Pie XII 1946


DOCUMENTS PONTIFICAUX

de Sa Sainteté PIE XII

« L'unité et l'intégrité de l'Eglise, mise en lumière par la manifestation de sa supranationalité, sont de grande importance pour le fondement de la vie sociale. »

Allocution aux nouveaux cardinaux Pie XII

20 février 1946


DOCUMENTS PONTIFICAUX

DE SA SAINTETÉ PIE XII

publiés sous la direction de

Mgr SIMON DELACROIX

EDITIONS SAINT-AUGUSTIN SAINT-MAURICE (Suisse)

IMPRIMATUR

Seduni, die 10. Septembris 1963 Jos. BAYARD Vie. gen.

Tous droits réservés

PRÉFACE DE SON ÉMINENCE LE CARDINAL SIRI Archevêque de Gênes

L'année 1946 du pontificat de Pie XII comporte quelques notes caractéristiques qu'il importe de relever pour nous aider à lire et à mieux comprendre les Actes pontificaux de cette année compris dans ce volume.

Ce fut précisément en cette année que feus la faveur de m'approcher davantage du grand pontife. Le fait d'être devenu par sa volonté archevêque de Gênes, et d'autres circonstances, créèrent comme une fréquence de contacts qui devaient se multiplier jusqu'à sa sainte mort. C'est pour ce motif que j'ai pu voir et suivre le pape de très près.

L'année 1946 était la première année de la paix, si l'on peut appeler ainsi l'état de non-belligérance qui suivit la seconde guerre mondiale. Ce fut aussi pour le pape l'année où il inaugura une nouvelle méthode d'activité. Il l'avait préparée : les grands messages de Noël adressés au monde depuis 1941 furent tous expressément ordonnés à préparer la paix et la solution des problèmes de la paix. Pie XII sentait que nombreuses seraient les voies qui s'ouvriraient et que bien des choses seraient changées. Les guerres font aussi éclore les virtualités de certaines capacités cachées dans l'homme. La variété des Actes compris dans ce volume, la diversité de leurs destinations, leur étroite relation avec les événements en cours nous indiquent comment se présentait cette année aux yeux du pape.

Le souci très préoccupant de cette année était l'Italie. Ce qui est parfaitement normal puisque le Souverain Pontife, quoique chef d'un Etat souverain si petit soit-il, est cependant en Italie, et le Vatican, petit îlot au milieu de Rome, ne peut pas ne pas être très sensible au cours des événements d'Italie. Une situation pénible pour l'Italie devient par le fait même une situation pénible pour l'Eglise entière. Ce fut précisément en cette année que Pie XII voulut réorganiser par de nouveaux statuts l'Action catholique italienne et il voulut la création de l'Association chrétienne des ouvriers italiens (A. C. L. I.). Pour l'Italie, ce fut l'année du « referendum » qui, en rejetant la monarchie, installa le régime républicain et la tâche absorbante d'élaborer une nouvelle constitution. Le pape était profondément préoccupé, parce que ce changement pouvait amener des désordres dont il eût été difficile de prévoir les suites. Je me souviens d'avoir reçu personnellement de lui l'ordre de prendre possession de mon siège archiépiscopal de Gênes peu de jours après ma nomination (à peine quinze jours) parce qu'il voulait que je fusse à mon poste le jour du « referendum ». Le péril communiste était grand et le pape prévoyait que c'était là, la croix que l'Italie aurait à porter pendant longtemps.

L'année 1946 fut l'année de la réorganisation. Le 18 février, Pie XII tint son premier consistoire, portant pour la première fois presque à l'extrémité du continent noir la pourpre romaine et donnant par là une nouvelle orientation à son propre pontificat. Je voudrais inviter l'aimable lecteur qui parcourra ces pages, à s'arrêter quelque peu aux discours adressés à Rome par le pape aux grands ordres religieux, ainsi qu'aux consignes concrètes contenues dans les messages adressés à toutes les parties du monde dans les circonstances les plus variées. C'est aussi en cette année que commence la série des discours et documents, adressés aux diverses classes de la société, qui devait continuer jusqu'à la fin de sa vie à donner les consignes pour un véritable ordre chrétien à tous les niveaux, ainsi que les plus sûres et non moins nécessaires précisions dans le domaine doctrinal. La crainte d'une tourmente croissante dans ce domaine, voilà quelle était peut-être sa préoccupation dominante, et je crois en avoir été bien souvent le témoin direct. En réalité, pour Pie XII, il ne s'agissait pas seulement de réorganisation disciplinaire et sociale, mais de réorganisation de la défense de la vérité catholique.

