Pie XII 1947 - RADIOMESSAGE AU CONGRÈS INTERNATIONAL DES CONGRÉGATIONS MARIALES, A BARCELONE


DISCOURS A LA JEUNESSE ROMAINE D'ACTION CATHOLIQUE

(8 décembre 1947) 1

La jeunesse catholique de Rome est venue présenter ses hommages au Saint-Père qui lui a répondu par l'allocution suivante :

Grande est Notre joie, en vous accueillant, chers fils, jeunesse catholique de la Rome éternelle, jeunesse de Notre diocèse. Vous voulez être la jeunesse du pape. Eh bien, Nous voulons être le pape de la jeunesse. Jeune et vieux ne se mesurent pas d'après le nombre des années (cf. Sag. Sg 4,8). Est jeune et reste jeune qui croit et a confiance, qui ose et agit.

L'avenir est à la jeunesse, mais à la jeunesse qui aura su le conquérir et le dominer. A plus forte raison, il doit vous appartenir à vous, qui voulez être une milice d'avant-garde de la jeunesse catholique d'Italie, qui voulez marcher au premier rang, quand il s'agit de conserver Dieu à votre chère patrie.

Conscients de votre mission, vous attendez de Nous la consigne. La voici. L'heure présente vous la dicte d'une façon péremptoire, sous forme de triple avertissement : principes clairs, courage personnel, union indissoluble de la religion et de la vie.


PRINCIPES CLAIRS

Nous voyons briller dans vos regards, Nous sentons vibrer dans vos voix l'enthousiasme qui déborde de vos coeurs, pour le Christ, pour l'Eglise, pour la papauté. Mais instable est l'enthousiasme du

sentiment seul, qui s'exhale au souvenir des gloires de la Rome chrétienne ; superflue et éphémère est la ferveur, fruit de l'habitude seule. Si l'on ne veut pas que ce bel enthousiasme se gonfle un jour comme un ballon dans les mains d'un enfant, il faut qu'il provienne d'une conviction claire et forte. Il faut que vous ayez une connaissance raisonnée et profonde de l'objet de votre foi. Il faut que cet objet vous apparaisse dans la splendeur de sa vérité, dans la plénitude de ses exigences. Il faut que vous sachiez pourquoi la doctrine catholique a la raison de son côté.

Ainsi, on ne verra plus au milieu de vous ces jeunes gens inconstants qui, après avoir vécu pieusement les années de l'adolescence, commencent bien vite à douter, à vaciller, peut-être même à se détacher de l'Eglise, uniquement parce que leur pensée est alourdie par des équivoques et par l'ignorance concernant les choses de la foi, parce que leur pauvre bagage en matière religieuse consiste en notions vagues, incomplètes, imprécises qui, avec l'âge, fondent comme la neige au soleil. C'est pourquoi vous devez être capables de rendre compte de vos convictions ; vous devez être des jeunes gens forts, tels des arbres solidement plantés, et non des roseaux agités par le vent (cf. Matth. Mt 11,7), des jeunes gens faibles que chaque difficulté confond et déconcerte.

La science catholique a profondément exploré sous tous les aspects les questions relatives à la religion, à la Rédemption, à l'Eglise. C'est à vous de faire vôtres ses conclusions, ses solutions, ses réponses, afin que votre foi soit en vous vive et féconde. Voilà votre premier devoir.


COURAGE PERSONNEL

Ne vous étonnez pas, chers fils, si en parlant de courage, Nous voulons souligner précisément le mot « personnel ». Former un bloc solide, compact comme le vôtre, animé non de désirs de violence, mais décidé à défendre comme il faut et loyalement les plus hauts et les plus sacrés idéals, est assurément une chose excellente ; les uns soutiennent les autres, mutuellement, fraternellement et, de la sorte, la hardiesse devient même si, dans quelque endroit, à un moment déterminé, par suite de circonstances particulières, vous veniez à vous trouver en minorité, peu nombreux, peut-être même seuls, en face d'adversaires plus nombreux et plus audacieux. Soyez prêts à résister jusqu'au bout, contre tous, dans l'affirmation de la loi divine, dans la défense de la foi et de l'Eglise, faut-il ajouter aujourd'hui aussi dans la défense de l'ordre, du progrès et de la paix sociale, chaque fois que le bien commun requiert votre collaboration ?

