Pie XII 1943 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A M. EUGÈNE DUTHOIT PRÉSIDENT DES SEMAINES SOCIALES DE FRANCE

(17 mai 1943) 1

A l'occasion de l'envoi au pape du volume qui groupait des leçons magistrales d'ouverture des Semaines sociales de France, S. Em. le cardinal Maglione, secrétaire d'Etat, a adressé à son auteur, M. Eugène Duthoit, la lettre suivante :

J'ai bien reçu l'aimable lettre que vous m'avez envoyée dernièrement, accompagnant les deux exemplaires de votre récent ouvrage : Rénovation française. Apport des Semaines sociales.

L'un des volumes a été aussitôt, selon le désir que vous m'exprimiez, remis entre les mains du Saint-Père, auquel je n'ai pas manqué d'exprimer en même temps vos sentiments de fidèle attachement et votre reconnaissance pour les enseignements contenus dans ses récents messages.

Sa Sainteté ne pouvait manquer d'être très particulièrement sensible à ce double hommage. L'Apport des Semaines sociales méritait d'être synthétisé en un volume pour l'utilité de tous ceux qui veulent apporter leur contribution non seulement au relèvement de votre cher pays, mais encore à la reconstruction en général d'une société meilleure dans le monde de demain. Les précieux enseignements rassemblés par vos soins dans ce volume représentent le résultat des féconds travaux d'une institution qui s'est, au cours de longues années, acquis dans l'Eglise de France et dans le monde chrétien de rares mérites. On ne peut que se réjouir qu'après une période de silence,

l D'après le texte français des Actes de S. S. Pie XII, t. VI, p. 303.

imposée par les circonstances, les « Semaines sociales de France » fassent à nouveau entendre ainsi leur voix et Sa Sainteté se plaît à souhaiter paternellement que cette voix soit largement écoutée et suivie. Les « Semaines sociales » auront de la sorte écrit un nouveau chapitre à l'histoire de leur bienfaisante activité et contribué à l'avènement de cet ordre social chrétien que les individus comme les nations appellent de tous leurs voeux et qui seul peut leur assurer la paix et la prospérité.

En vous remerciant et en vous félicitant de tout coeur, Sa Sainteté vous envoie, ainsi qu'à tous vos collaborateurs, en gage de sa constante bienveillance, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AU SACRÉ COLLÈGE

A L'OCCASION DE LA FÊTE DE SAINT EUGÈNE Ier

(2 juin 1943) 1

C'est encore une tradition que la fête de saint Eugène permette au pape, en réponse à l'adresse d'hommage des cardinaux, de leur adresser une allocution dans laquelle, comme ici, il parle des problèmes posés par la guerre.

Anniversaire annuel.

Il y a un an, Vénérables Frères et chers Fils, la vigile de l'Ascension coïncidait avec le vingt-cinquième anniversaire de Notre consécration episcopale, sceau éternel et sacré placé sur Notre âme. A cette date, Nous n'avons pu laisser échapper l'occasion d'adresser la parole à tous Nos fils accablés par de lourdes souffrances, avides de vérité, ayant besoin de réconfort. Nous leur avons indiqué, ainsi qu'à toute l'humanité, les chemins qui mènent aux « sources du salut » (Is 12,1), d'où jaillissent continuellement, et avec abondance, à l'ombre de la roche de Pierre, les eaux qui désaltèrent, purifient et vivifient.

La même vigile de l'Ascension coïncide cette année avec la fête du doux et saint pontife Eugène Ier, Notre prédécesseur et patron. Pour honorer sa mémoire vénérée, l'amour généreux de tous les fidèles de l'univers catholique a fourni les moyens nécessaires pour élever une église, digne de la Ville éternelle, dans un des quartiers de Rome où vit, se groupe, se développe une nouvelle population au bénéfice de laquelle le ministère pastoral pourra s'exercer plus effi-

cacement. A l'aube de ce même jour retentissent les voix qui montent suppliantes en ce retour des Rogations et sont une particulière manifestation de piété et d'amour. A ces souvenirs si saints, en Nous faisant le don toujours agréable de votre présence, vous avez voulu joindre — par la parole du vénéré doyen du Sacré Collège dont un siècle presque complet d'existence n'a ni diminué, ni éteint le zèle ardent et l'activité — vos voeux fervents et dévoués. Ils s'unissent harmonieusement aux prières liturgiques qui, en ces jours, montent des antiques basiliques et des églises les plus lointaines jusqu'au trône de Dieu, comme un encens d'agréable odeur, pour apaiser la divine justice, pour invoquer la clémence de Dieu, en infusant la douce espérance de voir exaucée la supplication du peuple chrétien.

Attente des futurs événements.

En ces temps d'affliction pour le monde entier, comment, Vénérables Frères et chers Fils, n'accueillerions-Nous pas avec une vive reconnaissance vos prières et vos souhaits, comme un don spirituel et une consolation, averti comme Nous le sommes des épreuves toujours plus difficiles auxquelles l'Eglise pourra se trouver aussi exposée ? Mais assuré de votre dévouement et de la fidélité inébranlable de votre âme pour tout ce que l'Eglise ressent, veut et accomplit, Nous allons avec courage et pleine confiance au-devant des événements futurs, sans Nous lasser, sans faiblir, pour secourir et réconforter Nos fils du monde entier, leur indiquant le chemin étroit qui conduit à la terre promise d'un avenir béni de Dieu et digne de l'homme, avenir — Nous voudrions l'espérer — pas trop éloigné, dans lequel l'Eglise puisse répéter avec un coeur joyeux et reconnaissant : « Vous les avez guidés le jour par une colonne de nuée, et la nuit par une colonne de feu » (Ne 9,12).

Sollicitudes de l'Eglise en face de la prolongation de la guerre.

Car le conflit armé se prolonge, la technique de la guerre se perfectionne fébrilement, l'âpreté des méthodes de combat grandit, si bien que la mission surnaturelle et pacificatrice de l'Eglise se heurte à des difficultés, à des méconnaissances que le passé ignorait ou ne soupçonnait pas à un tel degré, et qui deviennent, pour elle et son oeuvre, un vrai péril.

