Pie XII 1954 - LETTRE DE MONSEIGNEUR J.-B. MONTINI


SEMAINES SOCIALES DU CANADA



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LETTRE DE MONSEIGNEUR J.-B. MONTINI PRO-SECRÉTAIRE D'ÉTAT AUX SEMAINES SOCIALES DU CANADA

(23 septembre 1954) 1


A l'occasion des Sessions des Semaines Sociales du Canada — d'expression française et anglaise — les messages suivants furent envoyés, en français à Son Em. le Cardinal Léger, archevêque de Montréal, et, en anglais, à Son Em. le Cardinal McGuigan, archevêque de Toronto.

Le Saint-Père a appris avec plaisir que la XXXIe Session des Semaines Sociales du Canada — très heureusement complétée depuis l'an dernier par une session parallèle d'expression anglaise — avait choisi pour thème le double et grave problème de l'établissement rural et de l'immigration : problème d'une pressante actualité pour votre patrie, sous l'un et l'autre de ses aspects ; problème aussi d'une importance toute particulière pour l'Eglise, étant donné les multiples implications morales et religieuses qu'il suppose.

Le Créateur semble avoir voulu inscrire Lui-même dans la constitution géographique du Canada le rôle que serait appelée à y jouer l'agriculture : ses immenses étendues de plaines et de forêts n'étaient-elles pas une muette invitation pour vos populations laborieuses, à se dédier aux travaux du défrichage et de la culture ? Et pourtant, sous l'influence de la civilisation industrielle, le Canada connaît aujourd'hui, comme tant d'autres pays, le funeste exode des campagnes vers les villes : de sorte que non seulement de vastes étendues de terres cultivables attendent encore d'être défrichées, mais même — dans certaines régions du moins —des terres d'abord cultivées ont été ensuite délaissées par leurs premiers occupants.

Cette situation n'est pas seulement dommageable à l'économie du pays, elle est aussi contraire au bien-être moral et religieux des populations. Le Saint-Père qui, en maintes occasions, a dénoncé les dangers de l'entassement de grandes masses humaines dans les agglomérations urbaines, invitait naguère les agriculteurs à ne pas abdiquer la noblesse de leur profession, pour venir « perdre dans la ville, qui ne leur réserve le plus souvent que des désillusions, les économies laborieusement amassées, et bien souvent la santé, les forces, la joie, l'honneur, l'âme elle-même » 2.

C'est vous dire toute l'importance que le Souverain Pontife attache à la question de 1'« établissement rural », choisie comme premier thème de la présente Semaine Sociale.

Plus actuel encore et plus urgent apparaît le second problème sur lequel se fixera l'attention des semainiers : celui de l'immigration.

Je n'ai pas à rappeler à Votre Eminence les principes si clairement et si fréquemment proclamés à ce sujet par le magistère romain, qu'il s'agisse de la fondamentale constitution apostolique Exsul Familia du 1er août 19523, ou des déclarations personnelles du Souverain Pontife dans Ses écrits ou Ses discours : radiomessages de Noël 1941 et 1942, Lettre à Monseigneur McNicholas, Président de la N.C.W.C., du 24 décembre 1948 4, allocution aux Délégués de la Conférence Internationale sur l'Emigration tenue à Naples en octobre 1951, etc.5. D'ailleurs l'Episcopat Canadien a fait écho avec une fidélité exemplaire aux soucis et aux directives de Sa Sainteté, en particulier par le communiqué officiel à l'issue de son assemblée annuelle de 1952.

Aussi bien ce n'est plus tant vers la reconnaissance des principes — évidents pour tout chrétien qui réfléchit — que vers des réalisations concrètes et efficaces que semble devoir être orientée aujourd'hui l'activité des catholiques de tous les pays d'immigration, et notamment du Canada, où le phénomène atteint une remarquable ampleur, puisqu'en moins de dix ans il a vu affluer sur son territoire un million d'immigrants.

L'apport des catholiques à la solution des complexes problèmes soulevés par cet afflux de nouvelles populations pourrait et devrait être de première importance. L'accueil au nouvel arrivant, son adaptation psychologique au nouveau milieu, ses difficultés d'ordre économique, culturel, moral, religieux : que de domaines dans lesquels on est en droit de voir les fils de l'Eglise rivaliser d'ingéniosité et de charité ouverte et prévenante ! Des circonstances historiques, qui ont pu expliquer certains réflexes de méfiance ou de défense vis-à-vis des immigrants, sont maintenant, il faut bien le dire, dépassés par les événements. D'ailleurs la pensée que l'immigrant d'aujourd'hui sera demain un élément actif du bien-être temporel et spirituel de la communauté nationale, doit être un stimulant de plus à adopter à son égard — quoi qu'il en soit des différences de caractère, d'éducation ou de culture — une attitude de compréhension, où l'esprit de foi et de charité se rencontre avec l'amour bien entendu de la patrie.

Ces mêmes sentiments conseilleront également de tout faire pour favoriser l'établissement de l'immigrant à la campagne, bien plutôt que dans les villes, à l'instar des pionniers de jadis qui, par leur attachement à la terre, et par leur travail, ont fait la grandeur de votre pays : c'est ici qu'apparaît le lien intime qui unit les deux thèmes si judicieusement rapprochés pour être soumis à l'étude des semainiers.

Le Saint-Père attend avec confiance, comme résultat de ces assises de Mont-Laurier et de London, une prise de conscience plus vive par tous de l'urgence et de la gravité de ces deux problèmes connexes, la création d'un courant d'opinion de plus en plus favorable tant à l'immigration qu'à l'établissement rural, et surtout les réalisations concrètes dont les catholiques canadiens sauront trouver l'inspiration dans leur traditionnelle fidé-. lité à la foi de leurs pères et dans la magnifique générosité dont ils ont donné tant de preuves — et dont Votre Eminence a été si souvent l'instrument — au lendemain de la dernière guerre mondiale.

Aussi est-ce en appelant sur la XXXIe Semaine Sociale et sur la IIe Catholic Social Life Conférence les plus abondantes grâces d'En-Haut que le Saint-Père envoie à Votre Eminence, au si dévoué Père Archambault, aux conférenciers et à tous les semainiers, en gage de féconds travaux, une très paternelle Bénédiction apostolique.

