PieXII 1951 - ALLOCUTION AUX RELIGIEUSES ENSEIGNANTES


ENCYCLIQUE « INGRUENTIUM MALORUM »

(15 septembre 1951 ')

En la fête des Sept Douleurs de la Sainte Vierge Marie, le Pape a envoyé une Encyclique pour inviter les fidèles à réciter le Rosaire durant le mois d'octobre, aux intentions indiquées dans le document.

Le Pape commence par évoquer les nombreuses manifestations de piété mariale qui ont marqué son Pontificat :

Depuis le moment où Nous avons été élevé à la Chaire de Pierre par le dessein de la divine Providence, Nous n avons jamais cessé, en face des maux qui nous menacent, de confier au très puissant patronage de la Mère de Dieu le sort de la famille humaine, et dans ce but, comme vous le savez, plusieurs fois Nous avons écrit des Lettres d'exhortation\ Vous connaissez aussi, Vénérables Frères, avec quel zèle et quelle unanimité le peuple chrétien a répondu partout à nos invitations. C'est ce que les grandioses spectacles de piété à l'égard de la Reine du ciel ont magnifiquement attesté, et par-dessus tout, cette manifestation de joie universelle que nos propres yeux ont pour ainsi dire, contemplée, quand, sur la Place Saint-Pierre, entouré d'une multitude immense de fidèles, Nous avons solennellement proclamé 1 Assomption de la Vierge Marie dans le ciel *.

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXIII, 1951, p. 577.

2 On lira : Encyclique Communium interpretes dolorum, 15 avril 1945 ; Encyclique Auspicia Quaedam, ier mai 1948 (Documents Pontificaux 194S, p. 172) ; Encyclique Mira-

^e illud, 6 décembre 1950 (Documents Pontificaux 1950, p. 574).

3 Le ier novembre 1950, Pie XII définissait solennellement le dogme de l'Assomption e la Sainte Vierge Marie (cf. Documents Pontificaux 1950, p. 480 et sq.)

Cependant, si le souvenir de ces choses Nous remplit de joie et Nous console par la ferme confiance dans la miséricorde divine, il y a aujourd'hui des motifs de profonde tristesse qui Nous préoccupent et affligent Notre coeur de Père.

Toutefois, le moment présent est encore marqué : i° par l'insécurité sur le plan international 2° par la persécution sur le plan religieux.

Vous connaissez, Vénérables Frères, les tristes conditions de notre temps : l'union fraternelle des nations, brisée il y a longtemps, n'a pas encore été partout restaurée ; mais, de toutes parts Nous voyons les coeurs troublés par les haines et les rivalités, et les menaces de nouveaux conflits sanglants pèsent encore sur les peuples. Il s'y ajoute cette violente tempête de persécutions qui, dans certaines régions privées de liberté, se déchaîne cruellement contre l'Eglise, en l'affligeant par une cruelle campagne de sévices et de calomnies qui va parfois jusqu'à répandre le sang des martyrs.

Que d'assauts perfides sont livrés en ces régions aux âmes de beaucoup de Nos fils, pour qu'ils abjurent la foi de leurs pères et se séparent de l'union avec le Siège Apostolique !

Pie XII s'élève avec violence contre les campagnes qui s'attaquent enfants pour les détourner de la voie du bien :

Enfin, Nous ne pouvons passer sous silence un nouveau crime sur lequel, avec une immense douleur, Nous désirons vivement appeler non seulement votre attention, mais aussi celle de tout le clergé, de tous les parents et même celle des autorités publiques.

Nous parlons de cette affreuse campagne que les impies ont partout déchaînée contre les âmes pures des enfants. Non seulement on ne respecte pas l'innocence de leur âge, mais encore on ose s'attaquer aux fleurs les plus belles du jardin mystique de l'Eglise qui forment l'espoir de la religion et de la société. Si on y réfléchit, il ne faut pas trop s'étonner de ce que les peuples gémissent sous le poids des châtiments divins et tremblent dans la crainte de calamités encore plus graves.

