Pie XII 1946 - DISCOURS AUX PÈLERINS A L'OCCASION DE LA CANONISATION DE SAINTE FRANÇOISE XAVIER CABRINI


LETTRE AU PRÉSIDENT DES SEMAINES SOCIALES DE FRANCE

(10 juillet 1946)1

Dans cette lettre à M. Charles Flory, président des Semaines sociales de France, le Saint-Père rappelle la signification chrétienne de la communauté, recommande l'esprit communautaire et la formation d'associations corporatives.

C'est un geste bien touchant que vous avez filialement accompli, lors 'de votre dernier voyage à Rome, en déposant entre Nos mains le compte rendu de la Semaine sociale de Toulouse. L'oeuvre que vous repreniez, juste au lendemain de la guerre, n'allait pas sans difficultés ; mais Nous connaissions le zèle et la compétence des catholiques sociaux réunis dans la métropole languedocienne, autour du courageux prélat que Nous eûmes la consolation d'élever à la dignité cardinalice, et Nous constatons aujourd'hui, en feuilletant cet important recueil de vos travaux toulousains, que ne furent pas vains, bien au contraire, les espoirs que Nous mîmes en vous et en vos collègues, qu'il Nous plaît de féliciter et de bénir à nouveau.

Nous voyons dans les travaux de vos nouvelles assises, qui se tiendront cette fois dans la capitale alsacienne, comme le complément et le prolongement de la Semaine sociale de Toulouse, dans un cadre et une atmosphère où puissent s'accomplir les justes réformes sociales et s'épanouir les institutions postulées par un plus grand besoin de vraie liberté.

Le sens chrétien de la communauté nationale.

Vous étudierez donc à cet effet les divers problèmes de la communauté nationale, non pas entendue, comme l'ont voulu certains


SEMAINES SOCIALES DE FRANCE

229

philosophes d'inspiration positiviste et anti-intellectualiste dans le sens d'une collectivité, où les impulsions instinctives et les passions grégaires obscurcissent les caractères rationnels, juridiques et moraux de toute vraie société, mais uniquement pour mieux faire ressortir tout ce qu'un pays — surtout quand il s'agit d'un pays comme la France et d'un peuple tel que la nobilissima Gallorum gens — comporte de légitimes diversités dans son unité nécessaire, de spontanéité aussi et de libre consentement, de don mutuel au sein de cette famille élargie et transcendante qu'est la patrie. Ce terme de communauté, ainsi compris, n'a-t-il pas d'ailleurs une saveur spécifiquement chrétienne, et l'Eglise primitive elle-même ne l'a-t-elle pas consacré ? Comment enfin ne verrait-on pas, dans l'institution divinement fondée par Notre-Seigneur Jésus-Christ, un incomparable exemplaire, dont les sociétés d'ordre humain elles-mêmes ne trouveraient qu'avantage à s'inspirer ? Rien d'étonnant à cela, l'Eglise étant le modèle de toute vie sociale, précisément par le fait qu'elle a sauvé la véritable valeur de la personne humaine de la dégradation où l'avaient reléguée les philosophies et les moeurs païennes et que, dans cette même personne humaine créée à l'image de Dieu, elle reconnaît et défend la racine et la fin de toute vie sociale.

Aux antipodes du collectivisme et de l'étatisme.

Vous ne sauriez trop dégager et affirmer ces grandes vérités qui doivent présider à l'édification du corps social, alors que relèvent la tête des systèmes exacerbés jusqu'aux prétentions totalitaires en tous domaines, sans autre idéal qu'un égoïsme collectif et sans autre expression qu'un étatisme omnipotent, s'asservissant les individus comme des pions sur l'échiquier politique ou des numéros dans les calculs économiques. Il est inadmissible qu'un chrétien, fût-ce en vue de maintenir le contact avec ceux qui sont dans l'erreur, se compromette le moins du monde avec l'erreur elle-même. Ce contact ne manquera pas d'ailleurs de s'établir et de se maintenir entre 'les chrétiens qui usent loyalement et humblement des prérogatives de la vérité et 'les autres qui, loyalement et humblement aussi, cherchent la vérité.

Un esprit communautaire de bon aloi doit donc informer les membres de la collectivité nationale, comme il informe naturellement les membres de cette cellule mère qu'est la famille. C'est à cette condition seulement qu'on y verra prospérer les grands principes de liberté, d'égalité et de fraternité, dont veulent se réclamer les démocraties modernes, mais qui, sous peine des pires contrefaçons, doivent être entendus, cela va sans dire, comme les entendent le droit naturel, la loi évangêlique et la tradition chrétienne, qui en sont à la fois — et eux seuls — les inspirateurs et interprètes authentiques.

