Pie XII 1943 - DISCOURS AUX CURÉS ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME


LETTRE AUX ARCHEVÊQUES DE SIENNE ET D'AQUILA ET A L'ÉVÊQUE DE MASSA MARITTIMA POUR LE V\2e\0 CENTENAIRE DE SAINT BERNARDIN DE SIENNE

(25 mars 1943)1

1 D'après le texte latin des A. A. S., 35, 1943, p. 129 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. V, p. 49.

Cette lettre a été adressée à LL. EE. Marias Toccabelli, archevêque de Sienne, Charles Confalioneri, archevêque d'Aquila, et Faustino Baldini, évêque de Massa Marittima.

A l'occasion du prochain Ve centenaire du jour où Bernardin de Sienne, gloire éclatante de la famille franciscaine, après tant de travaux accomplis pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, « rendit son âme glorieuse, le visage joyeux et comme riant »2, non seulement les membres de cet ordre illustre, mais aussi les habitants de Massa Marittima, d'où il est originaire d'après la tradition, et ceux de Sienne, qui fut comme sa seconde patrie, ainsi que la ville d'Aquila, qui garde religieusement ses saintes reliques et les honore avec empressement, se préparent à célébrer cet événement par des manifestations privées et publiques de la piété chrétienne. Cela ne se fera pas, Nous en avons la confiance, sans un fécond résultat spirituel. Si, en effet, la vie de ce saint, si sa vertu et son zèle apostolique ardent brillent aux yeux de tous par les prédications données au peuple à l'occasion de ces fêtes et par la publication d'écrits appropriés, on peut bien espérer que ceux qui regarderont cet astre à la lumière céleste, mus par cette force cachée qui découle de la sainteté, seront vivement excités à imiter ses salutaires exemples. En effet, « il y a une grande force dans les vertus ; il faut les réveiller si elles dorment » 3. Alors cela paraît plus facile si, par le recueillement et la prière, nous tournons notre esprit et notre âme vers ceux qui brillent des lumières éclatantes des vertus.

2 Acta Sanctorum, t. V, Anvers 1685, p. 300, col. 1, litt. A.

L'exemple de saint Bernardin...

Parmi eux est sûrement notre saint qui, dès son enfance, semble mener une vie plus angélique que terrestre ; après avoir abandonné les biens importants qu'il tenait de ses parents, il se consacra tout entier au service de Dieu. Spontanément et volontiers, il embrassa la pauvreté et l'humilité franciscaines, et mit son plaisir à refréner, à réformer et à briser les désirs des sens, à maîtriser son corps par un châtiment volontaire, à élever sans cesse son âme vers les choses célestes et à faire servir sa volonté aux actes de la perfection évan-gélique sans épargner sa peine.

Ainsi fortifié et enrichi par la grâce céleste, choisi comme héraut de la divine parole, il se mit à parcourir avec joie les villes, les bourgs et les villages de l'Italie, remettant tous les égarés dans le droit chemin et dans la vérité catholique, ramenant les hommes embourbés dans la fange des vices à la sainte pénitence et à l'intégrité des moeurs, enfin, amenant par un travail très assidu de nombreuses villes troublées par la discorde et la haine, à la sérénité de la paix et à la concorde fraternelle. Dans l'acceptation et l'accomplissement de ses travaux apostoliques, il ne s'occupait pas des questions politiques qui divisent très facilement les esprits, mais uniquement de la religion catholique, en diffusant la vérité évan-gélique et en excitant la divine charité. Adhérer d'un parfait assentiment à la doctrine catholique, aux préceptes et aux exhortations de l'Eglise, ne rien vouloir, ne rien entreprendre sans avoir invoqué Dieu, enfin n'avoir d'autre but dans son activité que d'augmenter la gloire de Dieu, telles furent la règle et la méthode habituelles de sa vie. C'est pourquoi il n'est pas étonnant que cet ouvrier apostolique ait récolté une si riche moisson ; il n'est pas étonnant que les multitudes, accourues même de régions lointaines, l'entourassent quand il prêchait soit dans les églises soit souvent en plein air, l'écoutant, les yeux, les oreilles et les esprits attentifs, enseigner et

Cicéron, Tusculanes, 3, 17.

