Pie XII 1956 - RADIOMESSAGE DE CLÔTURE AU CONGRÈS EUCHARISTIQUE NATIONAL ITALIEN DE LECCE


D'ESPAGNE

(8 mai 1956) 1






Le Saint-Père a fait parvenir ses directives et sa bénédiction pour la XVIe Semaine sociale d'Espagne, tenue à Seville, sur le thème « Le sens social », par l'intermédiaire d'une lettre en espagnol à S. E. Mgr Albin Gonzalez Menendez Reigada, président du Comité permanent des Semaines sociales. Nous donnons ci-dessous la traduction de ce document :

Dans quelques jours, la XVIe Semaine sociale d'Espagne va se tenir à Seville et le Souverain Pontife, accédant avec bienveillance aux désirs de Votre Excellence et à ceux du Comité d'organisation, veut que ses paroles d'encouragement et de bénédiction parviennent à cette importante assemblée, pour qu'un heureux résultat couronne les travaux que vous préparez.

Dans la situation présente du monde, il existe en tout domaine des contacts et rapports continus entre les hommes. Le progrès scientifique et technique, la facilité des communications, la nature même des problèmes actuels ont fait naître des unions et interdépendances économiques et sociales, aussi bien dans l'ordre privé que dans l'ordre national et mondial.



Le Saint-Père rappelle les deux solutions erronnèes de la question sociale : l'individualisme égoïste et le socialisme.

Mais en voulant régler les institutions et les structures dans lesquelles se concrétise leur vie sociale, les hommes se sont

laissé influencer par des principes erronés. Certains ont cru que l'égoïsme individuel pouvait y régner, favorisant leurs intérêts personnels : se basant sur une philosophie positiviste ils ont oublié les normes morales de l'action humaine, ils n'ont pas tenu compte de la nature raisonnable et sociale de l'homme, ni de sa fin temporelle et éternelle ; ils ont surtout nettement écarté la doctrine surnaturelle de la grâce du Corps mystique du Christ, qui est l'Eglise. D'autres, devant l'échec de l'individualisme, ont cherché la solution dans un ordre réalisé intégralement par l'Etat. Mais le résultat n'a pas été satisfaisant. Les individus y ont perdu plusieurs de leurs droits légitimes et ont vu leur personnalité humiliée. Le secteur économique a été dominé tantôt par l'anarchie, tantôt par le totalitarisme ; le bien commun ne s'est alors réalisé que de manière défectueuse, ou sous une forme plus dure et plus coûteuse.

Les graves conséquences de ces fausses théories, cause de luttes féroces dans la vie sociale, ont produit une situation angoissante à laquelle il est urgent de porter remède. Et celui-ci ne peut se trouver que dans une opposition radicale à l'égoïsme dominant dans un souci de nos semblables qui nous oblige à travailler avec un sens social.

2 Discours à l'Episcopat du monde catholique, 2 novembre 1950 ; cf. Documents Pontificaux, 1050, p. 512.

8 S. S. Pie XI, Encyclique Caritate Christi compulsi.




L'abondance de commodités et de plaisirs, que la technique moderne offre à l'homme, est l'origine de « l'accroissement intolérable de dépenses de luxe qui contrastent durement avec la misère d'un grand nombre », qui, véritablement « sont la suite d'une conception de la vie viciée par le matérialisme 2 ». Tout cela a engendré une avidité démesurée d'argent, une ambition de plus en plus soucieuse de faire tourner les choses à son avantage et l'incapacité de distinguer les nécessités authentiques de celles qui sont factices. « N'est-ce pas cette avidité des biens de cette vie que le poète païen appelait déjà dans sa juste indignation auri sacra famés ; n'est-ce pas ce sordide égoïsme qui, trop souvent, préside aux relations individuelles et sociales... qui ont entraîné le monde aux extrémités que tous nous voyons et déplorons 3 ? » Dans une telle situation, l'homme ne trouve rien qui soit à ses yeux superflu ; tout lui paraît insuffisant ; il ne pense pas au bien commun ; il croit que cette question regarde



l'Etat et que les obligations qui découlent en ce domaine des lois civiles, ne le concernent pas.

Il n'est personne qui ne déplore les maux qu'apporte à la communauté cette attitude de ses membres, cette volonté de vivre chacun sa propre vie, au détriment des intérêts du bien commun.



Le sens social vient justement apprendre à l'individu le devoir de se soucier du bien commun.

Le sens social enseigne à l'individu précisément le contraire. Il lui donne conscience de ses devoirs de relation ; il le pousse à travailler en tenant compte de son appartenance à une communauté ; il l'invite à se soucier du bien du prochain et du bien commun. Il permet à la conscience sociale de l'homme de s'actualiser et, comme un habitus vertueux, il le rend capable des réalisations que Dieu et la société humaine espèrent de lui. Il est par conséquent ce sens de justice générale ou légale, dont parlent les scolastiques et qui, dans les documents pontificaux, est fréquemment appelé justice sociale.

Pour susciter chez l'individu le sens social, il faut tout d'abord travailler selon les préceptes de la loi morale, car les actes humains doivent nécessairement se conformer à la loi de Dieu, universelle et éternelle ; de la sorte, le mobile des actions ne peut être exclusivement l'intérêt personnel, mais l'accomplissement du devoir. L'homme cependant possède en outre une nature intrinsèquement sociale et il doit agir selon cette nature, ne serait-ce que pour satisfaire à ses exigences vitales, parce que « la providence de Dieu le disposa à naître enclin à s'associer et s'unir à d'autres » 4.



Le Saint-Père rappelle deux principes essentiels : a) l'homme est sujet et objet de devoirs et de droits inviolables — b) l'individu doit coopérer au bien de la société.

Dès lors, dans son activité, en même temps qu'il poursuit ses intérêts personnels, il doit chercher à satisfaire aux intérêts des autres membres de la société. La science et l'expérience enseignent clairement que les hommes qui se replient sur eux-



S. S. Léon XIII, Encyclique Immortale Dei.

mêmes et ne se préoccupent pas des autres, s'appauvrissent fatalement, tandis que ceux qui entretiennent une vie de relations et pensent à leurs semblables, s'enrichissent à tout point de vue.

Cette sociabilité de l'homme se concrétise dans sa qualité de membre de deux sociétés nécessaires, la famille et l'Etat, ainsi que d'autres groupements formés librement. Du fait qu'il appartient à ces sociétés, et dans une juste proportion, l'individu, pour régler son action, doit être conscient de l'existence, non seulement de ses intérêts personnels, mais aussi des intérêts collectifs ; il doit se rendre compte que, lié à son bien propre, il y a le bien commun, auquel tous doivent coopérer dans le cadre de la société dont ils font partie.

