Pie XII 1944 - ALLOCUTION AU PERSONNEL ADMINISTRATIF ET TECHNIQUE DE LA RADIODIFFUSION ITALIENNE


ALLOCUTION LORS DE LA CLOTURE DES EXERCICES SPIRITUELS AU VATICAN

(9 décembre 1944) 1

Le Souverain Pontife a clos les exercices spirituels donnés traditionnellement au Vatican au mois de décembre par les conseils suivants :

La retraite.

Grâces soient rendues à Dieu, auteur de tous biens, de ce que, même au milieu des tragiques convulsions qui continuent à agiter les deux hémisphères de ce pauvre monde tourmenté, il nous a permis, Vénérables Frères et chers Fils, de nous recueillir cette année encore, dans la calme et fructueuse solitude des exercices de la retraite, afin de méditer les grandes vérités qui de la terre nous soulèvent vers le ciel ; d'y puiser de nouvelles forces appropriées à nos graves devoirs ; de nous unir plus intimement au Christ notre Médiateur et Maître divin, notre Vie et notre Résurrection, et de nous rendre ainsi plus aptes à remplir la mission d'apostolat que nous a confiée le Seigneur.

Mais après avoir fait monter vers Dieu le cantique de la reconnaissance, Nous voulons exprimer Notre gratitude à l'éminent prédicateur qui, pour la troisième fois déjà, a été parmi nous le ministre de ces grâces si précieuses. Il nous a ouvert les riches trésors de science et d'expérience qui font de lui un maître expérimenté et hautement apprécié dans Notre Université grégorienne. Et nous avons eu un motif spécial de satisfaction du fait qu'il a savamment inséré dans la solide et salutaire ascétique des Exercices de saint Ignace la sublime et féconde doctrine du Corps mystique


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du Christ. Nous avons eu ainsi l'occasion d'expérimenter une fois de plus la pleine et harmonieuse convergence de la saine ascétique avec la vraie théologie et la haute et inépuisable fécondité de la vérité révélée.

Le prédicateur nous a fait suivre l'itinéraire tracé d'une manière lumineuse par saint Léon le Grand : Agnosce, o christiane, dignitatem tuam, et divinae consors factus naturae, noli in veterem vilitatem degeneri conversatione redire, « Reconnais, ô chrétien, ta dignité, et rendu participant de la nature divine prends garde à ne pas retomber, par une conduite avilissante, dans la première bassesse. » C'est le programme des méditations de la voie dite purgative. Memento cuius capitis et cuius corporis sis membrum, « Souviens-toi de quelle tête et de quel corps tu es le membre. » C'est le phare qui resplendit dans la voie illuminative. Reminiscere quia erutus de potestate tenebrarum, translatus es in Dei lumen et regnum, « Aie soin de te souvenir que tu as été arraché à la puissance des ténèbres et transplanté dans la lumière et le règne de Dieu2. Unis par le Christ au Père céleste, source de tout être et de toute vie, nous avons suivi les admirables ascensions de l'amour, contemplant, toujours de loin, mais aussi toujours de plus près, les sommets qu'habite ce Père divin dans sa lumière inaccessible (cf. 1Tm 6,16).

Dans notre effort pour gravir la montagne de Dieu, nous n'avons pas été guidés seulement par les puissantes clartés de la raison humaine et de la théologie. Nous avons vécu dans l'intimité du Verbe fait chair qui est Lumière de lumière, Voie et Vérité, mais qui est aussi la Vie et notre vie. C'est que, dans le cours de ces Exercices, il s'est manifesté à nous comme la Tête, ce qui revient à dire, mieux, incomparablement mieux que comme un maître seulement ; mieux, incomparablement mieux que comme un compagnon, un conseiller et un soutien. Il nous est apparu ce qu'il est vraiment, la Tête du Corps dont nous sommes les membres, la Tête qui meut et dirige tout l'organisme de son Corps mystique, sur lequel il exerce son triple pouvoir d'enseigner, de gouverner, de conduire à la sainteté le Corps tout entier et chacun de ceux qui le composent. Tout cela parce qu'il est la Tête, le Centre d'où la vie passe dans les organes et dans les membres avec le sang, à la manière dont la sève passe du cep de la vigne dans les sarments et dans les grappes, nous faisant eius divinitatis esse consortes, qui humanitatis

nostrae fieri dignatus est particeps, Iesus Christus... Dominus noster, « participer à la divinité de Celui, Jésus-Christ, Notre-Seigneur, qui a daigné prendre notre humanité ».

