Pie XII 1942 - ALLOCUTION AU CONGRÈS INTERNATIONAL DES HAUTES SCIENCES MATHÉMATIQUES (12 novembre 1942)

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Aux participants du Congrès international des hautes mathématiques, qui lui ont été présentés par le professeur Severi, le Saint-Père adressa l'allocution suivante :

Votre désir de venir à Nous, illustres professeurs et académiciens, Nous a été exprimé par l'éminent et très distingué président du Congrès international que vous avez tenu dans cette Rome aux destinées divines. Nous sommes heureux de répondre cordialement à ce désir en accueillant un nombre aussi choisi de remarquables savants et maîtres des hautes sciences mathématiques. Nous admirons en vous la lumière aux formes multiples de cette science, qui, s'appuyant sur la réalité, source de toute vérité pour la connaissance humaine, se hausse, s'idéalise dans le calcul, dans la ligne, dans la figure, dans tout ce qui appartient à l'empire de la quantité, et descend de l'immensément grand à l'immensément petit pour rechercher et déterminer le nombre, le poids et la mesure, suivant lesquels l'intelligence divine a fixé l'ordre de l'univers et de ses parties, tant suprêmes qu'infimes.

La science à laquelle vous avez consacré votre intelligence est une preuve manifeste de la vérité et de la réalité des valeurs communes qui sont la récompense de la culture du genre humain par-delà les limites étroites des races et des nationalités particulières. Avant de venir dans PHellade et sur les rives du Tibre, la mathématique s'était déjà fortement implantée dans la région parcourue par l'Euphrate et par le Tigre et dans la contrée baignée par le Nil ; elle avait obtenu, malgré la simplicité primitive des méthodes, de surprenants résultats. Si, de cette façon, la mathématique a pu apparaître comme un précieux héritage spirituel, dont la culture occidentale était débitrice vis-à-vis de l'Orient, cela ne diminue ni ne voile en aucune manière les incontestables et éclatants mérites des penseurs européens qui ont assuré aux mathématiques, dans le royaume des sciences, la place élevée qui, aujourd'hui, leur revient à juste titre. Mais la reconnaissance des communes valeurs du savoir revêt actuellement une grande importance pour l'avenir. Plus les intérêts matériels des nations se heurtent, plus la lutte ouverte se change en un effort pour la vie et pour la mort, plus aussi il est souverainement utile de maintenir au sein de tous les peuples, au milieu des flots de haine et de discorde, ébranlée, mais vivante et efficace, la conscience de ces valeurs, afin de rétablir un jour les contacts spirituels pour une entente et une collaboration intellectuelle et scientifique nouvelles.

La mathématique est une science de paix et non de conflits. C'est pour Nous une douce vision que de contempler les grands astronomes et mathématiciens explorer tranquillement dans le calme nocturne de leurs observatoires et de leurs coupoles les très lointaines et pacifiques constellations et régions du firmament ; symbole sublime et image de cette paix que les nations voudraient voir régner à nouveau dans le monde. Cette vision augmente Notre réconfortante espérance dans la paix ; en sorte que c'est aussi dans le progrès, dans les études, dans les buts mêmes de vos hautes sciences exactes, qui ont magnifiquement resplendi dans votre congrès, que Nous mettons le pacifique souhait de voir s'accroître le nombre des peuples vivant en bon accord, de voir aussi, reconnus et satisfaits dans une mesure convenable, les justes besoins des nations. Si la vérité est le fondement de la justice, dans vos sciences exactes semble éclater davantage que dans les autres, cette vérité qui rend véridiques les sciences, cette vérité qui fait que les véritables sciences ne rendent pas ennemis, mais font fraterniser les hommes et les nations dans la paix.

Illustres professeurs et académiciens ! L'atmosphère qui règne dans ce Palais apostolique est pour tout véritable savant un air, non de terre étrangère, mais de patrie commune.

L'estime de l'Eglise pour les sciences d'ici-bas a rarement trouvé une expression plus universelle, plus délicate, plus noble, plus parlante, en un mot plus convaincante, que dans la scène admirable qu'on appelle « Ecole d'Athènes ». Là, au milieu des représentants des autres sciences, l'incomparable pinceau du peintre d'Urbino2 a représenté et fixé pour toujours, à une place d'honneur, l'un des plus classiques pionniers de la mathématique : vous l'admirez, incliné vers la terre, en train de tracer avec un compas quelques figures géométriques, tandis que quatre jeunes disciples le suivent, attentifs et émerveillés 3.