ALLOCUTION AU Xe CONGRÈS INTERNATIONAL DE GÉOPHYSIQUE

(24 septembre 1954)1


Les membres de l'Union Géodésique et Géophysique internationale — représentant 50 pays — réunis en Assemblée Générale à Rome, furent reçus en audience par le Saint-Père.

En accueillant la demande d'audience qui Nous a été transmise au nom de la dixième Assemblée Générale de l'Union Géodésique et Géophysique Internationale, Nous avons été heureux de pouvoir témoigner à votre imposant et docte auditoire, Messieurs, l'intérêt que Nous portons personnellement au développement des sciences et que l'Eglise ne cesse en toute occasion de lui manifester. Par ailleurs, l'aimable invitation qui conviait l'Etat de la Cité du Vatican à prendre part à vos travaux, montre que le monde savant veut bien de son côté reconnaître et apprécier la sympathie de l'Eglise pour l'effort humain dans le domaine scientifique.

La renommée des sept Associations internationales qui constituent votre Union, le grand nombre de participants qu'elles ont envoyés à Rome, l'intérêt des sujets inscrits au programme des sessions, confèrent à votre Congrès tous les caractères d'un événement scientifique de la plus grande importance. La physique du globe, qui fait l'unité de votre famille, requiert en effet avec instance une coordination des efforts sur le plan international. La science moderne impose aux chercheurs une spécialisation toujours plus poussée et une limitation, très considérable parfois, de leur champ de travail, afin d'assurer aux con-



clusions un maximum d'exactitude. L'étude de la terre, de sa forme et de sa grandeur, de son atmosphère, de son écorce, de ses océans, exige un grand nombre de stations et d'observatoires dispersés sur toute la planète, où des hommes de langue, de culture et de pays différents, obéissant peut-être à des mobiles fort variés, explorent chacun un secteur nécessairement restreint. Il serait presque impossible de tirer de ces recherches des conclusions d'ensemble, s'il n'existait un organisme chargé d'orienter la marche générale des enquêtes, de suggérer l'adoption de procédés uniformes, d'inviter les isolés à participer à l'effort commun, d'entreprendre enfin des opérations de caractère international, qui dépassent les possibilités d'Instituts particuliers. C'est pourquoi votre Union groupe les sept Associations internationales de géodésie, sismologie, météorologie, magnétisme et électricité terrestres, océanographie physique, hydrologie scientifique et volcanologie et les invite à tenir ensemble cette Xe Assemblée générale, pendant laquelle se réuniront aussi le Comité spécial pour l'Année géophysique internationale 1957-1958 et la Commission IV de la Société internationale de photo-grammétrie.

La création de l'Union Géodésique et Géophysique Internationale prolongeait et faisait aboutir, en un certain sens, une évolution longue de plus de vingt siècles, puisqu'il faut remonter jusqu'à Eratosthène d'Alexandrie pour trouver les premières mesures géodésiques. Les premiers géodésiens, dont l'histoire a conservé le nom et rappelle les tentatives, mettaient en oeuvre des méthodes qui semblent bien grossières lorsqu'on les compare aux procédés actuels. On aurait tort, certes, d'en sourire, car ils obéissaient en fait aux mêmes tendances qui inspirent les savants modernes : la curiosité intellectuelle désintéressée, le désir de mesurer certains phénomènes physiques et de tirer ensuite, par le raisonnement, des conclusions de portée générale.

Lorsque Snellius, pour la première fois, étendit un réseau de triangles entre deux endroits de latitude déterminée, il faisait un pas décisif vers l'acquisition d'une méthode efficace pour la mesure de la terre. Bientôt on l'imitait en Angleterre, en Italie, en France. Mais au cours du XVIIe siècle, la découverte des théorèmes sur la force centrifuge et celle du principe de la gravitation universelle amenèrent les savants à abandonner l'hypothèse de la sphéricité de la terre, pour supposer à celle-ci la forme d'un ellipsoïde de rotation ; vérifier expérimentalement cette idée, et surtout déterminer la mesure de l'aplatissement aux pôles, tel fut désormais l'objectif des géodésiens. En 1670, l'emploi de fortes lunettes à fil micrométrique permettait de décupler la longueur des côtés de la triangulation et d'augmenter considérablement la précision des mesures angulaires. Plusieurs mesures de degré furent alors exécutées. Nous Nous plaisons à rappeler celle de l'arc compris entre Rome et Rimini, dont Notre Prédécesseur Benoît XIV chargea le grand savant Roger Boscovich S. J. : celui-ci, en 1751, choisit la base de Rome le long de la voie Appienne, près du tombeau de Cecilia Metella. Notons aussi celle que les géodésiens français entreprirent à la fin du XVIIIe siècle en vue d'établir la longueur du mètre. Profitant de ces travaux, tous les Etats européens se mirent alors en devoir de dresser les cartes topographiques de leur territoire sur la base de critères vraiment scientifiques.

Pour raccorder les réseaux de triangulation existant en Europe et réaliser ainsi une mesure plus précise du degré, on fonde en i88x l'Association géodésique internationale, nommée ensuite « Internationale Gradmessung ». Enfin, après la guerre de 1914, naît l'Union Géodésique et Géophysique Internationale qui exécute une série de vastes triangulations, assurant par là un matériel de base précieux, lorsqu'il s'agirait d'adopter les dimensions les plus adéquates pour un ellipsoïde terrestre de référence. C'est lors de votre 11e Assemblée générale, en 1924, que l'on décida de fixer les constantes de cet ellipsoïde et d'inviter tous les services géodésiques à le choisir pour base de leurs calculs de triangulation. Ainsi le chemin s'ouvre-t-il maintenant plus aisé pour la géodésie vers le but qu'elle poursuit sans relâche : préciser la forme et les dimensions de la surface du niveau terrestre et en particulier du géoïde.

Si Nous ne pouvons guère Nous étendre sur l'histoire des sciences plus jeunes et si diverses, qui se partagent le domaine de la physique du globe et dont Nous avons la joie de recevoir les éminents représentants, croyez bien, Messieurs, que Nous apprécions tout autant leurs activités et la contribution qu'elles apportent au savoir humain.

