Pie XII 1957 - RADIOMESSAGE POUR LE 4508 ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE SAINT FRANÇOIS DE PAULE


DISCOURS A LASSOCIATION DES COMITÉS POUR LE PACTE ATLANTIQUE

(27 juin 1957) 1






Lors d'une audience accordée aux participants à la 3e Assemblée annuelle de l'Association des Comités pour le Pacte atlantique, le Saint-Père a prononcé un discours en anglais, dont voici la traduction :

Votre Association, messieurs, porte un titre qui, au premier coup d'ceil, semblerait rappeler le mur massif d'un océan violent et agité, qui étend ses profondeurs mystérieuses et sépare de façon permanente les continents des hommes. Mais cet océan ne fut jamais entendu par le Créateur, comme vous le savez bien et l'appréciez, pour séparer en unités isolées les peuples habitant les terres baignées par ses eaux. La science, dans ses progrès géants, spécialement au cours de la première moitié de ce siècle, a conquis de nombreuses barrières dues à la distance et à la difficulté de communication ; et l'échange des visiteurs des pays bordant la mer s'accroît d'année en année.

1 D'après le texte anglais des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 632 ; traduction française de ï'Csseroatore Romano, du 12 juillet 1957.




Mais même si ces visiteurs peuvent être impressionnés par les monuments qui révèlent la civilisation chrétienne commune de l'Occident et sa culture, personne n'affirmera que c'est suffi' sant pour les éclairer sur l'union plus profonde, plus étroite et plus sûre existant entre leurs peuples et tous les peuples du monde. Ceci n'est perçu ni par l'oeil ni par l'oreille. C'est une vérité qui réclame l'instruction et l'étude. Un but, notons-Nous, de votre organisation — VAtlantic Treaty Association — nécessairement limité dans son domaine actuel à certains pays, est de donner cette instruction, et avec une admirable sagesse vous

désirez assurer la coopération des écoles à cette tâche. Ce qui est tout à votre éloge.

L'école a, en vérité, un rôle indispensable à jouer dans la réalisation de la paix du monde. Le moment est venu d'élargir les vues de la jeunesse et d'ouvrir leurs esprits à un souffle de catholicité. Faites-leur respirer cette atmosphère fortifiante de charité universelle, purifiée par la foi, qui enseigne que dans le plan de Dieu, tout homme est le frère de son prochain, tout peuple un membre de la famille des nations, qui forme une seule communauté destinée à une fin commune, avec de graves obligations sociales reposant sur tous. Soyez assurés, messieurs, que Nous approuvons de tout coeur les généreux efforts que votre association fera dans le but d'inculquer cette vérité dans les esprits des générations montantes et de le maintenir éveillé.

Nous avons été très heureux d'accéder à la requête de votre président en vous recevant ce matin ; et, avec ces quelques paroles d'encouragement paternel, Nous implorons les bénédictions de Dieu pour vous, pour ceux qui vous sont chers et pour tous les membres de votre association.

DISCOURS AU COMITÉ JUIF AMÉRICAIN

(28 juin 1957) 1






L'« American Jeioish Committee », de New York, lors d'un voyage en Europe pour remercier tous ceux qui assistèrent les Juifs pendant la dernière guerre, avait tenu à renouveler sa particulière gratitude au Souverain Pontife. Le Pape reçut en audience les membres de cette organisation et leur adressa un bref discours en anglais, dont voici la traduction :

Le Comité juif américain, que vous représentez dignement, messieurs, vient d'accomplir cinquante ans d'activité en faveur des droits et des conditions sociales de ceux de votre race qui, avec d'autres minorités, subirent la violation des droits fondamentaux inhérents à la personne humaine. Combien d'entre eux, contraints à abandonner leur pays de naissance et à chercher, au loin, en des lieux étrangers, un refuge pour reconstruire un nouveau foyer, durent affronter des situations presque désespérées, qui s'ajoutaient à leurs misères, du fait qu'ils n'étaient pas accueillis volontiers là où ils avaient espéré trouver l'hospitalité.

Votre désir de Nous faire cette visite ce matin est un témoignage de votre confiance en Notre intérêt à l'égard des tristes conditions des peuples auxquels Nous venons de faire allusion. En toute occasion, comme le fit avant Nous Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, nous avons déclaré énergiquement que les principes fondamentaux de justice et de charité et l'usage suivi depuis longtemps d'offrir asile à ceux qui ne sont point coupables de crimes doivent être une règle de l'attitude gouvernementale à l'heure actuelle. C'est une consolation pour Notre coeur paternel d'apprendre que Notre appel a été généreusement écouté


COMITÉ JUIF AMÉRICAIN



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dans de nombreux pays ; et Nous entretenons l'espoir que tant que durera ce triste fléau, les Etats ne manqueront pas à leur devoir de secourir ceux qui ont été obligés d'émigrer.

Nous avons été heureux de vous souhaiter la bienvenue, messieurs, et une fervente prière s'élève de Notre coeur vers Dieu, afin que dans sa bonté infinie il ait pitié de ceux qui subissent l'injustice et qu'il éclaire ceux qui commettent ce mal.

DISCOURS

A L'« ASSOCIATION BRÉSILIENNE DASSISTANCE AUX LÉPREUX »

(29 juin 1957) 1






A la suite du discours du Pape, du 17 avril 1956, pour la récupération sociale des victimes de la lèpre, fut fondée au Brésil l'« Association brésilienne d'assistance aux lépreux ».

Le Souverain Pontife reçut en audience le fondateur, M. Saulo Diniz, et quelques membres de cette association, et leur adressa en portugais un bref discours dont voici la traduction :

Chers fils ! C'est avec un vif sentiment de satisfaction paternelle et reconnaissante que Nous saluons en vous le fondateur et les dirigeants de l'Association brésilienne d'assistance aux malades de la lèpre ; association qui est le fruit de l'appel que Nous adressâmes, en avril de l'an dernier, à l'occasion du Congrès pour la défense et la réhabilitation sociale des lépreux, aux coeurs compatissants et animés par la charité du Christ, afin qu'ils vinssent en aide à tant de victimes du terrible mal.

L'écho immédiat qu'a eu Notre parole dans vos généreux esprits vous fait grand honneur et vous rend dignes des bénédictions du Ciel. Certes, l'assistance est exercée depuis longtemps au Brésil et ses 37 léproseries et les 30 préventoriums soignent des milliers de malades. Mais les régions infectées par le mal sont si vastes et le nombre des victimes est si grand et encore plus la terreur qu'il inspire et qui incite beaucoup à fuir tous les soins, qu'il est devenu urgent d'intensifier l'assistance en unissant les forces pour en augmenter l'efficacité, en mettant au


ASSISTANCE AUX LÉPREUX



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point les méthodes en harmonie avec les progrès de la science, et surtout en développant de plus en plus l'esprit chrétien pour mieux assister les malades et réconforter ceux qui, guéris de leur mal, retournent dans la société.