Nul doute qu'il aura eu une attention particulière au rapprochement et à la confrontation de la foi et de la science. Quand il avait à traiter un sujet de ce genre il se faisait envoyer, par une maison internationale connue, tous les livres les plus récents parus sur le sujet, pour se préparer personnellement par une étude qui souvent durait plusieurs mois. Cela je l'appris de lui-même un jour où je ne sus pas retenir mon étonnement, ayant remarqué sur le bureau du pape un très gros volume de microphysique, rédigé (si je ne fais erreur) en langue anglaise. En fait d'information, même en matière scientifique, il ne tolérait pas qu'on s'écartât de l'exactitude la plus stricte.

L'année 1946 enfin fut pour Pie XII une année de préoccupation spéciale pour un juste établissement chrétien et social. Ce volume même s'ouvre sur un appel en faveur des enfants pauvres. Et dans ce même volume se trouvent des messages pour les Semaines sociales, des lettres et des discours adressés à des représentants des ouvriers. La contribution de Pie XII au domaine social ne commence pas avec l'année 1946 et j'ai déjà eu l'occasion de le dire. Toutefois, c'est à partir de cette année, face aux événements qui se précipitent et risquent d'être dirigés plus par des réactions émotives à la situation précédente que par des principes objectifs et équilibrés, que l'engagement du magistère pontifical se fait plus intense, plus précis, plus fréquent et, je voudrais dire, toujours plus affectueusement paternel.

De ce pontificat lumineux et si bien ordonné, marqué du signe de la plus haute dignité morale, l'année 1946 représente le passage de la première à la seconde partie.

Gênes, 1er janvier 1964

fGiuseppe Gard. SIRI


INTRODUCTION

L'armistice a été signé à Reims le 8 mai 1945 et le 2 septembre le Japon a capitulé. La guerre est désormais terminée.

Les visiteurs du Saint-Père sont plus nombreux et plus divers. Le 20 février, les représentants des mouvements d'Action catholique espagnole inaugurent la reprise des pèlerinages. L'activité oratoire ou épistolaire du Saint-Père ne fait, dès lors, que croître : plus de cent discours, allocutions ou lettres en cette année.

Le 17 mai, la reprise des communications avec l'Extrême-Orient lui permet de s'adresser aux êvêques du Japon qu'il aidera matériellement dans leur oeuvre de reconstruction ( 164). Mais surtout, elle lui permettra, par la constitution apostolique du 11 avril, d'établir la hiérarchie dans les 20 provinces ecclésiastiques et les 137 diocèses de l'immense Chine dont il prévoit peut-être déjà l'orientation de l'après-guerre (113-118).

Les ravages causés par la guerre ne cessent de le hanter. Il en parle à tous les visiteurs qui disposent de quelque influence ; aux diplomates, aux parlementaires des Etats-Unis envoyés en mission d'enquête en Europe. Les besoins sont urgents. La pénurie fait souffrir et la famine menace 500 millions d'hommes. Des dizaines de millions d'enfants sont abandonnés.

Aussi Pie XII saisit-il toutes les occasions d'attirer l'attention des plus influents de ses auditeurs sur leur devoir à l'égard des hommes qui souffrent. Le 6 janvier, il écrit aux êvêques du monde entier une encyclique pour demander de prescrire des prières et d'organiser des collectes en faveur de ces millions d'enfants indigents et abandonnés ( 17-22). A l'occasion du carême, il demande aux curés de Rome d'accroître leur charité en rappelant la sollicitude séculaire de l'Eglise pour les enfants et les dévouements innombrables de religieux, de religieuses et de prêtres qui leur ont consacré leur vie. Le 13 mars, il recommande à un groupe de diplomates américains de rendre plus large la législation concernant l'immigration, afin qu'elle aide à résoudre plus rapidement le problème des personnes déplacées en Europe (91).

Le 4 avril, c'est au monde entier qu'un radiomessage pathétique et appuyé sur une analyse précise de la situation économique porte son appel de détresse : il s'agit d'« arracher à la mort des millions de créatures humaines », car sur «• un quart au moins de la population du globe pèse l'ombre sinistre de la faim ». // recommande aux responsables de l'économie de prendre les mesures qui s'imposent ; « aux greniers du monde », l'Argentine et le Brésil, de venir au secours de tous ceux qui ont faim ; à tous, les devoirs de l'économie et de la charité, sans chercher à * savoir où ont été les responsabilités ou quelle a été la part de chacun dans les torts ou dans les négligences fatales» (103-107).