La science sacrée qui, au service de la foi, pénètre dans les profonds mystères de la divinité et du dessein providentiel de salut, et la science profane, qui lutte infatigablement pour avoir une connaissance plus vaste des choses créées, ne sont pas des ennemies, mais des soeurs. La plus haute noblesse de l'une, qu'elle tient de sa fin propre, qui est d'ordre surnaturel, ne diminue pas la grandeur, l'importance, la nécessité, les mérites de l'autre, laquelle étudie et découvre l'oeuvre du Créateur dans l'univers.

C'est pourquoi Nous vous sommes profondément reconnaissant de votre présence et Nous implorons sur les résultats de votre congrès, sur vos résolutions, vos études, vos académies et universités, sur vos familles, ces faveurs qui vous exaltent, vous et la science, devant Dieu et devant les hommes, et qui concourent à vous aider et à vous soutenir pour préparer dans la concorde, pour autant que cela dépend de vous, cette route tant souhaitée, sur laquelle la justice et la paix pourront un jour, dans une marche heureuse, se rencontrer et se baiser au front.

2 Raphaël Sanzio (14S3-1520), né à Urbino (Italie).
3 Ce pionnier classique de la mathématique, que l'on voit à l'extrémité du côté droit du tableau dit « Ecole d'Athène », est Archimède ou Euclide.


LETTRE A S. EM. LE CARDINAL BOËTTO, ARCHEVÊQUE DE GÊNES, A LA SUITE DES BOMBARDEMENTS AÉRIENS

(16 novembre 1942) 1

Nous avons appris avec une vive douleur les nouvelles que contenait la lettre que vous Nous avez adressée par laquelle Nous avons reconnu une fois de plus votre filiale confiance à Notre égard ainsi que votre pastorale sollicitude à l'égard du troupeau qui vous est confié.

Que ce soit pour vous une consolation de savoir que dans ces tristes heures Nous sommes particulièrement près de vous et de vos diocésains si fortement éprouvés, parce que les souffrances de tous Nos fils se répercutent profondément dans Notre cceur.

Nous pouvons vous assurer que de Notre côté, comme Nous l'avons fait jusqu'ici, Nous ne négligerons aucune occasion pour obtenir que soient épargnées ou atténuées les souffrances occasionnées par la guerre aux populations civiles. De toute façon, Nous faisons des voeux pour que le malheur même dont votre cité souffre tellement à cette heure soit une source de plus grands et de véritables biens spirituels ; que, au milieu des ruines, fleurisse industrieuse et prompte la charité, présage de future réédification pacifique et signe de fraternité renouvelée entre concitoyens ; que le deuil ait sens et valeur de pénitence salutaire, expiatrice des fautes qui ont engendré tant de désordres dans le monde et provoqué les châtiments divins ; et qu'à travers les larmes la prière monte plus vive vers Dieu que Nous ne cesserons Nous-même d'invoquer pour tous ceux qui souffrent comme pour tous ceux qui sur la terre gémissent et meurent.

Et, confiant dans la divine miséricorde, Nous vous accordons de grand coeur à vous, à tous vos fidèles et spécialement aux plus affligés la Bénédiction apostolique.


CONSÉCRATION AU COEUR IMMACULÉ DE MARIE (17 novembre 1942)


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Cette prière a déjà été prononcée publiquement par le Souverain Pontife, en portugais, au cours du radiomessage qu'il a adressé le 31 octobre au peuple portugais, à l'occasion des solennités célébrées en l'honneur de Notre-Dame de Fatima (cf. ci-dessus p. 270).

Reine du Très Saint Rosaire, secours des chrétiens, refuge du genre humain, victorieuse de toutes les batailles de Dieu, nous voici prosternés, suppliants au pied de votre trône, assurés d'obtenir miséricorde et de recevoir les grâces, l'aide opportune et la protection dans les calamités présentes, non en vertu de nos mérites dont nous ne saurions nous prévaloir, mais uniquement par l'effet de l'immense bonté de votre Coeur maternel.

C'est à vous, c'est à votre Coeur immaculé qu'en cette heure tragique de l'histoire humaine, nous nous confions et nous nous consacrons, non seulement en union avec la sainte Eglise, Corps mystique de votre Jésus, qui souffre et verse son sang en tant de lieux, est en proie aux tribulations de tant de manières, mais aussi en union avec le monde entier, déchiré par de farouches discordes, embrasé d'un incendie de haine et victime de sa propre iniquité.

