Pie XII 1948 - ALLOCUTION AUX EMPLOYÉS DE LA MONNAIE (13 mai 1948)

ALLOCUTION AUX PENSIONNAIRES DE LA VILLA MEDICIS (19 mai 1948)

1. D'après le texte français de l'Osservatore Romano du 20 mai 1948;

L'Académie de France située dans la Villa Medicis abrite un certain nombre d'artistes français; ceux-ci reçus en audience entendirent le Saint-Père déclarer:


Un des plus beaux panoramas de Rome, au dire des voyageurs, est celui qui s'étend sous leurs yeux, quand du Pincio, de votre Académie, de France, leur regard se dirige vers Saint-Pierre et le Vatican. Quoi de plus compréhensible que Notre joie de vous voir, artistes, franchir cette courte distance et venir de chez vous jusqu'à Nous?

L'art, exprimé par les formes et les couleurs ou par les sons, germe ou gazouille en tous pays — et le climat de France lui est des plus favorables ; — il vient, dit-on, s'épanouir ou chanter à Rome, y apportant toutefois et y gardant les tonalités lumineuses ou sonores de son terroir; mais ici, au contact des artistes de tous les autres pays, qui s'y donnent rendez-vous, sans perdre de son originalité, il s'harmonise avec tous et s'enrichit. A Rome, nul lieu n'est comme celui-ci, pour ainsi dire, leur patrie commune. C'est un fait, un fait providentiel : faut-il s'en étonner?

Bien loin de là, il apparaît tout normal; sans doute parce que la Rome antique était le centre de la civilisation humaine, et parce que la Rome chrétienne en est la capitale spirituelle. Mais on peut en chercher aussi la raison plus profonde et propre à l'art. Dante l'a dit avec la majesté de son génie : Vostr'arte a Dio quasi è ni-pote (Inf. XI, 105). C'est qu'il est fils de la nature. Il se penche sur elle, il la contemple, il l'écoute en silence, non pour lui arracher son secret, mais pour entendre

ses confidences, comme on écoute celles d'une mère. Il n'en fait pas sa proie pour étaler aux yeux indiscrets l'inégalable beauté de son vêtement extérieur; il n'en fait point son esclave, la torturant pour la plier, défigurée aux caprices de sa pensée absconse. Aussi distant d'un réalisme exagéré, tout matériel et de mauvais aloi, que d'un faux idéalisme qui la sacrifie à la fantaisie égoïste et orgueilleuse, avec un respectueux amour de fils, il devine la transparence de son voile, il entend l'écho de son chant intérieur et, dans cette transparence, dans cet écho, il découvre, enchanté, ce que, même dans les êtres les plus matériels, elle recèle d'esprit, de reflet divin.

Joie de l'artiste qui, en toute créature, voit resplendir la lumière du Créateur; noble mission de l'artiste, qui aide les plus insensibles et les plus étourdis à voir, à goûter la beauté naturelle des plus humbles choses et à travers elle la beauté de Dieu et, tout en foulant des pieds la terre, à lever le front et les yeux vers le ciel, vers Dieu.

Cette mission emplissez-la de votre mieux, avec tout votre amour. Et afin qu'elle vous y assiste, Nous invoquons pour vous la Vierge Mère, la toute sainte et la plus belle, l'inspiratrice des vrais artistes. Et Nous-même, Vicaire du Verbe, qui, étant miroir de la splendeur du Père, s'est fait chair et a habité parmi nous, de tout Notre coeur, Nous vous donnons notre Bénédiction Apostolique.


DISCOURS AUX MEMBRES DE L'INSTITUT INTERNATIONAL POUR L'UNIFICATION DU DROIT PRIVE (20 mai 1948)

1. D'après le texte français de l'Osservatore Romano du 21 mai 1948.

L'Institut international pour l'unification du Droit privé fut fondé en 1928 et a son siège à Rome (via Panisperna 28).

Il a pour but d'étudier et de coordonner les droits privés des différents États et de préparer graduellement l'élaboration d'un règlement uniforme dans le domaine du droit civil et commercial. Cet Institut tint un Congrès à Rome; vingt-huit nations y étaient représentées. Le Pape en recevant ses membres, leur dit:


Soyez les bienvenus. Messieurs, car c'est une vraie joie pour Nous de vous voir réunis ici au 20e anniversaire de « l'Institut international pour l'unification du Droit privé ».

Après vingt ans passés dans un austère labeur, votre jubilé illumine d'un rayon de bienfaisante clarté la nuit épaisse qui enveloppe la situation présente de l'humanité, qui pèse sur notre civilisation occidentale et projette tout particulièrement son ombre sur tout le domaine juridique.

Croyez-le bien, nul ne le sent plus profondément que l'Église qui se regarde à bon droit comme la mère de cette civilisation occidentale, de qui les peuples, non seulement de l'Europe et de l'Amérique, mais de l'univers tout entier, ont reçu et reçoivent encore aujourd'hui l'impulsion.


Le Saint-Père montre qu'il est difficile de concilier :
— Le respect des autonomies particulières ;
— La nécessité de s'entendre sur des règles communes.

C'est vous dire assez le vif intérêt que Nous avons pris à l'exposé de l'activité déployée jusqu'à présent par votre Institut. Opus arduum, certes ! et qui fait honneur à l'intelUgence, à la science et au labeur de ceux qui s'y sont dépensés ! Nous ajoutons volontiers : oeuvre aussi d'infatigable patience, de ténacité à poursuivre le but proposé, oeuvre de tact prudent et délicat dans l'examen des possibilités, si diverses suivant la capacité et les caractères propres à chaque peuple. (Euvre surtout d'imperturbable confiance dans le sens du droit et de la justice, inné au coeur de l'humanité. Quel témoignage tangible de la conviction que sous l'inépuisable variété des formes, le droit présente un fond d'éléments juridiques communs !


L'Église de son côté, a toujours professé qu'il existait un droit commun à l'ensemble des peuples.

Dieu merci! Nous ne demeurons pas en arrière et Nous accueillons avec un vif plaisir l'occasion que vous Nous offrez de manifester une fois encore Notre propre confiance dans ce sens du droit et de la justice, profondément ancré dans la nature humaine ; Notre propre conviction du fait de ce riche fond juridique, commun à tous les peuples. Puissiez-vous trouver dans cette déclaration du Chef de l'Église universelle, un encouragement et un stimulant à poursuivre courageusement votre tâche.


L'existence de ce droit commun est basée sur la croyance en une personnalité humaine toujours identique à elle-même, quant à son fond:

On ne saurait, en effet, prétendre unifier le droit privé des peuples sans d'abord être convaincu de l'existence inéluctable et partout valide de ce droit. Et d'autre part, comment pourrait-on être convaincu de son existence et de sa valeur universelle sans l'être du rayonnement nécessaire de la personnalité humaine sur les multiples relations des hommes entre eux, même et surtout dans le domaine des biens et des services?


Le droit naturel est fondé sur les exigences de la personne humaine. Le droit public civil ne peut que préciser ce droit premier ; le droit public n'est pas inventé artificiellement:

Ceux-là seuls qui ne veulent voir, dans l'individu qu'une simple unité qui fait nombre avec une infinité d'autres tout aussi anonymes, qu'un simple élément d'une masse amorphe, d'un conglomérat qui est tout l'opposé d'une société quelconque peuvent se bercer de la vaine illusion de régler tous les rapports entre les hommes uniquement sur la base du droit public. Sans compter que le droit public lui-même s'effondre du jour où la personne cesse d'être considérée, avec tous ses attributs, comme l'origine et la fin de toute vie sociale.


En particulier, en ce qui concerne le droit de propriété, il faut énoncer ce droit comme s'incrivant dans les nécessités mêmes de toute personne humaine :

Ces réflexions valent avant tout dans les questions du droit privé relatives à la propriété. C'est là le point central, le foyer autour duquel, par la force des choses, gravitent vos travaux. Da reconnaissance de ce droit tient ferme ou croule avec la reconnaissance des droits et des devoirs imprescriptibles, inséparablement inhérents à la personnalité libre qu'il a reçue de Dieu.


Seuls ceux qui nient la vraie dignité de la personne humaine peuvent professer la négation de la propriété privée.

Celui-là seul qui refuse à l'homme cette dignité de personne libre, peut admettre la possibilité de substituer au droit à la propriété privée (et par conséquent, à la propriété privée elle-même) on ne sait quel système d'assurances ou garanties légales de droit public.


Il pèse aujourd'hui sur l'humanité une grave menace; c'est de voir l'humanité se diviser à propos de deux conceptions irréductibles de l'homme et par là des fonctions de la propriété:

Puissions-nous ne pas voir se lever le jour où, sur ce point, une cassure définitive viendrait séparer les peuples ! De difficile qu'il est déjà, le travail d'unification du droit privé deviendrait radicalement impossible. Du même coup, un des maîtres-piliers, qui ont soutenu durant tant de siècles l'édifice de notre civilisation et de notre unité occidentale, céderait, et pareil à ceux des temples antiques, resterait gisant sous les ruines amoncelées par sa chute.


