence, où un coeur vierge se donne entièrement et pour toujours.

Mais, parmi les vents, la poussière et la boue, ne vous attristez pas, ne vous découragez pas. Le même divin Esprit, qui chante dans le Cantique des Cantiques, le mystique jardin où il se plaît à cueillir des lis (Ct 6,2) exalte aussi l'humble lis des vallées, qui se dresse parmi les ronces (Ct 2,2).

L'exemple de sainte Agnès.

Votre Mère Immaculée, chères enfants, n'a pas connu la tentation, sinon en dehors d'elle, et, avec une incomparable acuité, dans le coeur de ses pauvres enfants en proie aux tentations. Mais, par contre, votre seconde patronne, sainte Agnès, l'a éprouvée, et sa vertu en retira, non certes un préjudice ni même une ombre, mais une nouvelle et plus brillante splendeur. Car sa pureté n'était pas un lis éclos d'une innocence ignorante et tranquille, mais la flamme d'un amour ardent, héroïque, plus fort que la mort. Rappelez-vous ce que dit d'elle saint Maxime dans son éloge de votre aimable patronne : « Elle regarde en face qui la flatte et elle le repousse ; qui la menace, et elle le méprise... Elle aime tant sa pureté que ni les railleries, ni les flammes, ni les tourments, ni les bourreaux ne l'effrayent. » 2.

2 S. Maxime de Turin, Sermon LVI, pour la fête de sainte Agnès ; Migne, P. L., t. LVII, col. 644

Mais n'allez pas croire que cette force d'âme se soit manifestée subitement d'elle-même devant la tentation ou l'assaut. Elle s'était depuis longtemps accumulée dans le coeur. « Agnès, écrit saint Grégoire le Grand, n'aurait pu soutenir pour le Seigneur la mort du corps si d'abord son âme n'avait été morte aux désirs terrestres. » 3 Héroïne d'amour pour le Christ, elle était morte d'abord à elle-même et au monde, pour vivre en Jésus-Christ.

Force et pureté : voilà ce que Nous demandons pour vous à la Vierge Immaculée et à la martyre sainte Agnès, comme les deux plus précieux ornements de votre coeur. Et pour mieux obtenir de Dieu, par leur intercession, cette grâce signalée, Nous vous donnons, d'un coeur paternel, la Bénédiction apostolique.

3 Homélie XI, prononcée dans ta basilique Sainte-Agnès, le jour de sa fête ; M igne, P. L„ LXXVI, col. 1115.

ALLOCUTION A UN GROUPE D'ÉCRIVAINS ET DE JOURNALISTES ROUMAINS (27 octobre 1942)

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Recevant en audience un groupe d'écrivains et de journalistes roumains venus en Italie, le Saint-Père leur a rappelé « le rôle éducateur d'une presse digne de sa haute mission ».

C'est avec un plaisir tout particulier que Nous souhaitons la bienvenue au groupe important d'écrivains et journalistes roumains, rassemblés en ce moment autour de Nous.

Ainsi que les autres Etats d'Europe et du monde entier emportés dans le tourbillon de la guerre, la Roumanie traverse, elle aussi, une période d'épreuves sans précédent dans l'histoire. Au milieu de l'enchevêtrement du gigantesque conflit, elle se trouve placée à un poste qui exige de sa part et qui réclame au plus haut degré activité et sacrifice.

De cette épreuve, personne n'est à même de saisir et de comprendre la portée avec plus de pénétration que vous qui, du fait de votre profession, avez l'habitude et le devoir de suivre jour par jour, heure par heure, le tragique kaléidoscope des événements de la guerre ; vous qui savez mieux que quiconque les pertes de sang et de biens, les angoisses physiques et morales que cette lutte mondiale coûte sur le front de combat comme sur le front intérieur ; vous qui percevez plus clairement que d'autres les formidables problèmes en présence desquels vont se trouver les peuples et la communauté des nations quand, une fois apaisé le fracas des armes, il s'agira de faire succéder au chaos des dissentiments et des haines une paix conforme aux préceptes de la conscience humaine et chrétienne.

