Pie XII 1957 - LE CONCOURS DE TOUTE L'ÉGLISE


III.

LE TRIPLE DEVOIR MISSIONNAIRE

Missionnaire depuis ses origines, la Sainte Eglise n'a cessé, pour accomplir l'oeuvre à laquelle elle ne saurait faillir, de lancer à ses fils un triple appel : à la prière, à la générosité, et, pour certains, au don d'eux-mêmes. Aujourd'hui encore les missions, notamment celles d'Afrique, attendent du monde catholique cette triple assistance.

LA PRIÈRE POUR LES MISSIONS

Aussi, Vénérables Frères, désirons-Nous, en premier lieu, qu'à cette intention l'on prie davantage et avec une ferveur plus éclairée. Il est de votre devoir d'entretenir, parmi vos prêtres et vos fidèles, une supplication incessante et instante pour une cause si sainte, de nourrir cette prière par un enseignement approprié et des informations régulières sur la vie de l'Eglise, de la stimuler enfin en certaines périodes de l'année liturgique, plus propres à évoquer le devoir missionnaire des chrétiens : Nous pensons notamment au temps de l'Avent, qui est celui de l'attente de l'humanité et des préparations providentielles du salut, à la fête de l'Epiphanie, qui manifeste ce salut au monde, et à celle de la Pentecôte, qui célèbre la fondation de l'Eglise au souffle de l'Esprit-Saint.

Mais la forme la plus excellente de prière n'est-elle pas celle que le Christ, Souverain Prêtre, adresse lui-même au Père sur les autels où il renouvelle son sacrifice rédempteur ? Multiplions, en ces années peut-être décisives pour l'avenir du catholicisme en de nombreux pays, les messes célébrées aux intentions des missions : ces intentions sont celles mêmes du Seigneur, qui aime son Eglise et la voudrait répandue et florissante en tous lieux de la terre. Sans contester en rien la légitimité des demandes particulières des fidèles, il convient de rappeler à ceux-ci les intentions primordiales qui sont indissolublement liées à l'acte même du sacrifice eucharistique et sont d'ailleurs inscrites au Canon de la messe latine ; in primis... pro Ecclesia tua sancta catholica, quam pacificare, custodire, adunare et regere digneris toto orbe terrarum. Ces perspectives supérieures seront d'ailleurs mieux comprises si l'on garde présent à l'esprit, selon l'enseignement de notre Encyclique Mediator Dei, que toute messe célébrée est essentiellement un acte d'Eglise, car « le ministre de l'autel y représente le Christ en tant que Chef offrant au nom de tous ses membres » 16 ; c'est donc l'Eglise tout entière qui, par le Christ, présente au Père l'offrande sainte pro totius mundi salute. Comment dès lors la prière des fidèles ne s'y élèverait-elle pas, en union avec le Pape, les Evêques et toute l'Eglise, pour implorer de Dieu une nouvelle effusion de l'Esprit-Saint, grâce à laquelle, « le monde entier, débordant de joie, chante par toute la terre sa jubilation » 1T.

Priez donc, Vénérables Frères et chers fils : priez davantage. Souvenez-vous des immenses besoins spirituels de tant de peuples encore si éloignés de la vraie foi ou si démunis de secours pour y persévérer. Tournez-vous vers le Père céleste et, avec Jésus, répétez la prière qui fut celle des premiers Apôtres et demeure celle des ouvriers apostoliques de tous les temps : sanctificetur nomen tuum, adveniat regnum tuum, fiat voluntas tua sicut in caelo et in terra » I C'est pour l'honneur de Dieu et l'éclat de sa gloire que Nous voulons que son règne de justice, d'amour et de paix soit enfin instauré en tous lieux. Ce zèle de la gloire de Dieu, dans un coeur brûlant d'amour pour ses frères, n'est-il pas par excellence le zèle missionnaire ? L'Apôtre est d'abord le héraut de Dieu.