Laissez-vous toucher par tant de ruines matérielles et morales ; par tant de douleurs, tant d'angoisses de pères et de mères, d'époux, de frères, d'enfants innocents ; par tant de vies fauchées dans la fleur de l'âge ; par tant de corps déchiquetés dans l'horrible carnage ; par tant d'âmes torturées et agonisantes, par tant d'autres en péril de se perdre éternellement.

O Mère de miséricorde, obtenez-nous de Dieu la paix ! et surtout les grâces qui peuvent en un instant convertir le cceur des hommes, ces grâces qui préparent, concilient, assurent la paix ! Reine de la paix, priez pour nous et donnez au monde en guerre la paix après laquelle les peuples soupirent, la paix dans la vérité, dans la justice, dans la charité du Christ. Donnez-lui la paix des armes et la paix des âmes, afin que dans la tranquillité de l'ordre s'étende le règne de Dieu.

Accordez votre protection aux infidèles et à tous ceux qui gisent encore dans les ombres de la mort ; donnez-leur la paix et faites que se lève pour eux le soleil de la vérité et qu'ils puissent avec nous, devant l'unique Sauveur du monde, répéter : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté» (Lc 2,14).

Aux peuples séparés par l'erreur ou par la discorde, et particulièrement à ceux qui professent pour vous une singulière dévotion et chez lesquels il n'y avait pas de maison qui n'honorât votre vénérable icône (peut-être aujourd'hui cachée et réservée pour des jours meilleurs), donnez la paix et reconduisez-les à l'unique bercail du Christ, sous l'unique et vrai Pasteur.

Obtenez à la sainte Eglise de Dieu une paix et une liberté complètes ; arrêtez les débordements du déluge néo-païen ; développez dans le cceur des fidèles l'amour de la pureté, la pratique de la vie chrétienne et le zèle apostolique, afin que le peuple des serviteurs de Dieu augmente en mérites et en nombre.

Enfin, de même qu'au Cceur de votre Fils Jésus furent consacrés l'Eglise et le genre humain tout entier, afin que, toutes leurs espérances étant placées en lui, il devînt pour eux signe et gage de victoire et de salut, ainsi et pour toujours nous nous consacrons à vous, à votre Coeur immaculé, ô notre Mère et Reine du monde ; pour que votre amour et votre protection hâtent le triomphe du règne de Dieu et que toutes les nations, en paix entre elles et avec Dieu, vous proclament bienheureuse et entonnent avec vous d'une extrémité du monde à l'autre, l'éternel Magnificat de gloire, d'amour, de reconnaissance au Coeur de Jésus, en qui seul elles peuvent trouver la Vérité, la Vie et la Paix 2.

2 Le pape a accordé une indulgence partielle de 3 ans aux fidèles qui récitent avec piété cet acte de consécration et, de plus, une indulgence plénière, à gagner une fois par mois, aux conditions habituelles, à ceux qui l'auront récité chaque jour durant le mois.

DIscours aux jeunes époux (18 novembre 1942)

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Voici le troisième discours consacré à « la fidélité conjugale » :

III. — Ecueils et imprudences.

C'est un si beau spectacle que la parfaite félicité de deux époux, que cette félicité qui, loin de diminuer avec les ans, se fait plus discrète et plus calme, mais aussi plus vigoureuse, plus riche de dévouement et d'harmonie, et jusqu'en pleine vieillesse, pour s'achever par-delà cette vie terrestre dans la radieuse gloire du ciel ! C'est un spectacle si beau que Nous Nous sentons le devoir de vous mettre en garde contre certaines imprudences dont vous n'avez peut-être pas conscience, mais qui menacent de compromettre facilement la solidité de votre bonheur, ou du moins de laisser s'étendre une ombre angoissante sur son exquise délicatesse telle que Nous avons eu à coeur de la décrire dans Nos dernières allocutions aux jeunes époux.

