Pie XII 1947 - LA SCIENCE DE LA CHARITÉ DU CHRIST

LETTRE APOSTOLIQUE « VOLVIDOS CINCO ANOS » AUX ÉVÊQUES DU BRÉSIL CONCERNANT LES VOCATIONS SACERDOTALES

(23 avril 1947)

1 D'après le texte portugais des A. A. S., 39, 1947, p. 285.

Voici la lettre adressée par Pie XII, le 23 avril 1947, aux cardinaux, archevêques, évêques et autres Ordinaires du Brésil, et qui traitent de l'important problème des vocations ecclésiastiques dans leur pays.

Cinq ans après le message que Nous vous adressions à l'occasion de votre Congrès eucharistique, Nous venons de nouveau à vous Vénérables Frères, mû par la même sollicitude universelle sollicitudo omnium Ecclesiarum (2Co 11,28) qui Nous poussa alors à prendre part à cette extraordinaire manifestation de foi. Pendant que tout le monde brûlait dans la fureur d'une guerre sans pareille, vous vous réunissiez autour de l'Hostie sacro-sainte, parmi les splendeurs d'un des plus mémorables congrès eucharistiques célébrés dans cette très noble nation, pour puiser la vie et la paix que le monde ne peut donner, mais qui provient du Coeur eucharistique de Jésus. Spirituellement présent à cette fête mémorable, Nous Nous adressions à vous par la radio, Nous réjouissant paternellement avec vous et, rappelant la recommandation de l'Apôtre videte vocationem vestram (1Co 1,26), Nous faisions un chaleureux appel à la vocation spéciale de votre grande patrie dans le concert des grandes nations catholiques et Nous vous disions Notre satisfaction de savoir qu'une des fins du congrès avait été l'étude et la solution pratique de l'urgent problème des vocations sacerdotales au Brésil.2


2 Radiomessage du 7 septembre 1942 ; A. A. S., 34, 1942, p. 265 et suiv.

Aujourd'hui Nous Nous réjouissons de nouveau avec vous, Vénérables Frères, en constatant les immenses travaux réalisés en faveur des séminaires brésiliens et de la cause des vocations en plusieurs diocèses. Nous Nous réjouissons avec vous pour les magnifiques efforts de tant de très dévots pasteurs qui, au prix de pénibles sacrifices, maintiennent leurs séminaires florissants par les progrès de leurs maîtres et par la vigoureuse et saine formation des lévites, séminaires qui ont déjà produit des fruits excellents pour l'Eglise de Dieu.

Le Saint-Père désire la fondation de nouveaux séminaires ou séminaires préparatoires en chaque diocèse ou prélature.

Néanmoins, comme dans une affaire d'une si grande importance nous ne faisons jamais trop et qu'il est nécessaire d'aller toujours de l'avant sans s'arrêter, Nous désirons qu'on cultive intensément les vocations ecclésiastiques pour doter chaque jour davantage les séminaires du Brésil de jeunes gens nombreux et choisis. Le même développement extraordinaire de votre immense pays et l'augmentation continuelle de la population eux-mêmes Nous font penser spontanément à la nécessité de multiplier le nombre des ouvriers du Seigneur, afin qu'en tout lieu et en tout temps on puisse satisfaire les exigences spirituelles des fidèles. Le choix et la formation des prêtres est « la plus grave entre les graves responsabilités qui pèsent sur Nous » 3, aussi vous comprendrez facilement, Vénérables Frères, le très vif désir que Nous avons qu'on puisse recruter et élever de la manière qui convient le plus grand nombre possible de séminaristes afin d'assurer au Brésil dans un avenir proche un nombre suffisant de bons prêtres. Laissez-Nous répéter aujourd'hui ce que, étant encore cardinal, Nous disions à l'OEuvre des vocations sacerdotales de Rome: « L'Eglise a besoin de prêtres... Oh ! à combien de jeunes, à combien d'esprits hésitants, à combien d'âmes angoissées, à combien de coeurs désireux d'une plus grande vertu, à combien de malheureux qui luttent avec les plus tristes misères physiques et morales sans connaître le baume de la résignation, le prêtre fait défaut... ».4

3 Lettre apostolique à l'Episcopat des Iles Philippines, du 18 janvier 1939 ; A. A. S., 34, 1942, p. 254.
4 Discours prononcé dans l'église de la Trinité des Monts, à Rome, le 31 janvier 1932 (Poliglotta Vaticana, 1944), pp. 18 et 20.