Le problème moral de la nationalisation des entreprises.

Cette remarque s'applique, par exemple, au cas particulier qui vous intéresse en ce moment : la nationalisation des entreprises. Nos prédécesseurs et Nous-même avons plus d'une fois touché le côté moral de cette mesure. Or, il est pourtant évident que, au lieu d'atténuer le caractère mécanique de la vie et du travail en commun, cette nationalisation, même quand elle est licite, risque plutôt de l'accentuer encore et que, par conséquent, le profit qu'elle apporte au bénéfice d'une vraie communauté, telle que vous l'entendez, est fort sujet à caution. Nous estimons que l'institution d'associations ou unités corporatives dans toutes les branches de l'économie nationale serait bien plus avantageuse à la fin que vous poursuivez, plus avantageuse en même temps au meilleur rendement des entreprises. En tout cas, cela vaut certainement partout où, jusqu'à présent, la concentration des entreprises et la disparition des petits producteurs autonomes ne jouaient qu'en faveur du capital et non de l'économie sociale. Aucun doute d'ailleurs, que, dans les circonstances actuelles, la forme corporative de la vie sociale, et spécialement de la vie économique, ne favorise pratiquement la doctrine chrétienne concernant la personne, la communauté, le travail et la propriété privée.

Il n'est donc pas indifférent, aujourd'hui moins que jamais, d'inventorier les conditions d'une telle communauté nationale, vivante et forte, non exclusive, certes, ni niveleuse des légitimes autonomies, mais respectueuse de tous les droits et ouverte sur cette communauté plus vaste qu'est l'humanité.

Eloge de l'Alsace.

Strasbourg, où la vie universitaire et catholique a toujours été en honneur et dont la position géographique elle-même n'est pas sans accroître son heureuse influence jusque sur les pays et les peuples que baignent les eaux du Rhin, Strasbourg se prêtera particulièrement bien à cet enseignement de lumière et de paix. Il n'est pas jusqu'à la haute flèche de sa fameuse cathédrale qui ne Nous paraisse, à Cette occasion, comme le point de ralliement de tous les hommes


SEMAINES SOCIALES DE FRANCE

231

de bonne volonté, pour l'élaboration d'une juste et pacifique communauté nationale et internationale.

La Semaine sociale de Strasbourg, sous l'égide d'un évêque en qui revivent la fermeté de caractère et la bonté d'âme du vénéré et regretté Mgr Ruch, contribuera efficacement à remettre à cet égard de l'ordre dans les esprits et de la charité dans les coeurs. L'Alsace, terre de bon sens et de solides vertus, méritait bien de voir ce monument de sagesse chrétienne s'élever de son sol généreux, où confluera, en l'occurrence, une pléiade de professeurs et de techniciens, d'hommes politiques et d'hommes d'oeuvres, auxquels Nous envoyons de tout coeur, ainsi qu'à leurs nombreux et fervents disciples, et pardessus tout à la Commission des Semaines sociales de France et aux membres de la hiérarchie, qui ne ménageront pas sur un si important sujet leurs précieux conseils, comme gage de fécond travail et de surnaturel succès, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A UN GROUPE DE DIRECTEURS, RÉDACTEURS ET ÉDITEURS DES GRANDS ORGANES DE LA PRESSE DES ÉTATS-UNIS

(11 juillet 1946)1

A une délégation de directeurs, rédacteurs et éditeurs de journaux des Etats-Unis, le Saint-Père a rappelé dans son allocution quelle est la juste conception que doivent avoir les journalistes de la liberté dans l'information.

Vous êtes vraiment on ne peut plus bienvenus en Notre Cité du Vatican, éditeurs et rédacteurs d'Amérique, au moment de retourner chez vous après avoir visité les diverses contrées de l'Europe. Bientôt, vous serez rentrés dans votre pays natal, et vous vous efforcerez de faire connaître à l'auditoire considérable de vos lecteurs ce que vous avez vu et appris, pour apprécier les principes et les buts des hommes qui sont en train de façonner les événements et pour en prévoir, dans la mesure du possible, les conséquences. Pour le faire comme il faut, une presse libre est nécessaire.