exhorter. Surtout lorsqu'il célébrait les louanges du très saint nom de Jésus, par lequel tous les hommes doivent être sauvés (Actes, rv, 12), son visage angélique semblait rayonner d'un éclat surnaturel ; il attirait et entraînait tous ses auditeurs à aimer fortement, en retour, l'Ami divin, et à conformer leur propre conduite aux préceptes divins. Que ce très saint héraut de la vertu et de la charité revienne en quelque sorte parmi les siens, Vénérables Frères ; qu'il les exhorte de nouveau de sa voix très douce, qu'il les émeuve utilement par ses exemples éclatants ! Si les hommes d'aujourd'hui tournent leur esprit vers sa chétive figure, comme consumée par les macérations volontaires, la pénitence et les travaux, mais cependant animée et comme étincelante de foi et de charité, ils ne pourront certainement faire autrement que de s'élever des biens terrestres caducs aux biens célestes impérissables et que d'être vivement poussés à rechercher avant tout ceux-ci comme préférables aux autres.

. est utile à la société actuelle.

Comme jadis, à la fin du XV* siècle, cet athlète de la sainteté évangélique rappelait par sa voix persuasive les hommes de l'erreur à la vérité, du péché à la pénitence, des vices à la vertu, de même qu'à l'occasion de vos prochaines solennités son enseignement et ses miracles, opportunément mis en lumière, produisent les mêmes fruits salutaires. Ce sera un avantage et un progrès considérables, non seulement pour la religion, mais encore pour la société. Rien, en effet, ne contribue davantage à instaurer et à augmenter la véritable prospérité et à rétablir la paix et la tranquillité dans l'ordre que la religion catholique qui doit être en fait pour tous la règle dans la manière de penser et d'agir. Si le souffle de l'esprit chrétien pénètre les moeurs privées et publiques, alors il sera possible d'établir un état de choses plus juste et plus honnête et d'espérer des temps plus heureux dans lesquels, une fois les esprits apaisés et les armes déposées, tous les hommes pourront s'unir en un pacte fraternel et, dans l'exil de la terre, tendre tous ensemble, avec confiance, à la céleste patrie sous la conduite de la vérité et de la justice, et avec l'aide de la charité.

En attendant, comme présage de ces choses agréables et témoignage de Notre bienveillance, Nous vous donnons avec un profond amour dans le Seigneur, à vous, Vénérables Frères, au troupeau qui est confié à chacun de vous, à tous et à chacun des membres de l'ordre franciscain, la Bénédiction apostolique.


LETTRE APOSTOLIQUE DÉCLARANT SAINT FRANÇOIS DE PAULE PATRON CÉLESTE DES ASSOCIATIONS DES GENS DE MER DES SOCIÉTÉS DE NAVIGATION ET DE TOUS LES MARINS ITALIENS

(27 mars 1943)1

Que le patronage des saints soit accordé, à l'occasion, aux diverses classes de la société chrétienne, cela s'impose, tellement il y a lieu pour les chrétiens de demander avec confiance le secours de Dieu dans leurs nécessités par l'intercession des habitants des cieux ; cela Nous engage, répondant à des prières qui Nous furent adressées tout récemment, à désigner pour le bien spirituel des marins d'Italie un patron céleste spécial. Nous avons appris en effet avec quelle foi candide les associations des gens de mer, les sociétés de navigation et tous les marins d'Italie Nous ont instamment prié de bien vouloir proclamer saint François de Paule comme leur patron céleste auprès de Dieu. Avec la même instance, les nobles Princes de la Maison de Savoie, l'archevêque de Gênes cardinal de la Sainte Eglise romaine, l'Ordinaire des armées pour l'Italie, le ministre général de l'ordre des Minimes, les autorités civiles d'Italie enfin ont appuyé ces prières du poids de leurs suffrages.

Saint François de Paule, confesseur, fondateur de l'ordre des Minimes, eminent par ses vertus et ses miracles, inscrit par Notre prédécesseur Léon X au nombre des saints, a toujours été vénéré par les habitants des côtes d'Italie avec grande dévotion, car la vie de ce thaumaturge fut remplie de prodiges accomplis en mer et souvent

1 D'après le texte latin des A. A. S., 35, 1943, p. 163.

au bénéfice des marins ; par la suite, les navigateurs n'ont cessé de l'invoquer et d'avoir recours dans leurs dangers à sa puissante protection : ainsi en témoignent les ex-voto qui ornent le temple-sanctuaire de Gênes, si connu sur tout le littoral tyrrhénien pour sa « cloche de la mer », bénite solennellement il y a peu d'années.

