Pie XII 1946 - ENCYCLIQUE « QUEMADMODUM » SUR LE DEVOIR ACTUEL DE S'OCCUPER PLUS ACTIVEMENT DES ENFANTS INDIGENTS


ALLOCUTION AUX DIPLÔMÉS ET AUX ÉTUDIANTS UNIVERSITAIRES D'ACTION CATHOLIQUE

(7 janvier 1946) 1

Aux lauréats et aux étudiants de l'Université d'Italie, le Saint-Père rappelle la nécessité de la religion pour l'homme cultivé, les bienfaits qu'elle apporte à son travail et à l'exercice de sa profession et leur recommande le sérieux dans leurs études, en même temps que l'esprit d'apostolat dans leur action.

AUX LAURÉATS D'ACTION CATHOLIQUE

Soyez les bienvenus, chers fils de la « section lauréats ou diplômés de l'Action catholique italienne », qui vous êtes rassemblés ces jours-ci en un congrès national pour reprendre avec un nouvel élan votre oeuvre douloureusement interrompue par les vicissitudes de la guerre. Avec un nouvel élan, avons-Nous dit, mais aussi avec une nouvelle et plus puissante efficacité, grâce à votre activité spécialisée, sans préjudice de son unité, selon les diverses professions que vous représentez : maîtres des écoles moyennes, techniciens, juristes, professeurs d'universités, médecins, artistes. Cette division est digne de tout éloge. Comme il est normal, en effet, qu'un même espace, où les hommes vivent habituellement, les unisse en un quartier ou en une municipalité, de même est-il normal que les activités communes, qu'ils exercent d'une manière durable au service des multiples besoins de la société, les unissent pareillement. L'histoire n'est-elle pas là pour attester que les unions professionnelles, sous des formes et des noms divers, ont produit des résultats précieux pour le bien de la société

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. VÏI, p. 327 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 52. Les titres sont ceux du texte original.

comme dans l'intérêt de chacun de ses membres ? Ce fut, ce sera d'autant plus le cas lorsque ces unions reposent sur le fondement le plus profond et le plus solide de la vie et tendent à la fin la plus haute, selon l'enseignement de la foi catholique.

Dangers de la culture sans religion.

Tous, cependant, ne reconnaissent pas cette vérité et cette expérience ; bien plus, ils ne sont pas rares, aujourd'hui, ceux qui les rejettent systématiquement. Ils veulent que la culture soit complètement séparée de la religion et que les professions elles-mêmes soient pleinement indépendantes de tout principe surnaturel. Le prestige éblouissant des progrès matériels, obtenus dans presque tous les domaines, surtout depuis un siècle, a contribué à répandre ces funestes préjugés. On a même prétendu soutenir que la foi chrétienne, du fait qu'elle élève l'idéal de la vie humaine auJdelà et au-dessus de ce monde fini, alanguit toute énergie au travail, prive le travail lui-même de toute ardeur et de toute joie, et enlève aux différentes professions toute valeur intrinsèque propre et toute noblesse.

Néanmoins, depuis longtemps déjà et dès avant la première guerre mondiale, quiconque savait écouter attentivement le monde du travail qui cherchait consciemment à se détacher de plus en plus de la religion, pouvait percevoir dans le concert bruyant d'un optimisme affecté des notes discordantes et de profonds gémissements.

Le travail, occupation sans âme.

L'énergie au travail, qu'on avait tant vantée, dégénéra de plus en plus en précipitation et en agitation fébrile de l'homme qui ne connaît plus la paix. Et comment aurait-il pu la connaître, séparé qu'il était de la fin dernière vraie et suprême de toute action, Dieu ? Dieu qui, éternelle opération dans un repos absolu et éternel, peut seul, par conséquent, communiquer à chaque instant à sa créature l'incessante et indéfectible énergie dans le calme d'une paix imperturbable.