La liberté peut facilement devenir un mot captieux pour des gens superficiels ou qui ne sont pas sur leurs gardes. Pour un esprit sérieux, pour un homme consciencieux, c'est une condition pleine de responsabilité impressionnante. Les quelques minutes dont Nous disposons ne Nous permettent pas de tenter une analyse de son contenu ; pourtant, il est évident et fondamental d'observer que l'homme, qui a reçu de son Créateur le don de la liberté du choix entre le bien et le mal, n'a pas pour autant le droit de choisir le mal, mais il a le privi-

1 D'après le texte anglais de Discorsi e Radiomessaggi, t. VIII, p. 171 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 154.


PRESSE DES ÉTATS-UNIS 233

lège de choisir librement le bien, et c'est son devoir, et c'est ainsi qu'il mérite la récompense éternelle que Dieu lui destine. La liberté de la presse, comme toute autre liberté, d'action, de parole ou de pensée, a ses limites, elle ne permet pas à l'homme d'imprimer ce qui est mal ou ce qui est connu pour être faux, ou ce qui est calculé pour ronger secrètement et détruire la fibre morale et religieuse des individus, et la paix et l'harmonie des nations. Elle doit préserver l'homme de se laisser enchaîner par des intérêts matériels ou égoïstes, alors qu'il poursuit le propos louable d'exposer la vérité et de soutenir les droits de la justice. Evidemment, le premier postulat d'une telle liberté, est d'avoir accès à la vérité.

Que de fois l'expérience l'a prouvé ! Le bien, à la longue, n'est jamais servi par une altération des faits. Le monde ne sera pas arraché à la fondrière d'inhumaine souffrance et d'injustice où il agonise, tant que le soupçon comme la méfiance et d'ignobles ambitions cacheront la vérité à ceux qui ont un titre à la connaître pour le bien commun de tous. Et les gens du commun ont leurs droits en cette matière. Vous, Messieurs de la presse, vous avez une vocation honorable d'une importance vitale pour la société. En en vivant la dignité et les exigences instantes, vous êtes, vous, bien placés pour exercer une influence, que tous n'apprécient pas entièrement, pour la solution des problèmes complexes et tragiques du monde. Notre voeu sincère et ardent est que vous estimiez toujours hautement cette vocation, et pour cela Nous sommes très heureux d'invoquer les bénédictions de Dieu sur vous et vos chères familles.

RADIOMESSAGE AU CONGRÈS MARIAL NATIONAL DE COLOMBIE, A BOGOTA

(16 juillet 1946)1

1 D'après le texte espagnol des A. A. S., 38, 1946, p. 324 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 258.

Pour le Congrès mariai national de Colombie, le Saint-Père a rappelé la dévotion des Colombiens et des Américains du Sud à la Sainte Vierge et les bienfaits qu'ils en ont recueillis.


A la première aube d'une paix encore incertaine, animés de la plus fervente et filiale dévotion envers la Mère de Dieu, vous êtes enfin parvenus, après quatre années d'attente, à réunir votre congrès mariai national.

La Colombie, terre de la Vierge.

Votre coeur ne pouvait souffrir un plus long délai, car la Colombie, parmi ses nombreux titres de gloire et de noblesse — ce n'est pas en vain qu'elle fut un jour la porte de la foi et de la civilisation — occupe une des premières places parmi les peuples ardemment attachés à Marie. Son sol riche et beau, aussi bien sur les cimes imposantes de ses cordillères que dans les riantes et fécondes terres basses, se présente à nous comme un manteau précieux où brillent, tels des perles et des rubis, les innombrables sanctuaires de la Mère de Dieu : de Notre-Dame de la Pena de Bogota à la Vierge de la Popa de Carthagène ; de la Vierge du Rosaire de Tunja à Notre-Dame de Mongiii ; de la Vierge de La Candelaria de Medillin, à la très chère Notre-Dame de Las Lajas, et, par-dessus toutes ces invocations, comme le soleil parmi les étoiles, Notre-Dame de Chiquinquira, couronnée solennellement lors de votre premier congrès mariai de 1919.

Colombie, terre de la Vierge ! Colombie, jardin mariai ! Ne serait-ce pas là une des causes qui font de votre patrie comme un solide rempart de notre sainte foi sur le continent américain, depuis le temps où, spécialement dans certaines de vos régions, on respire toujours cet air chrétien, sain, pur et profond qui, malheureusement, devient de plus en plus rare dans l'atmosphère viciée de notre siècle ?

La dévotion envers Marie a préservé la foi dans l'Amérique du Sud.

