Pie XII 1957



DOCUMENTS PONTIFICAUX

1957

de Sa Sainteté PIE XII



« Tous les hommes sont frères, non seulement
en vertu de l'unité d'origine et de la partici-
pation à une même nature, mais encore d'une
façon plus pressante par leur commune voca-
tion à la vie surnaturelle. »
25 avril 1957 Pie XII



DOCUMENTS PONTIFICAUX



DOCUMENTS PONTIFICAUX
de Sa Sainteté PIE XII




réunis et présentés par

Mgr SIMON DELACROIX



EDITIONS SAINT-AUGUSTIN SAINT-MAURICE (Suisse)

IMPRIMATUR



Seduni, die 19a Martii 1959 Jos. BAYARD Vie. gén.


Tous droits réservés

PREFACE DE SON EMINENCE LE CARDINAL RICHAUD Archevêque de Bordeaux



Il est bien émouvant de présenter au lecteur ce nouveau volume des Documents Pontificaux de Sa Sainteté Pie XII quelques mois après la mort du vénéré et prestigieux Pontife. Ces textes datent, en effet, de l'année qui a précédé celle où Dieu Lui a réservé sa récompense.

Une fois de plus, ce recueil apportera une pierre de grande valeur à ce véritable monument élevé à la mémoire du Pape Pie XII par la publication de ses enseignements si nombreux et si judicieux. Nul hommage ne peut être rendu d'une manière plus pertinente à celui qui se fit, avec tant de courage et de lucidité, l'éducateur du monde moderne.

Nous trouverons dans ce volume comme dans les précédents une série de discours et de messages très variés dans leur teneur et leur destination. Quelques-uns cependant retiendront davantage l'attention, comme ce délicieux Radiomessage à la Journée de la Mère et de l'Enfant, comme les conseils opportuns, donnés aux prédicateurs ou aux élèves des lycées de Rome.



La Note condamnant l'emploi des armes nucléaires avait produit une telle sensation dans le monde qu'on sera heureux de la retrouver.

L'Encyclique « Fidei donum » a été également l'un des actes les plus importants du Magistère pontifical. Elle domine encore tous les problèmes africains qui se posent. Vaut-il parler des positions si équilibrées et si éclairantes sur le problème de l'automation ?

Je ne puis manquer, comme Archevêque de Bordeaux, de signaler la Lettre adressée à la 44e Semaine Sociale de France, qui constitue une véritable synthèse de la doctrine de l'Eglise sur la famille.

Mais je m'arrête dans cette énumêration forcément incomplète, non sans saluer les importants documents concernant l'apostolat laïque qui ont tant été étudiés et qui demeureront comme les aiguillages les plus suggestifs pour l'Action Catholique.

Enfin, le monde des religieux et des religieuses sera enchanté de retrouver les pages si précises du discours sur l'état de perfection, et les Français reliront avec profit les actes impressionnants du Saint-Père à l'occasion du centenaire de Lourdes.

Personne n'achèvera la lecture de ces volumes sans demeurer sous l'impression de l'écrasant labeur auquel Pie XII s'est livré pour remplir sa fonction primordiale de Docteur suprême de l'Eglise. Que de recherches et de réflexions supposait la préparation de tous ces textes ! La santé ébranlée du Saint-Père n'a cessé courageusement de s'y consumer !

C'est avec émotion que nous rélirons ces lignes du Souverain Pontife dans son Encyclique « Miranda prorsus » sur le cinéma, la radio et la télévision : « Nous-même profitons souvent des moyens modernes admirables qui Nous offrent la possibilité d'unir le troupeau tout entier avec le Pasteur suprême, afin que Notre voix traversant avec sûreté les étendues de la mer et de la terre et les agitations des esprits, puisse toucher l'âme des hommes et les influencer pour le bien, comme le demande la charge apostolique suprême qui Nous est confiée et s'étend aujourd'hui presque à l'infini. »

Ainsi Pie XII avait conscience de l'effort doctrinal qu'il avait à déployer proportionnellement aux moyens plus grands et multipliés qui s'offraient à la parole pontificale de se diffuser et quelle que soit la fatigue qu'il pouvait en ressentir.

