Pie XII 1957 - ALLOCUTION AUX MEMBRES DE LA FÉDÉRATION DENTAIRE INTERNATIONALE


DISCOURS AUX PÈRES DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS

(10 septembre 1957)1






Réunis à Rome, en congrégation générale, 1S5 religieux de la Compagnie de Jésus guidés par le Préposé général actuel, le T.R.P. Janssens, ont été reçus par le Saint-Père, en audience spéciale à Castelgandolfo, dans la matinée du mardi 10 septembre. Voici la traduction du discours que Sa Sainteté prononça en latin à cette occasion :

C'est d'un coeur paternel et joyeux que Nous vous recevons tous, chers fils, vous qui, réunis dans Notre ville, représentez devant Nous toute la Compagnie de Jésus ; et Nous souhaitons à vos travaux les meilleures bénédictions de l'Auteur de tout bien et de son Esprit d'Amour.

1 D'après le texte latin des A. A. S„ XXXXIX, 1057, p. 806 ; traduction française de VOsservalcre Romano, du 27 septembre 1957.

2 formula Instituti Societatis ]esu, n. 1, dans la Lettre apostolique de Jules III, Exposcit debitum, 21 juillet 1550 ; Institutum S. J., Florence 1892, voi. I, p. 23.

8 Ibid., p. 24.




Votre Compagnie, dont votre Père et Législateur Ignace présenta la Formule ou Sommaire de la Règle à l'approbation de Nos prédécesseurs Paul III et Jules III, a été instituée afin de combattre « pour Dieu sous l'étendard de la Croix » et de servir « le seul Seigneur et l'Eglise son épouse, sous le Pontife Romain, Vicaire du Christ sur la terre » 2. Bien plus, votre fondateur a voulu que, outre les trois voeux ordinaires de religion, vous soyez liés par un voeu spécial d'obéissance au Souverain Pontife 3 ; et dans les célèbres « Règles pour entrer dans l'esprit de l'Eglise », jointes au petit livre des Exercices, il vous recommande avant tout que : « Ecartant tout jugement propre l'esprit demeure toujours disposé et prompt à obéir à la véritable épouse du Christ,



notre sainte Mère, qui est l'Eglise orthodoxe, catholique et hiérarchique » ; et l'ancienne version dont votre Père Ignace usait personnellement, ajoute « qui est l'Eglise Romaine » 4.



Fidèle à l'esprit de son fondateur, votre Compagnie se distingue par une « adhésion très intime à la chaire de Pierre »...

Parmi les actions remarquables de vos anciens pères, dont vous êtes fiers à juste titre et que vous cherchez à imiter, un trait se dégage sans conteste, le fait que votre Compagnie, dans une adhésion très intime à la chaire de Pierre, s'est toujours efforcée de garder intacte, d'enseigner, de défendre et de promouvoir la doctrine proposée par le Pontife de ce Siège, auquel « toutes les Eglises, c'est-à-dire tous les fidèles d'où qu'ils soient, doivent s'adresser à cause de sa prééminence 5 » ; sans rien tolérer qui sente la nouveauté dangereuse ou insuffisamment fondée 6.

Ce n'est pas un moindre titre d'honneur pour vous que de tendre, en matière de discipline ecclésiastique, à la parfaite obéissance d'exécution, de volonté et de jugement envers le Siège apostolique, qui contribue tellement « à . . . une plus sûre direction de l'Esprit Saint7 ».

4 Reg. ad. sent, cum Ecclesia, Reg. l.

5 S. Irénée, Adv Haer. 1. 3, c. 3 ; MG 7, 849 A.

6 Coll. Decr., Decr. 102 ; Epist. Inst., n. 319.

7 Formula Instituti Societatis Iesu, in Litt. apost. Exposcit debitum, Inst. S. J., 1. c.




Ce titre d'honneur mérite par la rectitude de la doctrine et la fidélité dans l'obéissance due au Vicaire du Christ, que personne ne vous l'ôte ; et qu'il n'y ait pas place parmi vous pour un certain orgueil de libre examen, propre à une mentalité hétérodoxe plutôt que catholique, et par suite duquel on n'hésite pas à évoquer à la barre de son jugement personnel même ce qui émane du Siège apostolique ; il ne faut pas non plus tolérer de connivence avec certains esprits selon lesquels les règles de l'action et de l'effort pour le salut éternel sont à tirer de ce qui se fait plutôt que ce qui doit se faire ; qu'on ne laisse pas davantage penser et agir à leur guise ceux à qui la discipline ecclésiastique semble une chose vieillie, un vain formalisme, disent-ils, dont on doit facilement s'exempter pour servir la vérité. Si en effet cette mentalité, empruntée à des milieux incroyants, se répandait librement dans vos rangs, ne trouverait-on pas rapidement parmi vous des fils indignes, infidèles à votre Père Ignace, et qu'il faudrait retrancher au plus tôt du corps de votre Compagnie ?