« Grand et incessant fut son souci — a dit Notre immortel prédécesseur Léon XIII, insigne dévot de Marie — de conserver inébranlable la foi catholique parmi la population et de l'y voir fleurir intègre et féconde. » 2 Et ceux qui voudraient approfondir un jour le fait indéniable et admirable de la diffusion et de la conservation de notre sainte foi dans les contrées colonisées par la mère Espagne, devront reconnaître que pour obtenir un tel résultat, l'Esprit-Saint inspira ces héroïques missionnaires qui, d'une main, arboraient la sainte croix et, de l'autre, montraient à ces peuples l'image de Notre-Dame, implantant là le triple amour qui a résisté à tous les ouragans : l'amour de l'Eucharistie, l'amour de la Mère de Dieu, l'amour du Souverain Pontife. « Sous les auspices de Notre-Dame, la Vierge Marie dans le mystère de son Immaculée Conception », fut décrétée l'indépendance absolue par le collège électoral de Cundinamarca ; et c'est également « sous la protection spéciale de la très sainte Vierge Notre-Dame » que fut constitué le Congrès fédératif des provinces unies de la Nouvelle Grenade ; en son nom, vos ancêtres mettaient le pied à l'étrier, le regard fixé sur les cimes qu'ils allaient franchir ; en l'invoquant, les voyageurs se saluaient en se croisant dans un sentier perdu au milieu de la forêt ; par la récitation de trois salutations angéliques, les hommes forts qui vous ont précédés consacraient leur journée ; autour du classique foyer colombien, aussi bien à la ville qu'au village ou dans la hacienda, la fin du jour était invariablement sanctifiée par le saint rosaire, récité à haute voix par le chef de famille, auquel répondaient tous ceux de la maison, parents et domestiques. Quant à vous, réunis à cette heure en Congrès mariai national pour honorer et couronner la Vierge du Carmel, vous proclamez que la Colombie est toujours la Colombie, c'est-à-dire mariale, et, par conséquent, inébranlablement catholique.

2 Encycl. Adiutricem populi christiani ; Acta Leonis XIII, vol. XV, p. 304.

La Vierge du Carmel, patronne des gens de mer, qui, tous les jours, risquent leur vie au gré des vagues et du vent instable ! De Notre poste de pilote de la barque de Pierre, lorsque Nous entendons rugir la tempête et voyons bondir sous Nos yeux la mer en furie qui voudrait engloutir Notre bateau, Nous levons Notre regard serein et confiant vers la Vierge du Carmel — Respice stellam, voca Mariam — et Nous la prions de ne pas Nous abandonner. Et bien que l'enfer ne cesse de Nous assaillir et que la fureur des forces du mal s'accroisse toujours, comptant sur sa puissante protection, jamais Nous ne douterons de la victoire.

La Vierge du Carmel, Reine de la Colombie. Exhortations pontificales.

La Vierge du Carmel, Reine de Colombie ! Promettez-lui solennellement une fidélité absolue à la foi de vos pères, à la doctrine qu'ils proclamèrent fondement de votre patrie, à la religion catholique, apostolique et romaine, « source abondante des bénédictions du ciel », ainsi que l'acclama votre libérateur, le grand Simon Bolivar, en un moment solennel de votre vie nationale. Suppliez la Reine céleste de vous conserver ce qui a toujours été la base du bonheur, du bien-être et de la saine joie de votre peuple : foi vive, pureté des moeurs, sainteté de vie. Demandez-lui qu'elle continue de se montrer Mère de l'humanité — monstra te esse Matrem — car notre pauvre siècle a plus que jamais besoin de son humilité, de sa simplicité et de sa pureté s'il ne veut pas finir par être précipité dans les abîmes de l'orgueil, de la duplicité et de la corruption, vers lesquels il se jette à pas de géant. Priez-la de consoler les nombreux coeurs qui souffrent, car ainsi que l'a dit un de vos poètes, parlant de la Vierge de Las Rocas :

« Elle écoute chacun sans délaisser personne, » Elle sourit à tous, à tous elle donne la joie. » Elle aime le coeur qui souffre, » Elle berce la peine de l'âme qui pleure. » Nous désirons et demandons pour vous la plénitude de la protection et de l'amour maternel de Marie, et surtout sa puissante intercession auprès de son divin Fils. Nous l'invoquons avec ferveur pour Notre digne légat, pour tous Nos très chers Frères dans l'épis-copat et leur zélé clergé ; pour les autorités présentes, pour les congressistes et le peuple colombien tout entier, que Nous bénissons de tout coeur.