C'est pourquoi, plus que jamais, il faut se tourner vers le ciel :

Cependant, la considération d'une situation aussi lourde de menaces ne doit point nous abattre, Vénérables Frères. Souvenez-vous de la parole divine : « Demandez et l'on vous donnera, frappez et l'on vous ouvrira » \ Elevez avec une plus grande confiance, spontanément, votre coeur vers la Mère de Dieu, en qui le peuple chrétien a toujours cherché refuge au moment du danger, puisqu'elle a été établie la cause du salut pour tout le genre humain \

Le mois d'octobre consacré à la dévotion du Rosaire nous offre des occasions nouvelles de prier la Sainte Vierge :

Aussi, ce n'est pas sans une joyeuse attente et une espérance renouvelée que nous voyons revenir le mois d'octobre, pendant lequel les fidèles aiment à accourir plus souvent devant les autels pour implorer les secours de Marie par les prières du Saint Rosaire. Cette prière, Vénérables Frères, Nous désirons que cette année, elle soit faite avec une plus grande ferveur, comme le réclame l'aggravation de nos besoins. Nous connaissons bien son efficacité et sa puissance pour obtenir l'aide maternelle de la Vierge. Sans doute, il n'y a point que cet unique moyen pour obtenir ce secours ; cependant, Nous esti-

* Luc, 11, 9.

6 s. Irénée, Ain. Hier., 3, 22 ; (M. g. VII, 959)mons que le saint Rosaire est le moyen le plus efficace et le meilleur d'y parvenir, si l'on considère son origine plus céleste qu'humaine et sa raison d'être. Quelles prières, en effet, sont plus indiquées et plus belles que l'Oraison dominicale et la Salutation angélique, qui forment comme les fleurs dont se compose cette mystique couronne ? La méditation des saints mystères s'ajoutant ensuite à la récitation de ces prières fournit à tous, même aux plus simples et aux moins instruits, une manière facile et à leur portée de nourrir et de fortifier leur foi. Et, en fait, en la méditation fréquente des mystères, l'âme puise, et insensiblement absorbe le sens des vertus qu'ils renferment ; elle s'enflamme de l'espérance des biens immortels, et elle est fortement et suavement entraînée à suivre les traces du Christ et de sa Mère. Même la répétition de ces mêmes formules, loin de rendre cette prière inutile et ennuyeuse, possède une admirable vertu que révèle l'expérience, pour exciter la confiance dans la prière, et faire comme une douce violence au Coeur maternel de Marie.

Le Pape exhorte les évêques afin qu'on organise des prières spéciales dans tous les diocèses du monde :

Efforcez-vous, Vénérables Frères, d'obtenir qu'à l'occasion du mois d'octobre prochain, les fidèles accomplissent avec tout l'amour possible le grand devoir de prière, et qu'ils aient pour le saint Rosaire une estime et une pratique toujours plus grandes. Que par vos soins, le peuple chrétien soit amené à en comprendre davantage l'excellence, la valeur et l'efficacité.

Le Souverain Pontife recommande surtout la récitation du Rosaire au sein des foyers.

Mais c'est surtout au sein de la famille que Nous désirons que cette récitation du saint Rosaire se répande; partout, qu'elle soit religieusement observée et qu'elle se développe toujours davantage. Car on cherchera en vain à consolider les bases ébranlées de la société civile, si la société domestique, principe et fondement de la communauté humaine, ne repose pas sur les lois de l'Evangile. Pour atteindre un but aussi difficile, Nous affirmons qu'il n'y a pas de moyen plus apte que la récitation habituelle du Rosaire en famille. Quel spectacle touchant et infiniment agréable au Seigneur, lorsqu'à la tombée du jour, dans la maison chrétienne, on entend résonner le bruit des louanges répétées de la Reine du Ciel. A ce moment, cette prière commune rassemble devant l'image de la Vierge, dans une admirable union des coeurs, les parents et les enfants, revenus du travail du jour ; elle les unit pieusement aux défunts ; enfin elle les joint tous plus étroitement, dans une très douce chaîne d'amour, à la Très Sainte Vierge, qui, comme une Mère très aimante, sera présente au milieu de ses enfants, et fera descendre sur eux avec abondance les dons de la concorde et de la paix familiale. Alors, la maison de la famille chrétienne, semblable à celle de Nazareth, deviendra sur terre une demeure de sainteté et comme un temple, où le saint Rosaire, non seulement sera une magnifique prière qui, tous les jours ira réjouir le ciel, mais constituera encore une école très efficace de vie chrétienne. Car la considération des divins mystères de la Rédemption portera les grandes personnes à vivre les yeux fixés sur les exemples admirables de la vie de Jésus et de Marie, qu'elles mettront en pratique chaque jour dans leur vie ; à trouver dans ces exemples un réconfort au milieu des adversités, et une leçon pour tendre vers les trésors célestes où « les voleurs n'approchent pas et où les mites ne rongent pas » Les enfants, de leur

» Luc, 12, 33.