(269) Quand sonnera cette heure, que Nous appelons de tous Nos voeux et pour laquelle Nous invoquons, anxieux, l'Esprit divin, auteur de tout bien et lumière des coeurs, il importe souverainement que, dans tous les peuples, se trouvent des caractères perspicaces et clairvoyants, sereinement impartiaux sans préjudice de l'amour envers leur patrie, caractères assez forts et résolus pour infuser dans la mentalité de leur propre pays cette lucidité de l'intelligence, cet élan de la volonté qui aboutissent à la réalisation d'une telle paix.

Dans ce noble mais indiciblement rude effort en vue d'une paix de justice et de modération, de loyale et équitable conciliation de tous les intérêts légitimes, de sauvegarde efficace des nécessités vitales même des nations numériquement plus faibles, économiquement plus pauvres, le rôle éducateur d'une presse digne de sa haute mission comporte une tâche dont l'ampleur réponde à la conscience qu'elle a de sa responsabilité.

Nous souhaitons sincèrement que, à vous aussi, il soit donné d'appliquer toutes les forces de votre esprit, toutes les énergies de votre volonté au service de cet idéal patriotique autant qu'humain et chrétien.

A S. M. le roi Michel et à son auguste mère, dont la visite Nous a laissé les plus chers souvenirs, au chef et aux membres du gouvernement, à tout le peuple roumain, Nous tenons à exprimer Notre affection et Notre satisfaction des rapports amicaux heureusement existants entre le Saint-Siège et votre patrie, sur laquelle Nous appelons du fond du coeur les plus exquises et les plus abondantes bénédictions du ciel.


RADIOMESSAGE AU PEUPLE PORTUGAIS A L'OCCASION DES SOLENNITÉS CÉLÉBRÉES EN L'HONNEUR DE NOTRE-DAME DE FATIMA (31 octobre 1942)

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Ce message radiophonique a été adressé au peuple portugais à l'occasion de la clôture de l'année jubilaire 1942 durant laquelle le Portugal a célébré ensemble le XXV anniversaire des apparitions de Fatima et le XXVe anniversaire de la consécration episcopale du pape :

« Bénissez le Dieu du ciel et glorifiez-le en présence de tous les vivants, parce qu'il a exercé envers vous sa miséricorde » (Tb 12,6).

Plus d'une fois, en cette année de grâce, vous êtes montés pieusement en pèlerinage sur la montagne sainte de Fatima, portant avec vous les coeurs de tout le Portugal croyant, pour y déposer aux pieds de la Vierge, votre patronne, dans cette oasis embaumée de foi et de piété, le tribut filial de votre plus pur amour, l'hommage de votre gratitude pour les immenses bienfaits que vous avez récemment reçus, la supplication confiante pour qu'elle daigne continuer son patronage sur votre patrie d'en deçà et au-delà des mers, et l'étendre à la grande tribulation qui tourmente le monde.

Nous qui, comme père commun des fidèles, faisons Nôtres toutes les tristesses comme les joies de Nos fils, avec toute l'affection de Notre âme, Nous Nous unissons à vous pour louer et magnifier le Seigneur, dispensateur de tout bien ; pour bénir et rendre grâces à Celle par les mains de qui la munificence divine nous communique des torrents de grâces.

1 D'après le texte portugais des A. A. S., 34, 1942, p. 313 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. IV, p. 248. Les sous-titres sont ceux donnés dans le texte original.

Et Nous le faisons avec d'autant plus de plaisir qu'avec une délicatesse filiale vous avez voulu associer dans les mêmes solennités d'actions de grâces et de supplication, le Jubilé de Notre-Dame de Fatima et le XXVe anniversaire de Notre consécration episcopale. La Sainte Vierge Marie et le Vicaire du Christ sur la terre, deux dévotions profondément portugaises et toujours unies dans le coeur du Portugal très fidèle depuis les premiers moments de sa vie nationale, depuis le jour où les premières terres reconquises, noyau de la future nation, furent consacrées à la Mère de Dieu, comme terre de Sainte Marie et où le royaume, à peine constitué, fut placé sous l'égide de saint Pierre.

Gratitude.

« Le premier et le plus grand devoir de l'homme est celui de la gratitude. » 2 « Il n'y a rien de plus agréable à Dieu que l'âme reconnaissante qui rend grâces pour les bienfaits reçus. » 3

Et vous avez une grande dette envers la Vierge, souveraine et patronne de votre patrie.

