Pie XII 1945 - CHAPITRE IV


CHAPITRE VI

De ce qui doit être observé ou évité dans l'élection du Pontife romain

— 92. Le crime de simonie est abominable, en regard tant du droit divin que du droit humain. Comme c'est un fait bien établi qu'il est absolument réprouvé dans l'élection du Pontife romain, ainsi Nous aussi le réprouvons et le condamnons, et Nous frappons ceux qui s'en rendent coupables de la peine d'excommunication latae sententiae 65, en supprimant toutefois la nullité de l'élection simoniaque (que Dieu daigne éloigner pareille élection !) décrétée par Jules II (ou par tout autre décret pontifical), pour ôter un prétexte d'attaquer la valeur de l'élection du Pontife romain.

93. Sous la même peine d'excommunication latae sententiae, Nous interdisons aussi à quiconque, même s'il est revêtu de la dignité du cardinalat, de s'occuper de l'élection de son successeur du vivant du Pontife romain et à son insu, ou de promettre un vote, ou de délibérer et de prendre des décisions dans des réunions privées en vue de cette élection 66.

64 Grégoire XV, const. Aeterni Patris, § 19.

65 Jules II, const. Cum tam divino, 19 des calendes de février 1505.

66 Pape Symmaque au synode romain, ch. 2, D. 79 ; Paul IV, const. Cum secundum Apostolum, 17 des calendes de janvier 1558.

94. Quant à ce que Nos prédécesseurs, et notamment 'le pape Pie X 67, ont édicté et interdit au sujet du veto civil ou exclusive, comme on l'appelle, dans l'élection du Souverain Pontife, pour écarter toute intervention extérieure et assurer une pleine liberté dans l'élection du suprême Pasteur, Nous renouvelons ici tout cela en tout point et entièrement, et Nous voulons que cela soit confirmé. C'est pourquoi derechef, en vertu de la sainte obéissance, sous la menace du jugement divin et sous peine d'excommunication latae sententiae, Nous interdisons à tous et à chacun des cardinaux de la Sainte Eglise romaine, tant présents que futurs, et également au secrétaire du Sacré Collège des cardinaux et à toutes les autres personnes prenant part au conclave, d'accepter sous quelque prétexte que ce soit, de n'importe quel pouvoir civil, la mission de proposer un veto ou exclusive même sous forme d'un simple désir, et de faire part de ce veto de quelque façon qu'il leur soit connu, soit à tout le Collège des cardinaux réunis, soit à chacun des Pères revêtus de la pourpre, soit par écrit, soit oralement, soit directement et de façon immédiate, soit indirectement et par intermédiaire, soit avant le conclave, soit pendant sa tenue. Nous voulons que cette interdiction soit étendue à toutes les interventions, oppositions et autres procédés quels qu'ils soient, par lesquels des pouvoirs civils, de n'importe quel degré et ordre, voudraient s'immiscer dans l'élection du pontife.

95. Que les cardinaux s'abstiennent en outre de tous pactes, conventions, promesses et autres engagements quelconques, pouvant les astreindre à donner ou à refuser leur voix à une ou plusieurs personnes éligibles. Nous décrétons que tous ces agissements, et chacun d'eux, sont nuls et sans valeur s'ils se produisent de fait, même appuyés sur un serment, et que personne n'est tenu de les observer, et dès maintenant Nous lions les contrevenants de la peine d'excommunication latae sententiae. Nous n'entendons pas cependant interdire les pourparlers ou négociations en vue de l'élection, durant la vacance du Siège68.

96. Nous interdisons pareillement aux cardinaux de prendre des engagements avant d'en venir à l'élection ou d'établir par une entente commune certaines choses qu'ils s'obligeraient à observer s'ils étaient élevés au pontificat. De même si de telles choses se réalisaient

67 Const. Commissum Nobis, 20 janvier 1904.

08 Grégoire XV, ch. Ubi periculum, § 4, de elect., 1, 6, in Sext. ; Pie IV, const. In eligendis, S 26 ; Grégoire XV, const. Aeterni Patris, § 18.

en fait, Nous les déclarons nulles et sans valeur, même si on s'y est engagé par serment fi9.

97. Enfin, dans les mêmes termes que Nos prédécesseurs, Nous exhortons vivement les cardinaux de la Sainte Eglise romaine à ne se laisser guider dans l'élection du pontife par aucune sympathie ou aversion, ni influencer par la faveur ou la complaisance de personne, ni mouvoir par l'intervention des puissants du monde, la violence, la crainte ou la faveur populaire, mais à n'avoir sous les yeux que la gloire de Dieu et le bien de l'Eglise, et à porter leurs votes sur celui qu'ils jugeront dans le Seigneur plus capable que les autres de gouverner l'Eglise universelle avec fruit et profit 70.

98. Comme les fidèles doivent moins s'appuyer sur les secours d'une activité humaine, même attentive, que mettre leur espoir dans l'assiduité d'une prière humble et fervente, Nous ajoutons à Nos prescriptions qu'au moins dans toutes les villes ou autres lieux les plus considérables, dès que la nouvelle du décès du pontife y sera parvenue, le clergé et les fidèles, après avoir célébré pour lui l'office solennel des funérailles, adressent à Dieu des prières humbles et assidues, chaque jour (jusqu'à ce que l'Eglise romaine soit pourvue de son Pasteur), afin que Dieu lui-même, qui « établit la paix dans ses hauteurs » (Jb 25,2), réalise dans les coeurs des cardinaux un tel accord en vue de l'élection, que leur pleine entente procure une élection rapide, unanime et féconde, comme l'exige le salut des âmes et le requiert l'intérêt du monde entier. Et pour que la présente prescription si salutaire ne vienne pas à être négligée sous prétexte d'ignorance, Nous ordonnons aux patriarches, archevêques, évêques et autres chefs des Eglises, et à tous les autres qui ont la charge d'annoncer ta parole de Dieu, d'engager avec zèle dans leurs sermons le clergé et le peuple, qu'il faudra pour cela réunir plus fréquemment, à multiplier les prières et les supplications, pour obtenir l'issue prompte et heureuse d'une affaire si importante ; qu'ils recommandent au clergé et au peuple, avec la même force, non seulement la fréquence des prières, mais encore la pratique des jeûnes (comme l'appréciation des circonstances le conseillera) 71.

69 pie IV, const. In eligendis, § 3 ; Grégoire XV, const. Aeterni Patris, § 18.

70 Grégoire X, ch. 3, Ubi periculum, § 4, de elect., 1, 6, in Sext. ; Pie IV, const. In eligendis, § 26 ; Grégoire XV, const. Aeterni Patris, % 23 ; Clément XII, const. Apostolatus officium, § 5 ; Pie IX, const. Licet per Apostolicas, 6 des ides de septembre 1874 ; Léon XIII, const. Praedecessores Nostri ; Pie X, const. Commissum Nobis.

71 Grégoire X, ch. 3, Ubi periculum, § 5, de eieci., 1, 6, in Sext.

99. Nous prions l'élu, Notre héritier et successeur, effrayé par la difficulté de la charge, de ne pas se refuser à la prendre, mais de se soumettre plutôt humblement au dessein de la volonté divine ; car Dieu qui impose la charge y mettra aussi la main lui-même, pour que l'élu ne soit pas incapable de la porter. En effet, lui qui donne le fardeau et la charge, est lui-même l'auxiliaire de la gestion ; et pour que la faiblesse ne succombe pas sous la grandeur de la grâce, Celui qui a conféré la dignité donnera la force72.


CHAPITRE VII De l'acceptation et de la proclamation de l'élection ainsi que de la consécration et du couronnement du nouveau pontife

100. Après l'élection canoniquement faite, le dernier cardinal diacre convoque dans la salle du conclave le secrétaire du Sacré Collège, le préfet des cérémonies apostoliques et deux maîtres des cérémonies. Alors le consentement de l'élu doit être demandé par le cardinal doyen, au nom du Sacré Collège en ces termes : « Acceptes-tu l'élection qui vient d'être faite canoniquement de ta personne comme Souverain Pontife ?» 73

101. Ce consentement ayant été donné dans un espace de temps qui, dans la mesure où il est nécessaire, doit être déterminé par le sage jugement des cardinaux à la majorité des votes, l'élu est immédiatement vrai pape, et il acquiert par le fait même et peut exercer une pleine et absolue juridiction sur l'univers entier 74. Dès lors, si quelqu'un ose attaquer des lettres ou décisions concernant n'importe quelles affaires, émanant du Pontife romain avant son couronnement, Nous le frappons de la peine d'excommunication à encourir ipso facto 75.

102. Le procès-verbal de l'acceptation du nouveau pontife et du nom qu'il a pris à la suite de cette demande du cardinal doyen : « De quel nom veux-tu être appelé ? », est rédigé par le préfet des cérémonies apostoliques remplissant le rôle de notaire, ayant comme témoins le secrétaire du Sacré Collège et deux maîtres des cérémonies.

72 Léon XIII, const. Praedecessores Nostri.
73 Cérémonial rom., livre I, tit. I, du conclave et de l'élection du pape, § 34.
74 Code de Droit canon, can. CIS 219.
75 Clément V, ch. 4, De sent, excomm., 5, 10, in Extravag. comm.