A mesure que dans la ferveur de la méditation la personne, la vie de ce Chef, Roi éternel, se révélait et se déroulait devant les yeux de notre esprit et plus encore au fond de nous-mêmes, et en même temps que notre âme s'en nourrissait, nous goûtions mieux l'union de notre vie personnelle et de la vie totale de l'Eglise, son Corps mystique, avec sa vie à lui.

Lorsqu'aux heures de prospérité et de consolation, passe en nous-mêmes et dans toute l'Eglise un rayon de la félicité qui resplendit en lui, nous nous écrions avec Pierre sur la montagne : « Seigneur, il nous est bon de rester ici » (Mt 17,4). Mais avec lui aussi, prémunis et fortifiés contre le scandale de la Passion par les splendeurs de la Transfiguration, il convient de descendre, et avec lui, pareillement, le chrétien, l'Eglise portent la croix sur la montée du Calvaire. Attachée avec lui sur la croix, Christo confixa cruci (cf. Gal. Ga 2,19), l'Eglise offre le sacrifice dont nous devons être en même temps les prêtres, l'autel, la victime, de manière à « achever dans notre chair ce qui manque aux souffrances du Christ » (cf. Col. Col 1,24). Devant notre incompréhension, devant notre faiblesse, il a, durant ces journées, dévoilé les Ecritures, et notre coeur, comme celui des disciples d'Emmaiis, était brûlant dans nos poitrines parce que nous entrevoyions, avec une intelligence éclairée plus intimement par l'Esprit divin, le grand Mystère de la douleur et de la mort qui conduit à la béatitude dans la gloire. L'heure est venue de redescendre dans la plaine, parmi les âmes confiées à nos soins, coopérant avec le Christ à l'oeuvre de salut accomplie par son Eglise, avec laquelle il a promis de rester jusqu'à la consommation des siècles.

L'Eglise toujours jeune.

Et, en vérité, jusqu'à la consommation des siècles, parce que le Christ le veut ainsi, parce que sa toute-puissance la soutient divinement, l'Eglise vit et vivra dans un état de fraîcheur toujours juvénile. C'est un profond réconfort pour nous tous, qui avons consacré notre vie à son service. Notre temps, que l'on pourrait bien qualifier d'apocalyptique, voit chanceler des organisations, des puissances, des systèmes terrestres qui existaient depuis des siècles ou que l'on avait voulu créer pour les siècles, et la guerre présente semble vouloir


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sanctionner des transformations et des événements si formidables, et en achever la réalisation. Et n'est-il pas vrai que pourraient se vérifier terriblement encore de nos jours, pour certains qui méprisent ou persécutent l'Eglise, les paroles du Prophète : Arrogantia tua decepit te, et superbia cordis tui... ; cum exaltaveris quasi aquila nidum tuum, inde detraham te, dicit Dominus, « Cela t'a égaré, de répandre l'effroi, de t'exalter en ton coeur... ; quand tu hausserais ton nid comme l'aigle, je t'en précipiterais, oracle de Yahvé » (Jr 49,16).

Sans doute, les grands bouleversements politiques et sociaux entraînent d'ordinaire, extérieurement, même dans l'Eglise, des conséquences profondes, mais ils ne peuvent toucher ni ne toucheront jamais sa vie. La divine Providence a étendu jusqu'à maintenant sur nous aussi sa main protectrice. Confions-nous à elle avec tranquillité pour l'avenir. De violents ouragans peuvent faire crouler les sanctuaires de pierre, symboles de l'Eglise ; ils peuvent exiger le sacrifice d'existences humaines, et tous nous serions certainement prêts, si le Seigneur le voulait ainsi, à immoler notre vie, cette courte vie mortelle, pour nos frères. Mais l'Eglise et la papauté — nous en avons une sûre garantie dans les promesses divines — le roc de Pierre et la cathédrale mondiale élevée sur ce roc ne pourraient sortir de l'ouragan que de nouveau renforcés et encore plus raffermis.

Courage devant l'avenir.