Et comme il est nécessaire que les vocations rencontrent pour leurs protection et développement une ambiance propice, Nous désirons ardemment qu'on réunisse tous les efforts pour la fondation prochaine de nouveaux séminaires là où ils n'existent pas encore et pour l'agrandissement de ceux qui existent déjà heureusement, les proportionnant à l'étendue et à la population des régions pleines d'espérance où ils sont situés. Sans posséder son propre séminaire il Nous semble très difficile que chaque diocèse ou prélature puisse avoir demain un clergé diocésain fixé dans la région et entièrement consacré à l'église locale. C'est pour cette raison, sans doute, que tous les Souverains Pontifes, depuis le concile de Trente, ont tant insisté sur la fondation des séminaires en chaque diocèse.5 Si dans les circonstances actuelles il n'était pas possible de créer dans les diocèses ou prélatures un séminaire complet, on devrait penser à commencer au moins avec un pré-séminaire ou séminaire préparatoire. Pour petit que soit ce premier cénacle, il doit agir naturellement comme un centre d'attraction, suscitant par sa seule présence l'intérêt et l'affection dans les coeurs des fidèles. Avec le temps, de nouveaux et nombreux petits candidats viendront à lui, demandant une protection providentielle ou une orientation initiale pour l'appel divin qu'ils entendront dans une heure bienheureuse.

5 Cf. Enchiridion Clericorum, N0" 97, 218, 254, 275, 383, 543.


La grandeur de la vocation sacerdotale doit aussi être expliquée aux fidèles par tous les moyens et spécialement par la création de l'OEuvre des vocations sacerdotales.

Mais on peut penser peut-être que le manque douloureux de vocations ne vous permettra pas, Vénérables Frères, de réaliser ce désir si prometteur. En vérité elles ne Nous sont pas inconnues les innombrables difficultés qui, jusqu'à aujourd'hui, ont été un obstacle à une vigoureuse floraison des vocations au Brésil. Ne nous décourageons pas pour cela ; le travail persévérant et organisé doit vaincre tous les obstacles, comme nous le prouve l'abondante moisson de candidats obtenue par le zèle d'intrépides pasteurs et de vigilantes congrégations religieuses dans des régions qui étaient tenues pour ingrates et stériles. Il ne pouvait pas être autrement. Notre Seigneur, qui sait susciter même parmi les pauvres païens des pépinières magnifiques de séminaristes indigènes, ne se soucierait-il pas de veiller paternellement et de prévoir opportunément à ce que les vocations ne diminuent pas dans sa terre de Santa Cruz, qui dès les débuts de sa découverte et durant toute sa glorieuse histoire n'a jamais démenti son titre de nation vraiment chrétienne ? Il est vrai qu'il faut aussi disposer les coeurs à recevoir les influences de la grâce, principalement en faisant connaître aux fidèles la sublime dignité du sacerdoce, en se servant de l'instruction religieuse, des associations religieuses, de l'Action catholique, de la presse, de la radio, afin que les familles estiment la vocation comme un grand don du ciel et une prédilection singulière de Dieu, se considérant heureuse de consacrer au Seigneur quelques-uns de leurs fils. « La vocation est un grand don du ciel qui entre dans la maison ; c'est une fleur épanouie du sang du pays, arrosée par une rosée céleste, exhalant un parfum virginal que la famille offre sur l'autel du Seigneur afin qu'elle se consume toute sa vie en la consacrant à Lui seul et aux âmes ; nulle vie plus belle que celle-ci n'existe en ce monde ».6

L'OEuvre pontificale des vocations sacerdotales que Nous voulûmes Nous-même créer par le Motu proprio Cum nobis du 4 novembre 1941, doit beaucoup aider à ce vaste travail de diffusion pour la cause des vocations. Le développement de cette oeuvre providentielle en chaque diocèse vous sera certainement, Vénérables Frères, d'un secours décisif pour un recrutement abondant de séminaristes et pour l'obtention de meilleurs moyens de subsistance en faveur de vos séminaires agrandis. C'est donc avec une intime consolation que Nous Nous réjouissons avec vous pour l'accroissement que, grâce à Dieu, l'OEuvre pontificale des vocations prend en tant de diocèses, et en même temps Nous espérons qu'elle sera toujours de plus en plus développée et protégée par votre zèle pastoral.

Vous ne devez pas craindre, Vénérables Frères, que le trop grand nombre d'élèves porte quelque préjudice à leur parfaite formation sacerdotale en nos séminaires. Au contraire, ce même nombre élevé de candidats donnera aux supérieurs une facilité plus grande pour faire un choix, première et nécessaire démarche pour une éducation sacerdotale bien comprise.

Discours aux jeunes époux, du 25 mars 1942 (Poliglotta Vaticana, 1946), p. 9.

La formation des séminaristes.