17 Cf. A. A. S., 39, 1947, p. 556. Préface de la Pentecôte.


LA CHARITÉ POUR LES MISSIONS

Mais quelle serait la sincérité d'une prière pour l'Eglise missionnaire, si elle ne s'accompagnait, à la mesure des possibilités de chacun, d'un geste de générosité ? Certes, Nous savons plus que quiconque l'inépuisable charité de Nos fils, Nous qui en recevons sans cesse d'émouvants et multiples témoignages. Nous savons que c'est grâce à leur générosité que furent réalisés les étonnants progrès de l'évangélisation depuis le début de ce siècle. Nous remercions ici tous Nos chers fils et chères filles qui se dévouent au service des missions dans des oeuvres multiples, inspirées par une charité industrieuse. Et Nous voulons rendre un spécial hommage à ceux qui, dans les Oeuvres pontificales missionnaires, se consacrent à la tâche, parfois ingrate mais combien noble, de tendre la main au nom de l'Eglise en faveur des jeunes chrétientés qui sont sa fierté, et son espoir. De grand coeur, Nous les félicitons, comme aussi Nous disons Notre gratitude à tous les membres de la S. Congrégation de la propagande qui, sous la conduite de Notre cher fils le Cardinal préfet, assument l'importante fonction de servir les progrès de l'Eglise dans de vastes continents.

Néanmoins, Notre charge apostolique Nous fait un devoir, Vénérables Frères, de vous dire que ces dons, recueillis avec tant de reconnaissance, sont, hélas, loin de suffire aux besoins croissants de l'apostolat missionnaire. Constamment Nous recevons les appels angoissés de pasteurs, qui voient le bien à faire, le mal à conjurer d'urgence, l'édifice indispensable à construire, l'oeuvre à fonder ; grande est Notre souffrance de ne pouvoir donner à ces requêtes si légitimes qu'une réponse partielle et insuffisante. Ainsi en est-il, par exemple, de l'Oeuvre pontificale de saint Pierre Apôtre : les subsides qu'elle distribue aux séminaires des pays de missions sont considérables, mais les vocations y sont, grâce à Dieu, chaque année plus nombreuses et exigeraient des fonds plus importants encore. Faudra-t-il donc restreindre ces vocations providentielles à la mesure des sommes disponibles ? Faudra-t-il, faute d'argent, fermer les portes du séminaire à des jeunes pleins de générosité et d'espoir, comme on y fut, dit-on, parfois contraint ? Non, Nous ne voulons pas croire que le monde chrétien, mis en face de ses responsabilités, ne fera pas l'effort exceptionnel qui s'impose pour satisfaire à de telles nécessités.

Nous n'ignorons pas la dureté des temps actuels et les difficultés des diocèses anciens d'Europe ou d'Amérique. Mais, si l'on citait des chiffres, il apparaîtrait vite que la pauvreté des uns est une relative aisance auprès du dénuement des autres ! Vaine comparaison d'ailleurs, car il s'agit moins ici d'établir des budgets que d'exhorter tous les fidèles, ainsi que Nous le faisions déjà en une solennelle circonstance, « à s'enrôler sous le signe du renoncement chrétien et du don de soi, qui va au-delà de ce qui est prescrit et fait mener le bon combat généreusement, à chacun selon ses forces, selon l'appel de la grâce et sa propre condition... Ce qu'on retranchera à la vanité, ajoutions-Nous, on le donnera à la charité, on le donnera miséricordieusement à l'Eglise et aux pauvres » 18. Avec l'argent qu'un chrétien dépense parfois pour des loisirs fugitifs, que ne ferait pas tel missionnaire, paralysé dans son apostolat faute de ressources ! Que chaque fidèle, chaque famille, chaque communauté chrétienne s'interrogent sur ce point. Vous souvenant de « la générosité de Jésus-Christ Notre Seigneur, qui de riche s'est fait pauvre pour vous, afin de vous enrichir par sa pauvreté » (2Co 8,9), donnez de votre superflu, parfois même de votre nécessaire. De votre libéralité, dépend l'essor de l'apostolat missionnaire. La face du monde pourrait être renouvelée par une victoire de la charité.


LE RECRUTEMENT MISSIONNAIRE

L'Eglise en Afrique, comme dans les autres territoires de mission, manque d'apôtres. Et c'est pourquoi Nous Nous tournons à nouveau vers vous, Vénérables Frères, pour vous demander de favoriser de toutes manières le recrutement des vocations missionnaires : prêtres, religieux, religieuses.

