Pie XII 1945 - ALLOCUTION A DES DIPLOMATES DES ÉTATS-UNIS

MESSAGE AU RECTEUR MAGNIFIQUE DE L'UNIVERSITÉ DE LOUVAIN

(2 novembre 1945) 1

A l'occasion de l'ouverture de l'année académique de l'Université de Louvain, le Saint-Père a fait parvenir au nonce apostolique de Belgique, avec prière de le transmettre au recteur magnifique de cet athénée, le message suivant :

Présent de coeur au milieu de vous pour l'inauguration de l'année académique, Nous faisons paternellement Nôtre la légitime satisfaction que vous éprouvez de cette heureuse reprise au lendemain d'années de souffrances et recommandons à la divine Miséricorde ceux qui ont péri. Nous formons prières et voeux pour que, reprenant avec une nouvelle ardeur sa marche en avant dans la ligne de ses magnifiques traditions, l'Université de Louvain continue à faire honneur à l'Eglise, à la Belgique et à la grande cause de l'enseignement supérieur, et propage courageusement les enseignements de Jésus-Christ plus que jamais nécessaires dans la perturbation actuelle des idées et des doctrines, et Nous envoyons de tout coeur à tous, recteur, professeurs, étudiants, en gage de Notre paternelle bienveillance, la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX MEMBRES DE L'ASSOCIATION ITALIENNE DES MAITRES CATHOLIQUES (4 novembre 1945)

1

Aux maîtres catholiques d'Italie venus en congrès à Rome, le pape rappelle leur mission, les sources de leur vocation et l'idéal qui doit les inspirer.

Importance de la première éducation de l'enfant pour la vie d'un peuple.

Votre désir, chers fils et chères filles, que vous Nous avez si souvent et si instamment manifesté d'écouter Notre parole et Nos conseils de Père et de Pasteur, à l'occasion de votre congrès romain, montre déjà lumineusement — même si par vos actes et votre conduite vous n'en donniez pas, comme vous le faites, une constante et très patente preuve — à quel point vous êtes conscients de votre haute et importante mission, ainsi que des responsabilités qui pèsent gravement sur vous. Il est indiscutable que la vie d'un peuple se ressent profondément de la première éducation donnée à la jeunesse.

Adolescens juxta viam suam, etiam eum senuerit, non recedet ab ea, « instruis l'enfant de la voie à suivre ; devenu vieux, il ne s'en détournera pas » (Pr 22,6). Vérité dont on trouve l'écho dans l'un des plus grands et des plus clairvoyants poètes romains : Quo semel est imbuta recens, servabit odorem testa diu, « l'amphore neuve gardera longtemps le goût du liquide qu'on y verse pour la première fois » 2.

Cela est vrai, toujours et partout, même dans les temps les plus normaux et parmi les populations les plus saines. Mais combien cette vérité apparaît plus manifestement à cette époque d'universelle perturbation, où le monde, les nations et l'Italie même sont encore à chercher leur voie. Ces enfants que vous rencontrez au sein des familles les plus chrétiennes ou les plus irréligieuses, les plus raffinées ou les plus vulgaires ; ces jeunes garçons que le hasard vous fait trouver dans la rue et qui, peut-être, vous heurtent par leur grossièreté, qui parfois, malheureusement, portent sur leur front et dans leurs yeux les stigmates de la misère et du vice précoce, c'est d'eux, des uns comme des autres, que dépendent l'avenir et le sort de la société humaine.

Les maîtres, délégués et représentants des parents dans l'éducation des enfants.

Si, même dans les conditions les meilleures et dans les circonstances les plus favorables, l'éducation de l'enfance est la mission, l'admirable mission des parents et particulièrement de la mère, leur oeuvre a tout de même besoin d'être efficacement secondée et complétée par la collaboration des maîtres et des maîtresses auxquels ils confient leurs enfants. Devons-nous dire « complétée » et non pas plutôt bien souvent « substituée » ? Il existe quelques mères, Nous le rappelons avec douleur, incapables de comprendre leur saint devoir et leur rôle sublime. Elles sont inaptes à comprendre même l'objet de l'éducation, ignorantes de la plus élémentaire pédagogie, non formées ou déformées comme elles sont elles-mêmes, préoccupées uniquement soit de leur tranquillité ou de leurs plaisirs égoïstes, soit de leurs intérêts matériels sur lesquels elles concentrent toutes leurs pensées. Mais combien d'autres, malgré leur bonne volonté et leur dévouement, se trouvent aujourd'hui, plus que jamais, par suite des dures et inexorables conditions de la vie, dans l'impossibilité de remplir pleinement leur devoir. Leurs nombreuses occupations domestiques, souvent même le travail hors de la maison, ne leur laissent ni le temps ni le loisir d'accomplir ce qui serait la grande joie de leur coeur, le but principal de leur vie ici-bas. Ajoutez que les exigences toujours croissantes de l'instruction obligent les parents à remettre parfois complètement en d'autres mains, dès le premier âge, la jalouse prérogative d'éduquer ces petites créatures auxquelles ils ont donné la vie.

Etre les délégués et les représentants des parents pour accomplir une telle mission en leur nom, quel honneur ! Mais en même temps, si les maîtres n'avaient l'assurance de l'avoir reçue de Dieu, quelle crainte ils éprouveraient en considérant la dignité, les conséquences, les responsabilités, les difficultés et l'austérité de cette mission !

L'oeuvre du maître, souvent dure et difficde. Les caractéristiques de l'enfance.

Aux yeux d'une certaine littérature romantique, rêveuse, imagi-native, aujourd'hui presque passée de mode, l'enfant n'est qu'un être charmant et délicieusement « poétique ». Aux yeux du chrétien, il est digne de vénération, maxima debetur puero reverentia, avertissait le païen Juvénal lui-même 3, et il inspire une poésie incomparablement plus élevée : l'enfant est fils de Dieu ; son ange voit continuellement le visage du Père qui est dans les cieux (cf. Matth. Mt 18,10) ; les hommes sont appelés à se rendre semblables à lui, dans la simplicité et dans l'humilité (cf. Matth. Mt 18,3-4). Contrairement à la poésie mignarde créée par l'imagination et malgré la poésie des réalités sublimes qu'elle renferme, on doit reconnaître que la première formation de l'enfant, ou d'un groupe nombreux d'enfants, peut être une oeuvre dure et difficile. « Les longues années que j'ai consacrées à m'occuper des enfants, écrivait le célèbre évêque d'Orléans, Mgr Dupanloup, ont été les plus douces, mais aussi les plus laborieuses de ma vie, et si mes cheveux sont devenus blancs avant le temps, ça a été au service de l'enfance » 4.