C'est pourquoi il Nous paraît opportun en ce jour, VI des calendes d'avril, jour anniversaire de la naissance du saint thaumaturge en 1416 en Calabre, de répondre favorablement à ces demandes. Après avoir entendu Notre Vénérable Frère évêque de Palestrina, cardinal de la Sainte Eglise romaine, préfet de la Sacrée Congrégation des Rites, à teneur des présentes lettres, dans la plénitude de Notre puissance apostolique et à perpétuité, Nous constituons de grand coeur et Nous confirmons saint François de Paule, confesseur, comme patron céleste auprès de Dieu des associations des gens de mer, des sociétés de navigation et de tous les gens de mer du royaume d'Italie.

Nonobstant toutes choses contraires...

LETTRE A L'UNIVERSITÉ NOTRE-DAME DANS L'ÉTAT DTNDIANA AUX ÉTATS-UNIS POUR LE Ier CENTENAIRE DE SA FONDATION

(2 avril 1943) 1

Nous ne voulons pas laisser passer le centenaire de l'Université Notre-Dame sans prendre part, fût-ce à distance, à cette heureuse célébration. Nous Nous rappelons avec un plaisir spécial aujourd'hui les liens d'estime et d'affection qui Nous unissent à votre grande institution et Nous Nous réjouissons cordialement avec vous, comme quelqu'un qui vous a fréquentés personnellement et a reçu l'hommage dévoué de l'Université. 2

Son importance.

Notre séjour dans la belle propriété de Notre-Dame, bien qu'il fut nécessairement bref, a amplement servi à Nous montrer, avec une clarté qui dépasse toute description verbale, le progrès accompli durant le siècle écoulé. La beauté calme, la simple grandeur, la tranquillité spirituelle de l'Université et de ses alentours, tout manifestait un esprit de sacrifice et de dévouement aimant à la cause de l'éducation catholique de la part des vénérés fondateurs et de leurs estimés successeurs. Peut-être fûmes-Nous d'abord impressionné par les dimensions mêmes de l'Université, avec sa propriété de quelque 1700 acres, ses 45 bâtiments modernes et sa population estudiantine de plus de 3200 jeunes gens venus des 48 Etats, des territoires américains et de plusieurs pays étrangers. Ce sont certes

1 D'après le texte anglais des A. A. S., 35, 1943, p. 394 ; cf. la traduction française des Actes de S. S Pie XII, t. V, p. 52.

2 Le pape fait allusion à la visite de l'Université Notre-Dame durant son séjour (8 octobre-7 novembre 1936) aux Etats-Unis, quand il était secrétaire d'Etat de Pie XI.

là les signes d'une croissance physique extraordinaire, rendue nécessaire par l'expansion scientifique et spirituelle de l'Université. En fait, Nous aimons à les considérer plutôt comme une expression extérieure de l'esprit de Notre-Dame, cette atmosphère spirituelle indéfinissable, mais bien réelle et saine, qui plane sur votre propriété et qui est répandue jusqu'aux quatre coins de la terre par vos anciens, préparés par leur formation à servir d'exemples édifiants de la virilité et de l'authentique valeur d'une éducation vraiment chrétienne. C'est un esprit qui donne un sens à la vie et une direction à l'éducation de milliers de jeunes gens ; un esprit qui inspire aux étudiants de Notre-Dame une conception heureuse et décidée de la vie, de la dépendance de l'homme par rapport à son Créateur et de son appartenance active au Corps mystique du Christ. Nous sommes heureux de saisir cette occasion de renouveler Nos compliments pour cet « esprit de Notre-Dame » et Nous prions pour qu'il obtienne une expansion encore plus universelle et plus fructueuse.

Son histoire.