Le plaisir au travail, jadis tant vanté, se transforma de plus en plus en la plainte amère d'une occupation sans âme, presque mécanique, plus ou moins forcée, dans la fastidieuse monotonie de journées toujours égales, dans la répétition de gestes sans pensée et toujours uniformes. Et comment aurait-il pu en être autrement, puisque manquait le principe de toute grandeur, de toute beauté et de toute joie, Dieu ? Dieu, infinie grandeur, infinie beauté et infini bonheur. Dieu qui, précisément pour cette raison, peut seul rendre grand notre plus humble travail, beau notre plus austère devoir, joyeux notre plus dur labeur.

Enfin, la valeur intrinsèque de chaque profession, qu'on avait voulu dissocier de tout lien avec la fin dernière de l'homme et qu'on avait exaltée comme une nouvelle découverte, s'écroula, elle aussi. Pourquoi ? Parce que la marche du temps, les progrès de la science et de l'expérience, en reniant tout fondement métaphysique et en soulevant, par ailleurs, sans cesse des problèmes nouveaux, repoussaient dans l'ombre toujours plus épaisse du mystère toute réponse satisfaisante aux questions vitales : d'où venons-nous ? et où allons-nous ?

Faute d'un lien central qui les unît et les coordonnât dans leur champ d'action, les diverses professions, devenues leurs propres fins à elles-mêmes, restèrent sans liaison réciproque ; elles perdirent leur dignité, leur beauté et leur signification intime, car on avait oublié la valeur totale et suprême de la vie humaine, qui vivifie et unit tout, c'est-à-dire la ressemblance la plus parfaite à Dieu, le bien le plus élevé, et, par là, la source et l'unité de toutes les autres valeurs.

Nous trouvons une triste confirmation de la réalité de ce tableau d'une culture purement laïque dans le fait que beaucoup d'hommes ne voient plus et ne trouvent plus dans l'exercice de leur profession, de leur travail ordinaire, le centre de leur intérêt et comme le foyer de leur vie terrestre, mais dans leurs heures de liberté sont toujours en quête de distractions, de diversions et de passe-temps. Ainsi, le monde moderne est plein de ces hommes ennuyés, sceptiques, partagés entre deux vies incohérentes.

La cathédrale, symbole d'une civdisation humaine et chrétienne.

Tout autres étaient nos pères ; par leur foi, leur espérance et leur charité, ils plaçaient leur but dans l'au-delà et, partant, ils élevaient jusqu'au ciel les flèches de leurs cathédrales et faisaient monter bien haut les voûtes de leurs temples ; en même temps, ils vivaient néanmoins vraiment sur cette terre une vie d'ordinaire plus tranquille, plus solide, plus persévérante, plus énergique et même plus joyeuse ; ils travaillaient de leur esprit et de leurs bras et, malgré leurs souffrances, ils étaient en ce monde généralement plus heureux que tant de nos contemporains, fils d'une civilisation bien plus riche en temps normal de toutes les commodités de la vie, mais incomparablement plus pauvre, parce qu'éloignée de Dieu, et parce que les exigences et les aspirations de bien-être croissent plus rapidement que les moyens de les satisfaire. En cette civilisation, au-dessus des fabriques gigantesques, des immeubles orgueilleux des banques, des grands magasins, des riches bibliothèques, des vastes cliniques, des somptueux théâtres, des champs de sport spacieux, on ne voit point s'élever la cathédrale moderne, comme symbole de l'irremplaçable et indispensable valeur de la vie humaine. On comprend alors pourquoi, même chez ceux qui vivent parmi ces grandeurs, on rencontre à chaque pas tant de tristesse, d'indolence, de mécontentement, d'esprit superficiel et de légèreté.

sens chrétien de la profession.

Grâce au ciel, vous avez une tout autre idée de votre profession. Si le Père céleste, sans qui, d'après la Sainte Ecriture, aucun passereau ne tombe sur terre, a compté jusqu'aux cheveux de votre tête (cf. Matth. Mt 10,29-30), avec quelle sage et aimante Providence ne dirigera-t-il pas les moindres événements qui touchent la destinée de l'homme ! Sans doute, sauf les cas tout à fait extraordinaires, il n'appelle pas directement à une profession déterminée. Mais, dans le jeu des circonstances extérieures indépendantes de sa volonté propre, l'homme doit reconnaître le doigt de Dieu qui lui indique dans quelle direction il doit conduire son choix. Dans les inclinations et les aptitudes naturelles qu'il a reçues de Dieu et qu'un examen sérieux lui fait découvrir en soi-même, un jeune homme sage voit aussi un autre signe de la volonté divine pour son choix.