L'opportunité de votre association ne s'en révèle que plus grande et Nous faisons des voeux afin qu'elle s'étende rapidement dans tout le Brésil, certain qu'elle trouvera dans la coopération bienveillante et féconde de l'Etat et dans la générosité bien connue du peuple catholique brésilien les moyens nécessaires pour exercer une action plus efficace. Puissent les victimes du terrible mal, comme les lépreux de l'Evangile, trouver dans tous les membres de l'association une image vivante de la charité du Christ !

Aussi avec toute l'effusion de Notre âme, Nous appelons sur vous, sur toute l'association et sur tous ceux qui contribueront à son organisation et à son progrès, les plus larges grâces du Ciel, en gage desquelles Nous vous donnons Notre Bénédiction apostolique.


MESSAGE AU JAMBOREE MONDIAL DU CINQUANTENAIRE DU MOUVEMENT SCOUT



(xer juillet 1957)1





Du ier au 12 août, le Jamboree mondial du cinquantenaire du Mouvement scout s'est tenu à Sutton Parle, dans le Warwickshire. Plus de 30.000 scouts, chefs et routiers se trouvaient ainsi réunis. A cette occasion, le Souverain Pontife fit parvenir le message suivant en langue française, à Son Exc. Mgr Gerald P. O'Hara, Délégué apostolique en Grande-Bretagne :

Nous sommes de coeur au milieu de vous tous, chers scouts catholiques, venus, avec vos jeunes camarades du monde entier, célébrer en Grande-Bretagne — dans la patrie même du fondateur du scoutisme — le cinquantenaire de ce vaste Mouvement. Par votre présence nombreuse au « Jamboree du Jubilé », vous manifestez la vitalité et l'expansion des diverses branches du scoutisme parmi la jeunesse catholique, et Nous Nous en réjouissons. Bien souvent d'ailleurs, Nos prédécesseurs et Nous-même avons adressé à vos aînés Nos encouragements paternels ; mais il Nous est agréable de vous redire en cette mémorable circonstance Notre satisfaction et Nos voeux, et d'exprimer également, par votre entremise, Nos cordiales félicitations aux chefs et aux milliers de membres de ce grand rassemblement jubilaire.

Le monde dans lequel vous vous préparez à entrer, chers jeunes, est un monde difficile. Plusieurs fois depuis les origines de votre Mouvement, il a connu le fléau de la guerre ; aujourd'hui encore, en trop de régions, bien des jeunes de votre âge souffrent de la misère et de la faim ; et de redoutables divisions ne cessent d'agiter les peuples. Puissiez-vous, dans cette oasis de verdure et de paix que constitue le beau site de Sutton Park,


JAMBOREE MONDIAL



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réfléchir à l'idéal qui vous unit et recueillir avec un coeur plein de générosité et d'espérance la magnifique leçon de ce Jamboree !

Appréciez à son juste prix votre idéal de fraternité à travers la diversité des patries, des langues et des races. Il vous invite à vous mieux connaître, à nourrir les uns vis-à-vis des autres des sentiments d'amitié compréhensive et à les traduire en toutes circonstances par ces gestes de service désintéressé qui sont l'honneur du scout. Que le Jamboree du Jubilé soit, pour les nations qui vous ont envoyés et vous regardent, l'image de cette fraternité loyale entre les hommes, à laquelle vous devrez collaborer et dont le plus sûr fondement est le Dieu unique, le Père qui est dans les cieux.

Portez également le témoignage d'une jeunesse saine, forte et joyeuse, selon l'idéal que vous proclamez vous-mêmes. Votre style de vie trempe les caractères ; il forge des volontés capables, avec l'aide de Dieu, de résister aux sollicitations du mal, si fréquentes hélas en tant de milieux de vie. Dans un monde qui cède à l'immoralité et s'abandonne avec insouciance aux facilités de l'existence, que ce Jamboree soit comme l'affirmation d'une jeunesse fière de sa loi de pureté, de courage et de noblesse, qui n'est que l'écho de la morale inscrite par Dieu au coeur de l'homme.

Et, comme vous y invite la solennelle célébration du saint Sacrifice de la Messe, qui vous rassemble autour de l'autel, élevez votre idéal de scout catholique, chers fils, à la hauteur des leçons du divin Maître, venu parmi nous pour servir et pour se donner. Soyez ardents à développer en vos âmes les vertus qui demain feront de vous des chrétiens convaincus, dociles à leurs pasteurs et ayant le sens de leurs responsabilités dans la cité. Demeurez ouverts aux besoins spirituels et matériels des hommes, toujours prêts à travailler pour la cause de la vérité, de la justice et de la paix, qui est, en ce monde, la cause même de l'Eglise de Jésus-Christ.

En gage des grâces les plus abondantes dans la poursuite de votre bel idéal, Nous vous accordons de grand coeur, chers fils réunis au Jamboree de Sutton Park, ainsi qu'à tous les scouts catholiques de vos pays respectifs que vous représentez à cette manifestation jubilaire, Notre très paternelle Bénédiction apostolique.


LETTRE ENCYCLIQUE A L'OCCASION DU CENTENAIRE DES APPARITIONS DE LA TRÈS SAINTE VIERGE A LOURDES

(2 juillet 1957) 1






A l'occasion du centenaire des apparitions de la Très Sainte Vierge à Lourdes, Sa Sainteté Pie Xli a adressé en français la Lettre encyclique suivante aux Cardinaux, Archevêques et Evêques de France :

1 D'après le texte français des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 605

2 Lettre du 12 juillet 1914, cf. A. A. S., 6, 1914, p. 376.




Le pèlerinage de Lourdes, que Nous avons eu la joie d'accomplir en allant présider, au nom de Notre prédécesseur Pie XI, les fêtes eucharistiques et mariales de la clôture du Jubilé de la Rédemption, a laissé en Notre âme de profonds et doux souvenirs. Aussi Nous est-il particulièrement agréable d'apprendre que, sur l'initiative de l'Evêque de Tarbes et Lourdes, la cité mariale s'apprête à célébrer avec éclat le centenaire des apparitions de la Vierge Immaculée dans la grotte de Massabielle, et qu'un comité international a même été constitué à cet effet sous la présidence de l'Eminentissime Cardinal Eugène Tisserant, doyen du Sacré-Collège. Avec vous, chers fils et Vénérables Frères, Nous tenons à remercier Dieu pour l'insigne faveur faite à votre patrie et pour tant de grâces répandues depuis un siècle sur la multitude des pèlerins. Nous voulons également convier tous Nos fils à renouveler, en cette année jubilaire, leur piété confiante et généreuse envers Celle qui, selon le mot de S. Pie X, daigna établir à Lourdes « le siège de son immense bonté » 2.

I La place de Lourdes dans la chrétienté.

a) La France, terre privilégiée de Marie.