103. Ensuite, après l'accomplissement de ce que demande la coutume, selon le cérémonial romain, les cardinaux font au Souverain Pontife élu la première obédience d'usage ; celle-ci achevée, et après le chant de l'hymne Te Deum, le premier des cardinaux diacres annonce au peuple qui attend l'élection le nom du nouveau Pontife romain76 et peu après le pontife lui-même donne la Bénédiction apostolique à Rome et au monde. Il y a ensuite la seconde obédience, que les cardinaux font revêtus de la cappa violette.

104. Si l'élu demeure hors du conclave, il faut observer les règles qui se trouvent dans le cérémonial romain, livre I, titre I, Du conclave et de l'élection du pape, § 37.

105. Toutes choses enfin ayant été régulièrement accomplies, le conclave est ouvert, à l'intérieur, à l'extérieur et sur l'ordre du nouveau pontife ; et on rédige de cette ouverture le procès-verbal d'usage, comme il a été réglé plus haut pour la clôture, n. 56. Après l'ouverture du conclave sont admis ceux qui, selon la coutume, sont introduits pour faire l'obédience au pontife élu.

106. Pour faire la troisième obédience, les cardinaux devront être convoqués par le préfet des cérémonies apostoliques quand le Souverain Pontife le fixera.

107. Si l'élu n'est pas encore prêtre ou évoque, il sera ordonné et consacré par le doyen du Sacré Collège des cardinaux qui se sert alors du pallium77. En l'absence du cardinal doyen, le privilège d'ordonner et de consacrer le nouveau pape revient au sous-doyen du Sacré Collège, et, s'il est aussi absent, au plus ancien cardinal évêque suburbicaire 78.

108. Enfin, le nouveau pontife est couronné par le cardinal premier diacre 79, et lorsque cela lui semblera bon, il prend possession, selon les règles prescrites, de l'archibasilique patriarcale du Latran.

'G Cérémonial rom., livre I, tit. I, § 35 ; Code de Droit canon, can. CIS 239, § 3.
77 Cérémonial rom., livre I, tit. II, De ord. et consecr. novi Pontificis, % 13.
78 Code de Droit canon, can. CIS 239, § 2.
79 Cérémonial rom., livre I, tit. II, De ord. et consecr. novi Pontificis, % 18.


* * *

Après avoir sérieusement examiné tout l'ensemble de la question, poussé également par les exemples des papes Nos prédécesseurs, Nous décidons et prescrivons les choses ci-dessus. Nous décrétons que les présentes lettres et tout ce qu'elles contiennent, ne pourront en aucune façon être attaquées, pour la raison d'abord que ceux qui ont ou prétendent avoir quelque droit ou intérêt par rapport à ce qui a été décidé ci-dessus n'y ont pas donné de quelque manière leur assentiment ou n'ont pas été consultés ou écoutés à ce sujet, ensuite pour n'importe quelle autre cause, Nous décrétons que les présentes lettres sont et resteront toujours valables dans toute leur force et leur efficacité, qu'elles ont et sortiront leurs effets pleins et entiers, qu'elles assurent la plénitude de leurs avantages à ceux à qui elles s'adressent et pourront s'adresser selon les circonstances, que sera nul et sans effet tout ce qui pourrait être tenté en opposition avec ce qu'elles contiennent, sciemment ou par ignorance, par qui que ce soit, revêtu de n'importe quelle autorité.

Nous voulons que la présente constitution apostolique soit lue en présence de tous les cardinaux dans les premières congrégations qui ont coutume de se tenir après la mort du Souverain Pontife (voir ci-dessus, n. 12, a) ; de nouveau elle sera lue après l'entrée en con-olave (voir ci-dessus n. 51) ; de même lorsqu'un prélat aura été élevé à la charge du cardinalat ; à la lecture s'ajoutera le serment d'observer religieusement toutes les prescriptions de la présente constitution.

Nonobstant, dans la mesure où ce serait nécessaire, les constitutions et ordonnances apostoliques promulguées par les pontifes romains, Nos prédécesseurs ; Nous déclarons, comme ci-dessus, abrogés tous et chacun de ces documents apostoliques. Nonobstant également toutes autres choses contraires même dignes de mention et dérogation individuelles et très spéciales.

Nul n'aura le droit d'enfreindre ou de contrecarrer par une audace téméraire cette constitution portant Nos ordonnances, abrogations, décisions, censures, admonitions, interdictions, préceptes, volontés. Si quelqu'un osait le tenter, il encourra, qu'il le sache, l'indignation du Dieu tout-puissant et des bienheureux apôtres Pierre et Paul.


ALLOCUTION POUR LA CLOTURE DES EXERCICES SPIRITUELS AU VATICAN

(8 décembre 1945)x

Dans cette allocution, le Saint-Père rappelle les effets bienfaisants des Exercices spirituels.

Bonum erat nos hic esse. Tel est, Nous n'en doutons pas, Vénérables Frères et chers fils, le sentiment que vous tous, en même temps que Nous, vous emportez de ces jours bénis de recueillement et de paix, d'union intime avec Dieu et de pénétration profonde dans les grandes, purifiantes et béatifiantes vérités de notre sainte foi.

Si, descendant de la montagne élevée de la Transfiguration, où ils avaient entrevu un rayon de la splendeur du Fils de Dieu, les trois apôtres privilégiés, encore novices à l'école du Rédempteur, portaient sur le front et dans le coeur l'ombre du regret de devoir retrouver les fatigues coutumières de la vie quotidienne, bien différente fut au contraire la disposition de leur esprit au jour de l'Ascension, tandis que du mont des Oliviers ils retournaient à Jérusalem, cette fois pourtant sans la présence sensible du divin Martre. En effet, tout remplis d'allégresse, cum gaudio magno (Lc 24,53), ils louaient et bénissaient le Seigneur. En peu de jours, les derniers enseignements du Christ, le spectacle de sa Passion et de sa mort, une familiarité étroite avec le glorieux Ressuscité avaient suffi pour les transformer et les rénover.

De même, nous aussi qui, durant ces saints exercices, avons contemplé Jésus, écouté ses enseignements, ravivé le souvenir de sa vie, de sa Passion et de sa Résurrection, nous retournons fortifiés et animés d'une sainte joie à nos travaux habituels, même s'ils sont parfois pesants dans leur continuité, pour vivre plus que jamais unis à lui, même dans la pénombre de la foi.

Reconnaissance envers Dieu et le prédicateur.

Notre reconnaissance monte avant tout vers Dieu, auteur de tout bien, source de toute grâce : Benedictio et claritas... et gratiarum actio... Deo nostro. Bénédiction et gloire... et action de grâces à notre Dieu (Ap 7,12).

Mais, après Dieu, il est juste que nous adressions l'expression de notre gratitude à celui qui a été près de nous (pour la quatrième fois dans ce Palais apostolique !) l'interprète du message divin. Sa parole limpide et éloquente, dans laquelle nous sentions, jointes à La solidité de la doctrine, à la piété, à la gravité, à la bonté du prêtre, l'expérience et la franchise de l'apôtre, a pénétré profondément dans nos coeurs, et Nous ne doutons pas que le Seigneur, par sa Bénédiction, achèvera et perfectionnera en nous l'oeuvre qu'il a fait avancer et progresser par la voix de son ministre.

La haute valeur et les effets bienfaisants des Exercices spirituels.

C'est le propre des Exercices spirituels de mettre en relief les vérités essentielles de la foi catholique, ces vérités qui, tels de solides piliers, soutiennent l'édifice de toute la vie chrétienne, et de les présenter dans un ordre qui, par sa logique serrée, saisit, secoue et subjugue la pensée et la volonté humaines. C'est dans cette qualité caractéristique, dans ce rappel constant à ce qui est fondamental, que consiste la haute valeur des Exercices spirituels, et en particulier pour les jours actuels. Aujourd'hui, en ce temps de calamités et d'afflictions redoutables non seulement pour les personnes mais aussi pour des peuples entiers, on voit les doctrines et les systèmes qui s'efforcent d'attirer l'humanité à leur suite, perdre tout ornement accessoire, toute beauté et tout attrait purement extérieur ; réduits, pourrait-on dire, comme à des murs nus, ces systèmes doivent être capables de rendre les hommes résistants, forts, et sachant borner leurs désirs à ce qui est essentiel ; sinon, ils manquent complètement leur but et s'écroulent comme des châteaux de cartes, qui ne laissent dans leur ruine que le vide.

Qui donc pourrait douter de voir un jour l'Eglise catholique sortir victorieuse de cette épreuve difficile, au milieu des vicissitudes où se débattent tant de peuples ? Elle est l'Eglise du Christ, immortelle et indéfectible, pour tous les temps et pour toutes les générations, comme pour toutes les conditions de vie, jusqu'à la consommation des siècles. Néanmoins, les hommes qui la composent, chacun des fidèles que l'Eglise n'englobe pas d'une manière purement mécanique, mais qui doivent eux-mêmes, dans les agitations et les tempêtes présentes, coopérer jour par jour, heure par heure, à l'action secrète de la grâce pour former et perfectionner en soi le vrai chrétien, sentent le besoin d'implanter solidement leur vie religieuse dans les vérités essentielles de la foi. Les Exercices spirituels façonnent précisément des hommes de cette structure spirituelle, de cette trempe solide.