Alors, il est sûr que la voie sur laquelle il chemine est un sentier qui vient de Dieu et qui le conduit à Dieu. Alors, il est sûr que, membre mystique du Christ par sa filiation divine, il peut faire précisément par son activité professionnelle les plus heureux progrès dans l'oeuvre de sa perfection et de sa sanctification, et il ressemble au serviteur bon et fidèle qui, interprétant la volonté de son maître, lui apporte, avec les talents confiés, les fruits qu'il en a lui-même retirés. Alors, il est sûr de faire toujours et partout dans sa profession une oeuvre de Dieu, oeuvre qui exige, il est vrai, constamment et au plus haut degré, le sens de la responsabilité, le souci de la préparation et du perfectionnement, mais qui donne en compensation la joie, la joie du travail lui-même, la joie dans 'le succès, la joie du fruit, dont profiteront le prochain et la société, et enfin la tranquillité de la conscience et la paix du coeur dans les inévitables malheurs et contrariétés de la vie, car il est persuadé que rien m'est inutile de ce qui a été fait pour Dieu.

Soyez donc intimement unis dans cet esprit, chers fils, qui exercez la même profession. Alors vous constituerez, même dans la diversité de vos groupements professionnels, des plus élevés aux plus humbles, des travailleurs intellectuels aux manoeuvres, une ample et solide unité, l'unité dans la louange de Dieu par la profession et par le travail, l'unité dans votre commune ressemblance à Dieu qui, selon le témoignage de l'Ecriture Sainte, est toujours à l'oeuvre (cf. Jean, Jn 5,17). Alors s'accomplira en vous et en vos familles la prière de l'Eglise : Sit splendor Domini, Dei nostri super nos, et opera manuum nostrarum dirige super nos, et opus manuus nostrarum dirige 2.


AUX UNIVERSITAIRES D'ACTION CATHOLIQUE

Et maintenant, pour leur adresser les mêmes exhortations paternelles, Nous Nous tournons vers la troupe nombreuse et vaillante des jeunes étudiants et étudiantes que Nous sommes heureux de voir et de saluer, également rassemblés autour de Nous.

Une vive émotion Nous serre le coeur, chers fils et filles, à la pensée de ce qu'aurait dû être et de ce qu'a été jusqu'ici au moins pour nombre d'entre vous, votre vie d'étudiants d'universités. Nous vous l'aurions souhaitée intense, certes, mais non pas agitée et angoissée, appliquée dans la sécurité et le calme, dans la joie sereine et saine, à une étude sérieuse et profonde. Or, voici que, au contraire, vous avez dû goûter l'amertume d'une guerre brutale, de la dure misère, des discordes politiques. Bien plus, combien d'entre vous, arrachés brusquement aux études et aux travaux qu'ils venaient d'entreprendre, ont été, sans qu'il fût de leur faute, entraînés dans le tourbillon des événements et jetés dans la grande tourmente !

Puisse, du moins, l'année qui vient de commencer ouvrir l'ère de la réconciliation loyale et de la coopération sincère de tous ceux qui, tout en s'étant trouvés peut-être dans des conditions et sur des terrains différents, peuvent sans rougir regarder leur passé et, animés de bonne volonté et d'esprit de dévouement, désirent consacrer leurs services au pays dans l'oeuvre ardue et gigantesque de sa reconstruction.

2 Ordinaire de l'Office divin, à prime ; cf. Ps., LXXXIX, 17,

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DOCUMENTS PONTIFICAUX

La nécessité d'études sérieuses.