Point n'est besoin d'une vaste connaissance ou d'une riche expérience de l'histoire et des événements de la vie familiale pour savoir combien sont fréquentes les lamentables chutes qui renversent et tuent de sincères et ingénues amours, ni surtout pour comprendre ces faiblesses volages comme la passion, mais dont la meurtrissure laisse, même après le pardon, même après la réparation, une brûlante cicatrice au fond des deux coeurs. Nous Nous proposons de vous parler aujourd'hui non pas tant du chemin qui conduit peu à peu à la faute et à l'abîme, que des imprudences et des misères par où l'époux fidèle fraie inconsciemment à son conjoint le chemin du péril. Imprudences et misères que Nous pouvons réduire à trois chefs : la légèreté, l'excessive austérité, la jalousie.


Dangers des spectacles légers

1. La légèreté est l'écueil des premiers mois surtout alors que le sourire et les vagissements des bébés ne sont pas encore venus épanouir et mûrir l'esprit des parents. Mais ce danger se prolonge bien au-delà, quand il est, plus encore que par l'ardeur de la jeunesse, favorisé et entretenu par le manque de caractère. Dans l'illusion gardée et cultivée avec complaisance que dans le mariage tout est permis, les époux prennent parfois les libertés les plus imprudentes. Voici un mari qui conduit, sans le moindre scrupule, sa jeune femme à des divertissements scabreux, pour ne pas dire coupables ; il croit la récréer sans malice et il pense peut-être l'initier ainsi à l'expérience de la vie. A moins que la femme n'ait ce fervent sérieux chrétien qui donne l'indépendance de caractère, elle se laissera entraîner sans résistance et, si elle oppose un semblant de réaction, elle sera, au fond d'elle-même, heureuse de ne pas réussir à dissuader son mari. Supposez que jusqu'au mariage son innocence ait été entourée et gardée, plutôt que véritablement formée dans son cceur par la vigilante sollicitude de parents chrétiens, vous la verrez accepter volontiers, encore qu'elle rougisse un peu de satisfaire une certaine curiosité dont elle ne sent pas clairement l'inconvenance et le danger. Si au contraire sa vie de jeune fille a été mondaine, dissipée, elle s'estimera heureuse de pouvoir se libérer — honnêtement, pense-t-elle, puisqu'elle se trouve en compagnie de son mari — de ce reste de retenue que son jeune âge lui imposait naguère.

... des lectures romanesques

D'une excessive liberté dans les spectacles et les divertissements à un relâchement d'esprit et de conscience dans les lectures, il n'y a qu'un pas. Ici, outre les attraits que Nous venons de relever, entre en scène un appas plus subtil encore : l'amour tel que le décrivent les romans, cet amour qui semble si bien rendre les sentiments, légitimes certes, qu'éprouvent l'un pour l'autre les époux. Le romancier, ses héros et ses héroïnes disent avec tant de vivacité, en des phrases si ferventes et si raffinées, ce qui même dans les entretiens les plus confidentiels ne saurait ou n'oserait s'exprimer avec pareille efficacité et avec la même flamme ! Si ces lectures apparemment avivent l'amour, en réalité elles excitent l'imagination et les sens, et l'esprit n'en est que plus faible encore et plus désarmé en face des immanquables tentations. Ces récits tour à tour d'infidélités, de fautes, de passions illégitimes ou violentes, il n'est pas rare qu'ils enlèvent à la mutuelle affection des époux quelque chose de sa pureté, de sa noblesse, de sa sainteté ; les vues et les sentiments chrétiens en sont faussés et l'amour conjugal se change en un amour purement sensuel et profane, oublieux de la haute fin des noces chrétiennes.

Lors même qu'ils n'auraient rien d'immoral ou de scandaleux, le fait de se nourrir habituellement de lectures et de spectacles romanesques établit la sensibilité, le coeur et l'imagination dans une atmosphère de fantaisie, dans une atmosphère étrangère à la vie réelle. Episodes romanesques, aventures sentimentales, vie galante, facile, commode, capricieuse, brillante, qu'est-ce que tout cela, sinon des inventions fantaisistes d'auteurs qui ne surveillent point leur talent, ne se soucient nullement des difficultés économiques et ne se gênent pas de mettre leurs oeuvres en contradiction sur d'innombrables points avec la réalité pratique et concrète ?

L'abus de pareilles lectures et de pareils spectacles, quand même, pris en particulier, ils ne seraient pas répréhensibles, finit par fausser le jugement et par tuer le goût de la vie réelle ; il ôte aux époux cette sagesse que développe en eux une vie délicieusement austère de travail, de sacrifice et d'attentive vigilance parmi les soucis d'une famille florissante et nombreuse.