18 Discours du 2 novembre 1950, A. A. S., XXXXII, p. 7S7 ; cf. Documents Pontificaux *950, p. 512.




Il vous appartient, en premier lieu, de développer parmi vos fidèles, ainsi que Nous le disions plus haut, un état d'esprit, une ouverture d'âme, qui les rendent plus sensibles aux préoccupations universelles de l'Eglise et plus aptes à entendre l'antique appel du Seigneur, renouvelé d'âge en âge : « Quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père et va dans le pays que je te montrerai ! » (Gen. xii, a). Une génération formée à ces perspectives vraiment catholiques, tant dans la famille qu'à l'école, à la paroisse, dans l'Action catholique et les oeuvres de piété, une telle génération donnera à l'Eglise les apôtres dont elle a besoin pour annoncer l'Evangile à tous les peuples. Ce souffle missionnaire, au surplus, en animant l'ensemble de vos diocèses, sera pour eux un gage de renouveau spirituel. Une communauté chrétienne qui donne ses fils et ses filles à l'Eglise ne saurait mourir. Et, s'il est vrai que la vie surnaturelle est une vie de charité et qu'elle s'accroît par le don d'elle-même, on peut affirmer que la vitalité catholique d'une nation se mesure aux sacrifices qu'elle consent pour la cause missionnaire.

Il ne suffit pourtant pas de créer une atmosphère favorable à cette cause ; il faut faire plus. Il existe, grâce à Dieu, de nombreux diocèses assez largement pourvus en prêtres pour consentir sans risques pour eux-mêmes le sacrifice de quelques vocations. C'est à eux surtout que Nous Nous adressons avec une paternelle insistance : donnez selon vos moyens... (Luc xi, 41). Mais Nous songeons également à ceux de Nos frères dans l'épis-copat qu'angoisse une cruelle raréfaction des vocations sacerdotales et religieuses et qui ne peuvent déjà suffire aux nécessités spirituelles de leurs propres ouailles. Nous faisons Nôtres leurs souffrances de pasteurs et volontiers Nous leur dirions, comme S. Paul aux Corinthiens : « Il ne s'agit pas, pour soulager autrui, de vous réduire à la gêne ; ce qu'il faut, c'est l'égalité. » (II Cor. vin, 13). Que ces diocèses éprouvés ne se ferment cependant pas à l'appel des missions lointaines. L'obole de la veuve fut citée en exemple par le Seigneur, et la générosité d'un diocèse pauvre envers de plus pauvres que lui ne saurait l'appauvrir. Dieu ne se laisse pas vaincre en générosité.

Pour résoudre efficacement les problèmes complexes du recrutement missionnaire, les efforts isolés ne peuvent toutefois suffire. Ne manquez donc point, Vénérables Frères, de les évoquer lors de vos assemblées et dans le cadre des organisations nationales là où elles existent : il sera plus facile, à ce niveau, de mettre en oeuvre les moyens d'action les mieux adaptés à l'éveil des vocations missionnaires, et ensemble vous porterez plus aisément les responsabilités qui vous lient solidairement au service des intérêts généraux de l'Eglise. Favorisez largement dans vos diocèses l'Union missionnaire du clergé, si souvent recommandée par Nos prédécesseurs et par Nous-même. Nous venons de l'élever à la dignité d'Oeuvre pontificale, en sorte que nul ne puisse douter de l'estime que Nous lui accordons et du prix que Nous attachons à son développement. Enfin, qu'une étroite coordination des efforts, facteur indispensable de succès, s'établisse partout entre les pasteurs d'âmes et ceux qui servent plus immédiatement les missions : Nous pensons ici notamment aux présidents nationaux des Oeuvres pontificales missionnaires, dont vous faciliterez le travail en soutenant de votre autorité et de votre zèle les directions diocésaines de ces mêmes oeuvres ; Nous pensons aussi aux supérieurs des si méritantes congrégations auxquelles le Saint-Siège ne cesse de faire appel pour répondre aux besoins les plus urgents des missions et qui ne peuvent accroître leur recrutement qu'avec la bienveillante compréhension des ordinaires locaux. Etudiez d'un commun accord la meilleure façon de concilier les intérêts valables des uns et des autres ; si ces intérêts semblent parfois diverger momentanément, n'est-ce pas qu'on cesse de les considérer avec assez de foi dans les perspectives surnaturelles de l'unité et de la catholicité de l'Eglise ?

Dans le même esprit de collaboration fraternelle et désintéressée, vous aurez à coeur, Vénérables Frères, de veiller à l'assistance spirituelle des jeunes Africains et Asiatiques, que la poursuite de leurs études amènerait à séjourner temporairement dans vos diocèses. Privés des cadres sociaux naturels de leurs pays d'origine, ils restent souvent, et pour divers motifs, sans contacts suffisants avec les milieux catholiques des nations qui les accueillent. Leur vie chrétienne, de ce fait, peut se trouver en péril, car les vraies valeurs de la civilisation nouvelle qu'ils découvrent leur demeurent encore cachées alors que déjà des influences matérialisantes s'exercent fortement sur eux et que des associations athées s'efforcent de gagner leur confiance. L'importance de cet état de choses pour le présent et pour l'avenir ne saurait vous échapper. Aussi, répondant aux préoccupations des évêques de missions, n'hésiterez-vous pas à consacrer à cet apostolat quelques prêtres expérimentés et dévoués de vos diocèses.