De telles pensées ont été constamment présentes à Notre esprit, spécialement durant ces années de guerre. Pour n'en citer qu'un exemple, Nous ne pouvons oublier les paroles qu'en août 1943 Nous adressait un zélé archevêque d'Allemagne :

« Mon archidiocèse, écrivait-il, dont plus de la moitié est située dans la région industrielle, a, surtout durant ces derniers mois, gravement souffert des bombardements aériens. De grandes villes ont été réduites à des monceaux de gravois et de cendres, de très nombreuses églises ont été détruites. Mais, au milieu de tant de douleurs et de tant d'angoisses mortelles, les hommes ont de nouveau senti profondément la force de la foi. Je connais de nombreux cas où des locataires non catholiques, durant ces terribles bombardements, sont restés édifiés devant le calme et le courage chrétien de leurs voisins catholiques, et leur ont demandé de bien vouloir continuer à prier si parfois ils interrompaient momentanément la récitation du Rosaire, devenue la prière commune dans les abris souterrains. » Tant il est vrai que lorsque l'homme se trouve devant les portes de l'éternité, s'évanouit pour lui tout ce qui est artificiel, tout ce qui n'est pas essentiel ! Seule, une foi ferme, derrière laquelle réside toute la vérité, confère soutien et vigueur.

Quant à nous tous, élevés par la Providence à la sublimité du sacerdoce, ayons la volonté, en toute humilité, d'être et de nous montrer à la hauteur des difficultés et de la gravité de l'heure présente, en remplissant avec le soin le plus consciencieux les devoirs de notre charge, vivant pour l'apostolat, dans la pleine abnégation de nous-mêmes, par amour pour le Christ et pour les âmes.

Que si parfois nous nous sentons fléchir sous le poids de la croix, si les incompréhensions ou les injustices du monde emplissent d'amertume notre coeur, si les assauts des ennemis de Dieu soumettent à une dure épreuve notre courage et notre persévérance, nous savons, en ce jour consacré à la Vierge immaculée, où trouver la consolation et la sécurité : dans notre dévotion envers Marie, la céleste Reine, Mère de Dieu et notre Mère. Confiants en son intercession, nous cheminerons d'un pas assuré sous la protection divine, dont la Bénédiction apostolique que Nous vous donnons de grand coeur est le gage.


ENCYCLIQUE « ORIENTALES OMNES » POUR LE 350e ANNIVERSAIRE DE LA RÉUNION DE L'ÉGLISE RUTHÈNE AU SIÈGE APOSTOLIQUE

(23 décembre 1945j1

Dans cette lettre encyclique, le Saint-Père retrace l'histoire de l'union de l'Eglise ruthène ou ukrainienne, dont le centre fut la ville de Kiev, avec le Saint-Siège, et énumère les bienfaits qui lui ont été procurés par cette union.

Toutes les Eglises orientales — ainsi que l'enseigne l'histoire — ont toujours été l'objet d'un bon vouloir très aimant de la part des Pontifes romains ; et c'est pourquoi, supportant avec peine leur éloi-gnement de la bergerie de l'unique troupeau et « poussés non certes par des intérêts humains, mais seulement par la divine charité et par le désir du salut commun » 2, ils les ont invitées instamment, à maintes reprises, à revenir le plus tôt possible à cette unité dont elles se sont malheureusement écartées. Ils savent bien, et par expérience, l'abondance des fruits qui résulteront de cette réunion heureusement effectuée, pour toute la chrétienté, et en particulier pour les Orientaux eux-mêmes. En effet, de la pleine et parfaite unité de tous les chrétiens ne peut dériver qu'un grand accroissement du Corps mystique de Jésus-Christ et de chacun de ses membres.

A ce sujet, il faut noter que les Orientaux n'ont nullement à craindre d'être contraints, par suite de leur retour à l'unité de foi et de gouvernement, d'abandonner leurs rites et leurs coutumes légi-

1 D'après le texte latin des A. A. S., 38, 1946, p. 33 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VI, p. 314.

2 Léon XIII, lettre apost. Praeclara gratulationis, 20 juin 1894 ; Acta Leonis XIII, vol. XIV, p. 201.

times ; c'est ce que Nos prédécesseurs ont plus d'une fois ouvertement et nettement déclaré. « Il n'y a donc pas de raison pour vous de craindre que, ou Nous ou Nos successeurs, Nous supprimions quelque chose de votre droit, de vos privilèges patriarcaux et des rites en usage dans chaque Eglise. » 3

Bien que ce jour heureux ne soit pas encore arrivé où il Nous sera donné d'embrasser avec une paternelle affection tous les peuples de l'Orient, revenus à l'unique bercail, Nous voyons cependant avec joie que de nombreux fils de ces régions ayant reconnu la Chaire du bienheureux Pierre comme la citadelle de l'unité catholique, continuent avec une très grande ténacité à défendre et à renforcer cette même unité.

A ce propos, Nous Nous plaisons à mentionner aujourd'hui d'une façon particulière l'Eglise ruthène, non seulement parce qu'elle se distingue par le nombre de ses fidèles et par son zèle à conserver la foi, mais encore parce que trois cent cinquante années sont maintenant écoulées depuis son heureux retour à la communion avec le Siège apostolique. S'il convient que cet événement béni soit célébré avec un coeur reconnaissant très particulièrement par ceux qui font partie de cette Eglise, Nous estimons aussi qu'il est opportun de le rappeler à la mémoire de tous les catholiques, soit afin qu'ils rendent à Dieu d'éternelles actions de grâce pour ce bienfait singulier, soit afin qu'ils le supplient avec Nous de vouloir, dans sa bonté, soulager et adoucir les angoisses et les anxiétés présentes de ce peuple qui Nous est très cher, de protéger la sainte religion qu'il professe, de maintenir sa constance et de conserver sa foi intacte.


I HISTOIRE DE L'UNION DE L'ÉGLISE RUTHÈNE AVEC LE SAINT-SIÈGE

Les relations avant l'union.

Nous croyons, Vénérables Frères, qu'il n'est pas inutile de rappeler succinctement par la présente encyclique, selon les témoignages de l'histoire, les événements dont il s'agit. Et tout d'abord, il faut remarquer qu'avant même que ne fût réalisée à Rome, sous de favo

3 Léon XIII, loc. cit.

rables auspices, l'union des Ruthènes avec le Siège apostolique, dans les années 1595 et 1596, et qu'elle ne fût ratifiée dans la ville de Brest-Litowsk plusieurs fois, ces populations ont tourné les yeux vers l'Eglise romaine comme vers l'unique Mère de toute la chrétienté et qu'elles lui ont manifesté l'obéissance et la vénération que leur inspirait la conscience de leur propre devoir. Ainsi, par exemple, saint Vladimir — ce prince remarquable que les populations presque innombrables de la Russie vénèrent comme l'auteur et le réalisateur de leur conversion à la foi chrétienne — bien qu'il eût emprunté à l'Eglise orientale les rites liturgiques et les cérémonies sacrées, non seulement persévéra dans l'unité de l'Eglise oatholique, conscient de ses propres obligations, mais veilla avec soin pour qu'entre le Siège apostolique et sa nation se maintiennent des relations amicales.

Dans la suite, nombre de ses nobles descendants, même après que l'Eglise de Constantinople se fut séparée de Rome par un schisme funeste, reçurent avec les honneurs dus à leur rang les légats des Pontifes romains et furent unis par des liens d'une fraternelle amitié avec les autres communautés catholiques.

C'est pourquoi Isidore, métropolitain de Kiev et de toutes les Russies, n'agit pas contrairement aux très anciennes traditions historiques de l'Eglise ruthène, lorsqu'on l'an 1439, au concile oecuménique de Florence, il signa de son nom le décret en vertu duquel l'Eglise grecque fut solennellement réunie à l'Eglise latine. Cependant, à peine de retour du concile, bien qu'il eût été reçu à Kiev, siège de sa dignité, avec une grande joie, il fut, peu après, emprisonné à Moscou et contraint de fuir et de quitter son territoire.

Toutefois, au cours des années, le souvenir de cette heureuse réunion des Ruthènes avec le Siège apostolique ne s'éteignit pas complètement, quoique les tristes conditions des temps eussent amené plus d'une raison pour la faire totalement disparaître. C'est ainsi qu'en l'année 1458, Grégoire Mammas, patriarche de Constantinople, consacra dans cette grande ville un certain Grégoire comme métropolite des Ruthènes, qui alors étaient soumis au grand-duc de Lituanie ; et Nous savons aussi que l'un et l'autre des successeurs dudit métropolitain s'efforcèrent de rétablir le lien de l'unité avec l'Eglise romaine, bien que les circonstances défavorables ne permissent pas de faire une promulgation explicite et solennelle de cette unité.

Par la suite, à la fin du XVIe siècle, il apparut chaque jour plus manifestement que l'on ne pouvait espérer la rénovation et la réforme désirée de l'Eglise ruthène, minée par de graves maux, sinon par le rétablissement de l'union avec le Siège apostolique. Les historiens dissidents eux-mêmes racontent et proclament ouvertement la situation très malheureuse de cette Eglise. Aussi les nobles ruthènes, réunis à Varsovie en 1585, en exposant au métropolite leurs doléances en termes acerbes et violents, affirmèrent que leur Eglise était en proie à des maux tels que jamais elle n'en avait enduré de pareils dans le passé ni qu'elle ne pourrait, dans l'avenir, en souffrir de plus grands.

Et ils n'hésitaient pas à en rejeter la faute sur le métropolite lui-même, les évêques et les supérieurs de monastères, en alléguant contre eux de graves accusations. Comme, en cette affaire, des laïques s'insurgèrent contre la hiérarchie, il semble que les liens de la discipline ecclésiastique fussent singulièrement relâchés.