Ce dut être un esprit analogue de dévouement au devoir et de collaboration dans le sacrifice qui inspira le vénéré Edward Sorin et ses collaborateurs énergiques et dévoués, les Frères Marie, Gra-tian, Patrick, William, Basil, Peter et Francis, lorsqu'ils commencèrent à travailler à la cause de l'éducation catholique, sur les rivages magnifiques du lac Sainte-Marie, en ce jour mémorable de novembre 1842 3. Pauvres matériellement, mais riches de la force et de la confiance qui naissent de la foi divine, ces hommes courageux avaient accepté de Célestin de la Hailandière, évêque de Vin-cennes, son offre généreuse du site de Sainte-Marie des Lacs, avec la promesse qu'ils y établiraient un collège et un noviciat. Le fait qu'en un peu plus d'une année l'on ait érigé une chapelle, une résidence et un bâtiment de classes et que l'on ait obtenu de l'Etat d'Indiana la charte de « l'Université de Notre-Dame du Lac » est un témoignage éloquent du travail intelligent et dévoué de ces fondateurs de l'Université.

La première histoire de l'Université ne fut pourtant pas sans périodes d'épreuve et de tribulation ; et le groupe courageux du

8 A ce sujet, voir l'ouvrage du chanoine Etienne et Tony Catta : Le T. R. P. Basile-Antoine Moreau (1793-1877), t. 1er, p. 446 et suiv.

Père Sorin, avec les chères Soeurs de la Sainte-Croix qui lui prêtaient déjà alors leur aide généreuse et dévouée, eut souvent à faire face à des problèmes qui requéraient des coeurs fermes et une foi solide en la divine Providence. Ce fut d'abord l'épidémie désastreuse de choléra et de malaria, à laquelle succomba un tiers de l'Université. Les effets tragiques de ce coup mortel se faisaient encore sentir lorsque, quelques années plus tard, en 1879, un feu dévastateur détruisit la plupart des bâtiments élevés sur la propriété au cours des premières vingt-cinq années de labeur et de sacrifices. Invaincu, le Père Sorin parcourut du regard les ruines fumantes, et, réunissant ses religieux autour de lui, déclara : « Je ne suis pas découragé. Même si tout était détruit je ne perdrais pas courage. Nous allons recommencer aussitôt. Notre sainte Mère à qui nous avons tout donné ne nous abandonnera pas. » N'était-ce pas là, peut-être, la première formulation publique de ce véritable «esprit de Notre-Dame», esprit de confiance calme et décidée en Dieu tout-puissant et en sa sainte Mère, si magnifiquement symbolisé par la statue de Notre-Dame qui domine aujourd'hui votre propriété en signe de protection et en souvenir de la puissance de son intervention céleste ?

L'éducation qu'elle donne.

Les hommes zélés chargés de la direction de l'Université au cours de sa longue et glorieuse histoire ont éminemment mérité la renommée internationale qui a couronné leurs efforts, car ils ont établi une université digne de ce nom, une institution d'études supérieures dans laquelle l'éducation de l'étudiant ne se limite pas à la seule culture de son intelligence. Ils fondèrent le programme d'éducation de l'Université sur la longue et précieuse expérience de l'Eglise, qui enseigne que l'éducation de la jeunesse ne doit pas être maintenue dans des limites étroites, mais assurer le développement de tout l'homme et préparer l'étudiant à jouer son rôle intelligemment et honnêtement dans le prélude terrestre à la vie plus parfaite promise par notre divin Maître. Le fait que ce programme a eu un plein succès est attesté par les résultats remarquables qui ont été obtenus et par cette constatation que les élèves de Notre-Dame, lorsqu'ils prennent place dans les diverses carrières de la vie, continuent à honorer leurs trois amours : Dieu, leur pays et Notre-Dame.