Une autre forme d'entraide, plus onéreuse sans doute, est même pratiquée par certains évêques, qui autorisent tel ou tel de leurs prêtres, fût-ce au prix de quelques sacrifices, à partir se mettre, pour une durée limitée, à la disposition des ordinaires d'Afrique. Ce faisant, ils rendent à ceux-ci un service irremplaçable tant pour assurer l'implantation, sage et discrète, des formes nouvelles et plus spécialisées du ministère sacerdotal, que pour suppléer le clergé de ces diocèses dans les tâches d'enseignement, ecclésiastique et profane, auxquelles il ne peut plus suffire. Nous encourageons volontiers ces initiatives généreuses et opportunes ; préparées et réalisées avec prudence, elles peuvent apporter une solution précieuse dans une période difficile, mais pleine d'espérance, du catholicisme africain.

L'aide aux diocèses missionnaires revêt enfin de nos jours une forme qui réjouit Notre coeur et que Nous voulons signaler en terminant. C'est le rôle efficace que des militants laïques, agissant le plus souvent dans le cadre de mouvements catholiques nationaux ou internationaux, acceptent de jouer au service des jeunes chrétientés. Leur coopération exige dévouement, modestie et prudence, mais de quel prix n'est pas l'aide ainsi apportée à ces diocèses affrontés à des tâches apostoliques nouvelles et urgentes ! En pleine soumission à l'évêque du lieu, responsable de l'apostolat, en parfaite collaboration aussi avec les catholiques africains, qui comprennent le bienfait de ce soutien fraternel, ces militants laïques offrent à des diocèses récents le bénéfice d'une longue expérience de l'action catholique et de l'action sociale, ainsi que de tous les autres modes d'un apostolat spécialisé. Ils favorisent aussi — et ce n'est pas le moins utile — le rattachement rapide des organisations locales à l'ample réseau des institutions catholiques internationales. De tout coeur Nous les félicitons de leur zèle au service de l'Eglise.

CONCLUSION

« DUC IN ALTUM !... »

En vous adressant ce grave et pressant appel en faveur des missions d'Afrique, Notre pensée, vous l'avez compris, Vénérables Frères, ne s'est pas détachée de tous ceux de Nos fils qui se consacrent à la progression de l'Eglise en d'autres continents. Tous nous sont également chers, ceux surtout qui souffrent davantage dans les missions d'Extrême-Orient. Et si la conjoncture propre à l'Afrique fut l'occasion de cette Lettre encyclique, Nous ne voulons pas achever celle-ci sans étendre une dernière fois notre regard à l'ensemble des missions catholiques.

A vous, Vénérables Frères, pasteurs responsables de ces terres nouvellement évangélisées, qui plantez l'Eglise ou la consolidez au prix de tant de labeurs, Nous voudrions que Notre Lettre vous apporte non seulement le témoignage de Notre paternelle sollicitude, mais l'assurance aussi que toute la communauté chrétienne, alertée à nouveau sur l'ampleur et les difficultés de votre tâche, est plus que jamais à vos côtés pour vous soutenir par ses prières, ses sacrifices et l'envoi des meilleurs de ses enfants. Qu'importe la distance matérielle qui vous sépare du Centre de la chrétienté ! Dans l'Eglise, les plus valeureux et les plus exposés de ses fils ne sont-ils pas les plus proches de son coeur ? A vous, aussi, missionnaires, prêtres du clergé local, religieux et religieuses, séminaristes, catéchistes, militants laïques, à vous tous, apôtres de Jésus-Christ, en quelque poste lointain et ignoré que vous soyez, Nous redisons Notre gratitude et Notre espérance ; persévérez avec confiance dans l'oeuvre entreprise, fiers de servir l'Eglise, attentifs à sa voix, pénétrés toujours davantage de son esprit, unis par les liens d'une charité fraternelle. Quelle source de réconfort pour vous, chers fils, et quelle assurance de victoire, dans la pensée que l'obscur et pacifique combat que vous menez au service de l'Eglise n'est pas seulement le vôtre, ni même celui de votre génération ou de votre peuple : il est en vérité le combat permanent de l'Eglise entière, auquel tous ses fils auront à coeur de participer plus activement, redevables qu'ils sont à Dieu et à leurs frères du don de la foi reçu au baptême.

