Pie XII 1945 - LETTRE AUX ÉVÊQUES DE L'EQUATEUR POUR LE III\2e\0 CENTENAIRE DE LA BIENHEUREUSE MARIANNE DE PAREDES DE JÉSUS


ALLOCUTION A UN GROUPE DE FONCTIONNAIRES DU MINISTÈRE BRITANNIQUE DU TRAVAIL

(2 septembre 1945) 1

Le Saint-Père a adressé les quelques paroles suivantes à des fonctionnaires du ministère britannique du travail venus faire des conférences aux troupes anglaises stationnées en Italie.

Etes-vous restés très longtemps hors de l'Angleterre ?

Nous savons que vous avez fait des conférences aux soldats qui sûrement ne représentent pas un auditoire ordinaire. Vous avez certainement trouvé dans les forces armées de nombreux esprits sérieux qui désiraient étudier la société civile telle qu'elle est aujourd'hui. Ceux qui désirent poser les questions et qui manifestent un intérêt personnel pour les conditions dans lesquelles ils devront vivre sont plus nombreux encore. C'est tout à fait naturel. Les hommes ne peuvent pas négliger leur responsabilité dans les circonstances actuelles et afin de les orienter doivent faire valoir leurs droits et leur devoir. Ceci exige de la personne un intérêt soutenu et un désir d'être éclairée.

Nous comprenons qu'au cours de votre voyage d'instruction vous ayez essayé de satisfaire ce besoin. C'est une mission très salutaire pour les hommes qui vous entendent, salutaire pour leur nation, qui attend qu'ils la servent avec la même noblesse en temps de paix qu'ils l'ont fait en temps de guerre.

Nous demandons à Dieu sa bénédiction ; que cette bénédiction descende aussi sur votre bien-aimée patrie, sur ses dirigeants, ses hommes d'Etat et sur tout son peuple.


ALLOCUTION A DES DIRECTEURS DE SOCIÉTÉS AMÉRICAINES DE RADIODIFFUSION

(5 septembre 1945) 1

Un groupe de dirigeants des grandes sociétés américaines de radiodiffusion venus en Europe pour étudier le problème des transmissions radiophoniques dans l'après-guerre, le Saint-Père a souligné la puissance de la radio.

Nous accueillons avec joie, Messieurs, cette occasion de vous souhaiter la bienvenue dans Notre Etat de la Cité du Vatican. Il y a parmi vous des personnalités dirigeantes de compagnies américaines de radio ; ce Nous est une occasion de dire personnellement combien Nous apprécions l'amabilité dont les sociétés de radiodiffusion américaines ont bien souvent fait preuve à l'égard de Notre station de radio du Vatican.

Il y a plus de quatorze ans que Notre prédécesseur d'heureuse mémoire a inauguré en personne la station du Vatican. Il était alors accompagné de M. Marconi, qui avait fait lui-même les plans et surveillé la construction ; ses premières paroles furent pour remercier Dieu qui a donné à l'homme le pouvoir de découvrir et de perfectionner le mécanisme qui porte la voix humaine jusqu'aux extrémités de la terre, et la fait entendre des hommes de toute nation, de tout peuple et de toute race qui vivent sous le soleil. Votre pays a entendu ce programme inaugural, grâce à l'obligeante coopération d'une société américaine de radiodiffusion, et pendant les années qui ont suivi, on a apporté à plusieurs reprises ce même gracieux concours. Nous en sommes reconnaissant.

La radio est devenue si commune à présent que les hommes ont cessé d'être émerveillés de ce qu'elle signifie pour le monde. Pourtant, qui dira le nombre et l'importance des bienfaits qu'elle a apportés à l'humanité ? Nous pensons à la fois aux prisonniers de guerre éloignés, à des milliers de milles, de leur foyer et de leur pays ; aux malades et aux invalides dans les hôpitaux, aux missionnaires et à leurs fidèles dans des villages lointains et isolés, à ceux qui parcourent l'océan perfide, aux courageux explorateurs de terres et de mers dont la carte est encore à dresser. Vraiment, la radio a été l'ange protecteur, consolateur et charitable de milliers d'inconnus. Puisse-t-elle continuer à accomplir cette mission bienfaisante !

Comme toute invention humaine, la radio peut servir d'instrument du mal comme du bien. On s'en est servi, on s'en sert pour répandre des calomnies, pour tromper les gens simples qui ne sont pas au courant, pour détruire la paix dans les nations et entre les nations. C'est abuser d'un don de Dieu ; et c'est aux chefs responsables à faire tout leur possible pour s'y opposer et y mettre fin. Que le bien accompli par la radio dépasse toujours le mal, jusqu'à ce que le mal se fatigue et tombe au bord du chemin ! Est-ce trop espérer ? C'est certainement un noble but qui mérite que des hommes y consacrent leurs meilleurs efforts. C'est là Notre fervente prière, de même que Nous demandons à Dieu de vous bénir, vous et ceux qui vous sont chers.