Toute terre chrétienne est une terre mariale, et il n'est pas de peuple racheté dans le sang du Christ, qui n'aime à proclamer Marie sa Mère et sa Patronne. Cette vérité prend toutefois un relief saisissant quand on évoque l'histoire de la France. Le culte de la Mère de Dieu remonte aux origines de son évangéli-sation et, parmi les plus anciens sanctuaires mariais, Chartres attire encore les pèlerins en grand nombre et des milliers de jeunes. Le moyen âge qui, avant saint Bernard notamment, chanta la gloire de Marie et célébra ses mystères, vit l'admirable efflo-rescence de vos cathédrales dédiées à Notre-Dame : Le Puy, Reims, Amiens, Paris et tant d'autres... Cette gloire de l'Immaculée, elles l'annoncent de loin par leurs flèches élancées, elles la font resplendir dans la pure lumière de leurs vitraux et l'harmonieuse beauté de leurs statues ; elles attestent surtout la foi d'un peuple se haussant au-dessus de lui-même dans un élan magnifique pour dresser dans le ciel de France l'hommage permanent de sa piété mariale.

Dans les villes et les campagnes, au sommet des collines ou dominant la mer, les sanctuaires consacrés à Marie — humbles chapelles ou splendides basiliques — couvrirent peu à peu le pays de leur ombre tutélaire. Princes et pasteurs, fidèles innombrables y sont accourus au long des siècles vers la Vierge Sainte, qu'ils saluèrent des titres les plus expressifs de leur confiance ou de leur gratitude. Ici l'on invoque Notre-Dame de Miséricorde, de Toute Aide ou de Bon Secours ; là le pèlerin se réfugie auprès de Notre-Dame de la Garde, de Pitié ou de Consolation ; ailleurs sa prière monte vers Notre-Dame de Lumière, de Paix, de Joie ou d'Espérance ; ou encore il implore Notre-Dame des Vertus, des Miracles ou des Victoires. Admirable litanie de vocables dont l'énumération jamais achevée raconte, de province en province, les bienfaits que la Mère de Dieu répandit au cours des âges sur la terre de France.





b) Après le don de la « Médaille miraculeuse » à Catherine Labouré, la Vierge Marie apparaît à Bernadette.

Le XIXe siècle devait pourtant, après la tourmente révolutionnaire, être à bien des titres le siècle des prédilections mariales. Pour ne citer qu'un fait, qui ne connaît aujourd'hui la « médaille miraculeuse » ? Révélée, au coeur même de la capitale française, à une humble fille de S. Vincent de Paul que Nous eûmes la joie d'inscrire au catalogue des saints, cette médaille frappée à l'effigie de « Marie conçue sans péché » a répandu en tous lieux ses prodiges spirituels et matériels. Et quelques années plus tard, du 11 février au 16 juillet 1858, il plaisait à la Bienheureuse Vierge Marie, par une faveur nouvelle, de se manifester sur la terre pyrénéenne à une enfant pieuse et pure, issue d'une famille chrétienne, laborieuse dans sa pauvreté. « Elle vient à Bernadette, disions-Nous jadis, elle en fait sa confidente, la collaboratrice, l'instrument de sa maternelle tendresse et de la miséricordieuse toute-puissance de son Fils, pour restaurer le monde dans le Christ par une nouvelle et incomparable effusion de la Rédemption » 3.

s Discours du 28 avril 1935 à Lourdes ; Eug. Card. Pacelli, Discorsi e panegirici, 2a éd., Vaticano, 1956, p. 435. i Ibid., p. 437.




Les événements qui se déroulèrent alors à Lourdes, et dont on mesure mieux aujourd'hui les proportions spirituelles, vous sont bien connus. Vous savez, chers fils et Vénérables Frères, dans quelles conditions étonnantes, malgré railleries, doutes et oppositions, la voix de cette enfant, messagère de l'Immaculée, s'est imposée au monde. Vous savez la fermeté et la pureté du témoignage, éprouvé avec sagesse par l'autorité episcopale et sanctionné par elle dès 1862. Déjà les foules étaient accourues, et elles n'ont pas cessé de déferler vers la grotte des apparitions, à la source miraculeuse, dans le sanctuaire élevé à la demande de Marie. C'est l'émouvant cortège des humbles, des malades et affligés ; c'est l'imposant pèlerinage de milliers de fidèles d'un diocèse ou d'une nation ; c'est la discrète démarche d'une âme inquiète qui cherche la vérité... « Jamais, disions-Nous, en un lieu de la terre, on n'a vu pareil cortège de souffrance, jamais pareil rayonnement de paix, de sérénité et de joie ! » 4. Jamais, pourrions-Nous ajouter, on ne saura la somme de bienfaits dont le monde est redevable à la Vierge secourable ! O specus felix deco-rate divae Matris aspectu I Veneranda rupes, unde vitales sca-tuere pleno gurgite lymphae ! B.



c) Rome et Lourdes : un rapprochement voulu par la Vierge.

Ces cent années de culte mariai, au surplus, ont en quelque sorte tissé entre le Siège de Pierre et le sanctuaire pyrénéen des liens étroits, qu'il Nous plaît de reconnaître. La Vierge Marie elle-même n'a-t-elle pas désiré ces rapprochements ? « Ce qu'à Rome par son Magistère infaillible le Souverain Pontife définissait, la Vierge Immaculée Mère de Dieu, bénie entre toutes les femmes, voulut, semble-t-il, le confirmer de sa bouche, quand peu après elle se manifesta par une célèbre apparition à la grotte de Massabielle... » 6. Certes, la parole infaillible du Pontife romain, interprète authentique de la vérité révélée, n'avait besoin d'aucune confirmation céleste pour s'imposer à la foi des fidèles. Mais avec quelle émotion et quelle gratitude le peuple chrétien et ses pasteurs ne recueillirent-ils pas des lèvres de Bernadette cette réponse venue du ciel : « Je suis l'Immaculée Conception ! »



d) La reconnaissance des Papes Pie IX et Léon XIII.

5 Office de la fête des Apparitions, hymne des 2es vêpres.

6 Décret de Tuto pour la canonisation de sainte Bernadette, 2 juillet 1933 ; cf. A. A. S., 25, 1933, p. 377.

7 Lettre du 4 septembre 1869 à Henri Lasserre ; Archivio segreto vaticano, Ep. lat. 1869, n. CCCLXXXVIII, t. 695.

8 Cant. Il, 13-14, graduel de la Messe de la fête des Apparitions.




Aussi n'est-il pas étonnant que Nos prédécesseurs se soient plu à multiplier leurs faveurs envers ce sanctuaire. Dès 1869, Pie IX, de sainte mémoire, se réjouissait de ce que les obstacles suscités contre Lourdes par la malice des hommes eussent permis de « manifester avec plus de force et d'évidence la clarté du fait » 7. Et, fort de cette assurance, il comble de bienfaits spirituels l'église nouvellement édifiée et fait couronner la statue de Notre-Dame de Lourdes. Léon XIII, en 1892, accorde l'Office propre et la Messe de la fête in apparitione Beatae Mariae Virginis Immaculatae, que son successeur étendra bientôt à l'Eglise universelle ; l'antique appel de l'Ecriture y trouvera désormais une application nouvelle : Surge, arnica mea, speciosa mea, et veni : columba mea in foraminibus petrae, in caverna maceriae !8 Vers la fin de sa vie, le grand Pontife tint à inaugurer et à bénir lui-même la reproduction de la grotte de Massabielle édifiée dans les jardins du Vatican et, à la même époque, sa voix s'élevait vers la Vierge de Lourdes pour une prière ardente et confiante : « Que dans sa puissance la Vierge Mère, qui coopéra autrefois par son amour à la naissance des fidèles dans l'Eglise, soit encore maintenant l'instrument, et la gardienne de notre salut... qu'elle rende la tranquillité de la paix aux esprits angoissés ; qu'elle hâte enfin, dans la vie privée comme dans la vie publique, le retour à Jésus-Christ » 9.



e) Lourdes et l'Eucharistie : admiration et encouragements de S. Pie X.