On constate, de fait, de plusieurs côtés, qu'on bat en brèche — tant dans le droit privé que dans le droit public — ce droit naturel de propriété :

Grâce à Dieu, nous n'en sommes point encore là ! Pourtant, le manque de scrupule, avec lequel on viole aujourd'hui des droits privés incontestables non seulement dans la conduite particulière de certains peuples, mais aussi dans des conventions internationales et dans des interventions unilatérales, est de nature à alarmer tous les gardiens qualifiés de notre civilisation.


Néanmoins de plusieurs côtés d'éminents spécialistes sont conscients de ce danger et étudient le moyen de restaurer la saine notion du droit de propriété :

Encore une fois, nous n'en sommes point encore là, et dans la vie juridique des peuples les forces saines semblent enfin se ressaisir, reprendre vigueur et permettre l'espérance. Un symptôme de ce renouveau est précisément à Nos yeux la persistance et la persévérance de votre Institut, auquel bon nombre d'États et d'organisations ont jusqu'à présent assuré leur appui et, Nous n'en doutons pas, continueront de le lui prêter. Aussi est-ce de tout coeur que Nous vous renouvelons l'expression du confiant intérêt que Nous prenons à ce jubilé tandis que Nous appelons sur vous, sur vos familles, sur tous ceux qui vous sont chers, l'abondance des grâces et des bénédictions divines.




DISCOURS AUX DÉLÉGUÉS DU CONGRÈS INTERNATIONAL DE CHIRURGIE (20 mai 1948)

1. D'après le texte italien paru dans \'Osservatore Romano du 23 mai 1948, traduction dans La Documentation Catholique du 20 juin 1948.
2. Le Pape Pie XII à plusieurs reprises a prononcé des discours traitant de questions médicales, notamment :
— Discours à l'Union italienne de Saint Luc, le 12 novembre 1944 (texte italien dans la Civilta Caiolica du 2 décembre 1944).
— Discours à l'Association des médecins-dentistes d'Italie, le 25 octobre 1946 (texte italien dans l'Osservatore Romano du 26 octobre 1946).
— Discours aux Ophtalmologistes italiens, le 30 septembre 1947 (texte italien dans l'Osservatore Romano du ier octobre 1947).



En mai 1948 se tint à Rome le VIe Congrès international de chirurgie groupant 600 médecins de 32 nations. Le Saint-Père accorda une audience au cours de laquelle il prononça le discours suivant:2



Venus à Rome de différents pays pour discuter des très nombreux problèmes qui concernent la chirurgie, vous avez, illustres Messieurs, estimé que les questions d'ordre technique et pratique sont bien loin de suffire à vos préoccupations ; vous avez voulu affirmer que les problèmes d'ordre moral et spirituel méritent, étant donnée leur importance capitale, de retenir eux aussi votre attention.


L'objet de la science médicale est la personne humaine elle-même: cet objet doit être très respectueusement traité:

Conscients comme vous l'êtes de votre responsabilité, vous vous rendez compte qu'elle découle de ce fait, dominant toute matière, à savoir que dans l'exercice de votre profession, vous avez entre vos mains et sous vos instruments des personnes humaines dont le corps vivant est digne de tout votre respect et a droit à tous vos soins. Même quand la vie elle-même n'est pas en jeu, vous disposez — et vous en êtes pleinement conscients — de deux grandes choses; l'intégrité du corps humain, la mystérieuse réalité de la souffrance humaine.


Un des premiers devoirs du chirurgien est d'être constamment au courant des perfectionnements de sa science. Il dispose dans ce but:
1. De sa propre expérience;
2. D'échanges divers avec ses confrères.

En raison même de cette profonde conviction, vous vous soumettez à une étude sérieuse et constante, afin de vous tenir soigneusement au courant des progrès des sciences anatomiques et biologiques, des méthodes chirurgicales qui se renouvellent et se perfectionnent continuellement avec leurs avantages, mais parfois aussi avec leurs risques. A cela sert la 'pratique assidue de la chirurgie; vous vous faites un trésor des résultats de votre propre expérience qui s'enrichit des observations échangées avec vos collègues.


De plus le chirurgien doit sans cesse veiller à se former afin d'être dans les dispositions optima pour exercer son art :

Mais la simple étude théorique, si intense soit elle, n'est pas suffisante; vous devez y joindre un autre travail, lui aussi persévérant et continu, travail plus intérieur et profond, de formation et de dressage strictement personnel dans l'exercice de vos facultés intellectuelles, de vos qualités morales et psychologiques, de vos aptitudes physiques, de vos sens et de vos doigts. De tout cela, vous sentez vous-mêmes vivement le besoin, soit avant, soit au cours des interventions chirurgicales.


Le Saint-Père évoque ensuite les principaux problèmes que le chirurgien doit résoudre:

1° Avant l'intervention chirurgicale. — La détermination à prendre engage gravement votre responsabilité. Les ressources de la médecine ont-elles été toutes employées, tant qu'elles pouvaient sembler par elles-mêmes seules efficaces? Mais, d'autre part, quel risque court-on en n'y procédant pas? Et encore : le moment est-il opportun pour opérer? Convient-il d'attendre ou faut-il, au contraire, se presser et agir rapidement? Faut-il courir le risque de l'urgence ou celui du délai? Quelle attitude avoir dans la consultation avec les médecins traitants? Chacun a, en effet, son mot à dire; par-dessus tout, dans des cas complexes, il peut y avoir discordance dans les opinions, et alors, chacun, tout en soutenant son opinion personnelle, peut se rendre compte du bien-fondé des raisons des autres.


Quand le chirurgien est arrivé à se créer un jugement fondé, sur un cas déterminé, il doit obtenir du malade son libre consentement:

Mais quand il a tout considéré (y compris le caractère moral de l'acte) le chirurgien ne doit plus hésiter. Cependant, après qu'il a formé consciencieusement et régulièrement son jugement, il lui reste encore un devoir, assez délicat, à remplir. Sans doute, il est obligé de faire connaître l'utilité ou la nécessité de l'opération comme aussi d'indiquer les incertitudes qui souvent l'accompagneront. Mais jusqu'à quel point doit-il simplement suggérer ou conseiller ou insister auprès du malade et de sa famille? Comment éclairer sans ambiguïté, tout en gardant les ménagements qui sont dus et en respectant la liberté des autres?


Toutefois, il est des cas où la morale pose des exigences qui interdisent la pratique de certaines interventions chirurgicales, que cependant du strict point de vue médical, on serait autorisé à pratiquer:

D'autres cas se présentent que Nous ne voulons pas dire plus embarrassants parce que le devoir est clair, mais plus douloureux à cause des tragiques conséquences qui peuvent parfois dériver de l'observation de ce devoir. Ce sont les cas où la morale impose son veto. S'il s'agissait uniquement de vous, il ne vous serait pas difficile de fermer l'oreille aux suggestions d'une pitié malsaine et de donner place à la raison contre la sensibilité. Mais combien de fois il vous conviendra de réagir non seulement contre les prétextes d'un intérêt vulgaire et laid, d'une inexcusable passion, mais contre les angoisses pourtant compréhensibles d'un amour conjugal ou d'une affection paternelle !


En effet, au-dessus de toutes les considérations scientifiques, au-dessus de tous les sentiments humains, il y a un principe fondamental :

Et pourtant le principe est inviolable. Dieu est seul le maitre de la vie et de l'intégrité de l'homme, de ses membres, de ses organes, de ses puissances, de celles en particulier qui l'associent à l'oeuvre créatrice. Ni les parents, ni le conjoint, ni l'intéressé lui-même ne peuvent librement en disposer. S'il est blâmable de mutiler un homme même sur sa demande instante, dans le but de le soustraire au devoir de combattre pour défendre sa patrie, ou de mettre à mort un innocent pour en sauver un autre; il n'est pas moins défendu — même pour sauver la mère — de causer directement la mort d'un petit être appelé, sinon pour la vie d'ici-bas, au moins pour la vie future, à une haute et sublime destinée ! ou encore il est défendu de tarir ou de stériliser les sources de la vie par une opération qu'aucun autre motif ne justifie. Il n'est pas permis de mettre la vie en danger, jamais de la supprimer, si ce n'est par l'espoir de protéger un bien plus précieux, ou de sauver ou de prolonger cette vie même.