Mais la formation ne se limitera pas à choisir diligemment les candidats. L'obligation d'une « stricte discipline qui doit être observée dans la vie du séminaire et même dans la vie sacerdotale, car une juste sévérité est absolument nécessaire comme préparation et défense de la vie pure et apostolique, spécialement en ces temps de vie molle et excessivement libre » 7 donnera aux lévites cette préparation parfaite et complète de science solide, de vertu éprouvée, de piété profonde que « Dieu exige de ses ministres et que le peuple attend avec raison du prêtre » 8. Formation prudente qui, éloignant du sanctuaire toute sagesse vaine et trompeuse, donne aux futurs ministres de l'Evangile, avec les habitudes d'une rigoureuse orthodoxie, le sens vrai de la doctrine révélée, de la morale et de la spiritualité évangéliques, les fait penser toujours comme l'Eglise, les éloigne de toute nouveauté dangereuse et les sanctifie dans la modestie et la pureté, dans l'obéissance et l'humilité, dans la foi et la piété.

7 Lettre apostolique à l'Episcopat des Iles Philippines, du 18 janvier 1939 ; A. A. S-, XXXIV, 1942, p. 255.
8 Ibid.

Conseils aux jeunes prêtres.

Ici Nous désirons faire un paternel et très affectueux appel aux jeunes prêtres qui, leurs études à peine terminées, se lancent avec enthousiasme dans le travail de la vigne du Seigneur. Nous voulons leur dire que sans doute ils peuvent se servir de tous les moyens modernes d'apostolat, mais qu'il serait une grave erreur de fonder les vraies espérances du ministère sacerdotal dans certaines nouveautés qui ne constituent pas la solution essentielle que nous devons donner aux graves problèmes d'aujourd'hui. Ce ne sera donc point la coupe plus moderne des vêtements, ni certaines libertés d'attitudes et de manières, ni certaine tendance à se conformer à l'esprit du siècle qui doivent promouvoir les succès désirés en apostolat, mais toujours un intense amour pour Jésus-Christ, modèle des prêtres hier, aujourd'hui et demain, uni à une grande charité et compréhension du prochain. Comme saint Paul, il faudra se faire « tout à tous » (1Co 9,22). Foi et pureté, force et sacrifice, dignité et douceur, voilà ce qu'il faut au père. L'esprit profane détonne dans un prêtre et bientôt il se rend pénible à lui-même et aux autres qui ne l'estiment plus et perdent entièrement confiance en lui. Au milieu des laïques, non comme laïque, mais comme maître de l'esprit, le père doit être comme le rayon de soleil qui descend lumineux des hauteurs sur la terre sans devenir terre et sans cesser d'être lumière.

Afin que les séminaires, Vénérables Frères, puissent donner aux lévites ce haut degré de perfection, il ne Nous semble pas superflu de vous répéter les paroles de Notre prédécesseur : « Le séminaire est et doit être le plus grand sujet de vos sollicitudes. Donnez à vos séminaires les meilleurs prêtres et n'hésitez pas à les enlever à d'autres fonctions apparemment plus relevées, mais qui en réalité ne peuvent se comparer avec cette oeuvre capitale et irremplaçable ».9

Invoquant pour la cause des vocations sacerdotales au Brésil le regard complaisant de la Vierge Mère Aparecida, au Coeur immaculé de laquelle vous avez consacré récemment toute votre nation, Nous accordons en toute affection à vous, Vénérables Frères, à vos prêtres, à vos séminaires, à tous ceux qui travaillent à l'OEuvre des vocations sacerdotales, et à votre chère patrie, la Bénédiction apostolique.

9 Lettre encyclique Ad Catholici Sacerdotii, traduction en portugais (Poliglotta Vaticana, 1941), p. 37.

DISCOURS A S. EXC. LE PROFESSEUR ALFRED CARBONELL-DEBALI NOUVEAU MINISTRE DE LA RÉPUBLIQUE DE L'URUGUAY

(23 avril 1947)

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Au cours de l'audience solennelle, en sa qualité de nouveau ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire de l'Uruguay auprès du Saint-Siège, S. Exc. le professeur Alfred Carbonell-Debali dit au Souverain Pontife combien il se sent honoré de lui présenter ses lettres de créance et de succéder ainsi à son illustre prédécesseur, le Dr Joaquin Secco Illa, personne de haute valeur intellectuelle et morale qui a consacré sa vie au service de la patrie et de la religion. A cette adresse d'hommage, Sa Sainteté a répondu par l'allocution suivante prononcée en espagnol :

En présentant solennellement les lettres de créance qui vous accréditent comme envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire, Votre Excellence, en termes débordants d'émotion, a rendu hommage à la mémoire d'une illustre personnalité qui, précisément, au cours des premiers mois de Notre pontificat, avait été envoyée à Rome afin de cimenter sur des bases nouvelles les relations officielles entre le Saint-Siège et la République orientale d'Uruguay.