3 Satires, 14, 47.
4 De l'éducation, 1. II, ch. I".


Bien souvent, elle est vraiment dure la vie passée, à longueur de journée, auprès des enfants : à l'espièglerie, à l'inconstance, à la légèreté, aux défauts inhérents à chacun d'eux, viennent quelquefois s'ajouter des misères de toutes sortes, quand ce ne sont pas ces tristes tares qui enlèvent à l'enfant, avec la fraîcheur de son innocence surnaturelle, l'enchantement naturel de son âge. Nombreux sont ceux qui ont déjà tout vu, tout entendu, peut-être même tout subi, tout fait. D'autres ont grandi sans avoir presque jamais entendu parler de Dieu, de la Très Sainte Vierge, des anges, des saints, de leur âme et de leur destin éternel, et ils n'écoutent qu'avec une indifférence ennuyée ce que l'on tente de leur dire sur les vérités de la foi.

Cependant, Nous ne voudrions pas vous tracer un tableau trop sombre. Nombreux, très nombreux, grâce à Dieu, sont les enfants nés, grandis ou du moins rééduqués dans un milieu vraiment chrétien ; mais même les meilleurs, même ceux qui sont dotés de qualités exceptionnelles, quelle patience constante n'imposent-ils pas, non seulement par leurs petits défauts, mais encore par leurs enfantillages, leurs questions continuelles, leurs disputes, leur vivacité, leur tapage ! Malgré tout cela, le bon éducateur doit poursuivre son oeuvre avec ferveur et, en même temps, avec calme, évitant toutes les manifestations de dépression et de découragement qui pourraient en un instant compromettre des résultats péniblement obtenus durant des semaines et des mois de fatigue, et détruire ou ébranler la confiance que les enfants ont mise en lui. Et enfin, alors même que tout serait allé pour le mieux, après avoir pris tant de soin de la première formation de ces tout petits, au moment où commence à sortir le bourgeon qui laisse espérer la fleur, le fruit, voilà qu'il faut les remettre en d'autres mains pour recommencer la même tâche avec dé nouveaux élèves.

Mais l'oeuvre de l'éducateur n'est pas seulement dure, elle est encore difficile. Elle requiert, même auprès des petits, des connaissances spéciales, de l'habileté pédagogique. Elle exige une étude, des exercices pratiques, une aide et un appui réciproques, une laborieuse formation et une entière possession de soi-même. Votre association vous aide certainement à vous procurer ces avantages. Elle s'efforce, en outre, de vous inspirer un sentiment plus élevé de votre mission, convaincue comme elle l'est de l'insuffisance de tous les moyens d'ordre purement naturel pour vous faire triompher de tous les obstacles. Pareille conviction est bien fondée.

De la vocation de maître : ses trois principaux motifs.

Comment expliquer, en effet, que malgré les tribulations et les soucis inhérents à votre profession, malgré la préparation qu'elle requiert et les difficultés qu'elle comporte, tant de candidats aspirent à l'embrasser ? C'est qu'ils peuvent y être poussés par trois motifs principaux : l'inclination, l'intérêt, l'idéal.

La passion de l'enseignement dans un lycée, dans une université et même dans une école supérieure, se comprend facilement. Le professeur ressent une joie intime en voyant s'éveiller sous son impulsion de jeunes intelligences et de jeunes coeurs, en leur communiquant sa pensée, ses convictions, ses sentiments, en s'attachant à diriger la jeunesse vers une carrière élevée ou modeste, mais toujours honorable et utile à la société. Cette noble satisfaction compense largement les soucis, les fatigues et les contrariétés qui ne lui manqueront pas.

Mais les petits enfants ! De loin, avant d'en avoir fait l'expérience personnelle, il est facile d'éprouver une inclination presque paternelle ou maternelle à s'occuper d'eux. Mais si un autre principe, •si une autre impulsion intérieure ne fortifient pas cette inclination, elle cédera fréquemment au dégoût. Et pourtant, dira-t-on, nombreux sont ceux, et vous êtes du nombre, en qui cette inclination puissante persévère, croît même, à mesure que se prolonge l'expérience et que se multiplient les peines et les sacrifices. C'est certain, mais c'est parce qu'alors elle agit non plus seule, poussée pour ainsi dire par l'instinct, mais elle est maintenue et renforcée par l'un des deux autres motifs : l'intérêt ou l'idéal.

L'intérêt, l'intérêt matériel ; ne nous hâtons pas de le déprécier ou de le blâmer. Le maître est un homme, il doit vivre, et pour cela il doit recevoir pour son travail une juste et équitable rémunération qui lui permette de pourvoir à sa subsistance et à celle de sa famille ; mais elle ne représente pour lui qu'une compensation ; il n'enseigne pas par intérêt, mais par amour.

L'idéal est la force qui le conduit et qui le guide. Il y a plus encore ; en face de la nécessité de gagner sa vie, un jeune homme (ou une jeune fille) songe à se procurer des moyens convenables pour assurer son avenir et secourir ses parents ; parmi les états de vie, il choisit celui dont il a le mieux compris la noblesse et l'utilité ; même si le besoin du pain quotidien a tout d'abord dominé sa pensée, un sentiment supérieur a toutefois dicté son choix, et cela lui vaut bien du respect et de l'estime. Celui, au contraire, qui ne verrait dans l'enseignement qu'un métier qu'il abandonnera volontiers le jour où il s'en présentera à lui un autre plus lucratif, ne serait qu'un pauvre mercenaire travaillant sans amour et sans joie, presque comme un forçat qui traîne sa chaîne, ayant dans l'esprit l'idée fixe de d'évasion.

L'idéal, véritable inspirateur de la carrière de l'enseignement.

Il est donc clair que le véritable inspirateur de la carrière de l'enseignement élémentaire ne peut être qu'un puissant idéal. Lui seul peut permettre d'acquérir et de pratiquer un art qui, suivant la célèbre expression de saint Jean Chrysostome, dépasse en excellence tous les autres 5. Cet idéal anime et inspire tous les maîtres et toutes

5 In Matth, homil. 59, n. 7 ; Migne, P. G., t. 58, col. 584.

les maîtresses qui exercent leurs fonctions avec ardeur et avec fruit.

Nous parlons d'idéal, et nous voici arrivés à la tragique bifurcation. Quel idéal ! Il existe des hommes et des femmes qui profanent leurs dons, leur intelligence, leur instinct paternel et maternel au service de l'impiété, de la haine religieuse, civile et sociale. Mais si ces personnes consacrent les années de leur jeunesse et de leur maturité à une entreprise aussi condamnable et assument, pour de teilles fins, les obligations de l'enseignement en sacrifiant leur repos, leurs intérêts et leur conscience, d'autres hommes et d'autres femmes, par contre, enflammés de l'idéal le plus saint, désireux de conformer leur activité aux préceptes de l'Evangile, se sentent l'irrésistible vocation de préserver les enfants du mal pour les donner à Dieu, de supporter toutes les fatigues et tous les désagréments pour en faire de bons serviteurs du Christ, de l'Eglise, de la société humaine. Tel est votre idéal, tel est également l'amour qui a conquis votre coeur et auquel vous avez voué votre vie.