côté, apprendront de cette façon les principaux mystères de la foi, et ainsi, dans leurs âmes pures germera comme spontanément l'amour envers notre très doux Rédempteur, et la vue de leurs parents agenouillés devant la majesté divine leur enseignera dès leurs plus tendres années quelle est la valeur de la prière faite en commun. J

C'est grâce à la force de la prière que le monde retrouvera la paix .-

Nous n'avons donc aucune hésitation à affirmer de nouveau publiquement quelle espérance Nous plaçons dans le Rosaire pour la guérison des maux qui affligent notre siècle. Ce n'est ni par la force, ni par les armes, ni par la puissance humaine, mais par le secours divin obtenu grâce à cette prière que l'Eglise, forte comme David avec sa fronde, pourra affronter sans trembler l'ennemi infernal. Elle peut lui répéter les paroles du jeune berger à Goliath : « Tu viens vers moi avec l'épée, la lance et le bouclier, mais moi, je viens vers toi au nom du Seigneur des armées... et toute cette multitude saura que le Seigneur ne sauve pas par le glaive et la lance »

C'est pourquoi, Vénérables Frères, Nous souhaitons ardemment que tous les fidèles, dociles à votre exemple et à votre parole, répondent avec ardeur à Nos paternelles exhortations, en unissant leurs âmes et leurs voix dans un même élan de charité. A mesure que grandissent les maux et les assauts des méchants, il faut que grandisse également le zèle de tous les bons. Qu'ils s'efforcent donc d'obtenir de notre Mère très aimante, spécialement par cette prière qu'elle aime tant, que le monde et l'Eglise voient bientôt luire des jours meilleurs !

- 1. Rois, 17, 44-49.

Pie XII énumère les grandes intentions pour lesquelles il convient de prier :

Que la très puissante Mère de Dieu, émue par les prières de tant de ses fils nous obtienne de son Fils unique, nous l'en prions tous

— que tous ceux qui sont malheureusement éloignés du chemin de la vérité et de la vertu y reviennent convertis ;

— que les haines et les rivalités qui sont les sources de la discorde et de toutes sortes de misères s'apaisent ;

— qu'une paix juste, vraie et sincère revienne luire sur les individus, les peuples et les nations ;

— que finalement on reconnaisse, comme il est juste, les droits de l'Eglise, et qu'alors l'influence bienfaisante qui en émane, pénétrant sans obstacle dans le coeur des hommes, parmi les classes sociales et les artères mêmes de la vie publique, unisse fraternellement tous les peuples entre eux et les mène à cette prospérité qui règle, assure et coordonne les droits et les devoirs de chacun sans nuire à personne, et s'affirme chaque jour davantage par une mutuelle collaboration.

N'oubliez pas, Vénérables Frères, et chers fils, en déroulant les couronnes fleuries de vos prières, n'oubliez pas ceux qui languissent misérablement en captivité, dans les prisons et les camps de concentration. Parmi eux on trouve, vous le savez, jusqu'à des évêques, éloignés de leur siège uniquement pour avoir héroïquement défendu les droits sacrés de Dieu et de l'Eglise, des fils, des pères et mères de famille, arrachés au foyer domestique et condamnés à mener au loin une vie malheureuse dans une terre étrangère, sous des cieux inconnus.

Comme Nous-même Nous les entourons d un amour tout spécial, de même vous aussi, sous l'empire de cette

charité fraternelle, qui naît de la religion chrétienne, unissez-vous à Nos prières devant l'autel de la Vierge M ère de Dieu, et recommandez-les à son Coeur maternel.

Soyez assurés qu'elle-même adoucira leurs souffrances, ravivera dans leurs coeurs l'espérance du bonheur éternel, et qu'elle ne manquera pas, comme Nous le croyons fermement, d'abréger le cours de tant de misères.

En terminant, le Pape insiste encore pour que tous unissent leurs prières afin d'obtenir de Dieu la grâce de la paix :

Et maintenant, confiant à votre zèle ardent, Vénérables Frères, le soin de porter à la connaissance de votre clergé et de vos fidèles, de la façon qui vous paraîtra la meilleure, Notre paternelle exhortation ; ayant également la certitude que Nos fils dispersés partout sur la terre répondront volontiers à Notre appel ; à vous tous, au troupeau confié à chacun d'entre vous, à ceux, en particulier qui, pendant ce mois d'octobre, réciteront le Rosaire selon les intentions que Nous venons de rappeler, Nous accordons de grand coeur la Bénédiction apostolique.