Ne vous laissez ni fléchir ni abattre par les tempêtes du temps présent, ni non plus vous écarter du but auquel vous devez tendre maintenant. Poursuivez vos études avec cette largeur de synthèse et cette profondeur de pénétration qui, en développant votre culture générale, vous font acquérir surtout de vastes connaissances dans votre spécialité et vous assurent ainsi une base scientifique solide pour le futur exercice de votre profession. Dans cette conquête intellectuelle, vos années d'université représentent une valeur qui, négligée ou vainement dissipée, ne se laissera plus jamais récupérer à l'avenir.

Mais, n'oubliez pas pour autant qu'avec 'l'étude approfondie des sciences profanes doivent aller de pair le progrès dans la science religieuse et le perfectionnement de la vie intérieure. L'expérience apprend, en effet, que dissociée de la foi en Dieu et séparée de la conduite chrétienne, la science expose au péril de l'atrophie, de la mutilation et de la déviation spirituelles. Il faut donc qu'en ces années précieuses mûrisse en vous l'homme, mais aussi le chrétien ; il faut que s'allume et se ravive en vous l'esprit de prière, de crainte de Dieu, d'amour pour le Christ, de fidélité envers son Eglise ; il faut qu'hommes et femmes de vertu éprouvée, vous puissiez, d'un coeur ouvert, dire au Seigneur : Haereditas mea praescripta tua in aeternum, quia gaudium cordis mei sunt, « ton témoignage est à jamais mon héritage, lui, la joie de mon coeur» (Ps., cxvin, 111). Alors, mais alors seulement, vous serez à même d'apporter le vrai bonheur dans les familles que vous fonderez, de vous faire les soutiens de l'ordre public, hommes et femmes sur qui l'Etat et la patrie pourront construire leur édifice en pleine sécurité.


AUX UNS ET AUX AUTRES. L'HEURE DE L'ÉGLISE

Toujours, dans les temps de graves bouleversements, comme celui dont nous sommes les témoins, a sonné l'heure de l'Eglise, l'heure de tous ses fidèles. Elle sonne aujourd'hui aussi pour vous, lauréats et étudiants d'universités catholiques. Soyez en garde et ayez conscience de votre dignité de chrétiens ! Lors des contacts indispensables avec ceux qui militent dans des camps adverses, ne vous laissez jamais entraîner ou engager en des choses qui blessent l'honneur catholique, et encore moins qui offensent d'une manière quelconque vos inviolables sentiments religieux. Les catholiques possèdent, dans la vérité de

UNIVERSITAIRES D'ACTION CATHOLIQUE

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leur foi, dans les enseignements de l'Eglise, dans leur programme social, une telle richesse de forces positives et constructives qu'ils n'ont pas besoin d'aller les emprunter aux autres. Pour votre patrie, comme d'ailleurs pour toutes les nations et pour toute l'humanité, vaut ce principe que seules une pensée et une volonté fécondées et animées par la foi chrétienne peuvent donner au monde la vraie paix et sauver les indispensables valeurs de la civilisation. Sauver et conserver à l'Italie, à ses familles, à sa population, à son visage visible et spirituel, cette civilisation catholique qui, dans le passé, a été sa richesse et a formé sa gloire, voilà, chers fils et filles, voilà votre mission !

Afin que vous puissiez dignement la remplir, et afin que le Fils de Dieu fait homme vous accorde l'abondance de sa grâce, Nous vous donnons de tout coeur, à chacun et à toutes les personnes qui vous sont chères, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT AUX ÊVÊQUES D'ITALIE

(12 janvier 1946) 1

Vous n'ignorez certainement pas comment le Saint-Père, particulièrement soucieux du sort des classes moins aisées, à plusieurs reprises a béni et encouragé le nouveau mouvement social qui aboutit aux Associations chrétiennes d'ouvriers italiens (ACLI), qui, en se proposant l'élévation économique et morale du peuple ouvrier selon les principes du christianisme, ne font que continuer à suivre une noble et séculaire tradition de l'Eglise catholique.

Conformément aux directives pontificales données au mouvement économique et social, les ACLI « ont seules pour ce qui regarde les intérêts purement économiques la responsabilité de leurs initiatives et de leurs actes » 2. Toutefois elles ne peuvent agir dans une indépendance absolue de la hiérarchie ecclésiastique, en raison de la connexion nécessaire de l'économie avec la morale et par suite avec la religion.