L'idéal du maître catholique. Sa parfaite formation.

Idéal splendide, amour puisé à l'intarissable source du Coeur divin, voilà ce qui vous inspire, ce qui donne à votre oeuvre austère une douceur ineffable.

L'enfant, c'est l'avenir : avenir menaçant ou plein de promesses. Quand l'enfant insouciant va par les rues, il porte en lui, sans le savoir, les germes de toutes les vertus et de tous les vices. Beaucoup de passants se demandent : Quis putas, puer iste erit ? « Que sera cet enfant ? » (Lc 1,66). Vous-mêmes vous avez eu l'occasion de vous poser anxieusement semblable question : quel sera son avenir pour lui-même, pour la société, pour l'Eglise ? La question est devenue un tourment pour vous, et cet enfant, ces enfants, tous les enfants, vous les avez enfermés dans votre coeur. Vous avez pris la ferme résolution, vous avez promis à Dieu d'en faire les artisans de la restauration sociale en Jésus-Christ.

Un sentiment, non pas de découragement, mais presque d'épouvante, vous a subitement envahi l'âme. Votre nombre qui, grâce à Dieu, est déjà bien grand, vous apparaissait soudainement comme disproportionné à l'immensité de l'entreprise ; ensuite, vous avez réfléchi qu'en vous unissant, l'effort de chacun de vous sera décuplé. Ainsi l'adage bien connu : « L'union fait la force », paraît avoir été bien compris par les dirigeants de votre association qui le mettent en application. L'union fait avant tout la force morale ; si l'union ne faisait que cela, ce serait déjà beaucoup ! Il suffit, en effet, de se représenter les conditions dans lesquelles vivent un instituteur, une institutrice, perdus dans l'isolement, sans rencontrer aucun soutien, aucune compréhension et quelquefois même aucune sympathie, pour pouvoir apprécier combien est opportune cette union d'entraide mutuelle. Nous voudrions mettre ici en évidence et avant tout le but spécifique de votre association : procurer et promouvoir la parfaite formation du maître en lui fournissant les moyens d'accomplir dans les meilleures conditions possibles sa pénible, mais grande et noble mission.

L'essentiel, dans cette formation, n'est pas tant l'ensemble plus ou moins abondant de connaissances, de procédés, de méthodes ingénieuses, que l'esprit. Quiconque veut faire triompher une cause, bonne ou mauvaise, vitale ou futile, est bien persuadé de la nécessité d'imprégner tous ses adeptes de l'esprit de cette cause. Le progrès de votre formation personnelle, intime, mais le plus possible complète et harmonieuse, tel doit donc être le premier but de votre association.

Idéal surnaturel.

Puisque l'éducation ne peut être vraiment saine et féconde si l'on s'en tient et se limite au domaine de la simple honnêteté naturelle, votre idéal doit être, en outre, et il l'est en réalité, surnaturel. De là découle que, comme votre vie privée, votre activité professionnelle doit être surnaturelle dans toute sa plénitude pour pouvoir se répandre dans toutes les âmes qui vous sont confiées. Exquise beauté du maître, de la maîtresse, qui, dès le matin, se sont remplis de Dieu par la prière, par la méditation des choses divines, et qui se sont nourris de la chair de l'Agneau immaculé et, ainsi ardents, rayonnants, vont prendre en main ces intelligences et ces coeurs de petits baptisés auxquels ils communiquent paternellement et maternellement leurs richesses spirituelles ! C'est à tout cela que tendent admirablement vos retraites fermées de chaque année, vos exercices spirituels tous les deux mois, la sainte messe commune de chaque mois.

La valeur professionnelle.

Ainsi que Nous l'avons déjà dit, votre formation doit être complète ; il est donc opportun, ou plutôt il est indispensable que votre valeur professionnelle, pédagogique, justement parce que vous voulez vous rapprocher de la perfection même dans l'ordre surnaturel, soit éminente et suréminente, et que dans l'évolution ininterrompue des idées et des institutions, vous soyez comme on dit : à la page. Votre association pourvoit à cette nécessité par vos cours de culture religieuse, sociale, technique, par la préparation des jeunes maîtres aux divers concours, par vos réunions mensuelles, par votre revue périodique et vos bibliothèques. Elle étend sa sollicitude aux problèmes qui regardent l'école maternelle, les cours du soir et les élèves de l'école normale.

La législation scolaire.

Ce n'est pas tout. Vous devez exiger votre place au soleil et les moyens de vous y maintenir ; vous devez défendre, soutenir, revendiquer vos droits de maîtres catholiques et la possibilité de remplir vos obligations. Individuellement, isolément, vous ne pourriez, c'est évident, atteindre à ces buts ; aussi, agissez unis, par le moyen de votre association. Elle se propose, particulièrement en ce temps de réorganisation universelle, d'exercer une action individuelle et sociale en vue d'une législation scolaire qui respecte les principes de la doctrine catholique, action d'autant plus légitime en Italie que cette importante question s'y trouve réglée en vertu d'un concordat solennel entre le Saint-Siège et l'Etat italien.

Le syndicat.

Enfin, vous devez songer à assurer aux maîtres et aux maîtresses une condition de vie conforme à leurs besoins et à la dignité de leurs fonctions. Nous avons déjà plus d'une fois parlé du syndicat unique auquel adhèrent en Italie les catholiques eux-mêmes et des conditions requises pour être membre de cette institution. Du moment donc que vous êtes entrés dans ce syndicat, vous ne vous contenterez pas de vous laisser porter passivement par le courant qui de nos jours englobe toutes les activités professionnelles et sociales. Il sera donc de votre devoir d'acquérir cette compétence spéciale qui vous permettra, au sein du syndicat, de dire votre mot autorisé dans toutes les questions qui s'y traitent, de faire valoir votre influence pour la défense des principes religieux et moraux professés par l'Eglise, de collaborer en parfaite loyauté avec vos collègues en tout ce qui est bon ou tout au moins non illicite, et, sur les autres points, de les amener à une compréhension plus chrétienne, non pas seulement de l'oeuvre de l'enseignement et de l'éducation, mais encore des intérêts communs de votre classe.