C'est pourquoi, Vénérables Frères et chers Fils, travaillons, travaillons pour l'Eglise et pour les âmes, avec le don total de nous-mêmes, en esprit de prière, de pénitence et de mortification, sans calculs ni réserves ; dépensons-nous, consumons-nous, sans jamais nous laisser même le moins du monde décourager par les adversités. Des temps comme le nôtre font naître facilement l'impression que la vérité et les vertus chrétiennes ont perdu de leur valeur et de leur influence salutaire sur les esprits. Certainement, il n'est personne qui ne voie et ne reconnaisse le caractère sérieux et la gravité de la condition religieuse présente. Cependant, ne nous laissons pas tromper, si peu que ce soit, par des apparences fausses de décadence. Même à l'heure actuelle, il y a dans le monde — et Nous-même Nous pouvons dire que chaque jour Nous en recevons et Nous en contemplons de Nos propres yeux le témoignage réconfortant — une foi vive et un noble héroïsme chrétien ; il s'y trouve des millions et des millions d'âmes qui attendent de l'Eglise, en l'appelant avec anxiété, la parole de la vérité et le Pain de vie, et de tant de régions proches et lointaines arrive pressant à Notre oreille l'écho de la voix et de l'invitation du Rédempteur : Levate oculos vestros et videte regiones, quia albae sunt iam ad messem, « Levez les yeux et voyez les champs, ils sont tout blancs pour la moisson » (Jn 4,35).

Pour ces âmes et pour cette moisson, travaillons et sacrifions-nous, per ipsum et cum ipso et in ipso, « pour lui, et avec lui, et en lui », pour lui qui est la Tête et le Coeur, la force et la vie de son Eglise.

Et afin que ces saintes pensées et ces résolutions soient fortifiées, grâce à l'intercession de Marie, la très douce et immaculée Mère de Dieu et notre Mère, par l'abondance de la grâce divine, Nous vous donnons à tous, du fond du coeur, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


MESSAGE

A TOUTES LES VICTIMES DE LA GUERRE A L'OCCASION DE NOËL

(13 décembre 1944) 1

Comme chaque année, le Saint-Père a tenu à adresser à toutes les victimes de la guerre un message de réconfort pour la fête de Noël. De spéciales attentions ont été réservées aux prisonniers des Etats-Unis et de l'Australie, aux internés en Allemagne et à la population polonaise dispersée de Varsovie :

Qu'à Nos chers fils, les prisonniers de guerre, les internés, les exilés, à tous ceux qui dans le long conflit actuel gémissent victimes de la guerre et traînent par toutes les routes du monde leurs souffrances, leurs deuils, leurs larmes, le Sauveur des hommes, l'unique puissant restaurateur de l'humanité affligée sourie et apporte la libération, après une si longue agonie. Et afin que l'annonce de la paix apportée une fois encore au monde bouleversé par les anges 'de Bethléem leur soit un joyeux présage de la fin de leurs maux et le précurseur d'une vie renouvelée dans 'les fécondes oeuvres de bien, Nous accordons à tous en intercédant auprès de la miséricorde divine la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A UN GROUPE DE REPRÉSENTANTS DU CONGRÈS DES ETATS-UNIS

(15 décembre 1944) 1

Le vendredi 15 décembre, le Saint-Père reçut en audience privée l'ambassadeur Myron C. Taylor, représentant personnel du président des Etats-Unis, qui lui présenta les membres du Comité du Congrès chargé des affaires militaires à la Chambre des représentants. Le pape leur adressa l'allocution suivante :

Honorables membres du Congrès ! Quand Son Excellence le représentant personnel de votre président Nous demanda de recevoir le Comité du Congrès «n visite en Europe, Nous l'avons immédiatement assuré que ce serait pour Nous un réel plaisir que de le faire ; Nous désirons vous redire l'assurance de ce plaisir à vous, honorables membres qui êtes ici présents. A tous et à chacun Notre très cordiale bienvenue.

Les législateurs des nations du monde portent en ce moment critique de l'histoire humaine une responsabilité particulièrement grave. Les questions qu'ils sont appelés à résoudre ont plus qu'une signification politique passagère. Elles atteignent jusqu'aux racines de l'humanité, à l'inviolabilité de la personne humaine, à ses droits inaliénables donnés par Dieu, antécédents à l'Etat et que l'Etat ne peut enfreindre sans mettre en danger sa propre existence. Avant tout, parmi ces droits, il faut mentionner la liberté de pratiquer la religion fondée sur la foi en Dieu et sa Révélation. Au législateur d'aujourd'hui et de demain a été confiée la noble tâche de faire en sorte que ces droits ne périssent pas mais soient protégés, défendus et tenus en honneur parmi les peuples.