Considérez, d'une part, le mari qui n'arrive point à gagner à la sueur de son front de quoi suffire à toutes les dépenses d'une vie de luxe ; et de l'autre, la femme qui, chargée d'enfants et de soucis, limitée dans ses moyens, ne saurait changer d'un coup de baguette magique son modeste foyer en un château de cartes de fées : dites si, à côté de ces fantaisies romanesques, ces journées toujours égales, vides d'événements extraordinaires, ne sembleront pas bien mesquines à ces époux. Pour celui qui ne cesse de vivre dans un rêve doré, le réveil est trop amer, et la tentation trop vive de le prolonger, ce rêve, et de le continuer dans la vie réelle. Que de drames d'infidélité ont leur origine là et pas ailleurs ! Et si, demeuré fidèle, l'un des époux pleure sans y rien comprendre les égarements du coupable toujours cher et toujours aimé, il est loin de soupçonner toute la part de responsabilité qui lui revient à lui-même dans ce glissement qui a fini par amener la chute. Il ignore que, dès que l'amour conjugal vient à perdre sa sérénité, gage de sa santé, sa forte tendresse et sa sainte fécondité, pour ne plus ressembler qu'aux amours égoïstes et profanes, il est facilement tenté de rechercher ailleurs sa pleine jouissance.

... et de l'abandon aux hardiesses de la mode.

Non moins imprudents les maris qui, pour faire plaisir à leur femme ou pour satisfaire leur propre vanité, l'encouragent à s'abandonner dans les vêtements et la conduite de la vie aux extravagances les plus hardies de la mode. Ces jeunes femmes irréfléchies, lancées par là à l'aventure, ne se figurent peut-être point à quels dangers elles exposent leur propre conduite et celle des autres. N'allez pas chercher ailleurs l'origine de nombreux scandales dont s'étonnent beaucoup de gens, mais non pas ceux qui réfléchissent sur les cheminements du mal, non pas les sages amis qui avaient à temps signalé le danger, et qu'on n'a pas écoutés.

Mais une excessive austérité risque aussi de provoquer des réactions périlleuses.

2. La vertu tient le juste milieu ; l'excès d'indulgence a pour pendant l'excès de rigueur. L'excès de rigueur se présente certes rarement, mais il s'en rencontre des exemples. La rigueur excessive, qui ferait du foyer domestique une triste demeure sans lumière ni joie, sans saines et honnêtes récréations, sans vastes horizons d'action, pourrait provoquer les mêmes désordres que la légèreté. Qui ne voit que plus la contrainte est rigoureuse, plus la réaction risque d'être violente ? La victime de cette tyrannie — l'homme ou la femme, et peut-être l'oppresseur lui-même — sera tôt ou tard tenté de briser la vie conjugale. Mais si les ruines et les effets de la légèreté ne tardent pas à ouvrir les yeux et à ramener les coupables à de meilleurs sentiments et à une vie plus sérieuse, c'est à un défaut de rigueur qu'on a coutume d'imputer les égarements causés par une austérité exaspérante ; la rigueur se fera alors plus âpre encore et on verra croître le mal qu'il a causé et la réaction qu'il provoque.

Gardez-vous de ces deux extrêmes, de cet excès d'indulgence et de cet excès de rigueur, et pratiquez la modération, qui est le sens de la mesure et de l'à-propos. Que le mari soit heureux de voir sa femme s'habiller et paraître avec une élégance décente, conforme à ses moyens et à sa condition sociale ; qu'il l'y encourage, qu'il lui fasse le plaisir, au besoin, de quelques gracieux cadeaux, qu'il la complimente aimablement sur son charme et sa grâce. Qu'à son tour, la femme banisse de son foyer tout ce qui heurte l'esprit ou le sens de la beauté, qu'elle évite toute sévérité qui pèserait sur le coeur de son mari. Qu'ils aiment à lire ensemble des livres beaux, bons et utiles, qui les instruisent, étendent leurs connaissances générales et professionnelles, les tiennent au courant des événements, augmentent leurs connaissances religieuses et les maintiennent fermes dans la foi et la vertu. Qu'ils s'accordent avec générosité et mesure les sains et honnêtes divertissements qui donnent le repos et maintiennent dans la joie. Ils trouveront toujours dans ces livres et ces plaisirs matière à d'agréables conversations et discussions. Que chacun aime à voir son conjoint exceller dans son activité professionnelle ou sociale, se faire aimer par sa souriante amabilité dans le cercle de leurs communs amis ; qu'ils ne prennent jamais ombrage l'un de l'autre.