Le Pape décrit ensuite les devoirs du chirurgien, au cours même des opérations qu'il pratique ; il insiste sur le fait que le chirurgien doit garder un équilibre parfait dans ses réactions :

2° Durant l'intervention chirurgicale. — Da salle d'opération bien préparée, aérée, munie de lampes scyalitiques, est prête. D'examen préalable du patient a été fait avec soin. Da stérilisation des instruments et des mains du chirurgien et de ses assistants est terminée. D'anesthésie ou l'analgésie, comme toutes les préparations cutanées, ont été effectuées. Voici que vous vous penchez sur la table d'opération où se trouve le malade. Vous devez être conscients de n'être plus, comme en d'autres moments, les anatomistes de la salle de dissection, les virtuoses du bistouri, ou du trépan, mais des hommes en face d'autres hommes, vos frères, qui se sont confiés totalement à vous. Dès lors, n'entrent plus seulement en considération la finesse de vos sens, la dextérité de vos doigts, la pénétration de votre attention, la rapidité, le génie, la sécurité de votre intuition; vous vous mettez à l'oeuvre avec tout votre coeur, mais de façon que ce dernier vous soit d'un réel secours; à présent, il ne vous sera un appui que si, tout en étant profondément sensible, il sait demeurer, à ce moment même dans un calme imperturbable. Si vous manquez de sensibilité vous ne ferez qu'exercer un métier; si vous manquez de calme, votre trouble rendant moins ferme votre main, risquera de compromettre la réussite de l'opération et, peut-être, aussi la vie du patient.

Ce drame intime se renouvelle chaque jour parfois plusieurs fois par jour — dans le fond de votre âme, avec plus ou moins d'intensité; mais si vous ne sentiez pas cette émotion, vous ne vous croiriez plus dignes de votre profession; si vous ne la dominiez pas, vous ne vous estimeriez plus capables de l'exercer. Drame qui, à la longue, peut user un homme de conscience et de coeur, mais qui donne à votre profession un caractère sacré.


Il reste après l'opération, d'autres devoirs à remplir; il faut surveiller les suites de l'intervention :

3° Quand l'opération est terminée. — Combien serait dans l'erreur celui qui penserait que, l'opération terminée, vous n'avez plus qu'à vous en aller tranquilles, comme si le rideau s'était abaissé à la fin d'un simple drame ! Non ! Ce drame se prolonge en vous, parce que vous ne pouvez pas ne point éprouver une affection — pour ainsi dire paternelle — à l'égard de ce malade dont la vie a été, pendant quelques moments, peut-être aussi pendant quelques heures, entre vos mains. Vous avez accompli la partie essentielle de votre charge, mais tout n'est pas fini; avec cela, combien de risques demeurent encore ! Ce sont tous ces dangers et malaises, certains de brève durée, d'autres parfois graves et parfois mortels qui suivent toute intervention chirurgicale où le sang coule. C'est pourquoi vous surveillez l'évolution de la fièvre, l'accélération ou le ralentissement du pouls.

De danger de complication écarté, vous suivez attentivement les progrès de la guérison, puis discrètement, vous vous retirez et vous laissez au chevet du malade, la place à d'autres qui seront les témoins de la convalescence et recevront peut-être des témoignages plus chaleureux de la reconnaissance de l'opéré !


Parfois le chirurgien entendra d'amers reproches; mais s'il a obéi à la dictée de sa conscience, ceux-ci ne pourront le troubler:

Si, au contraire, malgré votre prudence, votre habileté et vos soins, les conséquences du mal, ou trop grave ou déjà trop avancé, sont tragiques, ou si l'effet apparaît moins satisfaisant que ce qui était prévu ; oh ! alors, souvent, vous serez l'objet de reproches soit directs, soit indirects. Cependant, assurés, comme vous l'êtes, que devant Dieu et devant votre conscience,

votre responsabilité est pleinement couverte, certains d'avoir traité tous les malades, spécialement les moins fortunés, avec modération et charité, ne vous laissez pas troubler ou aigrir par l'injustice ou par l'ingratitude des hommes; mais comment pourriez-vous ne pas les sentir?


En général, le chirurgien jouira de la connaissance claire du devoir accompli.

Heureusement, l'ingratitude et l'injustice ne sont pas la règle générale ; souvent la reconnaissance cordiale de celui que vous avez sauvé et de tous les siens, sera pour vous une douce récompense. Avec raison, vous en goûtez la délicatesse à laquelle s'ajoute la joyeuse satisfaction professionnelle en face de l'heureux résultat de votre intervention.

D'ailleurs, la grâce du Christ viendra sanctifier ce travail professionnel bien fait : d'autant plus qu'il s'exerce sur les membres souffrants de l'humanité qui d'une manière toute spéciale représentent le Christ.

Mais le Christ qui souffre dans la chair de tous les malades, lui, infiniment délicat et bon, vous est reconnaissant des soins que vous leur avez donnés et vous bénit. Nous le prions maintenant de faire descendre sur vous ses grâces célestes les plus abondantes et de vous assister dans toutes vos interventions chirurgicales. Et Nous vous donnons de tout coeur Notre Bénédiction Apostolique, à vous-mêmes, à vos familles et à tous ceux qui vous sont chers.


ALLOCUTION A L'OEUVRE DES RETRAITES DE PERSÉVÉRANCE (23 mai 1948) \21

Près de 6.000 pèlerins venus des différentes provinces d'Italie, à Rome, ont été reçus au Vatican. Après une cérémonie religieuse célébrée au GESU le Pape s'exprima comme suit:

Vous offrez à Notre regard, Fils bien-aimés, un spectacle qui, en réjouissant Notre coeur, Nous découvre en même temps, un horizon brillant de belles espérances, horizon qui va s'élargissant et s'ouvre à une plus ample vision quand, au-delà de votre groupe déjà si compact. Nous pensons à vos si nombreux confrères de « l'CEuvre des Retraites de persévérance » de Naples qui n'ont pu vous accompagner aujourd'hui, à ceux de toute l'Italie et aux autres qui, dans les diverses nations du monde catholique forment des associations semblables à la vôtre. Que si vient encore s'y adjoindre la grande multitude de ceux qui, sans être incorporés dans ces mêmes institutions, professent cependant la même foi, et marchent du même pas avec vous, quelle puissante troupe au service de Dieu, au service de la société humaine, au service de vos frères, troupe rendue puissante encore par la valeur de ceux qui la composent !

Il y a lieu de faire l'éloge de l'apostolat qu'exercent ces hommes:

D'où tire-t-elle sa puissance et sa valeur? Du sentiment bien compris de votre dignité de pères de famille, de citoyens, de travailleurs, de chrétiens! Conscients que vous êtes de votre force, vous savez maintenir haut vos principes, vous pouvez servir d'exemple aux autres. Quand vous parlez, vous n'agitez pas le peuple à la manière des tribuns à la parole sonore et vide, mais exercez sans timidité votre influence, en hommes

convaincus dont le langage simple mais clair et franc défend les vrais intérêts matériels, sociaux, spirituels du peuple. Vous ne le forcez ni par la violence ni par les menaces. Vous le dirigez par l'exemple de croyants qui savent vivre leur pensée intime, leurs convictions, leur religion, qui se soutiennent mutuellement, qui portent secours aux faibles qui remettent sur la voie droite et instruisent avec une charité fraternelle les dévoyés et les égarés, mais qui savent aussi confondre et combattre, avec loyauté et courtoisie non moins qu'avec une énergique audace, les adversaires obstinés et sectaires.

Les retraitants prient souvent en commun :

D'après votre parole, vous invoquez l'appui et la faveur de Dieu par la prière en famille, par la prière en commun comme vous avez l'habitude de le faire dans vos belles réunions mensuelles. Mais cette prière deviendra d'autant plus vive et efficace que, plus qu'un acte commandé par la simple bonne volonté, elle sera réellement une effusion extérieure de votre vie surnaturelle, de cette sainteté personnelle à laquelle vous aspirez ardemment. Or, justement, cette vie surnaturelle, cette sainteté personnelle, votre ligue s'applique à la cultiver en vous moyennant la fréquentation des sacrements, la pureté de la conscience, la pratique de la vertu, grâce surtout aux réunions et aux retraites, aux cycles des exercices spirituels fermés.

Il faut aussi exercer autour de soi la vigilance, afin que des ennemis viennent profiter de l'insouciance pour défaire ce qu'on a fait.