En une heure tragique de ténèbres et de discordes, quand le vaisseau de l'Etat portugais, ayant perdu la direction de ses plus glorieuses traditions, égaré par la tourmente antichrétienne et antinationale, paraissait courir sûrement au naufrage, inconscient des périls présents et plus inconscient de ceux à venir — dont, du reste, aucune prudence humaine, pour si clairvoyante qu'elle fût, ne pouvait alors prévoir la gravité — le ciel, qui voyait les uns et prévoyait les autres intervint, compatissant, et des ténèbres jaillit la lumière, du chaos surgit l'ordre, la tempête se calma en bonace et le Portugal put retrouver et rattacher le fil perdu de ses plus belles traditions de nation très fidèle, pour poursuivre — comme dans les jours où « dans la petite maison portugaise ne manquaient pas de chrétiennes audaces » pour « dilater la loi de la vie éternelle »4 — sa route glorieuse de peuple croisé et missionnaire.

Honneur aux vaillants qui furent l'instrument de la Providence pour une si grande entreprise !


2 S. Ambroise, De excessu fratris sui Sat., 1. I, n. 44 ; Migne, P. L., t. XVI, col. 1361.
3 Cf. S. Jean Chrysostome, Hom. LU in Gen. ; Migne, P. C, t. LIV, col. 460.
4 Camoëns, Lusiadas, canto VII, oitavas 3 et 14.

Mais d'abord, gloire, bénédiction, action de grâces à la Vierge Notre-Dame, Reine et Mère de sa terre de Sainte Marie, qu'elle a sauvée mille fois, qu'elle a toujours secourue dans les heures tragiques, et qui en cette heure peut-être la plus tragique, l'a fait si manifestement que déjà en 1934, Notre prédécesseur Pie XI, d'immortelle mémoire, dans la lettre apostolique Ex officiosis litteris, attestait « les extraordinaires bienfaits par lesquels la Vierge, Mère de Dieu, avait daigné, récemment encore, combler votre patrie » 5. Et à cette date, on ne pensait pas encore au voeu de mai 1936 contre le péril rouge, si redoutablement proche et si inespéré-ment conjuré.

La merveilleuse paix dont malgré tout le Portugal continue de jouir, n'était pas encore un fait ; cette paix qui, malgré les sacrifices qu'elle exige, est toujours beaucoup moins ruineuse que la guerre d'extermination qui ravage le monde 6.

Aujourd'hui, à tant de bienfaits s'en sont ajoutés de nouveaux ; aujourd'hui, une atmosphère de miracle baigne le Portugal, multiplie les prodiges physiques et de plus grands et de plus nombreux prodiges de grâce et de conversions, et fleurit dans ce printemps éclatant de vie catholique, prometteuse des meilleurs fruits ; aujourd'hui, avec bien plus de raison, Nous devons avouer que la Mère de Dieu vous a comblés de bienfaits réellement extraordinaires ; et il vous incombe le devoir sacré de lui rendre des actions de grâces infinies.

Vous l'avez remerciée durant toute cette année, Nous le savons bien. Les hommages officiels doivent avoir été agréables au ciel ; mais les sacrifices des petits enfants, la prière et la pénitence sincère des humbles ne doivent-ils pas l'avoir ému davantage encore ? A votre actif sont consignés dans les livres de Dieu : l'apothéose de la Vierge, Notre-Dame, dans son pèlerinage du sanctuaire de Fatima à la capitale de l'empire, durant les mémorables journées des 8 et 12 avril dernier, qui fut peut-être la plus grande démonstration de foi de l'histoire huit fois séculaire de votre patrie ; le pèlerinage national du 13 mai, « journée héroïque de sacrifices » qui, malgré le froid, la pluie et les énormes distances parcourues à pied, réunit à Fatima pour prier, pour remercier, pour réparer, des centaines de milliers de pèlerins, parmi lesquels se détachait, scintillant de beauté rénovatrice, l'exemple de la vaillante jeunesse catholique ;