De fait, le Saint-Siège a décidé, comme on le sait, que les ACLI seraient assistées de prêtres chargés de veiller à ce que ces associations s'inspirent en tout des principes du christianisme et des enseignements de l'Eglise et, en outre, de pourvoir à la formation religieuse et morale des associés.

Pour ces raisons, le Saint-Père désire vivement que le clergé dans les circonstances actuelles, tout en continuant à assurer son assistance assidue et fructueuse à l'Action catholique proprement dite, ne néglige pas, comme si c'était moins conforme à son ministère, l'assistance et le soutien aux oeuvres d'apostolat nées dernièrement, parmi lesquelles

1 D'après le texte italien communiqué par la Sccrétairerie d'Etat.

2 Lettre Laetus sane, de Pie XI au cardinal Segura y Saenz, du 6 novembre 1931.


ÊVÊQUES D'ITALIE

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occupent une place importante les ACLI, leurs patronats et secrétariats populaires institués pour le service social des ouvriers.

De fait, il est évident que ces oeuvres sociales atteignant le peuple par les voies de la religion et de la charité en même temps que de la justice sociale dont le monde du travail est aujourd'hui assoiffé, peuvent devenir un puissant moyen pour le retour tant désiré des masses ouvrières au Christ. C'est pourquoi le Saint-Père se complaît à les définir « les cellules de l'apostolat chrétien moderne... et un moyen indispensable de l'apostolat » 8.

L'assistance aux oeuvres dont Nous venons de parler requiert du prêtre non seulement prudence vigilante et esprit apostolique, mais aussi des notions adéquates en matière sociale, pardessus tout la connaissance des enseignements de l'Eglise, qui a fixé à l'action sociale des voies sûres et des buts élevés.

Le Souverain Pontife désire répéter aujourd'hui au clergé italien l'exhortation que lui ont déjà adressée quelques-uns de ses prédécesseurs de considérer comme un devoir d'apostolat de s'adonner à l'étude et à l'action sociale et en même temps de prêter aide et assistance au laïcat catholique qui travaille directement dans les associations professionnelles.

Le Saint-Père ne doute pas que Votre Excellence, bien consciente des nouvelles exigences ainsi que des possibilités nouvelles de l'apostolat sacerdotal, voudra bien donner une suite efficace à ses désirs vénérés. Ces désirs sont d'autant plus compréhensibles à cette heure de crise si vaste et si profonde en laquelle sont en train de naître un nouvel ordre et de nouvelles orientations sociales auxquels ni l'Eglise, maîtresse de vérité et de justice, ni le clergé, missionnaire de paix et de charité, ne peuvent demeurer étrangers.

En encouragement à cette oeuvre de zèle sacerdotal éclairé et en gage de l'assistance divine à qui y consacre ses énergies, Sa Sainteté accorde de coeur à Votre Excellence et à tout son clergé la Bénédiction apostolique.

3 Discours du 11 mars 1945 aux ACLI ; cf. Documents Pontificaux 1945, p. 64.


DISCOURS

AU PATRICIAT ET A LA NOBLESSE DE ROME

(16 janvier 1946) 1

Le discours traditionnel au patriciat et à la noblesse romaine fournit au Saint-Père l'occasion de rappeler le devoir des élites, mais aussi d'exposer sa pensée sur l'élaboration de la nouvelle Constitution de l'Italie.

Les années passées, chers fils et filles, après avoir paternellement accueilli les voeux que votre illustre interprète a coutume de Nous offrir en votre nom en pareille occurrence avec un si profond sentiment et de si nobles expressions de foi et de filiale dévotion, Nous avions l'habitude d'ajouter à Nos remerciements quelques recommandations, suggérées par les circonstances du moment. Nous vous parlions de vos devoirs et de votre rôle dans la société moderne, tourmentée et vacillante ; mais nécessairement, d'une façon quelque peu générale, en face d'un avenir dont il était bien difficile de prévoir avec exactitude l'orientation et l'aspect.