LETTRE A LA MÈRE PRIEURE DU CARMEL DE LISIEUX

(10 septembre 1945) 1

La lettre suivante du Souverain Pontife est une réponse à une lettre de la prieure du Carmel de Lisieux qui lui avait écrit les ruines causées par la guerre à Lisieux.

Nous n'avons pas appris sans une peine profonde l'étendue des destructions dont a cruellement souffert la ville de Lisieux, qui Nous est si chère à tant de titres, depuis que sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus en a fait l'un des hauts lieux du monde catholique et que Nous eûmes Nous-même le doux privilège de la visiter, lors des inoubliables solennités d'inauguration de la basilique. Cènes, Nous ne sommes pas prêt d'oublier le charme qui se dégageait de cette délicieuse cité, l'antique Noviomagus Lexoviorum, déjà si renommée aux temps gallo-romains, mais à laquelle le moyen âge normand, puis les siècles suivants, allaient donner un cachet incomparable par ses maisons de bois pittoresques, ses manoirs d'aspect ogival, ses hôtels Renaissance alternant avec l'ancien palais des évêques, le vieil hôpital-hospice, l'abbaye des Bénédictines, les églises Saint-Jacques et Saint-Désir (pour ne citer que ses principaux monuments), et surtout la célèbre cathédrale Saint-Pierre, l'un des plus beaux spécimens du gothique français.

Mais la guerre a passé par là et il ne faudrait rien moins que les accents plaintifs d'un Jérémie pour en décrire la désolation et les ruines. Sans doute, une protection exceptionnelle — et Nous ne saurions trop en rendre grâce à Dieu — a sauvegardé le domaine plus spécialement réservé à sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, comme si le ciel eût voulu indiquer l'extraordinaire crédit dont elle jouit là-haut.

1 D'après le texte français des Actes de S. S. Pie XII, t. VII, p. 187.

C'est par miracle, on peut bien le dire, que son Carmel, ses « Buissonnets », sa basilique ont été préservés. Et comment ne nous rendrions-nous pas à ce signe ? Il doit stimuler notre confiance à tous en sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus que, non sans une permission divine, Nous avions justement promue, à la veille de la Libération, au rang de protectrice secondaire de la France, avec sainte Jeanne d'Arc. Sa mission, en effet, non seulement en France, mais dans le monde, est loin d'être achevée. Elle doit, au contraire, prendre un nouvel essor avec l'oeuvre surhumaine qu'il faut entreprendre aujourd'hui pour rendre à nos pays dévastés et meurtris moralement autant que matériellement une ère de paix et de prospérité dans l'ordre chrétien.

Nous souhaiterions avec vous que la reconstruction de Lisieux en soit le symbole. Cette ville, devenue l'un des plus grands pèlerinages du monde chrétien, se doit d'être l'une des premières à ressusciter. Tous les fidèles de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus — et en quel pays ne s'en trouve-t-il pas, les plus lointaines missions elles-mêmes ne l'ont-elles pas pour protectrice ? — voudront sans doute contribuer au relèvement d'une cité dont elle est le principal ornement et la plus pure gloire. Leur geste sera apprécié de l'ancien pèlerin de Lisieux que Nous sommes, de l'ami du Carmel et du dévot de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus que Nous resterons toujours, suivant les traces de Notre grand prédécesseur Pie XI, qui en avait fait l'étoile de son pontificat.

Aussi, vous adressant Nos meilleurs voeux à cet égard, Nous plaît-il d'accorder à tous ceux qui s'emploieront d'une manière ou de l'autre à cet important et pieux ouvrage, et d'abord à vous-même et à vos chères filles du Carmel, comme gage d'abondantes récompenses et consolations célestes, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A DES REPRÉSENTANTS DU CONGRÈS DES ÉTATS-UNIS APPARTENANT A LA COMMISSION PARLEMENTAIRE POUR LES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

(13 septembre 1945) 1

En ces jours d'après-guerre, 'les problèmes du comité du Congrès pour les affaires étrangères ne sont pas devenus ni moins nombreux ni moins importants ; il n'est pas étonnant que vous ayez voulu connaître personnellement et directement les conditions dans lesquelles se trouve le monde hors de votre propre pays. Vous êtes les bienvenus dans Notre petit Etat paisible de la Cité du Vatican.

Il n'est jamais très facile de découvrir l'entière vérité dans les relations humaines, et on formule souvent des conclusions qui ne sont pas basées sur une entière et minutieuse connaissance des faits. La difficulté est accrue quand une guerre longue et acharnée a déchaîné de basses passions humaines, quand la force brutale met la justice en déroute et quand l'égoïsme estompe la charité. Une paix stable ne sera jamais atteinte par une telle voie.

Nous avons grandement besoin d'hommes qui ont une claire vision des éternels principes du droit, dont le jugement est équitable et calme, et qui possèdent la courageuse volonté d'employer tout leur pouvoir pour défendre les droits donnés par Dieu à tous, même aux plus faibles de leurs semblables et à ceux qui se trouvent sans défense. Que Dieu fasse que les dirigeants du monde soient ainsi. C'est avec cette prière que Nous implorons les plus grandes bénédictions du ciel sur vous et sur ceux qui vous sont chers à la maison.