Nous vous avons comparé à une troupe et la comparaison nous paraît appropriée, parce que la première condition pour reconstruire une société saine et chrétienne est de repousser les assauts et les incursions des ennemis. Da Sainte-Écriture, dans les livres d'Esdras, nous raconte l'histoire de la reconstruction de Jérusalem. Des ennemis d'Israël n'eurent pas plus tôt connaissance que les rescapés de la captivité étaient en train de rebâtir le Temple du Seigneur, qu'ils vinrent avec astuce offrir leur collaboration : « Permettez — disaient-ils, que nous bâtissions avec vous, parce que, nous aussi, comme vous, honorons votre Dieu et lui avons immolé des victimes. » (Cf. I Esd. IV, 2.) Mais fièrement repoussés par les Juifs, ils s'efforcèrent d'empêcher le travail du peuple de Judas (Ibid., 3, 4) et quand les fils d'Israël, le temple construit, se mirent dans la suite à relever les murs de la Ville sainte, les adversaires ne cessaient de les gêner, les menaçant et les contrariant dans leur travail. Mais ceux-ci, guidés par Néhémie, travaillant et portant chacun à son côté l'épée, poursuivirent intrépidement leur entreprise (2 Esd., 4, 17-18). D'histoire se répète souvent. Tandis que les honnêtes gens se consacrent au travail, chacun à son poste, sur le terrain conquis, à grand labeur, d'autres s'efforcent d'entraver et de gâter leur travail. Il vous appartient de veiller, de prier et de continuer votre oeuvre.

Nécessité aussi de construire selon le plan de Dieu:

Vous avez sous les yeux l'exemple de vos frères, occupés sans repos à réédifier les cités matérielles détruites par les bombardements de la guerre. Que font-ils? Une fois déblayé le terrain, ils s'appliquent à rassembler les matériaux; ils en trouvent parmi les ruines mêmes de bons et d'utilisables; ils les adaptent, les mettent en ordre et, rangée par rangée reconstruisent les murs et les maisons, chacune à sa place avec sa physionomie propre de foyer domestique. Et toutes ces maisons, bâties suivant un plan régulateur, s'alignent en rues, en ruelles autour de l'église.

Ainsi se réédifie la cité spirituelle : conversion, réforme, sanctification, instruction des individus, reconstruction de la famille selon les lois et les desseins de Dieu, dans sa dignité, dans son union, dans son activité, sous l'autorité du père, sous la surveillance de la mère; enfin, sage et forte organisation de la vie sociale, à l'ombre bienfaisante de l'Église. Tel est le but, l'idéal vers lequel, fils bien-aimés, vous dirigez l'oeuvre à laquelle vous êtes heureux et saintement orgueilleux d'appartenir. C'est pourquoi sur vous, sur vos familles, sur tous ceux qui vous sont chers, Nous implorons l'abondance des grâces divines, en gage desquelles Nous vous accordons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction Apostolique.

1. D'après le texte latin des A. A. S., 40, 1948, p. 254.

2. En hongrois dans l'original.

3. L'Épiscopat hongrois organisa durant l'année 1947 une année mariale qui groupa les foules autour des sanctuaires de la Vierge.

RADIOMESSAGE AUX CATHOLIQUES DE HONGRIE (30 mai 1948.)1

En 1938, se tenait à Budapest le Congrès Eucharistique International auquel S.S. Pie XI avait envoyé à titre de Légat le Cardinal Eugène Pacelli. Ce dernier, devenu Pie XII, en souvenir de cet événement, envoyait dix ans après le message suivant aux catholiques de Hongrie :

Loué soit Jésus-Christ *.

Salut de particulière affection à Nos chers fils et filles de Hongrie, en souvenir du Congrès Eucharistique *.

Il y a dix ans que s'est tenu à Budapest le Congrès Eucharistique international que Nous présidâmes en tant que Cardinal Légat a latere de Notre Prédécesseur Pie XI d'heureuse mémoire. Nous gardons toujours un souvenir agréable et reconnaissant de ces jours solennels passés dans cette ville célèbre sur les rives du Danube alors qu'une énorme foule d'hommes venus des régions les plus éloignées rendit un religieux hommage au Divin Rédempteur sous les espèces eucharistiques. Da splendeur des cérémonies sacrées, la magnificence des processions, la variété et l'abondance des prières, des louanges et des cantiques, les manifestations de foi et de piété n'y furent nullement inférieures à celles du même genre qui furent organisées en l'honneur de Notre Sauveur en d'autres endroits.

Cette foi et cette piété ne se montrèrent pas seulement pat des témoignages extérieurs et fugaces mais il furent à la source et à l'origine d'une vigueur spirituelle qui vous soutint durant les années de luttes qu'apportèrent la guerre et l'après-guerre et vous incita même à célébrer « l'Année Mariale 3 ».

1. Saint Etienne est le premier roi de Hongrie (969-1038). Il fut baptisé en 994 et amena presque tout son peuple au christianisme.

2. La Hongrie connut le régime nazi à partir de 1943 jusqu'en 1945 où les troupes soviétiques firent irruption dans le pays, y causant des dévastations et des pillages. Le Cardinal Justinien Seredi primat de Hongrie mourut en 1945 à la suite des mauvais traitements infligés par les nazis.

3. La Hongrie est dominée par un régime communiste qui use de la force pour

Alors ce que nous avons admiré le plus ce sont les remarquables qualités qui font le prix de l'âme des Hongrois : le zèle religieux, l'honneur humain, la force, la concorde et la constance; et c'est avec un grand plaisir qui nous resta longtemps présent à l'esprit, que nous avons vu que rien ne vous était plus précieux que de conserver les institutions et les exemples de saint Etienne, votre Roi et Patron 1.

Peu de temps après ce Congrès Eucharistique qui respirait la joie et la paix, sont survenus les malheurs et les vicissitudes de la période que vous connaissez tous et au cours de laquelle nous avions d'autant plus de sympathie pour vous que notre récente visite Nous faisait ressentir plus intimement le lien de charité qui vous reliait à Nous. Que de calamités et de désastres fondirent alors sur la Hongrie ! Combien de ses fils ne furent-ils pas tués, blessés ou faits prisonniers ! Que de ruines accumulées ! Et même une grande partie de cette belle ville et des splendides palais où Nous avions été reçus, furent détruits, frappés par les coups furieux de la guerre ».

Mais votre noble nation, qui subit au cours des siècles tant de pénibles traitements, ne se laissa pas abattre par ces flots sinistres. Comme un chêne âgé et vivace, elle peut être blessée, mais non déracinée. C'est votre caractère propre, en effet, d'agir et de souffrir avec courage.

Cette force qui est la vôtre, cette patience dans la douleur et cette espérance tenace ont leur source en la confiance que vous avez en Dieu et au soin que vous prenez d'entretenir en vous le feu du Saint-Esprit par lequel vous êtes nourris du suc et des préceptes de l'Évangile. Des valeurs spirituelles, en effet, qui sont notre principale raison de vivre si nous entendons conserver notre dignité d'hommes, attendent leur victoire avec confiance bien que la violence et la crainte puissent parfois les mettre en échec, car elles possèdent des forces d'un ordre supérieur: ce qui ne peut succomber se relève d'un élan toujours plus assuré3.

Vous avez reçu la religion chrétienne comme l'héritage précieux de saint Etienne et de vos glorieux ancêtres et tous vos efforts tendent à la conserver : elle peut, en effet, faire en sorte, elle qui engendre toutes les vertus, que vous brilliez par une puissance et une excellence singulières qui s'illuminent surtout lorsque les négateurs du nom de Dieu et de sa divinité s'attaquent à vous par leurs mensonges et leurs discours. Qu'aucun d'entre vous ne vacille : au contraire, que chacun persévère dans ces propos dignes d'être loués : personne n'est sage, personne n'est fidèle, personne n'est grand s'il n'est chrétien, mais personne n'est chrétien s'il ne tient pas jusqu'au bout ! (Tertullien, De la proscription des hérétiques, III).

Révérez et priez toujours avec la piété la plus soutenue le mystère eucharistique, lien de la charité : qu'il vous dispense toujours la force et la joie afin que, unis à l'Église catholique et à vos pasteurs, stables dans la foi, et riches de bonnes oeuvres, vous puissiez vous épanouir au milieu des difficultés. Préparez ainsi pour vos descendants un siècle qui réponde à votre attente ainsi qu'à la Nôtre par sa richesse en élans de paix et de bonheur ! Nous adressant à Dieu dans ce but, les yeux et les mains tournés vers le ciel, Nous accordons avec amour Notre Bénédiction Apostolique à Notre cher Fils, le Cardinal Joseph Mindszenty, Archevêque d'Esztergom, aux Évêques de Hongrie, aux prêtres, aux religieux et religieuses et à tous les fidèles. Nous confions les voeux et les désirs que Notre charité nous engage à former pour vous à la Vierge Marie, Mère de Dieu, Notre Dame et Notre Reine afin qu'ils soient accomplis heureusement et à bref délai.

Restez inflexiblement fidèles à l'amour de Jésus Eucharistique et de la Madone, Patronne des Hongrois1.

Loué soit Jésus-Christ1 Vive le Règne de Marie ».

persécuter la religion catholique. On trouvera les documents de l'Épiscopat hongrois sur la période 1945-1949 dans Le Livre Blanc : « Quatre années de lutte pour la défense de l'Église hongroise. » Documents publiés sur la demande du Cardinal Mindszenty (Ed. Amiot-Dumont, Paris, 1949).