« Prêcher l'Evangile n'est pas pour moi un titre de gloire, disait l'Apôtre des nations ; c'est une nécessité qui m'incombe. Ah ! malheur à moi si je ne prêchais pas l'Evangile ! » (I Cor. ix, 16.) Ces véhémentes paroles, comment ne Nous les appliquerions-Nous pas à Nous-même, vicaire de Jésus-Christ, qui, par Notre charge apostolique, sommes établi « en qualité de héraut et d'apôtre... avec la mission d'enseigner aux nations païennes la foi et la vérité ». (I Tim. ii, 7) ? Invoquant donc sur les Missions catholiques le double patronage de S. François-Xavier et de Ste Thérèse de l'Enfant Jésus, la protection de tous les saints martyrs et surtout la puissante et maternelle intercession de Marie, Reine des Apôtres, Nous adressons de nouveau à l'Eglise l'impérieuse et victorieuse invitation de son divin Fondateur : Duc in altum. (Luc v, 4.)

Dans la confiance que tous les catholiques répondront à Notre appel avec une si ardente générosité que, par la grâce de Dieu, les missions pourront enfin porter jusqu'aux extrémités de la terre les lumières du christianisme et les progrès de la civilisation, Nous vous accordons de grand coeur, en gage de Notre paternelle bienveillance et des faveurs célestes, à vous, Vénérables Frères, à vos fidèles et à tous et chacun des hérauts de l'Evangile, Notre Bénédiction apostolique.


RADIOMESSAGE PASCAL (21 avril 1957)


1 1 D'après le texte italien des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 276 ; traduction française de l'Osservatore Romano, du 26 avril 1957.


Comme chaque année, le jour de Pâques à midi, le Saint-Père prononça du haut de la loggia de St-Pierre, un radiomessage à la Ville éternelle et au monde. Voivi la traduction du texte original italien :

Une fois encore une multitude immense « de toute langue, peuple et nation » (Apoc. v, 9), remplit cette place majestueuse qui semble vous étreindre et vous unir tous, chers fils et filles. Et avec vous, spirituellement présents, les millions d'autres fidèles, qui écoutent avec dévotion Notre voix.

Une lumière nouvelle brille à vos yeux, un hymne de joie et de gloire résonne dans vos coeurs : des milliers et des milliers de voix le chantent, les harmonies et les orgues l'accompagnent, le son des cloches le répand dans l'air, sur les monts et dans les vallées. C'est Pâques. C'est le jour que le Seigneur a fait pour notre exultation, pour notre joie : Haec dies quam fecit Dominus, exultemus et laetemur in ea 2.


2 Office du dimanche de la Résurrection.


Le Seigneur sait comment Nous voudrions pénétrer dans chaque maison, passer à travers toutes les salles des hôpitaux, Nous arrêter près de chaque berceau pour le bénir, Nous pencher avec tendresse sur toute souffrance ; Nous voudrions pouvoir libérer les hommes de toute peur, pour donner à tous la paix, pour les remplir tous de joie. Malheureusement il n'est pas possible de réaliser Notre ardent désir ; alors Nous Nous bornerons à vous adresser Notre parole, à vous confier — comme Nous l'avons fait d'autres fois — quelques pensées qui Nous sont venues au coeur durant Notre méditation.

Les échos du « Chant de l'Exultet » viennent à peine de s'éteindre, et parmi tous les motifs qui se suivent, se croisent et se fondent en une harmonie hardie, l'un en particulier Nous demeure dans l'âme. Après l'invitation à l'exultation, adressée à la troupe angélique des cieux, à la terre, à l'Eglise mère des chrétiens et à tous les peuples, l'attention du chant liturgique s'arrête sur la nuit qui précéda la résurrection du Seigneur. Nuit véritable, nuit de passion, d'angoisse, de ténèbres ; et pourtant nuit bienheureuse : vere beata nox ; parce que seule elle mérita de connaître le temps et l'heure où le Christ ressuscita de la mort, mais surtout parce qu'il fut écrit d'elle : la nuit s'illuminera comme le jour : et nox sicut dies illuminabitur. Une nuit qui préparait l'aube et la splendeur d'un jour lumineux ; une angoisse, des ténèbres, une ignominie, une passion, qui préparaient la joie, la lumière, la gloire, la résurrection.