ALLOCUTION A DES REPRÉSENTANTS DU CONGRÈS DES ÉTATS-UNIS MEMBRES DE LA COMMISSION POUR LES CRÉDITS MILITAIRES

(17 septembre 1945) 1

Le Saint-Père rappelle brièvement à l'occasion de cette audience les caractéristiques d'une paix stable.

Nous sommes heureux de saluer un nouveau comité du Congres ainsi que les membres distingués du ministère de la guerre. Nous sommes informé avec un particulier intérêt que vous désirez contrôler et évaluer le prix de la guerre. Il n'y a pas de doute que vous l'avez trouvé énorme, monstrueusement élevé. Pourtant, la compétence de votre comité est probablement limitée à la sphère du prix exclusivement matériel.

Aucune société humaine ne pourra jamais sonder la profondeur ou mesurer la longueur et l'étendue des souffrances, de la peine, de l'angoisse, de la lourde désolation qui ont torturé les corps et les âmes au cours de ces longues, bien longues années. Tout cela s'ajoute au prix qui, selon les calculs humains, doit être payé pour une paix stable et durable. Mais cela sera-t-il suffisant ? Dieu le sait, et les hommes bien pensants doivent savoir que la paix est achetée avec une autre monnaie. Vérité, justice, charité : la paix ne peut être achetée à un autre prix.

Notre prière quotidienne et tous Nos efforts n'ont qu'un seul but, que ces nobles et ennoblissantes vertus guident les délibérations des nations assemblées, de manière que le peuple, si cher à Notre coeur paternel, puisse avoir la sécurité, la prospérité et le bonheur. Cela peut être réalisé par une coopération généreuse des hommes de bonne volonté.

Que les bénédictions du ciel descendent avec abondance sur vous et sur ceux qui vous sont chers à la maison et qu'elles soient la preuve de l'amour constant de Dieu.



ALLOCUTION AUX TERTIAIRES FRANCISCAINS

(20 septembre 1945) 1

Aux tertiaires franciscains des trois familles des Frères mineurs : mineurs, conventuels et capucins, le Saint-Père rappelle la mission providentielle de saint François d'Assise, du tiers ordre franciscain et de l'esprit qui doit l'animer.

Si l'humanité nous offre trop souvent le tableau désolant d'une course à l'abîme où, frivole inconsciente dans l'ivresse des faux plaisirs, dans la fièvre de la sensualité et de l'orgueil, elle se laisse entraîner par l'esprit du monde, elle nous présente aussi, toutefois, le spectacle moins apparent, mais non moins réel pour autant, de l'ascension vers les hauteurs de la vie naturelle et surnaturelle sous la puissante impulsion de l'esprit du Christ. Une telle élévation est le plus ardent désir de votre coeur, chers fils et filles du tiers ordre franciscain.

Non moins fatal que l'illusion ingénue et aveugle en face du mal qui se répand autour de nous, un pessimisme également aveugle nous incite facilement à ne voir dans les temps présents que le côté obscur et à les considérer comme la pire époque de l'histoire humaine. Pareille tendance est commune, peut-on dire, à tous les siècles et à toutes les générations. Elle fournit une excuse commode à quiconque veut se dispenser de travailler à la guérison d'un malade déclaré désormais incurable.

Situation de la société chrétienne au siècle de saint François d'Assise.

Au temps où Dieu suscita son serviteur François pour en faire son ministre dans l'oeuvre de la restauration et du salut de la société chrétienne, celle-ci ne présentait certes pas un aspect réconfortant. L'esprit du monde faisait étalage des oripeaux de toutes ses fantasmagories et parvenait à les faire admirer et rechercher avidement.

C'était le monde décrit par l'apôtre saint Jean : concupiscentia carnis et concupiscentia oculorum et superbia vitae (cf. i Jean, n 16), le monde au milieu duquel le fils de Pietro di Bernardone grandissait allègrement, brillamment, le premier d'une troupe de jeunes élégants, pris lui aussi par l'amour du luxe et du faste, des amusements et de la dissipation. Si l'activité des hommes d'affaires pouvait sembler plus sérieuse — sérieuse jusqu'à la rigidité — elle était, en réalité, une autre forme de l'esprit du monde : c'était la soif d'acquérir des biens immenses, un rang social considérable, pour s'assurer à soi et à ses propres enfants le privilège de rivaliser de splendeur avec les grands, de s'introduire au milieu d'eux, d'être admis à faire partie de leur caste. A cette fin, on passait facilement sur l'oisiveté et sur les frasques de ses propres héritiers.

D'ailleurs, dans la société tout entière régnait la discorde, née particulièrement de la rivalité et de l'ambition, de la jalousie et de la vanité ; de là les guerres, les représailles interminables de principauté à principauté, de ville à ville, de famille à famille.