On trouvera, p. 464, le décret du 28 décembre 1948, qui excommunie ceux qui ont participé le 26 décembre 1948 à l'arrestation de S. Em. le Cardinal Mindszenty.

1. En hongrois dans l'original.


DISCOURS AU SACRE COLLÈGE (2 juin 1948)


1. D'après le texte italien paru dans A. A. S., 40, 1948, p. 247 et la traduction française dans La Croix du n juin 1948.

II est de tradition que les Cardinaux, présents à Rome, viennent le jour de la fête patronymique du Pape présenter à ce dernier leurs voeux. SS. Pie XII s'appelant Eugène Pacelli, c'est donc le 2 juin que cette cérémonie se déroule:



Pour la dixième fois la Divine Providence Nous accorde de recevoir vos hommages, Vénérables Frères, en la fête de Notre saint Patron, et de vous exprimer Notre reconnaissance pour votre intime et fidèle collaboration, non moins que Notre confiance dans l'aide de vos prières.

Mais pour la première fois Nous avons aujourd'hui le bonheur d'accueillir vos souhaits présentés avec tant de ferveur et de délicatesse par le très aimé et très digne nouveau doyen de notre Sacré-Collège 2. Il y a à peine quelques mois, Nous entendions encore à l'occasion de Noël le vénéré et regretté Gennaro Granito di Belmonte. De Seigneur l'a rappelé à lui au soir d'une vie longue et féconde. Pour faire son éloge et dire Notre reconnaissance envers lui; il Nous vient immédiatement à l'esprit une parole qui lui convient remarquablement et le dépeint tout entier : « Il fut le « serviteur bon et fidèle » de l'Eglise du Christ et du Siège apostolique. »

2. Le Cardinal Granito Pignatelli d` Belmonte, qui était doyen du Sacré-CollXf0ège depuis le 19 juillet 1930, est mmrt à Rome à l'âge de 97 ans, le 27 `vril 1948.
Il a été remplacé comme doyen par le Cardinal Francesco Marchetti-Selvaggiani, né en 1871, consacré Archevêque de Seleucie en 1918, Cardinal depuis 1930 et Vicaire Général de Sa Sainteté pour la ville de Rome.


Au milieu des difficultés actuelles, le Saint-Père trouve réconfort en songeant à l'attitude prise autrefois par son Saint Patron :

Aujourd'hui Notre pensée nous ramène naturellement vers le saint pontife dont Nos parents, dans leur profonde piété, Nous imposèrent le nom et Nous assurèrent le patronage à l'entrée dans la vie, sans en deviner le mystérieux présage *. Et Nous, qui, depuis près de dix ans, gouvernons sous les rafales de la tempête, sous les coups furieux de l'ouragan, la barque de Pierre, ballotée sans pause ni trêve à travers les écueils, Nous Nous sentons réconforté par le souvenir des exemples de cet homme qui fut vraiment ici-bas « le. Grand-Prêtre qui, durant sa vie, plut à Dieu et fut trouvé juste », et maintenant, de l'éternel repos, de la gloire céleste, fait descendre sur le dernier de ses successeurs un doux rayon de lumière qui Nous remplit de consolation, de courage et de confiance.

1. Saint Eugène, Romain de naissance, fut élu pape en 654 et mourut le 2 juin 657. Il connut au cours de son pontificat de sérieuses difficultés, notamment avec la cour impériale de Constantinople.


Les Papes n'ont jamais peur:

Terrena non metuet! Il ne craignit rien sur la terre. `ng1024 D97? sainte liturgie dépeint dans le vigoureux raccourci d'une brève antienne la figqre d'un Souverain Pontife selon l'esprit et le coeur du divin Maître, tout pénétré de la gravité de sa mission et de ses responsabilités : « Dum esset Summus Pontifex, terrena non metut: Quand il était Souverain Pontife, il ne craignit rien sur la terre ! » Voilà le trait caractéristique qui résume la vie et l'activité de tous les grands Papes. Dès le moment où Nous fûmes, malgré Notre indignité, appelé à Nous mettre à leur suite, Nous l'avons entendu comme un continuel avertissement pour Notre conduite, Nous en avons fait l'idéal vers lequel de toutes Nos faibles forces Nous devons tendre. En un temps comme le nôtre, troublé et troublant, en un temps dans lequel la vérité et l'erreur, la foi en Dieu et la négation de Dieu, la suprématie de l'esprit et la domination de la matière, la dignité humaine et l'abdication de cette dignité, l'ordre de la raison et le chaos de l'irrationnel s'affrontent sur toute la surface du globe en une lutte définitive, la mission de l'Église et de son Chef visible ne peut s'accomplir et se réaliser avec la bénédiction du ciel que sous la devise : terrena non metuit!

Avoir peur ! De quoi? Ne sommes-nous donc pas forts? De heurt entre ceux qui suivent le Christ et ses ennemis est-il insurmontable? D'Église souffre à la pensée du mal que ses ennemis font à eux-mêmes, du mal qu'ils font à tant d'âmes simples, fragiles, ignorantes, pour lesquelles ils sont cause de scandale et de ruines. D'Église, elle, ne craint pas. Au contraire, une telle conviction intime de sécurité ne fait que raviver l'ardeur des disciples du Christ et imprimer en eux, plus vive et plus profonde, la conscience de leur force.


Dans les circonstances actuelles, les chrétiens ne peuvent être « endormis »:

Dans la pénombre, la ligne de séparation entre les deux camps pouvait sembler flottante aux regards superficiels. Da grande lumière de la vérité l'a dessinée nettement dans les points mêmes où elle semblait plus incertaine. Il est nécessaire à présent que quiconque conserve encore au fond de l'âme un reste d'esprit chrétien se ranime. Ce réveil peut secouer péniblement la placide tranquillité de ceux à qui la lumière de la réalité montre inexorablement des renoncements et des changements, auxquels, dans le demi-sommeil, ils n'avaient pas pensé et à quoi désormais, il n'est pas possible de se soustraire. Mais aussi réveil salutaire, parce qu'il libère les énergies demeurées jusqu'ici emprisonnées et comme endormies, au grand dommage des particuliers et de la société entière.


L'activité des catholiques doit s'étendre à la vie publique :

Les sentiments, les actes, les résolutions qui naissent de ce réveil ne sont pas confinés, selon une formule erronée, dans le champ appelé « purement religieux », entendant par ces mots, l'exclusion de toute pénétration dans la vie publique. Au contraire, leur objet dans le terrain civil, national, international, embrasse toute question dans laquelle il s'agit de se ranger pour Dieu ou contre Dieu : en un mot, toute question qui, implicitement ou explicitement, touche la religion l.

. En de nombreux discours le Saint-Père insiste sur cette même idée : « Depuis deux mille ans, vit et persévère dans l'âme de l'Église le sentiment de la responsabilité collective de tous pour tous, le sentiment qui a poussé et pousse encore les âmes jusqu'à l'héroïsme charitable des moines agriculteurs, des libérateurs d'esclaves, des guérisseurs de malades, des messagers de la foi, de civilisation et de sciences à toutes les générations et à tous les peuples, en vue de créer des conditions sociales qui n'ont de valeur que pour rendre à tous possible et aisée une vie digne de l'homme et du chrétien. » (Radio-message du Ier juin 1941.)

« Le mot d'ordre doit être... pour la foi, pour le Christ, dans toute la mesure du possible, présence partout où sont en cause les intérêts vitaux, où sont en délibération les lois qui regardent le culte de Dieu, le mariage, la famille, l'école, l'ordre social, partout où se forge par l'éducation l'âme du peuple. » (Allocution à l'Union Internationale des Ligues Féminines Catholiques, 12 septembre 1947.)


L'action de l'Eglise ne se confond pas avec l'activité politique. Toutefois l'Église peut être appelée à défendre un programme qui ressemble au programme d'un parti politique. Les nécessités du moment l'imposent quelquefois.

C'est ainsi précisément qu'au cours de la campagne électorale italienne, l'Église dut mettre ses fidèles en garde contre les erreurs du communisme.

Dans d'autres pays, l'Êpiscopat dut parfois inviter les catholiques à mener campagne pour la défense de la liberté scolaire ou de certains droits de l'homme, alors que cette même défense est inscrite au programme de partis politiques.

Néanmoins les deux plans restent distincts.

Dans ces sentiments, dans ces résolutions, dans ces actes, les forces catholiques, tout en réservant leur indépendance vis-à-vis des tendances et des groupements politiques, peuvent parfois suivre un chemin parallèle au leur, dans la mesure où les intérêts communs le conseillent : parallèle, mais non davantage, sans identification ni subordination.