Les négociations (1594-1596).

En conséquence, rien d'étonnant si, finalement, les évêques eux-mêmes, après avoir recouru inutilement à divers remèdes, furent d'avis que l'unique espoir de l'Eglise ruthène se trouvait dans la négociation d'un retour à l'unité catholique. A cette époque, le prince Constantin Ostrogskiyj — le plus puissant prince des Ruthènes — favorisait le projet de ce retour à condition cependant que toute l'Eglise orientale se réunît à l'Occident ; mais par la suite, voyant qu'un tel projet ne pouvait s'accomplir comme il le désirait, il s'opposa énergiquement à cette réunion de l'Eglise ruthène avec Rome. Néanmoins, le 2 décembre 1594, le métropolite et six évêques, après s'être concertés, firent une déclaration commune dans laquelle ils se disaient prêts à promouvoir l'accord et l'unité désirés. « Nous en sommes venus à cette décision, écrivaient-ils, en considérant avec une immense douleur combien d'obstacles rencontrent les hommes pour leur salut sans cette union des Eglises de Dieu dans laquelle, en commençant par le Christ notre Sauveur et par ses saints apôtres, nos prédécesseurs ont persévéré en professant qu'il n'y avait qu'un seul Souverain Pasteur et premier Evêque dans l'Eglise de Dieu ici sur terre — ainsi que Nous en avons un témoignage public dans les conciles et dans les canons — que ce Pasteur et Evêque n'était autre que le Très Saint Pape de Rome et ils lui obéissaient en tout et aussi longtemps que cela fut uniformément en vigueur, l'ordre et la prospérité du culte divin ne cessèrent de régner au sein de l'Eglise de Dieu. » 4

Mais avant qu'un si louable dessein pût se réaliser, il fallut engager de longues et très difficiles négociations. Enfin, après une nouvelle déclaration du même genre, faite au nom de tous les évêques ruthènes le 22 juin 1595, vers la fin de septembre, la chose avait progressé à tel point que Cyrille Terletskyj, évêque de Loutsk et exarque du patriarche de Constantinople, ainsi qu'Adam Hypace Potiej, évêque de Vladimir, en qualité de procureurs de tous les autres évêques, purent entreprendre leur voyage à Rome, porteurs d'un document qui contenait les conditions auxquelles tous les évêques ruthènes étaient prêts à revenir à l'unité de l'Eglise. Les légats furent reçus avec une grande bienveillance, et Notre prédécesseur d'heureuse mémoire Clément VIII confia le document apporté par eux à une commission de cardinaux pour qu'il fût examiné et étudié avec soin. Les négociations engagées tout de suite sur l'ensemble de l'affaire finirent par aboutir heureusement au résultat désiré : le 23 décembre 1595, les légats, admis en la présence du Souverain Pontife, lui présentèrent dans une imposante assemblée la déclaration de tous les évêques et firent, en leurs noms et en leur propre nom, une solennelle profession de foi catholique, et promirent l'obéissance et le respect dus au Souverain Pontife.

Le jour même, Notre prédécesseur, Clément VIII, par la constitution apostolique Magnus Dominus et laudabilis nimis 5, communiqua, en s'en félicitant, au monde entier, la nouvelle de ce joyeux événement. La vive allégresse et la bienveillance avec lesquelles l'Eglise romaine reçut les Ruthènes qui revenaient à l'unité du bercail apparaissent, par ailleurs, dans la lettre apostolique ' Benedictus sit Pastor, du 7 février 1596, dans laquelle le Souverain Pontife informe le métropolite et les autres évêques ruthènes de l'union heureusement conclue de toute leur Eglise avec le Siège apostolique.

Dans la même lettre, le Pontife romain, après avoir brièvement raconté tout ce qui avait été fait et traité à Rome concernant cette affaire, et après avoir relevé, d'un coeur reconnaissant, le succès obtenu en final de la divine miséricorde, déclara que les usages et les rites légitimes de l'Eglise ruthène pouvaient être conservés intacts. « Quant à vos rites et à vos cérémonies, qui ne nuisent en rien à l'intégrité de la foi catholique et à Notre mutuelle union, pour le même motif et de la même manière que l'a permis le concile de Florence, Nous aussi Nous vous permettons de les conserver. » 6 II

5 A. Theiner, Vetera monumenta Poloniae et Litbuaniae, t. III, p. 240 sq.

6 A. Theiner, loc. cit., p. 251.

assure, en outre, qu'il a demandé à l'auguste roi de Pologne non seulement de bien vouloir prendre sous son patronage les évêques avec tout ce qui leur appartient, mais aussi de leur accorder de très grands honneurs et de 'les admettre, suivant leur désir, au Sénat du royaume. En terminant, il exhorte fraternellement les évêques de tout le pays à se réunir le plus tôt possible en un concile général, pour y ratifier et confirmer l'union réalisée entre les Ruthènes et l'Eglise catholique.

'union et ses lendemains.

A ce concile, tenu à Brest-Litowsk, prirent part non seulement tous les évêques ruthènes et beaucoup d'autres ecclésiastiques, ainsi que des légats royaux, mais encore les évêques latins de Lw6w, Luck, Chelmno qui représentaient la personne du Pontife romain ; et bien que les évêques de Lw6w et de Przemysl eussent misérablement manqué à la parole donnée, le 8 octobre 1596, l'union de l'Eglise ruthène avec l'Eglise catholique fut heureusement confirmée et proclamée. De cet accord et de cette union, qui répondaient si pleinement aux besoins du peuple ruthène, on pouvait vraiment attendre, si l'entente devenait unanime, des fruits abondants.

Mais « l'ennemi » vint et « sema de l'ivraie au beau milieu du blé » (Mt 13,25). En effet, soit cupidité de quelques puissants, soit inimitiés politiques, soit enfin négligence à instruire au préalable le clergé et le peuple et à le préparer à ce rapprochement, de très violentes contestations et de continuelles misères suivirent qui faisaient parfois redouter que les efforts faits en vue de cette oeuvre commencée sous d'excellents auspices ne finissent par être annihilés lamentablement.

Si, dès le début, ni les persécutions ni les embûches tendues non seulement par les frères dissidents mais encore par quelques catholiques, ne parvinrent pas à ce triste résultat, on le doit surtout à l'activité des deux métropolites Hypace Potiej et Joseph Velamine Rutskyj, qui, avec un zèle inlassable, s'appliquèrent à défendre et à faire progresser cette cause ; ils veillèrent d'un façon spéciale à ce que les prêtres et les moines fussent formés suivant la discipline sacrée et les bonnes moeurs, et à ce que tous les fidèles fussent instruits selon les bons principes de la vraie foi.

Peu d'années après, l'oeuvre de conciliation à peine entreprise fut consacrée par le sang d'un martyr : le 12 novembre 1623, Josaphat Kuncevicz, archevêque de Polotsk et de Vitebsk, renommé pour la sainteté de sa vie et son ardeur apostolique et champion invincible de l'unité catholique, menacé de mort par des schismatiques qui avaient déchaîné contre lui une très violente campagne, fut atteint d'une balle et achevé d'un coup de hache. Mais le sang sacré de ce martyr devint aussi en un certain sens une semence de chrétiens, car tous les assassins eux-mêmes, à l'exception d'un seul, regrettèrent le crime commis, et abjurant le schisme, firent amende honorable avant de subir la peine capitale. De la même manière, Mélèce Smotrytskyj, compétiteur acharné 'de Josaphat pour le siège de Polotsk, revint en 1627 à la foi catholique et, bien qu'il eût hésité quelque temps entre les deux partis, il ne tarda pas à défendre jusqu'à sa mort, avec un très grand courage, le pacte concernant le retour des Ruthènes dans le giron de l'Eglise catholique ; conversion qui, semble-t-il, doit être attribuée elle aussi au patronage de ce saint martyr.

Cependant les difficultés de toute nature augmentaient avec les années et faisaient obstacle à la réconciliation heureusement commencée. Parmi les plus graves, il y avait le fait que les rois de Pologne qui, au début, paraissaient favoriser le rapprochement, contraints ensuite, soit sous la pression de leurs ennemis extérieurs, soit par suite des dissensions des factions internes, firent des concessions toujours plus grandes aux adversaires de l'unité catholique qui, certes, ne manquaient pas. C'est pourquoi en peu de temps, cette sainte cause en vint, ainsi que le confessèrent les évêques ruthènes eux-mêmes, à n'avoir d'autre soutien que l'aide des Pontifes romains qui, par des lettres pleines d'affection et les secours qu'il leur était possible d'envoyer, spécialement par l'intermédiaire du nonoe apostolique en Pologne, défendirent l'Eglise ruthène avec autant d'énergie que de bonté paternelle.

Plus les temps étaient tristes, plus éclatant se montra le zèle des évêques ruthènes qui, non seulement s'efforcèrent d'instruire le peuple peu au courant de la doctrine chrétienne, mais encore d'élever les prêtres insuffisamment cultivés à un degré plus haut de science sacrée, et enfin de remplir les moines dont la conduite s'était relâchée d'une ardeur renouvelée pour la discipline et du désir de sanctification. Ils ne perdirent pas non plus courage, lorsqu'en 1632, les biens ecclésiastiques furent en grande partie attribués à la hiérarchie des frères dissidents, constituée peu de temps auparavant, et que, dans les accords signés entre les Cosaques et le roi de Pologne, fut insérée la dissolution de l'union rétablie entre les Ruthènes et le Siège apostolique ; les prélats ruthènes n'en continuèrent que mieux à défendre avec constance et ténacité les troupeaux confiés à leur garde.