Les moeurs correspondaient à ces conditions de vie, et ce fut presque un miracle que le jeune François, qui se plaisait à rester au milieu de ces jouisseurs écervelés, se fût conservé pur. Le libertinage était si répandu qu'il ne causait plus de scandale ni de surprise à quiconque, et même les personnes qui pour leur compte vivaient plus réservées finissaient par juger la chose sans doute répréhensible, mais inévitable et presque normale.

Y aurait-il beaucoup à retoucher dans ce tableau pour y retrouver sous divers aspects le portrait de notre siècle ?

La mission providentielle de saint François d'Assise.

Comme instrument de ses desseins miséricordieux pour la réforme et le salut du monde, Dieu a choisi précisément un mondain, celui qu'avait naguère été François, mais dépouillé de l'esprit du monde et revêtu de l'Esprit du Christ. Les deux esprits devaient s'affronter sur tous les terrains où leur contradiction était la plus irréductible. A la soif de l'or et de la richesse, à l'ostentation du luxe plein de vanité, François opposa l'amour passionné de la pauvreté, dont il fit son épouse sur la croix du Christ ; à la frénésie du plaisir, de la jouissance sensuelle et des désordres qu'elle engendre, il opposa

l'austérité, la mortification, l'ivresse de la souffrance, crucifié qu'il était au monde et marqué dans sa chair des stigmates du Christ ; à la jalousie, à la vengeance, à la discorde, à la haine et aux amers triomphes de l'orgueil, il opposa la joie sereine de l'amour universel, de la charité et de la paix du Christ.

Dans la lutte sans trêve, armée contre armée, celle que François avait recrutée et conduite ne devait pas, comme les autres qui l'avaient précédée, se retrancher dans les citadelles des cloîtres, pour combattre de là dans la solitude et dans le silence avec les seules armes de la prière et de la pénitence. Et voici que le monde resta stupéfait de voir ces légions d'hommes, hier fastueux et arrogants, maintenant vêtus de bure, offrir le spectacle, depuis longtemps oublié, de la pauvreté volontaire, de la mortification et de la charité fraternelle.

Le tiers ordre franciscain.

Ceci ne suffisait pas, toutefois, à combler les aspirations de François. Sa sainte phalange vivait, il est vrai, au milieu du monde, mais elle en était séparée par toute sorte de contrastes criants — et il fallait qu'il en fût ainsi — mais elle n'avait pas réalisé entièrement la pensée du divin Maître : Pater, non rogo ut tollas eos de mundo, sed ut serves eos a malo, « Père, je ne demande pas que vous les enleviez du monde, mais que vous les préserviez du mal » (Jn 17,15). Une inspiration d'en haut fit voir à François, auprès de son armée de religieux, une multitude innombrable d'autres combattants qui ne devaient présenter extérieurement aucun de ces contrastes qui permettent assurément de conquérir et de convertir le monde, mais pas toujours de pénétrer intimement dans les âmes comme l'huile pénètre profondément dans le marbre le plus dur et l'imprègne de son parfum. Ils allaient, vêtus comme les séculiers de leur temps, fondaient des familles nombreuses, se montraient au comptoir des marchands, à la boutique de l'artisan, dans les chaires des universités, à la barre des tribunaux, sur les champs de bataille, sur le trône des rois, accomplissant partout les devoirs de leur condition et de leur charge.

Le but de saint François dans l'établissement du tiers ordre.

Que voulait donc faire d'eux François dans la lutte contre le monde, s'ils ne devaient s'en distinguer en rien ? Ils portaient bien les livrées du monde, mais n'en avaient pas l'esprit, et devaient répandre parmi les hommes l'Esprit du Christ.

De cette manière, votre séraphique Père satisfaisait au double désir de son grand coeur : embrasser dans un même amour toutes les classes et toutes les conditions de la société chrétienne, en les animant toutes dans la mesure du possible de l'esprit, de la vie, de l'oeuvre et du mérite de ses fils, et se faire dans la personne de ses tertiaires séculiers tout à tous pour gagner tout le monde au Christ.

Et de fait, dans l'ensemble, François atteignit son but. Le tiers ordre exerça une action profonde et puissante sur la vie religieuse et sociale de cette époque. Le XIIIe siècle fut toujours le théâtre de violents antagonismes, mais le danger de la chute dans l'esprit laïque et matérialiste fut heureusement écarté, de sorte que l'époque de saint François et de saint Dominique compte dans l'histoire de l'Eglise parmi les plus riches et les plus florissantes de vie chrétienne. Le mérite d'une si insigne victoire revient en grande partie au tiers ordre du Poverello d'Assise.

L'esprit du tiers ordre franciscain.

Au cours de chacun des siècles suivants, votre mouvement a employé des moyens et donné des impulsions qui, même à l'époque moderne, se sont avérés réellement efficaces pour l'épanouissement des vertus chrétiennes, spécialement parmi les habitants des villes. C'est pourquoi Notre immortel prédécesseur Léon XIII, dans sa prévoyante sagesse, voulut par la constitution Misericors Dei Filius rendre votre règle accessible à un plus grand nombre de personnes et plus facilement praticable dans le monde présent. Mais bien éloignée de sa pensée fut l'idée d'en atténuer substantiellement l'esprit.

