Pie XII 1956 - DISCOURS AUX MEMBRES DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES TRADUCTEURS


ALLOCUTION A L'OCCASION DES VOEUX DU CORPS DIPLOMATIQUE POUR LE QUATRE-VINGTIÈME ANNIVERSAIRE DE SA SAINTETÉ PIE XII

(4 mars 1956) 1






Les chefs de mission du Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège, accompagnés de leurs collaborateurs, ont confirmé, le dimanche 4 mars, au cours de l'audience solennelle qui leur a été accordée, les sentiments de profonde dévotion et les voeux fervents des nations qu'Us représentent, envers Sa Sainteté Pie XII à l'occasion de ses heureux anniversaires. 2

S. E. le comte Wladimir d'Ormesson, ambassadeur de France et vice-doyen du Corps Diplomatique, a lu, également au nom de ses collègues, une fervente et éloquente adresse d'hommage. Le Souverain Pontife a bien voulu répondre par le discours suivant en français :

1 D'après le texte français de l'Osservatore Romano, du 6 mars' 1956.

2 S. E. Mgr Dominique Tardini, pro-secrétaire d'Etat, assistait à l'audience avec les hauts prélats de la Secrétairerie d'Etat LL. EE. Mgr Antoine Samorè, Mgr Charles' Grano, Mgr Angelo Dell'Acqua, etc. Etaient présents LL. EE. les ambassadeurs de Pologne, France, Espagne, Salvador, Autriche, Italie, Equateur, Belgique, Portugal, Venezuela, Iran, Uruguay, Allemagne, Paraguay, Brésil, Irlande, Pérou, Liban, Panama, Colombie, Argentine et République Dominicaine ; LL. EE. les ministres de Saint-Marin, Lithuanie, l'Ordre Militaire de Malte, Hollande, Nicaragua, Costa-Rica, Monaco, Syrie, Grande-Bretagne, Finlande, Chine, Inde, Egypte, Pakistan et Japon ; MM. les chargés d'affaires de Haïti, Cuba, Indonésie et Bolivie.




Les paroles si élevées et si cordiales, par lesquelles Votre Excellence a interprété les sentiments de ses illustres Collègues, constituent pour Nous un hommage particulièrement précieux. Il vient souligner une fois de plus l'attention respectueuse, que le Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège a maintes fois manifestée envers Notre humble personne, et Nous accueil -

Ions avec plaisir cette occasion de lui en exprimer toute Notre reconnaissance.

Il vous a plu, Monsieur l'Ambassadeur, de rappeler Nos efforts en faveur de la paix. C'est en vérité l'une de Nos préoccupations les plus constantes, et depuis le jour même qui suivit Notre élection à la lourde charge du souverain pontificat, où Nous adressâmes un message radiophonique au monde entier, jusqu'à l'époque présente, Nous n'avons cessé d'élever vers le ciel Nos prières et d'employer tous les moyens dont Nous disposions pour exhorter les hommes de toutes tendances et de tous pays à rechercher sincèrement ce bien spirituel, après lequel soupirent les individus et les peuples.



Le Saint-Père rappelle brièvement ses nombreuses interventions en faveur de la paix.

La paix ! Qui dira sa valeur et ses bienfaits ? Puissions-Nous en avoir suscité à travers le monde un plus vif désir, si bien que les individus et les collectivités consentent désormais, pour la protéger, la conserver et la consolider, de plus profonds et plus intimes sacrifices. Combien Nous voudrions que les hommes et les nations la préfèrent aux satisfactions de l'amour-propre et de l'intérêt ! Combien Nous souhaitons que la pression de l'opinion mondiale fasse plier les résistances et les obstinations déraisonnables, impose partout la nécessité de résoudre à l'amiable les oppositions les plus accentuées, oblige à admettre les arbitrages et les compromis, grâce auxquels tant de maux irréparables pourraient être évités !



H met en garde l'humanité contre une confiance excessive dans la science et la technique : l'expérience a prouvé que malgré leurs progrès prodigieux, elles n'ont pas supprimé l'angoisse et les souffrances des peuples.