Ce doit certes être une source de profonde satisfaction pour les bien-aimés religieux de la Congrégation de la Sainte-Croix de savoir que l'éducation spirituelle donnée aux étudiants de l'Université porte des fruits abondants lorsque ces jeunes gens s'en vont répandre dans le monde, par leur exemple et leur sain enthousiasme, leur dévotion au Saint Sacrement et à Marie Immaculée. C'est un grand sujet de légitime satisfaction que de savoir qu'en de très nombreux cas, ces jeunes gens, bien qu'assaillis par les soucis du monde et souvent entourés d'une indifférence matérialiste pour les valeurs spirituelles, continuent les pratiques louables de leurs années d'étudiants : la communion fréquente ou quotidienne, la visite régulière au Saint Sacrement, l'union généreuse pour venir en aide à un ami qui a besoin de réconfort, d'aide financière ou d'assistance personnelle ; et l'habitude de chercher dans la prière, la lumière et la direction du Dieu tout-puissant et de sa sainte Mère dans toutes les épreuves et tous les problèmes de la vie. Tout en étendant Nos cordiales félicitations aux religieux de la Sainte-Croix et à leurs collaborateurs de la faculté de l'Université Notre-Dame qui, avec tant de succès, ont inspiré aux coeurs de leurs étudiants l'amour de ces pratiques chrétiennes fondamentales, Nous voudrions ajouter un mot de félicitation spéciale pour le bulletin religieux quotidien, qui s'est montré un instrument si efficace pour propager cet apostolat tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Université. Nous ne voudrions pas non plus laisser passer cette occasion sans mentionner le système d'éducation physique de l'Université. Fondé premièrement sur le principe : « une âme saine dans un corps sain » et toujours maintenu dans le programme à sa place sans la trop grande insistance courante sur la culture physique, il a contribué grandement, grâce à la conduite exemplaire et à l'intégrité sportive des représentants de l'Université, à enlever aux esprits de la jeunesse américaine l'idée que la fidélité aux pratiques religieuses était incompatible avec ce qu'il y a de meilleur dans l'homme d'Amérique.

Il faut aussi noter que leur préparation universitaire ne laisse pas les étudiants de Notre-Dame sans un loyal patriotisme. Les annales de l'histoire d'Amérique relatent les services rendus et les sacrifices supportés volontiers, en tout temps, par les prêtres, les Frères et les étudiants de l'Université ; et de nos jours, les étudiants et les anciens ont gravé en leurs coeurs la glorieuse tradition de Notre-Dame, tradition vraiment catholique de dévouement enthousiaste et patriotique et de service au pays.

Si Nous avons accordé une attention particulière et une louange spéciale aux aspects moraux et spirituels du système d'éducation de votre grande Université, Nous n'avons pas eu l'intention de minimiser ou d'omettre sa formation magnifique et ses succès dans le domaine intellectuel ; Nous avons désiré bien plutôt insister sur l'importance de ces éléments de base de l'éducation chrétienne qui soutiennent et fortifient si admirablement la superstructure intellectuelle. Nous avons vu de Nos propres yeux les facilités données au progrès intellectuel des étudiants dans les six départements de l'Université ; et la renommée internationale atteinte par 'les professeurs et les anciens élèves de Notre-Dame donne une ample preuve du fini de leur préparation scientifique et pratique. Le tableau d'honneur des chercheurs de l'Université est long et impressionnant et Nous sommes heureux de mentionner ici Notre paternelle appréciation de leur inestimable contribution à la connaissance humaine et au progrès de la recherche scientifique. Leurs noms sont inscrits définitivement dans le livre d'or de Notre-Dame pour servir de symbole au splendide succès dans tous les champs de l'effort scientifique et au fier souvenir de la grande masse de vos anciens qui, en quittant les halls vénérés de Notre-Dame, rendent, sans ostentation mais avec efficacité, des services très remarquables à Dieu et à leur pays.

Notre prière, sincère et confiante en ces joyeuses circonstances, demande que Celle dont votre Université porte si fièrement le nom continue à guider les destinées de votre institution vers des succès toujours plus grands pour Dieu, pour votre pays et pour Notre-Dame. Puisse sa bienveillante intercession obtenir pour l'Université et pour les chers enfants qui la fréquentent une mesure surabondante de bénédictions célestes !

Comme gage de cette faveur céleste et en témoignage de Notre paternelle affection, Nous vous accordons de tout coeur Notre Bénédiction spéciale apostolique.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(7 avril 1943) 1

Ce discours fait suite à celui du 27 janvier (ci-dessus, p. 29): Les vertus du foyer familial.