Dans les relations entre individus et sociétés, il faut tenir compte du fait que l'homme, en tant que tel, loin d'être l'objet et un élément passif de la vie sociale, est, au contraire, et doit être et demeurer son sujet, son fondement et son but... « L'ordre absolu des êtres et des fins montre dans l'homme une personne autonome, c'est-à-dire un sujet de devoirs et de droits inviolables, base et terme de sa vie sociale 5. »

D'autre part, les membres de la société, du fait même qu'ils lui appartiennent, sont « obligés sans aucune exception, à coopérer au bien commun, qui tourne ensuite à l'avantage des individus 6. » Ces deux principes manifestent le respect que la société doit à la personne humaine et les obligations de celle-ci à l'égard du bien commun. La coopération à cette fin, tant de fois oubliée par beaucoup — coupables d'un inexplicable absten-téisme en ce qui concerne les problèmes de la société —, peut aller jusqu'à la participation au gouvernement de la chose publique, charge qui, aujourd'hui, n'est pas le privilège de quelques-uns, mais doit être celui de tous en vertu des responsabilités dont ils sont investis.

Mais là où le sens social acquiert sa complète et profonde signification et agit avec une véritable efficacité, c'est surtout chez les membres de l'Eglise, Corps mystique du Christ.

5 S. S. Pie XII, Radio-message de Noël 1944.

6 S. S. Léon XIII, Encyclique Rerum navarum.




A la lumière de la foi, les hommes connaissent clairement leur origine commune, ils savent qu'ils ont la même nature, un destin surnaturel identique. Créés par Dieu et rachetés par le Christ, ils doivent vivre la vie de la grâce pour jouir éternellement de la récompense divine : ils sont, par conséquent, fils du même Père céleste et tous frères dans le Christ. Membres de son Corps mystique, ils possèdent la conscience de ce que « dans l'Eglise, chaque membre ne vit pas uniquement pour lui, mais il assiste aussi les autres, et tous s'aident réciproquement, pour leur mutuelle consolation aussi bien que pour un meilleur développement de tout le corps7 ». Cette vie surnaturelle, qui circule à travers le corps, de membre à membre, crée entre eux des liens solides de charité, qui découlent de l'amour pour le Christ et pour l'Eglise ; cet amour qui, pour être véritable, « exige donc non seulement que nous soyons dans le Corps lui-même membres les uns des autres, pleins de mutuelle sollicitude, membres qui doivent se réjouir quand un autre membre est à l'honneur et souffrir avec lui quand il souffre, mais il exige aussi que, dans les autres hommes non encore unis avec nous dans le Corps de l'Eglise, nous sachions reconnaître des frères du Christ selon la chair, appelés avec nous au même salut éternel8 ». Ces sentiments de vraie fraternité conduisent jusqu'au sacrifice, car, « lorsque la doctrine inspire l'intelligence, anime les coeurs et dirige les actions des hommes, la conception du sacrifice, qui en résulte, et la subordination de l'intérêt propre aux besoins et devoirs de la communauté, font partie de ces lois et normes fondamentales auxquelles aucune conscience ne peut se soustraire ; de son côté l'autorité publique doit elle-même respecter les limites sacrées et inviolables de la loi divine 9 ».



Le remède au manque de sens social est le retour à un christianisme tensément vécu.

Pour remédier à cette perte du sens social, il n'y a pas d'autre moyen, si l'on veut agir avec force et efficacité, qu'un profond renouvellement religieux, un christianisme intensément vécu.

7 S. S. Pie XII, Encyclique Mystici Corporis.

8 lbid.

9 S. S. Pie XII, Discours à l'ambassadeur de Bolivie, 16 juin 1939.




La vie religieuse pratiquée avec ferveur engendre une fraternité chrétienne plus profonde, impose l'austérité des moeurs, exige l'abnégation dans les difficultés, oriente tous les actes vers la fin suprême, ennoblit le travail quotidien ; celui-ci est dur parfois, mais, de la sorte, il retrouve avec le sens humain et social qui lui est naturel son authentique valeur spirituelle ; la vie religieuse enfin atténue les divergences qui peuvent se produire entre les individus, elle soutient dans l'accomplissement du devoir et enseigne à travailler en vue du bien des autres, spécialement quand il s'agit des professions.

La vie sociale humaine est aujourd'hui désintégrée, mécanisée, et l'ordre social, bien souvent plus apparent que réel, n'est pas le résultat d'un travail multiforme orienté par la conviction des membres de la communauté vers le bien commun. Il y a là une tâche qui incombe aux catholiques ; c'est leur grave responsabilité. Il faut tout d'abord qu'ils agissent en conformité avec les principes qu'ils professent, qu'ils donnent l'exemple du désintéressement, qu'ils diffusent la culture sociale et qu'ils travaillent efficacement afin que le sens social et chrétien pénètre dans la conscience de l'individu, et fassent en sorte que « la société moderne retourne dans ses structures aux sources consacrées par le Verbe de Dieu fait chair. Si jamais les chrétiens négligeaient ce devoir qui leur incombe, laissant inerte, en tant qu'il dépend d'eux, la force qu'est la foi pour ordonner la vie publique, ils commettraient une trahison envers l'Homme-Dieu, apparu visiblement parmi nous dans le berceau de Bethléem » 10.

Le Souverain Pontife espère que les travaux de cette Semaine porteront des fruits abondants, grâce auxquels pourra régner dans la société espagnole un sens social croissant ; il demande au Seigneur de vous aider de ses grâces divines, et, en gage de celles-ci et comme témoignage de sa bienveillance paternelle, il accorde à tous ceux qui participent à la Semaine, la Bénédiction apostolique.



















S. S. Pie XII, Radiomessage de Noël 1955 ; Documents Pontificaux, 1955, p. 476.




DISCOURS A DES MÉDECINS CARDIOLOGUES

(g mai 1956) 1






Le mercredi g mai, le Saint-Père a reçu en audience un groupe de médecins cardiologues et leur a adressé, en français, le discours suivant à l'occasion de l'inauguration de l'hôpital de San Giovanni Rotondo 2.

Les circonstances qui motivent votre présence ici, Messieurs, sont pour Nous un motif de grande joie et, pour tant d'hommes qui souffrent, les prémices d'un grand espoir. C'est en effet pour marquer d'un éclat exceptionnel l'inauguration de l'hôpital de San Giovanni Rotondo que vous avez voulu tenir un Symposium sur les maladies des coronaires, et souligner ainsi la signification de cette nouvelle institution, appelée à introduire dans le soin des malades une conception à la fois plus profondément humaine et plus surnaturelle. Nous vous accueillons donc avec empressement et vous disons toute Notre estime pour la noble profession que vous exercez, et pour les fins élevées qu'elle poursuit.



Le Saint-Père fait l'éloge du noble but de l'hôpital de San Giovanni Rotondo (soigner le malade, corps et âme) et du parfait équipement de cet établissement.

L'hôpital de San Giovanni Rotondo, qui ouvre maintenant ses portes, est le fruit d'une intuition des plus hautes, d'un idéal mûri longuement et affiné au contact des formes les plus diverses et les plus cruelles de la souffrance morale et physique



1 D'après le texte français de l'Osservatore Romano, du 25 mai 1956.

2 Un groupe de médecins venus du monde entier a participé, au début de mai, à un * symposium » sur les affections des coronaires, organisé pour l'inauguration d'un hôpital Modèle à San Giovanni Rotondo, dans les Pouilles. C'est à leur retour à Rome que le Souverain Pontife voulut bien les recevoir en audience.

de l'humanité. Celui, qui par fonction est appelé à soigner les âmes ou les corps, ne tarde pas à mesurer à quel point la douleur corporelle sous tous ses aspects met en cause l'homme entier et jusqu'aux couches les plus profondes de son être moral ; elle l'oblige à se poser à nouveau les questions fondamentales de sa destinée, de son attitude envers Dieu et les autres hommes, de sa responsabilité individuelle et collective, du sens de son pèlerinage terrestre. Aussi la médecine, qui veut être vraiment humaine, doit aborder la personne intégralement, corps et âme. Mais d'autre part, elle en est incapable par elle-même, puisqu'elle ne détient aucune autorité ni aucun mandat l'habilitant à intervenir dans le domaine de la conscience. Elle appelle donc des collaborations qui prolongeront son oeuvre, la conduiront à son véritable aboutissement. Placé dans les conditions idéales au point de vue matériel et moral, le malade aura moins de peine à reconnaître en ceux qui travaillent à le guérir, des auxiliaires de Dieu, soucieux de préparer la voie à l'intervention de la grâce, et c'est l'âme elle-même qui sera ainsi rétablie dans la pleine et lumineuse intelligence de ses prérogatives et de sa vocation surnaturelle. A cette condition seulement on pourra parler en toute vérité d'un soulagement efficace de la souffrance ; c'est pourquoi le refuge de charité, de dévouement, de compréhension, qui vient de s'inaugurer à San Giovanni Rotondo, a voulu s'intituler « Casa Sollievo délia Sofferenza ».

On sait les fatigues, les soucis, les difficultés qui ont jalonné les progrès de cette oeuvre, sans freiner l'élan qui l'a inspirée. De 1947 à 1956, elle s'est édifiée patiemment, tenacement, et se présente maintenant comme une réussite magnifique, un des hôpitaux les mieux outillés de l'Italie grâce aux perfectionnements de la technique moderne, et l'un des meilleurs des régions méridionales ; les services de radiologie et cardiologie en particulier y ont été pourvus d'installations aussi parfaites que possible.



// dit que la médecine des maladies des artères coronaires constitue une matière très importante et difficile. A l'aide d'exemples, il montre que bien des points demeurent obscurs.

Le Symposium qui vous rassemble à l'occasion de sa mise en service aborde une matière importante et difficile, dans laquelle vous avez acquis, Messieurs, une maîtrise que consacre



le renom de vos travaux. Matière importante, car les maladies des artères coronaires sont aujourd'hui largement répandues et portent la responsabilité de nombreux décès. Matière difficile à cause de sa complexité : on y rencontre encore bien des points incertains, ainsi par exemple dans la distribution anatomique et la structure des coronaires, et dans la régulation de la vaso-cons-triction ou de la vaso-dilatation coronarienne. Votre Symposium envisage assez amplement le domaine de ces maladies : l'histoire des travaux qui les ont fait connaître, l'anatomie pathologique des artères coronaires, les syndromes de leurs insuffisances, les moyens actuels de diagnostic et d'étude, les remèdes prévus par la pharmacologie et la chirurgie.

On connaît depuis longtemps des syndromes cliniques en relation avec les troubles de la nutrition du myocarde, qu'ils soient dus à des altérations anatomiques ou à des vices fonctionnels du système de la circulation coronaire. Les coronarites auxquelles, à la fin du siècle dernier, on attribuait la responsabilité principale des douleurs de l'angine de poitrine, furent reléguées au second plan au profit de la théorie aortique, mais reprirent toute leur importance après la guerre de 1914 dès que les progrès de l'électrocardiographie permirent de l'utiliser pour l'étude des anomalies morphologiques du coeur. En même temps, l'histopathologie se livrait à un examen minutieux des lésions artérielles et des syndromes ischémiques du muscle cardiaque, tandis que des observations et des discussions nombreuses venaient sans cesse enrichir la documentation du sujet. Depuis une vingtaine d'années surtout, la technique de l'électrocardiographie, grâce aux travaux des écoles américaines et de Wilson en particulier, a conquis une position de premier plan parmi les méthodes d'investigation cardiologique. Les diagnostics deviennent plus sûrs, la thérapeutique dispose d'orientations solides. Il reste toutefois que la synthèse de données si complexes se heurte encore à bien des résistances : si la commodité de l'exposé autorise des distinctions tranchées, la réalité des faits présente des variétés de forme qui s'échelonnent suivant une progression continue. Ainsi dans l'étiologie de l'angine de poitrine et de l'infarctus, bien qu'on puisse accuser généralement des lésions anatomiques caractérisées, celles-ci manqueront parfois et l'on sera contraint de recourir à l'élément fonctionnel, plus incertain et plus déroutant. L'insuffisance de la circulation coronarienne à nourrir le myocarde peut être due à la sclérose vasculaire mais aussi aux conditions dynamiques de la circulation du sang, par exemple aux variations de la pression, qui règne dans la portion initiale de l'aorte, et à la qualité même de son apport nutritif ; tous ces éléments dépendent eux-mêmes de l'action du système nerveux végétatif et se rencontrent dans les proportions les plus variables à l'origine d'un même syndrome.

En ce qui concerne la douleur dans les syndromes coronariens, on tend à accorder toujours plus d'importance au rôle que joue le système d'innervation. Il n'est pas toujours possible de trouver pour justifier la douleur angineuse, une lésion organique des coronaires. Dans ce cas, le patient est considéré simplement comme un nerveux et cependant il peut arriver qu'une grave attaque douloureuse aboutisse à la mort. Il y a des cas dans lesquels, à la suite d'une douleur thoracique, on porta un diagnostic de thrombose coronaire, confirmé par le tracé électrocardiographique. Pour l'un ou l'autre de ces patients, décédés par mort violente, l'autopsie montra que les coronaires et le myocarde étaient parfaitement sains, et l'électrocardiogram-me, examiné à nouveau, fut trouvé normal. Il faut par conséquent procéder très prudemment quand on formule un diagnostic.

Non moins importants, du point de vue clinique, sont les syndromes coronariens réflexes. On connaît depuis quelques dizaines d'années les rapports étroits qui existent entre les appareils digestif et cardiovasculaire, et la possibilité pour certaines affections de l'un de se répercuter différemment sur l'autre, déterminant ainsi un complexe de symptômes qu'il n'est pas facile d'interpréter. Ainsi en cas de pneumatose gastrique, de cholécystite, d'ulcère gastrique ou duodénal, de diverticule de l'oesophage, on peut voir se manifester des crises d'angine typiques. Qui ne voit donc l'importance du chapitre de la pathologie réflexe de la circulation coronaire. Il ne faut d'ailleurs pas, dans ces cas, négliger l'intervention de facteurs prédisposants, qui déterminent le réflexe vago-coronarien.

Parmi les causes de la sclérose coronarienne elle-même, qui constitue la base anatomique fondamentale des interprétations de la symptomatologie, l'âge vient en premier lieu ; le vieillissement artériel se manifeste ici d'une manière particulièrement grave, et la fréquence de l'infarctus traduit peut-être une conséquence du rythme trépidant de la vie moderne et de l'usure qu'elle entraîne pour l'organisme. N'est-il pas typique que, selon certaines statistiques du moins, les classes aisées de la société et les professions libérales en subissent particulièrement les atteintes ? Le sexe, le type morphologique, l'hérédité se rangent aussi parmi les facteurs importants dans l'étiologie des coronarites, où la dystonie neuro-circulatoire revendique, comme Nous le rappelions plus haut, une large place.

Les manifestations de l'insuffisance coronaire sont bien connues ; l'infarctus et l'angine de poitrine traduisent de façon aiguë la détresse d'un organe soudainement privé de ressources nutritives indispensables à son fonctionnement et qui tente dramatiquement de surmonter la crise. L'évolution de la maladie est d'abord lente et quasi silencieuse, puis l'on assiste à un accident brutal ou à une série de crises, coupées parfois de répits inattendus, et que clôture la mort subite ou précédée d'une longue et pénible infirmité.

Les recherches, auxquelles se livre la science médicale pour détailler les modalités des maladies coronariennes, tendent naturellement à instaurer une thérapeutique plus précise et plus efficace. On a étudié méthodiquement toutes les substances vasomotrices et l'on s'efforce d'en déterminer l'action sur le système vasculaire et en particulier sur les coronaires ; on trouve des médicaments nouveaux qui viennent enrichir l'arsenal du médecin ; on tente même des interventions chirurgicales sur le sympathique et les voies nerveuses, afin de supprimer la douleur et d'obtenir une vaso-dilatation temporaire ou permanente. On a essayé aussi de renforcer le régime artériel au moyen d'une revascularisation directe, entre autres par des greffes musculaires ou pulmonaires.



Il reconnaît que parfois le praticien doit s'affranchir des règles les mieux établies pour trouver la solution la plus salutaire au malade.

Il reste que le médecin placé devant un cas précis de sclérose coronarienne doit faire appel à toute son intuition pour interpréter correctement les symptômes qu'il a sous les yeux et les résultats de l'électrocardiographie : il importe non seulement d'avoir présentes à l'esprit toutes les possibilités d'interprétation prévues par les théories pathogéniques, mais surtout de savoir choisir par une sorte de divination, appuyée d'ailleurs sur ces théories, et plus encore sur la pratique clinique, la seule solution vraiment salutaire pour le malade. Les sciences de la vie, plus que d'autres, laissent place à des lacunes, à des éléments imprévisibles, et imposent au praticien une intervention prompte et avisée, sachant parfois s'affranchir des règles les mieux établies.

Le rôle étendu des causes fonctionnelles dans les insuffisances du myocarde et l'impuissance relative du traitement médacimenteux invitent à souligner l'importance des mesures prophylactiques, surtout en matière d'hygiène et de diététique, qu'il s'agisse d'équilibrer les temps de travail et ceux de repos, l'activité intellectuelle et la détente physique, de régler le régime de table ou la mise en jeu des réactions émotives. Et sans doute est-il opportun de ne pas oublier la part de l'équilibre psychologique profond, de l'aisance et de la sécurité, que confère à l'action humaine la paix intime de l'âme, lorsqu'elle est accordée aux exigences morales et spirituelles de son être.

Ainsi, dans le champ restreint de votre spécialité, c'est le comportement de l'homme tout entier qui vient se refléter. Quelle preuve plus éloquente de l'harmonie merveilleuse qui devrait gouverner l'être humain, si celui-ci n'y avait par sa faute introduit le désordre ! La fragilité irrémédiable de la nature s'accuse dans l'impuissance des remèdes à enrayer une déchéance progressive, comme à prévenir l'apparition de la mort subite.



Le Saint-Père termine en rappelant que la vie spirituelle joue un rôle important dans Y équilibre de la personne humaine.

La modération du genre de vie, la maîtrise de soi qui suppose l'observation des règles de l'hygiène, dictées par la structure même du corps et son fonctionnement, ne suggèrent-elles pas l'idée d'une discipline supérieure de l'esprit, faite avant tout de loyauté, de soumission humble au réel, au monde tel que Dieu l'a fait, à la société humaine et aux ordonnances qui la régissent. Le respect fondamental des lois de la vie, physique, morale et spirituelle, la reconnaissance de la souveraineté de Dieu et de son intervention miséricordieuse dans l'histoire de l'humanité pour la sauver, doivent aller jusqu'à l'acceptation de la souffrance et de la mort. Estote parati, quia qua nescitis hora, Tilius hominis venturus est (Mt 24,44) — « Soyez prêts, car c'est à l'heure que vous ne pensez pas que le Fils de l'homme viendra » : cette parole du Seigneur prend ici valeur d'avertissement et révèle en même temps l'épilogue du drame : la rencontre de l'homme avec le Seigneur, vers qui il a marché. Alors seulement s'éclaire tout l'itinéraire ; c'est dans cette lumière née de la foi, que devient acceptable à ceux qui peinent le poids de leur douleur, sincère la compréhension et efficace le soutien de ceux qui les assistent.

Nous voudrions, Messieurs, qu'en remplissant votre noble tâche scientifique au service des hommes souffrants, vous appuyiez vos raisons de vivre et d'agir sur les certitudes les plus hautes, que Nous venons d'évoquer, et que vous en éclairiez vos collaborateurs, vos malades et votre entourage. En appelant sur vous et sur les vôtres d'abondantes grâces divines, en les invoquant aussi sur les promoteurs de la Casa Sollievo délia Sofferenza, sur son personnel, sur ses malades et tous ses bienfaiteurs, de tout coeur Nous vous en donnons pour gage Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AUX DÉLÉGUÉS DES COOPÉRATIVES ITALIENNES

(10 mai 1956) 1






Au cours de l'audience générale du 10 mai, le Saint-Père a adressé aux dix mille délégués de la Confédération des coopératives italiennes, réunis à Rome en congrès, une allocution, dont voici la traduction :

Nous vous accueillons avec joie, chers fils, membres de la Confédération des coopératives italiennes, venus à Rome pour célébrer le dixième anniversaire de sa fondation. Avant tout, Nous voudrions vous exprimer combien votre filial hommage a vivement touché Notre coeur. Nous vous en remercions et Nous vous félicitons pour le magnifique développement qu'ont pris vos associations durant ces années. Ne comptent-elles donc pas à présent 9.764 sociétés coopératives et mutualistes, réunies en huit fédérations, avec deux millions et cent cinquante mille inscrits ?

Sans aucun doute, vous représentez dans l'économie du pays une force saine et active, non seulement par le nombre, mais surtout en vertu des principes qui vous inspirent et qui sont ceux-là mêmes de la doctrine sociale chrétienne. Vous savez bien que la production et la répartition des biens matériels ne devraient jamais être un obstacle au progrès moral et spirituel de la personne humaine, jamais contrarier sa liberté, léser ses droits imprescriptibles. Les associations coopératives, qui se proposent d'aider les individus à obtenir de leur travail un meilleur rendement, à éviter des dépenses inutiles, à les prémunir contre les accidents et les difficultés imprévues, ont besoin pour se développer de l'appui et du dévouement des intéressés eux

mêmes. Elles maintiennent en éveil leur sens du bien commun, de leurs responsabilités sociales, et démontrent par leur activité les bénéfices de la collaboration intelligente et son pouvoir stimulant. De la sorte, elles servent les intérêts économiques de leurs membres, mais elles favorisent en même temps l'exercice de leurs qualités proprement humaines et de leurs aspirations les plus légitimes.

Continuez donc, chers fils, à vous aider réciproquement, non seulement en vue des avantages matériels, mais sous l'impulsion d'une profonde et sincère charité chrétienne. Que le Seigneur daigne protéger vos associations et répandre en abondance ses faveurs divines et ses grâces sur vous, sur vos familles et sur vos oeuvres, en même temps que de tout coeur Nous vous donnons en gage de Notre affection la Bénédiction apostolique.


DISCOURS A DES SPÉCIALISTES DE LA CHIRURGIE DE L'OEIL

(14 mai 1956) 1






Le 14 mai 1956, le Saint-Père a reçu en audience des spécialistes de la transplantation de la cornée et leur a adressé, en français, le discours suivant :

Vous Nous avez demandé, Messieurs, un mot d'orientation, d'approbation et d'encouragement pour votre association qui veut aider les aveugles, et ceux dont la fonction visuelle est atteinte, au moyen des ressources techniques et scientifiques de la chirurgie moderne. C'est bien volontiers que Nous traitons dans cette brève allocution du but que vous vous proposez.



Le Saint-Père précise qu'il traitera seulement du problème moral et religieux de la transplantation de la cornée d'un corps humain mort à un vivant.

La documentation abondante, que vous Nous avez procurée, dépasse de loin le thème précis, que Nous avons l'intention de développer. Elle concerne l'ensemble du problème, de jour en jour plus aigu, de la transplantation de tissus d'une personne à l'autre, selon ses divers aspects biologique et médical, technique et chirurgical, juridique, moral et religieux. Nous nous limitons aux aspects religieux et moraux de la transplantation de la cornée, non entre des hommes vivants (de celle-ci Nous ne parlerons pas aujourd'hui), mais du corps mort sur le vivant. Nous serons toutefois obligé de déborder ce cadre étroit pour parler de quelques opinions, que Nous avons rencontrées à cette occasion.

Nous avons examiné les divers rapports que vous Nous avez communiqués ; par leur objectivité, leur sobriété, leur précision scientifique, les explications qu'ils donnent sur les présupposés nécessaires d'une transplantation de la cornée, sur son diagnostic et son pronostic, ont fait sur Nous une profonde impression.



Il distingue l'autogreffe, l'homogreffe et l'hétérogreffe et déclare terdite la greffe d'un organisme non-humain à un corps humain.

Avant d'aborder le thème proprement dit, qu'il Nous soit permis de faire deux remarques plus générales. La « terminologie », que nous avons trouvée dans les rapports et dans les textes imprimés, distingue « autoinnesto », ou autogreffe, transferts de tissus d'une partie à l'autre du corps d'un seul et même individu ; « omoinnesto », ou homogreffe, transferts de tissus d'un individu à un autre de la même espèce (c'est-à-dire ici d'homme à homme) ; « eteroinnesto », ou hétérogreffe, transferts de tissus entre deux individus d'espèces différentes (c'est-à-dire entre un animal et un organisme humain). Ce dernier cas appelle quelques précisions du point de vue religieux et moral. On ne peut pas dire que toute transplantation de tissus (biologiquement possible) entre individus d'espèces différentes soit moralement condamnable ; mais il est encore moins vrai qu'aucune transplantation hétérogène biologiquement possible ne soit interdite ou ne puisse soulever d'objection. Il faut distinguer d'après les cas et voir quel tissu ou quel organe il s'agit de transplanter. La transplantation de glandes sexuelles animales sur l'homme est à rejeter comme immorale ; par contre, la transplantation de la cornée d'un organisme non-humain à un organisme humain ne soulèverait aucune difficulté morale, si elle était biologiquement possible et indiquée. Si l'on voulait fonder sur la diversité des espèces l'interdiction morale absolue de la transplantation, il faudrait en bonne logique déclarer immorale la thérapie cellulaire, qui se pratique actuellement avec une fréquence croissante ; on emprunte souvent des cellules vivantes à un organisme non-humain pour les transplanter dans un organisme humain, où elles exercent leur action.

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Il signale des inexactitudes de terminologie dans un ouvrage très récent : par exemple le transfert d'un organe ou d'un tissu d'un organe mort à un individu vivant n'est pas un transfert d'homme à homme. :

Nous avons trouvé aussi dans les explications terminologiques de l'ouvrage imprimé le plus récent, une remarque qui concerne le thème même de Notre présente allocution. On y précise que l'expression « innesto », utilisée pour désigner le transfert de parties d'un corps mort à un homme vivant, est inexacte et employée improprement. Le texte porte : « Impropriamente, viene chiamato „ innesto " anche l'impiego di tessuti „ fissati " (morti e conservati) ; mentre sarebbe più esatto parlare di „ impianto" o di „ inclusione" di un tessuto morto in un tessuto vivente. » Il vous appartient d'apprécier cet avis au point de vue médical ; au point de vue philosophique et théologique la critique est justifiée. Le transfert d'un tissu ou d'un organe d'un mort à un vivant n'est pas transfert d'homme à homme ; le mort était un homme, mais il ne l'est plus.



. . . autre inexactitude : l'homme, en tant qu'individu ne doit pas être considéré comme un organe de l'organisme-humanité.

Nous avons relevé aussi dans la documentation imprimée une autre remarque qui prête à confusion et que Nous estimons devoir rectifier. Pour démontrer que l'extirpation d'organes nécessaires à la transplantation faite d'un vivant à l'autre est conforme à la nature et licite, on la met sur le même pied que celle d'un organe physique déterminé faite dans l'intérêt d'un organisme physique total. Les membres de l'individu seraient considérés ici comme parties et membres de l'organisme total que constitue 1'« humanité », de la même manière — ou presque — qu'ils sont parties de l'organisme individuel de l'homme. On argumente alors en disant que, s'il est permis, en cas de nécessité, de sacrifier un membre particulier (main, pied, oeil, oreille, rein, glande sexuelle) à l'organisme de 1'« homme », il serait également permis de sacrifier tel membre particulier à l'organisme « humanité » (dans la personne d'un de ses membres malade et souffrant). Le but que vise cette argumentation, remédier au mal d'autrui, ou du moins l'adoucir, est compréhensible et louable, mais la méthode proposée, et la preuve dont on l'appuie, sont erronées. On néglige ici la différence essentielle entre un organisme physique et un organisme moral, ainsi

que la différence qualitative essentielle entre les relations des parties avec le tout dans ces deux types d'organismes. L'organisme physique de 1'« homme » est un tout quant à l'être ; les membres sont des parties unies et reliées entre elles quant à l'être physique même ; ils sont tellement absorbés par le tout, qu'ils ne possèdent aucune indépendance, ils n'existent que pour l'organisme total et n'ont d'autre fin que la sienne. Il en va tout autrement pour l'organisme moral qu'est l'humanité. Celui-ci ne constitue un tout que quant à l'agir et à la finalité ; les individus, en tant que membres de cet organisme ne sont que des parties fonctionnelles ; le « tout » ne peut donc poser à leur égard que des exigences concernant l'ordre de l'action. Quant à leur être physique, les individus ne sont en aucune façon dépendants les uns des autres ni de l'humanité ; l'évidence immédiate et le bon sens démontrent la fausseté de l'assertion contraire. Pour cette raison l'organisme total qu'est l'humanité, n'a aucun droit de poser aux individus des exigences dans le domaine de l'être physique, en vertu du droit de nature qu'a le « tout » de disposer des parties. L'extirpation d'un organe particulier serait un cas d'intervention directe, non seulement sur la sphère d'action de l'individu, mais aussi et principalement sur celle de son être, de la part d'un « tout » purement fonctionnel : « humanité », « société », « Etat », auquel l'individu humain est incorporé comme membre fonctionnel et quant à l'agir seulement. Dans un tout autre contexte, Nous avons déjà souligné auparavant le sens et l'importance de cette considération et rappelé la distinction nécessaire, dont il faut soigneusement tenir compte, entre l'organisme physique et l'organisme moral. C'était dans Notre encyclique du 29 juin 1943 sur le « Corps mystique du Christ ». Nous résumions alors ce que Nous venons de dire en quelques phrases, que des non-théologiens ne pourraient peut-être pas saisir immédiatement à cause de leur forme concise, mais où ils trouveraient, après une lecture attentive, une meilleure compréhension de la différence que comportent les relations de tout à partie dans l'organisme physique et moral. Il fallait expliquer alors comment le simple croyant était partie du corps mystique du Christ, qu'est l'Eglise, et la différence entre cette relation et celle qui existe dans un organisme physique. Nous disions alors :

Dum enim in naturali corpore unitatis principium ita partes iungit, ut propria, quam vacant, subsistentia singuloe prorsus careant ; contra in mystico Corpore mutuoe coniunctionis vis etiamsi intima, membra ita inter se copulat, ut singula omnino fruantur persona propria. Accedit quod, si totius et singulorum membrorum mutuam inter se rationem consideramus, in physico quolibet viventi corpore totius concretionis emolumento membra singula universa postremum unice destinantur, dum socialis quselibet hominum, compages, si modo ultimum utilitatis finem inspicimus, ad omnium et uniuscuiusque membri profectum, utpote personse sunt, postremum ordinantur 2.



Le Saint-Père encourage la greffe de la cornée dans les cas où cela est possible et licite.

Nous revenons à Notre thème principal, l'appréciation morale de la transplantation de la cornée d'un mort sur un vivant, afin d'améliorer l'état des aveugles ou de ceux qui le deviennent ; à leur service se mettent aujourd'hui la charité et la pitié de beaucoup d'hommes compatissants, de même que les progrès de la technique et de la chirurgie scientifique, avec toutes leurs ressources inventives, leur audace et leur persévérance. La psychologie de l'aveugle nous permet de deviner son besoin d'une aide compatissante et comme il la reçoit avec reconnaissance.

2 A. A. S., 35, 1943, p. 221-222.




L'évangile de saint Luc contient une description vivante de la psychologie de l'aveugle, qui est un chef-d'oeuvre. L'aveugle de Jéricho, entendant passer la foule, demanda ce que cela signifiait. On lui répondit que Jésus de Nazareth passait par là. Alors il s'écria : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi. » Les gens lui enjoignirent de se taire, mais lui continuait de plus belle : « Fils de David, aie pitié de moi ! » Jésus ordonna donc de le faire venir. « Que veux-tu que je te fasse ?» — « Seigneur ! que je voie !» — « Vois ! Ta foi t'a sauvé ». Et aussitôt il recouvra la vue et suivit Jésus en louant Dieu (Luc XVII, 35"43)- Ce cri « Seigneur, faites que je voie ! » retentit aux oreilles et dans le coeur de tous ; aussi voulez-vous y répondre tous et prêter votre aide autant qu'il est en votre pouvoir. Vous Nous assurez que le transfert de la cornée constitue pour beaucoup de malades un moyen prometteur de guérison ou du moins d'adoucissement et d'amélioration. Eh bien ! utilisez-le et aidez-les dans la mesure où c'est possible et licite ; naturellement, en choisissant les cas avec beaucoup de discernement et de prudence.

Toutefois, cette opération n'est pas possible pour tous les cas de cécité.

La documentation, que vous Nous avez fournie, permet de se représenter en quelque sorte l'opération que vous effectuez. On peut exécuter l'enlèvement de la cornée de deux façons, dites-vous, soit par des kératoplasties lamellaires « cheratoplastiche lamellari » ; soit par des kératoplasties perforantes « cheratoplastiche perforanti ». Si l'on observe soigneusement la technique requise, l'oeil enlevé peut se conserver pendant 48 à 60 heures. Si plusieurs cliniques ne sont pas trop éloignées les unes des autres, elles peuvent ainsi constituer une certaine réserve de matériel prêt à l'usage, et se prêter secours mutuellement selon les besoins des cas particuliers. Nous trouvons aussi dans votre documentation des renseignements sur les indications de la transplantation de cornée en général, et sur ses possibilités de réussite. La majorité des aveugles, ou de ceux qui le deviennent, ne sont pas susceptibles d'en profiter. Vous mettez en garde contre les espoirs utopiques, en ce qui concerne le pronostic des cas opérables. Vous écrivez : « E' bene che il pubblico sappia che non sono possibili trapianti di altri tessuti oculari e tanto meno dell'occhio intero nell'uomo, ma è solo possibile sostituire, e solo parzialmente, la porzione più anteriore dell'apparato diottrico oculare. » Quant au succès de l'intervention, vous Nous apprenez que des 4360 cas publiés entre 1948 et 1954, 45 à 65% ont eu un résultat positif et que l'on rencontre un pourcentage semblable pour les cas non-publiés ; vous ajoutez « Si è avuto un vantaggio rispetto alle condizioni precedenti » ; dans 20% des cas seulement on aurait pu obtenir « una visione più o meno vicina alla normale ». Vous signalez pour conclure que dans beaucoup de pays les lois et ordonnances de l'Etat ne permettent pas une utilisation plus large de la transplantation de la cornée et que, par conséquent, on ne peut pas aider un nombre plus grand d'aveugles ou de ceux qui perdent la vue. Voilà pour ce qui concerne le point de vue médical et technique de votre compétence.



Pie XII affirme que cette opération est licite du point de vue moral tant par rapport au malade qu'au défunt.

Du point de vue moral et religieux, il n'y a rien à objecter à l'enlèvement de la cornée d'un cadavre, c'est-à-dire aux kératoplasties lamellaires aussi bien que perforantes, quand on les considère en elles-mêmes. Pour qui les reçoit, c'est-à-dire, le patient, elles représentent une restauration et la correction d'un défaut de naissance ou accidentel. A l'égard du défunt dont on enlève la cornée, on ne l'atteint dans aucun des biens auxquels il a droit, ni dans son droit à ces biens. Le cadavre n'est plus, au sens propre du mot, un sujet de droit ; car il est privé de la personnalité qui seule peut être sujet de droit. L'extirpation n'est pas non plus l'enlèvement d'un bien ; les organes visuels, en effet, (leur présence, leur intégrité) n'ont plus dans le cadavre le caractère de biens, parce qu'ils ne lui servent plus et n'ont plus de relation à aucune fin. Cela ne signifie pas du tout qu'à l'égard du cadavre d'un homme il ne pourrait y avoir, ou il n'y ait pas en fait, des obligations morales, des prescriptions ou des prohibitions ; cela ne signifie pas non plus que les tiers, qui ont le soin du corps, de son intégrité et du traitement dont il sera l'objet, ne puissent céder, ou ne cèdent en fait, des droits et des devoirs proprement dits. Bien au contraire. Les kératoplasties, qui ne soulèvent en elles-mêmes aucune objection morale, peuvent aussi par ailleurs ne pas être irréprochables et même être directement immorales.



Puis il condamne le jugement de ceux qui mettent sur le même plan un cadavre humain et celui d'un animal.

Il faut en premier lieu dénoncer un jugement moralement erroné, qui se forme dans l'esprit de l'homme, mais influence d'habitude son comportement externe et consiste à mettre le cadavre humain sur le même plan que celui de l'animal ou qu'une simple « chose ». Le cadavre animal est utilisable presque dans toutes ses parties ; on peut en dire autant du cadavre humain considéré de façon purement matérielle, c'est-à-dire dans les éléments dont il se compose. Pour certains, cette manière de voir constitue le critère dernier de la pensée et le principe dernier de l'action. Une telle attitude comporte une erreur de jugement et une méconnaissance de la psychologie et du sens religieux et moral. Car le cadavre humain mérite qu'on le regarde tout autrement. Le corps était la demeure d'une âme spirituelle et immortelle, partie constitutive essentielle d'une personne humaine dont il partageait la dignité ; quelque chose de cette dignité s'attache encore à lui. On peut dire aussi, puisqu'il est une composante de l'homme, qu'il a été formé « à l'image et à la ressemblance » de Dieu, laquelle va bien au-delà des traces génériques de la ressemblance divine, qu'on retrouve également chez les animaux privés d'intelligence et jusque dans les créatures inanimées purement matérielles. Même au cadavre s'applique d'une certaine manière le mot de l'apôtre : « Ne savez-vous pas que vos membres sont le temple du Saint-Esprit, qui habite en vous ? » (1Co 6,19). Enfin le corps mort est destiné à la résurrection et à la vie éternelle. Tout cela ne vaut pas du corps animal et prouve qu'il ne suffit pas d'envisager des « fins thérapeutiques » pour juger et traiter convenablement le cadavre humain.



17 reconnaît que dans certains cas particuliers il est permis d'utiliser un cadavre humain comme objet d'étude.

D'autre part, il est vrai également que la science médicale et la formation des futurs médecins exigent une connaissance détaillée du corps humain et qu'on a besoin du cadavre comme objet d'étude. Les réflexions émises ci-dessus ne s'y opposent pas. On peut poursuivre cette fin légitime en acceptant pleinement ce que Nous venons de dire. De là vient aussi qu'un individu veuille disposer de son cadavre et le destiner à des fins utiles, moralement irréprochables et même élevées (entre autres pour secourir des hommes malades et souffrants). On peut prendre une telle décision au sujet de son propre corps avec la pleine conscience du respect qui lui revient, et en tenant compte des paroles que l'apôtre adressait aux Corinthiens. Cette décision, il ne faut pas la condamner, mais la justifier positivement. Pensez par exemple au geste de Don Carlo Gnocchi. A moins que les circonstances n'imposent une obligation, il faut respecter la liberté et la spontanéité des intéressés ; d'habitude, on ne présentera pas la chose comme un devoir ou un acte de charité obligatoire. Dans la propagande, il faut certainement observer une réserve intelligente pour éviter de sérieux conflits extérieurs et intérieurs. Faut-il, en outre, comme il arrive souvent, refuser en principe tout dédommagement ? La question reste posée. Il est hors de doute que de graves abus peuvent s'introduire, si l'on exige une rétribution ; mais ce serait aller trop loin que de juger immorale toute acceptation ou toute exigence d'un dédommagement. Le cas est analogue à celui de la transfusion sanguine : c'est un mérite pour le donneur de refuser un dédommagement ; ce n'est pas nécessairement un défaut de l'accepter.



Toutefois, dans certains cas, l'enlèvement de la cornée serait illicite. Et dans aucun cas, des considérations d'argent ou de situation sociale ne doivent intervenir.

L'enlèvement de la cornée, même parfaitement licite en soi, peut aussi devenir illicite, s'il viole les droits et les sentiments des tiers à qui incombe le soin du cadavre, les proches parents d'abord ; mais ce pourraient être d'autres personnes en vertu de droits publics ou privés. Il ne serait pas humain, pour servir les intérêts de la médecine ou des « buts thérapeutiques », d'ignorer des sentiments si profonds. En général, il ne devrait pas être permis aux médecins d'entreprendre des extirpations ou d'autres interventions sur un cadavre sans l'accord de ceux qui en sont chargés, et peut-être même en dépit des objections formulées antérieurement par l'intéressé. Il ne serait pas non plus équitable que les corps des patients pauvres dans les cliniques publiques et les hôpitaux soient destinés d'office aux services de médecine et de chirurgie, tandis que ceux des patients plus fortunés ne le seraient pas. L'argent et la situation sociale ne devraient pas intervenir, quand il s'agit de ménager des sentiments humains aussi délicats. D'autre part, il faut éduquer le public et lui expliquer avec intelligence et respect que consentir expressément ou tacitement à des atteintes sérieuses à l'intégrité du cadavre dans l'intérêt de ceux qui souffrent, n'offense pas la piété due au défunt, lorsqu'on a pour cela des raisons valables. Ce consentement peut malgré tout comporter pour les proches parents une souffrance et un sacrifice, mais ce sacrifice s'auréole de charité miséricordieuse envers des frères souffrants.



Pour terminer, le Saint-Père rappelle que les pouvoirs publics ont le devoir de veiller au respect dû aux morts et à leurs proches parents.

Les pouvoirs publics et les lois qui concernent les interventions sur les cadavres doivent en général respecter les mêmes considérations morales et humaines, puisqu'elles s'appuient sur la nature humaine elle-même, laquelle précède la société dans l'ordre de la causalité et de la dignité. En particulier, les pouvoirs publics ont le devoir de veiller à leur mise en pratique, et d'abord de prendre des mesures pour qu'un « cadavre » ne soit pas considéré et traité comme tel avant que la mort n'ait été dûment constatée. Par contre, les pouvoirs publics sont compétents pour veiller aux intérêts légitimes de la médecine et de la formation médicale ; si l'on soupçonne que la mort est due à une cause criminelle, ou s'il y a danger pour la santé publique, il faut que le corps soit livré aux autorités. Tout cela peut et doit se faire, sans manquer au respect dû au cadavre humain et aux droits des proches parents. Les pouvoirs publics peuvent enfin contribuer efficacement à faire entrer dans l'opinion la conviction de la nécessité et de la licéité morale de certaines dispositions au sujet des cadavres, et ainsi prévenir ou écarter l'occasion de conflits intérieurs et extérieurs dans l'individu, la famille et la société.

Il y a presque deux ans, le 30 septembre 1954, Nous avons déjà exprimé les mêmes idées dans une allocution au huitième congrès de l'Association médicale internationale, et Nous voudrions maintenant répéter et confirmer ce que Nous disions alors dans un bref paragraphe : « En ce qui concerne l'enlèvement de parties du corps d'un défunt à des fins thérapeutiques, on ne peut pas permettre au médecin de traiter le cadavre comme il le veut. Il revient à l'autorité publique d'établir des règles convenables. Mais elle non plus ne peut procéder arbitrairement. Il y a des textes de loi, contre lesquels on peut élever de sérieuses objections. Une norme, comme celle qui permet au médecin, dans un sanatorium, de prélever des parties du corps à des fins thérapeutiques, tout esprit de lucre étant exclu, n'est pas admissible déjà en raison de la possibilité de l'interpréter trop librement. Il faut aussi prendre en considération les droits et les devoirs de ceux à qui incombe la charge du corps du défunt. Finalement, il faut respecter les exigences de la morale naturelle, qui défend de considérer et de traiter le cadavre de l'homme simplement comme une chose ou comme celui d'un animal3. »

Avec l'espoir de vous avoir ainsi donné une orientation plus précise et facilité une compréhension plus profonde des aspects religieux et moraux de ce sujet, Nous vous accordons de tout coeur Notre Bénédiction apostolique.





Cf. Documents Pontificaux 1954, p. 392.




Pie XII 1956 - RADIOMESSAGE DE CLÔTURE AU CONGRÈS EUCHARISTIQUE NATIONAL ITALIEN DE LECCE