Il est indispensable, dans certains cas, de provoquer le rassemblement de toutes les forces catholiques :

Ces sentiments, ces résolutions et ces actes constituent le front solide de la conscience chrétienne pour mettre en temps et lieu un frein au progrès du nihilisme religieux, aux violences de la force brutale aux profanations de la personnalité et de la dignité humaines, aux attentats contre la société ou aux abus de celle-ci.

C'est pourquoi, à tous Nos fils et filles bien-aimés répandus dans le monde, qui se sont enrôlés dans l'armée du Christ, voués à la lutte pour la venue de son règne pacifique, au nom du Dieu fait homme, Nous adressons Notre paternel remerciement, tout en exprimant Nos voeux les plus fervents pour que, persévérants fidèles jusqu'à la mort ils soient, au grand jour de la récompense éternelle, du nombre de ces « vainqueurs » à qui sont réservées les promesses magnifiques et insondables de la mystérieuse révélation. (Ap 2,7-11) l.

1. Ce texte de l'Apocalypse fait allusion aux combats et aux persécutions que les chrétiens auront à subir; mais dont le terme sera le triomphe et la gloire : « Que celui qui a des oreilles entende ce que l'Esprit dit aux Églises (aux communautés chrétiennes).
« A celui qui vaincra je lui donnerai à manger l'arbre de vie qui est dans le paradis de Dieu.
« Ne crains rien de ce que tu auras à souffrir. Voici que le diable va jeter quelques-uns de vous en prison, afin que vous soyez mis à l'épreuve. Sois fidèle jusqu'à la mort et je te donnerai la couronne de vie. »



Sans doute la campagne menée contre les adversaires de l'Église a, durant les premiers mois de 1948, porté ses fruits, notamment en Italie par la victoire du parti démocrate-chrétien 1 et en France également par le recul communistea, néanmoins, ce n'est là vraisemblablement qu'une pause ; la lutte reprendra bientôt sous de nouvelles formes :

Nous sommes assurés qu'ils ne se sentiront pas offensés si à l'expression de Notre gratitude qui jaillit du fond de Notre coeur, Nous ajoutons un nouveau stimulant : vigilate! Veillez !

Dans les brefs repos qui séparent deux batailles, cette vigilance sans défaillance est plus que jamais nécessaire, parce que le danger est grand alors de s'endormir sur ses lauriers, de s'affaiblir et de laisser l'adversaire reprendre le terrain laborieusement conquis. Des jours de trêve souvent ne sont pas moins importants que ceux du combat. Ils ne doivent pas être des jours d'interruption vide et infructueuse, mais de travail utile, de travail de « sauvetage », de travail de construction, pour donner corps et forme aux belles espérances suscitées par la victoire.

1. Les élections italiennes ont de fait eu pour résultats :
— 48 % des votes pour les démocrates chrétiens;
— 3° % — le Front Populaire (communiste);
— 7 % — l'Union socialiste;
— et le reste pour des listes de moindre importance.

2. En France aux élections du 7 novembre 1948 on a également enregistré un recul des voix communistes.


Une action spéciale doit être entreprise auprès de ceux qui prétendent rester catholiques, tout en adhérant à des partis qui mènent, de fait, une action anti-religieuse :

Ce travail de « sauvetage » doit s'étendre aussi aux trop nombreux dévoyés qui, tout en étant — du moins le pensent-ils — unis à Nos fils dévoués sur le terrain de la foi, s'en séparent pour se mettre à la suite des mouvements qui tendent effectivement à laïciser et déchristianiser toute la vie privée et publique. Quand même vaudrait pour eux la divine parole : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font » (Lc 23,34), cela ne changerait en rien le caractère objectivement pernicieux de leur conduite. Ils se forment une double conscience dans la mesure où, tandis qu'ils prétendent demeurer membres de la communauté chrétienne, ils militent en même temps, comme troupes auxiliaires, dans les rangs des négateurs de Dieu Or. précisément, cette duplicité ou ce dédoublement menace de faire d'eux tôt ou tard, une tumeur dans le sein même de la chrétienté. Ils rappellent à Notre pensée le souvenir de ceux dont l'Apôtre Paul parlait « en pleurant », flens, et qui arrachent aussi des larmes à Nos yeux parce qu'ils se comportent en ennemis de la croix du Christ : inimicos crucis Christi (Ph 3,18).

Tant qu'il est possible, Nous cherchons avec bonté et patience à leur ouvrir les yeux pour les reconduire à Celui qui seul est la voie, la vérité et la vie. En effet, pour donner aux questions terrestres des solutions justes et salutaires (conformes aux normes divines et éternelles), la prière de l'Eglise nous vient aussi en aide : « O Dieu... donnez à tous ceux qui se déclarent chrétiens de rejeter ce qui est contraire à ce nom, et de suivre ce qui lui convient. » (Or. dom. III post Pasch.). Et tandis que Nous élevons ainsi Notre prière pour ceux qui sont en danger. Nous les conjurons en même temps d'écouter les avertissements de l'Église qui, aujourd'hui encore, comme une mère aimante exhorte et prie pour qu'elle ne se voie pas obligée à la fin de leur appliquer la sentence sévère du divin Maître : « S'il n'écoute pas même l'Église qu'il soit pour toi comme un païen et un publicam. » (Mt 18,17).

Toutefois pour ramener ces brebis égarées, il ne suffit pas de leur adresser de bonnes paroles ou de leur exposer de beaux principes, il faut des actes. Il faut que dans tous les secteurs de la vie, les catholiques soient en tête des réformes sociales :

Mais la reconquête de tant de coeurs égarés ou aigris, qui ont perdu les conceptions justes et les idées saines sur le monde, sur Dieu et sur eux-mêmes, dépendra essentiellement du sérieux, de l'énergie et du désintéressement que toutes les âmes droites apporteront à la solution des problèmes fondamentaux nés des ruines et des bouleversements de la guerre et de l'après-guerre. Au centre de ces questions, et les dominant toutes, se tiennent, comme chacun sait, les réformes sociales, justes et nécessaires, et particulièrement l'urgent besoin de donner aux classes moins favorisées des habitations, du pain, du travail.

1. Parmi les groupes qui essayent de concilier catholicisme et communisme, il faut mentionner : les Chrétiens Progressistes. Ceux-ci sont répandus en Italie, et en France et on a pu voir dans certains pays d'Europe centrale, des groupes partageant le même espoir.



Ces réformes sociales, aussi sages et profondes qu'elles soient, n'apporteront pas immédiatement le bien-être pour tous.

Il serait cependant dangereux parce que cela conduirait facilement à d'amères désillusions, de vouloir tirer de telles réformes des espérances chimériques et l'attente d'un résultat pleinement satisfaisant et rapide.

En effet, à la suite des ruines accumulées par la guerre et le désordre qui s'ensuit, ce n'est plus seulement le problème de la répartition des richesses qui est en cause, mais celui de la production de ces richesses:


Le Pape décrit ce problème fondamental de l'économie contemporaine comme suit:

Aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement de pourvoir à une répartition des produits de l'économie publique d'une manière plus équitable et correspondant mieux au travail et aux besoins des particuliers.

Pour imposante que puisse être cette exigence, cependant, dans les conditions actuelles, principalement après les énormes destructions et les changements occasionnés par la guerre, toute réforme sociale est étroitement liée à la question d'une sage organisation de la production. Les rapports entre l'agriculture et l'industrie dans les diverses économies nationales, et celles-ci avec les autres, le mode et le degré de participation de chaque peuple au marché mondial, tous ces difficiles problèmes se présentent aujourd'hui sous une forme nouvelle et différente d'autrefois; de leur solution rationnelle dépend la productivité de chaque nation et, par conséquent, aussi le bien-être des individus, puisqu'il est clair que là où il n'y a pas production suffisante, il ne peut y avoir non plus répartition suffisante.


Au milieu d'un monde appauvri, certaines nations présentent cependant un bilan de prospérité:

Sans aucun doute, il y a des peuples qui se vantent aujourd'hui d'une puissance de production dont ils montrent d'année en année l'augmentation progressive.

Mais il faut se demander par quels procédés ces pays parviennent dans le chaos économique, à produire, à vendre et à prospérer. Il faut hélas ! souvent constater que les méthodes employées par ces pays sont nettement condamnables :

— on y exploite injustement les autres pays, "

— on y exploite injustement les travailleurs,

— on y exploite abusivement la nature:

Si toutefois cette productivité est obtenue par une concurrence effrénée et par un usage sans scrupule de la richesse, ou bien par l'oppression et l'exploitation despotiques du travail et des besoins des particuliers de la part de l'Etat, elle ne peut être saine et véritable, parce que l'économie sociale est un groupement harmonieux de travailleurs dont chacun est doué de la dignité humaine et de liberté.

L'exploitation immodérée des vraies valeurs humaines va ordinairement de pair avec celle des trésors de la nature, spécialement de la terre, et conduit tôt ou tard à la décadence.