Faisant front à ces obstacles, l'Eglise, qui n'oublie jamais la responsabilité que fait peser sur elle le soin des âmes, sent le vif devoir de parer et de prévenir toute manoeuvre de. qui prétendrait blesser la pureté de sa doctrine et de son enseignement, restreindre l'universalité de sa mission, nier l'évident désintéressement de son amour qu'une égale sollicitude étend à tous les peuples, comme si elle se laissait attirer et entraîner dans le tourbillon d'idéals purement terrestres et 'dans un abîme de conflits exclusivement humains.

Dès lors, il ne sera pas difficile, Vénérables Frères et chers Fils, à votre esprit perspicace, à votre amour intense et à votre attachement, de peser et de mesurer mieux que les autres le poids du fardeau singulièrement accru en de pareilles circonstances, qui repose sur les épaules de celui qui, au nom du Christ et par son mandat, a reçu la mission de se faire tout à tous dans « la lutte de tous contre tous » pour les gagner tous à Dieu.

Pénétré et conscient de l'universalité de ces sentiments paternels que Nous nourrissons, ayant été appelé au gouvernement de l'Eglise de Dieu dans un temps qui fait mûrir les fruits amers des fausses théories du passé et du présent, Nous jugeons que Notre haute et principale mission est la défense et la sauvegarde de l'héritage spirituel de Nos saints et éclairés prédécesseurs et la dénonciation avec franchise, mais avec amour, des erreurs qui se trouvent à la racine de tant de maux, afin que les hommes s'en gardent et retournent dans la voie du salut. En agissant de la sorte, comme aussi en adressant Nos messages au monde entier, Nous n'avons jamais eu l'intention d'articuler un acte d'accusation, mais bien plutôt de ramener les hommes aux sentiers de la vérité et de la rédemption : Notre voix était celle de la vigie attentive, choisie et placée par Dieu pour la garde de toute la famille humaine. Notre voix était, à la veille de l'affreux conflit, un cri échappé du coeur du Père plein d'angoisse et de douleur à la prévision de la catastrophe prochaine, cri provoqué par l'amour embrassant tous les peuples sans distinction, par l'amour du Christ qui est plus fort que tout, surpasse tout et qui Nous presse et Nous enflamme Nous-même (cf. 2Co 5,14). Aujourd'hui, alors que tous constatent et font l'expérience de l'épouvantable tragédie à laquelle conduit la guerre, bien des esprits, bien des coeurs, qui jadis jugeaient et appréciaient l'appel aux armes comme plus prometteur d'avantages et d'honneurs et rejetaient la sage entente et la coopération à l'oeuvre de noble concorde (par le moyen de concessions mutuelles et loyales), bien des esprits, bien des coeurs s'ouvrent sans doute à des pensées nouvelles et à des sentiments bien différents.

Quand la violence des passions ne fermentait pas encore, quand dans la vie des peuples régnait un sentiment plus large de fraternité et de confiance, la voix du Pasteur suprême parvenait librement à tous les fidèles, soit directement, soit par le soin et la parole de leurs évêques, sans être voilée ni tronquée, sans malentendus ; l'évidence même des faits, non moins que la clarté du langage, suffisait et avait assez de valeur pour priver de force et rendre vaine toute tentative d'altération ou de travestissement de la parole du Vicaire du Christ. S'il en était également ainsi aujourd'hui en toute liberté, tous les honnêtes gens, tous les hommes de bonne volonté auraient occasion et facilité de se rendre compte que le pape n'a pour tous les peuples indistinctement et sans aucune exception, que «des pensées de paix et non d'affliction» (Jr 29,11).

Souffrances des peuples pour motif de nationalité ou de race.

Vous ne vous étonnerez pas, d'autre part, Vénérables Frères et chers Fils, si Notre coeur répond avec une sollicitude toute prévenante et émue aux prières de ceux qui tournent vers Nous un regard d'anxieuse imploration, tourmentés comme ils le sont, à cause de leur nationalité ou de leur race, par des malheurs plus grands, par des douleurs plus pénétrantes et plus lourdes, et livrés, même sans faute de leur part, à des mesures d'extermination. Que les chefs des peuples n'oublient pas que celui qui, selon le mot de la Sainte Ecriture, « porte le glaive », ne peut disposer de la vie et de la mort des hommes que selon la loi de Dieu, de qui vient toute puissance (Rm 13,4).

Les petites nations.

Notre pensée et Notre affection s'élancent vers les petites nations, celles qui, par leur position géographique ou géopolitique, dans l'inobservance actuelle des lois morales et juridiques internationales, sont exposées facilement à être entraînées dans les conflits des grandes puissances, jusqu'à assister sur leurs terres, devenues le théâtre de luttes dévastatrices, à d'indicibles horreurs qui n'épargnent pas les non-combattants et fauchent la fleur de leur jeunesse et de leurs élites intellectuelles.

Vous n'attendez pas que Nous vous exposions ici, même partiellement, tout ce que Nous avons tenté et essayé d'accomplir pour diminuer leurs souffrances, pour adoucir leur situation morale et juridique, pour défendre leurs droits religieux imprescriptibles, pour subvenir à leur détresse et à leurs nécessités.

Toute parole de Notre part, adressée à ce propos aux autorités compétentes, toute allusion publique devaient être sérieusement pesées et mesurées par Nous, dans l'intérêt même de ceux qui souffrent pour ne pas rendre, malgré Nous, leur situation encore plus grave et plus insupportable. Hélas ! les améliorations manifestement obtenues sont loin de répondre à l'immense sollicitude maternelle de l'Eglise penchée sur ces groupes particuliers, soumis aux plus cruelles vicissitudes ; et comme Jésus devant sa ville devait s'écrier avec douleur : Quoties volui !... et noluisti ! (Lc 13,34), ainsi son Vicaire, bien qu'il demandât seulement pitié et retour sincère aux lois élémentaires du droit et de l'humanité, s'est trouvé souvent devant des portes qu'aucune clé ne pouvait ouvrir.

Grandeurs, douleurs et espérances du peuple polonais.

En vous confiant cette amère expérience qui a fait saigner Notre coeur, Nous n'oublions aucun des peuples souffrants ; Nous Nous souvenons de tous et de chacun avec une paternelle compassion et affection, bien qu'en ce moment Nous attirions votre attention de manière spéciale sur le sort tragique du peuple polonais qui, entouré de puissantes nations, est soumis aux vicissitudes et au va-et-vient d'un terrible cyclone guerrier.