Soyez les bienvenus, chers jeunes époux, vous que la foi et l'espérance font accourir à Nous afin de recevoir, avec Notre bénédiction, la bénédiction du Christ sur le foyer que vous avez fondé dans l'amour. Vous le rêvez beau, ce foyer ; non pas que vous l'imaginiez à l'abri des épreuves et des larmes, car vous savez bien que ce serait une vaine attente ici-bas, mais vous le rêvez beau parce que, au milieu même des épreuves et des larmes, vous le voulez chaste, saint, aimable, attirant, rayonnant : vous le voulez tel en un mot que nous avons essayé de le décrire dans Notre dernière allocution aux jeunes mariés qui vous ont précédés ici. Mais comment réaliser, dans la mesure du possible, un si haut idéal ? Durant le temps de vos fiançailles, vous avez pris de sages résolutions et fait de fervents préparatifs pour construire, aménager et asseoir votre maison, et pour la rendre vivante et riante. C'était là un commandement de la prudence et de la prévoyance ; mais par-dessus tout, un dessein vous possédait l'un et l'autre : le dessein de vous aider l'un l'autre à vous perfectionner, à grandir dans toutes les vertus, à rivaliser dans le bien et la concorde, parce que ce sont là les éléments nécessaires à la constitution du foyer tel que le souhaite votre coeur.

Mais ces vertus, que sont-elles ? Et en particulier que sont les vertus du foyer domestique ?

Il est vraiment malheureux que ce terme si noble de vertu ait été profané, non pas tant, il est vrai, par mépris ou par moquerie que par une extension abusive de ce mot qui en a affaibli la signi

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggî, t. V, p. 21 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. II, p. 255.

fication jusqu'à le rendre équivoque, mesquin et malsonnant aux oreilles mêmes de personnes véritablement vertueuses. Au sens propre, le mot de vertu — du latin virtus, qui dérive de vir — signifie force 2 et désigne une force apte à produire un effet bon 3. Ainsi par exemple, dans l'ordre purement physique, où les puissances naturelles opèrent par nécessité et selon des règles fixes, on parle des vertus de certaines plantes médicinales. Cependant, dans l'ordre humain, juridique et social, où les êtres raisonnables sont libres dans leurs actions, le supérieur commande en vertu de son autorité, tandis que l'inférieur se sent obligé en vertu de la loi divine ou humaine, naturelle ou positive ; ici, chacun peut être tenu d'accomplir un acte qu'il serait libre d'omettre s'il ne se savait lié en vertu de son serment ou de sa parole d'honneur. De même l'ordre intellectuel a ses vertus, sagesse, intelligence, science, prudence, qui guident la volonté ; notre mémoire a la vertu de conserver les connaissances acquises qui lui ont été confiées ; l'imagination a la vertu de nous rendre sensibles les formes des choses absentes, lointaines ou passées, de nous représenter les choses spirituelles ou abstraites ; l'intelligence a la vertu de nous élever au-delà des sens et aussi de nous ouvrir ce que nous percevons par eux. Mais plus communément le terme de vertu s'applique à l'ordre moral, où les vertus du coeur, de la volonté et de l'esprit font la dignité, la noblesse et la vraie valeur de la vie.

Les vertus morales donnent au foyer une beauté sans égale dans la vie naturelle.

C'est de ces vertus d'ordre moral que Nous Nous proposons de vous entretenir. Nous en parlerons en tant qu'elles sont des vertus du foyer et qu'elles ont de l'importance pour l'intimité et le rayonnement de la famille. C'est d'elles en effet que naît et découle la vraie vie d'un bon foyer domestique ; où plutôt elle naît du concours de ces vertus très variées, mais solides et charmantes, que les deux fiancés aiment à trouver l'un dans l'autre et dont ils voudraient se parer comme des joyaux les plus précieux.

Représentez-vous un de ces foyers modèles. Vous y verrez chacun plein d'ardeur dans l'accomplissement consciencieux et efficace de son propre devoir, plein d'ardeur à faire plaisir à tous, à prati-

2 Cf. Cicéron, Tusculanes, 2, 18, 43.

3 Cf. S. Thomas, Summa Theol., I» IIae, q. 55.

quer la justice, la franchise, la douceur, l'abnégation le sourire aux lèvres et le sourire au coeur, la patience dans le support et dans le pardon mutuels, la force à l'heure de l'épreuve ou sous le poids du travail. Vous y verrez les parents éduquer leurs enfants dans l'amour et la pratique de toutes les vertus. En un foyer pareil, Dieu est honoré et servi avec fidélité ; le prochain y est traité avec bonté. Y a-t-il, peut-il y avoir, rien de plus beau, rien de plus édifiant ?