L'Année Géophysique Internationale 1957-58 mérite une mention toute spéciale. C'est en fait la troisième entreprise de ce genre. Les Années Polaires Internationales de 1883 et 1932-33 fournirent des résultats si intéressants que des experts en différentes branches de la science furent incités à projeter pour cette Année Internationale des observations simultanées sur le globe entier, y compris en particulier les régions Arctique et Antarctique. Ce plan est vaste et ne peut s'exécuter que moyennant une collaboration étroite entre de très nombreux pays. Nous pouvons espérer non seulement que les avantages attendus pour le monde soient proportionnés à l'immense travail déployé, mais aussi que cet exemple insigne de collaboration et de bonne volonté entre les nations fasse avancer la cause de la paix mondiale.

Les sciences physiques ont aujourd'hui, pour l'accomplissement de leur tâche l'avantage inestimable de disposer d'instruments d'observation et d'enregistrement d'une précision merveilleuse et d'une haute fidélité. Comme la qualité de ces instruments conditionne la rapidité du travail et l'exactitude des résultats, il importe que tous les chercheurs soient informés des incessants perfectionnements réalisés en ce domaine par les constructeurs. C'est pourquoi vous avez organisé une exposition de géodésie et de géophysique qui présente les appareils les plus récents en même temps que la documentation des Instituts.

Toutefois ni l'existence d'organisations nationales et internationales, ni le perfectionnement de l'appareillage, ne constituent l'élément principal du progrès scientifique qui résulte avant tout de l'effort humain, de l'initiative personnelle, du courage persévérant, auquel ne suppléera jamais aucune machine. N'est-il pas émouvant, Messieurs, de penser à la fidélité parfois héroïque de tel ou tel serviteur de la science, perdu dans son lointain observatoire, et qui, faute de collaborateur compétent, doit demeurer sur place, de jour et de nuit, pendant des mois et des années, pour assurer le contrôle des appareils qui lui sont confiés ? Grâce à lui, aucun chaînon ne manquera dans la série des documents qu'il doit transmettre aux stations similaires pour l'établissement des statistiques et des comparaisons. Il faudrait évoquer aussi l'intrépidité de ceux qui entreprennent de rudes expéditions dans les régions les plus inaccessibles, luttant contre le froid et la chaleur, l'isolement ou les dangers imprévus, courant parfois le risque de perdre la vie dans ces campagnes scientifiques qui demandent de leur part une telle abnégation, et dont le succès honore leur caractère non moins que leur compétence.

Cependant, bien que doué des plus belles qualités de l'intelligence et du coeur, le savant ne serait pas digne de ce nom, s'il ne s'élevait parfois au-dessus des préoccupations techniques et des solutions immédiates, pour se poser le problème essentiel qui donne un sens à toute vie.

C'est le désir inné de toute intelligence de remonter au principe dernier, qui unifie toutes les branches du savoir ; et ce qu'il y a de plus admirable dans l'univers de la science, ce n'est pas tant l'harmonie merveilleuse des lois de la nature, que la puissance même et le dynamisme de l'esprit, appelé à dominer les problèmes les plus ardus et à pénétrer toujours plus avant dans les arcanes de la matière. Satisfaction légitime sans doute, mais décevante pour qui s'immobilise à ce stade et refuse d'accepter une plus large perspective. Car l'esprit humain, aussi génial qu'on le suppose, reste soumis lui aussi dans sa constitution et son activité, à l'ordonnance suprême d'un Dieu Créateur. Ce Dieu, il doit le reconnaître, car II est la Vérité en dehors de laquelle rien n'a de consistance. Il doit Le servir, car la science coupée du reste de la vie devient inutile et même néfaste. Le savant reste avant tout un homme en face de sa destinée, et il lui sera demandé compte plus qu'à d'autres du bien et du mal qu'il aura fait.

Que vos travaux soient consacrés à des fins pratiques, ou qu'ils n'aient en vue que la recherche scientifique, ils s'insèrent dans la trame des efforts innombrables, qui font progresser l'humanité vers la fin que lui a assignée son Auteur. Que chacun poursuive donc avec courage et probité la tâche qui lui est échue, avec la pensée généreuse d'accomplir un service d'intérêt général, hautement utile et estimable. Notre pensée vous accompagnera dans votre travail, Messieurs, et Nous vous adressons dès maintenant Nos félicitations et Nos encouragements, accordant de grand coeur à vous-mêmes, à vos familles ici présentes ou réparties à travers le monde, et à tous ceux qui vous sont chers, Notre paternelle Bénédiction.




FONDERIE



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ALLOCUTION AU CONGRÈS INTERNATIONAL DE LA FONDERIE

(29 septembre 1954) 1


Recevant en audience les participants de ce Congrès, qui avait tenu sa session à Florence du 19 au 26 septembre, Pie XII déclara :

Le Congrès International des Associations techniques de Fonderie, qui vient de se tenir à Florence, vous a donné, Messieurs, le désir d'avoir accès près de Nous et de mettre ainsi une conclusion bien significative aux réunions dans lesquelles vous avez traité des intérêts de votre profession. Nous accueillons bien volontiers cette demande et sommes heureux de profiter d'une telle occasion pour dire Notre sympathie à votre groupement et vous communiquer les réflexions que Nous suggère cette circonstance.