DÉCLARATION DE LA SACRÉE CONGRÉGATION CONSISTORIALE FRAPPANT D'EXCOMMUNICATION CEUX QUI ONT ARRÊTÉ SON EXCELLENCE Mgr AUGUSTE PACHA

(17 septembre 1951) 1

A la suite de nouvelles menées persécutrices contre l'Eglise en Roumanie, la déclaration suivante a été faite 2 :

Ces derniers temps, dans la République roumaine, on s'est attaqué de manières nombreuses et inouïes à l'Eglise catholique jusqu'à piétiner ses droits sacro-saints. De plus tous les évêques ont été, non seulement empêchés de remplir leur charge, mais, par une sacrilège audace, jetés en prison ; en outre, de nombreux clercs et religieux ont été privés de leur liberté.

Récemment, même l'Excellentissime Mgr. Auguste Pacha, évêque de Timisoara, déjà emprisonné, a été ignominieusement traduit devant un juge laïque et frappé d'un jugement inique.

C'est pourquoi la présente S. Congrégation Consistoriale déclare que tous ceux qui ont accompli ces délits soit : ceux qui les ont ordonnés, quel que soit leur rang ou leur grade, ou ceux qui, étant donné la nature des délits susdits, ont dû en être les complices ; soit ceux qui ont poussé à l'accomplissement de ces délits, ou y ont concouru de quelque façon que ce soit, à la condition pourtant que leur concours ait été nécessai-

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXIII, 1951, p. 603, traduction française ians La Documentation Catholique, t. XLVIII, c. 1315.

2 On lira une Déclaration semblable à propos de l'arrestation de Son Em. le cardinal Mindszenty, primat de Hongrie, 28 décembre 1948 (cf. Documents Pontificaux 1948, p. 464).. ^oir aussi la Déclaration concernant Mgr Groesz, p. 269.

re pour accomplir le délit, ont encouru l'excommunication latae sententias spécialement réservée au Saint-Siège — conformément aux canons 2343 § 3, 2334 n° 2, 2341 et 2209 §§ 1 et 3 — ainsi que les autres peines portées contre les coupables par les saints canons, suivant leur condition particulière 3.

3 Les six évêques grecs-catholiques et les cinq évêques de rite latin de Roumanie sont tous morts ou en prison.


ALLOCUTION A UN GROUPE DE PÈRES DE FAMILLE DE FRANCE

(18 septembre 2951) 1

Voulant témoigner sa reconnaissance au Pape pour l'envoi d'un Radio-message lors du Congrès du Sacré-Coeur, le 17 juin 1945, une délégation des pères de famille de France vint à Rome. Ce fut l'occasion d'une nouvelle mise au point faite par le Saint-Père.

Un pèlerinage de pères de famille ! Quelle joie pour Notre coeur ! Tant et tant de fois Nous avons, à propos des questions les plus diverses, insisté sur la sainteté de la famille, sur ses droits, sur son rôle, en tant que cellule fondamentale de la société humaine. A ce titre, c'est sa vie, sa santé, sa vigueur, son activité, qui, dans l'ordre, assurent la vie, la santé, la vigueur, l'activité de la société tout entière. Parce qu'elle tient de Dieu, son existence et sa dignité, sa fonction sociale, la famille est responsable devant Dieu. Ses droits et ses privilèges sont inaliénables, intangibles ; elle a le devoir, avant tout devant Dieu, et secondairement devant la société, de défendre, de revendiquer, de promouvoir effectivement ces droits et ces privilèges, non seulement pour son propre avantage, mais pour la gloire de Dieu, pour le bien de la collectivité.

Le Pape exalte le rôle du père de famille :

Que de fois, on a chanté les louanges de la mère, saluant en elle le coeur, le soleil de la famille ! Mais, si la mère en est le coeur, le père en est la tête, et, par conséquent, c'est de la valeur, de l'activité du père, que dépendent premièrement la santé, l'efficience de la famille.

Vous avez compris, chers fils, et c'est ce qui vous rassemble ici, la nécessité pour le père de famille de connaître intelligemment, socialement, chrétiennement, son rôle et ses devoirs, et vous êtes venus, dans cette intention, demander les conseils et la bénédiction du Père commun, chef de la grande famille humaine.

Le père de famille a des droits : )

Il est clair que votre premier devoir, au sanctuaire du foyer familial est de pourvoir, — dans le respect et toute la perfection humainement possible de son intégrité, de son unité, de la hiérarchie naturelle qui unit entre eux ses membres, — à la conservation, à la santé corporelle, intellectuelle, morale et religieuse de la famille. Et ce devoir comporte évidemment celui de défendre et de promouvoir ses droits sacrés, celui, en particulier, de remplir ses obligations envers Dieu, de constituer, dans toute la force du terme, une société chrétienne.