La présence de cet envoyé dans la cité éternelle fut malheureusement brève et sa récente disparition a été l'occasion d'une douleur qui ne fut pas faible pour ceux qui, comme Nous-même, espérions tant encore de ses magnifiques qualités intellectuelles et des nobles sentiments de son âme pour la prospérité de sa patrie et le bien de l'Eglise de Jésus-Christ.

Aujourd'hui Nous plaçons avec plaisir la confiance et l'estime que votre illustre prédécesseur Nous avait inspirés, en celui qui, en un moment grave de l'histoire, a mérité d'être chargé de la continuation d'une fonction si élevée.

Votre Excellence, avec une fine pénétration, a mis bien en relief la raison fondamentale que le gouvernement de son pays a invoquée devant le parlement pour préciser l'objet important qui était alors poursuivi en envoyant en mission le docteur Joaquin Secco Illa, c'est-à-dire : collaborer avec le centre de la chrétienté dans l'oeuvre qui s'accomplissait pour le maintien de la paix entre les nations et l'éloignement du péril de la guerre qui en ces mois menaçait l'humanité.

Le très digne représentant de l'Uruguay a pu voir de ses propres yeux comment, en ces heures, l'esprit de violence l'emportait sur l'esprit de justice, tandis que la voix du Père de la chrétienté, remplie d'avertissements et de supplications, était étouffée par la soif du pouvoir et par les arrogances d'une idéologie qui, dans son essence, contenait le mépris de toute loi humaine et divine.

Maintenant au contraire, Votre Excellence, en tant qu'envoyé de son pays auprès du Saint-Siège pourra être le témoin d'une période de transition, amère et douloureuse, de l'histoire de cette humanité qui, au prix de pénibles efforts et en combattant des obstacles quasi insurmontables, essaye de s'ouvrir un chemin parmi les ruines amoncelées par la guerre pour arriver en vue des premières lueurs d'un avenir plus séduisant.

En sa qualité de profond connaisseur du droit des gens, riche de l'expérience accumulée au cours de nombreuses et importantes conférences internationales et grâce à sa longue pratique des diverses branches du service diplomatique, Votre Excellence, mieux que beaucoup d'autres, peut porter un diagnostic certain sur cette crise grave que traverse le monde d'après-guerre.

Vos rapports étroits avec la vie ecclésiastique et avec les diverses catégories sociales d'un pays comme le vôtre, dont le drapeau est marqué de l'importance et de la nécessité inéluctable du facteur religieux pour la victoire spirituelle contre les maux d'aujourd'hui, Nous assurent de ce que vous avez pleine conscience des prémisses et des conditions qui sont nécessaires à un accroissement confiant et efficace des relations entre l'Eglise et l'Etat dans votre pays.

Précisément cette année se célèbre le premier centenaire de ces relations, unies de manière intime au souvenir d'un de Nos grands prédécesseurs, que la Providence avait mis, dans sa jeunesse, en


MINISTRE DE L'URUGUAY

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contact avec le peuple et la terre uruguayenne et dans le coeur duquel restèrent pour toujours, comme l'écho d'une nostalgie, la bienveillance paternelle et le vif intérêt qu'il témoigna continuellement au développement et au progrès de l'Etat naissant appuyé à la rive gauche de l'imposant estuaire de Plata.

Tout à l'heure, quand Votre Excellence, suivant la vieille tradition, descendra à la Basilique vaticane pour s'agenouiller sur la tombe du premier vicaire de Jésus-Christ, elle pourra voir, avec le portrait de ce pape, le seul qui jusqu'alors arriva à un pontificat aussi long que celui de Pierre, de Pie IX, le grand ami de l'Uruguay qui, peu avant de fermer les yeux à la lumière de ce monde, manifesta son désir d'accueillir la demande du gouvernement provisoire de la République, M. D. Lorenzo Latorre, en faveur de l'érection du diocèse de Montevideo « ut aperte pateat, ce sont les mots de l'auguste pontife, perfecta sacram civilemque potestatem iungi concordia », pour que soit rendue bien claire la concorde qui unit le pouvoir religieux et le pouvoir civil. L'érection put être menée à bonne fin par son glorieux successeur, Léon XIII, dans les premiers mois de son pontificat.

Nous ne mentionnerons pas les multiples et pénibles vicissitudes qui, depuis lors, ont caractérisé les relations entre l'Eglise et l'Etat en Uruguay. Mais Nous voulons en ce moment exprimer en toute clarté, et en souvenir de cette journée automnale au cours de laquelle, au retour du Congrès eucharistique solennel et international de Buenos Aires, Nous avons posé le pied en terre uruguayenne, que, pour ce qui dépend de Nous, Nous ne négligerons aucun moyen pour que se transforme en réalité, dans les circonstances actuelles, cette parfaite concorde entre les deux pouvoirs qui fut profondément désirée dans le coeur de l'immortel Pie IX.