L'histoire des principales industries humaines pourrait se comparer à une épopée qui se déroule sur de nombreux siècles, et dans laquelle l'intelligence de l'homme, en lutte avec la nature, surprend l'un après l'autre tous ses secrets et les utilise à son profit. Parmi les plus âpres conquêtes de 1'« homo faber », on range à juste titre la maîtrise des métaux par le feu. Commencée plus de trois mille ans avant l'ère chrétienne, elle a progressé lentement d'abord, au rythme des millénaires. Comment ne pas évoquer l'image du fondeur antique, dont certains peuples primitifs conservent encore les méthodes, traitant bien imparfaitement le minéral dans un four dont il active la flamme par de rudimentaires soufflets ? Et cependant l'histoire révèle à quel point l'utilisation successive du cuivre, du bronze et du fer marquait dans la civilisation autant de progrès importants. La fonderie ne devait cependant connaître d'importants développements qu'à l'époque moderne. Déjà au Xlle siècle l'usage de la force hydraulique pour la manoeuvre des souffleries permit d'accroître la capacité des fours et d'en élever la température. Dès la fin du XVe siècle, la fabrication de la fonte dans les hauts-fourneaux et son oxydation par le feu d'affinage se répandent dans les pays d'Europe Occidentale. L'invention de la machine à vapeur permettant de s'éloigner des cours d'eau et l'emploi du coke allaient augmenter la production dans des proportions considérables. En même temps les procédés d'affinage subissent un incessant perfectionnement : les inventions de Bessemer, Thomas, Siemens et Martin marquent pour la fonderie un tournant décisif. Depuis le début de ce siècle, grâce au four électrique, on obtient des températures plus élevées, des métaux de qualité meilleure, tout en réduisant les frais de mise en marche et de manutention.

Mais pas plus que les autres branches de l'industrie moderne, la fonderie ne peut se passer des services de la recherche scientifique appliquée aux métaux. L'analyse chimique fournit des renseignements indispensables sur la composition des matériaux à traiter, des combustibles, de la garniture des fours et permet la mise en oeuvre rationnelle de ces divers éléments. La métallographie à son tour examine la structure interne des métaux et des alliages, rend compte de leurs propriétés physiques, mécaniques et chimiques, dégage les lois qui règlent les conditions d'équilibre de leurs constituants et oriente ainsi l'expérimentation de nouveaux traitements mécaniques ou thermiques. La connaissance approfondie des divers états et du comportement des métaux a permis les progrès considérables de ces dernières années et en particulier la production d'alliages aux propriétés remarquables que requiert impérieusement le développement de la technique. On a vu naître de la sorte les aciers spéciaux et les aciers rapides, les alliages légers et ultra-légers ; les alliages capables de résister aux températures très élevées : ces créations récentes ont rendu possible entre autres l'évolution surprenante de la construction aéronautique.

L'importance industrielle de la fonderie ne peut repousser dans l'oubli le rôle qu'elle a joué dans l'histoire de l'art depuis les temps préhistoriques. Votre séjour à Rome vous donnera sans doute l'occasion d'admirer en connaisseurs quelques-uns des bronzes fameux légués par l'antiquité classique. Dans l'exé

cution de ces chefs-d'oeuvre, l'opération de la coulée mérite à bon droit de passer aussi pour une oeuvre d'art : en quelques instants il faut que le métal liquéfié remplisse le moule, sans que son écoulement soit empêché, ralenti ou dévié sans qu'un défaut d'alliage ou un excès de chaleur ne perturbe sa fluidité. Nous songeons en particulier à cette branche de la fonderie qui s'est spécialisée avec amour dans la fabrication des cloches et dans laquelle la tradition et ses secrets se transmettaient jalousement de père en fils. Solidité du métal, pureté de timbre, puissance de sonorité, ces trois qualités indispensables deviennent de plus en plus difficilement conciliables à mesure qu'augmente la masse de la cloche à fondre, et pourtant que de merveilleuses réussites n'ont pas obtenues les maîtres-fondeurs à force de patientes recherches et d'habileté technique ? Ce sera pour toujours leur gloire et leur consolation d'avoir doté tant de cathédrales et de modestes églises de ces voix émouvantes qui appellent le peuple à la prière, qui chantent les joies familiales, paroissiales et parfois nationales, qui pleurent aussi les deuils, mais qui par-dessus tout rappellent aux hommes la majesté de Dieu, maître universel, Père tout-puissant et juge des vivants et des morts.

Nous ne pouvons oublier, Messieurs, que la fonderie suppose actuellement de grands complexes industriels qui font appel à la main-d'oeuvre salariée. Recevant l'an dernier la délégation américaine de votre Congrès de Paris, Nous avons fait allusion aux relations entre employeurs et employés dans les industries métallurgiques, spécialement dans les durs emplois de la fonderie, et Nous encouragions les efforts louables qui se poursuivent en tous pays pour les améliorer. L'intérêt bien entendu le demande, mais la conscience aussi en fait un devoir, basé sur les droits inaliénables de la personne humaine et sur la responsabilité de celui dont dépendent les conditions d'existence d'un grand nombre d'hommes. Les exigences de la concurrence, conséquence normale de la liberté et de l'ingéniosité humaines, ne sauraient être la norme dernière de l'économie. Il est des valeurs imprescriptibles, dont la méconnaissance ou le mépris se soldent à plus ou moins bref délai par de dangereuses perturbations sociales et politiques. A tout chrétien d'abord, mais aussi à quiconque veut faire de sa vie une source de bonheur et de paix, s'adresse la consigne de saint Paul aux Romains : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien » 2. Loin de mettre votre propre intérêt au-dessus de tout, vous aurez souci des besoins réels, matériels et moraux, de ceux qui dépendent de vous. Vous vous efforcerez de comprendre leurs difficultés, leurs justes aspirations et d'y faire droit dans toute la mesure où le permet l'évolution des institutions sociales. Ainsi vous contribuerez à réaliser le souhait si profond et si universel, que non seulement la matière, mais aussi et surtout l'homme qu'elle doit toujours servir, sorte ennobli de l'usine.

Puisse cette visite que vous avez voulu rendre au Père commun demeurer pour vous tous, Messieurs, pour vos familles, ici représentées, un encouragement dans la vie, et par la grâce de Dieu que Nous implorons sur vous et ceux qui vous sont chers, une source de lumière et de force. A cette intention, et de grand coeur, Nous vous accordons Notre Bénédiction apostolique.

Rm 12,21.



DISCOURS A LA VIIIe ASSEMBLÉE DE L'ASSOCIATION MÉDICALE MONDIALE

(30 septembre 1954)1


D'après le texte français des A. A. S., XXXXVI, 1954, p. 587.

En présence des membres de cette Association, le Saint-Père donna les directives que voici :

Nous sommes heureux de Nous trouver encore une fois parmi les médecins, comme ce fut si souvent le cas ces dernières années, et de leur adresser quelques mots.