Que soient remerciés et félicités tous ceux qui ont collaboré à la composition et à la publication de ce nouveau tome d'une collection devenue l'instrument indispensable pour quiconque veut connaître la pensée catholique dans ses applications les plus actuelles.



t PAUL, cardinal RICHAUD Archevêque de Bordeaux



INTRODUCTION



S'il fallait donner à chacune des années du pontificat de Sa Sainteté Pie Xli un signalement plus caractéristique, ce serait du côté de son action au service d'un ordre international chrétien qu'il conviendrait, sans aucun doute, de le chercher en 1957.

Au cours des mois précédents, le monde avait vécu une crise d'âme épuisante. En Pologne et en Hongrie, le renversement des régimes sous contrôle communiste a permis la libération du cardinal Wynszinski et du cardinal Mindszenty (octobre 1956). Mais aussitôt ce fut la tragédie de Budapest, l'inertie des Nations Unies devant l'intervention des blindés soviétiques ramenant en Hongrie un régime communiste, dont ouvriers et étudiants avaient réussi à soulever le chape de plomb, tandis qu'au Proche-Orient le débarquement des Franco-Britanniques à Port-Saïd était stoppé par l'unanimité des Nations Unies, la route de Suez coupée. En ce dur hiver l'Europe occidentale a glissé au plus bas de son prestige international. La Russie a arrêté ses meilleures troupes grâce à une simple menace des bombes atomiques. L'Amérique la tient à la gorge par le manque de pétrole et de crédits. Le Gouvernement de Pékin a veillé, en personne, à ce que Polonais et Hongrois soient désormais plus sûrement cadenassés derrière le rideau de fer. Il semble que commence l'ère de la vengeance de l'Asie et de l'Afrique.

A Noël (1956), le radiomessage de Pie XII a évoqué, sans peur, les divers aspects de la crise internationale. Jamais son intervention n'est allée si loin, jusqu'à déclarer que, contre un agresseur qui dispose de tanks pour contraindre des peuples civilisés à une forme de vie qu'ils abhorrent nettement, la guerre ne serait plus illicite.

Dans une telle tension, les catholiques sont quelque peu en désarroi. En France surtout, où ils n'ont pas compris que l'opinion internationale et le Pape lui-même, n'aient pas suivi leur pays dans l'affaire de Suez. Dans le Proche-Orient, comme en Europe centrale, n'est-ce pas la religion du Christ qui fait les frais de ces triomphes de la violence et de la ruse ? N'est-ce pas elle, en définitive, qui est visée par cette croisade contre l'Occident, que les nations afro-asiatiques, ont décidée, en avril 1955, à la conférence de Bandoeng ?

Trop rares sont ceux, en Europe du moins, qui comprennent dans quelles intentions, très hautes en même temps que réalistes, le Pape invite les puissances coloniales à hâter l'heure de la libération politique des populations de leurs domaines, tout en manifestant à chaque occasion, un sincère souci de la solidarité de l'Europe et du prestige civilisateur de l'Occident.

C'est de ce malaise que l'opinion catholique sortit au cours de l'année 1957, grâce à un concours de circonstances, nullement fortuites, qui lui firent prendre confiance en ses propres forces pour l'édification de la paix. Il se trouvait en effet que, pour préparer le 2e Congrès mondial de l'Apostolat des laïcs, qui se tiendrait à Rome, en octobre, le calendrier des organisations catholiques internationales était particulièrement riche en témoignages de la catholicité supranationale qui anime l'Eglise. Non pas des rassemblements de foules venues des quatre points de l'horizon, comme les flots de pèlerins de l'Année Sainte. Niais des rencontres soigneusement organisées en séances de travail et en carrefours, dont la succession prouva que la solidarité des catholiques était parfaite, par dessus les continents, au-delà des classes sociales et des milieux de vie, pour réaliser l'harmonie, la joie et la noblesse de la cité des hommes de bonne volonté. On peut dire qu'en cette année faste, le Saint-Père connut, après l'angoisse des orages, Vallégresse des moissons débordantes.