Le calme après la tempête.

i. — Considérez, chers fils, ce qui arrive dans une nuit de tempête. Il semble que la nature soit bouleversée et arrivée à sa dernière heure, sans espoir. Le voyageur égaré n'a même plus la faible lumière des étoiles lointaines pour en recevoir confiance et direction ; les plantes, les fleurs, toute la palpitation de la vie est engloutie dans l'ombre, une ombre qui semble une mort. Comment sera-t-il possible de réveiller les chants et les parfums ? Il semble que tout effort soit inutile : on ne reconnaît pas les êtres dans l'obscurité, on ne retrouve pas le chemin, les paroles se perdent dans la fureur de la bourrasque.

Et pourtant tous les éléments y sont ; dans les mottes même de la terre, il y a un frémissement d'attente ; les semences gémissent dans la souffrance ; les oiseaux de l'air tiennent les ailes immobiles, désireuses de s'élancer dans un libre vol, mais rien ne peut se mouvoir.

Voici cependant que vers l'Orient pointe une faible lueur ; le fracas du tonnerre se calme, le vent dissipe les nuages et l'éclat des étoiles apparaît : c'est l'aurore. Le pèlerin s'arrête ; un sourire se montre sur son visage fatigué, tandis que son ceil brille d'espérance. Le ciel s'empourpre ; les couleurs changent rapidement et s'éclaircissent ; un dernier frémissement, un éclair, une lueur : c'est le soleil. La terre s'ébranle, la vie se dresse, un chant s'élève.



La nuit qui précède la Résurrection.

2. — De même, la nuit qui précéda la résurrection de Jésus fut une nuit de désolation et de larmes, ce fut une nuit de ténèbres. Ses ennemis étaient satisfaits d'avoir finalement enfermé dans la tombe le « séducteur du peuple ». Une fois frappé le pasteur, le petit troupeau s'était dispersé. Les amis de Jésus, désolés, déconcertés, sont contraints de se cacher par crainte des scribes et des pharisiens. Jésus est dans la tombe. Sa dépouille repose sur la roche froide et tout son corps demeure couvert de plaies ; ses lèvres sont muettes. Que reste-t-il encore de ses paroles, qui savaient encourager, réconforter, illuminer, ses paroles si pleines de majesté et de sagesse ? Où sont ses ordres aux vents et aux tempêtes ; son pouvoir d'échapper aux embûches diaboliques de ses ennemis ou de faire front courageusement à leurs fureurs ? Où est le don de guérir les malades, de ressusciter les morts ? Tout (semblait-il) était fini ; et avec Lui ont été ensevelis dans la tombe, non seulement les ambitieux projets de certains, mais aussi les modestes espérances de beaucoup. Tout est fini murmurent les hommes ; et dans leur voix résonne une tristesse désespérée. Tout est fini, semblent répondre les choses.

Et pourtant celui qui aurait pu regarder au-delà de la pierre qui fermait le sépulcre aurait eu l'impression que les yeux de Jésus n'étaient pas fermés par la mort mais par le sommeil ; il n'y avait pas de traces de corruption dans ses membres et son visage portait encore bien visible les signes de sa beauté surhumaine, de sa bonté infinie. Après la mort, le corps de Jésus, comme son âme, demeura uni au Verbe, avec la divinité, qui vit et agit dans ses membres. Non loin, dans une petite maison humble et silencieuse, brûle une flamme de foi jamais éteinte : Marie attend Jésus avec confiance.

Et voici que la terre tremble ; l'ange descend du ciel, renverse la lourde pierre qui ferme le sépulcre, et s'asseoit sur elle, majestueux et serein. Les soldats fuient et vont porter rudement aux ennemis de Jésus la première preuve de leur cuisante défaite. C'est l'aube désormais.

Marie-Madeleine est en train de courir, presque sans savoir où, poussée par un amour qui ne lui permet pas de s'arrêter ni de réfléchir : la voici, à l'improviste, comme défaillante devant Jésus, qui la salue avec une tendresse infinie. Les pieuses femmes, le coeur en tumulte à cause de l'annonce que l'ange leur a faite, rencontrent, elles aussi, Jésus et volent vers les apôtres pour annoncer la résurrection, pour leur faire partager leur joie, leur paix. Cependant Pierre a reçu du Seigneur par un signe ineffable, la certitude de son pardon. Et Jésus entre au Cénacle, les portes fermées et trouve les apôtres ; il les réconforte, les calme ; il leur laisse sa paix. Puis il revient pour raffermir la foi vacillante de Thomas. Huit jours plus tôt, sur la route d'Em-maûs, il s'était fait le compagnon de deux disciples désolés et s'était montré à eux au moment où il rompait le pain.