Sans doute, il est encore obscur, aujourd'hui ; l'incertitude persiste et l'horizon demeure chargé de nuages menaçants ; le conflit a à peine cessé, les peuples se trouvent en présence d'une tâche lourde de responsabilités, dont les conséquences pèseront sur le cours des temps et en marqueront les tournants.

Importance des Constitutions politiques à élaborer.

Il s'agit, en effet, non seulement pour l'Italie, mais encore pour bien d'autres nations, d'élaborer leurs Constitutions politiques et sociales, soit pour en créer une entièrement nouvelle, soit pour remanier, retoucher, modifier plus ou moins profondément celles qui les

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. VII, p. 337 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 58.

régissent. Ce qui rend le problème encore plus ardu, c'est que toutes ces Constitutions auront beau être différentes et autonomes, comme . autonomes et différentes sont les nations qui entendent se les donner librement, elles n'en seront pas pour cela (en fait, sinon en droit) moins interdépendantes.

Il s'agit donc d'un événement de la plus haute importance dont l'histoire du monde nous offre rarement le pareil. Il y a de quoi donner des palpitations aux plus hardis, pour peu qu'ils aient conscience de leurs responsabilités ; de quoi troubler les plus clairvoyants, précisément parce qu'ils voient mieux et plus loin que les autres et parce que, convaincus de la gravité de l'entreprise, ils comprennent plus nettement la nécessité de se livrer, dans le calme et dans le recueillement, aux mûres réflexions requises par des travaux d'une si grande portée. Et voici que, tout au contraire, sous la poussée collective et réciproque, l'événement apparaît imminent ; on devra l'affronter prochainement ; il faudra peut-être dans peu de mois trouver les solutions et fixer les règles définitives qui feront sentir leurs effets sur les destinées, non pas d'un seul pays, mais du monde entier et qui, une fois adoptées, établiront sans doute pour longtemps la condition universelle des peuples.

A cette entreprise, en notre ère de démocratie, doivent collaborer tous les membres de la société humaine ; à savoir, d'une part, les législateurs, de quelque nom qu'on les désigne, auxquels il incombe de délibérer et de tirer les conclusions ; d'autre part, le peuple, auquel il appartient de faire valoir sa volonté par la manifestation de son opinion et par son droit de vote. Vous aussi donc — que vous fassiez partie ou non de la future Assemblée constituante — vous avez votre tâche à remplir qui s'exerce à la fois sur les législateurs et sur le peuple. Quelle est cette tâche ?

Conditions d'une Constitution saine et bienfaisante.

Il vous est peut-être arrivé plus d'une fois de rencontrer, en l'église Saint-Ignace, des groupes de pèlerins et de touristes. Vous les avez vus s'arrêter, surpris, dans la vaste nef centrale, le regard fixé sur la voûte où André Pozzo a peint le stupéfiant triomphe du saint dans la mission que lui avait confiée le Christ de transmettre la lumière divine jusqu'aux confins les plus éloignés de la terre. En voyant l'apocalyptique bousculade de personnages et d'architecture qui se heurtaient au-dessus de leurs têtes, ils croyaient tout d'abord au délire d'un fou. Vous les avez alors courtoisement

s conduits vers le centre. A mesure qu'ils s'en approchaient, les pilastres se dressaient verticalement, soutenant les arcs qui montaient dans l'espace, et chacun des visiteurs, se plaçant sur le petit disque circulaire qui indique au sol le point le mieux adapté pour l'oeil, voyait la voûte disparaître à ses regards, pour lui faire contempler avec stupeur dans une admirable perspective toute une vision d'anges et de saints, d'hommes et de démons qui vivent et s'agitent autour du Christ et d'Ignace, centres de cette scène grandiose.

Le monde, lui aussi, pour quiconque le regarde dans sa matérialité complexe, dans sa marche désordonnée, offre souvent l'aspect d'un chaos. Peu à peu, les beaux plans des plus habiles constructeurs s'écroulent et font croire à d'irréparables ruines, à l'impossible constitution d'un monde nouveau placé en équilibre sur des bases fermes et stables. Pourquoi ?