Nos enseignements, Nos déclarations si souvent répétées ne laissent nul doute sur les principes auxquels doit faire appel la conscience chrétienne pour juger pareils actes, quels qu'en soient les auteurs responsables. Il n'est pas de connaisseur de l'histoire de l'Europe chrétienne qui puisse ignorer ou laisser tomber dans l'oubli combien les saints et les héros de la Pologne, combien ses savants et ses penseurs ont concouru à constituer le patrimoine spirituel de l'Europe et du monde, et combien le simple et fidèle peuple polonais, dans le silencieux héroïsme de ses souffrances à travers les siècles, a contribué au développement et à la conservation d'une Europe chrétienne.

Nous demandons à la Reine du ciel d'obtenir qu'à ce peuple si durement éprouvé et aux autres qui ont dû avec lui boire l'amer calice de cette guerre soit réservé un avenir qui soit à la hauteur de leurs légitimes aspirations et de la grandeur de leurs sacrifices, dans une Europe refaite sur des bases chrétiennes et dans une assemblée d'Etats exempte des erreurs et des égarements du passé.

Exhortation renouvelée à observer les lois morales et les principes d'humanité dans les opérations de guerre.

Il n'est pas moins pénible et regrettable, Vénérables Frères et chers Fils, que souvent dans cette guerre on fasse dépendre le jugement moral sur certaines actions qui vont à l'encontre du droit et des lois de l'humanité du fait que celui qui en est responsable appartient à l'une ou à l'autre des parties en conflit, sans égard à la conformité ou à la non-conformité avec les normes établies par l'Eternel Juge. D'autre part, l'impitoyable progrès de la technique de la guerre et l'exaspération des moyens de combat qui ne font pas de discrimination entre les soi-disant « objectifs » militaires et non-militaires, Nous rappellent d'eux-mêmes les périls qu'inclut en soi la triste et inexorable concurrence entre actions et représailles, au grand dam des peuples en particulier comme de la communauté des nations en général.

Nous qui, dès le commencement, avons fait tout le possible pour amener les belligérants à respecter les lois de l'humanité dans la guerre aérienne, Nous Nous faisons un devoir, dans l'intérêt de tous, d'exhorter une fois encore à leur observation. Au moment où le spectre des plus terrifiants engins de destruction et de mort vient hanter l'esprit des hommes, il n'est pas superflu d'avertir le monde civilisé qu'il chemine au bord d'un abîme d'indicibles malheurs.

. Souhait et prière.

Comment, Vénérables Frères et chers Fils, une paix de justice, d'entente, d'humanité, de fraternité pourrait-elle jamais sortir de pareilles méthodes de guerre ? Et cependant, Nous ne croyons pas Nous tromper en pensant que l'aspiration et la volonté d'une telle paix unissent dans un lien spirituel qui dépasse toutes les barrières de frontières, de langues, de races, un grand nombre d'âmes, prêtes au sacrifice et à la concorde. Revenues de leurs erreurs sur les fruits de la violence, beaucoup d'entre elles se sont acheminées, dans l'intime de leur coeur, vers l'idée d'une paix qui mette à l'honneur la dignité humaine et les lois morales. O paix, ô paix ! Quand donc d'un pays à l'autre, d'un océan à l'autre, ton nom retentira-t-il ? Quand donc ta figure brillera-t-elle sur la face de la terre ? Quand donc l'aurore de ton sourire réjouira-t-elle les peuples et les nations ? Quand donc, les armes étant déposées et le canon ayant fait silence, te rencontreras-tu avec la justice et, d'une affection sincère et unanime, la baiseras-tu au front ? Sans aucun doute, Vénérables Frères et chers Fils, viendra l'heure de Dieu. Ne dit-il pas à la mer : « Tu iras jusque-là et pas plus loin ; ici s'arrêtera l'orgueil de tes flots » (Jb 38,11). Aujourd'hui, c'est encore l'heure de la soumission aux impénétrables et sages desseins de Dieu ; c'est l'heure d'invoquer avec persévérance l'ampleur et la grandeur de ses miséricordes. Aussi souhaitons-Nous que cette portion saine qui est un bon ferment de concorde en tout peuple, et spécialement ceux qui sont unis dans le nom du Christ et qui placent dans la prière leurs meilleures espérances, n'hésitent pas, au moment propice, à mettre en action toutes les forces de leur zèle et de leur volonté pour susciter la vie des ruines de la haine et promouvoir l'avenir d'un monde nouveau, dans lequel toutes les nations, guéries des blessures ouvertes par la violence, se retrouveront soeurs et avanceront harmonieusement sur la voie du bien.

Ce n'est pas, certainement, un tel esprit qui actuellement gouverne le monde et souffle sur l'humanité qui persévère dans la guerre. On ne voit pas encore se lever l'aube de ce jour de la paix. A l'encontre de tout notre avide désir de vivre, nous vivons et souffrons continuellement au sein de la mort. C'est pourquoi, intimement persuadé comme Nous le sommes de la faiblesse et de l'insuffisance de tout moyen humain ainsi que des habiletés ou ressources des hommes, avec vous, Vénérables Frères et chers Fils, avec l'épiscopat tout entier, avec les prêtres et les fidèles de l'univers catholique, Nous Nous adressons avec d'autant plus de confiance au Sacré-Coeur de Jésus, « fournaise ardente de charité », « Roi et centre de tous les coeurs », auquel l'Eglise a consacré le mois qui vient à peine de commencer. Le feu du suprême amour2 qui brûle dans ce divin Coeur comme « une colonne de feu pendant la nuit », indique à un monde en guerre le chemin de la paix véritable. Que Celui « aux yeux de qui tout coeur est ouvert, pour qui toute volonté a son langage et nul secret ne demeure caché », éclaire et enflamme les esprits et les coeurs de ceux dont les mains tiennent les destinées des nations afin qu'ils reconnaissent qu'ils ne peuvent offrir aux peuples rien de plus grand, rien de plus noble, rien de plus nécessaire, rien de plus glorieux, rien de plus bienfaisant que le rameau d'olivier de la paix ; de cette paix qui, avec une totale et sûre tranquillité, prémunisse tous les peuples contre le retour du sanglant déluge de la guerre et garantisse, tel l'arc-en-ciel d'un avenir inébranlable, un accord juste et équitable, grâce à l'action généreuse de tous ceux qui aimeront concourir avec une loyauté aussi noble qu'éclairée à l'établissement de la fraternité universelle du genre humain.

