Pie XII 1954 - AU CONGRÈS MARIAL D'ESPAGNE


POLICE CRIMINELLE



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ALLOCUTION A LA COMMISSION INTERNATIONALE DE LA POLICE CRIMINELLE

(15 octobre 1954)1

Uassemblée générale de cette Commission, réunissant 400 membres, reçue en audience par le Saint-Père qui déclara :

Parmi les institutions qui défendent la société moderne contre les malfaiteurs et les criminels, la « Commission Internationale de Police criminelle » s'avère l'une des plus efficaces, et l'on peut même la dire indispensable. C'est pourquoi Nous sommes heureux, Messieurs, de vous recevoir ici à l'occasion de votre Assemblée générale annuelle et de vous dire combien Nous apprécions les services que vous rendez à la sécurité collective. Les documents, que vous Nous avez remis, Nous ont donné des informations intéressantes sur le développement de votre association, ses buts et ses statuts. Sur le plan qui lui est propre, elle reflète bien un aspect important des relations internationales. A la veille de la première guerre mondiale, lors du premier « Congrès de Police judiciaire », tenu à Monaco en 1914, se faisait jour le souhait d'une collaboration internationale entre les services des divers pays. L'idée, toutefois, ne devait trouver sa réalisation qu'en 1923, à Vienne, après le deuxième « Congrès de Police judiciaire ». La Commission instituée alors se fixa à Vienne et y conserva son siège jusqu'en 1938. Mais les difficultés de la situation politique et, bientôt après, la deuxième guerre mondiale entravèrent et arrêtèrent ses travaux. Il fallut donc attendre la fin des hostilités et assister, plus ou moins impuissants, à l'accroissement inquiétant de la criminalité internationale. L'impérieux besoin d'un organisme de protection provoqua, en 1946, la restauration de la Commission, dont le siège fut transféré à Paris et à laquelle, en 1949, trente-deux Etats étaient déjà affiliés, d'autres se trouvant en instance d'admission.

« Né de l'existence même du malfaiteur international », selon la Notice que vous Nous avez communiquée, votre groupement n'a d'autre but que d'enrayer ses activités néfastes et, à cette fin, d'établir, entre les autorités de police criminelle des différents Etats, une coopération large et efficace. Il n'entend point se consacrer d'abord à l'étude de problèmes théoriques, mais accroître l'efficacité pratique des organismes existants. En recevant de ses membres toute information utile, en leur communiquant à son tour les renseignements qui lui parviennent, la Commission Internationale de Police Criminelle leur permet d'intervenir eux-mêmes rapidement et sûrement et d'étendre en quelque sorte leur sphère d'action au-delà des frontières des différents Etats. L'organe exécutif de la Commission, le Bureau Central International, est chargé de pourvoir à la centralisation et à la diffusion des informations relatives aux malfaiteurs internationaux ; il décèle leurs menées, transmet leur signalement, facilite également la lutte contre la falsification de monnaies ou de documents. La Commission dispose d'une bibliothèque spécialisée et d'une revue propre : la Revue Internationale de Police Criminelle, à laquelle s'adjoint un supplément : Contrefaçons et Falsifications.

Il ne Nous appartient pas d'entrer dans l'examen des problèmes techniques de votre profession. Nous voudrions seulement souligner en quelques mots deux considérations d'ordre général : votre position vis-à-vis de la société que vous avez mission de défendre, et votre attitude envers le délinquant que vous vous efforcez de rendre inoffensif.

La société doit se défendre contre les malfaiteurs.