REPRÉSENTANTS DU CONGRÈS DES ÉTATS-UNIS 235

Oh ! avec quelle ferveur Nous prions Dieu chaque jour pour que sa grâce illumine les esprits des législateurs et des chefs d'Etat, pour leur donner le courage de choisir le chemin qui conduit à la paix après laquelle leurs coeurs soupirent.

L'esprit génial de saint Augustin a pris conscience que le coeur humain ne peut jamais rester en repos tant qu'il ne se repose pas en Dieu ; ce qui est vrai de l'individu est vrai de la multitude qui forme notre humanité. Cette guerre finira ; la paix que les hommes désirent intensément s'effritera en leurs mains, si Dieu n'a pas la première place dans les assemblées des nations, si ses dix commandements et les vérités apportées aux hommes par le Christ ne sont pas mis à la base du nouveau monde que tous les hommes de bonne volonté espèrent voir se lever pour l'amélioration de l'humanité.

Pour que ce nouveau monde puisse aussi apporter un accroissement de gloire à Dieu, Nous implorons les bénédictions du ciel sur ceux qui ont principalement entre leurs mains le pouvoir de le fabriquer et en particulier sur vous, honorables membres du Congrès. Que Dieu vous bénisse, ainsi que vos familles, tous les chers vôtres que vous avez laissés à la maison et votre patrie bien-aimée.


DISCOURS AU SACRÉ COLLÈGE ET A LA PRÉLATURE ROMAINE

(24 décembre 1944)1

La cérémonie de la présentation des voeux du Sacré Collège et de la Prélature romaine au Saint-Père lui donne cette année, comme les années précédentes, l'occasion de tracer un tableau de la situation du monde et de la mission de l'Eglise.

Reconnaissance paternelle.

En cette vigile de la sainte fête de Noël et à l'approche du Nouvel An, la noble impulsion de vos coeurs, plus encore qu'une coutume traditionnelle, vous a conduits, Vénérables Frères et chers Fils, à la maison du Père commun des fidèles. Vous qui, durant l'année qui va vers son couchant, Nous avez assisté de vos sages conseils et de votre constante collaboration, vous avez voulu Nous offrir l'hommage de vos ferventes prières et de vos souhaits exprimés avec une si déférente bonté, avec tant de fraîcheur et avec un accent si net, par votre eminent interprète, le vénérable cardinal doyen du Sacré Collège. Vous avez voulu montrer à celui qui, en des temps si difficiles, porte sur ses faibles épaules le poids du suprême ministère apostolique, que dans l'accomplissement d'une charge chaque jour plus étendue et plus lourde il peut toujours compter sur le concours de toutes vos forces consacrées au service d'une cause aussi auguste.

Comment Notre coeur paternel pourrait-il répondre à votre si grand dévouement, à votre fidélité, à ce zèle si actif que vous exercez dans les postes qui vous sont assignés dans la milice du Christ, sinon par un vif sentiment de satisfaction et de gratitude


SACRÉ COLLÈGE ET PRÉLATURE ROMAINE

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à votre égard, et par-dessus tout d'humble reconnaissance envers le Père des lumières qui a répandu avec profusion dans vos âmes l'Esprit de son Fils, souverain et éternel Prêtre !

Multiples difficultés occasionnées par la guerre.

Plus la guerre se prolonge et plus les graves et nombreuses difficultés qu'elle crée empêchent, hélas ! de pourvoir, selon les meilleures traditions du passé et conformément à l'attente des peuples qui composent l'Eglise universelle, à de nombreux postes vacants, vacances qui sont malheureusement survenues dans la Curie romaine et aussi en dehors d'elle. Nous sommes non moins profondément affligé à cause des obstacles qui rendent plus difficile ou tout à fait impossible, en beaucoup de parties du monde, la venue des évêques dans la Ville éternelle pour y vénérer le tombeau de Pierre et rendre visite à son successeur malgré son indignité. Cette visite est le symbole et le soutien puissant de l'union de tous les membres de l'Eglise avec son Chef visible. Nous attendons avec anxiété le jour où l'accès de Rome redevenu libre pour tous les pays, Nous pourrons saluer ici Nos Vénérables Frères et Nous entretenir avec eux de besoins qui ne sont jamais encore parvenus à un tel degré, et aussi des formidables problèmes que, après la guerre, dans toutes les parties du monde, mais avec une spéciale attention aux territoires de mission, l'Eglise devra résoudre dans son active sollicitude.