Plein de confiance dans les résultats de votre congrès et dans toute votre activité pour la saine formation de la jeunesse, Nous supplions le divin Pasteur des âmes de vous guider dans votre ministère, de vous réconforter dans vos fatigues, de vous consoler dans vos peines, tandis qu'avec l'affectueuse sollicitude de Notre coeur paternel, Nous vous donnons à vous, à tous les maîtres de l'enseignement élémentaire et des écoles maternelles, aux directeurs des études, aux inspecteurs de l'école publique et privée, religieux et laïques, à tous les enfants objet de vos soins, à toutes les personnes qui vous sont chères, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AUX CONGRESSISTES DE L'UNION ITALIENNE DES AVEUGLES

( 14 novembre 1945) 1

Aux participants du VIe Congrès national italien des aveugles, le pape, dans cette allocution, rappelle la dignité de leur souffrance et les bienfaits de la foi qui doit les éclairer.

Une pensée élevée qu'inspire une filiale dévotion vous rassemble en ce moment autour de Nous, chers fils, qui, privés comme vous l'êtes de la possibilité de Nous voir, avez cependant exprimé le vif désir de venir écouter les paroles paternelles de bénédiction et de réconfort du Vicaire du Christ ; non des mots vides, incapables de soulager les souffrances et, partant, tendant en vain à les faire oublier, mais des paroles de véritable consolation, de cette consolation qui provient comme tout don du Père des lumières (cf. Jacques, Jc 1,17) et sait montrer la sublime dignité et la récompense divine de la souffrance elle-même.

La clairvoyance de l'aveugle.

La dignité, la récompense propre de l'aveugle, surtout de celui qui a fait le sacrifice de la vue au service d'une noble cause, on peut bien dire que c'est sa clairvoyance. L'aveugle qui accepte sereinement son épreuve plonge son regard intérieur dans les abîmes de lumière qui l'éclairent et l'élèvent jusqu'aux réalités supérieures dont tant de ceux qui voient ne soupçonnent ni la grandeur, ni la beauté, ni bien souvent même l'existence. Ils ont des yeux et ne voient pas (Ps., cxv, 5), et dans la vie, dans la vraie vie ils cheminent à tâtons, trébuchant en plein midi comme dans l'ombre du soir (cf. Is., lix, 10).

Même dans l'ordre matériel de la nature et de l'art, combien rares sont ceux qui savent vraiment voir, qui savent se défendre contre la dispersion de leur attention, contre les déviations de leur pensée, en face de la fantasmagorie des choses visibles, du scintillement des inepties futiles ! Quand un homme veut faire revivre par le souvenir l'enchantement d'un visage aimé, goûter à son aise la poésie d'un panorama contemplé jadis avec admiration, rappeler par l'imagination des scènes familières, la vie quotidienne des chers absents, son premier mouvement, mouvement instinctif, est de fermer les yeux pour concentrer le regard intérieur sur ces objets. Et ces yeux fermés permettent à la pensée, à la volonté, aux autres sens de s'affiner jusqu'à un degré parfois surprenant. D'ailleurs, n'a-t-on pas eu recours à des aveugles pour découvrir de loin la présence d'avions, que la vue même la plus perçante ne parvenait pas à identifier ?

sensibilité.

Lorsque l'aveugle, assis devant l'orgue ou le piano, ou bien serrant contre lui son violon, fait avec maîtrise chanter ou frémir, rire ou pleurer son instrument, combien de personnes seraient tentées de lui envier sa sensibilité et la précision de son oreille, la sûreté et l'expression de son toucher, la vigueur et la douceur de son exécution ! Quels sentiments élevés les ondes sonores n'éveillent-elles pas dans son esprit ! Dans un domaine plus modeste, quel réconfort c'est pour lui lorsque ses mains habiles exécutent avec dextérité des travaux délicats, qui sembleraient exiger une bonne vue, et grâce auxquels, loin d'être à charge à lui-même et aux autres par une inaction stérile, il contribue par son travail au bien-être de la famille !

Si Nous en venons à considérer le plan intellectuel et moral, où rien ne se fait sans recueillement, qu'ils sont plus rares encore ceux qui savent fermer les yeux du corps à l'écoulement, lent ou agité, des choses qui passent, pour fixer les pupilles de l'esprit sur les grandes vérités, phares lumineux de l'intelligence, et sur les grands principes, guides infaillibles de la vie morale des individus et des sociétés, sur les vrais intérêts temporels et sur l'éternelle et sublime destinée des âmes ! Que de voyants, éblouis ou séduits par les apparences éphémères, n'ont jamais un regard, même fugitif, pour ces vérités, ces principes, cette destinée, pour leurs âmes !

La foi, guide de notre raison.

Montons plus haut. Légers et superficiels, confiants dans la puissance de leur raison orgueilleuse, certains en viennent à s'enorgueillir de ne rien voir au-delà et au-dessus de leur intelligence, et de prendre des vers luisants pour des soleils. Pour vous, chers fils, conscients des ténèbres matérielles qui vous enveloppent, supportant avec une virile et chrétienne résignation l'obscurité de votre journée, avec quelle gratitude n'accueillez-vous pas les soins affectueux des personnes qui se font vos guides et dont les yeux voient pour vous ! Vous vous fiez sans hésitation à leur conduite ; que de fois, appuyés à leur épaule, vous cheminez d'un pas assuré, comme si vous voyiez vous-mêmes, parce que vous savez qu'ils voient ! Il n'en est pas autrement de nous tous ; penchés devant la majesté des mystères qui dépassent infiniment notre raison, conscients de l'impuissance de notre raison limitée à soutenir la splendeur qui rayonne de Dieu et des choses divines, à regarder la lumière dont l'excès même de clarté nous aveugle, et que pour cette raison les mystiques appellent « la grande ténèbre », avec quelle reconnaissance et quel amour n'accueillons-nous pas le guide que Dieu nous a donné, son Fils unique, son Verbe incarné, descendu dans notre nuit pour être « la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde » (Jn 1,9). Avec quelle confiance ne nous laissons-nous pas conduire par son Eglise qu'il a établie notre guide maternel ! Appuyés sur elle, nous marchons d'un pas sûr dans la douce lumière que répand la foi, vers les réalités, invisibles maintenant, mais que nous possédons déjà dans l'espérance de la vision future (cf. Hébr. He 11,1).

« Bienheureux, disait Jésus à l'apôtre Thomas, bienheureux ceux qui, sans voir, ont cru » (Jn 20,29). Bienheureux, parce que, ayant ajouté foi à la parole divine sans l'expérience des sens, 'dans leur droiture, dans leur simplicité, dans la simplicité de leur coeur, ils voient Dieu !

La foi cédera la place à la vision béatifique.