Regardez le premier martyr saint Etienne : un contre tous, jusqu'à la fin. Il surpassait, même en intelligence et en sagesse, ses cruels adversaires, qui ne savaient quoi répondre à ses arguments et à ses preuves (cf. Actes, Ac 6,10). Voilà les hommes dont ont besoin l'Eglise et la société. Telle est la seconde de vos consignes. Ecoutez la troisième.

UNION INDISSOLUBLE DE LA RELIGION ET DE LA VIE

Bien souvent, l'Eglise des premiers siècles a été appelée et représentée comme 1'« Eglise des Catacombes », comme si les chrétiens d'alors eussent été habitués à vivre là cachés. Rien de plus inexact : ces métropoles souterraines, destinées principalement à la sépulture des fidèles défunts, ne servirent pas aussi de lieux de refuge sinon parfois aux temps de violentes persécutions. La vie des chrétiens, en ces siècles marqués par le sang, se déroulait dans les rues et dans les maisons, ouvertement. Ils « ne vivaient pas séparés du monde ; ils fréquentaient, comme les autres, le Forum, les bains, les ateliers, les boutiques, les marchés, les places publiques ; ils exerçaient les professions de marins, de soldats, de cultivateurs, de commerçants » 2. Vouloir faire de cette Eglise valeureuse, toujours prête à se tenir sur la brèche, une société d'embusqués, vivant dans des cachettes par honte ou par pusillanimité, serait outrager leur vertu. Ils étaient pleinement conscients de leur devoir de conquérir le monde au Christ, de transformer selon la doctrine et la loi du divin Sauveur la vie privée et publique d'où devait naître une nouvelle civilisation, surgir une autre Rome des tombeaux des deux princes des apôtres. Tel était leur but. Rome et l'Empire romain sont devenus chrétiens.

La mission de l'Eglise et de chacun de ses fidèles est restée toujours la même : ramener au Christ la vie tout entière : sa vie propre, la vie privée, la vie publique ; ne pas donner de trêve avant que sa doctrine et la loi ne l'aient entièrement renouvelée et formée. Il est notre Seigneur, notre Roi, notre Paix (Ep 2,14). Bien mieux, plus sont aujourd'hui violents les efforts de l'incrédulité et de l'irréligion pour écarter le Christ et son Eglise du chemin de l'humanité, plus les rangs de la milice chrétienne, et particulièrement de la jeunesse, doivent se serrer et combattre pour les droits souverains du Christ et la liberté de l'Eglise, dont dépendent non seulement le salut éternel des âmes, mais encore la dignité et le bonheur des hommes sur terre, l'ordre civil, la justice et la paix. Ici toute vivisection est mortelle ; on ne tue pas le chrétien sans supprimer du même coup le citoyen et l'honnête homme. Quand la vie cesse d'être chrétienne, elle est exposée à tomber bien vite dans l'incrédulité et dans la barbarie.

Chers fils, aujourd'hui, nous fêtons le triomphe de l'Immaculée qui de son pied virginal a écrasé la tête du serpent et dont l'Eglise chante la louange : Cunctas hoereses sola interemisti in universo mundo 8. Toi seule, tu as détruit toutes les hérésies, toutes les erreurs, tous les faux systèmes qui promettaient au genre humain de le conduire à la perfection, de l'élever au comble du bonheur et au contraire le précipitèrent dans l'abîme de la corruption et de la ruine. A la protection de cette Vierge pure et forte, Mère de Dieu et notre Mère, Nous vous confions, jeunes catholiques de Rome et avec vous la jeunesse catholique de votre pays et de tous les pays, afin que vous vous rangiez sous son sceptre, que vous luttiez sous son étendard, que vous avanciez sans crainte sous sa conduite. Et elle, le Siège de la sagesse, la Vierge fidèle, le Secours des chrétiens, la Reine de la paix, vous mènera sûrement à la victoire, en gage de laquelle Nous vous donnons, avec une intime et paternelle affection, Notre Bénédiction apostolique.

3 Comm. fest. B. M. V. ad matut., ant. 7.


MOTU PROPRIO « ANIMARUM STUDIO » SUR LE POUVOIR DE CONFESSER AU COURS DES VOYAGES EN AVION

(16 décembre 1947) 1

Etant donné la fréquence des voyages par avion, le Pape a cru pouvoir prendre des mesures pour régler la juridiction des prêtres utilisant ce mode de transport.