ALLOCUTION A UN GROUPE DE SÉNATEURS DES ÉTATS-UNIS

(20 juillet 1946) 1

A un groupe de sénateurs et de représentants du Congrès des Etats-Unis d'Amérique venus examiner en Europe quelques-uns des problèmes les plus urgents de l'après-guerre, le pape a fait dans son allocution le tableau suivant des ravages de la guerre :

C'est un réel plaisir pour Nous de vous souhaiter la bienvenue, Messieurs, membres du Sénat et de la Chambre des représentants des Etats-Unis d'Amérique, engagés maintenant dans l'étude des conflits et des événements qui pèsent sur l'avenir des nations et vous efforçant de les bien guider.

Qu'il est fascinant de prendre place à l'arrière d'un paquebot et d'observer le sillage du navire lorsque sa proue fend la mer ; comme les eaux sont troublées pour quelques instants et comme bientôt on ne peut plus discerner la course du navire « sans pouvoir découvrir la trace de son passage, ni le sillage de sa carène dans les flots » (Sg 5,10).

Vous aussi, vous aurez dans vos voyages traversé de larges étendues, mais hélas î ce sont de larges étendues de destruction. Regardez en arrière comme l'évidence des anciennes destructions de la guerre est profondément gravée sur le sol ; la campagne est dévastée, des ensembles industriels ont été effacés, des quartiers de maisons d'habitation se tiennent debout de façon précaire ou bien gisent par terre en amas d'épaves enchevêtrées ; beaucoup plus désastreux encore, cependant, est le ravage créé dans les vies des hommes par la violence apportée sur le plan social, éducatif, économique et religieux.

Ce spectacle ne peut jamais être oublié, il ne doit pas être enfermé dans une mémoire paresseuse ; bien plutôt dans les circonstances favorables que vous donne votre situation, vous partagerez cette information avec les peuples et les gouvernements, les vôtres et ceux des autres pays. La diffusion de cette connaissance aidera les hommes à réaliser plus pleinement ce que vous comprenez maintenant si bien : l'extension des ravages opérés par la guerre et les difficultés considérables de la reconstruction.

Nous implorons la bénédiction du Dieu tout-puissant sur vous, sur ceux dont la pensée vous est présente, sur tous ceux qui aident leurs compatriotes à se relever de leurs misères.


ALLOCUTION A DE HAUTES PERSONNALITÉS DES ÉTATS-UNIS

(20 juillet 1946)1

Recevant le ministre des Postes et le sous-secrétaire à la guerre pour l'Aviation des Etats-Unis d'Amérique, le Saint-Père, dans son allocution, a recommandé l'importance de la reconstruction spirituelle du monde :

Vous êtes assurément des visiteurs bienvenus dans Notre Etat de la Cité du Vatican, Messieurs, qui cherchez à savoir comment vous pouvez le mieux aider ceux que les ravages de la guerre ont mis à la merci de leurs concitoyens.

Dans ce ministère d'aide, notre Sauveur bien-aimé est notre inspiration et notre guide. Comme il s'est dépensé lui-même à faire le bien ! Avec quelle précision il énumère et avec quelle gentillesse il regarde comme faites à lui-même les oeuvres corporelles de pitié faites au moindre des hommes (Mt 25,35 et ss.). De quelle richesse est la récompense qu'il promet ! Sa vie est une succession de bonnes actions. Sa mort est la plus grande de toutes.

Il a proclamé avec force que les besoins de l'âme sont plus grands que ceux du corps.

La situation physique de multitudes d'hommes est aujourd'hui vraiment pitoyable, mais leur situation spirituelle est de loin encore plus pitoyable. Des milliers implorent les consolations de la religion et dans de nombreux pays trouvent difficilement à se les procurer. Plus dignes de pitié que tous, les enfants qui, faute d'être instruits de leur foi, seront retardés dans leur croissance morale et gauchis dans leurs perspectives d'avenir spirituel. Nulle éducation n'est possible sans l'aide de la religion. Nulle formation n'est complète qui ne

développe pas l'homme tout entier. L'enfant d'aujourd'hui est le citoyen de demain.

Quand donc vous pensez à la reconstruction matérielle et vous le faites d'une manière si digne de louanges, employez vos mains et vos coeurs à assurer définitivement cette reconstruction spirituelle beaucoup plus nécessaire. Alors vous aurez sagement construit pour l'avenir et sur de solides fondations.