Pour tant d'autres qui se croient des voyants et qui n'ont même pas su voir le reflet de Dieu dans le miroir des créatures ; qui, orgueilleux de leur esprit mesquin, n'ont pas voulu croire aux divins secrets de la foi, lorsque le miroir, enfin, se brisera et que s'éteindra la lumière qui brillait dans un lieu sombre, ce sera la nuit, la nuit noire ; mais pour les coeurs humbles et purs, ce sera le grand soleil de midi de la vision : Umbram fugat veritas, noctem lux éliminât,

« la vérité chasse l'ombre, la lumière disperse la nuit » 2. Pour eux se réalisera dans les siècles éternels la félicité chantée par le divin poète :

Chè la mia vista, venendo sincera, E pià e più entrava per Io raggio Dell'alta luce, che da se è vera.

« Car ma vue, en devenant nette, était de plus en plus pénétrante, grâce au rayon de la lumière d'en haut qui est, par elle-même, la véritable lumière » 3.

Chers fils, puisse cette pensée, puissent cette foi et cette espérance vous réconforter et vous conduire sur le chemin obscur d'ici-bas jusqu'au règne de la lumière éternelle ! Tel est le souhait, telle est la prière que Nous formulons, tandis que du plus profond de Notre coeur Nous vous donnons à vous, à tous ceux qui vous sont chers, à tous vos compagnons d'épreuve dispersés dans le monde, à ceux et à celles qui vous prêtent leur véritable assistance, Notre paternelle Bénédiction apostolique.

Fête du Saint Sacrement, séquence Lauda Sion. Dante, Paradis, XXXIII, 52-54.


RADIOMESSAGE AUX CATHOLIQUES ESPAGNOLS

(18 novembre 1945) 1

1 D'après le texte espagnol des A. A. S-, XXXVII, 1945, p. 321 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VII, p. 260.

Ce radiomessage a été adressé aux catholiques d'Espagne réunis à Madrid pour commémorer le premier centenaire de la fondation de l'Apostolat de la Prière dans leur pays.


C'est avec toute l'effusion de Notre coeur paternel, très chers fils d'Espagne, que Nous avons accueilli votre désir de voir se clôturer par un message de Notre bouche ces solennités que vous célébrez en ce moment, pour commémorer le premier centenaire de l'Apostolat de la Prière, cénacle choisi d'âmes en prière qui veulent faire de leur vie une lampe ardente se consumant de zèle pour la plus grande gloire de Dieu, car, comme l'écrivait son fondateur, le zèle est le principe, l'âme et la vie de cet apostolat 2. Et s'il en est ainsi, qui pourra trouver étonnant qu'aujourd'hui votre apostolat se présente tel un arbre vigoureux, robuste et touffu, chargé non seulement de rameaux et de fleurs, mais encore de fruits ? Pourquoi s'étonner qu'il soit canoniquement érigé dans la totalité presque de vos diocèses, et que sous son étendard se groupent plus de deux millions de coeurs fervents ? Ce zèle, en effet, désir ardent alimenté par l'amour, élan apostolique et prière fervente en union avec la prière continuelle du Très Saint Coeur de Jésus, devait nécessairement s'enraciner — permettez-Nous cette expression — dans les entrailles généreuses du riche terroir espagnol, toujours prêt pour tout ce qui est beau, pour tout ce qui est grand. Ce fut, certes, oeuvre de zèle que la défense de l'intégrité de votre foi au cours des premiers siècles, ce fut oeuvre de zèle aussi que la croisade menée durant tant de siècles contre la domination arabe ; oeuvre de zèle enfin que l'épopée gigantesque par laquelle l'Espagne bouscula les vieilles limites du monde connu, découvrit un nouveau continent et l'évangélisa pour le Christ. Aussi, lorsque jaillit, en 1844, aux pieds de la Vierge de France, de l'autre côté des Pyrénées, l'étincelle providentielle, le plus léger souffle de la brise suffit pour lui faire franchir les monts et gagner en toute sûreté un champ si magnifiquement préparé. Et, en peu de temps, quel splendide foyer ! Les noms, providentiellement réunis en un faisceau fraternel, de Bernard-François de Hoyos, d'Augustin de Cardaveraz, de Jean de Loyola et de Pierre de Cala-tayud, en disent plus long qu'un volume d'histoire, car ils montrent la générosité avec laquelle l'âme espagnole correspondit à ce nouvel effort de la miséricorde divine, à cette amoureuse rédemption que l'inépuisable charité de Dieu offrait à la triste humanité du XVIIIe siècle. Grâce à eux, un feu jusque-là latent, éclata en incendie et, au souffle de la grâce divine, s'éleva ensuite une flamme dont le dernier éclat a pour théâtre cette superbe place de l'Arméria, d'où il Nous semble entendre crier jusqu'à épuisement : « Il régnera, oui, il régnera en Espagne et avec plus de vénération que dans d'autres contrées 3. Il régnera en cette Espagne, objet de ses prédilections, assemblée ici pour lui rendre grâce, lui redire ses résolutions et lui renouveler sa consécration. »

3 Cf. Vida dei padre Bernardo Francisco de Hoyos, Bilbao 1913, p. 251. * Cf. Acte de consécration de l'Espagne au Très Sacré Coeur de Jésus.


Oui, rendez-lui grâce ! En certaines heures sombres de l'histoire, Dieu lève sa main toute-puissante et laisse passer la chevauchée biblique des quatre coursiers (cf. Ap 6,1-8) qui, sous leurs sabots furieux, écrasent tout ; serpe et faux de Dieu qui coupent ainsi tout ce qui est superflu et châtient quiconque a prévariqué.

Mais aux portes du sol ibérique où montaient encore les dernières fumées d'un brasier non moins terrible, la chevauchée s'arrêta et ce fut une grande manifestation de la miséricorde divine. C'est pourquoi votre assemblée d'aujourd'hui doit être avant tout une assemblée de reconnaissance. Merci, Seigneur ! Merci, comme Nous vous l'avons dit en une occasion solennelle ; merci de nous avoir préservés miséricordieusement du malheur commun de la guerre qui a ensanglanté tant de peuples. 4.