Dès les premiers jours de janvier, le Bureau international catholique de l'enfance tenait sa conférence annuelle au Cameroun, à Yaoundé. On y vint de vingt-six pays pour étudier « l'éducation de l'enfant africain, en fonction de son milieu de base et de son orientation d'avenir ». Les missionnaires y rencontrèrent les spécialistes de l'UNESCO, du Bureau international du travail, de l'Organisation mondiale de la santé, du Ponds des Nations-Unies pour l'enfance, d'autres encore ; ils amorçaient des contacts entre eux, et ce n'est pas mince avantage, dans un continent qui rêve de se constituer en larges fédérations, effaçant le découpage artificiel des territoires de l'époque coloniale. Le bénéfice immédiat de cette rencontre fut d'alerter les catholiques d'Europe sur l'effort que méritait le continent africain de la part des pays chrétiens : un apostolat de l'enfance, organisé suivant les structures les plus récentes de l'éducation y est aussi urgent. Ce n'est donc pas en termes politiques de domination ou de subordination que la tension Europe-Afrique devrait être analysée par un catholique, mais en termes tout spirituels de coopération missionnaire. Quand parut, le jour de Pâques, l'encyclique Fidei donum, qui appelait prêtres et fidèles de chrétienté à l'aide des jeunes Eglises d'Afrique, on peut dire qu'elle était attendue comme un signal de départ. Le mouvement de solidarité qu'elle mettait en branle transformait la perspective traditionnelle de l'aide aux Missions. Celle-ci n'était plus seulement l'aumône des âmes pitoyables à la détresse des Noirs, mais la participation de nos diocèses et de nos organismes d'Action catholique à l'édification même des Eglises africaines. Eglises pour Eglises, on réaliserait cet échange de vie et d'énergie qui est la loi de la catholicité.

A partir de Pâques, le calendrier ne désemplit pas. Les intellectuels catholiques de Pax Romana, appartenant à soixante-quatre nations, étudient à Rome leur situation et leur rôle dans la communauté mondiale en formation. Ils ne craindront pas de participer à des organisations internationales d'entraide « où Dieu n'est pas reconnu expressément comme l'auteur et le législateur de l'univers », pourvu qu'elles respectent en fait et en théorie la loi naturelle. Du 15 avril au 25 mai, Pie XII ne cesse, au cours des douze discours qu'il prononce, d'exhorter les catholiques à participer aux tâches communes de concorde, d'étude ou d'assistance qui s'imposent de nos jours.

Cet appel du Saint-Père à oeuvrer sur les chantiers du monde, atteint son sommet avec les grandes manifestations romaines d'août à octobre : le rassemblement mondial de la J.O.C. (23-25 août), le Congrès de l'Union mondiale des Organisations féminines catholiques (2g août-Ie' septembre), le 2e Congrès mondial de l'Apostolat des laïcs (5-13 octobre). Ici la participation des pays â'outre-mer joue un rôle essentiel. Les délégations d'Afrique et d'Asie ont non seulement une place très en vue dans les cortèges et les séances d'apparat, mais elles sont fêtées avec une émotion sincère comme les promesses d'une ère meilleure. Déjà, dans son Congrès international tenu en Autriche, à Mariazell, aux premiers jours d'août, Pax Christi avait étudié, avec la sympathie la plus éclairée, « l'essor des peuples de couleur » ; ses conférences où alternent des orateurs africains et européens, sont publiées largement par les journaux catholiques.

La présence à Rome de 32.000 jocistes est un événement que la grande presse ne manque pas de rapprocher du Festival des Jeunesses de la paix qui a eu lieu à Moscou peu auparavant. Radio-Vatican fait une mise au point, insistant sur les différences de climat spirituel et le mérite des jeunes travailleurs catholiques qui ont économisé, à force de renoncements personnels et collectifs, le coût d'un voyage où les distractions agréables n'ont pas la plus grande part. Il remarque surtout qu'à Moscou, l'impulsion est venue du centre, alors qu'à Rome elle est venue de la libre initiative de la périphérie.

Moins spectaculaire sera le 2e Congrès mondial de l'Apostolat des laies, mais tout aussi représentatif de la diversité des nations et des races. C'est devant lui que Pie XII donne aux militants laies la mission d'être les principaux acteurs de la consecratio mundi, c'est-à-dire la pénétration de l'esprit chrétien dans toute la vie familiale, sociale, économique et politique. Des congressistes, personne ne pourrait l'oublier Vadmirable péroraison de Varchevêque de Milan, Mgr Montini, sur la mission de l'Eglise : « Nous aimerons notre temps, notre civilisation, notre technique, notre art, notre sport, notre monde. Nous aimerons avec la plénitude de Dieu : ainsi Dieu a aimé le monde. Est-ce trop que de parler du monde ? Est-ce l'enthousiasme qui nous saisit et nous rend présomptueux et enfantins ? Où est l'humilité ? L'humilité subsiste, et la vision de la réalité tout autant. Mais c'est la mission de l'Eglise qui ouvre ces horizons immenses, et ce n'est pas orgueil et folie de lever les yeux vers le ciel de Dieu. C'est espérance. C'est prière. »