Regards sur l'année qui approche de son terme.

Non seulement d'ans les annales de Rome, mais encore au plus profond de l'âme de tout le peuple romain, est gravée en caractères indélébiles, comme avec un burin d'acier, l'histoire de l'année désormais proche de sa fin. Année d'angoisses extrêmes et de graves périls à partir du moment où commença le sort tragique d'autres cités réduites à un monceau de ruines et de cendres et où plana comme imminente une menace sur les collines sacrées d'où se sont répandus sur l'humanité et la chrétienté des bienfaits impérissables.

Année de protection tangible et généreuse, durant laquelle l'ange exterminateur, qui déjà brandissait l'épée, est passé, en épargnant les horreurs de la dévastation au sol sanctifié par le sang du Prince des apôtres et de tant de martyrs.

Année pleine d'angoisses pour vos coeurs, inquiets non seulement à cause des dangers extérieurs de la guerre, mais surtout sur le sort, la sécurité et la liberté de ce Siège apostolique dans le tranquille exercice de tous ces droits et devoirs qui sont inhérents à sa mission universelle de procurer le bien des âmes au-dessus des conflits humains.

C'est avec une âme émue et reconnaissante envers le Seigneur, plein de miséricorde, que Nous voyons cette année si pleine de fatigues et de chagrins, de douleurs et de consolations, d'épreuves et de grâces intérieures, s'enfoncer dans l'océan de l'éternité. Avec une confiance que les dangers passés ont rendue encore plus ardente, Notre regard se tourne vers le Magni consilii Angelus (l'Ange du grand conseil), qui Nous a été donné dans la grotte de Bethléem, et sous sa direction bienfaisante, sans timidité et sans pusillanimité, Nous affrontons le labeur et les soucis que l'avenir Nous réserve au sein de l'humanité souffrante.

Transformations extérieures et spirituelles de l'humanité.

Cette humanité, Vénérables Frères et chers Fils — nous pouvons tous en être convaincus — trouvera, au sortir de la guerre, non seulement des conditions de vie profondément changées, mais pardessus tout elle montrera spirituellement un visage bien différent de celui du début du conflit.

Les cartes géographiques qui indiquent les frontières des Etats ne seront pas les seules à changer d'aspect. Les hommes également, les hommes spécialement : dans les recherches de l'esprit, dans le silencieux secret des coeurs, dans les aspirations et dans les jugements, dans les opinions et dans les affections, tant de changements ont déjà eu lieu, dont les répercussions extérieures ne se feront pas beaucoup attendre.

Les âmes, chez beaucoup, sont troublées par une agitation continuelle qu'on n'a pas, semble-t-il, rencontrée dans aucune des crises les plus graves de l'histoire. Agitation dans laquelle le bien et le mal sont étrangement mêlés pour créer et pour détruire, pour mettre de l'ordre et pour bouleverser. A cette agitation s'ajoute chez un grand nombre une aversion comme instinctive contre tout le passé, une frénésie de nouveauté qui souvent ne manque pas de fondement dans son objet, de noblesse dans ses motifs, mais à laquelle font souvent défaut la netteté et la précision du but et le discernement dans le choix des moyens, pendant que d'autre part, avec un optimisme présomptueux et pressé, on attend de la nouveauté plus que ce qu'elle peut donner.

Quiconque est habile à interpréter les signes du temps présent, à pénétrer à fond le coeur humain, à suivre d'un regard tranquille et avec un jugement impartial la courbe significative de cette fièvre, sait bien, comment avec l'inquiétude qui a envahi la psychologie mobile des foules par suite de la guerre et des événements qui l'ont accompagnée, un désir ardent de renouvellement a pénétré dans le monde, désir qui, sous une forme ou sous une autre, tend et pousse à sa réalisation effective.