8 Bref du 8 septembre 1901 ; Acta Leonis XIII, 21, pp. 159-160.

10 Lettre encycl. Ad diem illum, du 2 février 1904 ; Acta PU X, 1, p. 149.

11 Lettre du 12 juillet 1914 ; A. A. S., 6, 1914, p. 377.




Le cinquantenaire de la définition dogmatique de l'Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge offrit à S. Pie X l'occasion d'attester dans un document solennel le lien historique entre cet acte du magistère et l'apparition de Lourdes : « A peine Pie IX avait-il défini de foi catholique que Marie fut dès l'origine exempte de péché, que la Vierge elle-même commençait à opérer à Lourdes des merveilles » 10. Peu après, il crée le titre épiscopal de Lourdes, rattaché à celui de Tarbes, et signe l'introduction de la cause de béatification de Bernadette. Il était surtout réservé à ce grand Pape de l'Eucharistie de souligner et de favoriser l'admirable conjonction qui existe à Lourdes entre le culte eucharistique et la prière mariale : « La piété envers la Mère de Dieu, note-t-il, y fit fleurir une remarquable et ardente piété envers le Christ Notre Seigneur » 11. Pouvait-il d'ailleurs en être autrement ? Tout en Marie nous porte vers son Fils, unique Sauveur, en prévision des mérites duquel elle fut immaculée et pleine de grâces ; tout en Marie nous élève à la louange de l'adorable Trinité, et bienheureuse fut Bernadette égrenant son chapelet devant la grotte, qui apprit des lèvres et du regard de la Vierge Sainte à rendre gloire au Père, au Fils et à l'Esprit-Saint ! Aussi sommes-Nous heureux, en ce centenaire, de Nous associer à cet hommage rendu par S. Pie X : « La gloire unique du sanctuaire de Lourdes réside en ce fait que les peuples y sont de partout attirés par Marie à l'adoration du Christ Jésus dans l'Auguste

Sacrement, en sorte que ce sanctuaire, à la fois centre de culte mariai et trône du mystère eucharistique, surpasse, semble-t-il, en gloire tous les autres dans le monde catholique » 12.



f) Les Souverains Pontifes Benoît XV et Pie XI confirment et étendent
faveurs accordées à la grotte de Massabielle.

Ce sanctuaire déjà comblé de faveurs, Benoît XV tint à l'enrichir de nouvelles et précieuses indulgences et, si les tragiques circonstances de son Pontificat ne lui permirent pas de multiplier les actes publics de sa dévotion, il voulut néanmoins honorer la cité mariale en accordant à son évêque le privilège du pallium au lieu des apparitions. Pie XI, qui avait lui-même été pèlerin de Lourdes, poursuivit son oeuvre et eut la joie d'élever sur les autels la privilégiée de la Vierge, devenue sous le voile Soeur Marie-Bernard, de la Congrégation de la Charité et de l'Instruction chrétienne. N'authentifiait-il pas pour ainsi dire à son tour la promesse de l'Immaculée à la jeune Bernadette « d'être heureuse non pas en ce monde mais dans l'autre » ? Et désormais Nevers, qui s'honore de garder la châsse précieuse, attire en grand nombre les pèlerins de Lourdes, désireux d'apprendre auprès de la Sainte à accueillir comme il convient le message de Notre-Dame. Bientôt l'illustre Pontife, qui venait à l'exemple de ses prédécesseurs d'honorer d'une légation les fêtes anniversaires des apparitions, décidait de clôturer le Jubilé de la Rédemption à la grotte de Massabielle, là où, selon ses propres termes, « la Vierge Marie Immaculée se montra plusieurs fois à la bienheureuse Bernadette Soubirous, où avec bonté elle exhorta tous les hommes à la pénitence, en ce lieu même de l'étonnante apparition qu'elle combla de grâces et de prodiges » 13. En vérité, concluait Pie XI, ce sanctuaire « passe maintenant à juste titre pour l'un des principaux sanctuaires mariais du monde » 14.



g) Pie XII, à son tour, unit sa voix à ce concert de louanges.

12 Bref du 25 avril 1911 ; Arch. Brcv. Ap., Pius X, 1911, Dit)., Lib. IX, pars I, f. 337.

13 Bref du 11 janvier 1933 ; Arch. Brev. Ap., Pius Xi, Ind. Perpet., i. 128.
« Ibid.




A ce concert unanime de louanges, comment n'aurions-Nous pas uni Notre voix ? Nous le fîmes notamment dans Notre Encyclique Fulgens corona, en rappelant à la suite de Nos prédécesseurs que « la bienheureuse Vierge Marie elle-même voulut confirmer, semble-t-il, par un prodige la sentence que le Vicaire de son divin Fils sur la terre venait de proclamer aux applaudissements de l'Eglise entière » 15. Et Nous rappelions, à cette occasion, comment les Pontifes romains, conscients de l'importance de ce pèlerinage, n'avaient cessé de « l'enrichir de faveurs spirituelles et des bienfaits de leur bienveillance » 16. L'histoire de ces cent années, que Nous venons d'évoquer à grands traits, n'est-elle pas, en effet, une constante illustration de cette bienveillance pontificale, dont le dernier acte fut la clôture à Lourdes de l'année centenaire du Dogme de l'Immaculée Conception ? Mais à vous, chers fils et Vénérables Frères, Nous aimons rappeler spécialement un document récent, par lequel Nous favorisions l'essor d'un apostolat missionnaire dans votre chère patrie. Nous eûmes à coeur d'y évoquer « les mérites singuliers que la France s'est acquis au cours des siècles dans le progrès de la foi catholique » et, à ce titre, « Nous tournions Notre esprit et Notre coeur vers Lourdes où, quatre ans après la définition du dogme, la Vierge Immaculée elle-même confirma surnaturellement par des apparitions, des entretiens et des miracles la déclaration du Docteur suprême » 17.

13 Lettre encycl. Fulgens corona, du 8 septembre 1953 ; A. A. S., XXXXV, p. 578 S

cf. Documents Pontificaux 1953, p. 372.
1« Ibid.