Tous les peuples de la terre, belligérants ou neutres au cours de la dernière guerre, se heurtent aujourd'hui à des problèmes et à des devoirs que les temps révolus ne connurent pas. Dans le domaine politique comme dans le domaine social, économique et spirituel, on enregistre des tensions et des contradictions capables de faire frémir les coeurs même les plus modérés.

Les conférences des hommes d'Etat ne pourront donner la paix au monde fatigué de lutter que si tous, gouvernants et gouvernés, respectent et tiennent compte des principes moraux qui sont la base d'un esprit d'entente sincère.

Mais la conscience de ce sentiment nécessaire de fraternité et son intégration dans les propos et dans les oeuvres ne pourront jamais se séparer de la foi en un Père qui est aux cieux, foi sans laquelle il manquerait la noblesse morale à tout ordre qui tenterait de diriger la société humaine.

L'Etat et les institutions qui tirent résolument toutes ses conséquences de la reconnaissance de ce fait et qui laissent aux croyants la pleine liberté d'appliquer leurs convictions religieuses tout aussi bien dans le domaine politique, social, éducatif et charitable, n'auront rien à perdre, mais en retireront un profit important pour leur constitution interne et pour leur progrès véritable.

L'Amérique latine est encore un continent relativement jeune ; mais précisément dans cette jeunesse elle possède un trésor de promesses pour demain. C'est pour cela que Nous espérons, plein de confiance, que Nos fils d'Uruguay se rendront complètement compte de la gravité des moments actuels et des devoirs spéciaux que cette situation entraîne ; et Nous sommes sûr que, lorsqu'un jour on écrira l'histoire de cette importante période de la vie de l'Uruguay, on pourra certainement y lire l'importance de l'apport que ses fils croyants ont donné au sain progrès et au développement social et moral de leur patrie, se rendant ainsi dignes de la reconnaissance et de la gratitude des générations futures.

C'est avec de tels sincères désirs et tandis que Nous répondons aux voeux fervents de S. Exc. M. le président de la République et que Nous invoquons les meilleures bénédictions du ciel en faveur du bien-aimé peuple uruguayen tout entier, que Nous vous souhaitons cordialement la bienvenue, Monsieur le ministre, et vous garantissons que, dans l'exercice de votre importante mission, vous trouverez toujours auprès de Nous l'appui le plus large et le plus bienveillant.


DISCOURS A L'OCCASION DE LA BÉATIFICATION DE MARIA GORETTI

(28 avril 1947) 1

A l'occasion de la béatification de Maria Goretti, le Saint-Père, s'adressant aux nombreux pèlerins 2 réunis en la Ville éternelle expliqua le fondement de l'héroïsme de la bienheureuse martyre et les enseignements que sa pureté et sa force admirables donnent aux générations contemporaines.

1 D'après le texte italien des A. A. S., 39, 1947, p. 352.
2 Avec celle de plusieurs hautes personnalités ecclésiastiques, on a noté la présence de la mère de la bienheureuse, Mme Assunta Goretti ; du frère de Maria, Mariano, accompagné de sa femme et ses trois enfants ; de ses deux soeurs, Ersilia avec son mari et ses deux enfants, et Teresa, maintenant religieuse Franciscaine Missionnaire de Marie et portant le nom de Soeur Sant'Alfredo ; ainsi que du syndic de Corinaldo, M. Domenico Cacciani.


Avec une vive émotion, Nous avons adressé hier Nos prières à la nouvelle bienheureuse, et avec une joie paternelle Nous vous saluons, chers fils et chères filles, qui vous sentez unis à Maria Goretti : vous ses parents, vous ses concitoyens, et d'une façon générale, vous qui, par vos occupations, vos conditions de vie et surtout votre foi religieuse, lui ressemblez. La journée d'hier fut votre fête, la fête du peuple chrétien.

Sa béatification, fête du peuple chrétien.

Ce fut la fête des adolescents qui sont fiers de l'exaltation d'une fille de leur âge et qui trouvent, dans son exemple, des stimulants à la piété et au courage.

Ce fut la fête des âmes pieuses et généreuses pour qui la foi catholique est un « trésor caché » (Cf. Matth. Mt 13,14), le bien suprême. La bienheureuse Maria Goretti est une fleur merveilleuse de cette foi courageuse.