Défendre ses droits contre toutes les violences ou influences extérieures capables de porter atteinte à la pureté, à la foi, à la stabilité sacro-sainte de la famille ;

promouvoir ces mêmes droits, en réclamant de la société civile, politique, culturelle, tout au moins les moyens indispensables à leur libre exercice.

La famille, devant l'Etat, jouit de la primauté : ,

Pour le chrétien, il y a une règle qui lui permet de déterminer avec certitude la mesure des droits et des devoirs de la famille dans la communauté de l'Etat. Elle est ainsi conçue : la famille n'est pas pour la société, c'est la société qui est pour la famille. La famille est la cellule fondamentale, l'élément constitutif de la communauté de l'Etat, car, pour employer les expressions mêmes de Notre Prédécesseur Pie XI, d'heureuse mémoire, « la cité est ce que la font les familles et les hommes dont elle est formée, comme le corps est formé des membres » "• L'Etat devrait donc, en vertu même, pour ainsi dire, de l'instinct de conservation, remplir ce qui, essentiellement et selon

2 Cf. Encyclique Cnsti Connubii, 31 décembre 1930, A. A. S., 22, 1930, p. 554-

le plan de Dieu Créateur et Sauveur, est son premier devoir, c'est-à-dire : garantir les valeurs qui assurent à la famille l'ordre, la dignité humaine, la santé, la félicité. Ces valeurs-là, qui sont des éléments mêmes du bien commun, il n'est jamais permis de les sacrifier à ce qui pourrait être apparemment un bien commun. Indiquons-en seulement à titre d'exemples, quelques-unes qui se trouvent, à l'heure présente, en plus grand péril : l'indissolubilité du mariage ; la procréation de la vie avant la naissance ; l'habitation convenable de la famille, non pas d'un ou deux enfants ou même sans enfants, mais de la famille normale plus nombreuse ; la fourniture du travail car le chômage du père est la plus amère détresse de la famille ; le droit des parents sur les enfants vis-à-vis de l'Etat ; la pleine liberté pour les parents d'élever leurs enfants dans la vraie foi et, par conséquent, le droit des parents catholiques à l'école catholique ; des conditions de vie publique et notamment une moralité publique telle que les familles et surtout la jeunesse ne soient pas dans la certitude morale d'en subir la corruption.

Sur le plan social, il y a des domaines où les familles peuvent avoir des intérêts divergents ; il faut alors préconiser des solutions d'équilibre :

Sur ce point et sur d'autres encore, qui touchent plus au fond de la vie familiale, il n'y a, entre les familles, aucune différence ; sur d'autres questions, économiques et politiques, en revanche, elles peuvent se trouver dans des conditions fort diverses, disparates et, parfois, en concurrence, sinon en opposition. C'est ici qu'il faut s'efforcer — et les catholiques tiendront à en donner l'exemple — de promouvoir l'équilibre fût-ce au prix de sacrifices d'intérêts particuliers, en vue de la paix intérieure et d'une saine économie.

Mais, il est un grand nombre de cas où il y a convergence d'intérêts notamment quand il s'agit de défendre les droits essentiels des familles, tous doivent alors s'unir :

Mais quant aux droits essentiels des familles, les vrais fidèles de l'Eglise s'engageront jusqu'au dernier pour les soutenir. Il pourra arriver que, ici ou là, sur un point ou sur un autre, on se voie dans la nécessité de céder devant la supériorité des forces politiques. Mais, dans ce cas, on ne capitule pas, on patiente. Encore faut-il, en pareil cas, que la doctrine reste sauve que tous les moyens efficaces soient mis en oeuvre pour acheminer progressivement vers la fin à laquelle on ne renonce pas.

Parmi ces moyens efficaces, fussent-ils à long terme, un des plus puissants est l'union entre les pères de famille, fermes dans les mêmes convictions et dans la même volonté. Votre présence ici est un témoignage que telle est votre pensée.

Les pères de famille veilleront à alerter l'opinion publique si ces droits sont menacés :

Un autre moyen qui, même avant d'obtenir le résultat visé, n'est jamais stérile, qui, à défaut ou dans l'attente du succès que l'on continue de poursuivre, porte toujours ses fruits, c'est le soin, dans cette coalition des pères de famille, de travailler à éclairer l'opinion publique, à la persuader, petit à petit, de favoriser le triomphe de la vérité et de la justice. Aucun effort pour agir sur elle ne doit être dédaigné ou négligé.