IT Const. apost. Omnium ecclesiarum, du 15 août 1954 ; A. A. S., XXXXVI, p. 567 ;

cf. Documents Pontificaux 1954, p. 309.




Aujourd'hui encore, Nous Nous tournons vers le célèbre sanctuaire qui s'apprête à accueillir sur les rives du Gave la foule des pèlerins du centenaire. Si, depuis un siècle, d'ardentes supplications, publiques et privées, y ont obtenu de Dieu, par l'intercession de Marie, tant de grâces de guérison et de conversion, Nous avons la ferme confiance qu'en cette année jubilaire Notre-Dame voudra répondre encore avec largesse à l'attente de ses enfants ; mais Nous avons surtout la conviction qu'elle nous presse de recueillir les leçons spirituelles des apparitions et de nous engager sur la voie qu'elle nous a si clairement tracée.

II

Les leçons spirituelles des Apparitions de Lourdes.

a) La Vierge, au nom de son divin Vils, invite à la prière et à la pénitence, mais elle promet le pardon et l'espérance.

Ces leçons, écho fidèle du message évangélique, font ressortir de façon saisissante le contraste qui oppose les jugements de Dieu à la vaine sagesse de ce monde. Dans une société, qui n'a guère conscience des maux qui la rongent, qui voile ses misères et ses injustices sous des dehors prospères, brillants et insouciants, la Vierge Immaculée, que jamais le péché n'effleura, se manifeste à une enfant innocente. Avec une compassion maternelle, elle parcourt du regard ce monde racheté par le sang de son Fils, où hélas le péché fait chaque jour tant de ravages, et, par trois fois, elle lance son pressant appel : « Pénitence, pénitence, pénitence ! » Des gestes expressifs sont même demandés : « Allez baiser la terre en pénitence pour les pécheurs. » Et au geste il faut joindre la supplication : « Vous prierez Dieu pour les pécheurs. » Ainsi, comme au temps de Jean-Baptiste, comme au début du ministère de Jésus, la même injonction, forte et rigoureuse, dicte aux hommes la voie du retour à Dieu : « Repentez-vous ! » (Matth, ni, 2 ; iv, 17). Et qui oserait dire que cet appel à la conversion du coeur a, de nos jours, perdu de son actualité ?

18 Office de la fête des Apparitions, x«r répons du 3e noct.




Mais la Mère de Dieu pourrait-elle venir vers ses enfants, si ce n'est en messagère de pardon et d'espérance ? Déjà l'eau ruisselle à ses pieds : Omnes sitientes, venite ad aquas, et haurietis salutem a Domino 18. A cette source, où Bernadette docile est allée la première boire et se laver, afflueront toutes les misères de l'âme et du corps. « J'y suis allé, je me suis lavé et j'ai vu » (Jean ix, 11), pourra répondre, avec l'aveugle de l'Evangile, le pèlerin reconnaissant. Mais, comme pour les foules qui se pressaient autour de Jésus, la guérison des plaies physiques y demeure, en même temps qu'un geste de miséricorde, le signe du pouvoir que le Fils de l'Homme a de remettre les péchés (Mc 11,10). Auprès de la grotte bénie, la Vierge nous invite, au nom de son divin Fils, à la conversion du coeur et à l'espérance du pardon. L'écouterons-nous ?

b) Les conditions d'un bon pèlerinage.

Dans cette humble réponse de l'homme qui se reconnaît pécheur réside la vraie grandeur de cette année jubilaire. Quels bienfaits ne serait-on pas en droit d'en attendre pour l'Eglise si chaque pèlerin de Lourdes — et même tout chrétien uni de coeur aux célébrations du centenaire — réalisait d'abord en lui-même cette oeuvre de sanctification, « non pas en paroles et de langue, mais en actes et en vérité » ! (I Jean m, 18). Tout l'y invite d'ailleurs, car nulle part peut-être autant qu'à Lourdes on ne se sent à la fois porté à la prière, à l'oubli de soi et à la charité. A voir le dévouement des brancardiers et la paix sereine des malades, à constater la fraternité qui rassemble dans une même invocation des fidèles de toute origine, à observer la spontanéité de l'entraide et la ferveur sans affectation des pèlerins agenouillés devant la grotte, les meilleurs sont saisis par l'attrait d'une vie plus totalement donnée au service de Dieu et de leurs frères, les moins fervents prennent conscience de leur tiédeur et retrouvent le chemin de la prière, les pécheurs plus endurcis et les incrédules eux-mêmes sont souvent touchés par la grâce ou du moins, s'ils sont loyaux, ils ne restent pas insensibles au témoignage de cette « multitude de croyants n'ayant qu'un coeur et qu'une âme » (Act. iv, 32).

A elle seule pourtant, cette expérience de quelques brèves journées de pèlerinage ne suffit généralement pas à graver en caractères indélébiles l'appel de Marie à une authentique conversion spirituelle. Aussi exhortons-Nous les pasteurs des diocèses et tous les prêtres à rivaliser de zèle pour que les pèlerinages du centenaire bénéficient d'une préparation, d'une réalisation et surtout de lendemains aussi propices que possible à une action profonde et durable de la grâce. Le retour à une pratique assidue des sacrements, le respect de la morale chrétienne dans toute la vie, l'engagement enfin dans les rangs de l'Action catholique et des diverses oeuvres recommandées par l'Eglise : à ces conditions seulement, n'est-il pas vrai, l'important mouvement de foules prévu à Lourdes pour l'année 1958 portera, selon l'attente même de la Vierge Immaculée, les fruits de salut si nécessaires à l'humanité présente.

c) Le centenaire de Lourdes invite, non seulement à la conversion individuelle, mais à un effort collectif de renouveau chrétien.

Mais, pour primordiale qu'elle soit, la conversion individuelle du pèlerin ne saurait ici suffire. En cette année jubilaire, Nous vous exhortons, chers fils et Vénérables Frères, à susciter parmi les fidèles commis à vos soins un effort collectif de renouveau chrétien de la société, en réponse à l'appel de Marie : « Que les esprits aveuglés... soient illuminés par la lumière de la vérité et de la justice, demandait déjà Pie XI lors des fêtes mariales du Jubilé de la Rédemption, que ceux qui s'égarent dans l'erreur soient ramenés dans le droit chemin, qu'une juste liberté soit partout accordée à l'Eglise, et qu'une ère de concorde et de vraie prospérité se lève sur tous les peuples » 19.

18 Lettre du 10 janvier 1935 ; cf. A. A. S., 27, 1935, p. 7.


d) La tentation moderne du matérialisme.