Au soir d'une année qui avait vu un tel redressement du courage chrétien dans les esprits et dans les coeurs, Pie XII pouvait consacrer son message de Noël au Christ, source et gage de l'harmonie du monde, lumière et vie pour les hommes de bonne volonté qui veulent soutenir l'ordre divin de l'harmonie dans le monde. Ce message, plus apaisé et confiant, serait le dernier.

Me permettra-t-on au terme de cette introduction un souvenir personnel ? Au lendemain de la clôture du 2e Congrès de l'Apostolat des laïcs, Pie XII avait daigné m'accorder une audience.

Comme je lui présentais entre autres hommages le volume des documents pontificaux de l'année 1955, il me dit avec un exquis sourire et sur un ton d'une extrême bonté : « Vous m'apportez toujours beaucoup trop de trop beaux cadeaux. Cette collection est magnifiquement éditée et c'est la seule qui soit complète. Je vous bénis ainsi que tous les ouvriers d'une si belle oeuvre ».

Paroles inoubliables que je me permets de citer, à l'adresse des religieuses de l'OEuvre de Saint-Augustin de Saint-Maurice, en Valais, qui ont fait de cette édition une entreprise de foi et d'amour.

S. DELACROIX Recteur des Facultés catholiques de Lille




LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A L'OCCASION DE JOURNÉES SUR LE CINÉMA

(5 janvier 1957) 1





Des Journées internationales d'études sur le cinéma se sont tenues à La Havanne du 4 au 11 janvier. A cette occasion, Son Excellence Monseigneur Dell'Aequa, substitut de la Secrétairerie d'Etat, a fait parvenir au nom du Saint-Père la lettre suivante, en français, à Monsieur le chanoine Bernard, président de l'Office catholique international du cinéma.

Les prochaines Journées internationales d'études, organisées par l'Office catholique international du cinéma, auront lieu, pour la première fois, sur une terre d'Amérique, à La Havane, et l'institution que vous présidez y trouvera une possibilité nouvelle d'élargir son champ d'activité. Il faut s'en féliciter, car les problèmes moraux et culturels posés dans le monde par le cinéma appellent de nos jours une action concertée des catholiques. D'ailleurs, en envoyant un observateur à ces journées, qui se tiendront sous l'égide de Son Eminence le Cardinal Arteaga y Betancourt, le Saint-Siège entend bien manifester l'intérêt qu'il porte à vos débats, et je suis heureux de me faire personnellement auprès de vous l'interprète des voeux paternels de Sa Sainteté.

r D'après le texte français de VOsservatore Romano quotidien/ du 5 janvier 1957.




On ne peut certes pas dire que, par la diffusion de la cotation morale des films, l'Eglise n'exerce qu'une protection négative. Déjà, par ses jugements normatifs, elle forme la conscience des fidèles, oriente leur choix et favorise le succès des films valables. Il n'en reste pas moins que cette action nécessaire demande à être accompagnée d'un effort d'éducation proprement dit. C'est pourquoi votre prochaine session, s'inscrivant dans la suite des journées de Cologne et de Dublin, étudiera les groupements dits de culture cinématographique et leur influence sur la distribution et la production des films.

Définir et répandre une vraie culture cinématographique est une tâche à laquelle les catholiques s'appliquent déjà en de nombreux pays. Ce faisant, ils sont fidèles aux traditions de l'Eglise, indépendante des formes particulières et transitoires de civilisation, mais toujours prête à favoriser d'authentiques progrès des arts et des sciences. Et s'il est vrai que le film offre au monde contemporain un mode nouveau d'expression artistique et d'éducation collective, les fils de l'Eglise sont mieux armés que quiconque pour orienter celui-ci vers sa fin véritable et le préserver des risques d'erreur ou de déviation. Forts de ce sain optimisme qui rendait déjà l'Apôtre accueillant à « tout ce qui est juste, tout ce qui est pur... tout ce qui est digne d'éloge » (Phil. iv, 8), ils maintiendront sans faiblesse qu'il n'est pas de culture, dans le domaine du cinéma comme en tout autre, qui ne doive se mettre « au service de l'homme, pour l'aider à maintenir et réaliser l'affirmation de soi-même dans le chemin de la rectitude et du bien » 2.