Le péril dangereux entre tous : la jalousie.

3. Un dernier écueil à éviter est la jalousie qui peut provenir de la légèreté ou de la rigueur. C'est un péril dangereux entre tous pour la fidélité. L'incomparable psychologue que fut saint Jean Chrysostome l'a décrite avec une magistrale éloquence : « Tout ce qu'on peut dire de ce mal, explique-t-il, n'en exprimera jamais assez la gravité. Une fois qu'un homme commence à soupçonner celle qu'il aime plus que toute chose sur terre et pour laquelle il donnerait volontiers sa vie, où pourra-t-il trouver quelque réconfort ?... Mais tandis que sans fondement ni raison le mari s'agite anxieusement parmi ses soupçons, sa pauvre et malheureuse femme est encore plus gravement tourmentée. Celui qui devrait être le consolateur de toutes ses peines et son appui, se montre cruel et n'a pour elle que des sentiments hostiles... Un homme jaloux est prêt à tout croire, à accueillir toutes les dénonciations sans discerner le vrai du faux, plus porté qu'il est à écouter celui qui confirme ses soupçons que celui qui voudrait les dissiper... Les sorties, les entrées, les paroles, les regards, les moindres soupirs, tout est épié ; la pauvre femme doit supporter tout cela en silence ; enchaînée pour ainsi dire au lit conjugal, elle ne peut se permettre le moindre pas, la moindre parole, le moindre soupir 2. » Faut-il s'étonner qu'une pareille vie devienne intolérable ? Faut-il s'étonner que, faute de la lumière et de la force que donne une véritable vertu chrétienne, on s'évade de cette vie, qu'on la fuie, pour le naufrage de la fidélité ?

Jeunes époux, l'esprit chrétien est joyeux sans frivolité, sérieux sans rigueur excessive ; il ne se laisse pas aller aux soupçons téméraires, il fait confiance au mutuel amour fondé sur l'amour de Dieu : cet esprit assurera votre fidélité mutuelle, votre fidélité sincère et sacrée. C'est le voeu que Nous formons pour vous, le voeu que Nous prions Dieu de daigner réaliser, et Nous vous accordons à cet effet, de tout coeur, Notre paternelle Bénédiction apostolique.

2 De Virginitate ; Migne, P. G., t. 48, col. 574-575.


LETTRE A DON FIDÈLE DE STOTZINGEN, ABBÉ PRIMAT DE L'ORDRE DE SAINT-BENOIT, POUR LE X\2e\0 CENTENAIRE DE LA MORT DE SAINT ODON, ABBÉ DE CLUNY (18 novembre 1942)

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Dix siècles se sont écoulés depuis que saint Odon2, abbé de Cluny, chargé de mérites et de bonnes oeuvres, s'est heureusement envolé vers le ciel. Il vous a semblé, ainsi qu'aux vôtres, très opportun de rappeler publiquement et avec une certaine solennité le souvenir et les gloires d'un homme si illustre. Son précieux héritage ne concerne pas seulement l'Ordre de Saint-Benoît ; il a aussi beaucoup contribué au bien de l'Eglise elle-même et de nombreux peuples. Il est établi avec certitude que cet homme remarquable, issu d'une famille de chevaliers marchant sur les traces d'un père très savant, élevé dans la pratique sérieuse des vertus et très versé dans les lettres et dans les sciences, apprit dès son jeune âge à rechercher et à poursuivre tout ce qui est bon, grand et le plus utile. Ayant quitté la cour de Guillaume, duc d'Aquitaine, au service de qui il fut durant quelques années, comme page, il consacra la fleur de sa jeunesse au très noble service de Dieu. Alors parfaitement instruit dans les arts libéraux, à Paris, après un court séjour parmi les chanoines de Tours, Guillaume embrassa la règle de saint Benoît avec un désir ardent et une très grande joie. C'est pourquoi, ordonné prêtre, disciple et successeur de l'abbé Bernon, d'abord dans le monastère de Baume, ensuite dans celui de Cluny, il maintint et propagea si bien l'admirable réforme monastique de son maître qu'elle exercera sa force et son efficacité en France, en Italie, jusque dans la ville de Rome et au cours des siècles en Suisse, en Allemagne, en Hongrie et en d'autres régions de l'Europe, pour la grande prospérité de la société. En effet, au milieu des moeurs barbares de ce siècle de fer, parmi les haines les plus violentes et les dissensions qui faisaient en venir aux mains les uns contre les autres les princes féodaux les plus importants, parmi les fréquents soulèvements des factions qui déchiraient les cités, au milieu des incursions des Sarrasins et des autres Barbares qui menaçaient de dévaster l'Italie entière, la réforme de Cluny, appuyée sur des bases solides, ramenait les pensées des moines et des fidèles aux sources de l'esprit et de la règle de saint Benoît, au culte d'une véritable humanité, alors presque partout négligée, culte qui établit et favorise une sincère urbanité.