Esprit de pauvreté, par le détachement spirituel des biens terrestres, l'horreur du luxe et de l'avarice, la générosité dans l'assistance aux frères nécessiteux. Pouvez-vous imaginer une époque qui requière, plus impérieusement que la nôtre, une vie animée de cet esprit ? Les misères et les dangers causés par la guerre n'en seraient-ils pas largement atténués et au moins en partie écartés ?

Esprit de mortification, par le renoncement à tout plaisir désordonné des sens, par la résistance à l'inclination aux plaisirs, aux aises, aux satisfactions des sens, par le support joyeux de tous les désagréments, de toutes les privations auxquels, à l'heure actuelle si difficile, chacun, peut-on dire, est exposé à tout instant. Quel magnifique champ d'activité s'ouvre donc ici devant vous ! Le désir immodéré des jouissances, qui se répercute d'une façon si funeste dans la profanation des fêtes, ne peut être combattu avec l'espoir de succès que par une action chrétienne qui embrasse volontairement et avec joie les renoncements et les sacrifices ; seul un tel mouvement peut ramener à la foi en la Providence divine et à l'amour du Christ les classes sociales tombées dans la pauvreté et dans l'abandon.

Esprit de charité, dans la concorde avec tous ceux qui vous entourent, par la condescendance pour tout ce qui n'est pas contraire à la loi de Dieu, par l'exclusion de toute contestation et de toute partialité, par l'amour universel qui, sans léser l'ordre de la charité, embrasse dans une même affection tous les hommes, toutes les classes, tous les peuples, quelque opposés qu'ils puissent être entre eux. Assez de discordes, de haines de partis, de rancoeurs, de vengeances personnelles, qui font vivre tant de familles dans l'angoisse et le frisson ! Allez, chers fils et filles, faites que sonne l'heure de l'amour chrétien ! Commencez par donner le bon exemple et entraînez les autres après vous !

Esprit de foi, de cette « joie aimée sur laquelle toute vertu est fondée » 2, par l'adhésion inébranlable à la vérité révélée et par la filiale soumission à la Chaire de Pierre, afin que, de même que François, arborant l'étendard de la véritable et humble pauvreté, confondit la superbe des hérétiques albigeois, de même vous aussi, par la lucidité et la fermeté de vos convictions et le zèle de votre apostolat, vous puissiez contribuer à déjouer les embûches ouvertes ou cachées des ennemis de l'Eglise et du Christ.

C'est de cet esprit que la société humaine a un besoin urgent, non seulement pour sa paix, pour son bonheur, pour sa prospérité, mais aussi, en quelque sorte, pour son existence même. A vous, fils et filles de saint François, qui vivez dans le monde, il appartient de coopérer à faire resplendir et rayonner cet esprit. C'est Notre voeu le plus fervent, pendant que, sur chacun et chacune de vous, sur vos familles, sur toutes les personnes qui vous sont chères, sur vos résolutions de ferveur renouvelée, sur toute votre oeuvre, Nous appelons l'abondance des célestes faveurs dont est le gage la Bénédiction apostolique que Nous vous accordons de grand coeur.

2 Dante, Paradis, 24, 89-90.


ALLOCUTION A DES REPRÉSENTANTS DU CONGRÈS AMÉRICAIN

(27 septembre 1945; 1

Aux représentants du Congrès des Etats-Unis, membres de la Commission de la reconstruction économique de l'après-guerre, le pape a adressé les paroles de bienvenue suivantes :

Le nom de votre comité évoque un signe de secours et d'encouragement. La guerre sans pitié, cruelle et destructrice est terminée. Le monde passe à une nouvelle période de vie. Elle ne peut pas encore être appelée une période de paix, car les profondes blessures infligées à toutes les formes de l'activité humaine sont loin d'être guéries. Ce travail exigera du temps et aussi, laissez-Nous vous le dire spécialement, 'la détermination patiente et profonde de tous les hommes de bonne volonté, particulièrement des gouvernants, pour subordonner l'intérêt propre aux considérations de la justice et les avantages personnels à la sauvegarde du bien de la communauté tout entière, que cette communauté soit une ville, un Etat ou 'le monde entier.

Les problèmes qui surgissent dans le domaine de l'économie pratique ne sont ni les moins importants, ni les plus aisés à résoudre. Us ne sont pas de nouveaux problèmes, mais ils ont été aggravés naturellement par un conflit qui a bouleversé la société jusque dans ses fondements et a laissé les hommes à tout le moins désorientés. Fort heureusement des hommes d'Etat à l'esprit large et des chefs consciencieux du monde du travail sont en train de réaliser de plus en plus clairement que ces problèmes ne peuvent pas être convenablement résolus sans faire appel à l'aide de la religion, sans laquelle les droits de l'homme et les obligations de l'homme n'ont que des bases incertaines et changeantes. Ceci est encourageant. Dieu veuille qu'une telle reconnaissance s'étende et prédomine dans le monde d'aujourd'hui et de demain.