En application de ces principes, il faut souhaiter que se multiplient, dans les écoles comme dans les cercles de jeunes et d'adultes, sous une forme adaptée aux différentes contrées et aux divers milieux sociaux, ces groupements de culture cinématographique, qui sont à l'ordre du jour de votre session. Par le développement du sens critique, par l'affinement du goût et l'élévation du niveau culturel, ces groupements peuvent rendre d'immenses services ; ils apprennent à dominer le déroulement d'un film — grâce à cette « énergie spirituelle » et à cette « réserve intérieure » dont a parlé le Saint-Père — à dégager, à travers le langage mieux compris des images, la portée esthétique, intellectuelle et morale de ce film : en un mot, à le juger et à en user en homme et en chrétien.

2 Discours du 21 juin 1955 ; A. A. S., XXXXVII, 1955, p. 511 ; cf. Documents Pontificaux 1955, p. 200.




La formation des animateurs de tels groupements a ici une importance décisive, et l'on ne saurait trop insister sur leurs responsabilités d'éducateurs et les exigences de leur tâche. Il va de soi notamment que l'on n'obtiendrait pas le but visé si l'on négligeait de prendre en considération, dans le jugement d'un film, l'appréciation morale portée par les organismes ecclésiastiques compétents. Sur ce point, le Saint-Père exhorte les membres de ces groupements de culture à tenir le plus grand compte, dans les analyses et les discussions, de la cotation morale. Celle-ci n'est pas une censure s'imposant du dehors, mais un élément constitutif du jugement de toute conscience chrétienne bien formée. A plus forte raison, serait-il inadmissible de présenter à des catégories de spectateurs, sous prétexte d'étude, des films déclarés mauvais et nocifs pour eux, ou encore de passer aux enfants des films réservés aux adultes. La vraie culture cinématographique ne saurait se concevoir en marge des lois de la morale.

Si, au contraire, on s'applique, grâce à une formation sérieuse et méthodique des fidèles, à préparer une opinion publique catholique disciplinée et exigeante pour la qualité artistique et morale des films, il n'est pas possible qu'un tel effort ne rencontre la faveur de tous les hommes de bonne volonté, désireux d'assainir les spectacles, d'en élever le niveau et de mettre résolument l'art cinématographique au service des plus hautes valeurs de la culture et de la civilisation. Le Saint-Père a souvent marqué l'importance actuelle de l'opinion publique ; en ce qui concerne le cinéma, celle-ci est capable d'exercer une influence parfois décisive sur l'accueil fait à tel ou tel film et, par voie de conséquence, d'agir sur la production elle-même. Ne peut-on pas dire que, pour une large part, un public a les films qu'il mérite ?

3 Discours du 28 octobre 1955 ; A. A. S., XXXXVII, 1955, p. 817 ; cf. Documents Pontificaux 1955, pp. 401-402.




Que chacun s'interroge donc sur son propre devoir et entende le grave avertissement que dictait au chef de l'Eglise sa sollicitude pour les foules d'hommes, de femmes, de jeunes gens et d'enfants qui fréquentent par millions les cinémas : « S'il survenait demain, observait-Il, une décadence spirituelle et culturelle, dont la liberté indisciplinée des films partagerait la responsabilité, quel reproche n'adresserait-on pas à la sagesse des hommes d'aujourd'hui, qui ne surent pas diriger un instrument aussi apte à éduquer et à élever les âmes, mais qui permirent au contraire qu'il se changeât en véhicule du mal ! 3 » Cette pensée doit stimuler les énergies, parce qu'elle éveille la conscience des chrétiens sur la portée et l'urgence de leurs efforts, parce qu'aussi elle en marque clairement le but. Par delà le bénéfice personnel que chacun peut tirer de sa fréquentation des groupements de culture cinématographique, il s'agit de notre responsabilité collective sur la production des films et de notre devoir d'en susciter la constante amélioration.