Cette réalisation suivra-t-elle le chemin d'une évolution progressive et ordonnée, ou bien, au contraire, viendra-t-elle avec violence, faisant sauter les ponts entre le passé et l'avenir ? Se déversera-t-elle impétueuse comme un torrent au-dessus de ses bords bouleversant les digues de la justice et de la moralité ? Après le fléau sanglant de la guerre mondiale, la pauvre humanité devra-t-elle encore souffrir la morsure venimeuse de la guerre civile ?

Miséricordieuse charité de l'Eglise.

Au centre de l'humanité qui, à travers un présent aussi tragique, s'achemine vers un avenir incertain, se dresse, vigilante et protectrice, la civitas supra montem posita (la cité placée sur la montagne), l'Eglise du Christ.

Les flots agités et furieux de la mer viennent se briser au pied de ses murailles ; à l'intérieur, au-dedans, le Sancta Sanctorum de sa foi et de son espérance reste inébranlable.

Dans le tourbillon des événements terrestres et nonobstant les déficiences et les faiblesses qui peuvent superficiellement la ternir à nos yeux, elle a l'assurance de demeurer inébranlablement fidèle à sa mission jusqu'à la fin des temps.

Forte d'une si consolante certitude, qui ne repose pas sur l'habileté humaine, mais sur l'assistance de la toute-puissance divine, l'Epouse du Christ peut et doit, au milieu de l'inquiétude actuelle, se pencher avec une tendresse d'autant plus vive et plus profonde, avec un dévouement d'autant plus généreux, sur la foule immense de ses enfants malheureux, angoissés, perplexes et si souvent par trop égarés et fourvoyés.

A notre époque, alors que les victimes de l'erreur, innocentes ou coupables, sont légion ; alors que le nombre de ceux qui se sont égarés hors du droit chemin par suite de la souffrance, de la misère, de l'oppression, de l'injustice, de l'abandon spirituel, du mauvais exemple, s'est accru d'une façon effrayante, un lumineux message brille devant les yeux de l'Eglise, de ses ministres, de tous ses enfants appelés à l'apostolat de la parole et de l'action. Animée de l'amour généreux et salvifique de Dieu, l'Eglise repousse l'étroitesse orgueilleuse, la justification vaniteuse du pharisaïsme dans son isolement hautain et dédaigneux ; elle se souvient, en effet, de la parole du Rédempteur : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs ! » (Lc 5,32)

La défense de la vérité.

Toutefois, une limite, une barrière morale se dresse face à cette charité miséricordieuse, une barrière que la charité elle-même n'a pas le droit de franchir : la vérité.

En un temps où la plainte : Desiit fidelitas inter filios hominum (Ps 11,2), apparaît plus poignante et plus douloureuse que jamais ; en un temps où les erreurs abondamment répandues avec une violence tantôt ouverte, tantôt mal dissimulée, s'efforcent de conquérir la direction des postes de commande et de l'opinion publique ; en un temps où les mots de liberté, d'indépendance, de démocratie, ne sont, pour certaines aspirations et tendances d'esprit, qu'un moyen destiné à endormir la vigilance de ceux dont la fidélité ne consentira jamais à abandonner ou à exposer au danger, en connaissance de cause, l'héritage qui leur a été transmis par tout le passé chrétien ; en un temps où, d'une façon plus habile que jamais, l'ennemi du Christ et de son Eglise cherche, selon la parole de l'Apôtre des gentils, à se travestir en ange de lumière (2Co 11,14) ; en un temps comme celui-là, l'Eglise et le Pasteur suprême responsable de l'héritage du Seigneur ont, plus que jamais, le devoir de proclamer la vérité, de la défendre sans respect humain et sans défaillance contre les embûches des erreurs dominantes, d'ouvrir les yeux des hommes de bonne volonté, et spécialement des fidèles, sur les dangers de certains courants modernes, de les aider à juger avec perspicacité, afin de reconnaître au moment voulu les erreurs qui revêtent une apparence de vérité ; tout cela pour que les peuples n'aient pas à expérimenter à leurs propres dépens et trop tard l'amer avertissement du prophète Osée (x, 13) : Arastis impietatem, iniquitatem messuistis, comedistis frugen mendacii, « vous avez labouré la méchanceté, vous avez moissonné l'iniquité, vous avez mangé le fruit du mensonge ! »

Message de Noël.