De même l'opinion publique devra être honnêtement initiée aux problèmes familiaux :

Il est un terrain sur lequel cette éducation de l'opinion publique, sa rectification, s'imposent avec une urgence tragique. Elle s'est trouvée, sur ce terrain, pervertie par une propagande, que l'on n'hésiterait pas à appeler funeste, bien qu'elle émane cette fois de source catholique et qu'elle vise à agir sur les catholiques, même si ceux qui l'exercent, ne paraissent pas se douter qu'ils sont, à leur insu, illusionnés par l'esprit du mal.

En particulier, il faudra surveiller la manière dont se fait l'initiation sexuelle de la jeunesse :

Nous voulons parler ici d'écrits, livres et articles, touchant l'initiation sexuelle, qui souvent obtiennent aujourd'hui d'énormes succès de librairie et inondent le monde entier, envahissant l'enfance, submergeant la génération montante, troublant les fiancés et les jeunes époux.

Avec tout le sérieux, l'attention, la dignité que le sujet comporte, l'Eglise a traité la question d'une instruction en cette matière, telle que la conseillent ou la réclament, tant le développement physique et psychique normal de l'adolescent que les cas particuliers dans les diverses conditions individuelles. L'Eglise peut se rendre cette justice que, dans le plus profond respect pour la sainteté du mariage, elle a, en théorie et en pratique, laissé les époux libres en ce qu'autorise, sans offense du Créateur, l'impulsion d'une nature saine et honnête.

On reste atterré en face de l'intolérable effronterie d'une telle littérature : alors que, devant le secret de l'intimité conjugale, le paganisme lui-même semblait s'arrêter avec respect, il faut en voir violer le mystère et en donner la vision — sensuelle et vécue — en pâture au grand public, à la jeunesse. Vraiment c'est à se demander si la frontière est encore suffisamment marquée entre cette initiation soi-disant catholique, et la presse ou l'illustration erotique et obscène, qui, de propos délibéré, vise la corruption ou exploite honteusement, par vil intérêt, les plus bas instincts de la nature déchue.

Même pour l'éducation des époux, il y a des limites à ne pas dépasser :

Ce n'est pas tout. Cette propagande menace encore le peuple catholique d'un double fléau, pour ne pas employer une expression plus forte. En premier lieu, elle exagère outre mesure l'importance et la portée, dans la vie, de l'élément sexuel. Accordons que ces auteurs, du point de vue théorique, maintiennent encore les limites de la morale catholique ; il n'en est pas moins vrai que leur façon d'exposer la vie sexuelle est de nature à lui donner dans l'esprit du lecteur moyen, et dans son jugement pratique, le sens et la valeur d'une fin en soi. Elle fait perdre de vue la vraie fin primordiale du mariage, qui est la procréation et l'éducation de l'enfant, et le grave devoir des époux vis-à-vis de cette fin, que les écrits dont nous parlons laissent par trop dans l'ombre.

Sans compter que cette formation doit absolument faire appel aux éléments surnaturels :

En second lieu, cette littérature, pour l'appeler ainsi, ne semble tenir aucun compte de l'expérience générale d'hier, d'aujourd'hui et de toujours, parce que fondée sur la nature, qui atteste que, dans l'éducation morale, ni l'initiation, ni l'instruction ne présente de soi aucun avantage, qu'elle est, au contraire, gravement malsaine et préjudiciable, si elle n'est liée à une constante discipline, à une vigoureuse maîtrise de soi-même, à l'usage, surtout, des forces surnaturelles de la prière et des sacrements. Tous les éducateurs catholiques dignes de leur nom et de leur mission savent bien le rôle prépondérant des énergies surnaturelles dans la sanctification de l'homme jeune ou adulte, célibataire ou marié. De cela, dans ces écrits à peine souffle-t-on mot, si encore on ne le passe tout à fait sous silence. Les principes mêmes que dans son Encyclique Divini illius Magistri, Notre Prédécesseur Pie XI a si sagement mis en lumière, concernant l'éducation sexuelle et les questions connexes, sont — triste signe des temps ! — écartés d'un revers de main ou d'un sourire : Pie XI, dit-on, écrivit cela il y a vingt ans, pour son époque. Depuis, on a fait du chemin !