1 D'après le texte latin des A. A. S., 34, 1942, p. 368 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. IV, p. 266.
2 Odon naquit au Mans vers 879. Après avoir été page de Guillaume d'Aquitaine, sur les terres de qui sera construite l'abbaye de Cluny, il entra chez les chanoines de Saint-Martin de Tours, étudia les arts et les sciences à Paris ; puis, conquis par la Règle bénédictine, alla se placer sous la direction de Bernon, Abbé de Baume. En 927, il est élu Abbé de Cluny, monastère fondé en 910, et en fait une abbaye modèle, dont la règle servit à la réforme des autres monastères que Cluny devait fonder ou incorporer ou réformer en France, en Lorraine, en Italie et à Rome même.

Très erudit lui-même, l'abbé Odon qui, à l'explication des choses divines, joignait l'étude et la pratique de la littérature profane afin de réveiller par son exemple et par son enseignement, dans les esprits des autres, l'amour assoupi de la sagesse antique, écrivit plusieurs ouvrages. Une place éminente parmi ces écrits revient à un poème didactique, réparti en sept livres, ayant pour titre Occupatio, dont les vers exhalent le charme et le parfum de la langue de Virgile et entraînent puissamment le coeur des lecteurs à travailler à leur salut éternel par l'application de l'âme soigneusement attentive à eux-mêmes. Toutefois, la vertu et le talent du saint abbé de Cluny brillèrent surtout dans l'activité de la vie publique. Plusieurs fois, en effet, les pontifes romains, Nos prédécesseurs, le mandèrent à Rome, afin que par la prudence, la sainteté et l'autorité qui brillaient en lui en pleine lumière et publiquement, il réconciliât les princes d'Italie qui se combattaient violemment les uns les autres et lui accordèrent leur appui et les privilèges les plus étendus, surtout pour opérer la réforme des autres monastères. Mais le très pieux abbé, puissant partout par son action et par sa parole, favorisé également de visions célestes et célèbre par les miracles qu'il accomplit, en tous lieux modèle des vertus, destructeur des erreurs et des vices, défenseur de la religion et de l'autorité pontificale, conseiller et soutien des princes, auteur de la concorde entre les peuples et de la prospérité publique, s'abaisse, s'humilie toujours en lui-même, au milieu des félicitations des princes, des égards des grands, des joyeuses ovations des peuples, accueillant avec le même visage et le même caractère tant les événements malheureux que ceux qui étaient heureux et agréables. Dans l'admiration d'une vertu et d'oeuvres si brillantes, les héritiers et les successeurs du saint réformateur, membres de l'Ordre bénédictin, se disposent à célébrer avec un soin et avec un éclat particuliers les solennités du X' centenaire de la mort de saint Odon.

Nous donc, qui apprécions tant les exemples et les actions des saints pour aiguiser les vertus des autres, Nous approuvons et Nous recommandons la célébration de cet événement religieux. Aussi, Nous exhortons paternellement les bénédictins à rivaliser d'émulation dans l'éclat de la piété et de la doctrine à l'exemple de saint Odon et embrasés par le feu ardent de sa charité, à instruire par leur vie et par leur parole les chrétiens à penser et à agir avec rectitude. Plût au ciel que tous les peuples se ressouviennent des fruits produits par la réforme de Cluny dans la vie sociale et dans les affaires publiques ! Alors, en effet, les diverses et variées nations du monde, vivant dans des sentiments de véritable humanité et dans la ferveur de l'amour du Christ, après avoir enfin éteint les flammes de cette guerre exécrable qui sévit chaque jour d'une façon plus atroce et plus néfaste, après avoir laissé généreusement de côté les discordes anciennes et récentes, rétabliront la fraternité et l'union dans l'humanité.