Soucieux de remplir ce grave devoir en la présente solennité de Noël comme dans les années précédentes, Nous adressons aujourd'hui même un message aux fidèles du monde entier. Beaucoup d'entre eux, matériellement séparés par suite de la guerre mondiale de ce Siège de Pierre, ont doublement besoin de se sentir unis, comme membres également authentiques et pareillement aimés à la grande famille de l'Eglise. Nous serons content si Notre parole leur parvient, porteuse d'amour et de bienfaits, même à ceux qui ne Nous sont pas unis par le lien de la foi surnaturelle.

En attendant, tout ce que Notre coeur contient d'affection, de bienveillance et de reconnaissance à votre égard, Vénérables Frères et chers Fils, Nous le déposons au pied du berceau de Celui qui s'est abaissé dans l'humilité de la chair pour rendre ceux qui croient en lui participants de ses richesses inépuisables et de sa dignité inscrutable. Nous le supplions de vous faire goûter avec abondance, à tous et à chacun de vous dans le champ de ses propres devoirs, les joies intimes et les consolations de cette filiation divine.

C'est avec ce souhait que de tout coeur Nous vous accordons, ainsi qu'à tous ceux que vous désirez inclure dans vos prières et vos voeux de Noël, Notre Bénédiction apostolique comme gage des grâces les meilleures qui viennent du Prince de la paix.

m RADIOMESSAGE DE NOËL AU MONDE ENTIER

(24 décembre 1944)1

Continuant la série impressionnante des radiomessages qui étudient les problèmes posés par la guerre, la paix, la reconstruction d'un monde nouveau, les devoirs des chefs d'Etat responsables, Pie XII a consacré son sixième message de Noël à la démocratie, aux devoirs des citoyens et des personnalités responsables qui vivent en régions démocratiques.


AUX PEUPLES DU MONDE ENTIER

Le sixième Noël de guerre.

Benignitas et humanitas apparuit Salvatoris nostri Dei, « Dieu notre Sauveur a fait paraître sa bonté et son amour pour les hommes » (Tt 3,4). Pour la sixième fois déjà depuis le début de cette horrible guerre, la liturgie sainte de Noël salue de ces paroles, qui respirent une paix sereine, la venue parmi nous du Dieu Sauveur. L'humble et pauvre crèche de Bethléem attire de toutes parts, avec une force inexprimable, la pensée de tous les croyants.

Au fond des coeurs enveloppés de ténèbres, affligés, abattus, descend, pour les envahir en entier, un grand torrent de lumière et de joie. Les fronts abaissés se relèvent sereins, car Noël est la fête de la dignité humaine, la fête de « l'admirable échange par lequel le Créateur du genre humain, en prenant un corps vivant, a daigné naître de la Vierge, et par sa venue nous a dispensé sa divinité ».

Mais notre regard se porte spontanément de l'Enfant lumineux de la crèche sur le monde qui nous entoure, et le soupir douloureux de l'évangéliste saint Jean monte à nos lèvres : Lux in tenebris lucet et tenebrae eam non comprehenderunt, « la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas accueillie » (Jn 1,5).

Car, hélas ! pour la sixième fois encore, l'aube de Noël se lève sur des champs de bataille toujours plus vastes, sur des cimetières où s'accumulent toujours plus nombreuses les dépouilles des victimes, sur des terres désertes où quelques rares tours vacillantes marquent dans leur silencieuse tristesse les ruines de villes naguère florissantes et prospères, où des cloches tombées ou enlevées ne réveillent plus les habitants de leur chant joyeux de Noël. Ce sont autant de témoins muets qui dénoncent cette tache dans l'histoire de l'humanité qui, volontairement aveugle devant la clarté de Celui qui est la splendeur et la lumière du Père, volontairement éloignée du Christ, est descendue et tombée dans la ruine et dans l'abdication de sa propre dignité. La petite lampe elle-même s'est éteinte dans beaucoup d'églises majestueuses, d'ans beaucoup de modestes chapelles, où, près du tabernacle, elle avait partagé les veilles de l'Hôte divin sur le monde endormi. Quelle désolation ! Quel contraste ! N'y aurait-il donc plus espoir pour l'humanité ?

urore d'espérance.