En formulant ce souhait et cette prière, avec tout Notre amour paternel, Nous vous accordons, Vénérables Frères et chers Fils, ainsi qu'à tous ceux qui Nous sont spirituellement unis et surtout à la foule innombrable de ceux qui souffrent, qui sont opprimés, qui vivent dans l'angoisse, qui marchent avec résignation sur les chemins de l'affliction, la Bénédiction apostolique comme gage des grâces divines les plus abondantes.

S. Bonaventura, De praeparatione ad Missam, 1, 3, 10 ; éd. Quaracchi, t. VII, p. 102.



CHIROGRAPHE AU SUJET DE LA DIRECTION

ET DE L'ADMINISTRATION DE LA « MAISON DE LA DIVINE PROVIDENCE » FONDÉE PAR BENOIT XV

(2 juin 1943) 1

Après avoir à diverses reprises, dans son infatigable charité, porté secours aux enfants pauvres, abandonnés et malades d'Europe, soit au cours de la guerre européenne, soit dans les années qui la suivirent immédiatement, Notre prédécesseur de vénérée mémoire Benoît XV décida d'instituer une oeuvre durable pour les enfants qui présentaient des tendances à la tuberculose.

Dans ce but, après quelques essais, Notre même prédécesseur par son chirographe du 15 novembre 1920 décida l'acquisition d'un ensemble immobilier dans la commune de Nettuno où se trouvait le siège de la maison de cure fondée par Jean Orsenigo, membre de l'ordre bien méritant des Hospitaliers de Saint-Jean de Dieu, dit des « Fatebenefratelli ».

Par acte notarié du 29 janvier 1921 du notaire Jérôme Buttaoni, de Rome, le bloc immobilier fut acquis de fait par le Saint-Siège qui confia la direction et l'administration de l'hospice à quelques personnes pieuses de bonne volonté parmi lesquelles l'avocat professeur commandeur Joseph Fornari, sous le contrôle de l'administration des biens du Saint-Siège.

Les administrateurs prirent le nom de « Comité romain de prévoyance et d'assistance sanitaire » ; l'hospice reçut le nom de « Maison de la divine Providence » ; cette maison a abrité et abrite encore des enfants, des adolescents et des adultes des deux sexes prédisposés à

1 D'après le texte italien des A. A. S-, XXXV, 1943, p. 161.

la tuberculose ou qui ont des dépôts de maladies pulmonaires, pleu-rétiques ou osseuses.

Par décret du 23 août 1935, S. M. le roi d'Italie a reconnu et régularisé l'acquisition de l'ensemble immobilier en question en vertu de l'article 29, lettre /, du Concordat entre le Saint-Siège et l'Italie.

La divine Providence, l'activité des pieuses personnes préposées à la direction de l'hospice et celle des dévouées Soeurs Vincentines de Saint-Jean-Benoît Cottolengo qui vaquent à l'assistance des petits malades ont fait prospérer l'oeuvre. Le bâtiment où se trouve l'hospice a été agrandi et rendu conforme aux exigences modernes hygiéniques et sanitaires.

Par suite du décès survenu dans le courant de 1942 de l'avocat Fornari qui a présidé avec tant de zèle à l'administration de l'hospice qui va en prospérant depuis bientôt cinq lustres, Nous avons jugé opportun d'établir des règles précises pour la direction et l'administration de cet hospice.

Nous avons donc résolu, ainsi que Nous en disposons par Notre autorité, de prendre les dispositions suivantes :

I. — L'hospice de la divine Providence, portant le nom de « Maison de la divine Providence » fondé par Notre prédécesseur Benoît XV, à Nettuno, pour la cure hygiénique et sanitaire et pour l'assistance spirituelle et morale des enfants, adolescents et adultes des deux sexes prédisposés à la tuberculose ou ayant des traces de maladies pulmonaires, pleurétiques ou osseuses, reste propriété du Saint-Siège.

Dans cet hospice peuvent être admis des enfants, adolescents et adultes des deux sexes de toute l'Italie, avec égard spécial pour les Romains et plus spécialement pour les membres du personnel du Saint-Siège, de ses institutions et de l'Etat de la Cité du Vatican qui ne seraient pas dans l'aisance et aux enfants de ceux-ci.

II. — L'administration de l'hospice est confiée à un conseil composé de sept membres dont l'activité est gratuite.

De ce conseil font partie de droit, pendant la durée de leurs fonctions, Notre aumônier secret, le secrétaire de la Commission cardinalice pour l'administration des biens du Saint-Siège et le directeur des services sanitaires de la Cité du Vatican.

La nomination des quatre autres membres est faite pour cinq ans (avec faculté de renouvellement pour une période ou plus d'égale durée) par la Commission cardinalice pour l'administration des biens du Saint-Siège, après Notre approbation préalable.

III. — Le président du conseil est choisi par Nous parmi les membres du conseil lui-même pour la durée de cinq ans et peut être confirmé par Nous pour une période ou plus d'égale durée.

Ce même président a, pour tous les effets légaux à l'égard de tiers, la qualité de légitime représentant pour les affaires de l'hospice.

IV. — La Commission cardinalice pour l'administration des biens du Saint-Siège exerce la tutelle et la surveillance sur l'hospice.

Toute délibération du conseil d'administration de l'hospice dépassant l'administration ordinaire n'est efficace et executive qu'après approbation écrite de la Commission cardinalice dont il est question ci-dessus.

V. — Pour l'exécution des précédentes dispositions, Nous accordons à la Commission cardinalice pour l'administration des biens du Saint-Siège les plus amples facultés, y compris celle d'établir des normes réglementaires.