4 A. A. S., XXXXVII, 1955, p. 306 ; cf. Documents Pontificaux 195;, p. 194.




Sa Sainteté encourage de grand coeur tous ceux de ses fils qui se dépensent généreusement dans ce secteur de l'activité catholique, en pleine harmonie avec les directives de l'épiscopat local et sous la conduite des centres nationaux du cinéma. Qu'ils reçoivent comme adressée à eux-mêmes cette assurance que le Saint-Père donnait naguère aux producteurs de bons films : « Vous aurez avec vous, leur disait-Il, l'accord et l'approbation de tous ceux qui ont un jugement sain et une volonté droite, et surtout l'approbation de votre conscience i. » En gage aussi de sa propre et très paternelle approbation, Sa Sainteté leur envoie volontiers, ainsi qu'à vous-même, à vos collaborateurs de l'Office catholique international du cinéma, aux organisateurs et à tous les participants des Journées d'études de La Havane, le réconfort de la Bénédiction apostolique.




RADIOMESSAGE A LA JOURNÉE DE LA MÈRE ET DE L'ENFANT

(6 janvier 1957)1






Une Journée de la Mère et de l'Enfant fut organisée en Italie, le jour de l'Epiphanie par l'OEuvre nationale pour la protection de la maternité et de l'enfance. A cette occasion, le Pape a prononcé en italien le radiomessage suivant :

Nous vous adressons de grand coeur la parole, chers fils et filles, à l'occasion de la « Journée de la mère et de l'enfant », dont la célébration a été fixée fort opportunément le jour de l'Epiphanie du Seigneur. Nous voudrions, en quelque sorte, nous transporter dans l'intimité de vos maisons et nous entretenir avec vous tous, grands et petits, peut-être devant la crèche, qui orne plus d'une demeure et qui s'est enrichie, aujourd'hui, de nouveaux personnages figurant l'adoration des mages et l'offrande de leurs dons au céleste Enfant, pour vous indiquer la haute signification religieuse et les sublimes valeurs humaines qui s'unissent dans ce mystère sacré.

1 D'après le texte italien des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 72 ; traduction française de VOsservatore Romano, du 18 janvier 1957.




Quand, après un long voyage à travers le désert, les mages arrivèrent à Bethléem, où les avait conduits l'étoile, « ils entrèrent dans la maison », dit le récit évangélique (Mt 11,11), « ils trouvèrent l'Enfant avec Marie, sa mère, et se prosternant, ils l'adorèrent » ; ils trouvèrent un Enfant qui tenait dans ses mams le destin d'un monde angoissé, une Mère, modèle de toutes les mères, symbole de toute affection pure et désintéressée, et consacrée à la plus belle des missions, celle de contribuer à préparer son Fils divin à son oeuvre future, c'est-à-dire à devenir pour les hommes l'instrument de leur salut.

Aujourd'hui, cette « Journée », organisée par la vaillante « OEuvre nationale pour la protection de la maternité et de l'enfance », voudrait rendre hommage aux sublimes valeurs personnifiées dans la mère et dans l'enfant et donner une splendeur plus vive à un devoir primordial des adultes d'aujourd'hui d'assurer à l'enfant, à tous les enfants, la possibilité d'arriver au complet développement physique et moral auquel ils ont droit et les rendre ainsi capables de devenir un jour utiles à la société.

Tout en reconnaissant qu'il existe de nombreuses familles chrétiennes, où l'enfant est l'objet des soins les plus tendres et les plus assidus, un sentiment de profonde pitié et d'affection émue Nous serre le coeur, quand Nous pensons au grand nombre d'enfants, que la pauvreté, la maladie, la guerre ou d'autres douloureux événements ont privé des moyens normaux de formation : enfants orphelins, abandonnés, moralement ou totalement, que la vie a pris très tôt dans ses violents tourbillons et a plongés dans la plus amère souffrance. Ils ne sont que trop nombreux déjà ceux que les événements inconnus atteignent dans leurs corps et dans leurs âmes ; mais combien d'autres sont les innocentes victimes des fautes d'autrui, des misères matérielles et morales du milieu social dans lequel ils vivent !



Importance de l'éducation par la famille, dans les années de l'enfance.