En vous assurant, honorables membres du Congrès, que ce fut pour Nous un plaisir de vous recevoir, Nous demandons à Dieu de vous bénir, vous et tous les êtres chers que vous avez laissés à la maison.


RADIOMESSAGE AU CONGRÈS NATIONAL DU CHRIST-ROI DE COLOMBIE

(30 septembre 1945) 1

Ce radiomessage a été adressé aux fidèles de Colombie à l'occasion du Congrès national du Christ-Roi réuni pour célébrer le premier centenaire de l'institution dans ce pays de l'Apostolat de la Prière.

Au milieu des cérémonies imposantes de cette commémoration et tandis que montent vers le ciel vos prières et vos hymnes, Nous avons voulu, Nous aussi, très chers fils de la République de Colombie, prendre part à votre Congrès national du Christ-Roi, afin de célébrer de nouveau avec vous le premier centenaire de cette institution providentielle si souvent louée et recommandée par Nous et Nos prédécesseurs, que l'on appelle l'Apostolat de la Prière.

Vraiment, en cette année jubilaire, votre voix ne pouvait manquer de s'unir au concert universel des autres voix, sans que son absence ne fût remarquée. Votre apostolat n'est-il pas, en effet, l'un des plus anciens et des plus florissants ? Votre Mensajero (Messager) ne fut-il pas le troisième à paraître parmi ceux du monde entier ? La Colombie n'est-elle pas la seconde nation qui, après seulement l'Equateur privilégié, se consacra au divin Coeur ?

Les premières lueurs du siècle brillaient alors et, comme témoignage éternel d'un si fervent hommage, vous avez voulu élever un magnifique temple au frontispice duquel on lit : Templum Sacratissimo Cordi Jesu, ob pacem impetratam, impetrandam, ex voto populi Columbiani dedicatum. Vous aviez obtenu de ce Coeur qui est pax et reconciliatio nostra, le don précieux de la paix ; vous

étiez revenus la demander cette paix en scrutant avec inquiétude les nuages de l'avenir.

Et il vous a entendus ; car depuis ce jour un demi-siècle s'est écoulé et — chose rare durant des lustres si agités — jusqu'à présent plus une goutte de sang colombien n'a coulé sur les champs de bataille.

Accourez maintenant encore, très chers fils, vers le trône de Celui qui écoute toujours les prières de ses enfants, de Celui qui toujours entend volontiers les supplications des pacifiques et des humbles — humilium et mansuetorum semper tibi placuit deprecatio (Judith, rx, 16) — ; accourez devant son trône, parce que le monde a toujours besoin de paix ; et si, comme il sied à des associés de l'Apostolat, vous désirez le règne de Jésus-Christ sur terre ; si vous demandez chaque jour son triomphe définitif au sein de la société pour le salut de toutes les âmes ; si le zèle de son règne vous embrase — ut regnet — aujourd'hui, en ce moment solennel, vous devez demander au très doux Coeur de Jésus qu'il achève d'instaurer définitivement l'édifice de la paix, de la paix intérieure au sein des nations et de la paix extérieure entre les peuples, de cette paix qui jamais ne sera ni véritable ni définitive aussi 'longtemps que sa doctrine ne sera pas universellement professée et sa loi respectée par tous.

Car, ainsi que Nous l'avons si souvent répété, c'est seulement en reconnaissant la souveraineté sociale de Jésus-Christ ; c'est uniquement dans l'accomplissement parfait de ses commandements qu'on pourra jouir de cette véritable liberté, qu'on pourra parler de cette justice sociale tant souhaitée, de cette indispensable mesure et harmonie dans les aspirations et de cette concordance de sentiments, sans lesquelles nulle paix ne pourra jamais exister. La paix, la charité, la joie sont les fruits exclusifs de l'Esprit de Dieu (cf. Gal. Ga 5,22).

Cependant, Notre sentiment paternel et la sympathie privilégiée que Nous réservons à la très chère Colombie, Nous incite à Nous unir à vous, non seulement par Nos exhortations, mais aussi et beaucoup plus par Nos ardentes prières.

Le Sacré Coeur de Jésus est une source très pure et inépuisable de vérité — Cor Jesu in quo sunt omnes thesauri sapientiae et scientiae ; c'est pourquoi Nous le prions de conserver entier et inaltérable le dépôt sacré de votre foi, sans permettre qu'il soit contaminé par ces propagandes aussi audacieuses que perfides qui voudraient maintenant convertir en pays de missions une nation qui compte en sa glorieuse histoire quatre siècles de christianisme irréprochable. « Nous jurons... — dirent un jour les premiers citoyens de votre patrie, et vous ne pouvez l'oublier — nous jurons... de verser jusqu'à la dernière goutte de notre sang pour défendre notre sainte religion catholique, apostolique et romaine. »

Le Sacré Coeur de Jésus est une source vive de justice et d'amour — Cor Jesu, Iustitiae et amoris receptaculum ; c'est pourquoi Nous le supplions de fermer vos oreilles, de fermer surtout les oreilles de vos classes plus nécessiteuses aux doctrines qui prêchent la rébellion, la haine et la destruction, pour leur faire écouter, au contraire, ceux d'entre vous qui ont mission de réaliser une véritable fraternité sociale chrétienne, offrant à tous un bien-être raisonnable ; car il n'y a aucune juste aspiration qui soit étrangère à la doctrine sociale catholique.