Dieu, cependant, qui ne permet pas que son peuple soit victime de trop lourdes épreuves, lorsque fut enfin conclue la paix d'An-droussov en 1667, fit luire à nouveau, après tant d'amertumes et de malheurs, des temps plus calmes pour l'Eglise ruthène, dont la tranquillité retrouvée fut, pour la religion, une source de jour en jour plus abondante de prospérité. En effet, les moeurs et la foi chrétiennes fleurirent à tel point que, même dans les deux éparchies qui, en 1596, étaient restées, hélas ! détachées de l'unité, on enregistra chaque jour des adhésions de plus en plus nombreuses pour le retour au bercail catholique. C'est ainsi qu'il advint heureusement qu'en 1691, Péparchie de Przemyïl, et en 1700, celle de Lw6w, furent réunies au Siège apostolique, et cela de telle manière que presque tous les Ruthènes qui habitaient à cette époque en Pologne bénéficièrent enfin de l'unité catholique.

Voyant donc la religion prospérer chaque jour davantage, au grand profit de la chrétienté, en 1720, le métropolite et les autres évêques de l'Eglise ruthène se rassemblèrent en concile à Zamoscj, afin de pourvoir, d'un commun accord, suivant leurs possibilités, aux besoins croissants des fidèles du Christ. Les décrets de ce concile, confirmés par Notre prédécesseur de vénérée mémoire, Benoît XIII, par la constitution apostolique Apostolatus officium, du 19 juillet 1724, furent d'une grande utilité pour la communauté des Ruthènes.

La persécution des Ruthènes de Russie.

Cependant, par un impénétrable dessein de Dieu, il arriva que, vers la fin du XVIIIe siècle, cette même communauté fut victime de nombreuses persécutions et mesures vexatoires qui furent parfois plus vives et plus aiguës dans les régions réunies à l'Empire russe après le démembrement de la Pologne. Et à la mort de l'empereur Alexandre Ier, on osa, de propos délibéré et avec une audace téméraire, briser complètement l'union des Ruthènes avec l'Eglise romaine. Déjà, auparavant, les éparchies de cette nation avaient été presque mises hors d'état de communiquer avec le Siège apostolique. Mais bientôt on élit des évêques qui, gagnés à da cause du schisme, se mirent servilement à la disposition de l'autorité civile ; au séminaire de Vilna, érigé par l'empereur Alexandre Ier, on enseignait aux clercs des deux rites des doctrines hostiles aux Pontifes romains ; l'Ordre basilien, dont les membres avaient toujours été d'une très grande aide à l'Eglise catholique de rite oriental, fut privé de son propre gouvernement et de sa propre administration, et ses moines furent complètement soumis aux consistoires éparchiaux ; enfin, les prêtres de rite latin se virent interdire, sous des peines très graves, d'administrer les sacrements et les autres secours religieux aux Ruthènes. Et, pour finir, malheureusement, en 1839, fut solennellement déclarée l'union de l'Eglise ruthène avec l'Eglise russe dissidente.

Qui pourrait raconter, Vénérables Frères, les douleurs, les dommages, les privations qu'endura alors le très noble peuple ruthène, uniquement parce qu'il était accusé du crime d'avoir protesté contre le tort qui lui avait été fait de l'entraîner de force et par ruse au schisme, et d'avoir cherché par les moyens en son pouvoir de garder sa foi ?

C'est donc à bon droit que Notre prédécesseur de pieuse mémoire, Grégoire XVI, dénonça au monde entier, dans son allocution du 22 novembre 1839, en exprimant ses plaintes et sa douleur, l'indignité de cette façon de procéder ; mais ses solennelles réclamations et protestations ne furent même pas écoutées, et ainsi l'Eglise catholique dut pleurer ses enfants arrachés par une inique violence de son giron maternel.

Bien plus, peu d'années après, l'éparchie de Chelmno, soumise au royaume de Pologne uni à l'Empire russe, endura, elle aussi, le même malheureux sort, et les fidèles qui, par devoir de conscience, ne voulurent pas se détacher de la vraie foi et résistèrent avec un courage invincible à l'union avec l'Eglise dissidente qui leur fut imposée en 1875, furent indignement condamnés à des amendes, à des peines corporelles, à l'exil.

L'Eglise ruthène en Galicie.

Par contre, au même moment, les choses se passaient autrement dans les éparchies de Lw6w et de Przemysl qui, après le démembrement de la Pologne, avaient été annexées à l'Empire d'Autriche. La cause des Ruthènes y fut, en effet, réglée dans le calme et la paix. En 1807, on y rétablit le titre métropolitain de Galitz (Halicz), réuni à perpétuité à l'archidiocèse de Lwéw. Dans cette province, les choses prospérèrent au point que deux de ses métropolites, Michel Levitskij (1816-1858) et Sylvestre Sembratovyc (1882-1898), qui avaient gouverné avec une rare prudence et un zèle ardent la partie respective du troupeau confié à leurs soins, se virent élevés, à cause de leurs remarquables qualités d'âme et de leurs mérites insignes, à la pourpre romaine et accueillis dans le suprême Sénat de l'Eglise. Le nombre des catholiques croissant de jour en jour, Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Léon XIII, en 1885, établit régulièrement une nouvelle éparchie, celle de Stanislavov ; six ans après, la prospérité de l'Eglise de Galicie fut manifestée d'une façon spéciale, lorsque tous les évêques, ainsi que le légat du Souverain Pontife et beaucoup d'autres membres du clergé se rassemblèrent pour tenir à Lwow le concile provincial, afin d'édicter des lois opportunes concernant la liturgie et la discipline sacrée.

Lorsque ensuite, vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe, un grand nombre de Ruthènes, à cause des difficultés économiques, émigrèrent aux Etats-Unis, au Canada ou dans les pays de l'Amérique du Sud, Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Pie X, craignant dans sa sollicitude que ses fils très chers, par suite de leur ignorance de la langue du pays et du non-usage du rite latin, ne fussent trompés par les schismatiques et les hérétiques, ou victimes du doute et de l'erreur, ne perdissent malheureusement toute religion, nomma, en 1907, un evêque muni de pouvoirs spéciaux pour eux. Par la suite, le nombre et les besoins de ces catholiques augmentant toujours, deux évêques spéciaux ordinaires furent nommés : l'un pour les Ruthènes originaires de Galicie et résidant aux Etats-Unis d'Amérique, et un autre pour le Canada, sans compter l'évêque ordinaire destiné aux fidèles de ce rite, émigrés de la Subcarpathie russe, de la Hongrie ou de la Yougoslavie. Enfin la Sacrée Congrégation de la Propagande et la Sacrée Congrégation pour l'Eglise orientale continuèrent, par d'opportuns règlements et décrets, à régler les questions ecclésiastiques aussi bien dans les régions mentionnées plus haut que dans celles de l'Amérique du Sud. Rien d'étonnant donc, Vénérables Frères, si la communauté des catholiques ruthènes, reconnaissante pour de si grands bienfaits, ait voulu manifester ouvertement à plusieurs reprises, lorsque l'occasion s'en présentait, sa gratitude et son profond attachement envers les Pontifes romains. Cela advint tout particulièrement en 1895, lors du IIIe centenaire de l'heureuse union de ses ancêtres avec le Siège apostolique scellée à Rome et confirmée à Brest-Litowsk. A cette occasion, outre les cérémonies par lesquelles fut célébré comme il convenait cet heureux événement dans chacune des localités de la province de Galicie, on envoya à Rome une importante légation qui comprenait le métropolite et les évêques, pour porter au Souverain Pontife, successeur de saint Pierre, l'amour de l'Eglise ruthène, ses hommages, son respect et sa soumission. Notre prédécesseur de pieuse mémoire, Léon XIII, après avoir admis en sa présence, avec les honneurs qui lui étaient dus, l'insigne légation, lui adressa une allocution dans laquelle, avec une joie et une bienveillance paternelles, il loua haute

n BIENFAITS PROCURÉS A L'ÉGLISE RUTHÈNE PAR SON UNION AVEC ROME

Après avoir sommairement et succinctement rappelé l'histoire de cette union tant désirée et considéré ses vicissitudes, tantôt joyeuses, tantôt tristes, il Nous faut répondre à la question suivante : En quoi cette union a-t-elle été profitable au peuple ruthène et à son Eglise ? De quels avantages, de quel secours cette Eglise et ce peuple ont-ils bénéficié de la part du Siège apostolique et des Pontifes romains ? En répondant, comme il est juste, à cette question, Nous croyons faire chose très opportune et très utile, étant donné surtout que la réconciliation de Brest-Litowsk ne manque pas d'adversaires qui la critiquent passionnément.

ment l'union des Ruthènes avec le Siège apostolique, comme étant pour tous ceux qui la conservaient sincèrement en leur âme une source très salutaire de vraie lumière, de paix inébranlable et de biens surnaturels.