On entend souvent caractériser l'époque présente, non sans quelque pointe de complaisance, comme celle de la « seconde révolution technique », et cependant, malgré la perspective d'un avenir meilleur que cette expression semble comporter, il faut bien constater la permanence de l'angoisse, de l'insécurité politique et économique, tant chez les peuples les plus fortunés que dans les régions sous-développées. L'expérience amère du siècle passé suffirait à l'expliquer : les promesses d'un monde écono-



miquement et techniquement parfait n'avaient-elles pas cours alors comme maintenant ? N'ont-elles pas engendré de cruelles déceptions ? Les bouleversements sociaux, que l'application des sciences dans un esprit trop souvent matérialiste a entraînés, ruinèrent un ordre existant, sans le remplacer par une construction meilleure et plus solide.



L'Eglise maintient à leur juste place la science et la technique et donne la primauté à la fin surnaturelle de l'homme.

L'Eglise par contre n'a jamais perdu de vue les exigences véritables de l'être humain et se donne pour mission de préserver la stabilité véritable de son existence. Elle sait que la destinée temporelle de l'homme ne trouve sa sanction et son accomplissement que dans l'au-delà. Sans renier aucunement les acquisitions de la science et de la technique, elle les maintient à leur juste place et leur confère leur sens authentique : celui de servir l'homme sans compromettre l'équilibre de toutes les relations qui constituent la trame de sa vie : la famille, la propriété, la profession, la communauté, l'Etat.

Baser la sécurité et la stabilité de la vie humaine sur l'accroissement purement quantitatif des biens matériels, c'est oublier que l'homme est d'abord un esprit créé à l'image de Dieu, responsable de ses actes et de son destin, capable de se gouverner par lui-même et trouvant en cela sa plus haute dignité. On a raison de défendre cette liberté contre les contraintes extérieures, contre l'emprise de systèmes sociaux qui la paralysent et la rendent illusoire. Mais précisément celui qui mène cette lutte doit savoir que l'économie et la technique sont des forces utiles et même nécessaires, aussi longtemps qu'elles restent obéissantes aux exigences spirituelles supérieures ; elles deviennent dangereuses et nocives lorsqu'on leur accorde une prédominance indue et pour ainsi dire la dignité d'une fin en soi. Le rôle de l'Eglise consiste à faire respecter ici l'ordre des valeurs, et la subordination des facteurs de progrès matériels aux éléments proprement spirituels.

Le Saint-Père promet la stabilité intérieure aux Etats qui seront fidèles aux principes qu'il vient d'énumérer.

Les Etats, qui suivront une politique inspirée par ces principes, conserveront une solidité interne, contre laquelle le matérialisme militant viendra se briser. C'est en vain que celui-ci s'efforcera de faire miroiter à leurs yeux l'attrait d'une paix fallacieuse, qu'il prétendra en montrer le chemin dans l'établissement de relations économiques ou l'échange d'expériences techniques. Puissent les peuples, qui s'engagent sur cette voie, le faire avec une prudence et une réserve inspirées par le souci aigu d'un ordre spirituel à sauvegarder ! Puissent-ils toujours se souvenir qu'on les oriente dans une direction qui ne conduit pas et ne peut pas conduire par elle-même à une vraie paix ! Des formules, comme « unité nationale », ou « progrès social », ne doivent pas abuser ; pour le matérialisme militant, le temps de « paix » ne représente qu'une trêve, une trêve bien précaire, pendant laquelle il attend l'écroulement social et économique des autres peuples.

Voilà pourquoi Nous faisons appel à tous ceux qui veulent pour l'humanité la concorde et l'union. Ces âmes généreuses, Dieu aidant, se font chaque jour plus nombreuses et opposent victorieusement leur idéal de lumière et d'amour à l'erreur et au mal. Persuadées qu'on ne bâtit rien de solide sur le sable, elles s'appuient sur les vérités éternelles, que les négations les plus catégoriques ne sauraient ébranler. Car, ce que la raison humaine a longtemps cherché à tâtons, le Tout-Puissant dans sa bonté l'a manifesté aux hommes en la personne de son Fils bien-aimé : « C'est lui qui est notre paix » (Ep 2,14).

3 Après avoir donné la Bénédiction apostolique, le Souverain Pontife s'est entretenu avec les chefs de mission qui lui ont renouvelé, en leur nom et au nom de leurs gouvernements respectifs, leurs vives et respectueuses félicitations.