5 La lettre apostolique Ex officiosis est du 10 novembre 1934. Le pape recommande l'Action catholique à l'épiscopat portugais ; il souligne que la Vierge Mère, récemment encore, a favorisé le Portugal de bienfaits extraordinaires. A. A. S.,XXVI, 1934, p. 628.
6 Allusion à la guerre de 1939-1945.


les réunions enfantines de la Croisade eucharistique, dans lesquelles les enfants, si chéris de Jésus, avec la confiance filiale de l'innocence, pouvaient affirmer à la Mère de Dieu « qu'ils avaient fait tout ce qu'elle avait demandé : prières, communions, sacrifices... par milliers », et pour cela, suppliaient : « Notre-Dame de Fatima, maintenant c'est à vous ; dites à votre divin Fils une seule parole et le monde sera sauvé, et le Portugal sera entièrement préservé du fléau de la guerre » ;

la précieuse couronne faite d'or et de pierreries, et, plus encore, de très pur amour et de généreux sacrifices, que, le 13 courant, dans le sanctuaire de Fatima, vous avez offerte à votre auguste patronne comme symbole et monument perpétuel d'éternelle reconnaissance.

Ces très belles démonstrations de piété et d'autres qui, sous l'activité zélée de l'épiscopat, ont été si fécondes dans tous les diocèses et toutes les paroisses durant cette année jubilaire montrent bien comment le fidèle peuple portugais prouve sa reconnaissance et veut satisfaire son immense dette envers sa céleste Reine et Mère \

Confiance.

La gratitude pour le passé est gage de confiance pour l'avenir. « Dieu exige de nous que nous lui rendions grâce pour les bienfaits reçus », non pas parce qu'il a besoin de nos remerciements, mais « parce que ceux-ci le disposent à nous accorder des bienfaits encore plus grands » 8.

Pour cela, il est juste de compter aussi sur la Mère de Dieu, qui, acceptant votre action de grâces, ne laissera pas son oeuvre incomplète et vous continuera l'indéfectible patronage qu'elle vous a accordé jusqu'à aujourd'hui en vous préservant des plus graves calamités.

Mais pour que la confiance ne soit jamais présomptueuse, il est nécessaire que tous, conscients de leurs propres responsabilités, s'efforcent de ne pas démériter la singulière faveur de la Vierge Mère, et même, comme de bons fils, reconnaissants et aimants, se concilient toujours davantage sa maternelle tendresse, et surtout qu'écoutant le conseil maternel qu'elle donnait aux noces de Cana, nous fassions tout ce que Jésus nous dit (cf. Jean, Jn 2,5) ; et il dit à tous de faire pénitence : poenitentiam agite (Mt 4,17) ; qu'ils réforment leur vie et fuient le péché, principale cause des grands châtiments par lesquels la justice éternelle punit le monde ; il nous dit d'être, au milieu de ce monde matérialisé et paganisant, dans lequel « toute chair a corrompu sa voie » (Gn 6,12), le sel qui conserve et la lumière qui éclaire ; de cultiver avec soin la pureté ; de refléter dans leurs moeurs la sainte austérité de l'Evangile, et hardiment et à tout prix, comme le proclamait la jeunesse catholique à Fatima, « de vivre en catholiques sincères et convaincus à cent pour cent ».

Mais encore : il faut que, remplis du Christ, les chrétiens répandent autour d'eux, tout près comme au loin, le parfum du Christ, et que, par la prière assidue, particulièrement par le chapelet quotidien et par le sacrifice que le zèle généreux inspire, ils obtiennent aux âmes pécheresses la vie de la grâce et la vie éternelle.

Alors, vous invoquerez avec confiance le Seigneur et il vous écoutera ; vous appellerez la Mère de Dieu et elle vous répondra : Me voici ! (cf. Is 58,9). Alors ne veillera pas en vain celui qui garde la cité, parce que le Seigneur veillera avec lui et la défendra ; et elle sera plus solide la maison reconstruite sur les bases d'un ordre nouveau, parce que le Seigneur la cimentera (cf. Ps 126,1-2). Heureux le peuple dont le Seigneur est Dieu, dont la Reine est la Mère de Dieu. Elle intercédera et Dieu bénira son peuple en lui accordant la paix, résumé de tous les biens : Dominus benedicet populo suo in pace. (Ps 28,11).

Supplique.