Il y a en ce monde une pierre de granit placée par le Christ ; c'est sur cette pierre qu'il faut se placer pour diriger ses regards en haut ; c'est de là que part la restauration de toutes les choses dans le Christ. Le Christ lui-même en a révélé le secret : Quaerite primum regnum Dei et justitiam ejus, et haec omnia adicientur vobis, « cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6,33).

On ne peut donc élaborer la Constitution saine et vitale d'aucune société ou nation si les deux grands pouvoirs, le législateur, dans ses délibérations et décisions, et le peuple, dans l'expression de sa libre opinion comme dans l'exercice de ses attributions électorales, ne s'appuient pas fermement l'un et l'autre sur cette base pour regarder en haut et attirer sur leur pays et sur le monde le règne de Dieu. En va-t-il par hasard ainsi ? Malheureusement, on en est bien loin !

Dans les assemblées délibérantes, comme au sein de la foule, combien de personnes privées d'un constant équilibre moral, courent et mènent les autres à l'aventure, dans les ténèbres, par les voies qui aboutissent à la ruine ! D'autres, se sentant désorientées et égarées, cherchent anxieusement, ou tout au moins désirent vaguement la lumière, un peu de lumière, sans savoir où elle est, sans adhérer à l'unique « vraie Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde » (Jn 1,9). Ils la frôlent à chaque pas, sans jamais la reconnaître.

Même en admettant la compétence des membres de ces assemblées dans les questions d'ordre temporel, politique, économique, administratif, il faut reconnaître qu'un grand nombre d'entre eux sont incomparablement moins versés dans les matières qui regardent l'ordre religieux, la doctrine et la morale chrétiennes, la nature, les droits et la mission de l'Eglise ; au moment de terminer l'édifice, ils s'aperçoivent que rien n'est d'aplomb parce que la clé de voûte manque ou qu'elle n'est pas à sa place.

De son côté, la foule innombrable, anonyme, est prompte à s'agiter de façon désordonnée ; elle s'abandonne aveuglément, passivement, au torrent qui l'entraîne ou au caprice des courants qui la divisent et l'égarent. Une fois devenue le jouet des passions ou des intérêts de ses agitateurs non moins que de ses propres illusions, elle ne sait plus prendre pied sur le rocher et s'y établir pour former un véritable peuple, c'est-à-dire un corps vivant, aux membres et aux organes différenciés suivant leurs formes et leurs fonctions respectives, mais concourant tous ensemble à son activité autonome dans l'ordre et dans l'unité.

Râle et devoir des classes dirigeantes.

Déjà, dans une autre occasion 2, Nous avons parlé des conditions nécessaires pour qu'un peuple soit mûr pour une saine démocratie. Mais qui peut le conduire et l'élever jusqu'à cette maturité ? Assurément, l'Eglise pourrait tirer à ce propos beaucoup d'enseignements du trésor de ses expériences et de sa propre action civilisatrice. Mais votre présence ici Nous suggère une observation particulière. Au témoignage de l'histoire, là où prospère une vraie démocratie, la vie du peuple est comme imprégnée de saines traditions qu'il n'est pas permis de détruire. Or, les représentants de ces traditions sont, avant tout, les classes dirigeantes, c'est-à-dire les groupes d'hommes et de femmes ou les associations qui donnent, comme on dit, le ton au village et à la ville, à la région, au pays tout entier.

D'où, dans tous les pays civilisés, l'existence et l'influence d'institutions éminemment aristocratiques au sens le plus élevé du mot, comme le sont certaines académies de renommée aussi vaste que bien méritée. La noblesse, elle aussi, est de ce nombre ; sans prétendre à aucun privilège ou monopole, elle est ou devrait être une de ces institutions ; une institution traditionnelle, fondée sur la continuité d'une éducation ancestrale. Assurément, dans une société démocratique telle que prétend l'être la société moderne, le simple titre de la naissance ne suffit plus pour obtenir autorité et crédit. Aussi, pour conserver dignement votre condition élevée et votre rang social, plus

2 Cf. radiomessage au monde entier, du 24 décembre 1944 ; Documents Pontificaux 1944, pp. 244 et suiv.

encore pour l'accroître et l'élever, vous devez être vraiment une élite, vous devez remplir les conditions et répondre aux exigences indispensables en l'époque où vous vivez actuellement.