Or le monde, qui offre de nos jours tant de justes motifs de fierté et d'espoir, connaît aussi une redoutable tentation de matérialisme, souvent dénoncée par Nos prédécesseurs et par Nous-même. Ce matérialisme, il n'est pas seulement dans la philosophie condamnée qui préside à la politique et à l'économie d'une portion de l'humanité ; il sévit aussi dans l'amour de l'argent, dont les ravages s'amplifient à la mesure des entreprises modernes et qui commande hélas tant de déterminations pesant sur la vie des peuples ; il se traduit par le culte du corps, la recherche excessive du confort et la fuite de toute austérité de vie ; il pousse au mépris de la vie humaine, de celle même que l'on détruit avant qu'elle ait vu le jour ; il est dans la poursuite effrénée du plaisir, qui s'étale sans pudeur et tente même de séduire, par les lectures et les spectacles, des âmes encore pures ; il est dans l'insouciance de son frère, dans l'égoïsme qui l'écrase, dans l'injustice qui le prive de ses droits, en un mot dans cette conception de la vie qui règle tout en vue de la seule prospérité matérielle et des satisfactions terrestres. « Mon âme, disait un riche, tu as quantité de biens en réserve pour longtemps ; repose-toi, mange, bois, fais la fête. Mais Dieu a dit : Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme » (Lc 12,19-20).


e) Il appartient aux prêtres de former la conscience du peuple chrétien.

A une société qui, dans sa vie publique, conteste souvent les droits suprêmes de Dieu, qui voudrait gagner l'univers au prix de son âme (Mc 8,36) et courrait ainsi à sa perte, la Vierge maternelle a lancé comme un cri d'alarme. Attentifs à son appel, que les prêtres osent prêcher à tous sans crainte les grandes vérités du salut. Il n'est de renouveau durable, en effet, que fondé sur les principes infrangibles de la foi et il appartient aux prêtres de former la conscience du peuple chrétien. De même que l'Immaculée, compatissante à nos misères mais clairvoyante sur nos vrais besoins, vient aux hommes pour leur rappeler les démarches essentielles et austères de la conversion religieuse, les ministres de la Parole de Dieu doivent, avec une surnaturelle assurance, tracer aux âmes la route étroite qui mène à la vie (Mt 7,14). Ils le feront sans oublier de quel esprit de douceur et de patience ils se réclament (Lc 9,55), mais sans rien voiler des exigences évangéliques. A l'école de Marie, ils apprendront à ne vivre que pour donner le Christ au monde, mais, s'il le faut aussi, à attendre avec foi l'heure de Jésus et à demeurer au pied de la croix.



f) La part des âmes consacrées.

Autour de leurs prêtres, les fidèles se doivent de collaborer à cet effort de renouveau. Là où la Providence l'a placé, qui donc ne peut faire davantage encore pour la cause de Dieu ? Notre pensée se tourne d'abord vers la multitude des âmes consacrées, qui se dévouent dans l'Eglise à d'innombrables oeuvres de bien. Leurs voeux de religion les appliquent plus que d'autres à lutter victorieusement, sous l'égide de Marie, contre le déferlement sur le monde des appétits immodérés d'indépendance, de richesse et de jouissance ; aussi, à l'appel de l'Immaculée, voudront-elles s'opposer à l'assaut du mal par les armes de la prière et de la pénitence et par les victoires de la charité. Notre pensée se tourne également vers les familles chrétiennes, pour les conjurer de demeurer fidèles à leur irremplaçable mission dans la société. Qu'elles se consacrent, en cette année jubilaire, au Coeur Immaculé de Marie ! Cet acte de piété sera pour les époux une aide spirituelle précieuse dans la pratique des devoirs de la chasteté et de la fidélité conjugales ; il gardera dans sa pureté l'atmosphère du foyer où grandissent les enfants ; bien plus il fera de la famille, vivifiée par sa dévotion mariale, une cellule vivante de la régénération sociale et de la pénétration apostolique. Et certes, au-delà du cercle familial, les relations professionnelles et civiques offrent aux chrétiens soucieux de travailler au renouveau de la société un champ d'action considérable. Rassemblés aux pieds de la Vierge, dociles à ses exhortations, ils porteront d'abord sur eux-mêmes un regard exigeant et ils voudront extirper de leur conscience les jugements faux et les réactions égoïstes, craignant le mensonge d'un amour de Dieu qui ne se traduirait pas en amour effectif de leurs frères (I Jean iv, 20). Ils chercheront, chrétiens de toutes classes et de toutes nations, à se rencontrer dans la vérité et la charité, à bannir les incompréhensions et les suspicions. Sans doute, énorme est le poids des structures sociales et des pressions économiques qui pèse sur la bonne volonté des hommes et souvent la paralyse. Mais, s'il est vrai, comme Nos prédécesseurs et Nous-même l'avons souligné avec insistance, que la question de la paix sociale et politique est d'abord, en l'homme, une question morale, aucune réforme n'est fructueuse, aucun accord n'est stable sans un changement et une purification des coeurs. La Vierge de Lourdes le rappelle à tous en cette année jubilaire !


g) Le rôle irremplaçable des pauvres et des malades.

Et si, dans sa sollicitude, Marie se penche avec quelque prédilection vers certains de ses enfants, n'est-ce pas, chers fils et Vénérables Frères, vers les petits, les pauvres et les malades, que Jésus a tant aimés ? « Venez à moi, vous tous qui êtes las et accablés, et je vous soulagerai », semble-t-elle dire avec son divin Fils (Mt 11,28). Allez à elle, vous qu'écrase la misère matérielle, sans défense devant les rigueurs de la vie et l'indifférence des hommes ; allez à elle, vous que frappent les deuils et les épreuves morales ; allez à elle, chers malades et infirmes, qui êtes vraiment reçus et honorés à Lourdes comme les membres souffrants de Notre Seigneur ; allez à elle et recevez la paix du coeur, la force du devoir quotidien, la joie du sacrifice offert. La Vierge Immaculée, qui connaît les cheminements secrets de la grâce dans les âmes et le travail silencieux de ce levain surnaturel du monde, sait de quel prix sont, aux yeux de Dieu, vos souffrances unies à celles du Sauveur. Elles peuvent grandement concourir, Nous n'en doutons pas, à ce renouveau chrétien de la société que Nous implorons de Dieu par la puissante intercession de sa Mère. Qu'à la prière des malades, des humbles, de tous les pèlerins de Lourdes, Marie tourne également son regard maternel vers ceux qui demeurent encore hors de l'unique bercail de l'Eglise, pour les rassembler dans l'unité ! Qu'elle porte son regard sur ceux qui cherchent et qui ont soif de vérité, pour les conduire à la source des eaux vives ! Qu'elle parcoure enfin du regard ces continents immenses et ces vastes zones humaines où le Christ est hélas si peu connu, si peu aimé, et qu'elle obtienne à l'Eglise la liberté et la joie de répondre en tous lieux, toujours jeune, sainte et apostolique, à l'attente des hommes !


Exhortation finale.