... dans la pratique de l'obéissance parfaite.

L'obéissance absolument parfaite fut depuis le début le signe distinctif de ceux qui combattent pour Dieu dans votre Compagnie. Votre fondateur alla même jusqu'à oser dire : « Souffrons sans trop de difficulté que d'autres Ordres religieux nous surpassent en jeûnes, en veilles, et dans les autres austérités de la nourriture et du régime de vie, que chacun d'eux pratique saintement selon sa règle ; mais quant à la véritable et parfaite obéissance, à l'abnégation de la volonté et du jugement, je désire au plus haut point... que tous ceux qui servent Dieu Notre-Seigneur dans cette Compagnie soient remarquables... »8. Combien fut toujours chère à l'Eglise l'obéissance entière et prompte envers les Supérieurs religieux, la fidèle observation de la discipline régulière, l'humble soumission, allant jusqu'au jugement, à l'égard de ceux que le Vicaire du Christ a voulu qui vous commandent, selon votre Institut si souvent et solennellement approuvé par lui-même et ses prédécesseurs ! Elle est en effet conforme au sens catholique cette vertu sanctionnée, avec l'approbation du Siège apostolique par la tradition continue des anciennes et vénérables familles religieuses, et dont saint Ignace vous a laissé la description dans la célèbre « Lettre sur la vertu d'Obéissance ». C'est une erreur tout à fait éloignée de la vérité de penser que la doctrine de cette Lettre doit être désormais abandonnée et qu'il faut substituer à l'obéissance hiérarchique et religieuse une certaine égalité démocratique selon laquelle l'inférieur débattrait avec le Supérieur de ce qu'il faut faire, jusqu'à ce que l'un et l'autre tombent d'accord.

8 Epist, de virtute Obedientiae, n. 3.

9 Const. S. p. IX, c. 2, n. 2.




Contre l'esprit d'orgueil et d'indépendance, dont un grand nombre sont atteints à notre époque, il faut que vous conserviez intacte la vertu de véritable humilité, qui vous rende aimables à Dieu et aux hommes la vertu d'abnégation universelle, par laquelle vous vous montriez disciples de Celui qui « s'est fait obéissant jusqu'à la mort » (Ph 2,8). Serait-il digne du Christ son Chef celui qui, fuyant l'austérité de la vie religieuse, chercherait à vivre en religion comme s'il était un séculier, lequel recherche à sa guise ce qui lui est utile, ce qui lui plaît et lui sourit ? Ceux qui prétendent, sous l'appellation vaine et désormais rebattue de formalisme, évacuer la discipline religieuse, ont à savoir qu'ils contreviennent aux voeux et aux sentiments de ce Siège apostolique, et qu'ils sont dans l'illusion quand ils en appellent à la loi de charité pour couvrir une fausse liberté affranchie du joug de l'obéissance : quelle serait donc cette charité qui négligerait le bon plaisir de Dieu Notre-Seigneur qu'ils ont fait voeu de réaliser par la vie religieuse ?

C'est cette discipline sévère, l'honneur et la force de votre Ordre, qui vous conservera aujourd'hui encore prêts et disponibles pour les combats du Seigneur et l'apostolat moderne.



Les Supérieurs doivent savoir «commander».

10 Cf. Reg. Provincialis 4.

11 Cf. Reg. Provincialis 3.

12 Const. S. J., p. VI, c. 5.




Un grave devoir incombe à ce sujet à tous les Supérieurs de votre Ordre, qu'il s'agisse du Général, du Provincial ou du Supérieur local. Ils doivent savoir « commander avec modestie et discrétion » 10 ; oui, avec discrétion et modestie, comme il convient à des pasteurs d'âmes, en revêtant la bonté, la douceur et la charité du Christ Notre-Seigneur mais « commander » quand même, et fermement s'il le faut, « mêlant selon les circonstances la sévérité à la bonté », comme ayant à rendre compte à Dieu des âmes de leurs sujets, et de leur progrès dans l'acquisition de la vertu. Bien que vos Règles, selon la sage prescription du fondateur n'obligent pas les sujets sous peine de péché12, les Supérieurs sont cependant obligés à les faire observer, et ils ne sauraient sans faute de leur part laisser négliger un peu partout la discipline religieuse. A l'égal d'un bon père, qu'ils manifestent à leurs sujets la confiance qui est de mise à l'égard des fils, mais qu'en même temps ils veillent attentivement sur leurs fils, comme un bon père est tenu de le faire, et qu'ils ne les laissent pas s'écarter peu à peu du droit sentier de la fidélité.