La situation ne s'améliore que lentement, en dépit de l'effort de «• trésors de volonté et de ressources », tant les besoins sont immenses ; « sur de vastes territoires de l'Europe et de l'Extrême-Orient planent les spectres de la plus effroyable disette et de la famine noire ». Aussi, dans le discours traditionnel du 24 décembre aux membres du Sacré Collège, il lancera un nouvel appel à l'entraide internationale afin que « les peuples apprennent par leurs propres épreuves à se connaître, à se tolérer, à s'entraider, et que sur les ruines d'une civilisation oublieuse des préceptes évangêliques, se reconstruise la cité chrétienne, dont la loi suprême est l'amour » (387-388).

Si les ravages matériels sont incommensurables et patents, «- plus désastreux encore, cependant, est le ravage créé dans la vie des hommes par la violence apportée sur le plan social, éducatif, économique et religieux» (237).

Le monde a « un immense besoin de réorganisation matérielle, dit-il le 23 octobre aux journalistes et aux éditeurs américains, mais... un plus grand encore de restauration spirituelle et on peut difficilement achever l'un sans l'autre» (321).

C'est à réparer ces désastres spirituels davantage encore que les ravages matériels, et en même temps à montrer l'influence bienfaisante de l'Eglise sur la vie complexe des hommes et du monde et à rappeler que le christianisme est le fondement nécessaire de tout ordre social, que son enseignement de l'année 1946 sera particulièrement consacré.

Le ministère pastoral lui paraît à cet égard de première utilité. Aussi, le 16 mars, recommande-t-il aux curés de Rome et aux prédicateurs de carême, dans la désormais traditionnelle exhortation pastorale qu'il leur adresse, « le ministère direct, immédiat des âmes dans la vie paroissiale, dans l'action quotidienne du prêtre à l'autel, en chaire, au confessionnal, dans l'enseignement, parmi la jeunesse, au chevet des malades, dans les conversations personnelles. Ce travail assidu a été et est partout et en tout temps la base fondamentale et comme l'armature solide qui assure la vitalité continue de l'Eglise » (94-95). Mais il étend le champ d'action de ce ministère pastoral. Il recommande aux curés et aux prédicateurs non seulement d'assurer « la protection de l'enfance abandonnée », la sauvegarde de la sainteté du mariage et « de promouvoir toujours davantage les oeuvres de charité chrétienne », mais il ajoute à leur ministère déjà si divers et si lourd la mission de « raviver le sentiment du droit et de la justice dans toute la vie sociale ».

Dans cet après-guerre incertain, il s'efforce sans se lasser de faire comprendre quelle est l'étendue de leur responsabilité à tous ceux de ses visiteurs qui détiennent quelque autorité et pouvoir ; les hommes d'Etat (172, 381), les membres du patriciat et de la noblesse de Rome (32), les sénateurs des Etats-Unis en mission en Europe (51), les diplomates (59, 61), les journalistes (121, 123, 142). Au R. P. Gemelli, recteur de l'Université catholique de Milan et aux universitaires, professeurs et étudiants (323), bons artisans de la reconstruction, il recommande la joie de la recherche, la joie de connaître, la joie d'enseigner, la foi dans la valeur de la raison, une foi et une ferveur spirituelles à la hauteur de leur valeur intellectuelle et professionnelle (134). Aux membres de Pax Romana réunis à Fribourg pour leur XXe Congrès, il donne comme mission dans l'après-guerre : « l'éducation tendant à une charité internationale, à l'union catholique des âmes croyant au Christ, au développement de la communauté pacifique et universelle de la société humaine, seulement possible quand la raison, guidée par la foi, crée un sens épris de justice et d'estime réciproque entre les peuples » (263). Aux instituteurs catholiques d'Italie, il affirme que leur tâche est de première importance, même si elle doit «• s'accomplir dans une pauvre école dans un village de la montagne » (277), et il rappelle la nécessité d'une école chrétienne qui, de concert avec la maison paternelle et avec l'Eglise, travaille à la saine formation de la jeunesse » (275). Le problème de la formation de la jeunesse retient particulièrement son attention. Il félicite les organisateurs des Semaines sociales du Canada de se pencher sur le problème de l'enfance et de l'éducation de la jeunesse parce qu'il est «- dans le bouleversement de l'après-guerre... d'une brûlante actualité » (241). Aux scouts qu'il salue « comme des messagers de paix, qui veulent aplanir la route à la confiance réciproque, au rapprochement et à l'union des âmes », il demande de ramener l'amour parmi les hommes (278). Aux agents de police de Rome, il rappelle que toute profession est « service de Dieu » (246).