Mais vous ne vous désintéresserez pas (qui peut s'en désintéresser ?) de l'immense tragédie qui afflige le monde. Au contraire, plus éclatantes sont les grâces dont vous remerciez aujourd'hui Notre-Dame de Fatima, plus assurée aussi est la confiance que vous placez en elle relativement à l'avenir ; plus vous la sentez près de vous, vous protégeant de son manteau de lumière, plus tragique aussi apparaît, par contraste, le sort de tant de nations déchirées par la plus grande calamité de l'histoire. Redoutable manifestation de la justice divine ! Adorons-la en tremblant, mais ne doutons pas de la divine miséricorde, parce que le Père qui est dans les cieux ne l'oublie pas, même aux jours de sa colère : Cum iratus fueris, misericordiae recordaberis (Ha 3,2).

Aujourd'hui, au début de la quatrième année de guerre, devenue plus triste encore dans le sinistre élargissement du conflit, aujourd'hui plus que jamais, il nous reste seulement la confiance en Dieu et, comme Médiatrice devant le trône divin, Celle qu'un de Nos prédécesseurs, dans le premier conflit mondial, prescrivit d'invoquer comme Reine de la paix ! 9

Invoquons-la une fois de plus ; elle seule peut nous secourir ! Elle dont le coeur maternel s'est ému devant les ruines qui s'amoncelaient dans votre patrie et qui l'a si merveilleusement secourue. Elle qui, compatissante dans la prévision de l'immense malheur actuel par lequel la justice de Dieu punit le monde, avait déjà auparavant indiqué dans la prière et la pénitence le chemin du salut, elle ne nous refusera pas sa tendresse maternelle et l'efficacité de son patronage.

9 Cf. le décret de la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires du 16 novembre 1915, autorisant les évèques à ajouter temporairement l'invocation Regina pacis, ora pro nobis aux litanies de la Sainte Vierge. Actes de Benoît XV, t. 1er p. 149.


Consécration de l'Eglise et du genre humain au Coeur immaculé de Marie.

Reine du Très Saint Rosaire, secours des chrétiens, refuge du genre humain, victorieuse dans tous les grands combats de Dieu, nous voici suppliants et prosternés devant votre trône, assurés d'obtenir miséricorde, de recevoir grâces et aide opportune dans les calamités présentes, non en raison de nos mérites, dont nous ne saurions nous prévaloir, mais uniquement grâce à l'immense bonté de votre Coeur maternel.

C'est à vous, c'est à votre Coeur immaculé, qu'en tant que Père commun de la grande famille chrétienne et Vicaire de Celui à qui fut donné tout pouvoir dans le ciel et sur la terre (Mt 28,18), et de qui Nous recevons le soin de toutes les âmes rachetées par son sang et qui peuplent l'univers ; c'est à vous, c'est à votre Coeur immaculé qu'en cette heure tragique de l'histoire humaine, Nous confions, donnons, consacrons non seulement la sainte Eglise, Corps mystique de votre Jésus, qui souffre et verse son sang, persécutée en tant de lieux et de tant de manières, mais aussi le monde entier déchiré par de mortelles discordes, embrasé d'incendies de haine, victime de ses propres iniquités.

Laissez-vous émouvoir par tant de ruines matérielles et morales ; par tant de douleurs, tant d'agonies souffertes par des pères, des mères, des épouses, des frères, d'innocentes créatures ; par tant de vies brisées dans leur fleur, par tant de corps broyés dans d'horribles massacres, par tant d'âmes torturées et agonisantes, tant d'autres en péril de se perdre éternellement.

O Mère de miséricorde, obtenez-nous de Dieu la paix ! Et, avant tout, les grâces qui puissent en un moment convertir les coeurs humains, les grâces qui préparent, concilient, assurent la paix. Reine de la paix, priez pour nous et donnez au monde en guerre cette paix après laquelle les peuples soupirent, la paix dans la vérité, dans la justice, dans la charité du Christ. Donnez-nous la paix des armes et des âmes, afin que dans la tranquillité de l'ordre se dilate le règne de Dieu.

Etendez votre protection sur les infidèles et sur tous ceux qui sont encore dans les ténèbres de la mort ; donnez-leur la paix et faites que brille sur eux le Soleil de la vérité et qu'ils puissent avec nous, devant l'unique Sauveur du monde, répéter : « Gloire à Dieu dans les cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté » (Lc 2,14).