Votre Institut décrit sagement cet office des Supérieurs surtout des Supérieurs locaux, en ce qui concerne la sortie des sujets hors de la maison religieuse, de leurs relations avec les étrangers, l'envoi et la réception du courrier, les voyages, l'usage ou l'administration de l'argent, et même le soin qu'ils doivent avoir que tous accomplissent fidèlement les exercices de piété, qui sont comme l'âme à la fois, de l'observance religieuse et de l'apostolat. D'excellentes Règles ne servent à rien si ceux à qui il revient d'en presser l'exécution ne s'acquittent de leur charge avec force et constance.



Comme le Christ Notre-Seigneur : acceptez une vie austère de pauvreté et de prière.

« Vous êtes le sel de la terre » (Mt 5,13) : que la pureté de la doctrine, la vigueur de la discipline, jointes à l'austérité de la vie, vous gardent de la contagion du monde et fassent de vous de dignes disciples de Celui qui nous a rachetés par la Croix.

Lui-même vous a avertis : « Qui ne porte pas sa croix et ne vient pas à ma suite, ne peut être mon disciple» (Lc 14,27). De là vient que votre Père Ignace vous exhorte à « accepter et à souhaiter de toutes vos forces ce que le Christ Notre-Seigneur aima et embrassa » 13 ; et « pour mieux arriver à ce degré de perfection si précieux dans la vie spirituelle, que chacun travaille avec toute l'application dont il est capable à chercher dans le Seigneur la plus grande abnégation de soi-même et une mortification continuelle en toutes choses, autant qu'il sera possible » 14. Or, dans la recherche des nouveautés qui préoccupe aujourd'hui tant d'esprits, il est à craindre que le principe premier de toute vie religieuse et apostolique, à savoir l'union de l'instrument avec Dieu15, ne devienne moins clair, et que « notre confiance soit fondée » plutôt « sur les moyens naturels qui... disposent l'instrument à être utile au prochain » 18, contrairement à l'économie de la grâce dans laquelle nous vivons.

13 Examen général, c. 4, n. 44 ; Summ. Const., n. 11.

14 Examen général, c. 4, n. 46 ; Summ. Const., n. 12.

15 Const., p. X, n. 2.

16 Const., p. X, n. 3.




A mener cette vie crucifiée avec le Christ doit concourir en premier lieu la fidèle observation de la pauvreté qui fut tant à coeur à votre fondateur ; et non seulement de la pauvreté qui exclut l'usage indépendant des choses temporelles, mais de celle surtout à laquelle cette dépendance est aussi ordonnée, à savoir l'usage très modéré des choses temporelles joint à la privation de bon nombre des commodités que ceux qui vivent dans le monde peuvent légitimement revendiquer.

Assurément vous emploierez pour la plus grande gloire de Dieu, avec l'approbation de vos Supérieurs, les moyens qui rendent votre travail apostolique plus efficace ; mais en même temps vous vous priverez spontanément de beaucoup de choses qui ne sont nullement nécessaires à votre but, mais ne font que plaire et flatter la nature ; vous le ferez pour que les fidèles voient en vous les disciples du Christ pauvre et réservent peut-être des aumônes plus abondantes à des fins utiles au salut des âmes, au lieu de les prodiguer en plaisirs faciles. Il ne convient pas que des religieux se permettent des vacances hors des maisons de leur Ordre, sinon pour des raisons extraordinaires, qu'ils entreprennent pour se reposer des voyages, agréables sans doute mais coûteux, qu'ils possèdent pour leur usage personnel et exclusif n'importe quels instruments de travail au lieu de les laisser à l'usage et au service de tous, comme le demande la nature de l'état religieux. Quant au superflu, retranchez-le avec simplicité et courage, par amour de la pauvreté et pour rechercher cette mortification continuelle en toutes choses qui est propre à votre Institut. Il faut considérer comme tel l'usage, si répandu à notre époque, du tabac sous ses diverses formes. Etant religieux, prenez soin selon l'esprit de votre fondateur que cet usage soit supprimé parmi vous. Que des religieux ne prêchent pas seulement en paroles mais aussi par exemple, le souci de la pénitence, sans laquelle il n'y a pas d'espoir fondé de salut éternel.