Il ne suffit pas de bonnes lois pour assurer aux nations le fonctionnement de toutes leurs institutions ; il ne suffit pas non plus de règlements de police pour prévenir et réprimer les désordres qui troublent, de manières tellement diverses, la vie des honnêtes citoyens. L'Etat le plus heureux, le mieux organisé, doit toujours compter avec un certain nombre d'individus rebelles à toute discipline, et pour lesquels la loi n'a d'autre

fonction que de mettre obstacle à leurs entreprises misérables. Rien ne les retient : aucune sorte de biens, aucune forme d'activité qui puisse s'estimer indemne de leurs mouvements louches. Tantôt le malfaiteur s'en prend aux biens de la vie et du corps, de la liberté et de la sécurité personnelle : qu'on songe aux attentats directs contre la vie humaine, aux rapts d'enfants, à la traite des femmes et des jeunes filles ; tantôt il s'empare des biens matériels par des vols, brigandages, détournements, abus de confiance, falsifications de la monnaie ou de documents, contrefaçons de bijoux. Il faut tenir compte aussi des accidents de circulation et des suites qu'ils comportent, lorsqu'ils sont la conséquence de la négligence ou de la préméditation. Si le malfaiteur opère souvent individuellement, il se constitue aussi des bandes qui disposent d'une organisation solide et largement ramifiée sur le plan national et international. Tel délinquant opère avec lourdeur et maladresse ; tel autre par contre déploie une habileté et une ingéniosité extrêmes et met en oeuvre tous les moyens indistinctement : ruse, tromperie, menaces, violence ouverte. On a même pu voir l'un ou l'autre pousser la hardiesse jusqu'à pénétrer dans les rangs de la Police criminelle internationale, pour s'informer de ses méthodes et de sa technique et lui dérober des renseignements.

L'adresse extraordinaire, les inventions toujours renouvelées des criminels pourraient sans aucun doute susciter une vive appréhension chez toutes les honnêtes gens, s'ils ne savaient qu'à cette perversité inquiétante vous opposez une inlassable et ferme vigilance. Vous surveillez les mouvements des suspects pour dépister à temps leurs initiatives dangereuses ; vous poursuivez et arrêtez les coupables ; vous enquêtez sur leurs méthodes, leurs ressources, leurs complices ; vous les livrez à la justice pour être jugés et punis. Qui ne voit l'importance du service que vous rendez ainsi à la communauté comme aux particuliers ? Il suffit de considérer un instant la complication et l'ampleur du labeur auquel vous êtes astreints, pour en apprécier le mérite. Mais ce travail souvent ingrat et pénible doit vous apparaître plus attachant et plus aisé, si vous envisagez tous ses avantages et toute l'importance qu'il revêt pour le bien de la société. On pourrait objecter qu'il consiste à élaborer un système de défense, sans apporter d'élément nouveau et constructif au progrès de la culture : mais cette affirmation ne tient pas suffisamment compte du caractère organique de la société humaine, dont les diverses parties dépendent étroitement l'une de l'autre dans leur existence et leur fonctionnement. Tout facteur de trouble, toute influence nocive, qu'elle vienne de l'intérieur ou de l'extérieur, doivent être aussitôt réduits à l'impuissance, sous peine de paralyser non seulement l'organe atteint, mais le corps tout entier.

En vous disant Notre estime pour l'oeuvre que vous réalisez, en soulignant ses titres à l'approbation de tous, Nous entendons ne pas Nous placer au seul point de vue humain. La considération que les hommes accordent à leurs semblables, pour précieuse qu'elle soit, n'a de valeur authentique que si elle est fondée dans l'ordre objectif des choses et ne dépend pas de facteurs purement subjectifs. Elle acquiert alors une signification morale et religieuse. Rendre à la société le service éminent de garantir la sécurité, non seulement des biens matériels, mais surtout des personnes, contre les actes criminels, prévenir les dommages qu'ils provoquent, voilà qui mérite certainement la plus haute appréciation morale. Et celle-ci, en son fond, reflète le jugement de Celui qui détient la garde des valeurs supra-terrestres et accorde ainsi son « Placet » à vos efforts pour le bien de la communauté humaine, un « Placet », faut-il le dire, qui ne connaît ni l'erreur ni la fausseté.