Sa Sainteté a ensuite reçu l'hommage d'un ensemble de publications de divers auteurs sur l'oeuvre en faveur de la paix qui lui a été présenté par les ambassadeurs de Pologne et de France, au nom de tout le Corps diplomatique. Chaque volume, publié dans la langue de la Mission diplomatique qui l'offrait, était artistiquement relié en cuir blanc avec l'écus-son de Sa Sainteté et l'inscription en lettres d'or : « Le Corps Diplomatique à Sa Sainteté Pie XII — z mars 1956. »




C'est en son nom, et pour la paix de toute l'humanité, que Nous vous remercions encore, Messieurs, de l'hommage que vous venez de Nous rendre, et que Nous implorons sur vous-mêmes et chacun des pays que vous représentez, la plus large effusion des faveurs divines. En gage de quoi Nous vous donnons de grand coeur Notre plus cordiale Bénédiction apostolique *.




ALLOCUTION AU COMITÉ D'ORGANISATION DE L'EXPOSITION D'ART LITURGIQUE ALLEMAND

(7 mars 1956) 1






Le Souverain Pontife a reçu le Comité organisateur de l'exposition d'Art liturgique allemand installée au Palais du Latran sous le patronage du Chancelier Adenauer et de la République Fédérale. La délégation était présidée par S. Em. le Cardinal Frings, archevêque de Cologne.

Voici la traduction de l'allocution prononcée en allemand par le Saint-Père en cette circonstance :

Nous vous présentons Nos salutations les meilleures, Emi-nence, Messieurs et très chers fils. Vous êtes venus à Nous à l'occasion de l'ouverture de l'exposition « Art liturgique en Allemagne de 1945 à 1955 » qui a lieu ce soir et que S. Exc. M. l'ambassadeur Jaenicke a préparée au nom du Gouvernement de la République fédérale allemande et sous la protection de M. le Chancelier Adenauer.

L'exposition veut être l'expression de ce que, outre la reconstruction économique de l'Allemagne, la décade en question a connu aussi un épanouissement spirituel et moral. D'aucuns qui ont déjà pu admirer cette exposition, en louent l'ordonnance et le goût. Ils Nous apprennent qu'il se présente là quelque chose d'authentique, un art religieux qui évoque et la vie intérieure et les réalités supérieures.

Nous avons volontiers donné Notre assentiment à cette exposition. Nous Nous réjouissons de ce que ce noble projet, si peu aisé à réaliser, ait pu aboutir, après avoir traversé toutes difficultés, à un heureux succès. Nous présentons à ce sujet


ART LITURGIQUE ALLEMAND



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à M. l'ambassadeur 2, et à tous ceux qui, sous sa direction ont collaboré à cette tâche, Nos voeux les meilleurs, et Nous exprimons au Gouvernement ainsi qu'à M. le Chancelier de la République fédérale Notre profonde gratitude pour ce témoignage de nobles sentiments à Notre égard.

Nous vous souhaitons, Messieurs et fils très chers, ainsi qu'à tous ceux qui visiteront votre exposition et en retireront les stimulantes suggestions dans l'ordre de l'histoire de l'art et de la religion, de tout coeur, les plus riches bénédictions de Dieu.























































2 Se trouvait présent également l'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire S. E. Wolfgang Jaenicke.


LETTRE DE MONSEIGNEUR DELL'ACQUA SUBSTITUT A LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT POUR LES ASSISES NATIONALES DU CENTRE FRANÇAIS DU PATRONAT CHRÉTIEN

(8 mars 1956)1






Le Centre français du patronat chrétien a tenu à Paris ses Assises nationales, les 14, 15, 16 et 17 mars. Elles avaient pour thème : « Les responsabilités actuelles des chrétiens chefs et dirigeants d'entreprise ». Nous reproduisons ci-dessous l'importante lettre adressée à cette occasion par Sa Sainteté Pie XII à M. Bernard Jousset, président du C.F.P.C.

Le Souverain Pontife a été récemment informé des Assises nationales que se propose de tenir ce mois-ci à Paris, le Centre français du patronat chrétien, et c'est bien volontiers qu'accédant à la filiale requête qui lui fut présentée, il me charge de vous transmettre ses encouragements et ses voeux.