Ce fut la fête des âmes douces et pacifiques qui gagnent leur pain par leur dur travail : confiantes dans la Providence, elles portent leur croix tout au long de leur vie terrestre, jusqu'à ce que le Seigneur vienne l'ôter de leurs épaules au seuil de l'éternité. Le grand public pense peu à ces âmes et n'en parle pas : ce sont elles pourtant qui, à travers les ouragans du temps, sauvent le peuple et la patrie. Parmi elles, il faut ranger le père honnête et laborieux et la pieuse mère de Maria Goretti ; à celle-ci, qui est au milieu de vous, vont en particulier Nos voeux et Notre joie de ce qu'elle ait pu voir encore en vie, sa fille élevée à la gloire des autels.

Ce fut la fête de la famille chrétienne. Maria Goretti qui devait, à douze ans, laisser cette terre, est le fruit mûr du foyer familial où l'on prie, où l'on élève les enfants dans la crainte de Dieu, dans l'obéissance filiale, dans l'amour de la vérité, dans la pudeur et l'intégrité ; où ceux-ci sont habitués, dès leur tendre enfance, à se contenter de peu, à aider leurs parents ; où les conditions naturelles de vie et l'atmosphère religieuse qui les entourent coopèrent puissamment à les faire grandir dans la grâce du Christ.

O antique et simple méthode d'éducation, qu'aucune autre ne peut remplacer ! Ceux qui malheureusement l'abandonnent font tarir le bien-être et le bonheur des familles. O bienheureuse, prie Dieu pour que ces biens auxquels toi-même tu dois tout soient conservés à la jeunesse et au peuple.


Inès et Maria Goretti.

La figure et l'histoire de Marie Goretti ont rappelé une autre histoire et une autre figure : celle d'Agnès. Le visage de la martyre romaine et celui de l'enfant de Corinaldo resplendissent du même enchantement, les coeurs de l'une et de l'autre répandent le même parfum. N'y aurait-il pas peut-être à craindre que ceux qui, d'une façon littéraire et artistique, parlent de la grâce et de la candeur de ces deux enfants, ne laissent dans l'ombre leur vertu caractéristique qui est la force chrétienne ? Force de la vierge, force de la martyre. Force qui est sauvegarde et fruit de la virginité.

Il en est qui regardent la virginité comme un effet de l'ignorance ou de la naïveté de petites âmes sans passion, sans expérience ; ils leur accordent un souvenir de compassion. Combien grande est leur erreur.

Celui qui s'est rendu à l'ennemi ne peut s'imaginer quelle force il faut pour dominer pendant la vie et sans défaillance les troubles

des sens et du coeur qui, fruit du péché originel, fermentent dans la nature humaine à partir de l'adolescence ; pour résister, sans céder aux mille petites curiosités de voir, d'écouter, de goûter, de sentir, qui font approcher les lèvres du calice enivrant et qui font respirer le fatal parfum qui émane de la fleur du mal ; pour se mouvoir à travers les turpitudes du monde avec une fermeté d'âme supérieure à toutes les tentatives, à toutes les menaces, à tous les regards de séduction et de raillerie.

Non ! Agnès dans le gouffre de la société païenne, Louis de Gon-zague dans les cours licencieuses de la Renaissance, Maria Goretti dans le voisinage de personnes sans honte, n'étaient ni ignorants, ni insensibles, mais courageux. Courageux de cette force surnaturelle dont tous les chrétiens ont reçu la semence au baptême et qui, grâce à une éducation diligente et continuelle, avec la collaboration affectueuse des parents et des enfants, porte des fruits multiples de vertus.

Telle fut Maria Goretti. Dans l'humble cercle des personnes au milieu desquelles elle grandissait, son éducation fut simple, mais soignée, et sa correspondance à cette éducation ne fut pas moins parfaite. Quel témoignage sa mère n'en a-t-elle pas donné quand elle a affirmé que son enfant ne lui avait jamais apporté volontairement le plus petit déplaisir ? Et qui pourrait lire, sans émotion, la déposition du meurtrier affirmant qu'il n'avait jamais vu en elle le moindre manquement à la loi de Dieu ?


La force des coeurs purs.

Notre bienheureuse fut une courageuse. Elle savait et comprenait, et précisément pour cela, elle préféra mourir. Elle n'avait pas encore douze ans quand elle mourut martyre. Mais quelle perspicacité, quelle prudence, quelle énergie montra cette enfant qui, consciente du danger, veillait jour et nuit pour la défense de son intégrité, s'efforçait de ne jamais rester seule et recommandait constamment à la Vierge des vierges le lis de sa pureté ! Non ! ce n'était pas une âme faible, c'était une héroïne qui, sous les coups de poignard de son meurtrier, ne pensait pas à la souffrance mais à la laideur du péché et résolument le repoussait.