A tous les bons catholiques, il lance un appel à l'action dans les rangs de l'Action catholique qu'il voudrait voir considérer « comme un groupement ami de citoyens qui ont fait leur la maternelle intention de l'Eglise de racheter le monde entier et de garantir à la société l'irremplaçable et indispensable ferment de la vraie civilisation » (310).

Il sait que ce rappel de l'action et de la mission de l'Eglise lui attirent des critiques. Il prend occasion de la réception du corps diplomatique, le 25 février, pour exposer une fois encore les principes qui ont dirigé sa conduite durant le conflit à l'égard de tous les belligérants : <r préoccupation constante d'enrayer un conflit si funeste », réprobation ferme de « tout acte digne de réprobation », ménagement dans les termes toutefois, pour éviter « telle ou telle expression qui fût de nature à faire plus de mal que de bien, surtout aux populations innocentes courbées sous la férule de l'oppresseur », affection pour tous les peuples, enfin ferme volonté de se tenir à l'écart des conflits idéologiques (83-87). Le 29 septembre, il définira, de manière plus précise encore, aux ouvriers catholiques d'Italie, les six buts que n'a cessé de viser le Saint-Siège : «• empêcher la guerre, abréger la guerre, tenir à l'écart de la guerre les nations qui, comme l'Italie, s'en étaient gardées au début, sauver des massacres et des souffrances les personnes, et des destructions les cités, remédier aux désastreuses conséquences de l'atroce guerre, au-dessus de toutes les haines et de tous les conflits, par la plus noble contribution de secours charitables, favoriser et élever les conditions spirituelles et matérielles des masses laborieuses » (298). Aux délégués du Haut Comité arabe de Palestine, il rappelle qu'il n'a cessé de condamner l'antisémitisme (255). Dans l'allocution traditionnelle du 24 décembre aux cardinaux, à l'occasion des voeux de la Noël, il revendique avec force sa «• mission d'être le défenseur de la vérité, le gardien du droit, le champion des principes éternels d'humanité et de charité (380).

Les difficultés de l'après-guerre, qu'il n'avait que trop prévues, le préoccupent. Les négociations de paix, en effet, traînent en longueur. La vraie paix n'est pas en vue. Aussi, le 1er juin, confie-t-il ses inquiétudes au Sacré Collège à l'occasion de la Saint-Eugène. « Les efforts, les discussions, les échanges de vues, les contacts, même directs, entre les hommes d'Etat qui ont dans leurs mains les destinées du monde, se sont multipliés. Mais on a souvent l'impression que la paix véritable, une paix qui corresponde aux exigences et aux aspirations de la conscience humaine et chrétienne, s'est plutôt éloignée que rapprochée, s'est plutôt affaiblie et évanouie que consolidée et concrétisée dans une réalité qui inspire confiance. Plus les papiers s'amoncellent sur les tables des conférences internationales, plus les difficultés et les obstacles qui s'opposent aux solutions moralement justifiables s'accroissent » (172).

Dans son allocution de Noël aux cardinaux, le 24 décembre, il se fera plus insistant et plus direct. La conclusion de la paix est trop longue à venir. Les conférences s'enlisent par suite de * contradictions non encore surpassées pour la fixation des buts et des méthodes. Que reste-t-il des messages et des dispositions de la Charte de l'Atlantique ? Cette trop longue attente imposée aux peuples est génératrice d'anxiété et peut être cause de nouveaux conflits. Aussi les gouvernants doivent-ils presser la conclusion de la paix et la marquer du sceau « d'une vraie justice » en prévoyant les « ajustements possibles » qui la rendront tolérable et féconde (378-390). On ne saurait oublier, dit-il, le 13 juin, au premier ambassadeur de Tchécoslovaquie près le Vatican, lors de la remise de ses lettres de créance, que «- l'avènement d'une paix digne, constructive, vitale, est indissolublement lié à des principes d'ordre juridique et moral, que toutes les énergies politiques du monde ne pourront jamais remplacer » (258).