Les responsabilités des chrétiens et dirigeants d'entreprise sont si graves et pressantes de nos jours, qu'elles méritaient d'être retenues comme thème d'étude de ces prochaines journées. Le Saint-Père apprécie votre choix et il ne doute pas que l'examen de vos responsabilités morales et professionnelles ne se fasse à la lumière des enseignements de l'Eglise et selon cet esprit de « service » qui, dans une société chrétienne, doit inspirer la conduite de quiconque détient l'autorité (Lc 22,26).

1 D'après le texte de la Documentation Catholique, t. LUI, col. 465 et suiv.




Vos responsabilités patronales portent d'abord, on ne saurait l'oublier, sur l'entreprise même que vous dirigez, pour en assurer, du point de vue technique, la bonne marche et l'essor


CENTRE DU PATRONAT CHRETIEN



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raisonnable. Et cette tâche comporte déjà par elle-même des difficultés et des risques, souvent méconnus, qui requièrent du patron chrétien un sens aigu de son devoir et des qualités professionnnelles éprouvées.

Mais une entreprise ne saurait être menée indépendamment des conditions générales de l'économie et son chef assume de ce fait des responsabilités plus larges et non moins importantes, au service du bien commun de la nation. Que les membres du C.F.P.C. aient donc à coeur d'être présents dans les organisations patronales et professionnelles ; qu'ils y apportent, tel un ferment, l'esprit chrétien dont ils se sont pénétrés dans l'étude et la prière ; qu'ils aident à y faire mûrir — surtout aux heures difficiles que nous traversons — les orientations saines, les prises de position justes et courageuses, dont peuvent dépendre la vitalité économique et la paix sociale du pays. Un authentique apostolat est à exercer dans ce monde qui est le leur et la connaissance approfondie de la doctrine sociale catholique sera pour eux non seulement une lumière précieuse, mais la justification et la source de leur zèle.

Un chef d'entreprise chrétien enfin ne remplirait pas les obligations essentielles qui lui incombent s'il négligeait ses responsabilités sociales vis-à-vis des hommes auxquels il demande quotidiennement « le meilleur de leur temps et de leurs forces ».

Les paternelles et constantes exhortations de Sa Sainteté à cet égard — renouvelées encore dans un récent discours — trouveront sans nul doute un large écho parmi les participants de vos Assises nationales. Les conditions de travail matérielles et morales des hommes, et surtout des femmes, dans les ateliers ou les usines, la fréquence et les qualités humaines des relations du patron avec tous ceux qui, aux divers échelons, collaborent à la prospérité de l'entreprise, la participation de celle-ci à l'effort d'ensemble engagé, dans la profession et dans le pays, pour promouvoir une plus grande justice sociale ; ce sont là, entre autres, des préoccupations qui doivent hanter l'esprit, et aussi le coeur de tout chrétien qui porte des responsabilités patronales. Pour faire face à son devoir, il n'hésitera donc pas à multiplier les contacts loyaux avec ceux qui lui apportent l'irremplaçable expérience du monde du travail et lui disent l'aspiration de l'ouvrier à être traité non plus seulement comme « un travailleur que l'on embauche et auquel on achète son travail », mais comme « un homme, un membre de la société



humaine qui vient collaborer au bien de cette même société, dans l'industrie en question » 2.

Plus encore, un patron qui est chrétien, a le devoir de considérer devant Dieu la responsabilité qu'il a de donner aux membres de son entreprise des conditions de vie et de travail qui rendent possibles à tous l'attachement au christianisme et la libre pratique de leurs devoirs religieux.

A tous ces titres, la tâche du Centre français du patronat chrétien s'avère plus utile que jamais et de grand coeur le Saint-Père appelle sur tous ses membres une large effusion de grâces. En gage de sa paternelle bienveillance, il vous accorde, ainsi qu'à vos collaborateurs, à la veille des Assises nationales, une spéciale Bénédiction apostolique.

















































Cf. Discours du 4 février, p. 59.


DISCOURS A UN GROUPE D'ARCHÉOLOGUES ET D'HISTORIENS

(g mars 1956) 1






Le vendredi g mars, le Souverain Pontife a reçu un groupe de personnalités de divers pays, membres de l'Union internationale des Instituts d'Archéologie, Histoire, Histoire de l'Art à Rome ; il leur a adressé en français le discours suivant :

C'est bien volontiers, Messieurs, que, répondant à votre souhait. Nous recevons ici votre association, l'Union internationale des Instituts d'Archéologie, Histoire, Histoire de l'Art à Rome, à l'occasion du dixième anniversaire de sa création. Nous vous félicitons de l'heureuse idée qui l'a fait naître, ainsi que du développement qu'elle a pris pendant ces dix ans : elle ne comprend, en effet, pas moins de vingt et un instituts, appartenant à quatorze nations ; elle est un centre où l'on discute des questions qui les intéressent toutes ; elle accorde aux entreprises, que des instituts isolés pourraient difficilement conduire à bonne fin, un appui financier efficace, et les soutient toutes de son autorité morale ; en un mot, elle est devenue le foyer des initiatives et des intérêts culturels de ces diverses nations à Rome. Nous Nous en réjouissons cordialement. Nous voudrions aussi vous exprimer Notre satisfaction particulière pour le projet dont vous Nous avez fait part, de rééditer sur un plan plus vaste la Bibliotheca Histórica Medii Aevi de l'illustre Auguste Potthast. Vous savez quels services précieux cet ouvrage rend entre autres à l'Histoire ecclésiastique pour la période qui va de 500 à 1500.

1 D'après le texte français des A. A. S., XXXXVIII, 1956, p. 210.

2 Cf. Documents Pontificaux 1955, p. 286.




En accueillant en septembre dernier les membres du Congrès international d'Histoire 2, Nous leur disions que Nous n'avions

nullement l'impression de Nous adresser à des inconnus ou des étrangers ; cette impression, Nous l'éprouvons plus vive encore à présent : on pourrait même presque dire que le Vatican lui aussi est un Institut d'Archéologie, Histoire et Histoire de l'Art, c'est-à-dire un institut culturel.



Le Saint-Père rappelle la position de l'Eglise : elle ne s'identifie à aucune culture. Il en donne les raisons.

Mais, même si sa résidence, le Vatican, peut se vanter d'être un haut lieu de l'histoire et de l'art, le Pape est le Chef d'une société religieuse, d'une Eglise universelle. Nous voyons en cela une invitation à profiter de votre présence ici, Messieurs, pour revenir sur une question, que Nous avons déjà touchée dans l'allocution au Congrès historique rappelée à l'instant : Nous voulons dire la position de l'Eglise catholique à l'égard de la culture.

Nous affirmions alors que l'Eglise catholique ne s'identifie à aucune culture. Quelle est la raison profonde de cette attitude ? Elle résulte en principe de l'indépendance radicale de la religion vis-à-vis de la culture. Celle-ci ne permet pas de juger des valeurs religieuses. Ainsi, l'âge d'or de la culture grecque, qui dura deux siècles à peine, tient une place unique dans l'histoire universelle, et le peuple d'Israël en Palestine n'a pas produit de valeurs culturelles comparables. On ne peut cependant rien en conclure quant à la pureté et à l'élévation des conceptions religieuses de ces deux peuples. Plusieurs siècles avant l'apogée de la culture hellénique, le peuple d'Israël exprime déjà, dans les psaumes et les prophètes, et même, bien plus tôt, dans le Deutéronome, son idée de Dieu et des fondements moraux de la vie humaine avec une pureté et une perfection, auxquelles l'hellénisme n'atteignit jamais, même chez ses coryphées spirituels, Socrate, Platon et Aristote. L'efflorescence de la culture arabe en Espagne à une époque où, plus au nord, la culture chrétienne à ses débuts s'élevait peu à peu par un effort laborieux, prouve-t-elle la supériorité de l'islamisme sur le christianisme ? Sans doute les savants arabes n'auront-ils pas manqué de reprocher aux chrétiens leur infériorité ; mais il ne faut jamais juger une religion d'après le développement culturel de ses adhérents.

Nous voilà ainsi revenus à l'Eglise. Son divin fondateur, Jésus-Christ, ne lui a donné aucun mandat ni fixé aucune fin



d'ordre culturel. Le but que le Christ lui assigne est strictement religieux ; il est même la synthèse de tout ce que renferme l'idée de religion, la religion unique et absolument véritable : l'Eglise doit conduire les hommes à Dieu, afin qu'ils se livrent à Lui sans réserve et trouvent aussi en Lui la paix intérieure parfaite. Voilà pourquoi le Christ a confié à l'Eglise toute sa vérité et toute sa grâce.

L'Eglise ne peut jamais perdre de vue ce but strictement religieux, surnaturel. Le sens de toutes ses activités, jusqu'au dernier canon de son Code, ne peut être que d'y concourir directement ou indirectement. Les papes du XVe siècle, à partir de Nicolas V, ont suivi avec beaucoup d'intérêt le mouvement culturel de la Renaissance. Ils l'ont fait, au début du moins, pour relayer en quelque sorte ce mouvement et ne pas le laisser s'égarer sur des voies étrangères à la pensée chrétienne. Mais l'histoire après coup s'est demandé si, avec le temps, les hommes d'Eglise n'ont pas subi le charme de l'humanisme au point de lui sacrifier en partie leur tâche principale, s'il est vrai qu'à cette époque, précisément aux environs de 1500, il a fallu rappeler avec force le sens religieux de la vie et celui de la croix du Christ. Le conflit de la religion et de la culture, à ce moment si important de l'histoire, contribue à mettre en relief l'indépendance radicale de l'Eglise vis-à-vis des activités et des valeurs culturelles.



Cependant l'indépendance de l'Eglise ne signifie pas indifférence l'égard de la culture.

D'autre part, on ne peut pas interpréter la conscience qu'a l'Eglise de cette indépendance comme le fruit d'un certain pessimisme à l'égard de la culture ; on s'y complut volontiers au XIXe siècle et par contre-coup on détermina chez les savants et les publicistes catholiques comme aussi dans la vie courante, une insistance exagérée sur la sympathie de l'Eglise pour la culture. Aujourd'hui, les ravages matériels et spirituels, que deux guerres mondiales et leurs conséquences entraînèrent pour l'humanité sans égard aucun pour les pays de vieille culture, ont ramené plus de sobriété et d'objectivité dans l'étude de la question. On n'ose plus guère reprocher à l'Eglise de se montrer hostile à la culture ; l'Eglise par contre est convaincue que l'humanité estime et cherche en elle, avant tout, ses ressources religieuses et morales. Ce sont celles-ci en fait qui commandent l'attitude de l'Eglise envers la culture.

La nature et la Révélation, l'histoire et l'expérience sont d'accord pour montrer que l'activité culturelle met en oeuvre des aptitudes conférées par le Créateur à la nature humaine, et exécute un ordre qu'il a donné expressément : « Remplissez la terre et soumettez-la » (Gen. I, 28). Dans les grandes civilisations que la recherche scientifique a révélées, la culture était toujours liée organiquement à la religion. Point d'évolution culturelle saine sans un équilibre approximatif entre les progrès matériels et les progrès spirituels et moraux. Toute déviation dans l'évolution culturelle a sa cause profonde dans l'écart qui s'est creusé entre ces deux facteurs. Il n'y eut jamais de peuple sans religion. L'irréligiosité implique toujours la volonté de se séparer de la religion, une négation, un rejet, jamais une attitude originelle, ni durable. La décadence culturelle est d'habitude précédée d'une décadence de la vie religieuse. Si donc la religion, comme Nous le disions, est radicalement indépendante des formes et des degrés de la culture, par contre la culture qui se veut authentique, saine et durable, appelle d'elle-même une relation intime à la religion.



n'y a aucun domaine où le christianisme ne puisse pénétrer.

Le christianisme et l'Eglise Nous révèlent quelle est cette relation : le christianisme ne recherche pas un spiritualisme pur, qui serait inhumain. Le parfait chrétien est aussi un homme parfait, car personne ne fut plus pleinement homme que l'Hom-me-Dieu, Jésus-Christ lui-même. Le don total à Dieu est certainement un acte spirituel ; mais il doit s'éprouver dans la réalité de la vie humaine, au fil des heures, des jours et des années. Le christianisme ne connaît pas non plus dans l'univers de domaine où Dieu ne pourrait pénétrer. L'Eglise a rejeté toute forme de dualisme manichéen : « Frères, dit l'apôtre Paul, tout ce qu'il y a de vrai, de noble, de juste, de pur, d'aimable, d'honorable, de vertueux, de louable, que ce soit là l'objet de vos pensées » (Phil. IV, 8), et plus clairement encore, dans la formule classique bien connue : « Tout vous appartient, mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu (I Cor. III, 22-23).

Le Saint-Père cite en exemple la philosophie de la culture de saint Thomas d'Aquin.

On a restitué récemment à la Summa contra Gentïles 3 du grand Thomas d'Aquin une section, qui y manquait ou qu'on n'y trouvait que sous une forme corrompue ; l'authenticité put en être prouvée grâce à l'autographe du saint, que l'on conserve encore, et le texte correct en a paru dans l'édition Léonine de ses oeuvres 4. S. Thomas d'Aquin traite en ce passage de la Providence divine ; dans la langue sobre, mais claire et en même temps profonde, de la scolastique il exprime en ces termes la même idée que l'apôtre : . . . ipsa conditio intellectualis naturse, secun-dum quam est domina sui actus, providentise curam requirit qua sibi propter se provideatur : aliorum vero conditio, quse non habent dominium sui actus, hoc indicat, quod eis non propter ipsa cura impendatur, sed velut ad alia ordinatis, et de même ensuite : Constat autem . . . finem ultimum universi Deum esse, quem sola intellectualis natura consequitur in seipso, eum scilicet cognoscendo et amando ... Sola igitur intellectualis natura est propter se qusesita in universo alia autem omnia propter ipsam.

s Lib. III, cap. 112.


4 T. XIV, 1024, P- 35«-

5 S. Thomas d'Aquin, In Isaïam Proph. Expos., cap. 3 in fin.




Cette position entraîne le refus décidé d'une culture limitée aux seuls éléments temporels ou purement matérialistes. A rencontre de courants philosophiques contemporains, remarquons-le, il s'abstient, ici et dans les chapitres suivants, d'accorder à l'histoire une estime exagérée et ce caractère d'absolu selon lequel, dans le cours déterminé et fatal des événements l'homme aurait son rôle à jouer, mais se trouverait impuissant et inerte devant le jeu qui se déroule sur la scène de l'univers ; conséquence naturelle d'une conception de la culture, qui ne fonde pas en Dieu la primauté de l'homme vis-à-vis de tous les autres êtres. D'autre part, on ne décèle dans la position de l'Aquinate aucune condamnation du monde, mais son acceptation joyeuse orientée vers Dieu. En plusieurs endroits de ses oeuvres, Thomas applique son principe aux différents domaines de la création, jusqu'à donner des normes sur la danse 5. En général, la philosophie de la culture, qui se dégage de l'ensemble de ses oeuvres, est d'un équilibre tellement parfait, qu'elle s'élève presque entièrement au-dessus des conditions du XIIIe siècle et du moyen âge et qu'elle acquiert une valeur définitive.

Dans sa philosophie de la culture, comme dans la majeure partie de sa doctrine, Thomas d'Aquin interprète le sentiment de l'Eglise depuis ses origines et pour tous les temps. Que par sa seule présence et son action religieuse l'Eglise ait influencé la culture de l'humanité, c'était donc inéluctable. En fait, même si l'on considère que l'application des principes et des idéals à la réalité pâtit toujours et partout des faiblesses humaines, l'action culturelle de l'Eglise s'est avérée étendue et féconde, et cela sous un double aspect.

Il montre comment l'action de l'Eglise a été étendue et féconde en faveur de la culture.

D'abord l'Eglise elle-même est un organisme vivant et visible, et les oeuvres qu'elle a accomplies pour remplir sa mission propre — ainsi, par exemple, la glorification de Dieu, avant tout par l'offrande du Saint Sacrifice ; l'éducation des peuples à la civilisation chrétienne ; les réalisations charitables et sociales — se sont révélées en même temps, et pour ainsi dire de soi, comme des valeurs culturelles élevées et souvent de premier ordre. On a organisé l'année passée une exposition des peintures de Fra Angelico : ses visiteurs n'avaient-ils pas l'impression toute naturelle de se trouver devant une réalisation culturelle vraiment supérieure ? Cependant Fra Angelico a composé ces oeuvres pour la gloire de Dieu et pour aider les hommes à monter vers Lui. De valeurs semblables, l'Eglise n'en manque pas, mais elle ne les juge même pas essentielles.

Nous devons ici introduire une remarque sur la science ecclésiastique, c'est-à-dire celle que l'Eglise elle-même a cultivée et cultive encore pour mieux pénétrer la foi chrétienne et ses fondements. Cette science a mis à son actif, lors des luttes théologiques qui se déroulent du IVe au VIIIe siècle, aux XIIe et XIIIe, aux XVIe et XVIIe siècles, des oeuvres éminentes, dignes des réalisations les plus insignes de l'esprit humain pour leur analyse fine et pénétrante de concepts, la précision et l'ampleur de la pensée et du raisonnement. Elle faisait par là oeuvre de culture et l'histoire des sciences confirmera Notre jugement, Nous en sommes sûr.

Ensuite l'Eglise a, dès les origines, fait pénétrer dans l'humanité des principes déterminés qui, peu à peu, en silence et sans attirer l'attention, mais d'une manière d'autant plus durable, influencèrent la vie culturelle et la modifièrent profondément de l'intérieur. Citons principalement les suivantes : l'orientation de toute l'existence humaine vers un Dieu personnel devant qui l'homme se tient comme l'enfant devant son père ; le respect de la dignité personnelle de l'individu : les hommes sont tous égaux par leur nature, leur origine, leur destinée, sans distinction de caste ou de nationalité ; ils sont tous frères et soeurs en Jésus-Christ ; de même l'union des hommes entre eux et l'établissement de la vie sociale, non sous l'effet des poussées instinctives de la masse ou par la volonté d'un dictateur, mais sous l'influence du Christ. On peut encore ajouter l'estime du travail manuel, compatible avec la dignité de l'homme libre.

C'est ainsi, ajoutons-le en passant, que l'esclavage antique a été frappé à sa racine bien avant qu'il fût possible de le supprimer comme institution économique et sociale. Lisez la brève lettre de l'apôtre Paul à Philémon. Considéré de ce point de vue, c'est un document culturel de premier ordre.

Il faut mentionner encore la doctrine chrétienne de l'Etat et du pouvoir public. Ils viennent de Dieu, obligent donc en conscience, mais leurs détenteurs en portent aussi la responsabilité devant le Seigneur ; une juridiction spirituelle indépendante des pouvoirs publics, destinée à vérifier si les lois humaines s'accordent avec la loi divine ; le droit de propriété reçu avec la dignité personnelle, comme un titre moral qui vaut devant Dieu et le prochain et condamne toute espèce d'exploitation illégitime ; l'exigence du mariage monogamique indissoluble et d'une pureté qui atteigne jusqu'au plus intime de la pensée et de la volonté.



Par l'enseignement et la diffusion des principes moraux et religieux du christianisme, l'Eglise a contribué grandement à l'élaboration de la culture occidentale.

L'Eglise qui fit triompher ces principes contribua par là à l'élaboration de la culture occidentale. On donnera raison à l'histoire, lorsqu'elle affirme que celle-ci prolongeait la culture romaine du Bas-Empire, à laquelle se joignirent des éléments culturels germaniques. Elle a donc hérité de toute l'antiquité et du monde germanique. Mais son âme, ce sont les principes chrétiens que l'Eglise lui a transmis et qu'elle a maintenus vivants. Aussi la culture occidentale se maintiendra-t-elle et sera-t-elle féconde dans la mesure où elle leur restera fidèle, aussi longtemps qu'elle ne perdra pas son âme.

Dans Notre encyclique Evangelii prsecones, du z juin 1951 ', Nous avons Nous-même déclaré : Illam Ecclesia, inde ab origine ad nostrani usque setatem, sapientissimam normam semper se-cuta est, qua quidquid boni, quidquid honesti ac pulchri varise gentes e propria cuiusque sua indole e suoque ingenio habent, id Evangelium, quod amplexse sint, non destruat neque restin-guat, et Nous avons ensuite expliqué ce passage. Mais l'âme de toute culture chrétienne, l'Eglise la fera passer, pour ainsi dire, spontanément, dans la pensée et la sensibilité des peuples chez qui elle existe et travaille, pour autant qu'ils n'y avaient pas encore part à la manière de l'anima naturaliter Christiana.

C'est dans ces sentiments que Nous appelons de tout coeur sur vos personnes les bénédictions divines et Nous vous souhaitons de les recevoir en abondance.









































• A. A. S., 43, 1951, p. 521 ; Documents Pontificaux 1951, p. 195.


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