Grâce à Dieu, elles sont encore nombreuses, plus nombreuses qu'on ne le suppose et qu'on ne le dit parce qu'elles n'étalent pas leur sérieux et leur vertu comme les autres étalent leur légèreté et leurs désordres, ces jeunes filles qui, éduquées par des parents chrétiens, passent sereines et joyeuses mais modestes dans les rues de nos cités ou les sentiers de nos campagnes pour se rendre là où les appellent les devoirs familiaux, professionnels, scolaires, charitables ; elles savent faire aimer leur grâce souriante mais en même temps respecter leur inflexible dignité.

Elles sont nombreuses, sans aucun doute (la cérémonie solennelle d'hier Nous en a donné une vision splendide) mais elles seraient plus nombreuses encore s'il y avait de la part des parents plus de bonté avertie et affectueuse, de la part des enfants plus de docilité confiante.

Pour ne pas parler des catastrophes qui précipitent tant de malheureux dans le fond de l'abîme, des drames qui se terminent par une mort sans espérance, des décadences progressives qui vont jusqu'à l'humainement irréparable, combien d'égarements, de transactions, de capitulations ! Vertiges d'un instant que la légende fait peut-être d'abord vaciller mais dont le souvenir ressuscite plus tard, comme des bulles d'air à la surface d'une eau stagnante, avec des remords cuisants dont l'amertume, même après le repentir et le pardon, ne s'adoucit jamais complètement ici-bas.

En face de ces lamentables faiblesses, de ces chutes misérables, admirez la force des coeurs purs. C'est une force mystérieuse qui surpasse les limites humaines et souvent les limites de la vertu chrétienne commune : c'est la force de l'amour pour l'Epoux divin de l'âme qui repousse quiconque ose tenter la fidélité, menacer la pureté de ses sentiments.


L'exemple de Maria Goretti.

C'est ainsi que Nous apparaît Maria Goretti dans sa vie comme dans son martyre. Comment donc ! Pouvons-nous comparer sa vertu à celle d'une Agnès, d'une Cécile, d'une Gertrude, d'une Catherine de Sienne, d'une Thérèse de l'Enfant-Jésus, de tant d'autres qui souvent, avec une héroïque abnégation et avec des oeuvres insignes qui étaient le fruit de leur virginité, ont porté jusqu'à un âge tardif l'anneau nuptial qui les avait unies pour la vie à l'Epoux céleste ? Maria était encore une enfant et rien ne permet d'affirmer avec certitude qu'elle se fût consacrée au Seigneur par le voeu de virginité ; nul ne peut assurer qu'elle n'aurait pas suivi le chemin de tant d'autres jeunes filles qui portent à l'autel la fleur de leur candeur pour donner à Dieu, dans la sainteté du mariage, de nouveaux adorateurs, à l'humanité de nouveaux membres, à l'Eglise de nouveaux fidèles, au ciel de futurs saints. Mais le Christ savait qu'il se l'était choisie et réservée. De sa part et sans penser à l'avenir, elle s'était donnée à Lui de tout son coeur, elle ne voulait pour rien au monde violer la loi de Dieu, elle voulait garder à n'importe quel prix, même celui de sa propre vie, la fidélité au Christ.

Etait-elle seulement une ingénue innocente craignant d'instinct la seule menace du péché, comme la vue d'un serpent (Si 21,2), ou l'hermine qui, selon une antique légende, se laisse tuer plutôt que d'effleurer du pied la boue du chemin ? Etait-elle soutenue seulement par le sentiment naturel de la pudeur ? Non. Petite encore, elle entrevoit déjà l'intensité et la profondeur de son amour pour le divin Rédempteur. Elle ne sait pas encore lire, car la pauvreté et les distances l'empêchent d'aller à l'école. Mais son amour ne connaît ni difficulté, ni éloignement. Elle se met plus courageusement que jamais à expédier les affaires du ménage et elle court au village pour apprendre le catéchisme. Pour recevoir Jésus dans l'Eucharistie, elle ne craint pas de parcourir une longue route en plein été, à jeun, sous le soleil brûlant, sur la route poussiéreuse. « Je ne vois pas l'heure où je pourrai venir demain communier », dit-elle un jour. Et le lendemain vint et aussi la sainte communion. Quelle communion et quel lendemain ! Dans l'après-midi du jour même où elle avait prononcé ces paroles, elle versait son sang pour rester fidèle à l'Epoux des vierges.