A notre époque, 'les bienfaits que les Pontifes romains octroyèrent à ce très cher peuple ne furent pas moindres. Particulièrement lorsque la première guerre à laquelle prirent part les peuples d'Europe et presque toutes les nations, dévasta ces régions, comme aussi au cours des années qui suivirent, ils n'omirent rien de ce qui pouvait aider et soulager la communauté ruthène. Après qu'elle eut, avec le secours divin, surmonté les graves difficultés dont elle était douloureusement accablée, on put voir cette communauté de catholiques répondre au zèle infatigable de ses évêques et de son clergé par une active coopération et avec un coeur généreux. Mais, hélas ! la seconde guerre survint et, comme tout le monde le sait, elle fut encore plus dure et plus néfaste pour la hiérarchie ruthène et pour son fidèle clergé.

Mais avant de vous exposer brièvement, Vénérables Frères, les maux et les angoisses que souffre à présent cette Eglise, menacée gravement de perdre son existence elle-même, Nous tenons à ajouter quelques détails qui feront apparaître plus complètement et plus clairement combien grands, combien magnifiques ont été les bienfaits qu'a procurés au peuple ruthène et à son Eglise la réunion avec Rome commencée il y a trois cent cinquante ans.

La protection des rites ruthènes.

En premier lieu, on doit observer que Nos prédécesseurs se sont toujours montrés très désireux de protéger et de garder intacts les rites légitimes des Ruthènes. En effet, quand leurs prélats, par l'intermédiaire des évêques de Vladimir et de Luck, envoyés à Rome à ce sujet, demandèrent au Pontife romain « que Sa Sainteté daignât conserver intègres, inviolables et dans les formes en usage chez eux, au moment de l'union, l'administration des sacrements, les rites et les cérémonies de l'Eglise orientale, sans que lui ou l'un de ses successeurs apportassent jamais d'innovation en ces matières » 7, Clément VIII, acquiesçant avec bienveillance à leur requête, prescrivit qu'on ne changeât absolument rien en cette matière. Par la suite, l'usage du nouveau calendrier grégorien, lequel tout d'abord semblait devoir être adopté par les Ruthènes, qui conserveraient aussi le calendrier liturgique du rite oriental, ne leur fut même pas imposé ; de fait, jusqu'à nos jours, le calendrier Julien peut être en usage chez eux.

En outre, ce même prédécesseur, dans sa lettre du 23 février 1596, accorda aussi que l'élection des évêques suffragants ruthènes régulièrement nommés fût confirmée par le métropolite suivant l'antique discipline de l'Eglise orientale et comme il avait été proposé dans l'accord conclu lors de la réconciliation avec le Saint-Siège. D'autres, parmi Nos prédécesseurs, permirent au métropolite d'ériger des institutions d'instruction élémentaire et d'autres écoles dans n'importe quelle partie de la Russie, en les confiant librement à des directeurs et à des maîtres de leur choix ; ils décrétèrent également que les Ruthènes, en ce qui concerne la concession des faveurs spirituelles, ne seraient pas moins considérés que les autres catholiques, et ils voulurent, en outre, que, ni plus ni moins que les autres fidèles, ils participassent dès lors et dans l'avenir aux bienfaits des indulgences, pourvu qu'ils satisfissent eux aussi aux conditions nécessaires prescrites. Paul V établit ensuite que tous ceux qui fréquentaient les écoles et les collèges érigés par les métropolites participeraient aux faveurs particulières que les Pontifes romains avaient accordées aux membres des Congrégations mariales érigées dans les églises de la Compagnie de Jésus. Puis, à ceux qui feraient les exercices spirituels chez les moines de saint Basile, Urbain VIII accorda les mêmes indulgences qui avaient été concédées aux clercs réguliers de la Compagnie de Jésus.

1 Cf. A. Theiner, loc. cit., p. 237.

On voit par là clairement que Nos prédécesseurs ont constamment usé à l'égard des Ruthènes de la même bonté paternelle qu'ils manifestaient envers les autres catholiques de rite latin. Bien plus, ils eurent grandement à coeur de défendre les droits et les privilèges de leur hiérarchie. En effet, lorsqu'un assez grand nombre de Latins prétendirent que le rite des Ruthènes était inférieur en rang et en dignité, et lorsque parmi les évêques latins quelques-uns soutinrent que les prélats ruthènes ne jouissaient pas de tous les droits épisco-paux et ne pouvaient accomplir toutes les fonctions episcopales, mais qu'ils leur étaient soumis, le Siège apostolique, repoussant cette injuste façon de penser, publia le décret du 28 septembre 1643, dans lequel il est édicté ce qui suit :

« L'éminentissime cardinal Pamphili, ayant fait un rapport sur divers décrets de la Congrégation particulière des Ruthènes unis, le Saint-Père a approuvé le décret de ladite Congrégation particulière, du 14 août dernier (1643), dans lequel il est établi que les évêques ruthènes unis sont de véritables évêques et doivent être appelés et considérés comme tels. Il a approuvé également le décret de cette même Congrégation, en vertu duquel les évêques ruthènes peuvent, dans leurs évêchés, ériger des écoles pour l'instruction de leur jeunesse, dans les lettres et dans les sciences, et en vertu duquel les ecclésiastiques ruthènes jouissent des privilèges du canon, du for, de l'immunité et de la liberté dont jouissent les prêtres de l'Eglise latine. » 8

Ce zèle inlassable et attentif des Pontifes romains à conserver et à protéger les rites ruthènes a été spécialement mis en évidence dans l'évolution de la toujours actuelle question concernant le changement de ce rite. En effet, bien que, pour des raisons particulières tout à fait étrangères à leur volonté, ils n'aient pu pendant très longtemps imposer aux laïques ruthènes la défense rigoureuse de passer à un autre rite, il apparaît cependant clairement, à en juger par leurs tentatives répétées d'établir cette défense et par les exhortations adressées aux évêques et aux prêtres latins, combien Nos prédécesseurs prirent à coeur cette affaire. Dans le décret même par lequel fut heureusement consacrée, en 1595, l'union des Ruthènes avec le Siège apostolique, on n'a pas inséré, il est vrai, la défense explicite et formelle de passer du rite oriental au rite latin ; néanmoins, on voit nettement, d'après une lettre du Supérieur général de la Compagnie de Jésus, adressée en 1608 à ses religieux résidant en Pologne, quelle était déjà alors la pensée du Siège apostolique ; il y est dit que ceux qui n'ont jamais suivi le rite latin ne pouvaient, après l'union avec Rome, adopter ce rite, « attendu que c'est un commandement de l'Eglise et une règle spécialement établie d'après les lettres de l'union conclue sous Clément VIII, que chacun doit rester dans le rite de son Eglise » 9.

Mais, par suite des plaintes fréquentes concernant les jeunes nobles ruthènes qui suivaient le rite latin, la Congrégation de la Propagande, par décret du 7 février 1624, edicta « que dans l'avenir il n'était pas permis aux Ruthènes unis, soit laïques, soit ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers, et spécialement aux moines de saint Basile le Grand, de passer, pour quelque raison que ce fût, même très urgente, au rite latin » 10.

Toutefois, le roi de Pologne, Sigismond III, étant intervenu pour que ce décret ne fût pas appliqué intégralement — le roi désirait, en effet, que la défense ne concernât que les ecclésiastiques — Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Urbain VIII, ne put pas ne pas contenter un tel promoteur de l'unité catholique. Il en résulta que ce qui, pour des raisons spéciales, ne fut pas imposé par des lois, le Siège apostolique chercha à l'obtenir au moyen de prescriptions et d'exhortations, attitude qui est démontrée de plus d'une manière.

Et de fait, déjà dans le préambule du décret du 7 juillet 1624, par lequel était seulement interdit aux ecclésiastiques le passage au rite latin, il était prescrit que les prêtres de l'Eglise latine seraient invités à ne pas exhorter en confession les fidèles laïques à ce passage. Des avertissements de ce genre furent souvent réitérés et les nonces apostoliques en Pologne, sur l'ordre des Souverains Pontifes, s'efforcèrent de tout leur pouvoir d'en obtenir la mise en pratique. Que la pensée et les décisions du Siège apostolique en cette matière n'aient pas changé, même au cours des siècles suivants, on peut également le constater par les lettres envoyées par Notre prédécesseur Benoît XIV, en 1751, aux évêques de Lwow et de Przemysl, dans lesquelles il est dit entre autres choses : « On nous a remis votre lettre du 17 juillet, dans laquelle vous vous plaignez à juste titre du passage des Ruthènes du rite grec au rite latin, car vous savez bien, Vénérables Frères, que Nos prédécesseurs ont toujours déploré de tels passages, et Nous-même Nous les déplorons ; Nous désirons, en effet, vivement, non la destruction, mais la conservation du rite grec. » 11

De plus, ce pontife promit aussi d'écarter tous les obstacles en cette matière et d'interdire enfin, par décret solennel, ce passage au rite latin. Mais des circonstances et des temps contraires ne permirent pas que les désirs et les promesses de ce pontife se réalisassent.

Finalement, après que les Pontifes romains Clément XIV et Pie VII eurent décrété que les catholiques de rite ruthène habitant les pays russes ne pourraient passer au rite latin, il fut établi dans la convention dite Concordia, conclue en 1863 entre les évêques latins et ruthènes, avec l'appui et sous la direction de la Sacrée Congrégation de la Propagande, que cette défense serait valable pour tous les Ruthènes.