Le devoir, la mission, la tâche, l'influence de l'Eglise dans le monde bouleversé constitueront le second thème privilégié de ses plus importants discours et allocutions. «• Seule, en effet, la doctrine de l'Eglise peut porter efficacement remède aux maux présents », dêclare-t-il dès le 16 janvier aux membres du patriciat et de la noblesse de Rome (36). Bien plus, l'Eglise est « le modèle de toute vie sociale » et de toute communauté, ce mot que l'Eglise primitive a consacré parce que «¦ dans la personne humaine créée à l'image de Dieu, elle reconnaît la racine et la fin de toute vie sociale » (229).

Aux ouvriers catholiques d'Italie, il redit que « l'Eglise ne trompe ni ne déçoit l'attente du peuple. Elle a proclamé et diffusé son message social » (298). «Aux employeurs, elle ne cesse, au cours des siècles, de rappeler avec vigueur l'inestimable valeur de la personne humaine qui, même dans le plus humble des serviteurs, est l'image de Dieu » (311). Au chef provisoire du gouvernement italien, M. Enrico de Nicola, venu lui faire visite le 31 juillet, il rappelle que « c'est à l'Eglise, mère et antique éducatrice des peuples que revient, en ces périodes historiques, avec son action religieuse et morale, une part importante » dans « l'oeuvre de renaissance et de reconstruction » (248).

La fin de la guerre lui permet, le 18 février, de réunir un consistoire et de créer 32 cardinaux. Il les a choisis, explique-t-il, « dans les cinq parties du monde » et appartenant à 20 nationalités différentes afin d'affirmer ainsi à la face d'un monde divisé la catholicité, la supranationalité de l'Eglise qui « n'appartient pas seulement à une race, à un peuple ou à une nation, mais à tous les peuples de la famille humaine et à chacun d'eux » (66). De cette promotion unique par son ampleur et sa diversité dans les annales de l'Eglise, il espère « qu'une telle manifestation du caractère supranational de l'Eglise et de son universelle unité » suscitera un intérêt profond dans un monde « qui partout a faim et soif d'amitié et lutte de diverses manières pour l'obtenir » (70). « L'unité et l'intégrité de l'Eglise mises en lumière par la manifestation de sa supranationalité sont de grande importance pour la vie sociale... Cette influence s'exerce sur le fondement, sur l'organisation et sur le dynamisme de la société humaine » (71 ). En effet, plus et mieux et de manière plus persévérante et plus efficace que toute institution humaine, l'Eglise, explique-t-il aux nouveaux cardinaux, le 20 février, « s'efforce de former l'homme, de modeler et de perfectionner en lui la ressemblance avec Dieu », de l'éduquer dans l'équilibre de ses facultés, dans l'entraide à la vie de communauté et dans l'attachement au sol et à ses traditions (72-74), avec le respect de ce que chaque pays «¦ comporte de légitimes diversités dans son unité nécessaire, de spontanéité aussi et de libre consentement, de don mutuel au sein de cette famille élargie et transcendante qu'est la patrie » (229). L'Eglise « bâtit sans discontinuer sur le fondement inébranlable de toute société humaine » (76), sur lequel peuvent être bâtis la famille et l'Etat. C'est elle qui proclame, protège et venge la vraie liberté. Cette mission lui est essentielle. Elle l'accomplit à l'égard de tous les peuples et selon leurs besoins (175).

« La tâche toujours grave qui revient à l'Eglise » est « d'inculquer à tous l'esprit de conscience, la rectitude, la modération, le respect de la vérité et du droit ». En cet après-guerre incertain, cette tâche * est plus ardue et ingrate que jamais dans les temps d'agitation et de crise, mais elle est pour cela même également doublement importante et urgente» (173).

L'Eglise est la «- clé de voûte » même des institutions politiques et son action est « la pierre de granit placée par le Christ » d'où «• part la restauration de toutes les choses dans le Christ» (34-35). «La vérité seule, écrit-il aux Suisses, la doctrine, la foi, la grâce de Jésus-Christ assurent aux peuples ce fondement durable de leur existence, de leur progrès, de leur prospérité, de la paix» (283).