La nuit est finie : avec elle est finie l'angoisse, finie l'épouvante ; disparus les doutes ; les ténèbres se sont illuminées ; l'espérance, la certitude, sont revenues. Le soleil resplendit de nouveau. Un chant joyeux s'élève : « Il est ressuscité. Alléluia. »



nuit qui nous enveloppe n'est pas sans espoir.

3. — Ainsi voudrions-Nous, fils très chers, qu'une autre nuit, celle qui est tombée sur le monde et qui oppresse les hommes, voie bientôt son aube et soit caressée des rayons d'un nouveau soleil.

Nous avons plusieurs fois fait remarquer que les hommes de toutes les nations et de tous les continents, sont contraints de vivre, désorientés et tremblants, dans un monde bouleversé et bouleversant. Tout est devenu relatif et provisoire, parce que toujours moins efficient, et par conséquent moins efficace. L'erreur, dans ses formes presque innombrables, a asservi les intelligences de créatures par ailleurs fort remarquables, et le dérèglement des moeurs sous toutes ses formes a atteint un degré de précocité, d'impudence, d'universalité tel qu'il préoccupe sérieusement ceux qui ont souci du sort du monde. L'humanité semble un corps contaminé et couvert de plaies, dans lequel le sang circule à grand-peine, parce que les individus, les classes, les peuples, s'obstinent à demeurer séparés et par conséquent sans communication. Et quand ils ne s'ignorent pas, ils se haïssent : ils conspirent, ils luttent, ils se détruisent.

Mais cette nuit du monde comporte elle aussi des signes clairs d'une aube qui viendra, d'un jour nouveau caressé par un soleil nouveau et resplendissant.


La science bien dirigée peut servir l'homme.

Cependant les moyens de développer la vie de manière plus pleine et plus libre se multiplient providentiellement dans le monde. Tandis que les découvertes de la science élargissent l'horizon des possibilités humaines, la technique et l'organisation rendent effectives de telles conquêtes, en les mettant au service immédiat de l'homme. L'énergie nucléaire a déjà pratiquement inauguré une époque nouvelle : les maisons sont déjà éclairées par une énergie provenant de l'utilisation de la fission nucléaire, et le jour ne semble pas trop lointain où les villes seront éclairées et les machines actionnées par des processus de synthèse semblables à ceux qui font briller depuis des milliards d'années le soleil et les autres étoiles. L'électronique et la mécanique sont en train de changer le monde de la production et du travail par l'automation : l'homme devient, ainsi, toujours plus maître de ses oeuvres et voit son travail s'élever en qualification et en intelligence. Les moyens de transports unissent un point à l'autre de la planète en un réseau unique, qui peut être bouclé avec une rapidité supérieure à la vitesse apparente du soleil. Les projectiles labourent la profondeur des cieux et les satellites artificiels sont sur le point d'étonner l'espace de leur présence. L'agriculture multiplie avec la chimie nucléaire les possibilités d'alimenter une humanité beaucoup plus nombreuse que celle d'aujourd'hui, tandis que la biologie gagne de jour en jour du terrain dans la lutte contre les maladies les plus terribles.


Avec Jésus, notre nuit peut resplendir comme le jour.

Et pourtant tout cela est encore une nuit. Nuit, à vrai dire, pleine de frissons et d'espérances, mais nuit. Nuit qui pourrait même devenir tout à coup tempétueuse, s'il apparaissait çà et là des lueurs d'éclairs et si on entendait éclater des coups de tonnerre. N'est-il pas vrai que la science, la technique et l'organisation sont devenues souvent sources de terreur pour les hommes ?

Ceux-ci ne sont donc plus aussi sûrs qu'autrefois. Ils voient avec assez de clarté qu'aucun progrès ne peut à soi seul faire renaître le monde. Beaucoup entrevoient déjà — et l'avouent — qu'on est arrivé à cette nuit du monde parce que Jésus a été arrêté, parce qu'on a voulu le rendre étranger à la vie familiale, culturelle et sociale ; parce que le peuple s'est soulevé contre Lui, parce qu'il a été crucifié et rendu muet et inerte.

Et il y a une multitude d'âmes hardies et promptes, persuadées que la mort et la sépulture de Jésus ne furent possibles que parce qu'il se trouva parmi ses amis des gens pour le renier et le trahir ; parce qu'il y en eut tant qui s'enfuirent épouvantés devant les menaces des ennemis. Ces âmes savent qu'une action opportune, concordante et organisée changera la face de la terre, la renouvellera et l'améliorera.