VI. — Toute disposition contraire à Notre présent chirographe est abrogée.

VII. — Notre présent chirographe sera publié dans les Acta Apostolicae Sedis.


DISCOURS AUX TRAVAILLEURS D'ITALIE

(13 juin 1943) 1

Une des plus importantes manifestations provoquées par le XXVe anniversaire de la consécration episcopale de Pie XII fut le pèlerinage de 20 000 ouvriers venus de toute l'Italie à Rome le jour de la Pentecôte. C'est à cette foule que le Saint-Père a adressé ce discours où il rappelle que l'Eglise a toujours protégé et encouragé les réformes sociales et les justes aspirations des travailleurs.

Votre agréable présence, chers fils et chères filles qui passez au travail les heures et les journées pour gagner votre vie et celle de vos familles, Nous suggère une pensée profonde et un grand mystère : la pensée qu'après la chute le travail fut imposé par Dieu au premier homme pour qu'il demandât à la terre son pain à la sueur de son front ; et le mystère que le Fils de Dieu descendu du ciel pour sauver le monde et fait homme s'est soumis à cette loi du travail et a passé sa jeunesse en besognant à Nazareth avec son Père putatif, en sorte qu'il fut cru et appelé « le fils du charpentier » (Mt 13,55). Mystère sublime que le Christ ait commencé par travailler avant d'enseigner, qu'il ait été un humble ouvrier avant de devenir maître de tous les peuples ! (cf. Actes, Ac 1,1).

Vous êtes venus à Nous comme au Père qui aime d'autant plus à s'entretenir avec ses fils que leur peine quotidienne est plus dure et continuelle, leur vie plus difficile et plus remplie de gêne et d'angoisses. Vous êtes venus à Nous comme au Vicaire du Christ qui éprouve en soi-même, perpétué par l'ineffable participation de la puissance divine, ce sentiment de tendresse et de compassion pour le peuple, sentiment qui, un jour, poussa notre Rédempteur à s'écrier : Misereor super turbam, « j'ai pitié de ce peuple » (Mc 8,2). Vous êtes venus à Nous comme au Pasteur qui, sur vous et plus loin que vous, étend son regard sur la portion bien plus nombreuse du troupeau qui lui a été confié par l'amour de Dieu et qui, dans votre attachement et dans votre dévouement, recueille comme d'une fidèle représentation les sentiments, les voeux et l'affection de tant de ses fils éloignés.

De grand coeur, Nous vous remercions pour une joie si vive qui Nous offre aussi l'occasion de vous dire une parole de bienveillance intime et d'encouragement, une parole qui vous serve de guide, de soutien et de réconfort en ces jours troublés par les soucis et les deuils.

Sages réformes sociales.

La masse des ouvriers, plus que toute autre accablée et tourmentée par les dures conditions présentes, n'est pourtant pas seule à en ressentir le poids ; toutes les classes doivent porter leur fardeau plus ou moins pénible et pesant ; ce n'est pas non plus uniquement la situation sociale des ouvriers et des ouvrières qui demande des retouches et des réformes, mais c'est la structure complexe de la société qui, tout entière, a besoin de redressements et d'améliorations, ébranlée profondément comme elle l'est dans son ensemble. Qui ne voit cependant que, par la difficulté et la variété des problèmes qu'elle implique, par le nombre considérable des membres qui y sont intéressés, la question ouvrière est d'une telle nécessité et importance qu'elle mérite un soin plus attentif, plus vigilant et plus prévoyant ? Question délicate entre toutes ; point névralgique, pourrait-on dire, du corps social, mais parfois aussi terrain mouvant et perfide, ouvert à des illusions faciles et à des espérances vaines et irréalisables, pour celui qui ne tient pas fixée devant les yeux de l'intelligence et face à l'impulsion du coeur la doctrine de justice, d'équité, d'amour, de considération réciproque et de vie en commun inculquée par la loi divine et par la voix de l'Eglise.

L'Eglise protège les justes aspirations des travailleurs.

Vous n'ignorez certes pas, chers fils et chères filles, que l'Eglise vous aime intensément et qu'elle n'a pas attendu aujourd'hui pour considérer avec ardeur et maternelle affection, avec un vif sentiment de la réalité des choses, les questions qui vous touchent plus particulièrement. Nos prédécesseurs et Nous-même, par un

enseignement réitéré, n'avons négligé aucune occasion de faire comprendre à tous vos besoins et vos nécessités personnelles et familiales ; proclamant comme des exigences fondamentales de concorde sociale ces aspirations qui vous tiennent tant à coeur : un salaire qui assure l'existence de votre famille, qui rende possible aux parents l'accomplissement de leur devoir naturel de faire croître une famille sainement nourrie et vêtue ; une habitation digne de personnes humaines ; la possibilité de procurer à vos fils une instruction suffisante et une éducation convenable, de prévoir les jours de gêne, de maladie et de vieillesse et d'y pourvoir. Ces conditions de prévoyance sociale doivent devenir des réalités si l'on veut que, à chaque saison, la société ne soit pas ébranlée par des ferments troubles et par des secousses dangereuses, mais qu'elle se tranquillise et progresse harmonieusement dans la paix et l'amour mutuel.

Or, tout louables que soient diverses mesures et concessions des pouvoirs publics et le sentiment humain et généreux qui anime un grand nombre de patrons, qui pourrait affirmer et soutenir que de tels objectifs ont été partout atteints ? En tout cas, les ouvriers et les ouvrières, conscients de leur grande responsabilité pour le bien commun, sentent et mesurent le devoir de ne pas alourdir le poids des difficultés extraordinaires dont les différents peuples se trouvent accablés, en présentant à grand bruit et avec des manifestations inconsidérées leurs revendications en ce temps d'universelle et impérieuse nécessité. Mais ils continuent à travailler et ils y persévèrent avec discipline et avec calme, donnant ainsi un inestimable appui à la tranquillité pour le plus grand profit de la vie sociale commune. A cette concorde pacifique des esprits, Nous donnons Notre éloge et Nous vous invitons et exhortons paternellement à y persévérer avec fermeté et dignité ; ce qui ne doit pousser personne à croire, comme Nous l'avons déjà fait observer dans Notre dernier message de Noël, que toute question doive être considérée comme résolue.

Les faux prophètes.