Hier la victime de ce meurtre cruel, du 6 juillet 1902, a été élevée aux honneurs des autels. La Providence a voulu donner un. modèle, une protectrice et une intercession aux jeunes filles, spécialement aux jeunes filles de l'Action catholique, aux groupes des filles de Marie et à toutes celles qui se sont consacrées à la Vierge Immaculée. Elle était une des leurs quand elle souffrit une mort cruelle pour la loi de Dieu. A peine avait-elle douze ans et déjà elle montrait dans la vertu chrétienne de la maturité et de la force,, prête à mélanger son sang au sang de l'Agneau.


Dangers que font courir aux jeunes filles et aux femmes d'aujourd'hui les transformations de leur vie.

Cinquante ans ne se sont pas encore écoulés depuis la fin émouvante de Maria Goretti, mais ils sont bouleversés par des transformations radicales dans la vie de la jeune fille et de la femme. En d'autres occasions Nous avons déjà amplement montré comment, en ce demi-siècle, le monde féminin, d'une vie réservée et retirée, a été: lancé dans tous les champs de la vie publique et jusque dans le service militaire. Ce processus s'est déroulé avec une rapidité impitoyable.

Si on ne veut pas que d'aussi profonds et rapides changements déterminent dans la religion et dans les moeurs de la femme les plus graves conséquences, on doit avant tout, au même degré et en même temps, renforcer les valeurs intimes et surnaturelles qui ont brillé en notre nouvelle bienheureuse: esprit de foi et de modestie, non seulement comme un sentiment de pudeur naturelle et quasi inconsciente, mais comme une vertu chrétienne cultivée avec empressement. Tous ceux à qui tiennent à coeur le bien de l'humanité, le salut temporel et éternel de la femme, ont résolu d'exiger que la moralité publique protège leur bonheur et leur dignité. Quels sont les faits ? Nous ne croyons pas être dans l'erreur si Nous affirmons que jamais peut-être aucune période n'a autant manqué à ses devoirs envers la femme que l'époque actuelle.


Les scandales du monde d'aujourd'hui.

C'est pourquoi monte à Nos lèvres le cri du Sauveur : « Malheur au monde à cause de ses scandales » (Mt 18,7). Malheur à ceux qui corrompent d'une façon consciente et volontaire par le roman, le journal, la revue, le théâtre, le film, la mode inconvenante. Malheur à ces jeunes gens légers qui portent comme une blessure fine et légère l'infection morale dans un coeur encore vierge. Malheur à ces pères et mères qui, par manque d'énergie et de prudence, cèdent aux caprices de leurs fils et filles, renoncent à l'autorité paternelle et maternelle qui est sur le front de l'homme et de la femme comme le miroir de la majesté divine. Mais malheur aussi à tant de chrétiens qui ne le sont que de nom, qui pourraient voir derrière eux se lever des légions de personnes intègres et droites, prêtes à combattre par tous les moyens le scandale. La justice légale punit, et c'est son devoir, le meurtrier d'un enfant. Mais ceux qui ont armé son bras, qui l'ont encouragé, qui avec indifférence ou encore avec un sourire indulgent l'ont laissé faire, quelle justice, quelle législation humaine osera ou pourra les frapper comme ils le méritent ? Et cependant, les vrais, les grands coupables, les voilà ! Sur eux, corrupteurs volontaires et complices inertes, pèse la justice de Dieu !

Aucun pouvoir humain n'aura-t-il donc la force d'émouvoir et de convertir ces coeurs corrompus et corrupteurs, d'ouvrir les yeux et de secouer la torpeur de tant de chrétiens insouciants et timides ? Le sang de la martyre et les larmes du meurtrier repentant et pénitent, unis dans une même prière, feront ce prodige. Nous l'espérons.

Notre espérance n'est pas sans raison. Nous n'hésitons pas à répéter ici les paroles de l'apôtre Paul : « Là où a abondé le péché, surabondera la grâce » (Rm 5,20). Regardez l'Eglise. Grandissent et se serrent les rangs de ceux qui, jeunes encore, croient, prient, s'imposent des renoncements, qui disent « non » à tout ce que Dieu défend, qui disent « oui » à tout ce que Dieu veut, qui n'ont de repos que lorsqu'ils ont ramené au Christ, à sa loi, leurs voisins, leurs compagnons de profession et de travail qui sont éloignés de Dieu. Ils sont Notre réconfort et Notre joie.

Pleins de cette confiance, élevons les regards vers le ciel et contemplons le cortège lumineux de ceux qui ont blanchi leurs robes dans le sang de l'Agneau : ils sont conduits par la Vierge des vierges, le refuge des pécheurs. Invoquons leur intercession, unissons nos humbles prières aux leurs. Qu'ainsi descende sur la terre la pluie abondante de la grâce qui purifie, qui fortifie, en gage de laquelle Nous vous accordons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.


Pie XII 1947 - LA SCIENCE DE LA CHARITÉ DU CHRIST