Le Sacré Coeur de Jésus est l'aimant qui attire les âmes et le centre de tous les coeurs — Cor Jesu rex et centrum omnium cordium ; c'est 'pourquoi Nous lui demandons que les catholiques colombiens, oubliant tous leurs différends et n'ayant plus en vue que la grande gloire de Dieu, l'exaltation de la sainte Mère l'Eglise et le véritable bien de la patrie, sachent vivre comme des frères et agir comme des frères dans tous les domaines où se déploie leur activité.

O Coeur très aimable de Jésus, source vive de vérité, fontaine d'amour, aimant des âmes, régnez définitivement sur ce peuple qui est là prosterné à vos pieds. Que la charité et le zèle enseignés par l'Apostolat, et qu'ont incarnés parmi ses enfants un saint Pierre Claver et un saint Louis Bertrand, s'accroissent constamment dans leurs coeurs. Que l'intercession affectueuse de Notre-Dame du Rosaire, la douce Mère de Chinquinquirâ fasse pleuvoir du ciel la divine rosée des grâces célestes, afin que cette terre constamment féconde et généreuse produise toujours plus de fruits de vie éternelle.

En vous exprimant ces voeux et ces sentiments d'affection, très chers fils, Nous vous bénissons de tout coeur.


DISCOURS AU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE

(2 octobre 1945)1

A l'occasion de la présentation de l'hommage des membres du Tribunal de la Rote, le Saint-Père, comme à l'ordinaire, leur a adressé un discours qui, cette fois, traite des différences qui existent dans l'origine et dans la nature de la procédure civile et de la procédure ecclésiastique.

C'est pour la première fois aujourd'hui, depuis qu'il a plu au Seigneur, Juge souverain de toutes les justices humaines, de Nous constituer son représentant et vicaire ici-bas, après avoir écouté l'ample et docte rapport que Nous a présenté votre très digne doyen sur l'activité de ce tribunal, que Nous pouvons vous exprimer, chers fils, Notre gratitude et vous exposer Notre pensée sans que le bruit des armes Couvre Notre voix de ses grondements sinistres. Oserons-Nous dire que c'est la paix ? Pas encore, malheureusement. Veuille le Seigneur que c'en soit au moins l'aurore. Une fois éteinte la violence des combats, sonne l'heure de la justice dont l'oeuvre consiste à établir avec ses sentences l'ordre bouleversé ou troublé. Redoutable dignité et puissance du juge qui, au-dessus de toutes les passions et de tous les préjugés, doit refléter la justice même de Dieu, qu'il s'agisse de trancher les controverses juridiques ou de réprimer les délits.

Tel est en vérité l'objet de tout jugement, la mission de tout pouvoir judiciaire, ecclésiastique ou civil. Un regard rapide et superficiel sur les lois et sur l'action judiciaire pourrait Faire croire que les procédures ecclésiastique et civile ne présentent que des différences secondaires, à peu près comme celles qu'on observe dans l'administration de la justice dans deux Etats de la même famille juridique.

Quant à leur but immédiat, ces deux procédures semblent également concorder : application ou défense du droit établi par la loi, mais dans le cas particulier de contestation ou de violation, par voie de sentence judiciaire ou par jugement émanant de l'autorité compétente conformément à la loi. Les divers degrés d'instances judiciaires se retrouvent également de part et d'autre ; la procédure révèle chez l'un et l'autre les mêmes éléments principaux, à savoir : demande d'introduction de la cause, citation, examen des témoins, communication du dossier, interrogatoire des parties, conclusion du procès, sentence, droit d'appel.

Malgré cela, cette ample ressemblance extérieure et intérieure ne doit pas faire oublier les différences profondes qui existent : 1° dans l'origine et dans la nature ; 2° dans l'objet ; 3° dans la fin.

Nous Nous bornerons, aujourd'hui, à traiter le premier de ces trois points, renvoyant aux années prochaines, s'il plaît au Seigneur, l'exposé des deux autres.

I Différences du pouvoir de l'Eglise

Le pouvoir judiciaire est une partie essentielle et une fonction nécessaire du pouvoir des deux sociétés parfaites, la société ecclésiastique et la société civile. C'est pourquoi la question de l'origine du pouvoir judiciaire se confond avec celle de l'origine du pouvoir.

Mais c'est précisément à cause de cela qu'outre les ressemblances déjà indiquées, on a cru en trouver d'autres plus profondes encore. Il est singulier de constater que tels partisans des diverses concessions concernant le pouvoir civil ont invoqué, pour asseoir et appuyer leurs opinions, les prétendues analogies avec le pouvoir ecclésiastique. Ceci vaut aussi bien pour ce que l'on nomme totalitarisme et autoritarisme que pour l'extrême opposé, la démocratie moderne. Mais en réalité, ces ressemblances plus profondes n'existent en aucun des trois cas, comme le montre facilement un rapide examen.