« Voulez-vous avoir la bonté de venir... », disait la Sainte Vierge à Bernadette. Cette invitation discrète, qui ne contraint pas, qui s'adresse au coeur et sollicite avec délicatesse une réponse libre et généreuse, la Mère de Dieu la propose de nouveau à ses fils de France et du monde. Sans s'imposer, elle les presse de se réformer eux-mêmes et de travailler de toutes leurs forces au salut du monde. Les chrétiens ne resteront pas sourds à cet appel ; ils iront à Marie. Et c'est à chacun d'eux qu'au terme de cette lettre Nous voudrions dire avec S. Bernard : In periculis, in angustiis, in rebus dubiis, Mariam cogita, Mariam invoca... Ipsam sequens, non devias ; ipsam rogans, non desperas ; ipsam cogitans, non erras ; ipsa tenente, non corruis ; ipsa protegente, non metuis ; ipsa duce, non fatigaris ; ipsa propitia, pervenis... 20

2» Hom. II super Missus est ; P. L. CLXXXIII, 70-71.


Nous avons confiance, chers fils et Vénérables Frères, que Marie exaucera votre prière et la Nôtre. Nous le lui demandons en cette fête de la Visitation, bien propre à célébrer celle qui daigna, il y a un siècle, visiter la terre de France. Et en vous invitant à chanter à Dieu, avec la Vierge Immaculée, le Magnificat de votre gratitude, Nous appelons sur vous-mêmes et vos fidèles sur le sanctuaire de Lourdes et ses pèlerins, sur tous ceux qui portent la responsabilité des fêtes du centenaire, la plus large effusion de grâces, en gage desquelles Nous vous accordons de grand coeur, dans Notre constante et paternelle bienveillance, la Bénédiction apostolique.



LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A LA VII\2e\0 SEMAINE ITALIENNE D'ADAPTATION PASTORALE

(3 juillet 1957)1



Du 16 au 20 septembre 1957, s'est tenue à Florence la VIIe Semaine italienne d'adaptation pastorale, organisée par le « Centre d'orientation pastorale » de Milan. A cette occasion, le Saint-Père fit parvenir ses directives à Son Em. le cardinal Dalla Costa, par une lettre de Son Excellence Mgr Dell'Aequa, Substitut de la Secrétairerie d'Etat. Voici la traduction du document italien :


Si toutes les Semaines nationales de mise au point pastorale tenues jusqu'ici en Italie, sur l'initiative du Centre d'orientation pastorale, ont traité des questions importantes et souvent de vive valeur pratique, aucune n'avait toutefois le privilège de la Semaine qui se déroulera à Florence, du 16 au 20 septembre prochain, c'est-à-dire de s'occuper d'un thème à la fois le plus élevé et le plus important pour le renouvellement chrétien de la société : la charité dans la communauté chrétienne.

C'est une affirmation si simple et élémentaire qu'elle semble superflue, que la charité vécue intégralement par les chrétiens suffirait à transformer le monde. Il est inutile de rappeler aux participants à la Semaine florentine qu'il s'agit spécialement de la vertu théologale de charité, qui a comme objet Dieu même, qui est « Caritas » « Amour » (1Jn 4,16) infini et digne d'être aimé pour lui-même au-dessus de toutes choses.

C'est Dieu, qui est Amour éternel, qui nous a aimés le premier : ipse prior dilexit nos (1Jn 4,10). Il nous a aimés au point de donner pour nous son Fils unique, Verbe incarné, au supplice de la croix, pour notre rédemption et notre salut.

Et nous devons l'aimer : Il nous a aimés sans mesure et nous devons l'aimer encore, avec l'aide efficace de sa grâce, sans mesure. Jésus l'a dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit » (Mt 22,37).

Les grands saints et mystiques, même lorsque leur vie n'avait pas connu la tache d'une faute grave, se sentaient pourtant de grands pécheurs et en gémissaient, pour ne pas avoir assez aimé le Bien infini, Dieu.

L'amour infini avec lequel Dieu s'aime dans l'ineffable mystère de la Trinité s'est manifesté à nous à travers le Verbe incarné, qui nous a donné le nouveau commandement de nous aimer comme Dieu nous a aimés.

Avant même la Cène et la Passion, Jésus avait rappelé que le précepte de l'amour de Dieu doit être complété par celui de l'amour du prochain : « Un second lui est égal — disait-il, après avoir énoncé la primauté de l'amour de Dieu — : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22,39). Mais dans le discours après la Cène, en parlant du « nouveau commandement », il en précisait et approfondissait les termes : « Comme mon Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés » (Jn 15,9), « ceci est mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jn 15,12)... « c'est à ceci que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres » (Jn 13,35).


Le thème de la Semaine : la charité dans la communauté chrétienne.

Ce second aspect de la charité constitue le thème de la Semaine de Florence ; mais il n'est pas inutile d'affirmer de nouveau la dépendance totale à l'égard du premier terme, qui est aussi le motif formel de la charité théologique : l'amour envers Dieu, qui justifie et exalte l'amour des frères, des frères dans le Christ dans la communauté chrétienne.

Sans l'amour de Dieu et de son Christ, il ne peut exister d'authentique charité chrétienne, qui est substantiellement différente de n'importe quelle forme de « philanthropie », d'amitié, d'amour seulement humain.

Même l'amour de soi, comme celui du prochain, est surnaturel pour le chrétien : bien que déjà dans l'ordre naturel, il implique une relation avec Dieu créateur et fin ultime. Homo, écrit saint Thomas, debet aliquid Deo et aliquid sibi et aliquid proximo. Sed quod aliquid debeat sibi et proximo, hoc est propter Deum. Ergo summa iustitia est reddere Deo quod suum est. Nam si reddas tibi vel proximo quod debes, et hoc non facis propter Deum, magis es perversus quam iustus, cum ponas finem in homine 2.

Etant ainsi affirmées la transcendance de Dieu et la dépendance de la créature dans l'ordre aussi bien naturel que surnaturel ou spécifiquement divin de la charité, il convient d'autre part d'insister sur la nécessité de pratiquer l'amour envers le prochain comme preuve de l'amour envers Dieu : qui enim, fait observer saint Jean, non diligit fratrem suum quem videt, Deum quem non videt, quomodo potest dilegere ? (1Jn 4,20).

C'est précisément sur ce point que convergent idéalement tous les rapports de la Semaine, sous l'aspect théologique et spirituel, sous l'aspect historique et celui de la vie de l'Eglise, aujourd'hui, et des problèmes présents.

Ces aspects particuliers seront illustrés par les rapports distincts. Que ce soit votre Eminence Révérendissime qui inaugure et dirige elle-même la Semaine donne pleine confiance sur la bonne marche de celle-ci. Il appartenait bien à votre Eminence, dont les insignes dons de pasteur d'âmes sont bien connus, d'ouvrir les travaux en illustrant une exigence fondamentale de cette « Caritas Christi » qui « urget nos » (2Co 5,14) en ce siècle non moins qu'aux temps de saint Paul, par un discours d'introduction au titre significatif : « Le monde actuel a besoin de charité. »

Il suffit aussi de parcourir la liste des autres orateurs pour avoir une juste confiance que les différents thèmes seront traités avec compétence.