Seuls les États respectant la morale chrétienne peuvent espérer restaurer un régime économique sain :

C'est uniquement sur les principes et selon l'esprit du christianisme que peuvent s'accomplir les réformes sociales, telles qu'elles sont impérieusement requises par les nécessités et les aspirations de notre temps1.

1. Cette affirmation que seule l'Église est capable d'apporter aux maux sociaux les vrais remèdes revient souvent sur les lèvres du Souverain Pontife :
Si l'avenir doit appartenir à la démocratie, une part essentielle de son édification incombera à la religion du Christ et à l'Église, messagère de la parole du Rédempteur et continuatrice de sa mission de salut. Elle enseigne, en effet, et elle défend la vérité, elle communique les forces surnaturelles de la grâce pour réaliser l'ordre des êtres et des fins qui a été établi par Dieu et qui est le fondement ultime et la norme directive de toute démocratie. (Radio-message du 24 décembre 1944.)
Le travail de l'Église s'accomplit au fond du coeur de chacun... mais il a sa répercussion sur toute la durée de la vie, dans tous les champs de l'activité des individus. Dans ces hommes ainsi formés, l'Église prépare à la société humaine une base sur laquelle elle peut reposer avec sécurité. (Allocution au Sacré-Collège, 20 février 1946.)



Elles exigent des uns un esprit de renoncement et de sacrifice, des autres le sens des responsabilités et de l'endurance de tous un travail dur et ardu. j



Les catholiques doivent donc se mettre à la besogne et promouvoir là vraie réforme sociale:

C'est pourquoi Nous Nous adressons aux catholiques du monde entier les exhortant à ne pas se contenter de bonnes intentions et de beaux programmes, mais à procéder courageusement à leur mise en pratique.


Pour ce faire, les catholiques peuvent aisément collaborer avec les non-catholiques, pourvu que ceux-ci admettent les principes fondamentaux de l'enseignement social de l'Église:

Qu'ils n'hésitent pas à conjuguer leurs efforts avec ceux des hommes qui, tout en étant hors de leurs rangs, sont toutefois d'accord avec la doctrine sociale de l'Église catholique et sont disposés à suivre le chemin tracé par elle, qui n'est pas la voie des bouleversements violents, mais celle de l'expérience éprouvée et des résolutions énergiques




1. Au cours de ces dernières années le Pape Pie XII a fréquemment appelé à la collaboration avec les catholiques, les hommes de bonne volonté. Voici quelques textes à ce sujet :
Ce n'est que par une action une et concertée que Nous pourrons réaliser ces vastes plans. Pour cette raison. Nous sommes mus par la charité à inviter à collaborer tous ceux que l'Église Mère pleure de voir séparés d'elle. (Encyclique Sertum Laetitiae, Ier novembre 1939.)
A tous Nos fils et filles de ce vaste univers, à ceux aussi qui, sans appartenir à l'Église, se sentent unis à Nous à cette heure de décisions peut-être irrévocables, Nous adressons une pressante exhortation. Qu'ils pèsent l'extraordinaire gravité des circonstances, qu'ils considèrent comment, par-dessus toute autre collaboration divergente, avec d'autres tendances idéologiques et d'autres forces sociales, suggérée en certain cas par des motifs purement contingents, la fidélité au patrimoine de la civilisation chrétienne, sa défense intrépide contre tous les courants athées ou anti-chrétiens est la clé de voûte qui ne peut être sacrifiée à aucun avantage passager, à aucune combinaison sujette au changement. (Radio-message, du ier septembre 1944.)


Depuis que les hostilités ont cessé avec l'Allemagne (7 mai 1945) et le Japon (10 août 1945) d'autres parties du globe demeurent ensanglantées par la guerre et notamment la Palestine, particulièrement chère aux coeurs chrétiens, car elle abrite les Lieux-Saints K

Parmi les problèmes politiques qui attendent une solution adéquate, il est superflu de dire que vient en premier lieu celui de la paix universelle. Et voici au contraire que, à la profonde consternation de toute la chrétienté, les flammes de la guerre, qui embrasaient déjà la noble Grèce, et la Chine très ancienne, se sont rallumées dans les lieux mêmes où, il y a presque deux mille ans, avait retenti le divin message de la paix, inaugurant l'oeuvre du salut. Da trêve annoncée cette nuit même, bien que provisoire, doit être saluée avec un soupir de soulagement2. Comment le sang des hommes pourrait-il continuer à couler à torrents sur la terre qu'avait empourprée le sang de l'Homme-Dieu pour apporter à tous les hommes la rédemption et le salut? Comment le monde chrétien pourrait-il contempler avec une indifférence impassible, ou dans une stérile indignation, cette Terre Sainte dont chacun s'approchait avec le plus profond respect pour la baiser avec le plus ardent amour, foulée encore aux pieds par des troupes de guerre et frappée par des bombardements aériens? Daisser consommer la dévastation des Dieux-Saints, bouleverser le « grand sépulcre du Christ » ? Dieu veuille que le danger d'un fléau si horrible puisse être définitivement conjuré !


1. On se rapportera à la page 172 où nous donnons le texte de l'Encyclique Auspicia Quaedam (ier mai 1948) qui traite ce même sujet.
2. A la demande de l'Organisation des Nations Unies, Juifs et Arabes acceptaient le ier juin une trêve de quatre semaines, devant commencer le 11 juin

Les pourparlers nombreux qui ont lieu entre les vainqueurs de la Guerre / 1939-1945 n'ont pas réussi à fonder la paix internationale. Toutefois des formules nouvelles sont lancées pour préparer la paix, essayer d'unifier l'Europe. C'est ainsi qu'en mai 1948, s'est tenu à La Haye un Congrès de l'Union Européenne des Fédérations 1.

Puisque le monde languit de la sorte depuis désormais trois ans dans un étrange malaise et erre par divers sentiers, titubant entre la paix et la guerre, les esprits clairvoyants et courageux cherchent incessamment de nouvelles voies vers un passage de salut. Au moyen de tentatives répétées de réconciliation, de rapprochement entre nations naguère encore en lutte les unes contre les autres, ils s'appliquent à remettre sur pied une Europe ébranlée jusque dans ses fondements, et à faire de ce foyer d'agitation chronique un boulevard de paix et la promotrice providentielle d'une détente générale sur toute la face de la terre.

A cause de cela, sans vouloir faire entrer l'Église dans l'enchevêtrement d'intérêts purement terrestres, Nous avons estimé opportun de nommer un représentant personnel spécial au « Congrès de l'Europe », qui s'est tenu récemment à Da Haye, afin de montrer la sollicitude et de porter l'encouragement du Saint-Siège pour l'union des peuples 2. Et Nous ne doutons pas que tous Nos fidèles auront conscience que leur place est toujours aux côtés de ces esprits généreux qui préparent les voies à l'entente mutuelle et au rétablissement d'un sincère esprit de paix entre les nations.

1. On lira plus loin, p. 403, l'Allocution aux Délégués du Congrès International de l'Union Européenne des Fédéralistes. (11 novembre 1948.)
2. ss. Pie xii a désigné le 4 mai 1948 S. Exc. Mgr Giobbe internonce apostolique à La Haye, comme représentant du Saint-Siège à la Conférence pour l'Union Européenne qui s'est tenue dans cette ville.



Devant le triste spectacle que donne le monde, il est urgent que les catholiques donnent le témoignage de leur unité et l'Année Sainte en 1950 3 en fournira l'occasion:

Plus le monde met en face de leurs yeux le spectacle désolant de ses dissensions et de ses contradictions, plus pressant est le devoir des catholiques de donner un lumineux exemple d'unité et de cohésion, sans distinction de langues, de peuples et d'origines.

3. On trouvera d'autres documents sur l'Année Sainte dans le volume des Documents Pontificaux de 1949.

A la lumière de cet idéal de concorde, Nous accueillons avec reconnaissance envers Dieu et avec confiance dans son assistance l'approche de l'Année Sainte. On a pu, à certains moments, se demander si la Ville Éternelle aurait été matériellement et spirituellement en état d'assurer à un événement d'aussi grande portée un cadre digne de lui1.

Mais l'énergie, la grandeur d'âme, le sentiment fort de l'ordre dans la justice et dans la paix qui animent le peuple de Rome et de l'Italie, ont produit sur le monde catholique une si profonde impression qu'ils ont dissipé tout doute et ôté son fondement à toute sorte de crainte.

Aussi est-ce avec une joie profonde et une douce émotion que Nous vous donnons, Vénérables Frères, ainsi qu'à tout l'univers catholique l'annonce qu'en 1950, la célébration de la 25e année sainte dans l'histoire de l'Église aura heu, s'il plaît au Seigneur, selon les formes consacrées par la vénérable tradition.