Et Pie XII de donner cette magnifique définition de l'Eglise : « La société de ceux qui, sous l'influence surnaturelle de la grâce, dans la perfection de leur dignité personnelle de fils de Dieu et dans le développement harmonieux de toutes les inclinations et énergies humaines, édifient la puissante armature de la communauté humaine » (78).


S. DELACROIX



ENCYCLIQUE « QUEMADMODUM » SUR LE DEVOIR ACTUEL DE S'OCCUPER PLUS ACTIVEMENT DES ENFANTS INDIGENTS

(6 janvier 1946) 1

La détresse des enfants privés, du fait de la guerre, des biens les plus nécessaires à la vie a incité le Saint-Père à rappeler aux êvêques la sollicitude constante que l'Eglise a manifestée pour les enfants et leur éducation, et les a priés de recommander leur sort à leurs fidèles.

Les efforts du pape pour atténuer les misères.

De même qu'au cours de la guerre meurtrière Nous n'avons rien omis en fait de suggestions et de supplications de ce qui pouvait amener au plus tôt l'apaisement d'un conflit trop prolongé et un règlement général conforme au droit, à l'équité et au bon ordre, de même maintenant que les armes sont déposées sans que la paix soit encore rétablie, en raison du ministère apostolique dont Nous sommes chargé, Nous n'omettons rien qui puisse apporter les adoucissements opportuns à tant de douleurs et soulager, autant qu'il est en Notre pouvoir, l'amas de misères dont beaucoup de nations sont accablées.

Or, parmi les afflictions, presque innombrables, que la lutte cruelle a enfantées, aucune n'afflige et ne blesse autant Notre coeur paternel que celle qui atteint une multitude d'enfants innocents. Des millions d'entre eux, dit-on, privés de ce qui est nécessaire pour vivre, se trouvent, en de nombreux pays, épuisés par le froid, par la faim et par les maladies ; souvent même abandonnés par tous, ils ne manquent pas seulement de pain, de vêtements et de toit, mais aussi de cet amour dont le jeune âge a un si grand besoin.

1 D'après le texte latin des A. A. S., 38, 1946, p. 5 ; cf. la traduction française de» Actes de S. S. Pie XII, t. VIII (Bonne Presse, Paris), p. 9.

Vous le savez, Vénérables Frères, Nous n'avons rien négligé de ce qu'il Nous était possible de faire en ce domaine ; et Nous exprimons toute Notre reconnaissance à ceux dont la largesse Nous a permis de remédier, dans la mesure du possible, à l'indigence des enfants et des jeunes. Nous n'ignorons pas non plus que de nombreuses personnes, soit individuellement, soit en groupes et en associations organisées, ont entrepris 'd'atteindre ce même but et ont fait tous leurs efforts pour réaliser leur projet. A tous ceux-là, qui méritent vraiment l'éloge 'de tous les gens de bien, Nous adressons la louange qui leur est due, et Nous souhaitons à leurs oeuvres, à leurs entreprises, à leurs organisations toutes les bénédictions divines.

'appel à la prière et à l'action.

Cependant, comme ces secours et ces efforts sont loin d'égaler l'immensité 'des maux, Nous croyons de Notre 'devoir de vous adresser cet appel et de vous exhorter paternellement à prendre tout particulièrement à coeur la cause très grave des enfants dans la misère et à ne rien omettre qui puisse contribuer à adoucir et à améliorer leur situation.

Nous vous enjoignons par conséquent de fixer dans chacun de vos diocèses un jour où soient prescrites des prières publiques pour implorer Dieu ; de faire aussi instruire le peuple de cette nécessité urgente par l'intermédiaire des ministres sacrés qui sont vos auxiliaires et de l'exhorter à promouvoir par la prière, par les bonnes oeuvres, par les collectes d'aumônes, toutes les initiatives susceptibles d'aider par tous les moyens les enfants indigents et abandonnés. L'entreprise, comme il est facile de le constater, concerne sans doute tous les citoyens, de quelque opinion qu'ils soient, pour peu qu'ils soient animés de sentiments d'humanité et de pitié, mais elle intéresse tout particulièrement les chrétiens qui doivent reconnaître dans ces petits frères sans ressources et abandonnés l'image de l'Enfant-Dieu, et qui sont tenus par devoir de se rappeler ces paroles : « En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous Pavez fait au plus petit d'entre mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25,40). Que tous considèrent et méditent attentivement que ces enfants seront les soutiens de l'avenir, qu'il est donc absolument nécessaire qu'ils grandissent sains de corps et d'esprit, pour que ne se lève pas un jour une génération qui porte en elle les germes des maladies et les souillures des vices. Que personne, en une matière si opportune et si nécessaire, n'apporte à contre-coeur son activité, ses forces et son argent.