Il est au ciel un Dieu bon, Messieurs, qui récompense vos bonnes actions. Qu'il vous bénisse et tous ceux que vous chérissez. Que par-dessus tout il donne une pleine fécondité à vos généreux efforts.


LETTRE AU PRÉSIDENT DES SEMAINES SOCIALES DU CANADA

(27 juillet 1946) 1

Cette lettre au R. P. Archambault, président des Semaines sociales du Canada, rappelle l'importance de l'éducation de la jeunesse et l'enseignement de l'Eglise sur ce point.

Importance de l'éducation de la jeunesse.

Le sujet qu'ont choisi les Semaines sociales du Canada, pour leur XXIIIe session, ne pouvait manquer de retenir Notre paternelle attention, d'autant qu'il n'est rien que Nous ayons davantage à coeur que l'éducation de la jeunesse. Ne sommes-Nous pas, en effet, comme le proclamaient les premiers mots d'une célèbre encyclique de Notre grand prédécesseur Pie XI, « le représentant sur la terre du divin Maître, qui, embrassant tous les hommes... dans l'immensité de son amour, a pourtant voulu témoigner d'une particulière prédilection pour l'enfance... » ?

C'est un problème sur lequel Nous ne Nous lassons pas de Nous pencher et qui, dans ce bouleversement de l'après-guerre, est partout d'une brûlante actualité. Car, pour refaire le monde, pour réédifier la société, ne faut-il pas commencer par les jeunes générations qui seront les hommes de demain ? On ne saurait donc exagérer l'importance de ce problème, et Nous voulons féliciter le Canada catholique, où les ressources religieuses et familiales sont encore, grâce à Dieu, si abondantes, où l'ordre du Créateur : crescite et multiplicamini trouve encore un si large écho, de donner un noble exemple, en concentrant toutes ses sollicitudes et tous ses efforts, comme le fera la Semaine sociale de Saint-Hyacinthe, sur cette question capitale de la jeunesse.

M L'enseignement de l'Eglise à ce sujet.

Il est, à cet égard, tout un ensemble de vérités qui ont fait l'objet, surtout dans ces derniers temps, de l'enseignement approfondi du Saint-Siège. Faut-il rappeler cette charte de l'éducation de la jeunesse, que constitue l'encyclique Divini illius Magistri ? Les positions respectives de l'Eglise, de la famille et de l'Etat s'y trouvent parfaitement délimitées. Il est indispensable, si l'on veut vraiment former une jeunesse, par laquelle s'améliorera l'avenir de la société, de rappeler les droits imprescriptibles et primordiaux de l'Eglise et de la famille en cette matière. L'Etat y a, certes, son rôle important, mais ce n'est pas celui que lui attribue la conception totalitaire du paganisme ancien et moderne. D'où la nécessité de faire triompher partout de justes lois scolaires, impérieusement postulées tant par la morale naturelle et la plus élémentaire justice que par les maximes de l'Evangile et de l'ordre chrétien.

Problèmes qu'elle soulève.

Des problèmes annexes ne laisseront pas de solliciter également votre attention. La jeunesse d'aujourd'hui connaît, dans les dures conditions économiques présentes, des difficultés que le corps social doit l'aider à résoudre, sous peine de la voir entravée dans son développement normal, soit sur le plan éducatif, soit sur le plan professionnel et familial. Enfin, des questions de pédagogie moderne voudront être étudiées, à la lumière des enseignements pontificaux, en relation avec l'évolution des modes de vie et de la technique. Nous pensons en particulier à une organisation des loisirs et à une sage pratique des sports qui, bien comprises, peuvent et doivent être un précieux adjuvant dans la formation de l'homme complet et du parfait chrétien, qui pense et agit selon la raison éclairée par la foi.

C'est assez dire quelle vaste et grave matière s'offrira à vos réflexions et à vos études, matière traitée malheureusement trop souvent dans un esprit délétère et une confusion dévastatrice. Ce dont notre époque, en effet, souffre surtout, c'est de l'affaiblissement de ces vérités et de ces principes sauveurs, dont le psalmiste déplorait déjà qu'ils allassent diminuant parmi les enfants des hommes. Vos prochaines assises sauront leur donner un regain de force, de lumière et d'actualité. Aussi Nous plaît-il de vous encourager dans cette entreprise et de faire des voeux pour son plein succès. Puisse-t-elle être pour tous les catholiques canadiens un point de ralliement, par où leurs moyens d'action, leurs programmes, leurs efforts se trou-


SEMAINES SOCIALES DU CANADA

243

veront coordonnés en vue d'une oeuvre éducatrice, que leur unanimité rendra d'autant plus efficace.