Comment pourrait-on donc remédier à de si tristes conditions ? A qui appartient-il, en premier lieu, d'empêcher que ne se renouvelle amèrement la douleur des mères, qui, dans le mystère même de l'Epiphanie, troubla la sérénité de l'enfance de Jésus ? Avant tout, sans aucun doute, aux parents. Cependant, combien d'époux, en contractant mariage, n'ont qu'une idée fort imprécise des devoirs qui leur incomberont plus tard comme éducateurs et des exigences que cette charge impose ! L'enfant qui vient au monde doit avoir un foyer qui l'accueille, capable de lui procurer tout ce dont il aura besoin pour conserver sa santé, pour se développer et pour acquérir les facultés d'esprit et de coeur, qui lui permettront, en temps voulu, d'assumer ses fonctions dans la société. La psychologie et la pédagogie modernes mettent fortement en évidence l'importance de l'éducation reçue durant les années de l'enfance ; ce qui forme alors l'enfant n'est pas un enseignement oral, plus ou moins systématique, mais surtout



l'atmosphère du foyer, la présence et l'attitude des parents, des frères et des soeurs, du voisinage, le cours de la vie quotidienne, avec tout ce que l'enfant voit, entend, ressent. Chacun de ces éléments, peut-être minime en soi et apparemment sans aucun relief, laisse toutefois une trace et, peu à peu, détermine les attitudes fondamentales que l'enfant prendra dans la vie : confiance dans les personnes qui l'entourent, franchise, docilité, esprit d'entreprise et de discipline, respect de l'autorité ou, au contraire, individualisme égoïste, insubordination, rébellion. L'action douce mais constante, d'une famille saine, unie et bien constituée, règle les instincts naturels, les dirige dans un sens précis, les coordonne et forme ainsi des natures harmonieuses, pleinement développées individuellement et socialement. En revanche, le déséquilibre familial se répercute sur les enfants et en fait des être instables, victimes de désaccords et de sursauts intimes, incapables de réaliser un profond accord entre les tendances innées et l'idéal moral.



Rôle immense et difficile des parents.

Si certains foyers présentent des imperfections plus ou moins marquées, mais inhérentes à toute oeuvre humaine, d'autres ont malheureusement subi de tels bouleversements qu'ils deviennent vraiment inaptes à remplir leur rôle éducateur. Sans parler des enfants nés hors du mariage et qui suscitent des problèmes particuliers, il faut noter que les conditions sociales présentes créent pour les parents de sérieuses difficultés et, parfois même l'impossibilité pratique d'assurer à leurs enfants le nécessaire dans l'ordre matériel et moral. Nous pensons aux familles des émigrés et des réfugiés, à celle dont le père est en chômage ou ne reçoit qu'un salaire insuffisant, à celle dont la mère doit s'absenter normalement pour se rendre au travail; Nous pensons aux demeures trop étroites, insalubres ou sans intimité, à celles où l'invasion croissante de certains moyens de diffusion de la pensée, peut-être utiles pour des personnes mûres et posées mais néfastes pour les âmes ingénues des enfants, tend, par la faute de méchants intérêts, à supplanter l'influence du père et de la mère. Même dans les cas les plus favorables, on déplore souvent un manque, trop fréquent aujourd'hui, comme la conduite inconsidérée de ces parents qui, sans motif raisonnable, renoncent à exercer personnellement leur mission d'éducateur.

Nous voudrions exhorter ces pères et mères à sentir la grandeur de leur mission et à employer effectivement leur autorité pour apprendre à l'enfant, avec sagesse et modération, à dominer ses tendances instinctives, à stimuler sa bonne volonté, à éveiller son intelligence et son affection ; qu'ils lui transmettent le précieux héritage des plus belles et hautes traditions de la culture humaine et chrétienne. Combien de joies intimes les sollicitudes de l'éducation réservent-elles aux parents qui ne considèrent pas l'enfant simplement comme une charge ou un être amusant, mais se passionnent, au contraire, pour leur oeuvre ! Les soucis et peines qu'exige l'éducation directe sont largement compensés par les adorables merveilles que les progrès physique et spirituel de l'enfant offrent à leur regard.



Collaboration indispensable des adultes à l'éducation de l'enfant.