Aux peuples séparés par l'erreur et la discorde, spécialement à ceux qui vous ont voué une particulière dévotion, tellement qu'il n'était chez eux aucune maison où ne brillât votre vénérable icône (maintenant parfois cachée et réservée pour des jours meilleurs), donnez la paix et reconduisez-les à l'unique troupeau du Christ, sous l'unique et vrai Pasteur.

Obtenez la paix et la liberté complète à la sainte Eglise de Dieu ; contenez le déluge matérialiste du néo-paganisme ; développez dans les fidèles l'amour de la pureté, la pratique de la vie chrétienne, le zèle apostolique, pour que le peuple des serviteurs de Dieu augmente en mérite et en nombre.

Enfin, de même qu'au Coeur de votre Jésus furent consacrés l'Eglise et le genre humain tout entier, afin que toutes leurs espérances étant placées en lui il devint signe et gage de victoire et de salut19, qu'ainsi également ils vous soient désormais et à jamais consacrés, à vous et à votre Coeur immaculé, ô notre Mère et Reine du monde, pour que votre amour et votre protection hâtent le triomphe du règne de Dieu et que toutes les générations humaines, pacifiées entre elles et avec Dieu, vous proclament bienheureuse et, avec vous, entonnent d'un pôle du monde à l'autre l'éternel Magnificat de gloire, d'amour, de reconnaissance au Coeur de Jésus, en qui seul nous pouvons trouver la Vérité, la Vie et la Paix !

10 Cf. lettre encycl. Annum Sacrum ; Acta Leonis XIII, vol. XIX, p. 79.


Dans l'espérance que Notre supplique et Nos voeux seront favorablement accueillis par la bonté divine, à vous, cher cardinal patriarche, à Nos Vénérables Frères et à votre clergé, pour que la grâce d'en haut féconde de plus en plus votre zèle ; à l'Excellen-tissime président de la République, à l'illustre chef et aux membres du gouvernement, ainsi qu'aux autres autorités civiles, pour que le ciel, dans cette heure particulièrement grave et difficile, continue à les assister dans leur action en faveur du bien commun et de la paix ; à tous Nos bien-aimés fils du Portugal continental, insulaire et d'outre-mer, pour que la Vierge Notre-Dame confirme le bien qu'elle a daigné opérer chez vous ; à tous les Portugais et à chacun d'eux, comme gage des grâces célestes, Nous donnons avec tout Notre amour et Notre affection paternelle la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(4 novembre 1942) 1

Le Saint-Père poursuit à l'occasion de cette audience son exposé sur la fidélité conjugale (cf. ci-dessus p. 257):

II. — Fidélité illusoire.

Vous avez bien raison, chers jeunes époux, après avoir célébré vos noces, de venir solliciter pour vous-mêmes, pour votre amour et votre fidélité, la bénédiction du Vicaire du Christ. La loi du divin Rédempteur, qui est une loi d'amour, est aussi une loi qui protège et conserve le véritable amour et la vraie fidélité. C'est une loi d'amour qui ne se confine pas dans l'étroitesse des prescriptions minutieuses et extérieures d'un code, mais qui pénètre l'esprit, le coeur, jusqu'à exclure le simple péché de désir (cf. Mt 5,27-28).

Est-ce qu'il y aurait donc sous des apparences de fidélité une secrète infidélité cachée au plus profond du coeur ? Sans aucun doute, puisque c'est du coeur que viennent, dit Notre-Seigneur Jésus-Christ, les mauvaises pensées et les autres iniquités (cf. Matth. Mt 15,19). Hélas ! ce péché d'infidélité secrète est même si fréquent que le monde n'y fait plus attention et que la conscience s'y habitue, comme assoupie dans le charme d'une illusion.

Toutefois contre ces charmes trompeurs se dresse la vraie fidélité, laquelle a pour objet et pour fondement — Nous l'avons expliqué dans Notre dernière allocution — le don mutuel non seulement du corps des deux époux, mais de leur esprit et de leur coeur. N'est-il pas vrai que la moindre infraction à cette exquise et intime fidélité conduit facilement, tôt ou tard, aux grandes faillites de la vie et du bonheur conjugal ?