C'est dans cette intention et cette confiance que Nous envoyons au zélé pasteur de l'église de Saint-Hyacinthe et à ses vénérés collègues de l'épiscopat canadien, au président et aux membres de la commission des Semaines sociales du Canada, ainsi qu'aux organisateurs, professeurs et auditeurs de votre XXIIIe session, comme gage des meilleures faveurs célestes, la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX ÉLÈVES DE L'ÉCOLE TECHNIQUE DE POLICE ITALIENNE

(29 juillet 1946) 1

A deux mille élèves de l'Ecole technique de la police italienne, le pape rappelle la valeur du service social de la police et les qualités que doit avoir un policier.

C'est avec une vive satisfaction que Nous vous saluons, réunis ici autour de Nous, chers fils, vous qui, sous la conduite de vos chefs et instructeurs vigilants, vous préparez à la charge et aux fonctions de gardes de la sûreté publique et êtes venus aujourd'hui demander pour votre formation et votre future activité professionnelle une parole d'encouragement et la bénédiction du Père commun de la chrétienté.

La haute valeur du service de police.

Une parole d'encouragement ? Elle monte spontanément à Nos lèvres, quand Nous considérons la haute valeur de votre service dans la carrière à laquelle vous entendez vous consacrer. L'Etat vous assigne la mission de maintenir et de protéger la tranquillité, la sécurité et l'ordre publics, qui sont des éléments essentiels de la vraie paix, et la mission d'en prévenir ou d'en réprimer les transgressions. Mission de confiance, s'il en est, et digne d'une particulière estime ; mais combien plus en un temps comme le nôtre, où elle doit s'accomplir parmi de multiples et incessants dangers d'agitation ! Cependant, sans omettre de vous rappeler les austères responsabilités de votre

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. VIII, p. 189 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 156.


ÉCOLE TECHNIQUE DE POLICE ITALIENNE

245

charge, Nous pourrions bien ajouter que, grâce au ciel, vous trouverez une appréciable compensation dans le caractère du peuple au milieu duquel vous aurez à exercer votre activité. Car, malgré tous les heurts auxquels il est exposé de par sa nature même, malgré toutes les misères et toutes les désillusions dont il est victime, ce peuple, même à l'heure présente, pourvu que lui soient garanties les conditions les plus élémentaires de subsistance et de vie, est, dans sa grande majorité, patient, laborieux, rempli de bonne volonté pour la reconstruction de la patrie.

La police est un service social.

Soyez bien persuadés que votre service est essentiellement un service social. Dans les constitutions politiques modernes, l'ancien sujet est devenu participant de la souveraineté, et c'est pourquoi sa position en face du pouvoir de l'Etat a changé elle aussi. La police de sûreté n'exerce donc plus, au fond, qu'une fonction de protection et d'aide au bénéfice des citoyens et de défense contre les criminels et les perturbateurs de la tranquillité publique. Malgré cela, il peut bien arriver que le gardien de l'ordre et de la discipline (sans lesquels il n'y a pas de véritable liberté) n'obtienne pas toujours et en toute occasion la faveur populaire. Il reste cependant vrai que, aux prises avec toutes les difficultés modernes de la vie, avec les manifestations d'une hypersensibilité inquiète qu'un rien, bien souvent, suffit à exaspérer, votre fonction, entendue et pratiquée avec une intention droite, est, dans la meilleure acception du terme, un service rendu à la société.

Qualités requises pour un policier.

Il s'ensuit qu'une telle charge exige en celui qui doit l'accomplir un remarquable ensemble de qualités : imperturbable constance, domination de vous-mêmes, inaltérable impartialité, compréhension psychologique non seulement du citoyen paisible, mais encore du manifestant ou du délinquant, car vous êtes au service de l'Etat, du bien commun et, par conséquent, de tous également, sans distinction de tendances politiques, de classes sociales ou de relations personnelles. Elle requiert enfin une scrupuleuse incorruptibilité et une fidélité absolue.