Une élite f Vous pouvez bien l'être. Vous avez derrière vous tout un passé de traditions séculaires qui représentent des valeurs fondamentales pour la vie saine d'un peuple. Parmi ces traditions dont vous êtes justement fiers, vous comptez, en premier lieu, l'esprit religieux, la foi catholique vive et agissante. L'histoire n'a-t-elle donc pas déjà cruellement prouvé que toute société humaine sans base religieuse court fatalement à sa dissolution ou finit dans la terreur ? Emules de vos aïeux, vous devez, en conséquence, resplendir aux yeux du peuple de la lumière de votre vie spirituelle, briller de l'éclat de votre indéfectible fidélité au Christ et à l'Eglise. Parmi ces traditions, comptez également l'honneur inviolé d'une vie conjugale et familiale profondément chrétienne. De tous les pays, au moins ceux de civilisation occidentale, monte le cri d'angoisse du mariage et de la famille, si déchirant qu'il n'est pas possible de ne pas l'entendre. Ici aussi, avec toute votre autorité, mettez-vous à la tête du mouvement de réforme et de restauration du foyer domestique. Parmi ces traditions, comptez, en outre, celle d'être pour le peuple, dans toutes les fonctions de la vie publique auxquelles vous pourriez être appelés, des exemples vivants d'inflexible observance du devoir, des hommes impartiaux et désintéressés qui, dégagés de tout désir désordonné d'ambition ou de lucre, n'acceptent un poste que pour servir la bonne cause, des hommes courageux qui ne soient intimidés ni par la perte de faveurs d'en haut ni par les menaces d'en bas.

Parmi ces mêmes traditions, mettez enfin celle d'un calme et constant attachement à tout ce que l'expérience et l'histoire ont affirmé et consacré; celle d'un esprit inaccessible à l'agitation inquiète, à l'aveugle convoitise ou à la recherche de nouveautés qui caractérisent notre temps, mais en même temps d'un esprit largement ouvert à toutes les nécessités sociales.

Fortement convaincus que seule la doctrine de l'Eglise peut porter efficacement remède aux maux présents, ayez à coeur de lui ouvrir la voie, sans réserves ni méfiances égoïstes, par la parole et par l'action, particulièrement en constituant dans l'administration de vos biens de véritables modèles d'associations aussi bien du point de vue économique que social. Un vrai gentilhomme ne prête jamais son concours à des entreprises qui ne peuvent se maintenir ou prospérer qu'au préjudice du bien commun, au détriment ou par la ruine de personnes de condition modeste. Au contraire, il mettra son amour-propre à être du côté des petits, des faibles, du peuple, de ceux qui, exerçant un métier honnête, gagnent le pain à la sueur de leur front. Ainsi, vous serez réellement une élite ; ainsi, vous accomplirez votre devoir religieux et chrétien ; ainsi, vous servirez noblement Dieu et votre pays.

Puissiez-vous, chers fils et filles, par vos grandes traditions, par le souci de votre progrès et de votre perfection personnelle, humaine et chrétienne, par vos services empressés, par votre charité et la simplicité de vos relations avec toutes les classes sociales, aider le peuple à se maintenir ferme sur le roc fondamental, à chercher le règne de Dieu et sa justice. C'est le voeu que Nous formons pour vous ; c'est la prière que Nous faisons monter, par l'intercession du Coeur immaculé de Marie, vers le Coeur divin du Christ Roi, jusqu'au trône du souverain Seigneur des peuples et des nations. Que sa grâce descende abondante sur vous. Comme gage de cette grâce, Nous vous accordons de tout coeur à vous tous, à vos familles, à toutes les personnes qui vous sont chères, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


Pie XII 1946 - ENCYCLIQUE « QUEMADMODUM » SUR LE DEVOIR ACTUEL DE S'OCCUPER PLUS ACTIVEMENT DES ENFANTS INDIGENTS