* In Ep. ad. Cal., c. III, letc. 3, init.


A la base de toute activité pastorale, il y a l'exigence de la charité acerdotale.

Il est donc superflu de s'étendre ici sur le programme. En revanche, comme la Semaine est destinée au clergé régulier et séculier, il ne sera pas inopportun de rappeler qu'il y a à la base de toute activité pastorale l'exigence de la charité sacerdotale : car il convient aux prêtres d'aller plus loin que les fidèles dans l'amour de Dieu et du prochain et de donner en premier lieu l'exemple de la charité réciproque, de la fraternité sacerdotale comme modèle de la charité des fidèles.

Le titre et le fondement de la charité ne sont pas substantiellement différents pour le prêtre et pour le simple fidèle, mais il y a pour le clergé une invitation plus élevée et plus immédiate à l'exercice de la charité, il y a des titres spéciaux pour une fraternité sacerdotale plus profonde et plus vive.

Il y a une invitation plus immédiate. Quand Jésus proclama, dans le discours après la Cène, le précepte de la charité fraternelle comme commandement « nouveau », comme « son » commandement, il parlait directemenet et de manière intime au Collège apostolique, à ses premiers prêtres, tout en étendant le précepte à tous les disciples, à tous ses amis, à tous ceux qui, par l'oeuvre des apôtres et de leurs successeurs, croiraient en Lui à travers les siècles.

De la même manière, le désir suprême de Jésus ut unum sint a été adressé au Père comme une prière sacerdotale (c'est-à-dire de Jésus prêtre suprême) en présence des apôtres et en premier lieu pour eux, tout en l'étendant à l'unité de tous les membres du Corps mystique, à l'unité de l'Eglise.

Si la charité fraternelle de la communauté chrétienne fut la grande nouveauté qui amena, petit à petit, le monde antique à l'Eglise du Christ, si cette fraternité des fidèles est toujours une conquérante d'âmes à la vérité de l'Eglise, on doit toutefois ajouter que la pierre la plus précieuse, la lumière la plus triomphante, la flamme la plus vive, en est la fraternité sacerdotale.

La question de la présence de l'Eglise dans le monde étant posée en ces termes de la primauté de la charité, on peut dire que la primauté de cette présence est et sera donnée par la charité et la fraternité sacerdotales, dans l'union des prêtres avec le Pape, avec les évêques, entre eux.



La participation au sacerdoce du Christ, premier motif de la charité sacerdotale.

Il y a aussi des motifs spéciaux pour la charité sacerdotale. Le plus important consiste dans leur participation plus intime au sacerdoce du Christ.

Christo maxime convenit esse sacerdotem, a dit en une formule lapidaire saint Thomas 3. Il est prêtre du fait de l'Incarnation, qui l'a rendu Mediator Dei et hominum (1Tm 2,5).

Il fut pour nous prêtre et victime sur le Calvaire aeterna redemptione inventa. (He 9,12). Ut (autem) dilectae sponsae sua Ecclesiae visibile, sicut hominum natura exigit, relinqueret sacrificium, quo cruentum illud semel in cruce peragendum repraesentaretur, ejus memoria in finem usque saeculi permaneret (1Co 11,24 suiv.), atque illius salutaris virtus in remissionem eorum, quae a nobis quotidie committantur, peccatorum applicaretur... corpus et sanguinem suum sub speciebus panis et vini Deo Patri obtulit, ac sub earumdem rerum symbolis Apostolis, quos tunc Novi Testamenti sacerdotes constituebat, ut sumerent, tradidit, et eisdem eorumque in sacerdotio successoribus, ut offerent, praecepit per haec verba : « hoc facite in meam commemorationem » (Lc 22,19 1Co 11,24), uti semper Ecclesia catholica intellexit et docuit » *.

O Sacramentum pietatis ! s'écrie saint Augustin, o signum unitatis, o vinculum caritatis !5. Si cela est vrai pour tous les fidèles qui se nourrissent dans le sacrement d'un même Pain, combien est-ce encore plus vrai pour les prêtres qui, sous une forme mystique et sans effusion de sang, renouvellent le même sacrifice du Calvaire.

» S. Thomas, III 22,1, c.
* Conc. Trident., sess. XXII, I. 5 Tract. 26, in Joan. n. 17 ; P. L. 35, 1614.


Autres motifs importants de la fraternité entre prêtres.

D'autres motifs encore, spécifiques pour les prêtres, les exhortent à l'unité dans la charité in vinculo pacis : la récitation de l'Office divin au nom de l'Eglise, par quoi chacun et tous sont os Ecclesiae ; le mandat commun de la prédication apostolique euntes docete omnes gentes ; l'administration des sacrements et tous les multiples aspects de la vie pastorale ; les problèmes mêmes de la vie spirituelle (sainteté spécifiquement sacerdotale, vie intérieure pour soi-même et pour en communiquer aux autres le goût et l'amour ; conservation du célibat et de la pureté de coeur qui impose à tous le même effort ascétique et le même combat spirituel).

Combien donc de motifs pour se sentir un seul coeur et une seule âme, combien de motifs pour un commun amour, réconfort et soutien : quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum !

Il n'est pas nécessaire d'exposer ici tous les modes et toutes les formes sous lesquels peut toutefois faire défaut la charité fraternelle parmi les prêtres : aussi de nombreux saints se montrèrent-ils soucieux de la conserver, soit parmi les prêtres en général, comme leurs formateurs, soit parmi leurs fils, comme fondateurs ; il suffit de rappeler entre toutes, les normes données par saint Augustin pour que la charité régnât parmi les « clercs » réunis en communauté de vie dans sa maison 6.

Du reste les attributs que saint Paul assigne à la charité conviennent bien en premier lieu à la fraternité sacerdotale : « la charité est patiente, elle est bonne ; la charité n'est pas envieuse, la charité n'est point inconsidérée ; elle ne s'enfle point d'orgueil ; elle ne fait rien d'inconvenant ; elle ne cherche point son intérêt, elle ne s'irrite point, elle ne tient pas compte du mal, elle ne prend pas plaisir à l'injustice, mais elle se réjouit de la vérité ; elle excuse tout, elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout » (1Co 13,4-7).

Ces diverses considérations sur l'importance du thème choisi, sur l'essence de la charité, sur la fraternité sacerdotale, le Saint-Père désire les offrir aux prêtres qui se réuniront à Florence pour signifier l'importance qu'il attribue à la prochaine Semaine et aux fruits qu'il en espère. Puisse chacun des chers prêtres de l'un et l'autre clergé en sortir comme renouvelé dans l'esprit, de telle sorte que pour chacun d'eux on puisse répéter ce qui fut dit de saint Paul : Cor Pauli, Cor Christi. Daigne le Coeur de Jésus « ardent foyer d'amour » fortifier ces intentions !

Comme souhait et gage, le Souverain Pontife envoie à tous et à chacun d'eux une Bénédiction apostolique toute spéciale.



















< Possid. Vita August., c. XXV.




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