Avec ces voeux ardents et ces souhaits paternels, comme présage de la paix et de la concorde universelle si désirées, et en témoignage de Notre amour particulier, Nous accordons très cordialement dans le Seigneur la Bénédiction apostolique à vous, cher Fils, à tout l'Ordre de Saint-Benoît et aussi à tous ceux qui assisteront aux solennités de ce millénaire.


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A S. EM. LE CARDINAL PELLEGRINETTI, PRÉSIDENT DU COMITÉ POUR LA COMMÉMORAISON DU IVe CENTENAIRE DU CONCILE DE TRENTE (18 novembre 1942)


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Le Saint-Père a fait adresser la lettre suivante à S. Em. le cardinal Pellegrinetti, archevêque de Trente, qui lui avait envoyé les travaux du comité créé par lui pour commémorer le IVe centenaire du Concile de Trente :

Les nouvelles que vous avez données au Saint-Père au sujet des initiatives prises pour la digne célébration du IVe centenaire du Concile de Trente sont un clair témoignage de la parfaite compréhension avec laquelle Votre Excellence, archevêque en cette ville, et le comité créé par elle, s'y sont préparés et les traduisent en acte.

Il était juste en vérité de raviver dans les esprits de nos contemporains, absorbés par le présent, le souvenir d'un concile dont, comme l'a noté en quelques phrases très heureuses le cardinal Sforza Palla-vicino dans son Histoire classique, « aucun autre ne fut plus long en durée, plus important par les articles de foi qui y furent décidés, plus efficace par le changement des moeurs et des lois, plus ardu par les obstacles rencontrés, plus exact par le soin qu'il prit à examiner les matières qui lui étaient présentées, et ce qui arrive à toutes les grandes oeuvres, plus exalté par ses amis, plus critiqué par ses ennemis » 2.

En fait, de nombreuses erreurs foncières y furent condamnées ; les vérités de foi qui comptent parmi les premières et les plus influentes dans la vie morale et chrétienne et dans l'existence même de l'Eglise du Christ y furent justifiées et mises en nouvelle lumière ; la discipline du clergé et du peuple si sagement et si fortement décrétée qu'en surgit la vraie Réforme.

C'est pourquoi, il a été très agréable à Sa Sainteté d'apprendre de Votre Eminence la publication de la revue Le Concile de Trente qui s'adresse « principalement au monde de la culture, laïc ou ecclésiastique, appelée en premier lieu et d'abord à évoquer et d'une certaine manière à faire revivre une époque et un événement si passionnant et si riche de leçons ».

L'auguste Pontife se réjouit à la pensée que cette revue si bien inspirée et confiée aux soins vigilants de Votre Eminence répondra pleinement à ses nobles buts, comme toutes les autres publications scientifiques relatives à la célébration de ce centenaire.

De son succès sont déjà un sûr présage les noms des savants historiens célèbres qui sont invités à y mettre en lumière avec toutes les ressources aujourd'hui disponibles les différentes étapes du grand événement et de l'application immédiate de la Réforme dans les diverses régions de la catholicité ; ainsi apparaîtra des faits eux-mêmes comment Dieu, par-delà des oppositions et des intrigues des hommes, conduit au terme voulu les événements et quelle considérable abondance de fruits salutaires en ont suivi partout et en découlent encore.

Le Saint-Père ne doute pas que la revue ainsi rédigée sera accueillie favorablement et que sa valeur lui attirera d'autres collaborateurs de mérite qui tiendront à honneur de pouvoir y apporter les nouvelles précieuses contributions qui sont si désirables dans un sujet d'une si vaste ampleur, atteindra de cette façon son but qui est d'intéresser le monde catholique à la digne célébration religieuse du centenaire et de réveiller l'esprit de réforme spirituelle de la vie privée et de la vie publique et réussira à corriger les préjugés et les erreurs qui courent sur la Réforme catholique et à accroître les connaissances.

C'est par ces voeux que le Saint-Père exprime son auguste satisfaction à tous ceux qui apporteront volontiers leur collaboration à cette revue. Et en invoquant sur eux toutes les divines lumières et en priant le Seigneur de féconder de sa grâce toutes les initiatives, il vous envoie de tout coeur, comme gage du succès, le réconfort de la Bénédiction apostolique.



Pie XII 1942 - ALLOCUTION AU CONGRÈS INTERNATIONAL DES HAUTES SCIENCES MATHÉMATIQUES (12 novembre 1942)