Mais la reconnaissance sincère se prouve par la noble générosité des résolutions qui l'accompagnent. Votre patrie s'est sauvée de la dernière hécatombe mondiale, mais elle n'en est pas moins obligée de vivre la vie de l'Apostolat, c'est-à-dire une vie d'amour, de mutuelle charité, de prière commune qui fait fraterniser les esprits, de dévotion à ce Coeur qui est toute douceur et toute miséricorde ; de zèle apostolique qui veut gagner tous les coeurs au Christ, mais spécialement les frères égarés. Car là où persisteraient la haine et la rancune, il n'y aurait pas place pour ce Coeur qui désire ardemment l'amour et, s'il le faut, la réconciliation entre les frères. Que votre réunion soit donc l'assemblée de la charité, au cri répété de : « Que s'instaure parmi nous votre règne très saint, qui est le règne de la justice et de l'amour. » 6

L'Espagne se présente encore aujourd'hui devant le divin Coeur, en évoquant cette lumineuse matinée du 30 mai 1919, quand la nation tout entière, par la bouche de son souverain, fut consacrée au Coeur de ce Seigneur exposé sur l'autel d'un magnifique monument, au centre même de la péninsule. Aujourd'hui, dans ce saint lieu, il ne reste plus qu'un monceau de ruines ; cependant, il y subsiste toujours quelque chose qu'aucun explosif ne peut détruire : c'est la force de l'esprit, la force qui sauva votre foi à l'heure où sonna pour vous l'heure douloureuse ; la force qui aujourd'hui — Nous le reconnaissons avec une grande satisfaction — se montre dans la puissante vitalité catholique de votre patrie, oeuvre de l'amour que le Sacré Coeur de Jésus lui réserve et du concours de tant de bons Espagnols ; c'est la même force qui vous a réunis en cette assemblée et vous incite à crier encore une fois, avec toute la sincérité de votre âme chevaleresque et généreuse : « Régnez dans les coeurs des hommes, au sein des foyers, dans l'intelligence des savants, dans les amphithéâtres de la science et des lettres et dans nos lois et institutions nationales. » 6

Ces paroles voulurent jadis être comme un programme de vie au moment où l'Europe commençait la nouvelle étape de son histoire, étape qui débutait au bruit de l'ultime canonnade de la première conflagration mondiale. Elles devraient être aujourd'hui la rénovation de votre reconnaissance, de vos résolutions et de votre consécration, en un moment encore plus grave, au sortir d'un conflit plus vaste, plus terrible, plus chargé de conséquences, plus tenace à ne pas vouloir s'éloigner définitivement, et plus profond dans les bouleversements qu'il a causés dans la vie intime des peuples.

B Ibid.
« ibid.


L'Espagne, sous la protection puissante de la Vierge du Pilar et du glorieux apôtre Jacques ; l'Espagne, confiante en l'amour de ce Coeur adorable qui, sur son sol, triomphe en cent monuments et en mille autels ; l'Espagne, solidement appuyée sur sa ferme tradition catholique, sur l'intercession de ses grands saints et sur l'enseignement de ses insignes théologiens et docteurs ; l'Espagne, assistée par la claire intelligence, l'indomptable volonté et le coeur inflexible de ses meilleurs fils, retrouvera aujourd'hui encore son chemin qu'elle suivra tout droit jusqu'au but que la divine Providence lui a assigné, se souvenant constamment de cette sentence du Seigneur : « J'honorerai celui qui m'honore et ceux qui me méprisent seront méprisés » (1R 2,30).

Tel est Notre paternel désir et voilà ce que Nous demandons pour vous, chers fils ; et comme marque de Notre affection et gage de très grandes grâces, Nous bénissons le chef de l'Etat, les autorités et les fidèles, l'épiscopat, le clergé et toute la catholique Espagne, toujours l'objet de l'amour spécial du coeur du Vicaire du Christ.



LETTRE A L'ARCHEVÊQUE DE TRENTE POUR LE IVe CENTENAIRE DU CONCILE DE TRENTE

(21 novembre 1945)l

Dans la lettre suivante adressée à S. Exc. Mgr Carlo de Ferrari, archevêque de Trente, le Saint-Père dégage les caractères généraux, les buts et l'influence du concile de Trente.


Le IVe centenaire du mémorable commencement du concile oecuménique de Trente a été heureusement célébré ici, malgré d'innombrables et immenses difficultés, et il convient qu'il soit aussi commémoré par toute l'Eglise et d'une façon particulière par vous, dont la ville offrit jadis aux Pères de cette très célèbre assemblée une résidence digne et proportionnée à sa grandeur. Nous Nous réjouissons vivement de ce que, en dépit des circonstances critiques et difficiles du temps présent, vous avez constitué un comité fort opportun et très vaste, avec mission de promouvoir, organiser et seconder la célébration d'un tel centenaire.

Ce comité, Nous le savons, peut compter non seulement sur votre activité diligente et empressée et sur celle des membres distingués du clergé et du laïcat, mais encore sur l'appui de Notre cher Fils le cardinal Francesco Marmaggi, qui en est le cardinal protecteur et qui le rehausse et l'honore par sa sagesse et l'éclat de la pourpre romaine.

Nous savons également, et c'est pour Nous un motif de joie bien grande, qu'en cette matière — non sans mérite ni sans fruit — vous avez déjà agi soit par l'édition de publications opportunes, soit par des dissertations et des conférences, soit par des initiatives ou entreprises qui sont comme une magnifique évocation de l'événement en question.

Parmi ces initiatives, Nous sommes heureux d'en mentionner nommément deux qui paraissent avoir une particulière importance et utilité. Nous parlons en premier lieu des prédications qu'on appelle « missions », organisées dans chacune des églises paroissiales de votre archidiocèse pendant cette année ; missions au cours desquelles on a non seulement mis en lumière les décrets et décisions du concile de Trente, mais encore engagé les fidèles à les réaliser et à les mettre soigneusement en pratique. Signalons ensuite le sanctuaire qui doit être dédié à Jésus-Christ, Roi suprême et universel, sanctuaire dont la vaste construction s'élève en ce moment et que tous les gens de bien espèrent, comme vous, voir heureusement terminée l'année prochaine.

La situation de la chrétienté au moment du concile de Trente.

En songeant à cette époque très agitée, dont le prochain centenaire évoquera le souvenir, en songeant aux tristes événements qui déterminèrent la convocation du concile ; en passant, en même temps, avec attention, en revue les résultats consolants et les fruits salutaires qui en sont sortis et qui la suivirent, Nous voyons de nouveau avec une évidence qui frappe tous les regards cette vérité, déjà garantie par le Christ et confirmée par les témoignages de l'histoire, à savoir que l'Eglise peut être combattue, mais ne peut être vaincue. En effet, de même qu'elle est unie à son divin Fondateur par un intime et indéfectible lien d'amour, ainsi elle est unie à lui dans les mêmes luttes et dans les mêmes triomphes. C'est pourquoi chaque fois que la barque de Pierre est ballottée par les flots en furie et paraît sur le point de sombrer, alors le Christ se montre présent avec tout son pouvoir et, commandant aux vents et aux tempêtes, il redit ses divins avertissements : « Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? » (Mt 8,26). « Ayez confiance, j'ai vaincu le monde » (Jn 16,33).