Mais le devoir de protéger l'enfance ne concerne pas seulement les parents, il appartient aussi, dans de justes proportions, à tous les membres de la communauté. Tout adulte — homme ou femme — contemplant les candides visages des petits qui avancent avec confiance sur les sentiers de la vie, ne devrait-il donc pas s'examiner lui-même et se demander si, par ses paroles, par sa façon d'agir, par les pensées et les désirs de son esprit, il ne devient pas une cause de trouble ou de déviation pour les jeunes êtres confiés à sa responsabilité ou pour ceux avec lesquels, chaque jour, il se rencontre dans les rues ou sur les places publiques ? Même sans y penser, même sans avoir l'intention de faire du mal, son exemple creuse de profonds sillons ; de grands yeux interrogateurs le suivent et l'observent. Réfléchit-il parfois aux images, aux impressions qui retiennent l'attention de ces petits êtres, intensément réceptifs, sensibles à ce qui les entoure et qui subissent, presque sans défense, tout ce qui se présente à eux de bon ou de mauvais ? Combien le monde deviendrait meilleur, si le souci de ne pas blesser les âmes des enfants occupait davantage les pensées !



Comment remédier aux déficiences de la famille.

La protection complète de l'enfance exige, en outre, que des oeuvres spécialisées, des consultations médicales, des asiles, des villages d'enfants, des colonies, des instituts de rééducation prennent plus particulièrement soin des cas où la famille manque gravement à sa fonction naturelle en matière d'éducation physique, intellectuelle et morale. Ces enfants seuls, privés de soutien matériel et, encore plus, de l'affection dont leur âge a tant besoin, deviendraient facilement, s'ils étaient abandonnés à leur sort, des éléments non seulement inutiles, mais souvent même dangereux, et pourraient finir aussi par accroître le nombre des délinquants. Aussi voyons-Nous avec une véritable satisfaction se développer les généreuses entreprises, publiques et privées, destinées à promouvoir et à soutenir les institutions qui s'occupent de la protection de l'enfance et de la jeunesse. En particulier, Nous connaissons bien l'importance du travail accompli par 1'« OEuvre nationale de la maternité et de l'enfance », membre de 1'« Union internationale » et qui, au moyen des « Consultations de pédiatrie et de maternité », des « Asiles-Nids », a pourvu à l'assistance providentielle de plus de 770.000 enfants. L'action prophylactique qui la distingue vise surtout à combattre les causes de mortalité chez la mère et l'enfant et à contribuer, de façon multiple, à la consolidation de l'institution familiale partout où elle se révèle inférieure à sa mission. Ceux qui, dans cette oeuvre ou dans d'autres semblables prodiguent les trésors de leur dévouement, méritent l'encouragement et l'appui de tous, parce que sur toute la communauté humaine pèsent la responsabilité et le devoir de venir au secours des enfants que des circonstances malheureuses ont laissés privés d'aide.

Comme le progrès technique exige, dans tous les domaines, des personnes plus aptes et puisque l'évolution sociale et politique rend plus nécessaire une participation active des citoyens à la bonne marche des institutions, l'éducation de la jeunesse réclame un effort plus long et plus ardu et doit employer des moyens plus onéreux. Mais ce n'est pas là une raison pour reculer devant l'ampleur de l'entreprise. Le déséquilibre social est un facteur de troubles ; il faut empêcher, par une large collaboration bien ordonnée, que se dissipe le trésor le plus précieux de la nation, les forces de sa jeunesse, et que celle-ci, par la négligence ou l'indifférence des organes responsables, n'aille grossir la masse de ceux qui sont inaptes à tout travail qualifié et sans facilités de perfectionnement culturel et moral.

Chers fils et filles ! Ce sont là les pensées que Nous Nous proposions de vous exposer en ce jour de fête chrétienne, afin de vous faire participer aux sollicitudes de Notre coeur pour



l'avenir de l'Eglise et de la société civile. Chacun de vous, mais spécialement les parents, doit considérer comme son devoir chrétien d'assurer à la nation des énergies plus vigoureuses, plus saines, plus conscientes du vrai sens de la solidarité humaine et des fins supérieures qu'elle poursuit.

Enfin, tournez de nouveau le regard vers l'Enfant de Bethléem ; de même qu'il appela les mages de l'Orient, ainsi invite-t-il à présent tous les hommes, de toutes races, à la plénitude de la félicité par la connaissance de la vérité et l'amour du bien et entend-il se servir de chacun de ses adorateurs pour transmettre ces biens aux générations suivantes. Veuille le divin Enfant soutenir les nobles efforts déjà entrepris pour donner à tous les enfants les moyens de préparer, pour eux-mêmes et pour la société, un avenir heureux et fécond !

En gage de ce souhait, Nous implorons pour vous l'abondance des faveurs célestes, en vous donnant de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.


Pie XII 1957