Poussé par le zèle des âmes, plusieurs Ordinaires de lieux ont fait connaître à ce Siège apostolique qu'il serait opportun d'étendre aux voyages par avion les prescriptions du canon 883 2 du Code de Droit canonique relatives au pouvoir de confesser accordé aux prêtres qui voyagent sur mer. Sachant parfaitement que les voyages aériens deviennent maintenant chaque jour plus fréquents et voulant ne pas refuser aux fidèles une facilité qui, d'après le désir louable des Ordinaires, doit profiter à la sanctification des âmes, Nous accueillons avec grand plaisir cette supplique et de Notre propre mouvement, de science certaine, et après mûre délibération, de par la plénitude du pouvoir apostolique, Nous décidons et décrétons que ce qui est réglé par le canon 883 du Code de Droit canonique au sujet du pouvoir d'entendre les confessions accordé aux prêtres voyageant par mer, s'applique et soit étendu, cependant avec les clauses convenables, aux prêtres qui font un voyage aérien.

Nous ordonnons que demeurent fermes et valables pour toujours, nonobstant n'importe quelles dispositions contraires, les choses que Nous avons décrétées par ces lettres apostoliques publiées sous forme de Motu proprio. En outre, Nous voulons que ces choses entrent en vigueur aussitôt que ces mêmes présentes lettres apostoliques auront été insérées dans le Bulletin officiel appelé Acta Apostolicae Sedis.


DISCOURS A L'ASSEMBLÉE MUNICIPALE DE ROME

( 17 décembre 1947) 1

Les membres de l'Assemblée municipale de Rome ayant à leur tête leur maire, le professeur Salvatore Rebecchini, étant venus présenter leurs hommages au Pape, êvêque de Rome, enfant illustre de la Cité en même temps que son défenseur, le Saint-Père leur a adressé l'allocution suivante :

Nous vous souhaitons aujourd'hui, illustres Messieurs, la même bienvenue avec laquelle, il y a plus de trois ans, Nous accueillîmes le maire et l'Assemblée municipale qui du Capitole avaient dirigé leurs pas vers cette colline du Vatican, gardienne du sépulcre du Prince des apôtres et où Pierre vit dans ses successeurs.

Sans doute votre office offre à présent sous beaucoup d'aspects des conditions plus favorables qu'alors, l'Italie ayant démontré une fois de plus, dans ces premières années de sa reconstruction, quelles énergies indestructibles vivent dans son peuple.

D'autres circonstances, par contre, rendent votre action plus ardue. En vérité l'espoir que Nous exprimâmes alors de voir tous les citoyens mettre le bien commun au-dessus des divergences d'opinion et de tendances politiques, ne s'est guère réalisé, tandis que les agitations et les tumultes qui ont ébranlé, à des intervalles de temps plus ou moins longs, l'organisme économique et social du peuple italien, loin de soulager ses réels et urgents besoins, n'ont fait que les aggraver.

C'est pour cette raison que le devoir de tout bon citoyen est de coopérer à la défense du bien public contre ces systèmes et ces plans qui ne font qu'accroître d'une manière intolérable les privations et

les difficultés de la vie, irriter les âmes et dissoudre la cohésion de l'Etat ; c'est le devoir de chacun de contribuer selon ses propres forces au travail tranquille dans les entreprises, à l'ordre et à la sécurité publics, à la justice et à la paix sociale.

De vous, illustres Messieurs, Nous croyons pouvoir dire que vous avez pour modèle, pour Nous servir de la parole de Cicéron, cet inspirateur de la patrie, qui vise surtout à l'utilité du peuple : Illum laudant patriae rectorem, qui populi utilitatis magis consulat quam voluntati2 ; parce que, comme le même philosophe et orateur romain l'affirmait, mieux vaut le salut que le caprice, valet enim salus plus quam libido 3. Le salut du peuple, le bien général : telle est l'étoile polaire d'après laquelle vous conduisez le navire de votre administration. Mais le vrai bien du peuple ne pourra jamais être séparé de l'observance de l'immuable loi divine.

Il Nous est donc particulièrement agréable de vous donner, comme un encouragement dans le chemin de la haute charge à laquelle vous avez été élus, une pensée élevée du même grand écrivain romain : maiorem laetitiam ex desiderio bonorum percepimus, quam ex laetitia improborum dolorem 4 : « nous avons reçu plus de joie pour les désirs des bons, que de douleur pour la joie des méchants ». Ce qui est dit du passé vaut pour vous dans le présent. La plus grande partie du peuple de Rome est et sera avec vous si vous savez dans la mesure du possible conserver et redonner à la ville au moins des conditions économiques supportables, l'organisation sûre du travail quotidien et cette dignité que le monde aime tant dans la Rome éternelle et que la chrétienté attend du centre de l'Eglise, spécialement à présent que l'Année Sainte approche.

Nous avons la confiance que Rome — dont son même historien païen put écrire que nulla umquam res publica nec maior nec sanctior nec bonis exemplis ditior fuit 5, grâce à ses très anciennes traditions, à son expérience universelle et à son coeur catholique, saura être en une telle année, non seulement médiatrice d'entente et de pacification entre les peuples, mais aussi exemple de vertu, de paix intérieure et de concorde. Car autrement, comment pourrions-Nous appeler et inviter les fidèles du monde entier à visiter pieusement Notre ville episcopale, ville de Dieu, ville d'un magistère de vérité et de sainteté, si elle donnait encore le spectacle de troubles, de luttes intestines, d'attaques et d'injures publiques restées impunies contre la religion et contre ce même Siège apostolique ?

En attendant, invoquant du ciel les lumières et les secours les plus abondants sur vos oeuvres, Nous vous accordons avec particulière affection, à vous, à vos familles et à toutes les personnes qui vous sont chères, Notre Bénédiction apostolique.


ENCYCLIQUE « OPTATISSIMA PAX » POUR LA PACIFICATION DES CLASSES SOCIALES ET DES PEUPLES

(18 décembre 1947) 1

Par cette troisième lettre encyclique de l'année 1947, le Souverain-Pontife exhorte les fidèles à la prière en vue d'obtenir une harmonie efficace et durable entre les diverses classes sociales et tous les peuples.

L'attente de la paix.

La paix très souhaitable qui devrait être la « tranquillité de l'ordre » 2 et la « tranquille liberté » 3 après les vicissitudes d'une longue guerre, se fait encore attendre, comme tous le remarquent avec tristesse et inquiétude, et tient dans une attente anxieuse les esprits des peuples ; tandis que, par contre, en beaucoup de pays déjà dévastés par le conflit mondial, couverts de ruines et en proie à la misère qui en ont été la conséquence, les classes sociales, agitées par une haine exaspérée les unes envers les autres, occasion de nombreux troubles et tumultes, comme chacun le sait, menacent de fouler aux pieds et de saper les fondements mêmes des Etats.

Devant ce lamentable et douloureux spectacle, Notre âme est assaillie d'une très grande amertume et il Nous semble qu'il rentre dans la charge paternelle et universelle à Nous confiée par Dieu, non seulement d'exhorter tous les peuples à éteindre leurs haines communes et à retrouver l'heureux chemin de la concorde, mais aussi d'inviter avec instance tous les fils que Nous avons dans le

Christ à vouloir bien élever vers le ciel de plus ferventes supplications ; car Nous savons que tout ce qui se fait en dehors de Dieu reste fragile et inefficace, selon ce verset du psalmiste : « Si le Seigneur ne bâtit pas la maison, c'est en vain que travaillent ses architectes ! » (Ps., CXXVI, 1).

Les maux présents.

Très graves, en effet, sont les maux auxquels il est nécessaire de porter remède et le plus rapidement possible : puisque d'un côté, l'économie, par suite des dépenses militaires et des énormes destructions de la guerre, est dans un état de telle incertitude et de tel épuisement qu'elle est souvent tout à fait insuffisante à supporter les charges qui lui incombent et à entreprendre ces travaux urgents permettant d'occuper tant d'ouvriers contraints à chômer malgré eux ; et que, d'un autre côté, malheureusement, ne manquent pas ceux qui exploitent et exaspèrent la misère des prolétaires par une propagande astucieuse et cachée, au point d'arrêter les nobles efforts entrepris pour le relèvement et la récupération dans l'ordre et la justice des richesses dissipées.

Et les moyens d'en sortir.

Mais il faut que tous comprennent que ce n'est pas au milieu des discordes et des troubles ni des luttes fratricides que l'on peut retrouver les biens perdus ou en danger de se perdre, soit des particuliers, soit de l'Etat, mais seulement par une entente effective, une entraide mutuelle et un travail accompli dans la paix.

Ceux qui avec un plan prémédité excitent les foules sans les consulter aux soulèvements, aux émeutes, aux atteintes à la liberté d'autrui ne contribuent sûrement pas à l'adoucissement de la misère du peuple ; mais bien plutôt, du fait qu'ils exacerbent la haine et interrompent les travaux en cours dans les villes, ils l'accroissent fatalement et peuvent même la mener à l'ultime catastrophe. Les luttes des partis, en effet, « furent et seront pour plusieurs peuples une plus grande calamité que les guerres étrangères, la famine ou les épidémies... » 4.

Mais, en même temps, tous doivent comprendre que la crise sociale est si grande à l'heure présente et si redoutable pour l'avenir

* Tite-Live, Hist., 1. IV, ch. 9.


ENCYCLIQUE « OPTATISSIMA PAX »

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qu'elle impose l'urgente nécessité pour chacun et spécialement pour qui possède de plus grands biens, de placer l'utilité commune avant les avantages, les intérêts et les profits particuliers.

En connaître les causes.

D'abord, qu'on se persuade qu'avant toute autre chose il est absolument urgent de pacifier les esprits et de les ramener à s'entendre fraternellement, à s'entraider mutuellement, de façon à pouvoir mettre en pratique ces principes et ces conseils en harmonie avec les enseignements du christianisme et les contingences présentes.

Tous doivent se rappeler que les cruelles épreuves subies par Nous, ces dernières années, sont dues principalement à ce que la divine religion de Jésus-Christ, inspiratrice de réciproque charité entre les citoyens, les peuples et les races, ne régissait plus, comme il le fallait, la vie privée, la vie domestique, la vie publique. Puisque l'on s'est trompé en s'éloignant du Christ, il importe donc de revenir à lui publiquement et individuellement le plus tôt possible ; puisque l'erreur a obnubilé les esprits, il importe de revenir à cette vérité qui, ayant été divinement révélée, indique le chemin conduisant droit au ciel ; puisque la haine, enfin, a produit des fruits de mort, il importe de revenir à l'amour chrétien, qui seul peut guérir tant de plaies mortelles, surmonter tant de crises redoutables et adoucir tant de souffrances amères.

Et prier l'Enfant-Dieu.

Et comme nous approchons de cette si douce fête de la Nativité, qui remet en mémoire l'Enfant Jésus vagissant dans la crèche, et la chorale des anges annonçant aux hommes la paix, Nous jugeons opportun d'exhorter tous les chrétiens, spécialement ceux qui sont encore à la fleur de l'âge, à se rendre nombreux près de la crèche, afin d'y prier le divin Nouveau-Né de vouloir bien écarter les menaces des conflits qui planent sur nos têtes et éteindre les brandons des discordes et des séditions. Qu'il éclaire lui-même de sa céleste lumière les esprits de ceux qui la plupart du temps s'égarent en prenant l'erreur pour la vérité, plus que par une malice perverse ; qu'il réprime et apaise dans les âmes la haine et la vengeance, mette fin aux discordes et fasse revivre en la revigorant la charité chrétienne. Qu'il enseigne à ceux qui jouissent des biens de la fortune une généreuse largesse envers les déshérités ; et à ceux qui souffrent de leur condition modeste et pauvre, qu'il donne la consolation de son exemple et de l'aide d'en-haut, les amenant à désirer surtout les biens célestes de beaucoup les meilleurs qui dureront éternellement.

Nous comptons beaucoup, dans les angoisses présentes, sur les prières des enfants innocents que le divin Rédempteur accueille et favorise d'une façon particulière. Qu'ils élèvent donc vers lui, durant les solennités de Noël, leurs voix candides et leurs petites mains, symbole de leur innocence intérieure, pour implorer la paix, la concorde et la mutuelle charité ! Mais Nous désirons, de plus, qu'à leurs très ardentes prières, ils joignent ces pratiques de piété et de chrétienne générosité qui permettent d'apaiser la divine justice, offensée par tant de crimes et de subvenir selon leurs possibilités aux besoins des indigents.

Nous avons pleine confiance, Vénérables Frères, qu'avec votre habituel dévouement et votre coutumière diligence dont Nous avons tant de preuves, vous ferez en sorte que Nos paternelles exhortations d'aujourd'hui seront mises en pratique pour porter d'heureux fruits, et que tous ceux surtout qui sont dans la fleur de l'âge répondront volontiers et généreusement à Nos invites, que vous ferez vôtres.

Et c'est réconforté par cette douce espérance que, tant à chacun de vous tous qu'au troupeau confié à vos soins, Nous donnons de tout coeur la Bénédiction apostolique, gage de faveurs célestes et témoignage de Notre paternelle bienveillance.


RADIOMESSAGE DE NOËL

(24 décembre 1947) 1

Voici le traditionnel radiomessage de Noël adressé aux peuples du monde entier :

La fête de Noël et le Nouvel an maintenant proches s'annoncent par des signes avertisseurs, indices de l'avenir.

Les voeux traditionnels qui s'échangent en cette occasion et montent au ciel en un nuage d'encens et de prières ne peuvent et ne veulent, malgré l'intime sincérité de l'amour qui les dicte, faire perdre de vue les conditions de l'heure présente dans lesquelles l'Europe et le monde entier se trouvent à un tournant de leur destin, dont la gravité est indubitable, dont le développement vers le bien ou le mal est incalculable, dont les conséquences sont imprévisibles.


LA DÉCEVANTE ANNÉE 1947

Lorsque l'an dernier, en cette même circonstance, Nous adressions Notre message de Noël à tous les catholiques et en même temps à tous les hommes de bon sens et de bonne volonté, à qui serait jamais venue l'idée de prédire à l'humanité, fatiguée de la guerre et affamée de paix, ce qui est aujourd'hui une dure et indéniable réalité ?

Les cloches de Noël continueront à sonner en fête comme depuis des siècles, mais pour beaucoup de coeurs fermés, attristés, troublés, elles sonnent dans le désert, où elles n'éveillent plus aucun écho vivant.

Une autre année d'après-guerre s'est écoulée, chargée de misères et de souffrances, de désillusions et de privations. Quiconque a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, doit se rendre à l'évidence de ce fait douloureux et humiliant : l'Europe et le monde, jusqu'à la Chine lointaine et martyrisée, sont aujourd'hui plus que jamais loin de la vraie paix, d'une pleine et parfaite guérison de leurs maux, de l'établissement d'un ordre nouveau dans l'harmonie, dans l'équilibre et dans la justice.

Les fauteurs de négation et de discorde, avec toute la bande de profiteurs qui marchent à leur suite, exultent de joie à la pensée ou à l'illusion que leur heure est proche.

Les amis de la paix, les promoteurs d'une réconciliation stable entre les peuples, ont au contraire le coeur serré d'angoisse en face du contraste entre la richesse sociale et morale de la bonne nouvelle de Bethléem et la misère d'un monde qui s'est éloigné du Christ.


LES RAISONS D'UN ESPOIR INDÉFECTIBLE

Mais les vrais chrétiens, pour qui toute la vie, sa lumière et son prix, consiste à « sentir avec l'Eglise », sentire cum Ecclesia, savent et comprennent mieux qu'aucun autre le sens et la valeur d'époques comme la nôtre, époques de ténèbres profondes et en même temps de lumière fulgurante, où l'ennemi du Christ recueille tragiquement une abondante moisson d'âmes, mais où beaucoup de bons deviennent meilleurs où les coeurs généreux s'élèvent jusqu'au sommet de l'héroïsme victorieux, où pourtant beaucoup de tièdes et de pusillanimes, esclaves du respect humain, effrayés à la pensée du sacrifice, tombent dans la médiocrité, dégénèrent dans la bassesse, semblables à ceux « qui ne furent pas rebelles, ni ne furent fidèles à Dieu, mais vécurent pour eux » 2.

Dans la lutte titanesque entre les deux esprits opposés qui se disputent le monde, si la haine est suffisante pour rassembler autour de l'esprit du mal des hommes que tout semblerait devoir diviser les uns des autres, que ne sera pas en état de faire l'amour pour réunir en une ligne vaste comme le monde tous ceux entre lesquels la hauteur de vues, la noblesse des sentiments, la communauté des souffrances ont tressé des liens bien plus forts et bien plus étroits que les différences ou les divergences qui pourraient les séparer ?

Aux millions d'hommes disposés à adhérer à cette ligue mondiale, dont la loi de fondation est le message de Bethléem, dont le Chef invisible est le Roi pacifique apparu dans la crèche, Nous adressons en ce moment Nos ferventes exhortations.


I LE MANQUE DE SINCÉRITÉ DANS LA VIE INTERNATIONALE

La marque que porte au front notre temps, et qui est cause de désagrégation et de décadence, est la tendance toujours plus manifeste à l'insincérité. Un manque de véracité qui n'est pas seulement un expédient occasionnel, un moyen pour se tirer d'embarras dans des moments de difficulté soudaine ou devant des obstacles imprévus. Non cette insincérité apparaît à présent comme érigée en système, élevée à la dignité d'une stratégie dans laquelle le mensonge, les travestissements des paroles et des faits, la tromperie sont devenus des armes offensives classiques, que certains manoeuvrent avec maîtrise, fiers de leur habileté ; tant l'oubli de tout sens moral fait à leurs yeux partie intégrante de la technique moderne dans l'art de former l'opinion publique, de la diriger, de la plier au service de leur politique, résolus qu'ils sont de triompher à tout prix dans les luttes d'intérêt et d'opinion, de doctrine et d'hégémonie.

LES ASPECTS MULTIPLES DE LA TROMPERIE

Nous n'avons pas le dessein de décrire ici d'une manière précise les ruines produites par cette joute d'insincérité dans la vie publique ; Nous avons pourtant le devoir d'ouvrir les yeux aux catholiques du monde entier, et aussi à tous ceux qui partagent avec Nous la foi au Christ et à un Dieu transcendant, sur les dangers que cette prédominance de la fausseté fait courir à l'Eglise, à la civilisation chrétienne, à tout le patrimoine religieux et même simplement humain, qui depuis deux millénaires a fourni aux peuples le fond de leur vie spirituelle et de leur grandeur réelle.

Comme déjà Herode, désireux de faire tuer le nouveau-né de Bethléem, cacha son dessein sous le masque de la dévotion et s'appliqua à transformer les Mages au coeur droit en espions inconscients, ainsi maintenant ses modernes imitateurs mettent-ils tout en oeuvre pour cacher aux populations leurs vrais desseins et en faire les instruments ignorants de leurs projets.

Mais, une fois conquis le pouvoir, à peine croient-ils en tenir les rênes bien solidement en mains qu'ils laissent peu à peu tomber le voile et passent progressivement de l'oppression de la dignité et de la liberté humaines à la suppression de toute action religieuse saine et indépendante.

Maintenant, Nous demandons à tous les honnêtes gens : comment l'humanité peut-elle guérir ? Comment, des erreurs et des agitations qui troublent l'heure présente, peut-il surgir un ordre nouveau digne de ce nom, si les frontières entre ami et ennemi, entre le oui et le non, entre la foi et l'incrédulité sont effacées et déplacées ?


L'ATTITUDE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE EN FACE DES BLOCS

L'Eglise, toujours pleine de charité et de bonté pour les personnes qui se fourvoient, fidèle de toute manière à la parole de son divin Fondateur qui a déclaré : « Qui n'est pas avec moi est contre moi » (Mt 12,30), ne peut manquer au devoir de dénoncer l'erreur, d'ôter le masque aux « fabricateurs de mensonges » (Jb 13,4) qui se présentent comme des loups sous des vêtements d'agneaux (Mt 7,15), comme des précurseurs et initiateurs d'une nouvelle époque de bonheur, et d'avertir les fidèles de ne pas se laisser détourner du droit chemin, ni tromper par de fallacieuses promesses.

Notre position entre les deux partis opposés est exempte de toute prévention, de toute préférence envers l'un ou l'autre peuple, envers l'un ou l'autre bloc de nations, comme elle est étrangère à toute sorte de considération d'ordre temporel. Etre avec le Christ ou contre le Christ, voilà toute la question.

Par là, vous comprendrez combien il est douloureux pour Nous de voir une propagande hostile dénaturer Nos pensées et Nos paroles, irriter les esprits, empêcher les échanges pacifiques d'idées, creuser plus profondément le fossé qui sépare de Nous tant d'âmes rachetées par le sang et par l'amour du même divin Sauveur. Au fond de tout cela se reconnaît toujours la même duplicité, voulue et froidement employée comme l'arme la plus pénétrante contre la justice et la vérité pour empêcher le rapprochement, la réconciliation et la paix.

L'inévitable conséquence d'un tel état de choses est la scission de l'humanité en groupes puissants et opposés, dont la loi suprême de vie et d'action est une défiance fondamentale et invincible qui est en même temps le tragique paradoxe et la malédiction de notre temps.

Chacune des parties opposées se croit obligée à cette défiance comme à une nécessité de prudence élémentaire. Et voici que, par le fait même, une gigantesque muraille se dresse au point de rendre vain tout effort pour redonner à la famille humaine bouleversée les bienfaits d'une vraie paix.

N'avons-nous pas dû encore, au cours de ces dernières semaines toucher du doigt les effets de cette défiance réciproque, en voyant une conférence des grandes puissances, dont l'importance était telle, arriver à son terme sans avoir obtenu dans le chemin de la paix les progrès essentiels et définitifs qu'on en attendait anxieusement ?


LE RETOUR NÉCESSAIRE A LA VÉRACITÉ

Pour sortir de ces impasses dans lesquelles le culte de l'insincérité a conduit le monde, un seul passage est possible : le retour à l'esprit et à la pratique d'une véracité toute droite.

Personne aujourd'hui, à quelque camp ou parti social ou politique qu'il appartienne, s'il entend faire valoir dans la balance du destin des peuples, pour le présent ou pour l'avenir, le poids de ses convictions et de ses actes, n'a le droit de masquer son jeu, de vouloir paraître ce qu'il n'est pas, de recourir à la stratégie du mensonge, de la contrainte, de la menace, pour restreindre chez les citoyens honnêtes de tous les pays l'exercice de leur juste liberté et de leurs droits civils.

C'est pourquoi, chers fils et chères filles, Nous vous disons : demain nous célébrerons la Nativité de Celui dont les lèvres ont un jour laissé échapper le cri : Veritas liberavit vos (Jn 8,32) : la vérité (qui est sa doctrine) vous fera libres ! Jamais peut-être ce cri n'a résonné plus puissamment qu'aujourd'hui dans le monde affamé de paix, qui sent peser sur lui le joug du mensonge.

Puisse, à Celui qui s'est incarné afin d'être pour tous « voie, vérité et vie », répondre la prière suppliante de toute la chrétienté, afin que la vérité retrouve le chemin du cceur des gouvernants, dont un oui ou un non peut déterminer le sort du monde, et avec la vérité puisse briller sur la terre, non un mirage trompeur, mais l'étoile lumineuse de la divine paix de Bethléem.


II

L'EFFORT DE FRATERNITÉ A ENTREPRENDRE POUR GAGNER LA PAIX

Ceux qui voulaient absolument gagner la guerre étaient prêts à tous les sacrifices, même celui de la vie. Qui veut sincèrement gagner la paix doit être prêt à des sacrifices non moins généreux, car rien ne coûte tant à une humanité blessée, irritée, que de renoncer aux représailles et aux rancunes implacables.

PAS DE VENGEANCE

Les injustices et les cruautés commises par ceux qui ont déchaîné la seconde guerre mondiale ont soulevé des flots d'indignation justifiée, mais en même temps elles ont malheureusement fait mûrir les germes d'une inclination instinctive à la vengeance.

La partie la plus saine de l'humanité, même dans les nations les plus engagées dans le conflit, a unanimement réprouvé les excès et les atrocités qu'une politique tombée dans le nihilisme moral non seulement pratiquait dans la guerre provoquée par elle, mais osait même justifier théoriquement. Les faits et les documents venus depuis lors à la lumière n'ont pu que confirmer que les auteurs et les exécutants de cette politique sont les premiers responsables de la misère dont aujourd'hui souffre le monde.

Les hommes d'après-guerre auraient pu facilement opposer à cette décadence leur propre supériorité morale ; malheureusement ils ont, en nombre de cas, laissé échapper une occasion si opportune. Il faut bien reconnaître que l'histoire de l'humanité durant les jours, les semaines et les mois qui ont suivi la fin de la guerre est loin d'être en tout point glorieuse.


Pie XII 1947 - RADIOMESSAGE AU CONGRÈS INTERNATIONAL DES CONGRÉGATIONS MARIALES, A BARCELONE