... avec le totalitarisme

Il est incontestable qu'une des exigences vitales de toute communauté humaine, et partant également de l'Eglise et de l'Etat, consiste à assurer d'une façon durable l'unité dans la diversité de ses

membres. Or, le totalitarisme n'est jamais capable de pourvoir à cette exigence, parce qu'il donne au pouvoir civil une extension injuste, parce qu'il détermine et fixe quant à leur objet et leur forme tous les secteurs d'activité ; et de la sorte, il comprime dans une unité ou collectivité mécanique, marquée du cachet de l'Etat, de la race ou de la olasse sociale, toute vie propre légitime, personnelle, locale et professionnelle.

Nous avons déjà indiqué, dans Notre radiomessage de Noël 1942 2 en particulier, les tristes conséquences pour le pouvoir judiciaire de cette concession et de cette manière de faire qui suppriment l'égalité de tous devant la loi et laissent les décisions judiciaires à la merci d'un instinct collectif versatile.

D'ailleurs, qui pourrait jamais penser que de pareilles erreurs d'interprétation qui faussent le droit aient pu déterminer l'origine des tribunaux ecclésiastiques ou influer sur leur procédure ? Cela n'a pas été ni ne pourra jamais être, étant contraire à la nature même du pouvoir social de l'Eglise, ainsi que nous le verrons tout à l'heure.

... avec l'autoritarisme

Cependant, l'autre conception du pouvoir civil, qui peut être désigné sous le nom d'autoritarisme, est bien loin de répondre à cette exigence, attendu qu'elle exclut les citoyens de toute participation ou influence efficaces dans la formation de la volonté sociale. Cet autoritarisme divise en conséquence la nation en deux catégories, celle des dominateurs ou seigneurs et celle des dominés, dont les rapports réciproques en viennent à être purement mécaniques sous l'empire de la force, ou bien ont une base exclusivement biologique.

Or, qui ne voit que de cette façon la véritable nature du pouvoir d'Etat est profondément bouleversée ? Ce pouvoir, en effet, doit tendre par lui-même et par l'exercice de ses fonctions à ce que l'Etat soit une vraie communauté, intimement unie dans le but ultime qui est le bien commun. Mais dans ce système, le concept du bien commun devient si caduc et se révèle si clairement comme le captieux camouflage de l'intérêt unilatéral du dictateur, qu'un « dynamisme » législatif effréné exclut toute sécurité juridique et, par là, supprime un élément fondamental de tout véritable ordre judiciaire.

2 Cf. Documents Pontificaux 1942, p. 335.

Jamais un dynamisme aussi faux ne pourrait détruire ou écarter les droits essentiels reconnus à chaque personne physique ou morale dans l'Eglise. La nature du pouvoir ecclésiastique n'a rien de commun avec cet autoritarisme auquel par conséquent on ne peut reconnaître aucun rapport avec la constitution hiérarchique de l'Eglise.

... avec la démocratie.

Reste à examiner la forme démocratique du pouvoir civil dans laquelle certains voudraient trouver une plus étroite ressemblance avec le pouvoir ecclésiastique. Sans doute, là où elle est en vigueur, la véritable démocratie théorique et pratique satisfait à cette exigence vitale de toute saine communauté à laquelle Nous avons fait allusion. Mais cela se vérifie ou peut se vérifier également à égalité de conditions dans les autres formes légitimes de gouvernement.

Assurément, le moyen âge chrétien, particulièrement imprégné de l'esprit de l'Eglise, a montré avec sa pléiade de florissantes communautés démocratiques comment la foi chrétienne est en mesure de créer une véritable et authentique démocratie, bien plus, qu'elle en est l'unique base durable. Car une démocratie sans l'union des esprits, au moins sur les principes fondamentaux de la vie touchant surtout les droits de Dieu et la dignité de la personne humaine, le respect de l'activité honnête et de la liberté personnelle, même en matière politique, une telle démocratie serait défectueuse et chancelante. Quand donc le peuple s'éloigne de la foi chrétienne ou ne l'adopte pas résolument comme la base de la vie civile, alors la démocratie elle-même s'altère et se déforme facilement et, avec le temps, risque de tomber dans le totalitarisme et dans Y autoritarisme d'un parti unique.

Si, d'autre part, on considère la thèse préférée de la démocratie — thèse que d'insignes penseurs chrétiens ont de tout temps défendue — c'est-à-dire que le sujet radical du pouvoir civil dérivé de Dieu est le peuple (non toutefois la « masse »), la distinction se précise encore mieux entre l'Eglise et l'Etat démocratique lui-même 3.

3 Radiomessage du 24 décembre 1944. Cf. Documents Pontificaux 1944, pp. 244 et suiv.


Pie XII 1945 - LETTRE AUX ÉVÊQUES DE L'EQUATEUR POUR LE III\2e\0 CENTENAIRE DE LA BIENHEUREUSE MARIANNE DE PAREDES DE JÉSUS