Mais les vertus infuses surnaturelles dépassent et élèvent la nature.

En vérité, y aura-t-il jamais rien de meilleur qu'un si beau foyer, si Dieu s'était contenté lors de la création d'enrichir l'homme des facultés destinées à acquérir, à perfectionner et à pratiquer toutes les vertus et à faire fructifier tous les dons que Nous venons de mentionner ? Mais Dieu avait des desseins bien plus hauts de bienfaisance et de générosité : il a voulu communiquer à l'homme une vie qui fît de lui son fils adoptif, une vie divine, la grâce ; et il a voulu lui infuser avec la grâce des facultés, des puissances nouvelles de caractère divin, des secours qui dépassent infiniment la nature humaine et les aptitudes de n'importe quelle nature créée. C'est pourquoi ces vertus sont appelées surnaturelles, et elles le sont en effet essentiellement. Quant aux autres vertus, les vertus naturelles et humaines d'ordre moral, si la nature n'en donne pas à l'homme la perfection, elle lui donne cependant une inclination, une disposition à ces vertus, et l'homme pourra les acquérir et les développer par ses forces personnelles 4 ; mais l'adoption divine va en surnaturaliser les actes par l'influence de la charité qui en devient l'âme, et elle leur donnera un éclat, une efficacité, une valeur de vie éternelle 6.

Ces vertus surnaturelles portent le nom de vertus infuses, parce que, unies à la grâce sanctifiante, elles sont en quelque sorte versées dans l'âme dès l'instant que l'homme est élevé à la vie divine et à la dignité de fils de Dieu.

Comme nos organes, en vertu de leurs fonctions et de leurs constitutions physiologiques, assurent la conservation, le développement, la santé de notre vie corporelle ; comme notre esprit, en

* S. Thomas, Summa Theol., I» II««, q. 63, a. 1 et 2. 5 Idem, ibid., II» II*0, q. 23, a. 8.

vertu de sa liberté éclairée et surveillée par la conscience, affermit et dirige notre vie morale dans les sentiers de la justice, vers le bien et la félicité de notre nature humaine, ou du moins vers ce qui semble tel ; ainsi l'activité de la vie surnaturelle de la grâce, par ces facultés supérieures que sont les vertus infuses, nous dirige vers la plénitude de vigueur spirituelle ici-bas et vers la participation, un jour, à la béatitude divine dans la céleste éternité.

Celles-ci l'enfant les reçoit dès son baptême.

Les vertus infuses surnaturelles, voilà le « cadeau de baptême » du Père céleste à ses enfants.

Comment donc ? Ce petit être caché pour l'instant dans le sanctuaire du sein maternel, ce petit être que vous verrez d'ici à quelques mois répandre ses premières larmes, dans l'attente de ses premiers sourires qui ne viennent qu'après les pleurs ; le jour où fiers de votre paternité, vous le rapporterez de l'église régénéré dans les eaux du baptême, et vous irez le présenter à sa mère qui lui donnera un baiser plus tendre encore qu'à son départ de la maison ; cet enfant aurait donc déjà des vertus si hautes, si sublimes qu'elles dépassent la nature ? Oui, n'en doutez point.

N'avait-il pas, dès le moment de sa naissance, dès le premier instant de son existence, reçu de vous une empreinte où l'on pourra bientôt reconnaître facilement la marque de sa double ascendance paternelle et maternelle ? Les premiers jours, il est vrai, le petit enfant ne diffère guère des autres nouveau-nés. Mais dans la suite, avant même qu'il ne parle ou raisonne, vous découvrirez, dans ses grâces ou dans ses caprices, l'un ou l'autre trait de votre caractère à vous, et cela, lorsque son intelligence et sa volonté s'éveilleront, ou plutôt se manifesteront, car, bien que ces facultés paraissent jusqu'alors endormies et inactives, elles recueillent déjà du dehors, par les regards inquiets et avides de l'enfant, par ses mouvements et par ses pleurs, de si nombreuses idées et convoitises des choses, et vous n'aurez pas attendu le jour où se manifesteront son intelligence et sa volonté pour la première fois, pour transmettre à votre enfant ces traits de physionomie corporelle, intellectuelle et morale.