Pie XII compte sur les pères de famille pour se prémunir contre les dangers cités :

Pères de famille ici présents : il y a sur toute la face du monde, en tous pays, tant d'autres chrétiens, pères de famille comme vous qui partagent vos sentiments : coalisez-vous donc avec eux — bien entendu sous la direction de vos Evêques ; — appelez à vous prêter leur puissant concours toutes les femmes et les mères catholiques, pour combattre ensemble, sans timidité, comme sans respect humain, pour briser et arrêter ces campagnes, de quelque nom, de quelque patronage qu'elles se couvrent et s'autorisent. Ce n'est pas sans raison que vous avez placé votre pèlerinage sous la protection du grand Pape eucharistique, le bienheureux Pie X. Ayez confiance dans le secours de la Vierge Immaculée, Mère très pure, Mère très chaste, auxilium christianorum ; confiance dans la grâce du Christ, source de toute pureté, qui ne délaisse jamais ceux qui travaillent et qui combattent pour l'avènement et l'affermissement de son règne. Avec la plus vive espérance que vos efforts et vos prières hâteront le triomphe de ce règne, Nous vous donnons de tout coeur, à toutes vos familles, à tous les pères chrétiens unis à vous d'esprit, de prière et d'action, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AUX PARTICIPANTS DU CONGRÈS MONDIAL DE DOCUMENTATION

(19 septembre 1951) '

Recevant en audience, à Castel-Gandolfo, 400 représentants de vingt-huit nations venus au Congrès mondial de Documentation, Pie XII dit :

Ce Nous est toujours une grande joie, vous le savez, Messieurs, d'accueillir les représentants les plus distingués de toutes les branches du savoir : des sciences exactes, physiques et naturelles, des sciences morales, historiques, économiques, sociales, des sciences philosophiques et religieuses. Et nous suivons avec un égal intérêt l'activité des maîtres, qui, par amour pour elles, s'adonnent à ces sciences pures, spéculatives, — rayons sur la terre de l'unique vérité d'en haut, en vue d'en promouvoir toujours plus avant le progrès — et l'activité des praticiens qui s'attachent à en recueillir les acquisitions en vue de les appliquer au bien matériel, intellectuel et spirituel des individus et de la société.

Quel n'est donc pas, aujourd'hui, Notre plaisir de Nous trouver quelques instants au milieu de vous qui, dans un Congrès mondial de Documentation, entendez mettre en commun les fruits d'innombrables recherches et travaux les plus divers, pour le plus grand profit de tous. L'étendue du champ que vous embrassez, la sphère de ceux à qui vous offrez un concours si précieux sont bien de nature à vous attirer la vive sympathie de quiconque est à même d'en apprécier et le mérite et la valeur.

Illimitée, pour ainsi dire, est la sphère de ceux qui sont déjà, qui seront dans l'avenir les bénéficiaires de la tâche assumée par vous.

Votre oeuvre et son organisation répondent, en effet, à un besoin universel, ressenti non moins par les sommités les plus eminentes et les plus illustres que par les plus modestes commençants.

Faute d'un secours tel que celui que vous leur offrez, combien de débutants sérieux, capables de fonder les plus belles espérances, s'arrêteraient, effrayés devant une besogne qu'ils entrevoient encore imprécise, mais ardue, avant même de s'atteler à un travail dont ils sentent avec raison, l'utilité. Combien, à peine hasardés les premiers pas, ou, au contraire, après avoir déjà fourni une assez longue et très pénible marche, se verraient, faute d'informations suffisantes et sûres, bloqués devant l'impasse sans pouvoir aller plus outre. Combien devant l'apparition d'un fait, d'une difficulté qui ont surgi à l'improviste en travers du chemin, s'apercevraient, un peu tard, qu'ils ont fait fausse route et qu'il leur faudrait tout recommencer sur nouveaux frais : bien peu en auraient le courage ! Ne parlons pas des étourdis superficiels qui s'aventurent allègrement sans même soupçonner la nécessité d'une sérieuse documentation. Ceux-ci ne méritent pas la peine que l'on se donnerait à la leur fournir : guarda e passa !

Les maîtres, parvenus à l'apogée d'une laborieuse et féconde carrière, ont, de tout temps, senti, vaguement peut-être sans en concevoir le mode ni oser en espérer la réalisation, le besoin d'un secours, du secours précisément que, aujourd'hui, vous leur offrez. Que l'on songe seulement un instant aux exaspérantes pertes de temps, à la fatigue énervante et stérilisante d'un savant, d'un écrivain, d'un conférencier, d'un homme d'action obligé de faire lui-même la chasse aux documents, d'assembler, de copier, d'ordonner, d'utiliser ses matériaux toujours très incomplets et souvent trop peu sûrs.