Délicate, la vraie fidélité est incompatible avec la licence de la vie actuelle.

1. C'est une vertu délicate entre toutes que la fidélité symbolisée par l'anneau nuptial. Avant d'être formulée et promulguée par le Christ, elle avait été inscrite par le Créateur au cceur des justes. D'où la mémorable et célèbre parole de Job sur le pacte conclu avec ses yeux de s'abstenir de tout regard impur (cf. Jb 31,1).

A cette austère réserve, privilège d'un coeur maître de soi-même, comparez la conduite de tant de chrétiens qui ont été dès leur naissance lavés dans l'eau de la régénération et élevés dans la rayonnante lumière de l'Evangile. Pareils aux enfants toujours portés à découvrir une exagération dans les angoisses de la sollicitude maternelle, ils sourient des anxiétés morales de leur Mère l'Eglise. Et pourtant, elle n'est pas seule à s'inquiéter : tous les honnêtes gens, même éloignés du christianisme, jettent un cri d'alarme. Dans les rues, sur les plages, aux spectacles, femmes et jeunes filles se présentent et s'exposent sans pudeur aux regards indiscrets et sensuels, aux contacts déshonnêtes, aux familiarités d'indécentes promiscuités. Comme les passions bouillonnent dans ces rencontres ! A supposer même que par une sorte de miracle on n'aille pas jusqu'à l'extrême, jusqu'à la chute dans l'infidélité consommée, quelle différence discernez-vous entre de pareilles moeurs et la conduite des malheureux qui foulent ouvertement aux pieds toute pudeur ?

Il y a des hommes qui ont le sentiment de l'honneur, et qui tolèrent que leur fiancée ou leur épouse accepte de la part d'autres hommes l'audace de pareils regards et de pareilles familiarités ; il y a des fiancées et des épouses qui ont une haute conscience de leur dignité, et qui en viennent à permettre à leur fiancé ou à leur mari ces libertés et ces familiarités à l'égard d'autres femmes : voilà qui ne peut s'expliquer que par un fléchissement du sens moral. Pour se révolter contre ces graves outrages à la fidélité sacrée d'un légitime et chaste amour, ne suffit-il point de la moindre étincelle d'honnêteté ?


Méfiez-vous aussi des sympathies intellectuelles.

2. Mais Nous en avons assez dit là-dessus : laissons ces inconvenantes, ces déconcertantes bassesses. Dans le domaine des pensées et des affections, il est plus délicat de discerner le bien du mal. Certes, il y a des sympathies naturelles en soi irréprochables et les conditions de la vie actuelle en offrent de plus faciles et plus fréquentes occasions. Il peut arriver que ces sympathies soient dangereuses, mais en soi elles ne blessent point la fidélité. Nous devons néanmoins vous mettre en garde contre certaines intimités secrètement voluptueuses, contre un amour que l'on dit platonique, mais qui souvent n'est que le prélude ou le voile discret d'un amour moins licite et moins pur.

Tant que la sympathie intellectuelle ne dépasse pas le cadre d'une harmonie entre les vues sincères et spontanées de l'esprit, tant qu'elle s'en tient à la jouissance et à l'admiration qu'inspirent l'élévation et la noblesse d'une âme, il n'y a jusque-là rien de blâmable. Toutefois, saint Jean de la Croix2 met en garde les personnes spirituelles elles-mêmes contre les déviations où peut mener cette sympathie. Il n'est pas rare qu'on en vienne insensiblement à déranger l'ordre des choses. Voici ce qui se passe : l'harmonie des pensées, des inclinations et des caractères a éveillé pour une personne une honnête sympathie et voilà que, par un consentement inconscient, on en arrive à mettre ses propres idées et ses propres vues en accord avec les idées et les vues de la personne admirée. L'influence de cette personne se fait sentir dans des questions futiles ; puis dans des choses plus sérieuses, dans la vie pratique, dans des questions d'art et de goût qui ont déjà quelque chose de plus intime ; ensuite dans le domaine proprement intellectuel ou philosophique, et enfin dans les idées morales et religieuses, au point de renoncer à son jugement personnel pour ne plus penser et juger que sous l'influence à laquelle on s'est soumis. C'est un renversement de ses propres principes, un bouleversement de ses normes de vie. Et pourtant, l'esprit humain est naturellement, et même jusqu'à l'excès, orgueilleux dans l'attachement au jugement propre : comment donc expliquer une soumission aussi servile, un aussi parfait assujettissement à la pensée d'autrui ?