Il est nécessaire d'enlever la pierre tombale avec laquelle on a voulu enfermer dans le sépulcre la vérité et le bien ; il faut faire ressusciter Jésus ; d'une résurrection vraie, qui n'admette plus aucune domination de la mort : « Le Seigneur est vraiment ressuscité. » (Lc 24,34), « La mort n'aura plus sur lui de pouvoir » (Rm 6,9).

Dans les individus, Jésus doit détruire la nuit de la faute mortelle par l'aube de la grâce reconquise.

Dans les familles, à la nuit de l'indifférence et de la froideur, doit succéder le soleil de l'amour.

Dans les lieux de travail, dans les villes, dans les nations, dans les terres de l'incompréhension et de la haine, la nuit doit devenir lumineuse comme le jour nox sicut dies illuminabitur : et la lutte cessera, et l'on fera la paix.

Venez, Seigneur Jésus.

L'humanité n'a pas la force d'écarter l'obstacle qu'elle-même a créé en cherchant à empêcher votre retour. Envoyez votre ange, ô Seigneur, et faites que notre nuit devienne lumineuse comme le jour.

Combien de coeurs, ô Seigneur, vous attendent ! Combien d'âmes se consument pour hâter le jour où Vous vivrez et régnerez seul dans les coeurs !

Venez, Seigneur Jésus.

Il y a tant de signes que votre retour n'est pas loin.

O Marie, qui l'avez vu ressuscité ; Marie dont la première apparition de Jésus a supprimé l'angoisse inénarrable produite par la nuit de la passion ; Marie, c'est à Vous que nous offrons les prémices de ce jour. A Vous, Epouse de l'Esprit divin, notre coeur et notre espérance.

Ainsi soit-il !



DISCOURS AUX ORGANISATEURS DU 77e « KATHOLIKENTAG » DE COLOGNE (22 avril 1957)


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Recevant en audience le Comité local des catholiques d'Allemagne, qui avaient organisé le 77e « Katholikentag » de Cologne, en 1956, le Souverain Pontife leur adressa un discours en allemand, dont voici la traduction :

Nous Nous réjouissons de pouvoir vous saluer ici, chers fils et chères filles. Votre visite Nous donne l'occasion souhaitée de vous exprimer, à vous et à tous les membres du comité du Katholikentag, pour le travail exemplaire que vous avez fourni dans la préparation et la réalisation du Katholikentag de l'an dernier à Cologne, Notre reconnaissance, Notre merci, car votre travail a servi l'Eglise, l'Eglise du territoire allemand, comme aussi l'Eglise universelle.

La mise en oeuvre d'un rassemblement comme le Katholikentag de Cologne n'est pas une petite chose. Nous le savons. Une telle mise en oeuvre demande beaucoup d'esprit et d'imagination pour établir tout le programme, de sens pratique et de talent d'organisation, de ténacité et de persévérance, de circonspection et de prudence, jusqu'à ce que l'activité des nombreuses différentes sections forme un tout harmonieux, beaucoup de patience et d'abnégation, de renoncement au moi propre pour la réussite de la grande chose qu'on veut réaliser et que l'on sert.

La réalisation fut parfaite. En sont témoins vos frères et vos soeurs, venus de Berlin, de la zone-est et de tout l'univers catholique. Ils sont repartis de Cologne remplis de joie pour l'amour avec lequel vous les avez reçus et qui avait pensé à tout.

La mise en oeuvre d'un rassemblement important comme le Katholikentag de Cologne est, de sa nature, pour une très grosse part, une affaire de technique et d'organisation. Mais ce fut pour vous une technique et une organisation vivantes. Vous avez mis tout votre coeur à l'ensemble, comme à chacun de ses détails, toute votre foi en vue de sa réalisation, tout votre amour et votre dévouement à vos frères et à vos soeurs, à l'Eglise, au Christ : l'amour du Christ fut le principe et la fin, la force qui a tout dominé et tout réuni, la vigueur intime de votre travail généreux pour le Katholikentag.

Que Dieu vous le rende. En gage de cette récompense, Nous vous accordons à vous et à tous ceux que vous portez dans votre coeur, avec une bienveillance toute paternelle, la Bénédiction apostolique.



Pie XII 1957 - LE CONCOURS DE TOUTE L'ÉGLISE