L'Eglise, gardienne et maîtresse de la vérité, quand elle affirme et défend courageusement les droits des travailleurs, a dû, à plusieurs reprises, en combattant l'erreur, avertir de ne pas se laisser illusionner par le mirage de théories spécieuses et folles, des visions de bien-être futur et par les séductions trompeuses et les incitations de faux maîtres de prospérité sociale qui appellent bien ce qui est mal et mal ce qui est bien, qui, se vantant d'être les amis du peuple, n'acceptent pas entre le capital et le travail, entre les patrons et les ouvriers, ces ententes mutuelles qui maintiennent et favorisent la concorde sociale pour le progrès et l'utilité commune. De pareils amis du peuple, vous les avez déjà entendus sur les places publiques, dans les cercles, dans les congrès ; vous en avez connu les promesses imprimées sur des feuilles volantes ; vous avez écouté leurs chants et leurs hymnes ; mais quand donc les faits ont-ils répondu à leurs paroles, les espérances ont-elles souri à la réalité ? Ce sont des tromperies et des désillusions qu'ont éprouvées et éprouvent les individus et les peuples qui ont ajouté foi à leurs dires et qui les ont suivis sur des routes qui, loin de les améliorer, ont empiré et aggravé les conditions de vie et de progrès matériel et moral. Pareils faux pasteurs donnent à croire que le salut doit venir d'une révolution qui change la structure sociale ou qui revêt un caractère national.

Le salut n'est pas dans la révolution sociale...

La révolution sociale se vante de hisser au pouvoir la classe ouvrière : parole vaine, pur mirage d'une impossible réalité ! Vous voyez bien, du reste, que le peuple ouvrier demeure lié, asservi, rivé à la force du capitalisme d'Etat, qui opprime et assujettit tout le monde, la famille aussi bien que les consciences, et transforme les ouvriers en une gigantesque machine de travail. A l'égal des autres formes et organisations sociales qu'il prétend combattre, il assemble, ordonne et réduit tout à un effroyable instrument de guerre qui réclame pour lui non seulement le sang et la santé, mais encore les biens et la prospérité du peuple. Et si les dirigeants se font gloire de tel ou tel avantage ou progrès réalisé dans le domaine du travail à grand renfort de réclame tapageuse, le profit matériel n'est jamais tel qu'il compense les sacrifices imposés à chacun, au détriment des droits de la personne, de l'indépendance dans le gouvernement de la famille, dans l'exercice de la profession, dans la condition du citoyen, tout particulièrement dans la pratique de la religion et jusque dans la vie de la conscience.

Non ce n'est pas dans la révolution, chers fils et chères filles, que vous trouverez votre salut ; et il est contraire à l'authentique et sincère profession chrétienne de tendre — préoccupé du seul avantage personnel, exclusif et matériel, au reste bien précaire — à une révolution qui procède de l'injustice et de l'insubordination civile en se chargeant la conscience du sang des concitoyens et de la destruction des biens communs. Malheur à qui oublie qu'une véritable société nationale comporte la justice sociale, exige une juste et convenable participation de tous aux biens du pays ! Autrement, vous le comprenez, la nation finirait par n'être plus qu'une fiction sentimentale, une vague excuse servant d'alibi à certains milieux pour se dérober aux sacrifices indispensables à l'établissement de l'équilibre et de la tranquillité publics. Vous verriez alors comment, une fois disparue du concept de société nationale la noblesse que celle-ci tient de Dieu, les rivalités et les luttes intestines deviendraient pour tous une menace redoutable.

. mais dans une bienfaisante évolution.

Ce n'est pas dans la révolution, mais dans une évolution harmonieuse que résident le salut et la justice. La violence n'a jamais fait que détruire, jamais construire ; exaspérer les passions, jamais les calmer ; accumuler les haines et les ruines, jamais unir fraternellement les adversaires. Elle a précipité hommes et partis dans la dure nécessité de reconstruire lentement, après des épreuves douloureuses, sur les ruines amoncelées par la discorde. Seule une évolution progressive et prudente, courageuse et conforme à la nature, éclairée et guidée par les saintes lois chrétiennes de la justice et de l'équité, peut conduire à la satisfaction des désirs et des besoins légitimes de l'ouvrier.

Donc, ne pas détruire, mais bâtir et consolider ; ne pas abolir la propriété privée, fondement de la stabilité de la famille, mais en promouvoir la diffusion, comme fruit du labeur conscient de tout ouvrier ou ouvrière de telle sorte que disparaîtront progressivement ces masses populaires agitées et audacieuses qui, tantôt par l'effet d'un sombre désespoir, tantôt sous l'impulsion d'instincts aveugles, se laissent emporter à tout vent de doctrines illusoires ou entraîner par les habiles manoeuvres de meneurs dégagés de toute morale.

Ne pas dilapider le capital privé, mais en promouvoir la gestion sagement surveillée, comme moyen et comme point d'appui pour procurer et pour étendre le vrai bien matériel de tout le peuple.

N'user à l'égard de l'industrie ni de moyens de compression ni de préférences exclusives, mais en procurer l'harmonieuse coordination avec l'artisanat et avec l'agriculture qui fait fructifier la production variée et nécessaire du sol national.

Ne pas viser uniquement, dans l'usage des progrès de la technique, au maximum possible de gain, mais aux fruits qu'on en peut tirer ; s'en servir pour améliorer les conditions personnelles de l'ouvrier, pour rendre sa tâche moins difficile et moins dure, pour renforcer les liens de sa famille avec le sol où il habite, avec le travail dont il vit.

Ne pas viser à faire dépendre totalement la vie des individus de l'arbitraire de l'Etat, mais plutôt faire en sorte que l'Etat, dont le devoir est de promouvoir le bien commun au moyen d'institutions sociales telles que les sociétés d'assurances et de prévoyance sociales, supplée, aide et complète ce qui sert à appuyer dans leur action les associations ouvrières et spécialement les pères et mères de famille dont le travail assure la vie et celle des leurs.

La foi au Christ et la fidélité à l'Eglise, racines profondes de la vraie fraternité.