Nuit obscure, 1NO 4 n. 7.

Cependant, à mesure que l'esprit se modèle ainsi sur celui d'un étranger ou d'une étrangère, il s'éloigne tous les jours un peu plus du coeur de l'époux ou de l'épouse. On en arrive à éprouver pour tout ce que dit ou pense l'époux ou l'épouse, un instinctif et irrésistible sentiment de répugnance, d'irritation et de mépris. Le fait que ce sentiment peut être inconscient ne le rend pas moins dangereux : il marque que l'intelligence est conquise, accaparée, qu'elle est remise à des mains étrangères, alors que le jour des noces on en avait fait l'irrévocable don à son conjoint. Est-ce là la fidélité ?

Quelle illusion subtile et difficile à saisir ! Il a pu arriver que, sous l'influence d'âmes élevées, ardentes, poussées par le zèle le plus pur, une sympathie intellectuelle soit devenue l'aurore d'une conversion, oui, mais le plus souvent ce ne fut qu'une aurore et rarement la lumière du matin monta jusqu'au plein midi. Combien même y perdirent la foi et le sens chrétien ! D'illustres et bien rares exemples suffisent à rassurer ceux qui se prennent pour un Dante ou une Béatrice. Bien souvent, au contraire, ils en viennent, dans leur commun aveuglement, à s'engager sur la pente glissante et à tomber tous les deux dans la fosse (cf. Mt 15,14).

L'esprit gagné entraîne le coeur et il n'y a plus alors qu'un simulacre de fidélité.

3. Supposons même que l'esprit n'ait pas été, comme on l'a dit 3 « la dupe du coeur », la victime d'une illusion qui vient du coeur : le coeur, aveuglé lui aussi, n'en accompagne pas moins l'esprit et il ne tarde pas dans son élan à le dépasser, pour l'entraîner à son tour. C'est à la suite de l'esprit que le coeur se donne, mais il ne se donne qu'en devenant parjure à la personne à qui, le jour des noces, il avait fait l'irrévocable don de lui-même.

Le monde a beau proclamer fidèle l'épouse qui n'a pas matériellement consommé sa chute ; il a beau célébrer la fidélité de celle qui, par un sacrifice héroïque peut-être, mais d'un héroïsme tout humain, continue de vivre sans amour aux côtés de l'époux auquel elle a lié sa vie, alors que son coeur, tout son coeur, appartient définitivement, passionnément, à un autre : la morale du Christ est plus austère et plus sainte. On a beau exalter la noblesse d'une prétendue union de coeurs chastement unis « comme les astres avec les palmiers » ; on a beau entourer cette passion de l'auréole d'une vague religiosité, pure rêverie alimentée par la poésie et le roman et non point par l'Evangile et la fidélité chrétienne ; on a beau se flatter de maintenir cet amour à de sereines hauteurs : la nature, depuis le péché originel, n'est point si docile aux aphorismes ingénus et vaniteux de ceux qui se font de pareilles illusions, et c'est déjà violer la fidélité que d'accepter en son coeur une passion défendue.

Jeunes époux, gardez-vous de pareilles illusions ! Eclairés par la lumière divine, placés sous la protection de Marie la Mère très pure, aimez-vous l'un l'autre saintement et resserrez de plus en plus l'union de vos vies, de vos esprits, de vos coeurs, cette union sur laquelle Nous implorons de toute Notre âme de Père, en vous accordant la Bénédiction apostolique, les plus abondantes grâces de Dieu.

3 La Rochefoucauld, Réflexions ou Sentences et Maximes morales, n. CH.


ALLOCUTION AU CONGRÈS INTERNATIONAL DES HAUTES SCIENCES MATHÉMATIQUES (12 novembre 1942)


Pie XII 1942 - ALLOCUTION AUX ENFANTS DE MARIE (25 octobre 1942)