Il en sera de même des vertus surnaturelles, dans l'ordre de la grâce. Ces facultés divines que sont les vertus de foi, d'espérance et de charité, Dieu les infuse en l'enfant par le sacrement de baptême qui le fait naître à la vie spirituelle ; par là, les germes rationnels et individuels qui porteront l'enfant aux vertus naturelles et que vous lui aurez communiqués par la génération, seront, par la puissance de la régénération, comme protégés et gardés jusqu'à l'usage de la raison.

Par l'éducation et l'exemple des parents, les vertus infuses s'unissent aux vertus naturelles.

Vous pouvez dès lors comprendre en quel sens Nous entendons parler des vertus du foyer : en ce sens que la grâce veut s'unir dans la famille aux bonnes dispositions de la nature qui portent à la vertu et en vaincre les mauvaises, celles dont il est écrit que « les pensées du coeur humain sont inclinées au mal dès l'adolescence » (Gn 8,21). Mais la grâce ne s'arrête pas au niveau de la nature : elle monte au-dessus de la nature, et elle exalte la nature, en donnant le pouvoir de devenir enfants de Dieu à ceux qui croient dans le nom du Christ, à ceux « qui sont nés, non pas du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu » (Jn 1,12-13). N'oubliez pas que nous naissons tous avec le péché originel et que, si la nouvelle famille réunit en elle-même les vertus naturelles et chrétiennes déjà cultivées dans les jeunes époux par la saine et pieuse éducation qu'ils ont reçue à leurs foyers et qui, passée en tradition, s'est maintenue et transmise de génération en génération, les jeunes époux eux-mêmes constituent par là un foyer où ils continuent à l'envi la sainte et vertueuse beauté des ancêtres et des familles qui leur ont communiqué la vie. Si le baptême fait du nouveau-né un enfant de Dieu et suffit pour en faire un ange avant l'usage de la raison et la juste connaissance du bien et du mal, néanmoins son éducation doit commencer dès l'enfance, parce que les bonnes inclinations naturelles peuvent s'égarer quand elles ne sont pas bien dirigées et développées par des actes bons qui, à force de répétition, les transforment en vertus sous la conduite de l'intelligence et de la volonté, une fois passé l'âge de l'enfance. N'est-ce pas la vigilante discipline des parents qui forme et informe le caractère des enfants ? N'est-ce pas l'exemple de leur conduite vertueuse qui marque aux enfants eux-mêmes le chemin du bien et de la vertu et qui garde en eux le trésor de la grâce et de toutes les vertus reliées à la grâce ? Seulement remarquez bien que

rade volte risurge per Ii rami l'umana probitate ; e questo vuole quei che la dà, perché da lui si chiami.

(il est rare que renaisse dans les rameaux l'humaine probité ; c'est ainsi que le veut Celui qui nous la donne, afin que nous sachions la lui demander) 6.

Par conséquent, lors même que les enfants ont reçu en partage un bon naturel, il faut de grands soins pour qu'ils se développent heureusement et qu'ils tournent à l'honneur du foyer domestique, à l'honneur du nom de leurs parents.

Jeunes époux, héritiers des foyers chrétiens de vos parents et de vos aïeux, élevez donc vers Dieu vos humbles prières, afin que dans vos enfants renaissent vos vertus et qu'elles répandent sur tous ceux qui vous entourent le reflet de leur lumière et de leur chaleur. Quel magnifique exemple vous pouvez donner ! Quelle mission, et en même temps quelle auguste responsabilité ! Assumez-la, cette responsabilité, avec courage, avec joie, avec humilité, dans la sainte crainte de Dieu, car c'est la sainte crainte de Dieu qui fait les héros des vertus conjugales et qui attire du ciel l'abondance des plus précieuses grâces.

Chers jeunes époux, Nous vous donnons de grand coeur, pour qu'elle vous accompagne tous les jours de votre vie et qu'elle vous aide à parvenir à cette si haute fin religieuse du foyer chrétien, Notre Bénédiction apostolique.

« Dante, Purgatoire, 7, 121-123.


Pie XII 1943 - DISCOURS AUX CURÉS ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME