Pie XII 1948 - ALLOCUTION A LA NOBLESSE ROMAINE (14 janvier 1948)

LETTRE A Son Exc. Mgr. LEBRUN, ÉVÊQUE D'AUTUN, à l'occasion du 3e Centenaire de la Prédication de St JEAN EUDES (15 janvier 1948)

1. D'après le texte latin des A. A. S., 40, 1948, p. 106.

Les Lettres qui Nous sont récemment parvenues de la part du Supérieur général des Eudistes 2 et de la Vôtre, Nous ont appris qu'à Notre grande joie, vous désiriez ardemment célébrer un événement dont le rappel pourrait, selon vos dires, enflammer la piété du clergé et du peuple envers la Mère de Dieu qui est aussi la nôtre. Il y a en effet, trois siècles que Jean Eudes « héraut éloquent des vérités éternelles »3 prononça une série de sermons dans les différentes églises d'Autun et, avec l'aide de vingt compagnons, ramena d'innombrables foules à l'observation des saints préceptes du Christ.

Il voulut alors que l'aide du Coeur Immaculé de Marie fut implorée par tous, étant pénétré de cette louable idée en vue d'obtenir plus facilement de Dieu, un zèle persévérant dans la vertu. C'est sous son patronage, et par sa décision, que, pour la première fois, le Sacrifice Eucharistique fut célébré en l'honneur de ce Coeur Immaculé, avec l'approbation de l'autorité ecclésiastique; lui-même avait composé le texte des prières.

2. Les Eudistes ou membres de la Congrégation de Jésus et de Marie ont pour Supérieur général le R. P. François Lebesconte, 1, rue Jean-Dolent, Paris.
3. Homélie de Pie XI à la canonisation de Saint Jean Eudes, A. A. S., 18, 1925, p. 215.


Nous estimons fort opportun de rappeler ce fait au souvenir du peuple chrétien : Nous pensons, en effet, que de même qu'au temps de Saint Jean Eudes 4 les âmes des fidèles d'aujour-d'hui trouveraient grand profit à s'orienter et à se tourner, non seulement vers le culte à rendre à la Vierge Mère de Dieu et vers l'amour à lui témoigner avec plus d'ardeur, mais aussi vers l'imitation des exemples laissés par ses vertus. C'est là une chose qui semble de nos jours plus nécessaire que jamais.

Il y a peu d'années, comme on s'en souvient, lorsque sévissait encore une guerre atroce, et au moment où toutes les ressources et tous les espoirs humains paraissaient vains et incapables d'apaiser un conflit de cette gravité, Nous Nous sommes réfugié par la prière et la supplication auprès de notre miséricordieux Rédempteur, sous le très puissant patronage du Coeur très pur de la Vierge Marie. Et ainsi que Notre prédécesseur Léon XIII, d'heureuse mémoire, dédia au début du xxe siècle, le genre humain tout entier au Sacré-Coeur de Jésus, Nous avons voulu de même, comme représentant de l'humanité rachetée, consacrer solennellement cette humanité au Coeur Immaculé de la Vierge Mère de Dieu 1.

Actuellement, bien que la paix soit revenue presque partout, il s'en faut de beaucoup que toutes les haines soient apaisées ou que toutes les discordes et tous les différends soient réglés. Tandis que la structure même de la société civile semble soumise à de rudes secousses, beaucoup de nations et de peuples, blessés par tant d'épreuves, affligés par tant de ruines et de.dommages, ne considèrent qu'avec crainte ce que leur apportera le cours de cette nouvelle année. Il n'y a donc pas lieu de cesser de demander le secours divin ou d'implorer la tutelle de la bienheureuse Vierge Marie; celui qui voudrait obtenir sans elle les récompenses suprêmes et l'aide d'en haut, ressemblerait à l'homme qui voudrait sans ailes s'envoler vers les deux (cf. Dante Alighieri Parad. XXXIII, 14-15).

C'est pourquoi vous agissez pour le mieux si, en rappelant les bienfaits de cette prédication, vous en tirez le moyen d'enflammer la piété populaire vers la bonne Mère de Dieu en la montrant et en la recommandant comme gardienne de la paix et l'avocate des faveurs célestes.

Que Saint Jean Eudes vous assiste du ciel dans tous vos projets et entreprises et obtienne, par sa puissante intercession, que la grâce divine renouvelle pour vous avec bonheur les fruits de salut qu'elle engendra voici trois siècles dans votre région.

Nous vous accordons entre temps Vénérable Frère, ainsi qu'au cher Fils François Lebesconte, Supérieur général des Eudistes, à ses confrères, ainsi qu'à tout le troupeau confié à votre vigilance, la Bénédiction Apostolique présage de ces fruits célestes et gage de Notre bienveillance.


4. Saint Jean Eudes (1601-1680), d'abord Oratorien, fonda ensuite, le 25 mars 1643, la Congrégation de Jésus et de Marie, qui avait pour but : « la sanctification des ecclésiastiques par les séminaires et l'évangélisation des fidèles par les prédications. »
1. Le Pape Pie XII consacra solennellement le monde au Coeur Immaculé de Marie, en 1942 (A. A. S., 34, 1942, p. 345). (Cf. Décret du 4 mai 1944, instituant la Fête du Coeur Immaculé de Marie, A. A. S., 37, 1945, p. 44.)



LETTRE DU R. P. JACQUES M. VOSTÉ, O. P. Secrétaire de la Commission Pontificale pour les Études Bibliques

à Son Em. le Cardinal SUHARD, archevêque de Paris sur l'interprétation du Pentateuque

(16 janvier 1948) 1

Après une brève introduction ce document s'applique à éclairer deux questions particulièrement importantes : la critique littéraire du Pentateuque et l'historicité des onze premiers chapitres de la Genèse. Comme l'a noté le R. P. Vosté lui-même, dans un commentaire autorisé : « la lettre contient des directives d'utilité générale pour tous les savants et éducateurs catholiques, en particulier pour les membres du clergé »2.

1. D'après le texte français des A. A. S., 40, 1948, p. 45.
2. J.-M. Voste, Lettre de la Commission Biblique, dans Angelicum, vol. XXV, 1948, p. 153.



INTRODUCTION

La lettre commence par indiquer les circonstances qui ont amené cette mise au point. Un groupe de savants, des Français précise le P. Vosté, s'est adressé au Saint-Père et lui a posé deux questions ; celui-ci a demandé l'avis de la Commission biblique (I). Cette dernière a examiné les problèmes en tenant compte des données traditionnelles mais en conduisant son étude selon l'esprit de liberté que l'encyclique Divino afflante Spiritu avait loué en termes très explicites. On voit du même coup comment ce document se rattache très nettement à l'encyclique biblique du Pape Pie XII dont il se contente de mettre en oeuvre les principes et l'esprit (II). Enfin une dernière section rappelle brièvement les décisions antérieures de la Commission qu'il s'agit seulement de préciser (III).

A. — Occasion et circonstances.

Le Saint-Père a bien voulu confier à l'examen de la Commission Pontificale pour les Études Bibliques deux questions, qui ont été récemment soumises à Sa Sainteté au sujet des sources du Pentateuque et de l'historicité des onze premiers chapitres de la Genèse. Ces deux questions, avec leurs considérants et voeux, ont été l'objet de l'étude la plus attentive de la part des Révmes Consulteurs et des Émes Cardinaux Membres de la dite Commission. Comme suite de leurs délibérations Sa Sainteté a daigné approuver la réponse suivante dans l'audience concédée au soussigné en date du 16 janvier 1948.

B. — Liberté et sens traditionnel.

La Commission Pontificale Biblique se plaît à rendre hommage au sentiment de filiale confiance qui a inspiré cette démarche et désire y correspondre par un effort sincère de promouvoir les études bibliques en leur assurant, dans les limites de l'enseignement traditionnel de l'Église, la plus entière liberté. Cette liberté a été affirmée en termes explicites par l'Encyclique du Souverain Pontife glorieusement régnant Divino afflante Spiritu en ces termes : « L'exégète catholique, poussé par un amour de sa science actif et courageux, sincèrement dévoué à notre Mère la Sainte Église, ne doit, en aucune façon, se défendre d'aborder, et à plusieurs reprises, les questions difficiles qui n'ont pas encore été résolues jusqu'ici, non seulement pour repousser les objections des adversaires, mais encore pour tenter de leur trouver une solide explication, en accord parfait avec la doctrine de l'Église, spécialement avec celle de l'inerrance biblique, et capable en même temps de satisfaire pleinement aux conclusions certaines des sciences profanes. Les efforts de ces vaillants ouvriers dans la vigne du Seigneur méritent d'être jugés, non seulement avec équité et justice, mais encore avec une parfaite charité; que tous les autres fils de l'Église s'en souviennent. Ceux-ci doivent se garder de ce zèle tout autre que prudent, qui estime devoir attaquer ou tenir en suspicion tout ce qui est nouveau. » (A. A. S., 1943, p. 219; éd. française, page 23.)

C. — Les décrets antérieurs.

Qu'on veuille bien comprendre et interpréter, à la lumière de cette recommandation du Souverain Pontife, les trois réponses officielles données jadis par la Commission Biblique à propos des questions susmentionnées, à savoir le 23 juin 1905 sur les récits qui n'auraient d'historique que l'apparence dans les livres historiques de la Sainte Écriture (Ench. Bibl. 154), le 27 juin 1906 sur l'authenticité mosaïque du Pentateuque (Ench. Bibl. 174-177), et le 30 juin 1909 sur le caractère historique des trois premiers chapitres de la Genèse (Ench. Bibl. 332-339), et l'on concédera que ces réponses ne s'opposent nullement à un examen ultérieur vraiment scientifique de ces problèmes d'après les résultats acquis pendant ces quarante dernières années. En conséquence, la Commission Biblique ne croit pas qu'il y a lieu de promulguer, du moins pour le moment, de nouveaux décrets à propos de ces questions.

CRITIQUE LITTÉRAIRE DU PENTATEUQUE

La lettre suppose chez le lecteur une certaine connaissance de l'état de la question et de son importance. Moïse a toujours été considéré comme l'auteur principal du Pentateuque, mais de tout temps aussi on s'est plu à souligner l'emploi de sources diverses et l'insertion de précisions nouvelles. Il appartenait à notre époque moderne de tenter une classification des divers éléments. Ce fut un catholique français, S. Astruo, qui le premier proposa la distinction de deux documents caractérisés par l'emploi des noms divins Elohim et Jehovah. L'hypothèse fut reprise et transformée bien des fois au cours du xixe siècle et particulièrement en Allemagne 1. Elle fut fixée avec une redoutable clarté par J. Wellhausen (1918) qui appuya ses remarques exégétiques sur un ensemble de considérations historico-religieuses empruntées à la philosophie évolutionniste d'Hegela. Il distinguait quatre documents finalement réunis au lendemain de l'exil. Et d'abord un document jdhviste (J), originaire du royaume de Juda et datant des années 850-750 ; il reflète la religion primitive du désert, les anthropomorphismes sont nombreux et on y peut relever bien des traces de manisme, de totémisme et de fétichisme. Vers le même temps un document Elohiste (E) voit le jour dans le Nord; l'influence des vieux prophètes y est sensible et les théophanies nombreuses, le sens de Dieu et de sa puissance s'est affiné : nous atteignons la seconde étape de l'évolution qui se caractérise par la monolâtrie. Un peu avant l'exil une pia fraus permet d'introduire une nouvelle conception des choses divines et de la législation religieuse: c'est le document deutéronomique (D) et la victoire du monothéisme. Tandis que ces trois documents étaient amalgamés une nouvelle vision des choses se formait lentement en exil (587) et Ezechiel en fut le principal artisan. Au retour, la caste sacerdotale désormais toute puissante remit le texte sur le métier et on aboutit ainsi au texte définitif promulgué par Esdras (450). Il y a donc quatre documents: J, E, D et P f(Priesterkodex ou code sacerdotal), qui gardent la trace des grandes étapes de l'évolution religieuse d'Israël.

Cette brillante synthèse a exercé longtemps une véritable séduction sur les esprits : cependant on n'avait pas tardé à remettre en question certains aspects. Les théories évolutionnistes ont été considérablement assouplies, l'archéologie et les nouvelles conquêtes de la philologie orientale ont permis de mieux connaître le milieu ancien et de remonter bien plus avant dans le passé que Welhausen n'avait cru pouvoir le faire ; enfin les conclusions littéraires elles-mêmes furent de plus en plus discutées.

La question reste donc ouverte. La lettre de la Commission Biblique le souligne. Elle reconnaît la présence de diverses sources d'époques différentes qui se rattachent à l'oeuvre historique et littéraire de Moïse mais elle se garde de trop préciser et se contente d'encourager les savants à oeuvrer avec prudence et liberté. L'oeuvre de J. Chaîne (Le livre de la Genèse, Éd. Cerf, Paris 1948) qui s'engage délibérément dans le sens d'une théorie documentaire répond à ses préoccupations et il est permis de penser que le regretté professeur de Lyon était parmi ces savants français qui proposèrent finalement au Saint-Père les deux questions auxquelles la lettre apporte réponse.

1. Pour plus de détails on consultera l'ouvrage de J. Coppens, Histoire critique des livres de l'Ancien Testament, 3e éd., Desclée de Brouwer, 1942.
2. Exposées d'abord dans une série d'articles intitulés Die Composition des Hexateuchs, réunis en 1876. La théorie a été fixée définitivement dans ses Prolegomena zur Geschichte Israels, 1883.


Réponse I.

Des sources du Pentateuque.

En ce qui concerne la composition du Pentateuque, dans le décret susmentionné du 27 juin 1906 la Commission Biblique reconnaissait déjà que l'on pouvait affirmer que Moïse, « pour composer son ouvrage, s'est servi de documents écrits ou de traditions orales » et admettre aussi des modifications et additions postérieures à Moïse (Ench. Bibl. 176-177). Il n'est plus personne aujourd'hui qui mette en doute l'existence de ces sources et n'admette un accroissement progressif des lois mosaïques dû aux conditions sociales et religieuses des temps postérieurs, progression qui se manifeste aussi dans les récits historiques. Cependant, même dans le camp des exégètes non catholiques, des opinions très divergentes sont professées aujourd'hui touchant la nature et le nombre de ces documents, leur dénomination et leur date. Il ne manque même pas d'auteurs en différents pays, qui pour des raisons purement critiques et historiques, sans aucune intention apologétique, rejettent résolument les théories les plus en vogue jusqu'ici et cherchent l'explication de certaines particularités rédactionnelles du Pentateuque, non pas tant dans la diversité des documents supposés, que dans la psychologie spéciale, dans les procédés particuliers, mieux connus aujourd'hui, de la pensée et de l'expression des anciens Orientaux, ou encore dans le genre littéraire différent postulé par la diversité des matières. C'est pourquoi nous invitons les savants catholiques à étudier ces problèmes sans parti pris, à la lumière d'une saine critique et des résultats des autres sciences intéressées dans ces matières, et une telle étude établira sans doute la grande part et la profonde influence de Moïse comme auteur et comme législateur.

II

LES ONZE PREMIERS CHAPITRES DE LA GENÈSE

Avec Gen. XII commence l'histoire d'Abraham et du peuple d'Israël histoire que nous pouvons situer assez exactement et que l'archéologie n'a pas fini d'éclairer. Par contre les onze premiers chapitres brossent un large tableau des premiers âges de l'humanité. Quelle est la portée exacte de ces récits? Les critiques rationalistes y voient des légendes dénuées de toute valeur historique, de vieux mythes orientaux hâtivement adaptés; d'autres qui saisissent la signification religieuse décisive et l'importance doctrinale de ces premiers chapitres veulent en recevoir tous les détails avec une égale et aveugle confiance. Il est clair que la solution doit être bien plus nuancée. Comme l'écrit le P. Vosté : « Nous savons que ces récits ne nous enseignent pas les sciences naturelles ; nous soupçonnons que maints détails de ces récits ont avant tout une portée doctrinale supérieure à l'êcorce de la lettre; nous avouons enfin que plusieurs difficultés n'ont pas encore reçu de réponse plausible. » Mais, par ailleurs « traiter ces récits de pures légendes et de mythes, c'est ruiner l'économie de la religion révélée et du salut par sa base. » En effet, le christianisme est une histoire et il y a, aux origines, un ensemble d'événements, de faits qui ont une répercussion sur toute l'histoire postérieure. Les premiers chapitres de la Genèse nous font connaître ces faits, ils en indiquent les dimensions et les grandes répercussions. Connaissance transmise par révélation et adaptée aux modes de parler et d'imaginer qui étaient propres aux peuples de l'ancien Orient. Pour résoudre les difficultés de la préhistoire biblique il faudra donc, comme le note le P. Vosté : « En déterminer le caractère littéraire absolument unique, discerner et interpréter objectivement les expressions figurées et les détails symboliques, en un mot se refaire la psychologie littéraire des anciens orientaux ; et à cette fin, on doit étudier leur vie et leurs moeurs, leur littérature contemporaine à l'aide surtout des découvertes archéologiques: sans cela on s'expose à des anachronismes inévitables, à des interprétations hypothétiques ou subjectives, à des négations enfin téméraires 1. »

1. Art. cit., pp. 162-163.

réponse II.

Du caractère littéraire de Gn 1-11.

La question des formes littéraires des onze premiers chapitres de la Genèse est bien plus obscure et complexe. Ces formes littéraires ne répondent à aucune de nos catégories classiques et ne peuvent pas être jugées à la lumière des genres littéraires gréco-latins ou modernes. On ne peut donc en nier ni affirmer l'historicité en bloc sans leur appliquer indûment les normes d'un genre littéraire sous lequel ils ne peuvent pas être classés. Si l'on s'accorde à ne pas voir dans ces chapitres de l'histoire un sens classique et moderne, on doit avouer aussi que les données scientifiques actuelles ne permettent pas de donner une solution positive à tous les problèmes qu'ils posent. Le premier devoir qui incombe ici à l'exégèse scientifique, consiste tout d'abord dans l'étude attentive de tous les problèmes littéraires, scientifiques, historiques, culturels et religieux connexes avec ces chapitres ; il faudrait ensuite examiner de près les procédés littéraires des anciens peuples orientaux, leur psychologie, leur manière de s'exprimer et leur notion même de la vérité historique ; il faudrait, en un mot, rassembler sans préjugés tout le matériel des sciences paléontologique et historique, épigraphique et littéraire. C'est ainsi seulement qu'on peut espérer voir plus clair dans la vraie nature de certains récits des premiers chapitres de la Genèse. Déclarer à priori que leurs récits ne contiennent pas de l'histoire au sens moderne du mot, laisserait facilement entendre qu'ils n'en contiennent en aucun sens, tandis qu'ils relatent en un langage simple et figuré, adapté aux intelligences d'une humanité moins développée, les vérités fondamentales présupposées à l'économie du salut, en même temps que la description populaire des origines du genre humain et du peuple élu. En attendant il faut pratiquer la patience qui est prudence et sagesse de la vie. C'est ce que le Saint-Père inculque également dans l'Encyclique déjà citée : « Personne, dit-il, ne doit s'étonner qu'on n'ait pas encore tiré au clair, ni résolu toutes les difficultés... Il ne faut pas pour autant perdre courage, ni oublier que dans les disciplines humaines, il ne peut en être autrement que dans la nature, où ce qui commence croît peu à peu, où les fruits ne se recueillent qu'après de longs travaux... On peut donc espérer que (ces difficultés), qui aujourd'hui paraissent les plus compliquées et les plus ardues, s'ouvriront enfin un jour, grâce à un effort constant, à la pleine lumière » (ibid., p. 318; éd. fr. p. 22).


LETTRE A L'ÉPISCOPAT POLONAIS (18 janvier 1948) \21

1. D'après le texte latin des A. A. S., 40, 1948, p. 324.

« C'est avec un esprit brûlant d'émotion et de sympathie que Nous avons reçu les nouvelles qui Nous sont parvenues d'une portion choisie de l'ensemble du troupeau confié d'en-haut à Nos soins apostoliques et qui est la fidèle Pologne. Cette illustre nation, au cours de nombreux siècles, remplis tour à tour d'événements joyeux ou tristes, a posé maintes fois après une catastrophe le germe de la résurrection d'une vie active et rénovée avec un esprit de foi intrépide et indéfectible dans son union avec le Siège Apostolique.

Nous ne Nous étonnons donc nullement, Très chers Fils et Vénérables Frères, de toutes les nouvelles que vous avez cru bon de Nous mander dans votre amabilité, lors de votre réunion habituelle près du sanctuaire mariai de Czestochova. Car c'est auprès de ce temple illustre, dédié à la céleste Reine de Pologne, que vous vous rencontrez presque chaque année afin que cette bonne Mère vous dispense en temps opportun ses lumières, ses conseils, et son aide jamais défaillante. Mais la dernière réunion episcopale a coïncidé avec le premier anniversaire de la consécration de la nation polonaise au Coeur Immaculé de Marie et, d'autre part, la nécessité de recevoir sa force et de trouver son refuge en ce Coeur Sacré apparaît aujourd'hui plus pressante que jamais. Car notre Mère Céleste ne luit pas seulement avec douceur à la manière de l'étoile du matin, mais elle est aussi cette Femme forte qui, pour venger les droits de son Fils divin, se dressa à plusieurs reprises dans l'Église « terrible comme une armée en ordre de bataille ». (Ct 6,3)

En outre, pendant que vous confériez avec zèle entre vous des moyens à utiliser pour conserver et augmenter le bien des âmes tant aimées, vous avez pris toutes dispositions pour que ces fidèles eux-mêmes s'en viennent aux pieds de Marie en pieux pèlerinage. Ainsi leurs supplications ferventes se joignant aux vôtres purent certes faire en sorte que les dons et présents du divin Paraclet furent implorés en votre faveur avec plus de force et de suffisance.

Nous Nous sommes également réjoui lorsque Nous avons su avec quel empressement et quelle piété des armées de fidèles affluèrent au sanctuaire et offrirent à Dieu leur prière et leur pénitence comme en un holocauste de propitiation et d'impé-tration. Ils suivaient ainsi l'exemple des premiers disciples du Christ. Ceux-ci, en effet, aux débuts de l'Église, s'entraînaient au combat du Seigneur, « ils étaient persévérants dans la doctrine des Apôtres, dans la fraction du pain, et la prière faites en commun ». (Ac 2,42.)

Car si votre patrie ne manque pas de justes motifs de joie et de consolation, ça et là des nuages nombreux s'épaississent qui risquent de ternir et de cacher la lumière de Czestochova se répandant au loin 1.

1. La législation inspirée de Moscou, se fait en Pologne de plus en plus hostile au catholicisme.

Ainsi l'Église, maintenant comme dans le passé, rencontre alternativement des circonstances favorables et adverses « mêlant la joie à ses larmes » (Hymne de la fête de Saint Joseph), suivant un dessein mystérieux de Dieu. Mais est-il besoin de vous dire que Nous-même, à qui a été confiée d'en-haut la direction de l'Église, pour que Nous la régissions et la propagions dans tous les pays « qui sont sous le ciel » (Ac 2,5), et là surtout où elle a emporté de nombreux triomphes, Nous compatissons sincèrement avec vous, et souffrons profondément de toutes vos anxiétés concernant l'avenir. Car, suivant votre propre témoignage, alors que dans le passé presque tous les Polonais avaient de fermes convictions religieuses et que personne n'osait s'en prendre publiquement à la foi catholique, celle-ci est aujourd'hui l'objet de la raillerie ouverte. L'ennemi cherche à semer l'ivraie dans le champ fertile confié à vos soins et veut étouffer la bonne semence. Que le bien spirituel n'est cependant pas caduc, qu'il ne peut être remplacé et qu'il dépasse de loin toutes les choses mortelles, c'est ce que dit le divin Maître en ces termes :

« A quoi sert-il à l'homme de gagner le monde entier, s'il vient à perdre son âme? » (Mt 16,26.) Pourtant, sous le régime d'une liberté immodérée qui devient de la pure licence, certains textes imprimés révoquent en doute ces vérités, fondements de la religion, comme étant un virus de peste introduit dans le corps social. Ils vont même jusqu'à tourner publiquement en ridicule les dogmes de la foi, ou les pieuses pratiques de la vie chrétienne.

Comment de telles audaces peuvent-elles être proférées si ce n'est qu'en leurs auteurs la flamme de la foi est presque complètement éteinte, s'il se peut ! C'est cependant cette foi que les enfants de la Pologne paraissaient assimiler jadis en même temps que le lait maternel. L'ordre surnaturel une fois renversé, la voie s'ouvre aux découvertes, ou plutôt aux folies de la raison, lesquelles autorisent le relâchement de tous les instincts. Du fait que certains rejettent et combattent les principes de la foi catholique, le nom de Dieu et tout autre signe religieux ont été, selon vos dires, retirés de force chez vous des maisons et asiles réservés aux enfants et spécialement aux orphelins. Voilà certes de tristes signes de nos temps qui se font de plus en plus durs. S'il est vrai que la sagesse des nations dit que « le plus grand respect est dû à l'enfant », (Juvén. XIV, 47) que faut-il dire de la société actuelle qui, sous l'égide et l'influence de la religion chrétienne, a réalisé un tel progrès de la culture humaniste ? En même temps, se dessine le danger de l'exclusion dans les écoles de l'instruction religieuse en sorte qu'on n'y puisse poursuivre l'éducation des enfants dans la ligne où elle avait été commencée au foyer. Cet état de choses comme vous-mêmes le remarquez, se fait de jour en jour plus grave du fait que toutes permissions sont accordées d'attaquer le patrimoine ancestral de la foi, ainsi que la doctrine catholique sur les moeurs. La même liberté de les défendre est, au contraire, niée, en sorte qu'on refuse à la protection de la vérité ce que l'on concède, et à souhait, à la propagation de l'erreur. Ce sont en conséquence ces tendances et dangers portant sur les affaires publiques qui Nous attristent ainsi que vous-mêmes et tempèrent la joie causée par les cérémonies de Czestochova.

Mais nous restons persuadé que les injustices des temps, loin d'affaiblir votre courage, le renforcent au contraire, puisque vous savez fort bien que l'histoire nous atteste que l'Église a remporté des triomphes après ses luttes et ses combats contre les puissances des ténèbres. La Sainte Écriture le dit ouvertement : « La vie de l'homme sur cette terre est un combat. » (Jb 7,1) et de même : « L'athlète n'obtient la couronne que s'il a lutté selon les règles. » (2Tm 2,5.) Nous avons connaissance de vos projets, de vos inquiétudes, et de vos peines. Vous-mêmes avez décidé d'entamer la lutte contre les injustices et les menaces de vos ennemis et d'avertir à temps les fidèles de se garder des erreurs qui présentent un faux aspect de vérité ainsi que des choses proscrites et portant outrage aux bonnes moeurs.

Comme vous le mentionnez, il ne manque pas non plus de sectes non catholiques. En s'appuyant sur les difficultés économiques actuelles, pesant surtout sur les plus faibles à la suite de la guerre, elles cherchent à se gagner les pauvres par de belles promesses de profits temporels. C'est pourquoi Nous vous exhortons avec insistance que votre zèle redoublé indique aux fidèles où est la vérité, dévoilant ainsi les manoeuvres et confondant les calomnies par lesquelles les adversaires cherchent à les détacher de l'Église, de son magistère et de ses ministres. On a suffisamment mis en relief la caractéristique de ce siècle qui est de déformer le vrai en même temps qu'on dissimule l'erreur sous un fallacieux éblouissement. Et la parole de l'Apôtre revient à l'esprit : « Satan lui-même se transformera en ange de lumière. » (2Co 11,14.) Que les fidèles placent leur confiance dans leurs pasteurs qui ont réussi à conserver ou à revendiquer cette liberté qui est un don du Christ : chacun pourra répéter les paroles de l'auteur sacré : « Tu m'as libéré de la langue souillée et de la parole mensongère » (Si 51,4 Si 51,7). Il faut donc que tous les fidèles correspondent avec un zèle augmenté et une ardeur plus vive à votre sollicitude et à votre infatigable apostolat. C'est leur devoir de s'instruire afin de se préparer activement à échapper aux embûches suscitées par l'adversaire et de rendre témoignage à la lumière et à la vérité qui nous viennent du Christ. Ils le feront non seulement par des discours mais surtout par des actes vertueux en sorte que l'ennemi du nom chrétien ne puisse pas médire d'eux. Qu'ils soient assidus à l'observance des lois divines, généreux dans leur dévouement, irréprochables dans la justice et la charité exercée envers le prochain. Afin d'instruire les fidèles des vérités de la religion catholique avec plus de soin et plus complètement et en vue de rendre en même temps le culte dû à Dieu, que l'on rappelle le jour solennel qui doit être célébré chaque semaine, suivant ce que Dieu lui-même a voulu se réserver depuis le temps de l'Ancienne Alliance : « Car le jour du Seigneur est saint » (Ne 8,10). La profanation de ce jour détourne du peuple les bénédictions célestes et empêche la prospérité de ses activités.

Avant de terminer cette lettre, Nos très chers Fils et Vénérables Frères, Nous tenons à vous féliciter de tout coeur pour ce que vous avez réalisé par votre volonté commune pour subvenir aux nécessités particulières, surtout religieuses et sociales, de ces foules qui ont émigré des régions orientales d'une manière si lamentable : c'est là l'oeuvre la plus précieuse de la charité. Que les prêtres qui ont été — ou sont encore — au travail pour secourir leurs frères abandonnés se tiennent donc pour assurés d'avoir acquis une splendide couronne de mérites auprès du Père qui sonde tous les coeurs. Nous ne cesserons pas entre temps de les aider dans la mesure du possible, en vue de diminuer quelque peu leurs misères présentes. Et enfin, à vous qui espérez que la consécration des familles au divin Coeur de Jésus, fixée par vous à cette année, se fasse heureusement « par Marie à Jésus » et qu'elle soit le prélude de la consécration de toute la nation polonaise à laquelle vous voulez procéder un jour. Nous vous accordons la Bénédiction Apostolique dans la charité de Notre Coeur à vous, Nos très chefs fils et Vénérables Frères, et à tout votre troupeau.



LETTRE AU R. P. DANIEL A. LORD S. J. (24 Janvier 1948)

Directeur de " The Queen's Work " 1

1. D'après le texte anglais d.'Acies Ordinata Nova Series, n0 5, mai 1948, p. 66.

Parmi les oeuvres de laïques, une place de choix revient certes aux congrégations mariales. A l'imitation de leur confrère belge, Jean Leunis (1535-1584), et forts de multiples encouragements des papes et des êvêques, les jésuites, dès les débuts de leur Ordre, groupèrent sous le patronage de Notre-Dame, les meilleurs de leurs élèves et l'élite de la société catholique. OEuvre de sévère formation spirituelle et d'apostolat multiforme, ordinairement spécialisées à un milieu déterminé (élèves, ouvriers, « messieurs »...), soumises à une forte discipline, les congrégations mariales furent des foyers de sainteté (96 congréganistes ont été béatifiés ou canonisés), des pépinières de vocations et souvent le centre de la vie religieuse d'une ville: la « Congrégation » ne devint-elle pas au siècle dernier, en France, le symbole de la puissance catholique à abattre?

Leur efflorescence numérique date surtout des 100 dernières années : de 1922 à 1948 eurent lieu plus de 30.000 nouvelles agrégations. Le nombre de celles-ci atteignait le 31 décembre 1948, 75.349 et on peut estimer à 8 millions celui des membres. Mais il faut hélas reconnaître que dans certains pays, le succès numérique s'obtint aux dépens de l'efficience: des congrégations, contrairement à leurs règles, abandonnèrent leur programme apostolique et se contentèrent d'un niveau moyen de vie spirituelle; certaines se réduisirent à de simples groupements de piété pour jeunes filles ou élèves.

Au cours de l'année 1948, deux nouveaux documents témoignèrent de l'intérêt porté par S. S. Pie XII aux congrégations mariales.

Le premier est une lettre adressée au R. P. Daniel A. Lord S. J., directeur du Secrétariat Central des congrégations mariales aux États-Unis et de leur périodique « The Queen's Work ». Ce secrétariat, qui occupe plus de 100 personnes, coordonne l'activité des quelques 15.000 congrégations américaines et de leurs 1.700.000 membres a.

2. Le deuxième document est la Constitution Apostolique Bis saeculari du 27 septembre 1948, cf., p. 336.


Cette lettre est extrêmement encourageante et rappelle quelques principes de base.

Le Saint-Père, en ces temps où la prière est plus que jamais nécessaire, remercie d'un riche trésor spirituel offert par les congrégations d'Amérique:



Notre prédécesseur de sainte mémoire, Saint Grégoire, écrivait que, plus troublée était l'époque, plus attentivement nous devions tourner vers Dieu Nos esprits et Nos coeurs. C'est pourquoi, dans Notre récente Encyclique 1. Nous invitions tous Nos fils et surtout les petits enfants, à multiplier aujourd'hui leurs prières pour que Dieu prenne en pitié son monde égaré et le ramène sur le chemin de la raison et de la justice; aussi le riche trésor spirituel que Nous ont envoyé les congrégations mariales sous votre direction, Nous fut, cher Fils, un don particulièrement bienvenu et précieux.

1. Encyclique Optatissimi* Pax, du 18 décembre 1947 (A. A. S., 34, 1947, p. 601).


Il rappelle en bref l'esprit qui anime le congrêganiste : sous le patronage de Notre-Dame, vie intérieure et apostolat. Plus que jamais le monde moderne a besoin de catholiques imbus de cet esprit:

La puissance de la vraie prière se mesure à la charité, dit le même saint Pontife, fidèle à l'esprit du commandement du divin Maître de placer avant tout autre désir, le royaume de Dieu et sa justice. Et certes, tel est l'esprit de ceux qui, à l'autel de leur Reine du ciel, ont juré de travailler toujours, sous son gracieux et efficace patronage, à leur sanctification personnelle puis à celle de leur prochain. En ce bref programme réside la charte de votre association et Nous n'hésitons pas à affirmer que nulle époque plus que la nôtre, n'a eu besoin de jeunes catholiques pénétrés de l'esprit magnanime du congrêganiste pour promouvoir les intérêts du Christ et de l'Eglise, au foyer, à l'école et dans le domaine si important des rapports entre patrons et ouvriers.


Le Saint-Père se réjouit des progrès des congrégations en Amérique et du soutien que leur apportent les évêques et le clergé. Mais que le nombre n'empêche pas l'observation entière des règles 1 Impossible sinon de remplir la tâche apostolique qui leur est confiée par l'Église.

Durant Notre pontificat, Nous n'avons manqué aucune occasion d'exprimer aux directeurs de congrégations Notre vive satisfaction du constant progrès de celles-ci dans certains pays et de l'aide encourageante que leur apportent Nos Vénérables Frères de l'Episcopat et du clergé. Croyez-le bien, cher Fils, ce fut une grande consolation pour le Vicaire du Christ de voir que 365 nouvelles congrégations se sont agrégées cette année dans votre patrie. Qu'on veille pourtant bien à ce que chacune soit solidement fondée et se développe exactement selon les règles approuvées de la congrégation. Ainsi seulement, les membres peuvent espérer remplir la tâche que notre Mère la Sainte Église leur a assignée dans l'apostolat sacré.


La conclusion est un appel à la charité qui doit animer leur apostolat et à une cordiale collaboration, une vraie solidarité dans leur autonomie, entre les diverses oeuvres apostoliques:

Nous pouvons conclure cette lettre par les mots que Notre savant prédécesseur Benoît XIV adressa aux congrégations mariales, il y a précisément 200 ans : « A chaque congrêganiste. Nous recommandons instamment la charité fraternelle à garder et exercer avec soin envers tous les fidèles du Christ, non moins qu'entre eux, pour que leur apostolat spirituel et social, animé par le double commandement dont dépend toute la loi et les prophètes, ne cesse jamais d'être l'aide et la joie de l'Église de Dieu. » (Bulle Gloriosae Dominae, 27 sept. 1748). Cet esprit de solidarité fraternelle dans la glorieuse mission rédemptrice de l'Église universelle servira plus que toute autre chose à coordonner, suivant le désir ardent et le projet de Notre prédécesseur immédiat de sainte mémoire, les efforts des diverses associations apostoliques et consacrera pour ainsi dire, leur collaboration cordiale à promouvoir la cause de Jésus-Christ.


Enfin le Pape, rappelant avec délicatesse qu'il fut lui-même congrêganiste, accorde sa bénédiction apostolique :

En gage de la grâce de Dieu qui animera le zèle des congré-ganistes américains pour la vie intérieure et leur obtiendra des fruits durables dans les divers champs de leur activité, en signe de Notre gratitude et de Notre constant dévouement aux congrégations — l'une d'elle Nous a reçu il y a plus de 50 ans — avec paternelle bienveillance, Nous vous accordons, à vous, cher Fils, à vos collaborateurs immédiats et à tous les directeurs, dignitaires et membres des congrégations mariales en Amérique, la bénédiction apostolique.


Pie XII 1948 - ALLOCUTION A LA NOBLESSE ROMAINE (14 janvier 1948)