C'est exactement ce qui s'est produit lors de cette succession perfide des événements et des temps qui fait l'objet du prochain centenaire. En effet, on pouvait voir les hérétiques tenter, avec une audace téméraire, de déchirer la robe sans couture de l'Eglise catholique ; on voyait des peuples troublés par des révoltes et des soulèvements ; les princes placés à la tête des Etats en lutte et en guerre entre eux ; le peuple chrétien ou bien atterré ou bien oscillant de côté et d'autre et incertain ; un clergé qui, bien souvent, ne brillait pas par les vertus et la discipline exigées par ses devoirs sacrés et qui n'était pas à la hauteur des besoins croissants du moment, et « enfin le monde catholique d'alors depuis longtemps fortement troublé et presque étouffé » 2. C'est pourquoi, si l'Eglise du Christ s'était appuyée seulement sur les forces humaines, il eût fallu sans nul doute craindre sa décadence et même sa disparition : mais alors, de nouveau brilla la promesse jamais trompeuse de son divin Fondateur : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles » (Mt 28,20).

Au milieu d'un tel naufrage des esprits et des choses, les Pontifes romains auxquels est confié le divin mandat de paître toute l'Eglise (cf. Jean, Jn 21,15-17) et de confirmer dans la foi les frères qui chancellent ou qui s'égarent (cf. Luc, Lc 22,32), sachant très bien que « souvent, dans les périls extrêmes qui menaçaient la chrétienté, on a appliqué le remède excellent et très opportun à des conciles oecuméniques et à des assemblées générales d'évêques » 3 s'appliquèrent à mettre en oeuvre ce moyen.

Convocation du concile de Trente.

Ils invitèrent à prendre part à un concile général, en vue de régler heureusement, avec l'aide de Dieu, toute la controverse, cause de l'effroyable crise au sein du monde chrétien, tous les évêques et les les autres Pères que la question pouvait concerner — comme aussi, mais ce fut en vain, ceux qui s'étaient écartés du droit chemin de la vérité et de l'unité nécessaire du troupeau. Surmontant d'énormes difficultés provenant de la situation d'alors, fort troublée, et d'autres causes susceptibles de retarder et d'entraver son très sage projet, Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Paul III, avec une énergie apostolique et une prudence virile, vint à bout de tous les empêchements et convoqua enfin, il y a quatre siècles, le concile oecuménique qui devait se tenir à Trente « pour la gloire et la louange de Dieu et pour le salut de tout le peuple chrétien » 4. On peut affirmer à bon droit qu'« aucun autre concile oecuménique ne fut, en fait, plus long en durée, plus important par les articles de foi qui y furent décidés, plus efficace par le changement des moeurs et des lois, plus ardu par les obstacles rencontrés, plus exact par le soin qu'il prit à examiner les matières qui lui étaient présentées » 5.

2 Paul III, bulle d'indiction du concile de Trente.
3 Idem, ibid.
4 Idem, ibid.


Tous ceux qui, animés d'un esprit impartial et perspicace, ont étudié l'histoire, « lumière de vérité et témoignage des temps » 6, savent bien, Vénérable Frère, combien grands et providentiels ont été les bienfaits qui ont découlé, pour l'Eglise catholique, de ce très célèbre concile, et combien il a contribué à extirper « les très nombreuses et très dangereuses hérésies, à réformer les moeurs, à rétablir la discipline ecclésiastique et à procurer la paix et la concorde du peuple chrétien » 7.

Les deux buts du concile.

Ce saint concile avait été, en effet, convoqué principalement à deux fins : pour que la foi catholique et les principes de la doctrine chrétienne, profondément bouleversés par les novateurs, fussent remis dans leur lumière primitive et efficacement protégés et défendus contre les erreurs, ensuite pour que les moeurs publiques et privées, ainsi que la discipline du clergé et du peuple chrétien retrouvassent l'éclat qui leur était dû et fussent réformées suivant l'esprit de l'Evangile. Cette double fin, les Pères du concile la réalisèrent avec un zèle et une sagesse également admirables.

Aussi, c'est avec raison que, dix-huit années plus tard, lorsque, après d'innombrables difficultés et d'immenses travaux, le concile de Trente fut définitivement clôturé 8, après un heureux succès, par un discours prononcé par Jérôme Ragazzoni, évêque de Nazianze et coadjuteur du cardinal Famagouste, ce prélat, récapitulant brièvement et éloquemment tout ce qui avait été fait, put, entre autres, affirmer et signaler ce qui suit : « Entendez ceci, peuples de tous les pays, et écoutez attentivement, vous tous qui habitez la terre ! Le concile de Trente, commencé il y a fort longtemps, quelquefois suspendu, en butte à tant de vicissitudes, partagé en divers sens, est clôturé en ce moment définitivement par une singulière faveur du Dieu tout-puissant. Dans les conciles antérieurs furent souvent traitées des questions concernant notre foi, lorsqu'il était nécessaire d'en élucider certains points, ou des questions intéressant les moeurs, lorsqu'une réforme s'avérait urgente, mais je ne sais si jamais tout cela fut réalisé avec plus d'application et de précision. Ici, nous avons eu non seulement des Pères, mais encore des orateurs représentant tous les peuples et de toutes les nations au sein desquelles est reconnue la vérité de la religion catholique. Et quels hommes ? De très grands érudits, si l'on considère la science ; très expérimentés, si l'on considère la pratique ; des esprits très clairvoyants, si l'on envisage leur intelligence ; des âmes très religieuses, si l'on regarde à leur piété ; des hommes d'une intégrité parfaite, si l'on examine leur façon de vivre. » 9

5 Card. Sforza Pallavicino, Storia dei Conc. di Trento, introd. I.
6 Cf. Cicéron, De orat. II, c. 9, 36.
7 Pie IV, bulle de confirmation du concile de Trente, 26 janvier 1564. Voir une traduction de cette bulle Benedictus, dans l'Histoire des Conciles, de Ch.-J. Hefele, t. X, lre partie, page 634.
8 Le concile fut clôturé le 4 décembre 1563.


Influence extraordinaire des travaux du concile.

Il ne faut donc pas s'étonner si ce concile a produit des fruits si abondants et si salutaires pour le bien de l'Eglise, si la foi catholique a brillé d'un plus vif éclat, si la discipline du clergé et du peuple a été amendée et réformée et si, enfin, l'esprit vital du christianisme a imprégné plus profondément, plus largement et plus efficacement les moeurs privées et publiques.