L'importance de votre tâche ressort encore d'une considération prise dans le même ordre d'idées. Certaines théories juridiques prétendent ne voir dans le délit que la transgression d'une norme établie uniquement par le droit positif. La gravité de la faute dans ce cas se mesure aux déterminations mêmes de cette norme. Au cas où la teneur en serait différente, au cas même où elle n'existerait pas, le délit serait autre ou cesserait complètement d'exister. Une telle position, qui répond aux postulats d'un positivisme juridique extrême, a pour conséquence immédiate de priver, pour ainsi dire, de son âme et de son mobile profond le combat que vous menez contre la criminalité. Si par contre, le délit au sens plein du terme, est constitué essentiellement par une violation des lois de l'être et du devoir moral, lois enracinées dans la nature des choses, alors la lutte contre la criminalité est un service éminent rendu à la société. Elle constitue une intervention en faveur des principes immanents, ontologiques et moraux de la nature et de la société humaines, dont le crime menace la structure interne et dont il sape les forces vitales.



















Il ne faudrait pas interpréter Nos paroles comme tin plaidoyer en faveur d'un mélange de la morale et du droit, ni même d'un effacement quelconque de la frontière qui les sépare. Mais Nous apercevons trop clairement les dangers d'un positivisme juridique extrême, pour ne pas mettre en garde tous ceux qui ont souci de conserver au droit sa valeur profonde et craignent de le voir se réduire à des règlements purement extérieurs " et superficiels. Comme Nous avons traité cette question l'année dernière dans Notre allocution aux participants du VIe Congrès International de Droit pénal, Nous nous permettons de renvoyer à ce que Nous disions alors 2.

2. La police doit respecter certaines règles fondamentales.

Nous voudrions maintenant dire quelques mots au sujet de votre attitude envers l'auteur du délit, contre lequel vous défendez la société.

Avant tout se pose, dans l'exercice de votre fonction, comme aussi en dehors d'elle, une exigence fondamentale, à laquelle doit satisfaire le jugement que vous portez sur le fait en cause et son auteur : ce jugement doit répondre à la réalité objective, il doit être vrai. Le déroulement entier du procès, depuis le début jusqu'à la fin, et l'intervention de tous ceux qui y participent, accusateurs, témoins, défenseurs, juges, experts, obéissent au même principe, tendent au même but : pro rei veritate ; il faut faire éclater la vérité objective s. Cette vérité objective comporte certaines données universelles et fondamentales. D'abord le fait que l'agent est un homme doué de liberté, non une chose, non un automate dont le fonctionnement dépendrait d'un mécanisme incorporé ; ni même un pur composé de sens et d'impulsions, qui ne passerait à l'acte que sous l'effet de l'instinct et de l'appétit. A la vérité objective appartient aussi le fait que l'homme, en vertu de ses facultés naturelles, jouit de la capacité de se déterminer lui-même, et doit par conséquent être considéré comme responsable de ses actes autodéterminés, du moins jusqu'à la preuve du contraire ou jusqu'à la naissance d'un doute fondé.

Il ne Nous échappe nullement que ceci implique une masse de questions et de problèmes, dont les conséquences pratiques sont fort difficiles à déterminer. Nous en avons traité longuement dans l'allocution, mentionnée ci-dessus, sur le Droit pénal international, et Nous ne voudrions ici qu'y renvoyer ; les passages décisifs seront d'ailleurs rappelés en note4. Mais Nous

tenons à le répéter : le jugement sur le malfaiteur et son action doit partir du principe que tout homme est par nature en possession d'une liberté qui engendre la responsabilité.

Quelques mots encore sur la manière dont doit avoir lieu l'explication personnelle avec l'auteur du délit. Beaucoup de malfaiteurs, penseront certains, surtout les malfaiteurs de profession, ne méritent pas beaucoup d'égards et de considération ; mais le sérieux, la dignité de la justice et de l'autorité publique exigent l'observation stricte des normes juridiques concernant l'arrestation du prévenu et son interrogatoire. Ici aussi Nous vous donnons en note ce que Nous en avons dit dans le discours sur le Droit pénal international5. Nous avons alors cité un texte du grand Pape Nicolas Ier, datant de l'an 1100, contre l'emploi de la torture. Permettez-Nous toutefois une question : La justice d'aujourd'hui n'est-elle pas retournée, en maints endroits et sous des apparences à peine déguisées, à une véritable torture, parfois beaucoup plus violente que les épreuves d'autrefois ? Notre temps ne court-il pas le risque de voir s'élever un jour contre lui le reproche d'avoir, sans frein ni scrupule, poursuivi dans l'interrogatoire des fins utilitaires ?