Béni soit le Seigneur ! Des lugubres gémissements de la douleur, du sein même de l'angoisse déchirante des individus et des pays opprimés, se lève une aurore d'espérance. Dans une partie toujours croissante de nobles esprits surgissent une pensée, une volonté de plus en plus claire et ferme : faire de cette guerre mondiale, de cet universel bouleversement, le point de départ d'une ère nouvelle pour le renouvellement profond, la réorganisation totale du monde. A cet effet, tandis que les armées continuent à s'épuiser en luttes meurtrières avec des moyens de combat toujours plus cruels, les hommes de gouvernement, représentants responsables des nations, se réunissent pour des conversations, pour des conférences afin de déterminer les droits et les devoirs fondamentaux sur lesquels devrait être reconstruite une communauté des Etats, de tracer le chemin vers un avenir meilleur, plus sûr, plus digne de l'humanité.

Antithèse étrange que cette coïncidence d'une guerre dont l'âpreté tend au paroxysme et du remarquable progrès des aspirations et des projets vers une entente pour une paix solide et durable ! On peut

bien sans cloute discuter la valeur, l'applicabilité, l'efficacité de tel ou tel projet, le jugement à porter sur eux peut bien rester en suspens ; mais il n'en est pas moins vrai que le mouvement est en cours.

Le problème de la démocratie.

En outre — et ceci est peut-être le point le plus important — à la lueur sinistre de la guerre qui les enveloppe, dans la chaleur cuisante de la fournaise où ils se trouvent emprisonnés, les peuples se sont comme réveillés d'une longue torpeur. Ils ont pris en face de l'Etat, en face des gouvernants, une attitude nouvelle, interrogative, critique, "défiante. Instruits par une amère expérience, ils s'opposent avec plus de véhémence aux monopoles d'un pouvoir dictatorial, incontrôlable et intangible, et ils réclament un système de gouvernement qui soit plus compatible avec la dignité et la liberté des citoyens.

Ces multitudes inquiètes, bouleversées par la guerre jusqu'en leurs assises les plus profondes, ont acquis aujourd'hui l'intime persuasion — auparavant peut-être vague et confuse, mais désormais incoercible — que, si la possibilité de contrôler et de corriger l'activité des pouvoirs publics n'avait pas fait défaut, le monde n'aurait pas été entraîné dans le tourbillon désastreux de la guerre, et qu'afin d'éviter à l'avenir qu'une pareille catastrophe se répète il faut créer dans le peuple lui-même des garanties efficaces.

Dans cet état d'esprit, faut-il s'étonner que la tendance démocratique envahisse les peuples et obtienne largement le suffrage et le consentement de ceux qui aspirent à collaborer plus efficacement aux destinées des individus et de la société ?

Il est à peine nécessaire de rappeler que, selon l'enseignement de l'Eglise, « il n'est pas défendu de préférer des gouvernements modérés de forme populaire, pourvu que reste sauve la doctrine catholique sur l'origine et l'exercice du pouvoir public », et que « l'Eglise ne réprouve aucune des formes variées de gouvernement, pourvu qu'elles soient aptes en elles-mêmes à procurer le bien des citoyens » 3.

Si donc, en cette solennité qui commémore à la fois la bonté du Verbe incarné et la dignité de l'homme (dignité entendue non seulement sous l'aspect de la personne, mais aussi dans la vie sociale),

Nous portons Notre attention sur le problème de la démocratie, pour examiner selon quels principes elle doit être réglée pour pouvoir se dire une vraie et saine démocratie, répondant aux circonstances de l'heure présente, il est clairement indiqué que la sollicitude diligente de l'Eglise ne va pas tant à sa structure et à son organisation extérieure — qui dépendent des aspirations propres de chaque peuple — qu'à l'homme lui-même qui, loin d'être l'objet et comme un élément passif de la vie sociale, en est au contraire et doit en être et demeurer le sujet, le fondement et la fin.

Si l'on admet que la démocratie, entendue dans son sens large, admet des formes diverses, et peut se réaliser aussi bien dans des monarchies que dans des républiques, deux questions se présentent à Notre examen :

1° Quels doivent être les caractères distinctifs des hommes vivant en démocratie et sous le régime démocratique ? 2° Quels sont les caractères distinctifs des hommes qui, dans une démocratie, détiennent le pouvoir public ?


Pie XII 1944 - ALLOCUTION AU PERSONNEL ADMINISTRATIF ET TECHNIQUE DE LA RADIODIFFUSION ITALIENNE