Les fruits spirituels de ce concile sont si remarquables et si riches qu'aucun autre, jusqu'à présent, ne lui a été supérieur. Ce qu'il a défini et promulgué concernant le péché originel issu de la malheureuse chute d'Adam, et au sujet de la doctrine de la justification, représente, indubitablement, le plus haut point des recherches faites par les théologiens et les conciles. Ce qu'il a déclaré et décrété touchant la très sainte Eucharistie est animé d'un tel souffle céleste de l'Esprit-Saint que l'on peut bien dire, qu'après les paroles des Ecritures sacrées, c'est l'enseignement le plus important relatif à ce mystère. On peut affirmer en outre et avec raison que le concile de Trente marque le début d'une nouvelle ère pour les ministres des choses saintes. En effet, la rénovation opportune des choses et des moeurs qu'il a apportée ainsi que la réforme ont donné à l'Eglise, dans les siècles suivants, de tels évêques, prêtres, religieux et religieuses, qu'ils paraissent, considérés en général comme groupes, l'emporter sur ceux qui vivaient aux siècles précédents, tant à cause de la formation plus profonde des âmes qu'à cause de leur sainteté rayonnante, et de l'ardeur apostolique plus généreuse. Par ailleurs, le Code de Droit canonique lui-même, oeuvre admirable de Nos prédécesseurs d'heureuse mémoire, ne tend pas à autre chose qu'à continuer et à compléter les prescriptions du concile de Trente.

Il y a plus : il semble d'une certaine façon que Dieu lui-même a approuvé et confirmé tout ce qui a été décidé au concile de Trente, du fait que par suite d'une nouvelle et très ample effusion de la grâce divine, dans tous les peuples et toutes les nations de la chrétienté, ont surgi d'innombrables apôtres et des religieuses, modèles éminents de vertu et d'oeuvres remarquables.

Jamais, peut-être, dans le jardin de l'Eglise, n'ont resplendi autant de fleurs de sainteté : fleurs blanches de sainte virginité, fleurs rouges du martyre, fleurs comme embrasées de la plus ardente charité. Le divin Rédempteur a voulu que son Epouse très chaste apparût, aux yeux de tous, resplendissante de cet éclat de la sainteté

— une des notes spéciales aidant à reconnaître la véritable Eglise

— alors précisément qu'un assez grand nombre de chrétiens l'abandonnaient misérablement après l'avoir méprisée.

Exhortation à suivre les enseignements et les décisions conciliaires.

Il Nous a plu, Vénérable Frère, d'écrire en raccourci et de traiter en peu de mots ce qu'il Nous a paru, entre autres choses, opportun de méditer et d'expliquer au cours des cérémonies commémoratives qu'on va célébrer. Et Nous sommes convaincu que, si tous méditent attentivement sur ce qui a été accompli et promulgué en ce concile oecuménique, ainsi que sur les heureux résultats qui en ont été la conséquence, non seulement ils devront, en bonne logique, reconnaître la souveraine importance et influence de cette assemblée, mais considérer aussi avec soin que notre époque a elle aussi beaucoup et sans cesse à apprendre et à mettre en pratique à l'école de ce concile. Nous désirons que cela soit compris et observé surtout par les catholiques ; ils ne doivent pas se contenter de commémorer les antiques gloires, mais ont encore l'obligation, dans la limite de leurs propres forces, de s'en faire à l'heure actuelle les émules. Ils ne doivent pas tenir pour suffisant d'expliquer et de commenter les lois promulguées, mais avec un zèle très diligent, les mettre en pratique. « Les lois — disait avec raison le très savant évêque Jérôme Ragazzoni, cité plus haut, dans son allocution aux Pères du concile — même si elles sont excellentes, sont muettes... Nous avons depuis longtemps composé et préparé un remède salutaire, mais s'il doit chasser la maladie il est nécessaire qu'on le prenne et qu'il se répande dans tout le corps par les vaisseaux sanguins. Nous devons, très chers Frères, absorber abondamment les premiers ce breuvage de vie et être des lois vivantes et parlantes, et servir pour ainsi dire de règle et de norme selon lesquelles les actes et les études des autres doivent être dirigés ; que chacun de nous soit bien persuadé qu'aucun résultat ne sera obtenu pour l'utilité et l'honneur de la chrétienté, s'il n'apporte à cet effet, autant qu'il le peut, sa part de contribution personnelle. » 10

10 Conc. Trid., Ioc. cit.


Appel aux chrétiens séparés de Rome.

Nous avons l'espoir que la célébration du IVe centenaire du concile de Trente sera grandement profitable même à ceux qui, malgré leur séparation du Siège apostolique, conservent au moins la croyance aux principales vérités divinement révélées, surtout au mystère de la Très Sainte Trinité et en la divinité de Jésus-Christ. En effet si, l'esprit libre de tout préjugé, ils contemplent cet insigne monument de la sagesse chrétienne ; s'ils considèrent comme il convient les salutaires effets d'une efficacité entièrement divine qui en sont dérivés pour le bien de l'Eglise et de la société civile, et si, enfin, ils remarquent que toutes les vérités que les novateurs du XVIe siècle possédaient encore en commun avec l'Eglise ont été conservées intactes et entières uniquement par l'Eglise catholique tandis que de nos jours ce que l'on nomme le « rationalisme » effréné s'est établi et fortifié si grandement ailleurs, et que le glacial scepticisme au sujet de n'importe quelle religion a envahi tant d'esprits ; s'ils réfléchissent que l'Eglise elle-même, au milieu de si violentes et si nombreuses secousses et tempêtes, demeure ferme en sa foi, puissante dans ses oeuvres et bienfaisante pour les hommes de n'importe quelle race, langue et nationalité, alors — on est en droit de l'espérer — ils formuleront un jugement juste et conforme à l'histoire sur les importants événements commémorés aujourd'hui, et chacun sentira jaillir de son âme le vif et ardent désir de cette unité nécessaire avec Pierre et ses successeurs, union que rompirent malheureusement il y a quatre siècles les circonstances historiques les plus lamentables. Cela, Nous le demandons dans les supplications que Nous adressons au prince des pasteurs, en redisant le souhait et la prière qui terminaient le discours prononcé dans la dernière session du concile de Trente : « Faites, Seigneur Dieu, que ce que vous avez promis autrefois se réalise en nos jours, à savoir, qu'il n'y ait plus qu'un seul troupeau et un seul pasteur. »

En attendant, Nous exprimons d'un coeur paternel le désir et le voeu que les prochaines solennités se déroulent, sous l'inspiration et avec l'aide de 'la divine grâce, de la plus heureuse façon et produisent des fruits abondants.

Comme gage de cette grâce, et en témoignage de Notre grande bienveillance, Nous vous accordons à vous, Vénérable Frère, à tout le clergé et à tout le peuple confié à vos soins, et en particulier à ceux qui sont à la tête du comité directeur des fêtes ou qui en font partie, à tous ceux enfin qui apporteront à ce sujet 'leur appui et leur aide efficace, Nous accordons de tout coeur dans le Seigneur la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1945 - ALLOCUTION A DES DIPLOMATES DES ÉTATS-UNIS