Vous direz peut-être que c'est là voir la réalité en beau ; mais comment pourrait-on faire passer cet idéal dans les faits et lui donner la vie au milieu du peuple ? Il y faut avant tout une grande droiture de volonté, une parfaite loyauté d'intention et d'action dans la marche et dans la conduite de la vie publique de la part des citoyens aussi bien que de la part des autorités. Il faut que tous soient animés d'un esprit de véritable concorde et de fraternité : supérieurs et inférieurs, dirigeants et ouvriers, grands et petits ; en un mot, toutes les classes du peuple.

Votre rassemblement autour de Nous, chers fils et chères filles, souligné par le fait que vous êtes venus des divers champs de votre activité dans la maison du Père commun, comme représentants de tous les groupes, est pour Nous la preuve et le témoignage que vous savez, que vous sentez, que vous comprenez où plongent les racines profondes du sens social divinement pur de « frères liés par un contrat », « tous faits à la ressemblance d'un Seul, tous fils d'une seule Rédemption » : c'est-à-dire dans la communauté de la sainte religion, dans la même profession de foi au Rédempteur de tous, Jésus-Christ, dans l'égale fidélité à la sainte Eglise et à son Vicaire. Et Nous, Nous élevons vers Dieu Notre fervente prière pour que tout le vaste, l'immense peuple des travailleurs participe à votre foi ; en sorte que le Seigneur Nous accorde de voir, même à travers les différences d'opinions et de moyens, s'ouvrir dans la justice et dans la charité la voie vers ce progrès bienfaisant et pacifique, tant désiré par Nous, qui rende l'Italie prospère et forte d'une inébranlable et chrétienne unité.

Monstrueuse calomnie.

Mais Nous n'ignorons pas — et vous-mêmes avez pu le savoir par expérience — comment, en ces temps pénibles et difficiles pour la vie familiale et civique, les passions humaines saisissent l'occasion de relever la tête, d'éveiller les soupçons et de dénaturer les paroles et les faits. C'est ainsi qu'une propagande d'esprit antireligieux s'en va semant parmi le peuple, et surtout dans les milieux ouvriers, le bruit que le pape a voulu la guerre, que le pape entretient la guerre et fournit l'argent pour la continuer, que le pape ne fait rien pour la paix. Jamais peut-être ne fut lancée calomnie plus monstrueuse et plus absurde que celle-là ! Qui ne voit, qui ne sait, qui n'est à même de vérifier que personne plus que Nous ne s'est constamment opposé par tous les moyens à Notre portée au déchaînement, puis à la poursuite et à l'extension de la guerre ; que personne plus que Nous n'a continuellement supplié et averti : la paix, la paix, la paix ; que personne plus que Nous n'a cherché à en atténuer les horreurs ? Les sommes d'argent que la charité des fidèles met à Notre disposition ne sont pas destinées et ne sont pas appliquées à alimenter la guerre, mais bien à essuyer les larmes des veuves et des orphelins, à consoler les familles dans leur anxieuse inquiétude pour leurs chers absents ou disparus, à venir en aide à ceux qui sont dans la souffrance, dans la pauvreté, dans le besoin. Nous en avons pour témoins Notre coeur et Nos lèvres qui ne se contredisent pas : car Nos actes à Nous ne démentent pas Nos paroles et Nous avons conscience de la fausseté de tout ce que les ennemis de Dieu débitent perfidement pour troubler les ouvriers et le peuple, et pour tirer des peines de la vie dont ils souffrent argument contre la foi et contre la religion, qui sont pourtant l'unique réconfort et l'unique espoir capables de soutenir l'homme ici-bas dans la douleur et dans la détresse.

Non ! Pour Nos discours, pour Nos messages, il n'est au pouvoir de personne d'en supprimer ou d'en dénaturer l'esprit et la substance. Tout le monde a pu les écouter comme parole de vérité et de paix, comme autant d'élans de Notre coeur pour la tranquillité du monde et pour la gouverne des puissants. Ils sont des témoignages irrécusables des immenses désirs qui jaillissent de Notre coeur sur cette terre, qui fut donnée pour demeure à l'homme durant son passage à une vie meilleure et impérissable, pour que règne la concorde ordonnée de tout le genre humain. L'Eglise ne craint la lumière de la vérité ni pour le passé, ni pour le présent, ni pour l'avenir.

Quand les circonstances des temps et les passions humaines permettront ou postuleront la publication de documents encore inédits relatifs à la constante action pacificatrice du Saint-Siège durant cette affreuse guerre 2 que ne déconcertent ni les refus ni les résistances, alors on verra, plus clair que le jour en plein midi, la sottise de telles accusations qui émanent moins de l'ignorance que de cette irréligion et de ce mépris de l'Eglise qui n'a de prise que sur certains coeurs humains plus inclinés, hélas ! et plus disposés à défigurer les intentions loyales et bienveillantes dont est animée l'Epouse du Christ qu'à pourvoir au bien du peuple, à atténuer et adoucir les difficultés de la vie, à soutenir les esprits au sein des pénibles conditions de l'heure présente. Dites aux diffamateurs de l'Eglise que la vérité brillera comme elle brille aujourd'hui dans vos coeurs, dans les coeurs de tous ceux qui rendent un juste hommage à tout ce qu'ils découvrent de bien et qui ne croient ni au mensonge ni à la calomnie. Et devant l'évidente réalité des faits et de Notre oeuvre, tous ceux-là demeureront confondus qui s'efforcent par leur parole trompeuse de rejeter sur la papauté la responsabilité de tout le sang des batailles sur terre et des ruines des cités, des luttes de l'air et des profonds abîmes de la mer.

Le réconfort de la prière.

Elevez votre foi, ouvriers et ouvrières chrétiens, par les pensées de votre intelligence et par les sentiments de votre coeur ; fortifiez-vous, renouvelez-vous chaque jour par le réconfort d'une prière qui commence, sanctifie et termine votre journée de travail. Que ces pensées et ces sentiments éclairent et réchauffent votre âme, spécialement durant le repos du dimanche et des fêtes ; qu'ils vous accompagnent et vous guident dans l'assistance à la sainte messe. Sur l'autel, ce calvaire non sanglant, Notre Rédempteur,

2 Ces documents ont été publiés en 1962 par Mgr Alberto Giovannetti, de la Secrétairerie d'Etat, dans son nouveau livre : Roma, città aperta, 312 pages. Ed. Ancora, Milan.