Vous Nous avez informé des buts de l'Association Médicale Mondiale et des résultats obtenus pendant les sept années de son existence. C'est avec grand intérêt que Nous avons pris connaissance de ces informations et du grand nombre de tâches auxquelles vous avez consacré votre attention et vos efforts : prise de contact et groupement des associations médicales nationales ; échanges des expériences de chacun ; examen des problèmes actuels des divers pays ; conventions formelles avec une série d'organisations apparentées ; création d'un secrétariat général à New York ; fondation d'une revue propre World Médical Journal. A côté de ces réalisations d'ordre plus administratif, fixation et mise en valeur de quelques points importants de la profession et de l'état médical : défense de la réputation et de l'honneur de la corporation des médecins ; élaboration d'un code international d'éthique médicale qui a déjà été reçu par 42 nations ; acceptation d'une nouvelle rédaction du serment d'Hippocrate (serment de Genève) ; condamnation officielle de l'euthanasie. Et parmi beaucoup d'autres questions, celles concernant la transformation et le développement de l'enseignement universitaire pour la formation des jeunes médecins et plus encore pour la recherche médicale. Nous n'avons mentionné ici que quelques points. Au programme de l'actuel VIIIe Congrès, vous avez encore ajouté par exemple : les devoirs du médecin en temps de guerre, en particulier de guerre bactériologique ; la position du médecin vis-à-vis de la guerre chimique et atomique et de l'expérimentation sur l'homme.

L'aspect médical aussi bien que technique et administratif de ces questions est votre domaine ; mais en ce qui concerne l'aspect moral et juridique, Nous voudrions attirer votre attention sur quelques points. Une série de problèmes, qui vous occupent, Nous ont occupé Nous aussi et firent l'objet d'allocutions spéciales. Ainsi, le 14 septembre 1952, aux participants du premier Congrès International d'Histopathologie du système nerveux, Nous avons parlé (à leur demande même) des limites morales des méthodes modernes de recherche et de traitement. Nous avons rattaché Nos explications à l'examen des trois principes d'où la médecine déduit la justification de ces méthodes de recherches et de traitement : l'intérêt scientifique de la médecine, l'intérêt du patient, l'intérêt de la communauté, ou comme on dit le bien commun, bonum commune 2. Dans une allocution aux membres du XVIe Congrès International de Médecine militaire, Nous avons exposé les principes essentiels de la morale et du droit médical, leur origine, leur contenu et leur application 3. Le XXVIe Congrès de l'Association Italienne d'Urologie Nous avait posé la question discutée : est-il moralement permis d'extirper un organe sain pour empêcher la progression d'un mal qui menace la vie ? Nous y avons répondu dans une allocution du 8 octobre de l'année passée ". Enfin, Nous avons touché les questions qui vous occupent durant le présent Congrès, celles de l'appréciation morale de la guerre moderne et de ses procédés, dans une allocution du 3 octobre 1953 aux participants du VIe Congrès International de Droit pénal 5.

Si, à présent, Nous ne faisons que mentionner brièvement quelques-uns de ces points, malgré leur importance et leur portée, Nous espérons que les explications données antérieurement pourront servir de complément ; pour ne pas trop allonger ce discours, Nous les reporterons chaque fois intégralement en note.






guerre et la paix.

Que le médecin ait pendant la guerre un rôle, et un rôle privilégié, c'est une évidence. A aucun autre moment, il n'y a tant à soigner et à guérir, chez les soldats et les civils, les amis et les ennemis. Il faut concéder au médecin, sans restrictions, le droit naturel d'intervenir là où son aide est requise, et aussi le lui garantir par des conventions internationales. Ce serait une aberration du jugement et du coeur que de vouloir dénier à l'ennemi le secours médical et le laisser périr.

Le médecin a-t-il aussi un rôle à jouer dans l'élaboration, le perfectionnement, l'accroissement des moyens de la guerre moderne, en particulier des moyens de la guerre A. B. C. ? On ne peut répondre à cette question avant d'avoir d'abord résolu cette autre : « La guerre totale » moderne, la guerre A. B. C. en particulier, est-elle permise en principe ? Il ne peut subsister aucun doute, en particulier à cause des horreurs et des immenses souffrances provoquées par la guerre moderne, que déclencher celle-ci sans juste motif, (c'est-à-dire, sans qu'elle soit imposée par une injustice évidente et extrêmement grave, autrement inévitable) constitue un « délit » digne des sanctions nationales et internationales les plus sévères. L'on ne peut même pas en principe poser la question de licéité de la guerre atomique, chimique et bactériologique, sinon dans le cas où elle doit être jugée indispensable pour se défendre dans les conditions indiquées. Même alors cependant il faut s'efforcer par tous les moyens de l'éviter grâce à des ententes internationales ou de poser à son utilisation des limites assez nettes et étroites pour que ses effets restent bornés aux exigences strictes de la défense. Quand toutefois la mise en oeuvre de ce moyen entraîne une extension telle du mal qu'il échappe entièrement au contrôle de l'homme, son utilisation doit être rejetée comme immorale. Ici il ne s'agirait plus de « défense » contre l'injustice et de la « sauvegarde » nécessaire de possessions légitimes, mais de l'annihilation pure et simple de toute vie humaine à l'intérieur du rayon d'action. Cela n'est permis à aucun titre.

Revenons au médecin. Si jamais, dans le cadre des limites indiquées, une guerre moderne (A. B. C.) peut se justifier et se justifie en fait, la question de la collaboration morale licite du médecin peut alors se poser. Mais vous serez d'accord avec Nous : on préfère ne pas voir le médecin occupé à une tâche de ce genre ; elle contraste trop avec son devoir primordial : porter secours et guérir, ne pas faire de tort ni tuer.

Ceci vous rendra compréhensible le sens et la justification de Nos explications antérieures ; ce que Nous avons dit sur la condamnation de la guerre en général et sur la position et le rôle du médecin.de guerre (notes 6 et')•

I L'expérimentation sur l'homme.

D'après les informations qui Nous sont parvenues de votre part, vous avez ajouté au programme primitif de votre Congrès actuel la question de l'expérimentation sur l'homme vivant.

Quelle extension cette expérimentation peut prendre et à quels abus elle peut conduire, les procès des médecins de l'après-guerre l'ont montré.

Nous Nous permettons de renvoyer à ce sujet à un passage d'un de Nos précédents discours 8.

Que la recherche et la pratique médicales ne puissent se passer de toute expérimentation sur l'homme vivant, on le comprend sans peine. Mais il s'agit de savoir quels sont les présupposés nécessaires de l'expérimentation, ses limites, ses obstacles, ses principes de base décisifs. Dans les cas désespérés, quand le malade est perdu si l'on n'intervient pas et qu'il existe un médicament, un moyen, une opération qui, sans exclure tout danger, gardent encore une certaine possibilité de succès, un esprit droit et réfléchi admet sans plus que le médecin puisse, avec l'accord explicite ou tacite du patient, procéder à l'application de ce traitement. Mais la recherche, la vie et la pratique ne se limitent pas à de tels cas ; elles les débordent et vont plus loin. Même chez des médecins sérieux et consciencieux, on entend exprimer l'idée que si l'on ne se risque pas sur de nouvelles voies, si l'on n'essaie pas de nouvelles méthodes, on freine le progrès, quand on ne le paralyse pas complètement. Dans le domaine des interventions chirurgicales surtout, on fait ressortir que maintes opérations qui ne comportent aujourd'hui aucun danger spécial, ont derrière elles un long passé et une longue expérience — le temps nécessaire au médecin pour apprendre et s'exercer — et qu'un nombre plus ou moins grand de cas mortels marquent les débuts de ces procédés.



L'intérêt de l'individu est-il à ce point subordonné à l'intérêt médical commun - ou transgresse-t-on ici, de bonne foi peut-être, les exigences les plus élémentaires du droit naturel, transgression que ne peut se permettre aucune recherche médicale ?

Il faudrait fermer les yeux à la réalité pour croire qu'à l'heure actuelle, on ne trouve plus personne dans le monde de la médecine pour tenir et défendre les idées qui sont à l'origine des faits que Nous avons cités. Il suffit de suivre pendant quelque temps les rapports sur les essais et les expériences médicales, pour se convaincre du contraire. On se demande involontairement ce qui a autorisé tel médecin à oser telle intervention, et ce qui pourrait jamais l'y autoriser. Avec une objectivité tranquille, l'expérience est décrite dans son déroulement et dans ses effets ; on note ce qui se vérifie et ce qui ne se vérifie pas. Sur la question de la licéité morale, pas un mot. Cette question existe cependant, et l'on ne peut la supprimer en la passant sous silence.

Pour autant que, dans les cas mentionnés, la justification morale de l'intervention se tire du mandat de l'autorité publique, et donc de la subordination de l'individu à la communauté, du bien individuel au bien social, elle repose sur une explication erronée de ce principe. II faut remarquer que l'homme dans son être personnel n'est pas ordonné en fin de compte à l'utilité de la société, mais au contraire, la communauté est là pour l'homme.

La communauté est le grand moyen voulu par la nature et par Dieu pour régler les échanges où se complètent les besoins réciproques, pour aider chacun à développer complètement sa personnalité selon ses aptitudes individuelles et sociales. La communauté considérée comme un tout n'est pas une unité physique qui subsiste en soi, et se9 membres individuels n'en sont pas des parties intégrantes. L'organisme physique des êtres vivants, des plantes, des animaux ou de l'homme possède en tant que tout une unité qui subsiste en soi ; chacun des membres, par exemple, la main, le pied, le coeur, l'oeil est une partie intégrante, destinée par tout son être à s'insérer dans l'ensemble de l'organisme. Hors de l'organisme, il n'a, par sa nature propre, aucun sens, aucune finalité ; il est entièrement absorbé par la totalité de l'organisme, auquel il se relie.

Il en va tout autrement dans la communauté morale et dans chaque organisme de caractère purement moral. Le tout n'a pas ici une unité qui subsiste en soi, mais une simple unité de finalité et d'action. Dans la communauté, des individus ne sont que collaborateurs et instruments pour la réalisation du but communautaire.

Que s'ensuit-il pour l'organisme physique ? Le maître et l'usufruitier de cet organisme, qui possède une unité subsistante, peut disposer directement et immédiatement des parties intégrantes, les membres et les organes, dans le cadre de leur finalité naturelle ; il peut intervenir également, aussi souvent et dans la mesure où le bien de l'ensemble le demande, pour en paralyser, détruire, mutiler, séparer les membres. Mais par contre quand le tout ne possède qu'une unité de finalité et d'action, son chef, c'est-à-dire dans le cas présent, l'autorité publique, détient sans doute une autorité directe et le droit de poser des exigences à l'activité des parties, mais en aucun cas il ne peut disposer directement de son être physique. Aussi toute atteinte directe à son essence constitue un abus de compétence de l'autorité. (Allocution au premier Congrès International d'Histopathologie du Système Nerveux, 14 septembre 1952. - Discorsi e Radiomessaggi, vol. XIV, PP 325-328 Documents Pontificaux 1952, pp. 4*0 et s.)



Il appartient à votre compétence professionnelle de répondre aux questions qui concernent les présupposés médicaux et les indications de l'expérimentation sur l'homme vivant. Cependant la difficulté d'une mise au point morale et juridique fait apparaître nécessaires quelques indications.

Dans Notre allocution aux médecins militaires, Nous avons, en bref, formulé les directives essentielles à ce sujet9.

Pour traiter et résoudre ces problèmes, on met en jeu, comme on le voit dans le texte cité, une série de principes moraux de l'importance la plus fondamentale : la question des relations entre l'individu et la communauté, celle du contenu et des limites du droit d'utiliser la propriété d'autrui, la question des présupposés et de l'extension du principe de totalité, celle des relations entre la finalité individuelle et sociale de l'homme, et d'autres semblables. Bien que ces questions n'appartiennent pas au domaine spécifique de la médecine, celle-ci, en tous cas, doit en tenir compte, à l'égal de n'importe quelle autre activité humaine.

Ce qui vaut du médecin à l'égard du patient vaut aussi du médecin envers lui-même. Il est soumis aux mêmes grands principes moraux et juridiques. Aussi ne peut-il pas non plus se prendre lui-même comme objet d'expériences scientifiques ou pratiques, qui entraînent un dommage sérieux ou menacent sa santé ; encore moins est-il autorisé à tenter une intervention expérimentale qui, d'après un avis autorisé, puisse entraîner mutilation ou suicide. En outre, il faut en dire autant des infirmiers et infirmières et de quiconque est disposé à se prêter à des recherches thérapeutiques. Ils ne peuvent pas se livrer à de telles expériences. Ce refus de principe ne concerne pas le motif personnel de celui qui s'engage, se sacrifie et se renonce au profit d'un malade, ni le désir de collaborer à l'avantage d'une science sérieuse, qui veut aider et servir. S'il s'agissait de cela, la réponse affirmative irait de soi. Dans aucune profession, et en particulier dans celle de médecin et d'infirmier, il ne manque de gens qui sont prêts à se consacrer totalement à d'autres et au bien commun. Mais il ne s'agit pas de ce motif et de cet engagement personnel ; dans cette démarche, il s'agit en fin de compte de disposer d'un bien non personnel, sans en avoir le droit. L'homme n'est que l'usufruitier, non le possesseur indépendant et le propriétaire de son corps, de sa vie et de tout ce que le Créateur lui a donné pour qu'il en use, et cela

ou animaux, l'homme est libre de disposer de leur existence et de leur vie, (ce qui ne supprime pas l'obligation qu'il a, devant Dieu et sa propre dignité, d'éviter les brutalités et les cruautés sans motifs), mais non de celle d'autres hommes ou de subordonnés.

Le médecin de guerre tire de là une orientation sûre, qui sans lui enlever la responsabilité de sa décision, est susceptible de le garder des erreurs de jugement, en lui fournissant une norme objective claire. (Allocution aux membres du XVIe Congrès International de médecine militaire. - Discorsi e Radiomessaggi, vol. XV, PP 420-421 pp. 420-421 ; cf. Documents Pontificaux 1953, ) conformément aux fins de la nature. Le principe fondamental : « Seul celui qui a le droit de disposition est habilité à en faire usage, et encore, uniquement dans les limites qui lui ont été fixées », est l'une des dernières et des plus universelles normes d'action, auxquelles le jugement spontané et sain se tient iné-branlablement, et sans lesquelles l'ordre juridique et celui de la vie commune des hommes en société est impossible.

En ce qui concerne l'enlèvement de parties du corps d'un défunt à des fins thérapeutiques, on ne peut pas permettre au médecin de traiter le cadavre comme il le veut. Il revient à l'autorité publique d'établir des règles convenables. Mais elle non plus ne peut procéder arbitrairement. Il y a des textes de loi, contre lesquels on peut élever de sérieuses objections. Une norme, comme celle qui permet au médecin, dans un sanatorium, de prélever des parties du corps à des fins thérapeutiques, tout esprit de lucre étant exclu, n'est pas admissible déjà en raison de la possibilité de l'interpréter trop librement. Il faut aussi prendre en considération les droits et les devoirs de ceux à qui incombe la charge du corps du défunt. Finalement, il faut respecter les exigences de la morale naturelle, qui défend de considérer et de traiter le cadavre de l'homme simplement comme une chose ou comme celui d'un animal.

Morale et droit médicaux.

Vous comprendrez qu'en parcourant la liste des résultats que vous avez déjà obtenus au cours de sept années d'existence, l'élaboration d'un code international de morale médicale, déjà accepté par quarante-deux pays, ait éveillé tout particulièrement Notre intérêt.

On pourrait croire qu'il fut aisé de créer une morale médicale mondiale et un droit médical mondial uniformes. La nature humaine sans doute est la même sur toute la terre dans ses lois et ses traits fondamentaux ; le but de la science médicale, et donc celui du médecin sérieux, sont aussi partout les mêmes : aider, guérir et prévenir, ne pas faire de tort ni tuer. Ceci posé, il y a certaines choses qu'aucun médecin ne fait, qu'aucun médecin ne soutient ni ne justifie, mais qu'il condamne. De même il est des choses qu'aucun médecin n'omet, mais qu'il exige au contraire et exécute. C'est, si vous voulez, le code d'honneur du médecin et celui de ses devoirs.

Toutefois, en réalité, la morale médicale actuelle est encore bien loin de constituer une morale mondiale uniforme et complète. Il est relativement peu de principes acceptés partout. Mais ce nombre relativement petit est lui-même digne de considération et mérite d'être apprécié hautement et positivement comme point de départ d'un développement ultérieur.

Au sujet de la morale médicale, Nous voudrions proposer à votre considération les trois idées de base suivantes :

1. La morale médicale doit être basée sur l'être et la nature.


Et cela parce qu'elle doit répondre à l'essence de la nature humaine et à ses lois et relations immanentes. Toutes les normes morales, celles de la médecine aussi, procèdent nécessairement des principes ontologiques correspondants. De là vient la maxime : « Sois ce que tu es » ! Voilà pourquoi une morale médicale purement positiviste se renie elle-même.

2. La morale médicale doit être conforme à la raison, à la finalité, et s'orienter d'après les valeurs.


La morale médicale ne vit pas dans les choses, mais dans les hommes, dans les personnes, chez les médecins, dans leur jugement, leur personnalité, leur conception et leur réalisation des valeurs. La morale médicale chez le médecin, ce sont les questions de conscience personnelles : « Qu'impose cette norme d'action ? Quelle est sa justification ? » (c'est-à-dire quelle finalité poursuit-elle et se fixe-t-elle ?) « Quelle valeur exprime-t-elle en elle-même, dans ses relations personnelles, dans sa structure sociale ? » Autrement dit : « De quoi s'agit-il ? », « Pourquoi ? Dans quel but ? Qu'est-ce que cela vaut ? ». Des hommes moraux ne peuvent être superficiels, et s'ils le sont, ils ne peuvent pas le rester.

3. La morale médicale doit être enracinée dans le transcendant.


Ce qui, en dernière instance, est établi par un homme, un homme peut, en dernière instance, le supprimer et donc (si c'est nécessaire ou si cela lui plaît), il peut s'en dégager. Cela contredit la constance de la nature humaine, la constance de sa destination et de sa finalité, cela contredit aussi le caractère absolu et imprescriptible de ses exigences essentielles. Celles-ci en effet ne disent pas : « Si, comme médecin, tu veux bien juger et bien agir, fais ainsi ! » Mais elles se manifestent, au plus profond de la conscience personnelle, sous une tout autre forme : « Tu dois bien agir, quoi qu'il en coûte ! Donc tu dois agir ainsi et pas autrement ». Ce caractère absolu des exigences morales se maintient, que l'homme leur prête l'oreille ou non. Le devoir moral ne dépend pas du plaisir de l'homme ! l'action morale seule est son affaire. Ce phénomène, que l'on constate en tous temps, du caractère absolu de l'ordre moral oblige à reconnaître que la morale médicale possède, en dernière analyse, un fondement et une règle transcendants. Dans Notre allocution au Congrès de médecine militaire, Nous avons développé ces considérations et parlé du contrôle de la morale médicale 10.

Ajoutons un mot sur le droit médical, dont Nous avons jadis traité plus en détail.

La vie des hommes en communauté exige des normes déterminées et fermement délimitées, mais pas plus nombreuses que ne le demande le bien commun. Les normes morales par contre s'étendent beaucoup plus loin, sont beaucoup plus nombreuses et, sous maints aspects, moins nettement délimitées, afin de permettre l'adaptation nécessaire aux exigences justifiées des cas particuliers. Le médecin pénètre profondément dans la vie de l'individu et de la communauté en vertu de la profession qu'il exerce. Il a besoin dans la société d'un appui juridique large ; et aussi d'une sécurité particulière pour sa personne et son action médicale. D'autre part, la société veut une garantie de la capacité et de la compétence de ceux qui se présentent et agissent comme médecins. Tout ceci démontre la nécessité d'un droit médical, national et autant que possible international. Non au sens d'un règlement détaillé fixé par des lois ; au contraire, que l'Etat abandonne autant que possible l'élaboration de ce règlement aux chambres des médecins (nationales et internationales), en leur attribuant les pouvoirs et sanctions nécessaires. Qu'il se réserve la haute surveillance, les dernières sanctions, l'intégration de l'ordre et des chambres de médecins dans l'ensemble de la vie nationale.

Le droit médical dans son contenu doit exprimer la morale médicale, en ceci du moins qu'il ne contienne rien d'opposé à la morale ; qu'il en arrive à proposer tout ce qu'il devrait pour satisfaire aux exigences de l'éthique naturelle, c'est, d'après l'expérience faite jusqu'à présent, un souhait dont la réalisation est encore bien éloignée.

En résumé : la morale médicale est, en son dernier fondement, basée sur l'être, sur la raison et sur Dieu : le droit médical dépend en outre des hommes.

Nous avons relevé trois points dans le programme abondant de votre Congrès et Nous avons dit un mot de la guerre et de la paix, de l'expérimentation sur l'homme, des efforts pour constituer une morale médicale mondiale et un droit médical mondial.

Nous voulions ainsi stimuler et orienter votre jugement personnel et contribuer, pour Notre part, aux progrès fructueux et à l'approfondissement de votre travail.




LETTRE A SON ÉM. LE CARDINAL INNITZER A L'OCCASION DU IIe CONGRÈS INTERNATIONAL DE MUSIQUE SACRÉE

(ier octobre 1954) 1


Du 4 au 10 octobre s'est tenu à Vienne le IIe Congrès international de musique sacrée et le Pape adressa à cette occasion la lettre suivante :

C'est avec plaisir que Nous avons appris, fils bien-aimé, la célébration du IIe Congrès international de musique sacrée qui doit avoir lieu à Vienne du 4 au 10 octobre.

La diversité du programme présenté, qui cherche à répondre aux nombreux problèmes de la musique sacrée, les professeurs et les conférenciers éminents, les cérémonies liturgiques et les représentations artistiques qui prennent place dans le cours des travaux, autant d'éléments qui par eux-mêmes témoignent de la haute signification du Congrès.

Mais plus que la perfection de la structure extérieure, c'est l'esprit qui l'anime qui déterminera le succès du Congrès et qui laisse espérer de fructueux résultats.

Pour esquisser la situation de la musique sacrée catholique, cinquante ans après le Motu proprio du saint Pape Pie X — le Congrès s'est donné pour thème : « La musique catholique sacrée à l'aube d'une nouvelle époque » — il importe d'une part de rappeler la fidélité aux principes fondamentaux de cette musique, principes valables pour tous les temps ; d'autre part, de tenir compte du développement inhérent à cet art, grâce auquel il entretient sa vie et cherche même à en augmenter les possibilités. D'où l'exigence suivante : aucun changement dans les principes qui, parce qu'essentiels, sont permanents, mais développement de leurs formes d'expression, en adaptant fidèlement ces mêmes principes aux circonstances et aux besoins actuels. Qu'on ne voie cependant en cela aucun mépris pour les valeurs spirituelles ou artistiques du passé, mais un appel à développer ces créations en accord avec le but et les fins de la musique sacrée elle-même. Ainsi donc si, en présence de la musique traditionnelle, le respect s'impose comme allant de soi, les portes des églises peuvent néanmoins s'ouvrir à la nouvelle musique, laquelle, marchant dans le sillage de l'âge d'or de l'art sacré, est animée d'un authentique esprit catholique et bénéficie du talent d'artistes de valeur, même si elle est exprimée avec les moyens et les techniques modernes. Le but à réaliser est l'accord de l'ancien et du nouveau, de manière à ce que la voie soit tracée à une musique qui soit agréable à Dieu et dont les ailes légères puissent faire monter les prières des fidèles jusqu'au trône du Très-Haut.

Afin que le Congrès atteigne son but Nous vous accordons, fils bien-aimé, de même qu'à tous ceux qui collaborent à son succès, et à tous ceux qui participent au Congrès, avec paternelle bienveillance, la Bénédiction apostolique.



Pie XII 1954 - LETTRE DE MONSEIGNEUR J.-B. MONTINI