Mais rappelez-vous que toutes ces importantes qualités ne peuvent germer et plonger de profondes racines que dans le sol même ou elles pourront puiser une solide et durable vigueur : la foi vive en Dieu, suprême Seigneur des individus et de la société humaine. De cette façon, votre fonction s'élèvera, comme il doit en être de toute autre profession, à la dignité de service de Dieu, et ainsi, en marchant sous sa main toute-puissante, vous sentirez reposer sur vous sa divine protection, en gage de laquelle Nous vous donnons à vous-mêmes, chers fils, ainsi qu'à vos chefs, à vos collègues et à vos familles, avec une paternelle affection, Notre Bénédiction apostolique.


DISCOURS A M. ENRICO DE NICOLA, CHEF PROVISOIRE DE L'ÉTAT ITALIEN

(31 juillet 1946)1

Au chef provisoire de l'Etat italien accompagné de M. de Gasperi, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, et d'une suite importante, venus lui rendre une visite officielle, le pape rappelle l'importance de l'Italie dans l'histoire de l'Europe, les hautes qualités qui sont exigées de ceux qui ont la charge de la reconstruire et l'aide que l'Eglise peut leur apporter. >.

Nous sommes heureux de souhaiter la bienvenue en Notre demeure au plus haut magistrat de l'Etat italien, accompagné de l'honorable et illustre M. le président du Conseil des ministres, ministre secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, et des personnages de sa suite.

En une période de transition, aussi chargée d'événements que l'est la période actuelle, Votre Excellence, en raison de ses eminentes qualités d'intelligence, de science juridique et de dévouement au bien du pays, a été appelée par la confiance de l'Assemblée constituante à une fonction qui la place au centre de profondes transformations.

La place de l'Italie dans l'histoire de l'Europe.

Une nouvelle ère de l'histoire de l'Europe et du monde va surgir. Située entre l'Orient et l'Occident, la nation italienne occupe, aujourd'hui plus que jamais, une position dont les responsabilités croissantes et les dangers ne peuvent échapper à personne ; une position dans laquelle des conceptions politiques et sociales contraires les unes aux autres, s'affrontent, sans qu'il soit donné à l'oeil humain

de prévoir avec certitude sous quelles formes et par quels moyens elles aboutiront à une solution juste et salutaire.

En attendant, le peuple, en proie à de cruelles angoisses, compte que l'oeuvre de ses gouvernants le fera passer d'un présent trouble et obscur à un avenir plus tranquille et plus lumineux.

L'aide nécessaire de Dieu et de l'Eglise.

Celui qui est conscient de la grandeur de cette entreprise et sait en même temps que « si le Seigneur ne bâtit pas la maison, en vain les maçons peinent » (Ps., cxxvi, 1), tourne son regard et son coeur vers l'auteur de tout bien et invoque son aide divine sur le peuple italien et sur ceux qui ont la mission de le redresser et de le tirer d'un état de souffrance et d'abattement pour lui donner une nouvelle dignité et une vigueur renouvelée, dans une paix de vérité et de justice : de cette vérité qui libère de toute erreur de droit et de fait ; de cette justice qui consiste dans le suum cuique tribuere, à donner à chacun son dû. Mais comment la vérité et la justice pourraient-elles pleinement triompher là où l'on ignore la Source suprême de toute vérité et de toute justice, et le nom même de Dieu ?

Cette oeuvre de renaissance et de reconstruction exige une haute vigilance, une sage clairvoyance, une constance virile, un esprit de décision imperturbable pour discerner le vrai et le réel de l'illusoire et du trompeur, les forces bienfaisantes des énergies destructrices, les moyens de salut du poison enivrant, pour éduquer le peuple dont tant de douloureuses désillusions pourraient troubler la sérénité du jugement et pour l'amener à une sûre connaissance de ce qui est utile à son bien ou de ce qui, au contraire, devient tôt ou tard une source de malheur et une cause de préjudice.

C'est à l'Eglise, mère et antique éducatrice des peuples, que revient, en ces périodes historiques, avec son action religieuse et morale, une part importante dans cette oeuvre. Elle s'y consacre avec d'autant plus de ferveur que les besoins du peuple sont plus pressants.

Mais pour l'accomplissement de cette salutaire activité, il est nécessaire que les rapports entre les deux pouvoirs assurent à l'Eglise cette entière liberté de mouvement et d'expansion qu'elle détient de la volonté même de son divin Fondateur.

Nous avons pleine confiance que le peuple italien et ses gouvernants seront toujours conscients des bienfaits qui découlent des Accords de Latran, dont on a reconnu qu'ils sont toujours en vigueur,


Pie XII 1946 - DISCOURS AUX PÈLERINS A L'OCCASION DE LA CANONISATION DE SAINTE FRANÇOISE XAVIER CABRINI