Il pourrait recourir à des collaborateurs, à des secrétaires, soit ! Mais quand il aura trouvé l'homme doué de la sagacité, du sens critique, du « flair » des érudits, des aptitudes nécessaires à pouvoir l'aider utilement, celui-ci conscient de ce qu'il pourrait faire de lui-même et pour son propre compte, se prêtera-t-il volontiers et avec constance à dépouiller archives et bibliothèques, à feuilleter livres et liasses, à établir et classer des fiches ? Quant au collaborateur ou secrétaire disposé et prêt à accomplir ce travail matériel monotone, il est bien a

craindre, sauf exception, qu'il ne soit qu'une sorte de manoeuvre d'un médiocre rendement.

Mais, du jour où les intellectuels trouveront à leur disposition et à leur portée un « service » sûr et complet — autant qu'il est humainement possible — d'information et de documentation, ils entreprendront avec goût et de bon coeur les travaux de haut intérêt qu'ils n'auraient eu ni la force, ni le temps, ni le courage, ni la possibilité de réaliser sans cet appoint.

Votre institution, Messieurs, est, en effet, précieuse aussi par la quasi-universalité de son objet. Cette extension en fait la grosse difficulté, elle en fait le grand prix ; elle est d'ailleurs, indispensable. S'il est vrai que l'ampleur du champ cultivé et l'immense variété des cultures rend inévitable la spécialisation, il est vrai encore que cette spécialisation serait loin d'être suffisante, qu'elle deviendrait facilement dangereuse, qu'elle resterait déficiente dans son propre domaine, si elle n'ouvrait, pour ainsi dire, des « fenêtres » sur toutes les autres spécialités. On l'a dit fort justement : « Tout touche à tout ». Toutes les branches de la science et de l'art se tiennent ; il y a entre elles toutes comme un réseau de communications, d'interférences, qui appelle une synthèse.

Le génie d'un Platon, d'un Aristote, d'un saint Thomas d'Aquin a su la réaliser de leur temps ; et c'est précisément en quoi consiste leur incomparable génie. De leur temps, disons-Nous. Dans l'état actuel des connaissances et des problèmes, Platon, Aristote, saint Thomas d'Aquin seraient les premiers à confesser leur impuissance.

Il faudrait multiplier à l'infini le nombre des spécialistes qui devraient leur être substitués. Mais le parallélisme des tâches de tous ces spécialistes ferait perdre l'intérêt et presque tout le fruit de l'unité. Ce n'est donc pas la multiplication des hommes qui importe par elle-même, c'est la collaboration de tous, tous apportant leur riche trésor ou leur petite obole à un fonds commun, où les autres et eux-mêmes puissent venir puiser.

Oui c'est là l'idéal et vous avez l'ambition d'y tendre. Mais s'imagine-t-on la difficulté, non pas tant de trouver des collaborateurs nombreux, compétents, serviables, que d'organiser le « service » ! Vous vous en êtes préoccupés, et c'est à quoi s'appliquent vos Instituts, vos fédérations, vos centres, votre présent Congrès. Cette organisation est, dans son unité, d'une complexité effrayante. Elle suppose — en coopération toujours bien entendu, en liaison étroite et permanente — les « offices » les plus divers, dont votre programme donne une idée sommaire. Recherche et collection, parfois traduction de documents, dépouillement d'un nombre incalculable de livres, revues et journaux, transcription et reproduction, grâce aux procédés modernes, de copies en nombre suffisant, qui est parfois très grand, classement des pièces, des extraits, des fiches, index des renvois aux références multiples, mise à la portée des usagers ; et que l'on ajoute à cela la complaisance à guider, souvent à orienter ou conseiller les chercheurs. Tout cela ne donne qu'un bref aperçu de l'immensité, mais aussi de l'utilité inestimable de la tâche assumée par vous.

Nous tenions, Messieurs, à vous adresser conjointement à Nos éloges bien mérités, Nos encouragements chaleureux, car, par-dessus l'intérêt scientifique, technique si grand qu'il soit par lui-même, Nous voyons avec une joie toute paternelle votre oeuvre de dévouement et d'assistance aux travailleurs de l'esprit. Que la pensée qui vous a inspiré de l'entreprendre vous soutienne dans vos efforts. Nous prions le Seigneur de vous donner, dès ici-bas, la meilleure récompense dans le sentiment et la conscience des services rendus, et de tout Notre coeur. Nous vous donnons à vous, à vos collaborateurs, à tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique.


PieXII 1951 - ALLOCUTION AUX RELIGIEUSES ENSEIGNANTES