« Les documents inédits publiés par Mgr Giovannetti révèlent les efforts obstinés de Pie XII et de ses collaborateurs. La figure de Pie XII domine, hiératique, sereine, inébranlable dans la défense du droit, même lorsque humainement parlant, les efforts déployés paraissaient voués à l'échec ; à côté du pape se dresse le cardinal Maglione, secrétaire d'Etat, esprit lucide et courageux ; de temps en temps paraît Mgr Tardini, perspicace, prompt aux réparties. Leurs interlocuteurs à Rome sont M. Myron C. Taylor, envoyé personnel du président Rooselvelt, et M. Tittman, chargé d'affaires, M. Osborne, ministre de Grande-Bretagne, le baron de Weizsaecker, ambassadeur du Reich, MM. Attolico et Ciano, qui représentèrent successivement l'Italie. A l'arrière-plan surgissent parfois Churchill, Roosevelt, Mussolini et Hitler.

» L'auteur retrace les événements par ordre chronologique, en les groupant autour de quelques dates-jalons. Il laisse parler les faits. Peu de commentaires. Parfois quelques épisodes pour animer le récit ». (Georges Huber).

qui dans sa vie terrestre s'est fait ouvrier comme vous, obéissant à son Père jusqu'à la mort, renouvelle perpétuellement le sacrifice de lui-même au profit du monde, distribue les grâces et le Pain de vie aux âmes qui l'aiment et recourent à lui dans leurs soucis pour être réconfortées. Qu'à l'église, devant l'autel, chaque travailleur chrétien renouvelle sa volonté de respecter dans son labeur la loi divine du travail quel qu'il soit, celui de l'esprit ou celui des bras, de procurer au prix de ses fatigues et de ses renoncements le pain à ses êtres chers, de tendre à la fin morale de la vie d'ici-bas et à la béatitude éternelle, en conformant ses intentions avec celles du Sauveur et en faisant de sa besogne comme un hymne de louange à Dieu.

Observation de la loi de Dieu dans la vie des usines.

Partout et toujours, chers fils et chères filles, protégez, gardez votre dignité personnelle. La matière que vous travaillez a été créée par Dieu au commencement du monde, et depuis, à travers le bras-sement des siècles, elle a été modifiée par lui dans les entrailles et à la surface de la terre par des cataclysmes, des fermentations, des éruptions et des transformations pour préparer à l'homme et à son travail la meilleure demeure possible. Qu'elle vous rappelle donc sans cesse la main créatrice de Dieu ; qu'elle élève votre esprit vers lui, Législateur souverain, dont les lois doivent aussi s'observer dans la vie des usines. Peut-être aurez-vous à vos côtés pour travailler avec vous des jeunes gens et des jeunes filles. Souvenez-vous que les petits et les innocents ont droit à un grand respect, et qu'à celui qui les scandalise il vaudrait mieux, comme le Christ le déclare, qu'on lui suspendît au cou une meule de moulin pour le précipiter au fond de la mer (cf. Matth. Mt 18,6).

Pères et mères, quelles angoisses, quelles craintes accompagnent les pas de vos fils et de vos filles vers les usines ! C'est votre rôle à vous, travailleurs, de tenir leur place en gardant, en surveillant l'innocence et la pureté de ce jeune âge, quand la profession et les nécessités de famille l'obligent à s'éloigner du regard affectueux des parents. C'est des aînés et de leur exemple comme de la volonté énergique et décidée de la direction de l'usine d'exiger une discipline honnête que dépend la conservation d'une jeunesse physiquement et spirituellement saine dans les usines, ou au contraire sa corruption par l'immoralité, par la soif des plaisirs et par la prodigalité, avec le risque de compromettre les générations futures. Qu'aucune parole, aucune plaisanterie, aucun conte ne sorte de vos lèvres qui offense l'oreille des jeunes qui vous écoutent. Puisse la jeunesse ouvrière trouver dans le clergé, dans les congrégations religieuses de femmes, dans les membres de l'Action catholique des personnes qui se dépensent en sa faveur avec toute leur énergie physique et morale en union avec les dirigeants jusque dans la vie quotidienne de l'usine.

Que pourtant ne cessent jamais l'affection mutuelle et le respect, le bon exemple, la bonne parole qui avertit et encourage, l'aide même modeste entre les ouvriers eux-mêmes.

Imploration des grâces divines.

Enfin, laissez Notre parole revenir là d'où elle est partie et vous indiquer de nouveau le divin Modèle de l'ouvrier chrétien, le Christ charpentier (Mc 6,3) dans l'atelier de Nazareth ; Fils de Dieu et restaurateur de la grâce perdue par Adam, il répand sur vous cette force, cette patience, ce courage qui vous grandissent à ses yeux, et il est la plus sublime image de l'ouvrier que vous puissiez contempler et adorer. Dans vos usines, dans vos ateliers, au soleil des champs, à l'ombre des mines, dans la chaleur des fournaises, dans le froid des glacières, partout où vous appellent la parole de vos chefs, votre métier, le besoin de vos frères, de la patrie ou de la paix, que descende sur vous l'abondance des faveurs de Celui qui est votre secours, votre salut, votre réconfort, et qu'il transforme en mérite pour un bonheur dans l'autre vie le dur labeur pour lequel ici-bas vous dépensez et sacrifiez votre vie. N'en doutez pas : le Christ est toujours avec vous ! Imaginez-vous le voir sur les lieux de votre travail, allant ça et là au milieu de vous, remarquant votre fatigue, écoutant vos conversations, consolant vos coeurs, apaisant vos différends ; et vous verrez alors l'usine se transformer en un sanctuaire de Nazareth, vous verrez aussi régner entre vous cette confiance, cet ordre, cet accord qui sont un reflet de la bénédiction du ciel, laquelle répand ici-bas et soutient la justice et la bonne volonté des hommes fermes dans la foi, dans l'espérance, dans l'amour de Dieu.

Et tout en invoquant la protection divine sur vous, chers ouvriers et chères ouvrières, sur vos familles, sur tous ceux qui vous dirigent et vous guident dans votre travail, sur vos usines elles-mêmes pour que le Seigneur les garde de tout danger et dommage, Nous vous accordons de tout coeur, en gage des grâces les meilleures, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


Pie XII 1943 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX