Pie XII 1956 - A L'OEUVRE DE L'APOSTOLAT DE LA MER DE LIVERPOOL


DISCOURS AU CONGRÈS INTERNATIONAL DES SCIENCES ÉCONOMIQUES

(g septembre 1956) 1






Réunis à Rome pour un premier congrès, les membres de l'Association internationale des sciences économiques furent reçus en audience par Sa Sainteté Pie Xli, le dimanche 9 septembre, à Castelgandolfo. Trente-deux nations étaient représentées, appartenant à l'Afrique, l'Amérique, l'Asie et l'Europe. Il leur adressa, en français, le discours suivant :

A l'occasion du premier congrès de l'Association internationale des économistes vous avez désiré, Messieurs, venir Nous faire part de vos travaux et Nous donner un témoignage de votre attachement. Nous y sommes très sensible et Nous Nous réjouissons d'accueillir en vous les représentants les plus qualifiés de la science d'économie. Par votre enseignement dans les universités, par vos publications et par les avis autorisés que vous formulez, vous exercez incontestablement une action de la plus haute importance sur la société contemporaine, où les facteurs économiques influencent fortement les autres aspects de la vie sociale.

Le présent congrès prolonge avec éclat la série de vos réunions annuelles, consacrées à l'examen de problèmes économiques particuliers et qui représentent l'activité principale de votre association. Celle-ci, fondée en 1949 sous l'impulsion de l'Unesco, se propose de favoriser, par la collaboration internationale, le développement de la science économique et rassemble actuellement vingt-cinq organisations nationales de quatre continents. C'est dire l'intérêt que vos délibérations susci-



teront dans le monde auprès de tous ceux qui s'attachent au bien de la chose publique.



Le Saint-Père souligne les grosses difficultés auxquelles doivent faire les économistes.

« Stabilité et progrès dans l'économie mondiale » : tel est le thème que vous avez choisi, et ce simple titre suffit déjà à évoquer les alternatives difficiles, et parfois redoutables, auxquelles doit souvent faire face l'économiste. Dans le vaste organisme social, dont les différentes fonctions s'influencent et se conditionnent réciproquement, il est impossible de toucher à l'une sans ébranler toutes les autres et s'obliger à prévoir des mesures compensatoires. Ainsi, par exemple, il est dangereux d'accroître la production industrielle sans assurer l'écoulement des biens produits, de modifier le volume de la circulation monétaire sans tenir compte du volume correspondant des transactions commerciales, de rechercher le plein emploi en négligeant de prévenir les risques d'inflation. Et pourtant la loi de toute activité humaine, celle du progrès, impose des changements, des améliorations, qui ne vont pas sans déséquilibres passagers. Le grand souci des spécialistes sera donc d'amortir au maximum les conséquences nuisibles des mesures préconisées, de profiter des conjonctures favorables, tout en évitant la dure pénalisation des périodes de crise. Sur le plan international, des discordances graves se révèlent actuellement entre les pays pauvres, qui accèdent de plus en plus à la conscience de leurs immenses besoins, et les nations largement pourvues du nécessaire et du superflu. Dans ces régions sous-développées le progrès est désiré, recherché, parfois avec violence et non sans menaces pour la paix internationale.

Ainsi la tâche de l'économiste s'avère plus étendue, plus ardue que jamais et plus lourde de responsabilités. Sur une planète où les distances comptent de moins en moins, où les idées se répandent avec une fulgurante rapidité, le destin de l'humanité se joue toujours plus serré, les décisions de chaque homme d'Etat, et celles des techniciens qui le secondent, se répercutent dans la vie de milliers et de millions d'hommes et y déterminent tantôt d'heureuses améliorations, tantôt de dramatiques perturbations. Vraiment l'heure n'est plus aux théories aventurées, aux constructions artificielles, satisfaisantes peutêtre pour l'esprit raisonnant dans l'abstrait, mais en profond désaccord avec la réalité, parce qu'une erreur en a vicié le principe de base. C'est pourquoi vous ne sauriez peser suffisamment les conclusions et les jugements que vous formulerez, en vérifier assez le caractère scientifique, c'est-à-dire pleinement conforme aux lois de la pensée et de l'être humain et aux conditions objectives de la réalité économique. Sans entrer dans la discussion de points techniques, Nous voudrions, Messieurs, vous faire part de quelques brèves réflexions que Nous suggère l'occasion présente.



Il signale l'erreur, au point de départ, des économistes modernes : ils ont considéré l'économie comme un phénomène matériel sans tenu-compte de l'élément humain.

La science de l'économie commença à s'édifier, comme les autres sciences de l'époque moderne, à partir de l'observation des faits. Mais si les physiocrates et les représentants de l'économie classique crurent faire une oeuvre solide en traitant les faits économiques comme s'ils eussent été des phénomènes physiques et chimiques, soumis au déterminisme des lois de la nature, la fausseté d'une telle conception se révéla dans la contradiction criante entre l'harmonie théorique de leurs conclusions et les misères sociales terribles qu'elles laissaient subsister dans la réalité. La rigueur de leurs déductions ne pouvait remédier aux faiblesses du point de départ : dans le fait économique, ils n'avaient considéré que l'élément matériel, quantitatif et négligeaient l'essentiel, l'élément humain, les relations qui unissent l'individu à la société et lui imposent des normes, non point matérielles, mais morales dans la manière d'user des biens matériels. Détournés de leur fin communautaire, ceux-ci devenaient des moyens d'exploitation du plus faible par le plus fort, sous la loi de la seule concurrence impitoyable.

Le marxisme a voulu remettre en valeur l'aspect social de l'économie mais il est tombé dans une autre erreur : il n'a vu dans l'homme au un agent de production.

Pour remédier à ce défaut, le marxisme s'efforce de remettre en valeur l'aspect social de l'économie et d'éviter que les particuliers n'accaparent à leur profit exclusif les moyens de production. Mais, par une erreur non moins funeste, il prétend ne voir dans l'homme qu'un agent économique et faire dépendre des rapports de production toute la structure de la société humaine. S'il n'est plus livré au jeu arbitraire des puissances d'argent, l'homme se trouve alors enfermé et écrasé dans le cadre social d'une société durcie par l'élimination des valeurs spirituelles, et aussi impitoyable dans ses réactions et ses exigences que le caprice des volontés particulières. De part et d'autre, on a omis de regarder le fait économique dans toute son ampleur : à la fois matériel et humain, quantitatif et moral, individuel et social. Au-delà des besoins physiques de l'homme et des intérêts qu'ils commandent ; au-delà de son insertion dans des rapports sociaux de production, il fallait envisager l'activité vraiment libre, personnelle et communautaire, du sujet de l'économie. Celui-ci, quand il produit, achète, vend, consomme des biens, reste mû par une intention déterminée, qui peut être la simple satisfaction d'un appétit naturel, mais aussi l'expression d'une attitude toute subjective, commandée par le sentiment ou par la passion. C'est ainsi que des raisons d'amour-propre, de prestige, de vindicte, peuvent renverser complètement la direction d'une décision économique. Toutefois ces facteurs introduisent surtout dans l'économie des perturbations et des troubles et échappent aux prises d'une véritable science ; il faut donc monter plus haut encore, et apprécier l'importance de la décision vraiment personnelle et libre, c'est-à-dire pleinement rationnelle et motivée, susceptible par conséquent d'entrer comme élément positif dans l'édification d'une science économique. D'éminents représentants de votre spécialité ont souligné avec force la signification vraie du rôle de l'entrepreneur, son action constructive et déterminante dans le progrès économique. Au-dessus des agents subalternes qui exécutent simplement le travail prescrit, on trouve les chefs, les hommes d'initiative, qui impriment sur les événements la marque de leur individualité, découvrent des voies nouvelles, communiquent une impulsion décisive, transforment les méthodes et multiplient en d'étonnantes proportions le rendement des hommes et des machines. Et l'on aurait bien tort de croire qu'une telle activité coïncide toujours avec leur intérêt propre, ne répond qu'à des mobiles égoïstes. Qu'on la compare plutôt à l'invention scientifique, à l'oeuvre artistique jaillie d'une inspiration désintéressée, et qui s'adresse beaucoup plus à l'ensemble de la communauté humaine, qu'elle enrichit d'un nouveau savoir et de moyens d'action plus puissants. Ainsi, pour apprécier exactement les faits économiques, la théorie doit-elle envisager à la fois l'aspect matériel et humain, personnel et social, libre, mais cependant pleinement logique et constructif parce que commandé par le sens véritable de l'existence humaine.



ii faut qu'il y ait solidarité et collaboration entre tous les membres de l'entreprise.

Sans doute, beaucoup d'hommes obéissent le plus souvent, dans leur conduite quotidienne, aux tendances naturelles et instinctives de leur être ; mais Nous voulons croire que peu sont vraiment incapables, au moins aux moments critiques, de faire prédominer les sentiments altruistes et désintéressés sur les préoccupations d'intérêt matériel ; des faits récents ont encore démontré à quel point même chez les plus humbles et les plus démunis, la solidarité et le dévouement s'exprimaient en des gestes de générosité émouvante et héroïque. C'est aussi l'un des traits heureux de l'époque présente qu'elle accentue le sentiment d'interdépendance entre les membres du corps social, et les amène à reconnaître davantage que la personne humaine n'atteint ses véritables dimensions qu'à la condition de reconnaître ses responsabilités personnelles et sociales, et que bien des problèmes humains ou simplement économiques ne trouveront leur solution que moyennant un effort de compréhension et d'amour mutuel sincère.



Le Saint-Père termine en rappelant que les problèmes économiques doivent tenir compte de la destinée surnaturelle de l'homme.

Qu'il Nous soit permis de prolonger encore cette perspective, en rappelant un mot de l'Evangile, qui traduit la vision chrétienne du problème de la production et de l'utilisation des biens matériels : « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Mt 6,33)-Même comme sujet de l'économie, l'homme ne peut jamais introduire une séparation complète entre les fins temporelles qu'il poursuit et la fin dernière de son existence. La parole du Christ a déclenché un véritable renversement des façons communes de concevoir les relations de l'être humain avec le monde matériel ; ne suggère-t-elle pas, en effet, un dépouillement aussi total que possible des sujétions économiques pour mettre toute sa pensée, toutes ses forces au service d'un ordre divin ? Elle apprend à maîtriser l'instinct qui pousse à jouir sans frein de la richesse ; elle invite à préférer la pauvreté comme un moyen de libération personnelle et de service social. Même à l'époque moderne, avide de commodités et de plaisirs, il ne manque pas d'âmes assez nobles pour choisir la voie du détachement et pour préférer les valeurs spirituelles à tout ce qui passe avec le temps.

Si les travaux des techniciens de l'économie n'abordent pas directement ce plan de réalités, ils peuvent toutefois trouver leur orientation dans une conception d'ensemble de leur science, qui fasse place à ce. comportement et aux principes qu'ils présupposent ; ils y trouveront, Nous en sommes sûr, de très heureuses inspirations.

Nous espérons, Messieurs, que votre congrès se conclura sur une note confiante, malgré les écueils innombrables qui jalonnent la route d'un progrès dans la stabilité. Si tous ont le courage d'affronter loyalement les difficultés sans se dissimuler ni fausser aucun des aspects de la réalité, Nous ne doutons pas que vous puissiez bientôt vous féliciter du résultat de vos efforts et les poursuivre avec plus d'ardeur encore, en resserrant entre vous les liens d'une étroite et féconde collaboration.

En gage des faveurs divines que Nous appelons avec instance sur vous-mêmes, vos familles, tous ceux qui vous sont chers, Nous vous accordons de grand coeur Notre Bénédiction apostolique.


LETTRE DE MONSEIGNEUR DELL'ACQUA SUBSTITUT A LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A LA PRÉSIDENTE GÉNÉRALE DE L'OEUVRE DE LA PROTECTION DE LA JEUNE FILLE

(10 septembre 1956) 1






A l'occasion du treizième congrès international des OEuvres de la Protection de la jeune fille, Son Exc. Mgr Dell'Aequa a adressé à la présidente générale, Madame ]. Morard, la lettre en français que voici :

Le Saint-Père a appris avec satisfaction que l'Association catholique internationale des OEuvres de Protection de la jeune fille s'apprêtait à tenir prochainement à Mexico son treizième congrès international. Cette association, que vous présidez si dignement, a reçu déjà dans le passé maint témoignage de l'intérêt du Chef de l'Eglise, qui saisit volontiers cette nouvelle occasion de vous adresser Ses encouragements et Ses voeux les plus paternels.

i D'après le texte français de VOsservatore Romano, du 28 septembre 1956.




Le thème sur lequel vont porter les travaux du congrès : « Jeunes filles hors du foyer familial », a paru à Sa Sainteté particulièrement bien choisi et opportun. L'évolution du monde moderne amène, en effet, presque fatalement un nombre croissant de jeunes filles à vivre loin de leurs familles et il est facile de comprendre qu'elles doivent, de ce fait, affronter de nombreux problèmes — non seulement matériels et professionnels, mais aussi psychologiques et moraux — qui étaient inconnus à leurs aînées ; et d'autre part les multiples périls, auxquels elles sont aujourd'hui exposées, les trouvent souvent dans un état de moindre défense du fait de leur isolement et de leur inexpérience.

C'est assez dire combien peuvent être précieux pour elles, dans ces conditions, l'appui, les conseils, l'aide multiforme que mettent à leur disposition les OEuvres partout présentes de la Protection de la jeune fille. Non seulement celles-ci peuvent empêcher de grandes et souvent irréparables ruines morales, mais elles ont une véritable mission positive d'assistance, de guide et d'orientation, dont le bienfaisant exercice peut assurer le bonheur et le salut de milliers de jeunes âmes.

Sa Sainteté ne peut donc qu'encourager vivement les congressistes à apporter tous leurs soins à l'approfondissement du thème proposé à leur étude, afin d'arriver, sur un sujet si actuel et si directement lié au bien des âmes, à des conclusions précises et efficaces.

Le choix que vous avez fait d'une capitale de l'Amérique centrale pour y tenir ce congrès a semblé également très opportun à Sa Sainteté, qui ne peut que souhaiter voir s'étendre et se développer de plus en plus dans les deux Amériques les OEuvres de Protection de la jeune fille. Elles auront à y jouer notamment un rôle de première importance auprès des jeunes immigrantes, dont la foi et la vie morale sont particulièrement en danger, bien souvent, du fait de leurs nouvelles conditions de vie, auxquelles s'ajoute, pour la plupart, l'ignorance de la langue de leur patrie d'adoption.

C'est donc de grand coeur qu'appelant sur vos travaux et sur toutes celles qui y participeront l'abondance des divines lumières, le Père commun vous envoie à toutes, en gage de Sa bienveillance, une particulière Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AU DEUXIÈME CONGRÈS INTERNATIONAL DE DIÉTÉTIQUE

(11 septembre 1956) 1






Le Saint-Père a reçu en audience un groupe de diététiciens venus à Rome pour leur deuxième congrès international. Il leur a adressé, en français, Vallocution suivante :

Parmi les congrès scientifiques dont les membres sollicitent Notre audience, Nous accueillons avec un intérêt particulier ceux qui poursuivent des fins humanitaires ; aussi, les travaux qui vous réunissent à Rome, Messieurs, pour le second congrès international de diététique, ont-ils retenu Notre attention de façon spéciale et reçoivent-ils Nos encouragements chaleureux.

Vous abordez un vaste programme qui, s'appuyant sur les développements récents de la recherche scientifique concernant l'alimentation humaine, s'efforce de dégager les principes et les conditions de l'alimentation rationnelle des collectivités, de préciser les méthodes d'éducation à une meilleure nutrition, enfin d'examiner les moyens d'accroître l'influence des diététiciens chargés de mettre en pratique les conclusions et les indications de la technique.

1 D'après le texte français de VOsservatore Romano, du 28 septembre 1956.




Cette organisation de la diététique sur une échelle mondiale fait nécessairement appel aux compétences les plus diverses et entraîne des répercussions sociales considérables dans tous les secteurs de l'alimentation : production, industrie, commerce, consommation, hygiène, thérapie, enseignement, propagande. Le , groupe nombreux que vous formez, et qui représente plus de cinquante nations, n'est qu'une faible image de la grande collaboration, dont vous êtes les promoteurs et qui doit finalement



assurer une amélioration sensible de la santé et du bien-être des peuples.

L'intérêt de votre congrès vient de son caractère pratique ; non seulement vos conférences et discussions étudient les meilleurs moyens d'organiser la diététique dans les groupes sociaux, mais une vaste exposition d'éducation alimentaire se propose d'illustrer sous tous leurs aspects les réalisations actuelles, et surtout de montrer directement au public comment les principes théoriques peuvent être appliqués concrètement. Des démonstrations didactiques enseigneront à juger de la qualité des aliments et à les bien préparer ; des médecins et des diététiciens fourniront à ceux qui le désirent les indications adaptées à leur cas et les mettront en application dans des réfectoires spéciaux. Sans aucun doute, cette initiative, dont Nous apprécions l'originalité, contribuera au succès de votre congrès et à une divulgation plus large du souci de s'alimenter correctement.

Cette préoccupation, il est presque superflu d'en souligner l'importance à tous les stades du développement de l'individu et dans toutes les conditions de civilisation et de travail.

L'enfance, à juste titre, tient une place spéciale dans les préoccupations des diététiciens ; une croissance harmonieuse peut être compromise par des erreurs d'alimentation, que tend à favoriser la multitude même des produits jetés sur le marché par les industries alimentaires modernes. On sait qu'une carence de vitamines ou de certains sels minéraux peut provoquer des perturbations dans l'organisme. Il importe pour vous de connaître, aussi bien que possible, les lois complexes qui commandent ce secteur délicat de la biologie et d'en tirer les conclusions nécessaires.

Mais il faut dire aussi d'une façon plus générale que les habitudes alimentaires de peuples entiers ou de catégories sociales considérables comportent de graves erreurs, qu'un effort éducatif bien mené pourrait corriger. C'est pourquoi vous envisagez d'inculquer aux enfants les connaissances utiles en ce domaine par l'organisation de repas scolaires. Parfois, ce sont les conditions de vie, l'insuffisance de ressources, qui imposent une nourriture débilitante ; des populations dépérissent en masse, subissent les attaques de la tuberculose ou d'autres maladies graves et se voient même menacées de disparaître entièrement.

Ces simples allusions montrent assez l'ampleur d'un problème qui relève en partie d'une politique mondiale ; à présent l'attention des autorités responsables est alertée à ce sujet ; des associations nationales sont à l'oeuvre et mettent à profit la collaboration de savants et de techniciens. Après avoir précisé les causes du mal et ses conséquences, on cherche à lui opposer des remèdes proportionnés, à former des experts en matière d'alimentation, à multiplier leurs moyens d'action, à faire pénétrer davantage dans le public les idées fondamentales d'une nutrition plus rationnelle.

Nous souhaitons vivement que ces initiatives rencontrent auprès des gouvernements et des particuliers l'appui qu'elles méritent. La diététique est une science jeune ; elle vient ajouter un apport toujours croissant à celui de tant d'autres sciences nouvelles, qui tentent de comprendre plus parfaitement le fonctionnement du corps humain. Chacune d'elles, dans sa tentative pour déterminer le rôle des agents physiques et chimiques, l'influence réciproque des diverses fonctions et celles du milieu environnant, se heurte tôt ou tard au facteur psychologique, individuel ou social, dont le poids, en ce qui concerne la nutrition tout spécialement, apparaît considérable. C'est qu'il s'agit là d'une activité, où l'aspect matériel s'unit intimement à certaines exigences spirituelles, parfois raffinées, commandées par un idéal personnel ou par des traditions longuement élaborées, et qui traduisent chacune à leur façon un besoin de la personne humaine. Nous sommes heureux de voir que cet aspect du problème ne vous a pas échappé et qu'il commande même l'orientation de votre travail. Parce que la nutrition est un acte élémentaire, absolument indispensable à la vie et dont l'urgence pèse sur l'homme tous les jours, parce qu'il s'agit aussi d'une démarche que l'homme a chargée de significations subjectives, il est évident que, pour aboutir à des solutions pleinement adéquates et humaines, vous avez à scruter les conditions psychologiques de la nutrition, à apprécier la portée spirituelle des gestes qu'elle comporte.

Comment ne pas rappeler à ce propos que l'homme a souvent donné au repas un caractère religieux et que Dieu en a fait un rite sacré, signe efficace de l'union intime qu'il entend établir entre Lui-même et chacun des hommes, ainsi que de la charité fraternelle qu'il veut voir régner entre eux ? Voilà, Messieurs, la réalité sublime, à laquelle en définitive votre travail doit puiser son inspiration et sa plus haute dignité. Sans doute votre spécialité vous impose-t-elle de poursuivre des objectifs précis et limités ; mais, dans le champ qui vous est assigné, vous contribuez pour votre part au bien-être d'un nombre toujours plus grand de vos concitoyens et vous entretenez l'espoir de les faire accéder un jour à un niveau plus élevé, non seulement de la vie matérielle, mais surtout de celle de l'esprit et du coeur.

Tels sont les voeux que Nous formons pour vous, Messieurs, qui êtes ici présents, pour vos familles et pour tous ceux qui vous sont chers. Nous recommandons à Dieu le succès de votre congrès et, comme gage de la bienveillance divine, Nous vous accordons bien volontiers Notre paternelle Bénédiction apostolique.


RADIOMESSAGE AU SEPTIÈME CONGRÈS INTERNATIONAL DES MÉDECINS CATHOLIQUES

(11 septembre 1956) 1






Le 11 septembre, le Pape adressa le radiomessage suivant en langue française au septième congrès international des médecins catholiques, qui se tenait à La Haye, sur le thème : « Le médecin et le droit ».

Le Saint-Père rappelle que le but de la médecine est de prévenir et combattre les maladies mais que la déontologie médicale est soumise à la morale.
Introduction


1 D'après le texte français des A. A. S., XXXXVIII, 1956, p. 677.

2 Discorsi e Radiomessaggi, vol. XI, pp. 221-225 '> cf- Documents Pontificaux 1949> p. 407 et suiv.




En septembre 1949 Nous avions le plaisir de recevoir les participants du quatrième congrès international des médecins catholiques et de leur adresser la parole 2. Nous avions relevé alors combien les médecins catholiques étaient préoccupés de se tenir au courant des importantes acquisitions théoriques et pratiques de la médecine moderne et de mettre à profit ces progrès pour prévenir et combattre la maladie et la souffrance, fidèles en cela au grand principe de la science et de l'art médicaux : aider et guérir, ne pas faire de tort ni tuer. Nous ajoutions que le médecin catholique, pour obéir à sa conscience et à sa foi, était prêt à mettre à la disposition d'autrui non seulement son savoir et ses forces, mais aussi son coeur et son dévouement. Devant le corps humain le médecin garde une réserve respectueuse, parce qu'il sait que ce corps est anime par un esprit, une âme immortelle, qui ne forme avec lui qu'une seule nature dépendant tout entière de l'ordre religieux et moral. Le médecin catholique sait que son patient et lui-même sont soumis à la loi de leur conscience et à la volonté de Dieu ; mais il sait aussi que toutes les ressources de la nature ont été mises à sa disposition par le Créateur, pour qu'il puisse protéger et défendre les hommes de la maladie et de l'infirmité. Il ne divinise pas la nature et la médecine ; il ne les considère pas comme des absolus, mais il voit en elles un reflet de la grandeur et de la bonté de Dieu et les subordonne entièrement à son service. Aussi, résumant la position du médecin catholique à l'égard des progrès immenses de la médecine dans l'investigation et l'utilisation de la nature et des forces, Nous disions naguère :

« Que fait... le médecin digne de sa vocation ? II s'empare de ces mêmes forces, de ces propriétés naturelles pour procurer par elles la guérison, la santé, la vigueur, et souvent, ce qui est plus précieux encore, pour préserver des maladies, de la contagion ou de l'épidémie. Entre ses mains, la puissance redoutable de la radioactivité est captée, gouvernée pour la cure de maux rebelles à tout autre traitement ; les propriétés des poisons les plus virulents servent à préparer des remèdes efficaces ; bien plus, les germes des infections les plus dangereuses sont employés de toutes manières en sérothérapie, en vaccination.

La morale naturelle et chrétienne, enfin, maintient partout ses droits imprescriptibles ; c'est d'eux, et non de considérations de sensibilité, de philanthropie matérialiste, naturaliste, que dérivent les principes essentiels de la déontologie médicale : dignité du corps humain, prééminence de l'âme sur le corps, fraternité de tous les hommes, domaine souverain de Dieu sur la vie et sur la destinée 3. »

3 Ibid., p. 223 ; Documents Pontificaux 1949, p. 410.




A présent, Nous Nous réjouissons de pouvoir Nous adresser de loin à votre septième congrès international et de vous manifester ainsi l'intérêt que Nous portons à vos travaux. Puisque vous avez choisi comme thème Le médecin et le droit, Nous voudrions vous entretenir d'abord du point de départ et de la source du droit médical.



Point de départ et source du droit médical



II fait remarquer que l'individu n'est pas subordonné à l'Etat comme un membre l'est au corps humain : l'individu est une personne indépendante ; il reçoit ses droits de Dieu et non de l'Etat.

I. — Sans entrer en de longues considérations théoriques, Nous voudrions répéter et confirmer ce que Nous avons souvent affirmé et ce que Nos prédécesseurs n'ont jamais omis d'inculquer : le droit à la vie, le droit à l'intégrité du corps et de la vie, le droit aux soins qui leur sont nécessaires, le droit a être protégé des dangers qui les menacent, l'individu le reçoit immédiatement du Créateur, non d'un autre homme, ni de groupes d'hommes, non de l'Etat ou de groupes d'Etats, ni d'aucune autorité politique. Ce droit, l'individu le reçoit d'abord en lui-même et pour lui-même, puis en relation avec les autres hommes et avec la société, et cela non seulement dans l'ordre de l'action présente, mais aussi dans celui de la finalité. C'est s'écarter de la pensée des papes clairement exprimée que de considérer l'homme dans sa relation avec la société comme s'il était inséré dans « la pensée organique de l'organisme physique » ; un membre physique particulier a sans doute une certaine existence propre, mais, comme tel, il n'existe en aucune façon pour lui-même ; il est absorbé finalement par l'ensemble de l'organisme. Le principe civitas propter cives, non cives propter civitatem est un héritage antique de la tradition catholique et fut repris dans l'enseignement des papes Léon XIII, Pie X, Pie XI, non de manière occasionnelle, mais en termes explicites, forts et précis. L'individu n'est pas seulement antérieur à la société par son origine, mais il lui est aussi supérieur par sa destinée. La société, à la formation et au développement de laquelle les individus sont ordonnés, n'est que le moyen universel voulu par la nature pour mettre les personnes en rapport avec d'autres personnes. Cette relation de la partie au tout est ici entièrement différente de celle qui existe dans l'organisme physique. Quand l'homme entre par la naissance dans la société, il est déjà pourvu par le Créateur de droits indépendants ; il déploie son activité en donnant et en recevant et, par sa collaboration avec les autres hommes, il crée des valeurs et obtient des résultats que seul il ne serait pas capable d'obtenir et dont il ne peut même, comme personne individuelle, être le porteur.

Ces nouvelles valeurs manifestent que la société possède une prééminence et une dignité propre ; mais ceci n'entraîne pas une transformation de la relation, que Nous esquissions plus haut, car ces mêmes valeurs supérieures (comme la société elle-même) sont rapportées à leur tour par la nature à l'individu et aux personnes.

On ne peut concéder à la spéculation le droit illimité de systématiser et de construire, même quand elle coïncide avec les déclarations des papes et cela en des matières qui concernent les questions fondamentales du droit en général. Il n'est nullement prouvé que le point de départ et le fondement de toute structure juridique et de toute justification du droit soit la réalisation, voulue par le Créateur, de la nature humaine parfaite, et que ce but postule la subordination de l'individu à la société, dont il dépend immédiatement, de celle-ci à une société supérieure, et ainsi de suite, jusqu'à la société parfaite, l'Etat. Cette façon de considérer les choses est contraire à ce que les derniers papes ont déclaré à ce sujet. Il ne faut pas non plus vouloir distinguer dans la pensée des papes entre l'ordre de la réalisation actuelle et celui de la finalité. Les papes ont entendu et ont voulu que l'on entende de l'un comme de l'autre le principe fondamental sur l'origine du droit à la vie. Il est indéniable que beaucoup considèrent le principe de totalité, comme déterminant dans l'intelligence de la relation qui unit l'individu à la société. Mais l'application de ce principe aux questions concrètes concernant l'origine et les limites du droit à la vie, dont Nous parlons maintenant, soulève des objections sérieuses. On oublie d'abord que le principe de totalité ne vaut que pour le tout comme tel à l'égard de la partie comme telle : c'est la question de droit. Mais celle de fait se pose aussi : les deux termes, dont il s'agit, sont-ils entre eux dans un rapport de tout à partie, et lequel ? Déjà dans l'allocution du 14 septembre 1952, alors qu'il s'agissait de déterminer les limites précises du droit de la société envers le corps et la vie des personnes physiques, Nous avons expliqué le sens et l'importance du principe de totalité, et Nous avons expressément mis en garde contre les applications erronées de ce principe 4.



Cf. Documents Pontificaux 1952, p. 452.

Position du médecin vis-à-vis du droit et de la morale



Le Saint-Père précise la position du médecin vis-à-vis du droit et de la morale : le médecin doit suivre sa conscience éclairée par des normes objectives et penser qu'il rendra compte à Dieu de toutes ses actions.

II. — Mais l'objet principal du présent message, et sur lequel Nous voudrions Nous étendre plus longuement, concerne la position du médecin vis-à-vis du droit et de la morale. Presque toutes Nos allocutions aux médecins ont abordé cette double question, que l'on rencontre d'ailleurs dans chaque profession. Si le thème de votre congrès s'énonce : « Le médecin et le droit », le mot droit n'exclut pas ici la morale, puisque vous entendez les étudier dans leurs relations réciproques. La morale et le droit ont un caractère propre qu'il faut sauvegarder ; ils expriment l'ordre de la conscience et celui de la loi et les relations qu'ils entretiennent interdisent de les séparer, comme de les confondre entièrement.



La morale médicale



La morale a pour but de déterminer l'attitude consciente interne et externe de l'homme envers les grandes obligations, qui procèdent des conditions essentielles de la nature humaine : obligations envers Dieu et la religion, obligations envers soi-même et envers le prochain, qu'il s'agisse des individus, des groupes et collectivités, de la communauté au sens juridique, obligations dans le domaine presque illimité des choses matérielles. La morale impose à la conscience de chacun, qu'il soit médecin ou militaire, savant ou homme d'action, le devoir de régler ses actes selon les obligations précitées. Cela suppose qu'on les connaisse ou qu'on en prenne connaissance, si on ne les connaît pas. Il s'ensuit que, si la décision morale procède du sujet, elle ne dépend pas de son bon plaisir ou de son caprice, mais s'inspire de critères objectifs. C'est ce qu'exprime une question spontanée, le « pourquoi ? », de l'homme consciencieux à l'égard de lui-même. Il veut connaître les normes objectives de ce qu'il se propose de faire. Aussi suffit-il d'observer le médecin consciencieux dans son activité professionnelle quotidienne, pour voir comment la morale médicale guide l'action.

Ce médecin procède à un diagnostic soigneux, pèse les données, interroge ses connaissances acquises, parcourt même des ouvrages ou des articles sur la question, consulte éventuellement d'autres médecins, puis décide, passe à l'exécution et surveille l'évolution ultérieure des faits.

Mais la morale médicale va plus loin. Il suffit de prendre en main le décalogue, comme la saine raison le comprend et comme l'Eglise l'explique, pour y trouver bon nombre de normes morales qui touchent à l'activité médicale. Dans Notre allocution susmentionnée du 14 septembre 1952 sur les limites de la recherche et de l'activité médicales (en particulier dans l'utilisation des découvertes modernes), et dans les allocutions des 29 octobre et 27 novembre 19515, Nous avons indiqué différents points où la morale doit opposer son veto à la médecine.

Il faut aussi tenir compte des exigences qui sont imposées au médecin de la part du patient, de sa famille et d'autres groupes intéressés, exigences qui portent sur des conventions à conclure, ou proviennent de celles qui l'ont déjà été. Tantôt ce sont aussi des idées religieuses, morales, philosophiques ou sociales, sur lesquelles le médecin doit baser son action, ou du moins auxquelles il doit s'adapter, mais qui sont contraires à ses convictions chrétiennes. Parfois on lui demandera, pour des motifs médicalement compréhensibles d'ailleurs, de procéder à l'euthanasie, ou à l'interruption directe de la grossesse, ou de prêter une assistance effective à des pratiques anticonceptionnelles, toujours dans le cas d'indications objectivement sérieuses. Le médecin se trouve ici devant l'obligation de respecter la morale médicale, exigence inconditionnée pour le médecin chrétien dans tous les cas où la norme morale est inconditionnée, vraiment claire et certaine. Observer ainsi la loi morale n'entraîne finalement aucun dommage pour l'intérêt de la science, ni pour celui du patient, ni de la communauté ou du « bonum commune ». Dans les cas particuliers, que le médecin ne tranche pas d'après ses goûts subjectifs ou d'après son caprice, et moins encore en consentant ou en s'adaptant à des requêtes ou à des souhaits immoraux, mais qu'il suive sa conscience éclairée par des normes objectives et pense à Dieu, à qui il devra rendre compte. Grâce à cette orientation objective de la conscience, le médecin chrétien évitera de tomber dans la forme condamnée de l'éthique de situation.
Le droit médical




... Le droit médical comprend l'ensemble des normes qui concernent la personne et l'activité du médecin et dont l'observation peut être imposée par l'autorité publique.

Le droit médical comprend l'ensemble des normes qui, dans une communauté politique, concernent la personne et l'activité du médecin et dont l'observation peut être imposée par les moyens de coercition du droit public. Ces normes peuvent être formulées ou promulguées immédiatement par l'autorité politique, ou bien être seulement autorisées ou sanctionnées par elle. Le droit pourrait aussi s'entendre comme le « iustum », c'est-à-dire ce que chacun selon les règles de la justice peut exiger comme sien (qu'il ait ou non le moyen de faire prévaloir son droit par la force). On pourrait encore entendre le droit subjectivement comme la domination, reconnue par l'ordre moral, que le sujet du droit exerce sur l'objet du droit, et en vertu de laquelle le sujet peut réclamer le « iustum » à quiconque en est redevable ; ce droit subjectif est susceptible lui aussi de bénéficier du pouvoir de coercition. Le droit médical ne peut renoncer sans plus à aucune de ces deux conceptions du droit ou s'en désintéresser.

Toutefois c'est sur le droit médical au premier sens que Nous insisterons. L'existence d'un tel droit est une nécessité, car la personne et l'activité du médecin ont une telle influence sur la paix et la sécurité de la vie dans la communauté politique, que l'absence de ces normes, leur imprécision ou le défaut de caractère coercitif, ne sont pas compatibles avec le bien de l'ensemble. Les obligations purement morales sont trop vagues dans la réalité concrète de la vie, et prêtent à des interprétations trop diverses pour garantir par elles seules l'ordre dans la société. Il faut donc les compléter et les préciser par le droit positif. La formation du médecin, ses connaissances théoriques et pratiques, les garanties et la vigilance requises en cette matière dans l'intérêt de la communauté, tout cela doit être fixe, mais ne l'est pas suffisamment par l'ordre moral qui, de plus, ne dispose pas du pouvoir de coercition. En raison des biens importants confiés au médecin par l'individu et par la communauté, la nécessité d'un droit médical apparaît indubitable. On en trouve confirmation dans le fait que tous les pays civilises possèdent un droit semblable, même si sa formulation présente des différences plus ou moins notables suivant les cas.

Le contenu matériel du droit médical est déterminé d'abord par sa fin immanente. On se demandera d'abord ce qu'il faut exiger du médecin et lui concéder pour qu'il puisse atteindre le but de sa profession : « aider et guérir, ne pas faire de tort ni tuer ». Le même principe permet de fixer les exigences des individus et de la communauté à l'égard du médecin, pour autant qu'elles doivent être exprimées dans le droit médical. Il est évidemment déraisonnable et impossible de vouloir préciser et régler par des lois tout ce qui peut servir au médecin, ainsi que toutes les requêtes qu'on peut lui faire. En général, on doit éviter une surabondance de lois, considérée depuis l'antiquité comme symptôme de décadence d'un Etat — (de là la formule prégnante de Tacite : corruptissima re publica plurimae leges6). Aussi faut-il laisser un jeu convenable aux décisions du médecin et inviter les gens à veiller par eux-mêmes à un certain nombre de nécessités en matière médicale sans attendre que la loi pourvoie à tous les détails. Elle ne le pourrait pas d'ailleurs sur un certain nombre de points, car elle se heurterait à l'opposition des médecins, de beaucoup de membres de l'assemblée législative ou des citoyens. Pareilles lois représentent souvent des solutions de compromis entre adversaires irréconciliables, ou ont été imposées de force par la majorité. Comme elles contiennent parfois des paragraphes objectivement immoraux et anti-chrétiens, qu'un médecin catholique ne peut approuver ni exécuter sans entrer en conflit avec sa conscience, une question brûlante se pose alors : celle de l'attitude à prendre devant ce droit médical, selon lequel il est obligé d'exercer sa profession.



Relations entre la morale médicale et le droit médical

Le Saint-Père déclare qu'en principe le droit et la morale sont indépendants, chacun sur son terrain, mais qu'en fait le droit médical est soumis à la morale médicale.

6 Tacite, Annales, livre III, n. 27.




Après avoir parlé séparément de la morale médicale et du droit médical, Nous en arrivons ainsi au troisième point que

Nous voulions toucher : celui de leurs relations : sont-ils tous les deux sur le même pied, ou y a-t-il entre eux une subordination ? D'une certaine façon, on peut dire que chacun d'eux est maître sur son terrain et n'admet pas l'intrusion de l'autre Mais ce n'est vrai qu'en partie, car le droit positif n'a valeur ni force exécutoire que dans la mesure où il est reconnu par Dieu, source dernière et suprême de tout droit. Dieu, par ailleurs, ne peut jamais appuyer de son autorité une loi, qui le contredit lui-même, c'est-à-dire contredit l'ordre moral qu'il a lui-même instauré et rendu obligatoire. Il s'ensuit que le droit médical est subordonné à la morale médicale, qui exprime l'ordre moral voulu par Dieu.

Le droit médical ne peut donc jamais permettre que le médecin ou le patient pratiquent l'euthanasie directe, et le médecin ne peut jamais la pratiquer sur lui-même ni sur les autres. Cela vaut aussi pour la suppression directe du foetus et les actes médicaux qui contredisent la loi de Dieu clairement manifestée. En tout cela le droit médical n'a aucune autorité et le médecin n'est pas tenu de lui obéir. Il doit bien au contraire ne pas en tenir compte ; toute assistance formelle lui est même interdite, tandis que l'assistance matérielle tombe sous les normes générales de la cooperatio materialis. Le droit médical, qui ne tient pas compte de la morale ou s'y oppose, renferme une contradiction interne et il est inutile de s'y attarder. Dans les autres cas, il faut éviter toute opposition entre droit et morale et veiller à ce que, chacun conservant son caractère propre, ils se complètent et s'appuient mutuellement. Si on les assujettit trop l'un à l'autre, on s'expose à voir le sens moral céder au juridisme, au légalisme, ou au minimalisme. Ce serait un sérieux inconvénient, car l'intention du médecin, comme celle du patient, est l'élément prépondérant et celui qui anime les autres. Il peut s'ensuivre aussi que l'obligation juridique provenant du domaine moral exerce une influence exagérée sur les consciences et conduise à un rigorisme insupportable, ou que la domination impitoyable du droit se substitue à la morale et la réduise à une observation consciencieuse, universelle, des prescriptions du droit.

Mais il est également dangereux de trop séparer le droit de la morale. Celle-ci risque alors de glisser dans une sorte d'individualisme, car une attention trop concentrée sur les éléments moraux fait perdre de vue les données objectives clairement circonscrites dans le droit ; on peut en arriver ainsi à une éthique de situation fausse et trop subjective. Quand le droit s'écarte trop de la morale, il tend au positivisme juridique exagéré et même extrême, qui, en plusieurs cas, constitue un péril pour le jugement et l'action du médecin. Nous pensons à plus d'un code juridique médical, dans lequel, moyennant des indications déterminées et certaines garanties, on autorise ou même on impose l'interruption directe de la grossesse ; en matière de secret médical, ou quand le médecin est appelé comme expert au tribunal, on considère comme exclusivement valables et obligatoires les normes établies par l'autorité politique. C'est là diminuer exagérément la part de l'élément moral et offenser la dignité personnelle du médecin dans le domaine du droit médical.


La collaboration sur le plan international

Il encourage les médecins à collaborer sur le plan international. Les médecins catholiques peuvent tirer un grand profit de ces confrontations avec des médecins non catholiques.


III. — Le troisième point de Notre message voudrait surtout justifier et recommander explicitement la collaboration sur le plan international. L'effort de rapprochement et de collaboration s'y fait sentir dans les domaines les plus divers. Il procède, comme vous l'avez signalé vous-mêmes dans votre programme, de la transformation profonde de presque toutes les relations, et sa cause dernière est à rechercher dans la nature même de l'homme. C'est la conséquence d'une loi naturelle qui procède de l'unité d'origine des hommes, et pousse à la réalisation d'une tâche commune, à laquelle sont conviés tous ceux qui vivent sur la terre. A mesure que les années passent, il devient de moins en moins possible aux nations de se renfermer sur elles-mêmes, bien que se manifeste parfois une tendance systématique et passionnée à revenir à l'isolement d'autrefois. Tout ce qui arrive actuellement dans un pays, provoque un contre-coup chez les autres et l'on est obligé en quelque sorte de se rendre compte que la communauté des peuples et de l'humanité ressemble à un organisme, dont la circulation sanguine et lymphatique met en communication constante les diverses parties. Ainsi en va-t-il des courants internationaux, dont on ne peut s'empêcher de prendre conscience ni de tenir compte.

Mais Nous avons un motif particulier de louer votre association internationale et de souhaiter qu'elle progresse. C'est que vous constituez une association de médecins catholiques. Certes vous ne disposez pas, comme catholiques, d'une connaissance médicale particulière, mais vous avez votre manière propre de considérer les problèmes de votre profession. Il n'est pas sans importance, dans une occasion comme celle qui vous rassemble, d'apprendre à connaître et d'entendre parler des collègues de renommée scientifique internationale et qui, dans leur activité de savants et de praticiens, ne se sentent nullement entravés par leurs convictions et leur vie chrétiennes. De telles expériences personnelles sont précieuses, surtout si elles se basent sur des contacts avec des médecins de pays différents. Quand un médecin catholique exerce sa profession dans un milieu qui ne l'est pas, et parmi des collègues qui ne partagent pas sa foi, la participation à un congrès de ce genre exerce une influence libératrice, le délivre du complexe d'infériorité, élargit son regard et renforce son courage. Voilà pourquoi Nous souhaitons que vous puissiez organiser souvent de semblables congrès.

Comme l'ont montré vos assemblées précédentes, les questions juridiques ne sont pas les seules qui vous occupent, ni même l'objet principal de vos réunions. Mais ces questions s'imposent aujourd'hui avec une insistance telle qu'il était nécessaire de les traiter explicitement. Vous écrivez dans le programme du présent congrès : « La fonction du médecin a des corrélations avec le droit, aussi bien dans le domaine du droit civil que du droit public (d'un point de vue national aussi bien qu'international) ». Vous esquissez ces fonctions juridiques dans leurs grandes lignes et vous donnez des orientations précises sur les rapports du droit et de la morale.



Le Saint-Père termine en mettant en garde les médecins contre un double danger : excès de travaux et excès d'objectifs et en faisant des voeux pour le succès de leurs efforts.

Les questions juridiques ne sont certes pas le domaine propre du médecin, mais d'autres associations médicales internationales ont éprouvé également la nécessité de les aborder et de trouver des solutions pratiques ; elles n'ont pas travaille en vain. Vous voulez poursuivre cette oeuvre et en cela Nous vous approuvons entièrement. Mais vous devez vous garder d'un double danger : celui de vous charger à l'excès soit de travaux préparatoires, soit d'objectifs à poursuivre. En consultant votre programme, Nous avons admiré votre courage et votre ardeur au travail, mais Nous Nous sommes demandé : « Est-ce pratiquement réalisable ? » La mentalité des hommes d'aujourd'hui les porte à rechercher l'ampleur, l'unité, la simplicité : à partir d'un point de départ unique, on veut déduire tout le reste et arriver par là à un but fixé par la nature des choses et clairement aperçu. Il devient ainsi plus facile d'ordonner et de dominer la diversité des problèmes particuliers qui restent encore à résoudre. Puissiez-vous réussir à introduire ampleur, unité et simplicité dans le traitement des questions juridiques, dont vous êtes forcés de vous occuper aujourd'hui en tant que médecins ; vous accomplirez alors quelque chose de grand et d'utile.



Conclusion



Il ne Nous reste plus qu'à souhaiter à vos travaux un heureux déroulement et un plein succès. Certes vous n'atteindrez pas vos objectifs en quelques jours ; mais vous vous rapprocherez certainement du but et vous obtiendrez sans aucun doute le secours de la vérité, de la science et de la sagesse de Dieu. Comme gage des faveurs d'en-haut, Nous vous accordons de tout coeur pour vous-mêmes et pour tous ceux qui bénéficient de votre science et de votre dévouement Notre Bénédiction apostolique.

Pie XII 1956 - A L'OEUVRE DE L'APOSTOLAT DE LA MER DE LIVERPOOL