Après les tristes temps, qui viennent de s'écouler, remplis, jusqu'au bord du calice de douleurs et d'angoisses, puisse cette Année vraiment sainte, avec la grâce du Tout-Puissant, par l'intercession de l'auguste Mère de Dieu, des princes des apôtres et de tous les saints, être pour la famille humaine annonciatrice d'une nouvelle ère de paix, de prospérité, de progrès ! Tel est Notre voeu le plus cher, l'objet de Nos plus ferventes supplications.

Que les jours de l'Année Sainte apportent la réponse du ciel à la prière que, comme d'un seul coeur, Pasteur et troupeau, Rome et l'univers, élèvent vers Dieu : Laetifica nos pro diebus quibus nos afflixisti, pro annis quibus vidimus mala. Réjouissons-nous pour les jours durant lesquels tu nous as affligés, pour les années durant lesquelles nous avons éprouvé le malheur. » (Ps. DXXXIX, 15.)

Dans cette attente consolante, à vous Vénérables Frères, et à tous Nos fils et filles bien-aimés qui ont écouté Notre message », Nous accordons avec une affection particulière Notre Bénédiction apostolique.

1. De nombreux troubles sociaux et politiques, les ravages opérés par la guerre sur le sol italien ont fait hésiter le Souverain Pontife avant de décider si l'Année Sainte pouvait être déclarée pour 1950, mais heureusement la situation s'apaisant et le travail de reconstruction se poursuivant, la chose devenait possible.

2. Ce discours a été radiodiffusé.



AVERTISSEMENT (1) DE LA SUPREME CONGRÉGATION DU SAINT-OFFICE concernant les réunions communes entre catholiques et non-catholiques (5 juin 1948)

1. Notons que c'est à tort qu'on a parlé de « Décret du Saint-Office ». Il s'agit, non d'un décret, mais d'un « avertissement » qui, au fond, n'est essentiellement que le rappel de mesures prises antérieurement. Le Monitum ne prétend apporter en cette question aucun élément nouveau et renvoie expressément aux prescriptions du Droit canonique.
2. D'après le texte latin des A. A. S., 40, 1948, p. 257.


Le Monitum comporte trois parties réparties en trois paragraphes : réunions ou conférences doctrinales avec des non-catholiques — réunions oecuméniques — actes de culte entre catholiques et non-catholiques.



On a constaté que des réunions mixtes de catholiques avec des acatholiques dans lesquelles on a traité de choses regardant la foi, ont eu lieu, en divers endroits, à rencontre des prescriptions canoniques et sans autorisation préalable du Saint-Siège. On rappelle à tous que, conformément au canon CIS 1325, § 3 3 il est interdit aux laïques comme aux clercs tant séculiers que réguliers, d'assister à ces sortes de réunions. Il est encore beaucoup moins permis aux catholiques d'organiser ces rencontres et d'y convoquer du monde. En conséquence, que les Ordinaires de lieux poussent fortement à l'observance par tous de ces prescriptions canoniques.

3. Le paragraphe 3 du canon CIS 1325 est ainsi conçu : « Les catholiques doivent prendre garde à éviter toute discussion ou conférence, surtout publique, avec les acatholiques sans l'autorisation du Saint-Siège, ou, en cas d'urgence, de l'Ordinaire du Lieu. »

Ces dernières doivent être à plus forte raison respectées quand il s'agit de réunions qu'on appelle « oecuméniques ».



Sans le consentement préalable du Saint-Siège, les catholiques, tant les laïques que les clercs, ne peuvent d'aucune façon y assister 1.

Comme assez souvent même des actes de culte mixte ont été célébrées soit pendant ces réunions, soit en dehors d'elles, tous les fidèles sont de nouveau prévenus que conformément aux canons CIS 1258 et CIS 731, § 2, toute communication in sacris est absolument défendue s.



1. La date de parution (5 juin) indique assez que c'est la participation à la conférence d'Amsterdam (22 août-5 septembre) que le Monitum avait tout spécialement en vue dans son paragraphe second.
2. Voici le canon CIS 1258, §§ 1 et 2 : « Il n'est pas permis aux catholiques d'assister ou de participer activement, d'une manière quelconque, aux cérémonies cultuelles des non-catholiques. On peut seulement tolérer une présence passive ou purement matérielle aux funérailles, aux mariages et autres solennités de même genre, à titre d'honneur et de civilité, lorsque cette présence est motivée par une raison grave qui devra en cas de doute être soumise à l'approbation de l'Évêque; et encore faut-il qu'il n'y ait pas à craindre de danger de perversion et de scandale. »

Celui qui malgré le canon 1258, communique in divinis avec les hérétiques est 0 suspect d'hérésie » déclare le canon 2316.

Le canon 731, § 2 dit qu'il est défendu de conférer les sacrements de l'Église aux hérétiques et aux schismatiques, même de bonne foi, qui les demanderaient, si ce n'est qu'après l'abjuration de leurs erreurs et leur réconciliation avec l'Église.

Certains font précisément grief à l'Église de ces attitudes qu'ils estiment purement négatives. Les temps, disent-ils, ont changé. Pourquoi éterniser une polémique stérile, de suspicion et de combat ? Pourquoi devant la bonne volonté dont témoignent nos frères séparés se limiter à la défensive au lieu de soutenir et d'encourager ? Une telle attitude ne saurait qu'irriter vainement les uns et décourager les autres.

Une réponse loyale ne saurait ignorer les raisons qui ont justifié le Monitum, qu'il s'agisse : a) des réunions doctrinales; b) des réunions oecuméniques; c) des actes de culte entre catholiques et non catholiques.

a) Réunions ou conférences d'ordre doctrinal.

Le Monitum réprouve non les réunions en elles-mêmes mais bien le fait qu'elles aient parfois eu lieu sans l'autorisation préalable exigée par le Saint-Siège.
Le canon 1325 § 3 auquel le Monitum renvoie a précisément pour objet cette autorisation. L'Encyclique Orientalis Ecclesiis (9 avril 1944) prône au contraire ces réunions doctrinales. (Voir J. Gonsette : Monitum du 5 juin 1948 sur les réunions interconfessionnelles dans Nouvelle Revue Théologique, mai 1949, PP 524 et seq.)
D'autre part, depuis la parution du Monitum, le Saint-Office a autorisé de semblables réunions.
En somme, si l'Église se refuse à reconnaître pour utiles et sans dangers toutes les réunions interconfessionnelles d'ordre doctrinal, si elle met en garde l'enthousiasme souvent candide de certains, si elle exige des garanties de sérieux et subordonne ces réunions à son autorisation préalable, il serait faux de prétendre qu'elle les rejette toutes.

b) Réunions oecuméniques.

Ce qui rend a priori impossible toute participation de l'Église de Rome en qualité de membre à ce genre de réunions c'est leur présupposé théologique selon lequel l'Église serait une fédération de communautés chrétiennes aux doctrines souvent divergentes mais égales en droit et à la recherche d'une plus grande unité.

Mais Rome devait-elle se refuser à envoyer à Amsterdam des observateurs qui, sans représenter leur Église eussent exposé sa doctrine, éclairé les esprits, répondu aux questions? Certes rien ne s'y opposait? Pourquoi ne le fit-elle pas? Bien que réduits en ce domaine aux conjectures, nous pouvons à la suite du P. Gon-sette, indiquer comme raisons problématiques le désir de Rome d'affirmer une fois encore les dures exigences de l'Unité, que d'aucuns dans leur zèle, semblent oublier parfois; sans doute voulut-on éviter toute confusion dans les esprits et éviter de créer l'équivoque; enfin peut-être le choix des candidats fut-il jugé épineux et les susceptibilités en présence par trop vives.

c) Actes de culte entre catholiques et non-catholiques.

Rappel des canons 1258 et 731, § 2. La raison en est qu'on ne saurait séparer le culte de la croyance, le culte étant comme l'expression et le couronnement de celle-ci. Participer de manière active à un culte non-catholique équivaut à reconnaître la légitimité de ce culte et donc de la foi qu'il exprime. Sur le cas si douloureux et nullement imaginaire, étant donné l'afflux depuis la guerre de nombreux réfugiés de religion orthodoxe, de non-catholiques au lit de mort — en l'absence de prêtre de leur Église — recourant au ministère du prêtre catholique, voir P. Hiirth Monitum de conventibus mixtis acatholicorum cum catholicis dans Periodica de re morali, canonica, liturgica, 15 junii 1948. (Ibidem, p. 529, note 20.)

1. D'après le texte latin des A. A. S., 40, 1949, p. 342.

2. Cf. Abbé Oesterreicher, Pro Perfidis Judaeis, dans Theologica! Studies, mars 1947 (Manhattanville, États-Unis); traduction française dans Cahiers Sioniens, Ier octobre 1947.


Pie XII 1948 - ALLOCUTION AUX EMPLOYÉS DE LA MONNAIE (13 mai 1948)