Des faits que jusqu'ici, Vénérables Frères, Nous avons sommairement exposés dans les grandes lignes suivant le témoignage de l'histoire, il est facile de déduire avec quel soin le Siège apostolique a veillé à la pleine conservation du rite ruthène, soit en ce qui regarde la communauté ruthène tout entière, soit en ce qui concerne chacun de ses membres ; personne, cependant, ne s'étonnera si ce même Saint-Siège, tout en sauvegardant ce qu'il y a d'essentiel et de principal dans les rites et les cérémonies de l'Eglise ruthène, a, en raison de circonstances et de temps particuliers, permis ou approuvé provisoirement quelques changements secondaires. Ainsi, par exemple, il n'a pas permis qu'on fît aucun changement dans les rites liturgiques même ceux qui, petit à petit, s'étaient introduits, sinon quelques-uns décrétés au concile de Zamoscj par les évêques ruthènes eux-mêmes.

Cependant, comme quelques astucieux fauteurs du schisme, en apparence pour défendre l'intégrité primitive de leur rite, mais en réalité afin que le peuple non instruit se détachât plus facilement de la foi catholique, s'efforçaient d'introduire à nouveau, de leur autorité privée, des usages anciens déjà en partie tombés en désuétude, les Pontifes romains, conscients de leurs devoirs, dénoncèrent ouvertement leurs manoeuvres secrètes et fourbes, résistèrent à de pareilles tentatives et décrétèrent que « rien ne devait être innové dans les rites de la liturgie sacrée, sans que le Siège apostolique ne fût au préalable consulté ; pas même sous prétexte de rétablir les cérémonies qui semblaient plus conformes aux liturgies approuvées par le Saint-Siège lui-même, sinon pour des raisons très graves et avec l'assentiment de l'autorité du Siège apostolique » 12.

Du reste, il s'en faut que le Siège apostolique ait eu la pensée de porter atteinte à l'intégrité et à la conservation du rite ruthène ; bien plutôt, il engagea l'Eglise ruthène à traiter avec le plus grand respect les usages transmis par l'antiquité en matière liturgique. On peut voir une preuve notoire de ce bienveillant et attentif intérêt pour le rite ruthène dans la nouvelle édition romaine dès livres sacrés, commencée sous Notre pontificat et en partie déjà heureusement terminée, pour laquelle le Saint-Siège, accédant volontiers aux désirs des évêques ruthènes, s'est efforcé de redonner aux rites liturgiques ruthènes leurs formes anciennes et vénérables.

Une vitalité plus grande.

Un second bienfait, Vénérables Frères, se présente maintenant à Notre esprit, qui est venu sans nul doute à la communauté des Ruthènes du fait de son union avec le Siège apostolique. Grâce à elle, en effet, cette noble nation s'est unie étroitement à l'Eglise catholique et elle vit ainsi de sa vie même, de la vérité dont elle est éclairée, et elle participe à sa grâce. De l'Eglise catholique, source suprême, découlent les ruisseaux qui se répandent partout et pénètrent si bien toute chose qu'il peut en éclore les fleurs très belles de toutes les vertus et mûrir des fruits abondants et très salutaires.

En effet, alors qu'avant le retour à l'unité, les frères dissidents eux-mêmes avaient à se plaindre que dans ces régions la sainte religion avait été dévastée, que le vice de la simonie dans l'élection des évêques et des autres ministres sacrés se faisait partout envahissant, que les biens ecclésiastiques étaient dilapidés, les moeurs des moines corrompues, la discipline des cénobites relâchée et les liens de l'obéissance même envers les évêques chaque jour affaiblis et menacés de disparaître parmi les fidèles ; au contraire, après l'union, avec l'aide du Seigneur, les choses ont pris peu à peu un tour meilleur. Mais quelle force d'âme, quelle constance ne fallut-il pas aux évêques pour rétablir partout la discipline ecclésiastique, surtout au début à cause des troubles et des persécutions de toute nature ! Quelle application à la tâche et quelle patience dans les travaux ne durent-ils employer pour former un clergé de moeurs parfaites, pour réconforter le troupeau confié à leurs soins en butte à tant de misères, pour soutenir et fortifier par tous les moyens ceux dont la foi vacillait ! Cependant, contre toute prévision humaine, on eut la chance d'obtenir que non seulement cette unité tant souhaitée surmontât toutes les tempêtes contraires, mais encore qu'elle sortît de la lutte victorieuse, plus vigoureuse et plus forte. Et ce n'est point par l'épée ou la violence, ni par les promesses ou les menaces, mais par le sublime exemple de la vie religieuse, que, par une sorte de manifestation admirable de grâce divine, les Ruthènes catholiques obtinrent finalement le retour à l'unique bercail des éparchies dissidentes de Lwow et de Przemysl.

La tranquillité et la paix étant enfin rétablies, la situation florissante de l'Eglise ruthène, spécialement au XVIIIe siècle, resplendit même au-dehors de tout son éclat. De ce fait sont témoignage non seulement la cathédrale de Lw6w, dédiée à saint Georges, mais encore les églises et les couvents érigés à Potchaïv, à Torolcany, à Zyrowici et ailleurs, monuments vraiment remarquables de cette époque.

Il paraît opportun de dire ici quelques mots des moines basiliens qui, par leur intense et diligente activité, ont rendu de si grands et de si beaux services dans toute cette affaire. Après que leurs monastères eurent été, grâce à l'autorité de Velamine Rutskyj, ramenés à une meilleure et plus sainte discipline et constitués en congrégations, de très nombreux religieux y vécurent d'une façon si exemplaire par leur piété, leur doctrine et leur zèle apostolique, qu'ils devinrent des guides et des maîtres de vie religieuse pour le peuple chrétien. Les écoles ou établissements scolaires classiques qu'ils ouvrirent, non seulement donnèrent aux jeunes gens souvent très intelligents une excellente connaissance des sciences profanes et sacrées, mais encore leur communiquèrent leur solide vertu, par quoi ils ne le cédèrent à aucun des autres élèves instruits dans les écoles latines. Le fait était connu et évident pour nos frères dissidents eux-mêmes, car un grand nombre de leurs jeunes gens, abandonnant patrie et famille, mirent beaucoup d'empressement à fréquenter ces maisons de science, afin de participer, eux aussi, à des fruits si délicieux.

La communauté ruthène a retiré, ces temps derniers, des avantages non moins appréciables de son union avec le Siège apostolique. Chacun peut s'en rendre manifestement compte, rien qu'en jetant un regard sur l'Eglise de Galicie, telle qu'elle était avant les épouvantables ruines et dévastations de la présente guerre. En effet, dans cette province, les fidèles atteignaient presque le chiffre de 3 600 000, et les prêtres celui de 2275, avec 2226 paroisses. En outre, hors de Galicie, de très nombreux catholiques ruthènes qui en étaient originaires, habitaient dans divers pays du monde, en Amérique surtout, au nombre de 400 000 ou 500 000. Ce nombre considérable de fidèles, qui ne fut peut-être jamais égalé au cours des siècles, se signalait dans chaque éparehie par un souci de vertu, de piété, de vie chrétienne aussi remarquable. Dans les séminaires éparchiaux, les élèves étaient, comme cela convenait, formés avec soin et préparés aux fonctions sacrées qu'ils auraient à remplir. Quant aux fidèles, ils prenaient part avec un grand amour et un grand respect au culte divin selon leur propre rite, et ils en retiraient d'excellents et abondants fruits de piété.

En rappelant et présentant par les sommets et brièvement cet état prospère de l'Eglise ruthène, Nous ne pouvons passer sous silence l'illustre métropolite que fut André Szeptyckyj qui, durant neuf lustres environ, déploya une infatigable activité, non dans une seule direction ni exclusivement en vue de résultats spirituels, et se fit bien venir du troupeau confié à ses soins. Pendant son épiscopat fut instituée la Société de Théologie pour stimuler plus sérieusement l'étude et les progrès des sciences sacrées parmi le clergé ; on érigea à Lw6w une Académie ecclésiastique dans laquelle les jeunes Ruthènes bien doués pourraient s'adonner comme il convient à l'étude de la philosophie, de la théologie et des autres disciplines supérieures, suivant les programmes en usage dans les universités ; l'édition de tout genre : livres, journaux et revues, prit un grand développement et fut remarquée même à l'étranger ; par ailleurs, l'art sacré fut cultivé suivant les traditions ancestrales et le génie propre de la nation ; les musées et les autres établissements de beaux-arts furent pourvus de remarquables chefs-d'oeuvre de l'antiquité ; enfin, on créa et on encouragea de nombreuses institutions destinées à subvenir aux besoins des classes inférieures et à l'indigence des pauvres.

Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence les mérites singuliers de pieuses associations d'hommes et de femmes qui obtinrent dans tous ces domaines un succès considérable et salutaire. Il nous plaît de mentionner tout d'abord les monastères des moines et des moniales basiliens qui, lors du règne de l'empereur d'Autriche Joseph II, tout en souffrant injustement et avec grave dommage l'ingérence du pouvoir civil dans leurs biens et leur vie régulière, finirent néanmoins, en 1882 et au cours des années suivantes, par retrouver leur splendeur première, grâce à la réforme dite de Dobromil ; à leur amour de la vie cachée et à leur esprit surnaturel, puisé dans les règles et les exemples de leur saint fondateur, ils joignent en même temps un zèle apostolique ardent.