Une dernière remarque sur la rencontre personnelle avec le malfaiteur. Il faut qu'en tous et chacun existe la volonté d'amener le malfaiteur à résipiscence et de lui rendre sa place de membre de la société. Qu'on n'hésite pas à chercher les moyens pratiques d'y parvenir. Sans doute doit-on éviter les utopies. Maint délinquant se barricade parfois de façon permanente contre toute influence ; d'autres se durcissent consciemment et n'attendent que le moment de leur libération de prison pour reprendre le chemin du crime. Mais il est aussi d'autres expériences, dont on ne trouve pas seulement des exemples isolés. On rie devrait jamais se hâter de condamner irrémédiablement un homme, ni l'abandonner totalement. Aider quelqu'un à se reprendre, à retrouver le chemin du bien et des buts élevés que proposent la raison et la révélation, c'est toujours une bonne action qui porte en elle-même sa récompense.

Puisse votre Commission internationale, qui chaque jour entre en contact avec les éléments dévoyés et dégénérés de l'humanité, contribuer à la conversion sincère de beaucoup d'entre eux et les encourager à reprendre une vie nouvelle et meilleure.

Les considérations, auxquelles Nous venons de Nous livrer devant vous, Messieurs, Nous ont été suggérées par le texte même de l'exposé concernant vos Statuts. Le but ultime de la coopération qu'ils instaurent y est très justement défini : « assurer le respect des lois fondamentales de la vie en société ». Une formule aussi compréhensive suggère bien des réflexions profondes, que Nous n'avons fait qu'effleurer ; mais Nous demandons au Juge suprême de maintenir toujours très élevées vos aspirations et d'assurer par sa lumière bienfaisante la réalisation toujours plus efficace et plus parfaite du noble idéal que vous vous êtes fixé. C'est le voeu que Nous formulons, en vous accordant à vous-mêmes ici présents et à tous ceux qui vous sont chers, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


RADIOMESSAGE AU CONGRÈS MARIAL DE SICILE

(17 octobre 1954)1


A Palerme, ce jour, les catholiques entendirent par la radio la voix du Saint-Père leur communiquer :

Parmi les fastes mémorables de l'Année Mariale, transformée par la bonté divine en plébiscite universel de foi chrétienne, votre Congrès se distingue par l'unanimité du peuple, la solennité des rites, la ferveur de la piété, chers fils et filles de la religieuse Sicile, si chère à Notre coeur et si digne de Nos sollicitudes paternelles.

La vision, qui s'offre en ce moment à Notre esprit, est celle d'un grand peuple, riche d'histoire et exubérant de vie, que la soif ardente de biens et de beautés célestes a arraché une fois de plus aux soucis terrestres ordinaires et a mené s'enivrer à la limpide source de toute sainteté : Marie. Il est beau de vous voir comme une seule famille avec vos pasteurs et les autorités civiles, vous pressant tous autour des autels sacrés pour chanter, glorifier la sublime Mère de Dieu et pour professer sous les ciels bleus de votre île enchanteresse la même foi embrassée par vos pères dès les premiers jours de la prédication évangélique et jamais trahie à travers les événements et le déchaînement des tempêtes.

II Nous semble que l'Apôtre des Gentils, saint Paul, évoquant le jour lointain où il aborda sur votre terre, doit exulter en confrontant le maigre groupe d'amis qui lui offrirent alors l'hospitalité pendant trois jours 2 aux millions de fidèles donnés au Christ par la prédication et par l'apostolat catholique. Il pourrait vous appliquer l'éloge qu'il adressa à la chère église d'Ephèse : « Ayant entendu parler de votre foi dans le Seigneur Jésus et de votre charité pour tous les saints, je ne cesse moi aussi de rendre grâces pour vous et de faire mémoire de vous dans mes prières 3. »

En échange, avec un légitime et saint orgueil, vous pourriez énumérer à l'Apôtre les singulières gloires chrétiennes, qui, depuis cette époque, n'ont jamais manqué d'enrichir votre île. Des témoins éloquents de la réponse empressée à la grâce et de la profondeur de la foi chez vos aïeux, Nous les trouvons entre autres dans ces antiques cathédrales, où l'art atteint le sommet de la pure harmonie ; la brillante phalange de saints et de saintes, comme Agathe et Lucie, exhalant un parfum de lis ; les florissants et antiques diocèses ; les conciles qui y furent célébrés ; les Souverains Pontifes nés ou éduqués dans l'Ile ; et toute une cohorte d'hommes insignes qui se consacrèrent au service de Dieu et aux oeuvres de civilisation. Vous pourriez pareillement rappeler que le grand saint Athanase cita plus d'une fois la Sicile parmi les régions les plus fidèles à la vérité catholique et romaine aux temps orageux de l'hérésie arienne 4. Dans la suite, par le déchaînement de la tempête iconoclaste sur les rives du proche Orient, votre Ile devint le refuge accueillant des persécutés et, en même temps, l'abri de salut pour tant de saintes icônes, surtout mariales, aujourd'hui vénérées en Occident.

Mais — ce qui est plus important — vous démontrez à présent, à l'occasion de ce Congrès, que votre fidélité au Christ et à l'Eglise est solide et intacte, puisque votre dévotion envers Marie est sincère, fervente et populaire.

Vous pourriez montrer, à qui en douterait, sur un plan topographique, la splendide chaîne de sanctuaires mariaux qui s'étend, à travers chacune de vos provinces, sur les monts, sur les côtes, sur les plaines fertiles, faisant ainsi de la Sicile un fief de Marie. S'ils étaient invoqués l'un après l'autre leurs noms et titres, ingénus et expressifs, formeraient comme une litanie bien vôtre : Madone de la Chaîne, de la Lettre, de l'Escalier,



2 ^rxxviir^."811" AAS- XXXXVI' 1954' p' 658-



3 Eph., 1, 15-16.

4 S. Athanase, Hist. Arian., n» 28 ; Migne, P. C, t. XXV, col. 726 ; Epist. Epp. Aegypti et Libae contra Arianos, chap. I, t. XXVI, col. 1030.






de la Grotte, du Haut, du Bois, des Milices, de l'Ermitage, et d'autres encore, suivis par ceux qui rappellent ses mystères : Vierge de l'Annonciation, de l'Assomption, de la Miséricorde, de la Providence — ou bien encore indiqués simplement par des noms de villes et de bourgades — Costumaci, Furi, Tindari, Val-verde, Milici — par lesquels la Vierge semble se complaire elle-même à désigner ses images vénérées.

Ces sanctuaires, plus ou moins importants, souvent humbles et sans ornements, comme l'était la maison de la Vierge à Nazareth, ont été les forteresses de la foi de vos pères. En effet la rapide et intense résurrection du christianisme dans l'Ile après l'invasion des Sarrasins, qui en avait effacé presque toute trace, partit des deux sanctuaires dédiés à sainte Marie, l'un à Palerme, l'autre à Viceri, sans doute les seuls encore debout au milieu de tant de ruines. C'est là que le feu sacré de la foi se conserva pendant de longues années et qu'ensuite il se propagea plus resplendissant dans toutes les parties de la Sicile. A présent encore, les sanctuaires de Marie sont les sources fraîches auxquelles, plusieurs fois dans l'année, le bon peuple accourt pour retremper sa piété dans les pèlerinages traditionnels. Oh! avec quelle satisfaction maternelle, la « Bonne Mère » — la « Bedda Matri », comme vous dites — attend et accueille chaque fois ses humbles fils. Certains ont marché des jours et des jours, les pieds nus sur les sentiers ensoleillés ; d'autres, sont montés sur d'originales charrettes décorées de scènes religieuses, dans leurs costumes aux couleurs vives, au chant des jolies « canzuni » et des antiques « raziuneddi ». Mais tous portent, dans le secret des coeurs, des voeux et des espérances qu'ils ne sauraient confier à d'autres si ce n'est à Elle. Oui, seulement à Elle, Mère bonne et belle, que vous apprenez à aimer dans les admirables images que peignit d'Elle Antonello de Messine et où la noblesse de la créature céleste se fond harmonieusement avec la douceur naturelle de votre caractère.

Or, si la dévotion envers Marie est si ardente et enracinée dans le peuple de Sicile, qui pourrait s'étonner que — selon ce qui Nous a été rapporté par vos évêques — elle ait choisi une de vos illustres cités pour dispenser, ces derniers temps, les grâces les plus remarquables ?

Certainement, le Siège apostolique n'a jusqu'à présent manifesté en aucune manière son jugement au sujet des larmes que l'on dit avoir été versées par une de ses images dans une humble maison de travailleurs 5 ; toutefois ce n'est pas sans une vive émotion que Nous avons pris connaissance de la déclaration unanime de l'épiscopat de Sicile sur la réalité de cet événement. Sans doute Marie est-elle au ciel, éternellement heureuse et ne souffre-t-elle ni douleur ni chagrin ; mais elle ne s'y trouve pas insensible ; au contraire elle nourrit toujours amour et pitié poux le malheureux genre humain auquel Elle fut donnée comme Mère, lorsque douloureuse et en pleurs elle se tenait au pied de la Croix de Jésus. Les hommes comprendront-ils le langage mystérieux de ces larmes ? Oh ! les larmes de Marie ! Sur le Golgotha, c'étaient des larmes de compassion pour son Jésus et de tristesse pour les péchés du monde. Pleure-t-Elle encore pour les plaies renouvelées causées au Corps mystique de Jésus ? Ou pleure-t-Elle pour tant de fils, chez lesquels l'erreur et la faute ont éteint la vie de la grâce, et qui offensent gravement la majesté divine ? Ou bien est-ce là des larmes d'attente pour le retour retardé d'autres de ses fils, autrefois fidèles et aujourd'hui attirés par de faux mirages dans les rangs des ennemis de Dieu ? Il vous appartient de coopérer par l'exemple et par l'action au retour des fugitifs à la maison du Père et de vous employer afin que soient fermées au plus tôt les brèches ouvertes par les ennemis de la religion dans votre Ile, devenue aujourd'hui l'objet des convoitises de l'assaillant.

Aussi ne laissez point passer ce jour sans proclamer unanimement, publiquement et solennellement que le peuple de Sicile entend demeurer fidèle au Christ et à l'Eglise, sans discussions ni réserves, du premier au dernier de ses fils, dans la plus pure tradition des aïeux.

Pour Notre part, Nous ne voudrions pas terminer Notre Exhortation sans vous avoir indiqué brièvement de quelle manière le peuple de Sicile renforcera sa fidélité au Christ. En premier lieu prenez soin de l'instruction religieuse à tout âge et dans tous les milieux sociaux, en particulier parmi la jeunesse. Aux séduisants sophismes des adversaires de l'Eglise, il n'y a qu'à opposer la clarté de la vérité. Un peuple qui ne sait pas quels sont les vrais trésors, ne saura ni les conserver ni les



défendre ; il se rendra compte des biens perdus quand il en aura déjà été dépouillé. Apprenez et approfondissez la doctrine chrétienne, vous à qui Dieu a accordé tant d'éminents dons d'intelligence, si bien que, comme cela est communément reconnu, la Sicile fut toujours une pépinière d'hommes illustres dans les sciences et dans les arts. Que la fidélité au Christ se traduise en outre dans la fréquentation assidue des Sacrements, qui sont le soutien de la vie chrétienne et des vertus familiales et civiques. Que vos beaux temples, monuments de la ferveur de vos ancêtres et certains également de l'indomptable résistance à la persécution, demeurent animés des frémissements d'une foi agissante. Enfin Nous vous demandons de continuer à être de jaloux gardiens des liens filiaux qui vous unirent toujours au Siège Apostolique. De même qu'un jour la Sicile accéda avec bonne volonté aux désirs de Notre Prédécesseur S. Grégoire le Grand, qui l'aimait particulièrement, que Notre voix, pareillement, trouve toujours dans vos esprits un consentement empressé et inconditionné 6.

Recevez Notre Exhortation comme un message de la Mère de Jésus à ceux qui entendent se consacrer à Elle comme à leur Souveraine et Protectrice. Afin que Ses désirs et Nos voeux s'accomplissent, Nous implorons l'abondance des grâces divines pour chacun de vous et pour toute la Sicile, en particulier pour les pauvres, les malades, les humbles, les travailleurs de la mer et des campagnes, les autorités civiles, vos évêques et vos prêtres. A tous, de tout coeur, Nous donnons Notre Bénédiction apostolique".





LETTRE


AU CONGRÈS MARIAL DU LIBAN


(18 octobre 1954)1


Les Libanais célébraient à leur tour un Congrès national mariai ; aussi ils reçurent la lettre que voici :

« Je me suis élevée comme le cèdre du Liban et comme le cyprès sur la montagne de Sion... Venez à moi vous tous qui me désirez et rassasiez-vous de mes fruits ". » Ces paroles de l'Ecriture, que la liturgie applique à la Bienheureuse Vierge Marie, Nous reviennent à la mémoire, au moment où Nous avons la joie de Nous adresser à vous, chers fils et chères filles de la noble nation libanaise qui êtes assemblés, dans les fastes et la ferveur d'une grandiose cérémonie, pour célébrer avec l'Eglise universelle le centenaire de la définition du dogme de l'Immaculée Conception. Oui, allez à Marie, élevez vos coeurs vers elle, implorez l'abondance de ses grâces, dans la confiance filiale que la Mère du Sauveur, qui vécut ici-bas sous le même ciel pur et profond de l'Orient, jette encore sur votre terre un regard de particulière complaisance. L'Eglise elle-même n'évoque-t-elle pas vos sommets du Liban comme une terre d'élection pour la louange de la Vierge ? C'est là que l'Esprit-Saint la contemple et, ravi par la splendeur de sa pureté immaculée, c'est de là qu'il l'appelle à sa céleste gloire : « Viens du Liban, ô ma bien-aimée, et tu seras couronnée 3. »

Le rare privilège qui unit ainsi le nom de votre patrie au culte de la Vierge Marie vous crée à tous un devoir pressant de répondre, avec plus de fidélité encore, à ses appels maternels.










« Greg. I : Epist. Johanni Episc. Syracusano. Oct. 598 - Reg. IX 26 - Mon. Germ. Hist. Epp., t. II, pp. 59-60.



Et Nous aimons à penser que les solennités de votre Congrès mariai national, que Nous avons tenu à présider en la personne de Notre Légat, Notre cher Fils le Cardinal Patriarche de Venise, ne seront pas sans raviver et accroître en vos âmes une dévotion éclairée, forte et durable à la Vierge Immaculée4. Depuis le 30 mai dernier, d'ailleurs, chants et prières n'ont cessé de monter en son honneur sur les chemins et dans les églises du Liban, au cours du glorieux cheminement de la statue du sanctuaire de Harissa à travers monts et vallées, villes et villages. Et le coeur maternel de la Vierge aura tressailli de joie au spectacle de tant d'âmes purifiées par les sacrements/de tant de vies à nouveau consacrées au service de son divin Fils ; il se sera ému de la ferveur des foules chrétiennes et même de l'empressement de toute la population à participer à sa louange.

Une telle piété mariale est un gage d'espérance pour votre cher pays. Les jeunes y puiseront un indéfectible attachement à l'idéal de pureté que Marie propose à l'humanité blessée par le péché, et, en invoquant le secours de Celle qui écrasa la tête du serpent, ils sauront vaincre les assauts répétés de la tentation. Les pères et mères de famille voudront placer leur foyer sous sa garde et méditer les exemples de la Sainte Famille de Nazareth. Les militants de l'Action Catholique tourneront leurs regards vers Marie, qui est la voie la plus sûre pour porter les âmes à Jésus, et ils imploreront, par son intercession, les grâces divines sans lesquelles leur action demeurerait stérile. Que les prêtres surtout, et toutes les âmes consacrées, se souviennent qu'en la personne de saint Jean, Jésus mourant leur a confié sa Mère : qu'ils l'entourent d'une vénération croissante, unis plus que jamais, à travers la féconde diversité de leurs rites, par un commun amour pour la Vierge Sainte et un même désir de propager son culte. Et sur la vie sociale de votre patrie la Mère du Dieu Sauveur fera rayonner l'idéal de son Fils, son message de charité et de fraternité, de vérité et de justice. Celle que d'âge en âge les générations proclament Bienheureuse, demeure l'honneur de la femme, l'espérance du pauvre, la consolation des affligés et des opprimés ; elle demeure, comme au temps du roi Achaz, le signe de la miséricorde divine : « Voici qu'une Vierge concevra et elle enfantera un fils...5. » Aujourd'hui encore, si vous êtes attentifs et fidèles à ses enseignements, elle sera un signe de salut pour vos vénérables chrétientés d'Orient.

Tout le passé de vos antiques communautés chrétiennes atteste d'ailleurs les longues traditions de votre piété filiale envers la Très Sainte Vierge Marie. N'est-ce pas à Ephèse, sur la terre d'Orient, que Marie reçut l'officielle reconnaissance par l'Eglise de sa maternité divine, cette prérogative suprême qui implique en son inépuisable richesse le privilège de l'Immaculée Conception, célébré en cette Année Mariale. A l'illustration de ce double et glorieux mystère, les Pères de l'Eglise Orientale ont grandement contribué et c'est votre honneur de n'avoir jamais cessé de proclamer que la Mère de Dieu fut, dès le premier instant, préservée de la faute originelle.

Cette même foi, toujours vivante maintenue dans sa pureté et son intégrité au cours des siècles malgré tant d'épreuves, inspira, il y a cinquante ans, à l'un de vos grands patriarches l'heureuse idée de mettre comme un sceau à ce culte mariai séculaire en élevant sur la colline de Harissa, au coeur même de votre beau pays, un monument votif à la gloire de l'Immaculée. Non moins suggestif est le titre de « Notre-Dame du Liban » que vous avez voulu donner à ce sanctuaire national ; aux générations futures il rappellera la place souveraine de Marie dans les destinées de votre patrie, et il sera aux heures sombres le céleste paratonnerre qui détournera de votre ciel les nuages de discorde ou de division qui tenteraient de l'obscurcir.

Unanimes dans votre foi en Marie, fraternellement unis sous son manteau maternel, persévérez fermement dans la voie où vous vous engagez aujourd'hui. Cette Année Mariale a vu surgir un peu partout dans le monde, — et ce Nous est une joie profonde —, des légions d'âmes mariales, prêtes à tous les combats pour la gloire de Dieu et l'extension de son règne. Que de telles légions se multiplient sur cette terre d'Orient chère à tous les fils de l'Eglise ; qu'elles y soient le sel qui ne s'affadit point, la lumière placée sur le chandelier et dont la flamme éclaire tous ceux qui sont dans la maison ; que la chaleur de votre charité y soit accueillante, en particulier, à tous vos frères séparés, dont Nous connaissons la profonde piété mariale et que Nous invitions paternellement, dans Notre Encyclique








* On lira la lettre à S. Em. le Cardinal Roncalli, Patriarche de Venise, Légat att Congres mariai du Liban dans les A. A. S., XXXXVI, 1954, p. 653.



Flugens Corona, à tourner avec nous leurs regards vers Marie, « demandant instamment cette unité, grâce à laquelle il n'y aura plus enfin qu'un seul bercail sous un seul Pasteur » '.

Ces voeux et ces prières, Nous les confions à la puissante intercession de Notre-Dame du Liban et, en gage de Notre constante sollicitude de Père et de Pasteur de vos âmes, Nous accordons de grand coeur aux hautes Autorités ecclésiastiques et civiles présentes au Congrès, au clergé des différents rites et à vous tous, chers fils et chères filles, Notre Bénédiction apostolique.


Pie XII 1954 - AU CONGRÈS MARIAL D'ESPAGNE