Que les moins fortunés donnent de grand coeur et volontiers tout ce qu'ils peuvent et dont ils sont capables ; que ceux qui vivent dans l'aisance et l'abondance examinent attentivement et se souviennent que l'indigence, la faim et la nudité des enfants leur seront auprès du Père des miséricordes de très sévères et véhéments accusateurs, si leur coeur est de plomb et s'ils ne donnent pas généreusement de quoi les secourir. Que tous enfin se persuadent que leur libéralité ne leur est pas une perte, mais un gain, puisque, on peut l'affirmer sans conteste, celui qui donne au pauvre, de sa fortune ou de son activité, prête en quelque sorte à Dieu, qui le récompensera un jour largement de 'sa libéralité. Nous avons donc de bonnes raisons d'espérer que, comme aux temps premiers des apôtres, lorsque la communauté chrétienne de Jérusalem souffrait de la persécution et de la pauvreté, tous les fidèles du monde entier adressaient pour elle des prières à Dieu et lui envoyaient des secours (cf. 1Co 16,1), tous aujourd'hui également, poussés et animés du même amour, pourvoiront selon leurs moyens aux besoins des enfants. Qu'ils le fassent, comme Nous l'avons dit, surtout par des supplications ardentes à notre miséricordieux Rédempteur, car de ces pieuses prières, comme vous le savez, dérive une force secrète qui pénètre le ciel et obtient des demeures éternelles ces lumières surnaturelles et ces impulsions divines qui éclairent l'esprit des hommes, inclinent leur volonté au bien, la persuadent et la poussent à la charité.

Sollicitude constante de l'Eglise pour les enfants.

Il est à propos de remarquer ici que l'Eglise, à toutes les époques, a été pleine de sollicitude pour les enfants, qu'elle y a vu à bon droit comme une tâche très particulièrement confiée à 'sa charge et à sa charité. Par ce qu'elle a fait et ce qu'elle continue à faire en ce sens, elle marche sans aucun doute sur les traces et elle répond aux enseignements de son divin Fondateur, lui qui attirait doucement les petits enfants et disait aux apôtres qui réprimandaient leurs mamans : « Laissez venir à moi les petits enfants ; ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent » (Mc 10,14). Car, comme le dit très bien et éloquemment Notre prédécesseur d'immortelle mémoire, Léon le Grand, « le Christ aime... l'enfance, dont il a commencé par prendre l'esprit et le corps. Le Christ aime l'enfance, qui est maîtresse d'humilité, règle d'innocence, idéal de douceur. Le Christ aime l'enfance qu'il donne comme norme aux moeurs des plus grands, à laquelle il ramène la vieillesse ; et il pousse à l'imiter ceux qu'il élève à son royaume éternel » 2.

A la lumière de ces paroles et de ces pensées, vous voyez, Vénérables Frères, de quel amour et de quel soin diligent l'Eglise, à l'exemple de son Fondateur, doit entourer les enfants. En effet, tout en n'omettant rien de ce qui est en son pouvoir pour que leurs corps ne manquent ni de nourriture, ni de toit, ni de vêtements, elle ne perd pas de vue pourtant ni ne néglige leurs petites âmes qui, nées en quelque sorte du souffle divin, semblent manifester comme un rayon des beautés célestes. Elle veille donc tout d'abord et elle vise à ce que leur innocence ne soit pas souillée et qu'on pourvoie soigneusement à leur salut éternel. C'est pourquoi elle possède en nombre presque incalculable des institutions et des oeuvres dont le but est d'éduquer les enfants comme il faut, de les former à la pureté des moeurs et de les amener, selon leurs capacités, à une condition de vie qui réponde aux besoins grandissants de leur âme et de leur corps. Dans ce champ d'action d'une extrême utilité, vous le savez, un grand nombre d'associations religieuses d'hommes et de femmes rivalisent d'un empressement merveilleux et efficace, et leur activité sage, vigilante, se dépense toute pour le plus grand profit de l'Eglise et de la société civile. Et ce n'est pas seulement chez les peuples et les nations civilisés que cette action est exercée avec de nombreux et salutaires résultats, mais aussi chez les peuples primitifs, ou encore insuffisamment éclairés de la lumière chrétienne, que les semeurs de la vérité évangélique, et en particulier l'oeuvre pontificale de la Sainte-Enfance, arrachent tant d'enfants à la servitude du démon et des hommes pervers pour les faire passer dans la liberté des fils de Dieu et à un genre de vie plus humain.