A ces anciens foyers de la vie monastique s'ajoutèrent, avec des mérites égaux aux leurs, de nouvelles sociétés religieuses masculines et féminines, tels : l'Ordre des Studites, dont les moines s'appliquent surtout à la contemplation des choses célestes et aux oeuvres saintes de la pénitence ; la Congrégation religieuse de rite ruthène du Très-Saint-Rédempteur, dont les membres travaillent avec tant de succès en Galicie et au Canada ; enfin, de nombreux instituts de femmes qui ont pour but l'éducation des jeunes filles, le soin des malades, et qui s'appellent les Servantes de la Vierge Immaculée, les Myrophores, les Soeurs de Saint-Joseph, de Saint-Josaphat, de la Sainte-Famille, de Saint-Vincent de Paul.

Nous avons plaisir aussi à mentionner ici le Séminaire pontifical de Saint-Josaphat, construit par Notre prédécesseur Pie XI sur les collines du Janicule et embelli par sa munificence. Après que, pendant de longs siècles, des jeunes gens d'élite se furent préparés en grand nombre au sacerdoce dans le Collège pontifical grec, un autre de Nos prédécesseurs, Léon XIII, d'immortelle mémoire, érigea, en 1897, un collège speciali pour les jeunes Ruthènes qui se sentaient appelés par Dieu au sacerdoce. Par la suite, cet établissement étant devenu trop étroit à cause du nombre croissant des élèves, Notre prédécesseur immédiat, poussé par l'affection particulière qu'il nourrissait envers le peuple ruthène, édifia, ainsi que Nous l'avons dit, une nouvelle et plus ample maison où les aspirants au sacerdoce, instruits et formés dans les sciences sacrées et dans les usages propres à leur rite, grandiraient heureusement, espoir de l'Eglise ruthène, pleins de vénération, de respect et d'amour pour le Vicaire du Christ.

Une phalange de confesseurs et de martyrs.

Vénérables Frères, un autre avantage de non moindre importance et utilité que le peuple ruthène retira de son union avec le Siège apostolique fut l'honneur de posséder une phalange éminente de confesseurs et de martyrs qui, pour conserver intacte la foi catholique et maintenir leur fidélité aimante au Pontife romain, n'hésitèrent pas à supporter toutes sortes de misères et à affronter avec joie la mort elle-même, suivant la parole du divin Rédempteur : « Heureux êtes-vous, si les hommes vous haïssent, s'ils vous frappent d'exclusion et s'ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme, à cause du Fils de l'homme. Réjouissez-vous ce jour-là et exultez, car alors votre récompense sera grande dans le ciel » (Lc 6,22-23).

Parmi eux, le premier qui se présente à Notre pensée est le saint evêque Josaphat Kuntséviteh, dont, plus haut, Nous avons rappelé et loué l'invincible fermeté, qui, poursuivi par les ennemis pervers du catholicisme qui voulaient le mettre à mort, se présenta spontanément aux bourreaux et s'offrit comme victime pour le retour tant désiré des frères dissidents. Il fut vraiment, à cette époque, le principal martyr de la foi catholique et de l'unité, mais non le seul, car beaucoup d'autres, aussi bien ecclésiastiques que laïques, le suivirent avec la palme de la victoire, qui, frappés de l'épée ou atrocement flagellés jusqu'à la mort, ou noyés dans les eaux du Dnieper, méritèrent, par leur triomphe sur la mort, de compter parmi les saints du cidl.

Cependant, peu d'années après, c'est-à-dire au milieu du XVIIe siècle, les Cosaques ayant pris les armes contre la Pologne, la haine de ceux qui combattaient l'unité religieuse s'accrut beaucoup et se manifesta plus violemment. Ils s'étaient mis dans l'esprit que tous les malheurs et calamités avaient leur première origine dans le rétablissement de cette union ; c'est pourquoi ils se proposèrent de la combattre et de la faire disparaître par tous les moyens et de toutes manières. De là résultèrent des maux presque sans nombre pour l'Eglise catholique ruthène ; plusieurs églises profanées, dépouillées, détruites et leur patrimoine et leur mobilier disparus ; un grand nombre de prêtres et de fidèles sauvagement battus, atrocement tourmentés, disparaissant dans une mort affreuse ; des évêques même dépouillés de leurs biens et chassés ignominieusement de leurs maisons episcopales, contraints de fuir. Pourtant, eux aussi, en pleine tempête, ne perdirent jamais courage et n'abandonnèrent pas, dans la limite du possible, leur propre troupeau sans garde et sans défense. Bien plus, dans cette situation pleine d'angoisses, ils s'efforcèrent par la prière, la lutte, les efforts de tous genres, de ramener à l'unité toute l'Eglise russe ainsi que l'empereur Alexis.

Peu d'années avant que le royaume de Pologne ne fut démembré, il s'éleva une nouvelle et non moins violente persécution contre les catholiques. Lors de l'invasion de la Pologne par les soldats de l'impératrice de Russie, de nombreuses églises de rite ruthène furent arrachées aux catholiques de vive force et les armes à la main, et les prêtres qui refusaient de renier la foi furent mis aux fers, foulés aux pieds, frappés, jetés en prison, où ils pâtirent cruellement de la faim, de la soif et du froid.

Ils ne furent pas inférieurs à eux en constance et en fermeté, les prêtres qui, vers l'année 1839, souffrirent plutôt la perte de leurs propres biens et même de leur liberté que de manquer à leurs devoirs religieux. De leur nombre fut Joseph Ancevskyj, que Nous tenons à mentionner d'une façon spéciale : retenu pendant trente-deux ans au monastère de Suzdall dans une dure captivité, il couronna par une mort très pieuse, en 1877, une vie pleine de mérites exceptionnels. Comme lui, les 160 prêtres qui, parce qu'ils professaient ouvertement la foi catholique, furent enlevés à leurs familles laissées dans la misère, transférés à l'intérieur de la Russie et enfermés dans des monastères, ne purent être détournés de leur sainte vocation, malgré la faim et les autres vexations.

De nombreux catholiques de l'éparchie de Chelmno, tant du clergé que du laïcat, qui, avec un courage invincible, tinrent tête aux persécuteurs de la foi ne témoignèrent pas d'une moindre force d'âme. C'est ainsi, par exemple, que les habitants du village de Pratulin, au moment où les soldats venaient pour occuper leur église et la remettre aux schismatiques, n'opposèrent pas la force à la force, mais se serrant, désarmés, les uns contre les autres, opposèrent aux assaillants une sorte de mur vivant. Cette résistance valut à un grand nombre d'être frappés, de souffrir d'affreux tourments, tandis que d'autres furent incarcérés durant de longues années ou déportés dans des localités de la Sibérie glacée, et que d'autres enfin, passés au fil de l'épée, répandirent leur sang pour le Christ. On a déjà introduit dans leur propre éparchie la cause de plusieurs de ceux qui scellèrent de leur sang la foi catholique, et l'on espère ainsi pouvoir les vénérer un jour parmi les bienheureux du ciel. Ces crimes furent malheureusement commis, non pas dans un seul endroit, mais dans plusieurs villes, localités et villages ; et après que toutes les églises catholiques furent entre les mains des schismatiques, après que tous les prêtres, chassés de leur résidence, se virent contraints d'abandonner leur propre troupeau, laissé sans berger, les fidèles furent inscrits sur les registres de l'Eglise schismatique, sans qu'on tînt nul compte de leur volonté. Eux, cependant, bien que privés de leurs pasteurs, ne pouvant plus pratiquer leur religion ni en recevoir les secours, s'efforcèrent de maintenir énergiquement leur foi. Et ainsi, quand les Pères de la Compagnie de Jésus vinrent chez eux, déguisés et au péril de leur vie, pour les instruire dans les divins préceptes et leur apporter exhortation et réconfort, ils les reçurent avec une grande allégresse et un grand respect.

Quand, en 1905, la liberté, bien précaire, de professer n'importe quelle religion fut accordée, on put voir dans les pays ruthènes un merveilleux et consolant spectacle. En foule presque innombrable, les catholiques sortirent de leurs cachettes, en plein jour et, en une longue procession, l'étendard de la croix levé bien haut et les images des saints exposées ouvertement à la vénération, se rendirent, faute de prêtres de leur rite oriental, aux églises latines — dont l'accès leur avait été interdit sous les peines les plus sévères — en rendant grâce à Dieu. Là, ils demandèrent aux prêtres légitimes d'ouvrir leurs portes, de des recevoir, eux et leur profession de foi, et d'inscrire leurs noms sur les registres des catholiques. Si bien qu'en peu de temps, 200 000 fidèles rentrèrent dans l'Eglise catholique.

Cependant, même en ces dernières années, les occasions ne manquèrent pas aux évêques, aux prêtres et au fidèle troupeau de manifester leur fermeté d'âme et leur constance à conserver la foi catholique, à défendre l'Eglise et à maintenir sa liberté sacrée. Entre tous, Nous aimons à mentionner tout particulièrement André Szeptyckyj qui, sous l'occupation de la Galicie par les armées russes, lors de la première guerre européenne, chassé de son siège et déporté dans un couvent, y fut maintenu en prison pendant un certain temps ; là, il ne désirait rien tant que d'attester sa très profonde vénération pour le Siège apostolique et, avec la grâce de Dieu, de subir même le martyre, si c'était nécessaire, en faveur de son troupeau, pour le salut duquel il avait déjà depuis longtemps prodigué ses forces et ses soins.


Pie XII 1945 - CHAPITRE IV