Immensité de la misère des enfants.

Or, à ce tournant formidable de l'histoire, au moment où se sont accumulées en trop grand nombre les ruines matérielles et spirituelles, il n'y a pas de doute que ces oeuvres de providence et de charité, suffisantes peut-être pour des nécessités communes en cette matière, se révèlent insuffisantes. En effet, Nous avons presque sous les yeux, Vénérables Frères, d'immenses multitudes d'enfants qui, souffrant et mourant de faim, demandent du pain de leurs petites

2 Serm. XXXVII, c. 3 ; Migne, P. ., 54, 258 C.


mains « et il n'y a personne qui leur en partage » (Lm 4,4) ; privés soit de maison, soit de vêtements et tremblants sous le froid de l'hiver, ils dépérissent lentement et ils n'ont ni pères ni mères pour les couvrir et les réchauffer ; malades enfin, et consumés par l'anémie et la phtisie, ils manquent de médicaments convenables et de soins appropriés. De même, il Nous semble en voir avec tristesse des multitudes errer dans les rues bruyantes des villes, contraints à l'oisiveté et à la corruption, ou bien vagabonder à l'aventure dans les faubourgs, les villages et les champs, sans que personne, hélas ! leur assure une protection contre la pauvreté, les vices et le crime.

Appel à la charité de tous les êvêques.

Pourquoi donc Nous, qui aimons si ardemment ces petits enfants « dans le coeur du Christ Jésus » (Ph 1,8), pourquoi ne vous appellerions-Nous pas avec insistance, Vénérables Frères, chacun de vous, et avec vous tous ceux qui sont guidés par des sentiments d'humanité, de miséricorde et de pitié, à faire concourir courageusement et généreusement tout ce que peut la charité chrétienne — et elle peut beaucoup — à obtenir ce but, que le misérable sort de ces enfants soit partout adouci et amélioré ? Qu'on ne laisse sans l'essayer rien de ce que notre époque suggère et conseille en cette matière ; qu'on trouve même de nouveaux moyens qui permettent aux efforts de tous les gens de bien de porter des remèdes appropriés aux maux actuels et aux dommages que l'on redoute pour l'avenir. Et qu'ainsi au plus vite, sous l'inspiration et avec l'aide de Dieu, aux séductions du vice qui font facilement dévier les enfants abandonnés, succèdent les attraits de la vertu ; qu'à leur oisiveté sans fruit et à leur triste inaction mette fin un travail honnête et joyeux ; qu'enfin leur privation, leur faim, leur nudité obtiennent de la charité de Jésus-Christ, qu'il faut en ce moment faire revivre, enflammer et augmenter au maximum dans ses disciples, de ne pas rester sans les secours qui leur sont nécessaires. Tout cela contribuera beaucoup non seulement au progrès de la religion catholique et de la vertu chrétienne, mais aussi au bien de la communauté humaine et de la société civile ; car, tous le savent, les prisons et les lieux de détention publique ne seraient pas encombrés d'un si grand nombre de malfaiteurs et de criminels si l'on employait plus largement et avec plus d'opportunité les moyens et les méthodes propres à prévenir les crimes, surtout chez les jeunes ; et si l'enfance grandissait partout saine, intègre, travailleuse, on trouverait plus facilement des citoyens qui brilleraient par leur probité, par leur courage et par les autres qualités de l'esprit et du corps.

Voilà, Vénérables Frères, ce que Nous avions à vous écrire sur ce très grave sujet dans cette lettre encyclique. Nous vous enjoignons de même de communiquer ces avis et ces conseils paternels à votre troupeau de la manière qui vous semblera la plus opportune. Nous avons la confiance que tous répondront volontiers à ces désirs et à ces exhortations, dans une abondante charité et avec empressement.

Fort de cet espoir, en gage des faveurs célestes et en témoignage de Notre bienveillance particulière, à chacun de vous, Vénérables Frères, et aux troupeaux confiés à vos soins, nommément à ceux qui, de quelque manière, ont bien mérité ou mériteront à ce sujet, Nous accordons avec amour dans le Seigneur la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1946