Toutes ces recommandations que Nous vous faisons, bien qu'elles ne soient pas selon la nature et lui semblent au contraire difficiles et excessives, deviendront non seulement possibles mais faciles et agréables dans le Seigneur si vous êtes fidèles à la vie de prière qu'attendait de vous votre Père et Législateur11. Et vos exercices de piété seront animés par la ferveur intime de la charité si vous êtes fidèles à l'oraison mentale prolongée, telle que les Règles approuvées de votre Ordre la prescrivent chaque jour. Des prêtres qui s'adonnent au travail apostolique doivent avant tout vivifier toute leur action par une considération plus profonde des choses de Dieu, et par un amour de charité plus ardent envers Dieu et Notre-Seigneur Jésus-Christ, et Nous savons par les préceptes des saints qu'il se nourrit surtout par l'oraison mentale. Votre Ordre s'écarterait très certainement de l'esprit que voulait votre Père et Législateur s'il ne demeurait fidèle à la formation reçue dans les Exercices Spirituels.



Adaptation ou tradition : un même effort.

Personne parmi vous ne réprouverait ou ne rejetterait quelque nouveauté que ce soit, pour la seule raison qu'elle est nouvelle ; pourvu cependant qu'elle fût utile au salut et à la perfection de leurs âmes et de celles du prochain, en quoi consiste la fin de votre Compagnie 18 ; il est au contraire tout à fait conforme à l'Institut de saint Ignace et c'est une tradition parmi vous de s'appliquer de tout son coeur à toutes les entreprises nouvelles que demande le bien de l'Eglise et que recommande le Saint-Siège, sans avoir peur d'aucun effort d'adaptation. Mais vous devez en même temps conserver fermement et défendre contre tous les efforts du monde et du démon les traditions dont la sagesse découle soit de l'Evangile soit de la nature humaine déchue. Telle est l'ascèse religieuse que votre fondateur a apprise des Ordres anciens et leur a empruntée.



Votre gouvernement reste monarchique.

18 Examen général, c 1, n. 2 ; Summ. Const., n. 2.

19 Epit. Inst., n. 22.

20 Op. c. 23, § 1.

21 Inst. S. /., Florence 1892, vol. I, p. 6.




Parmi les points substantiels de premier ordre de votre Institut19, qui ne peuvent être modifiés par la Congrégation Générale elle-même20, mais uniquement par le Siège apostolique, parce que approuvés « en forme spécifique » par la Lettre apostolique Regimini militantis Ecclesia, du 27 septembre 1540, donnée par Notre prédécesseur Paul IIIzl, se trouve celui-ci : « La forme de gouvernement de la Compagnie est monarchique, définie par les décisions d'un seul Supérieur » 22. Et ce Siège apostolique, sachant bien que l'autorité du Général est comme le pivot sur lequel repose la force et la santé de votre Ordre, loin de penser qu'il faille concéder sur ce point quoi que ce soit à l'esprit de l'époque actuelle, veut au contraire que cette autorité pleine et monarchique qui ne dépend que de l'autorité suprême du Saint-Siège, demeure inébranlée, même si, tout en sauvegardant entièrement la forme monarchique, la charge en est opportunément allégée.

Observation entière des Constitutions.

En un mot, « appliquez-vous tous avec constance à ne rien négliger de ce que vous pouvez atteindre de perfection avec la grâce divine dans l'observation entière de toutes les Constitutions et de la règle propre à votre Institut » 23. On attribue à Notre prédécesseur de pieuse mémoire Clément XIII ce mot qui, sinon littéralement du moins quant au sens, exprime certainement sa pensée, lorsqu'on lui demandait de laisser votre Ordre s'écarter de l'Institut fondé par saint Ignace : « Qu'ils soient tels qu'ils sont, ou qu'ils ne soient pas » 24. Telle est et demeure aussi Notre pensée : que les Jésuites soient tels que les ont formés les Exercices Spirituels, tels que les veulent leurs Constitutions. D'autres dans l'Eglise, sous la conduite de la hiérarchie, tendent louablement à Dieu par une voie sur certains points différente ; pour vous, votre Institut est la « voie vers Dieu » 25. La règle de vie tant de fois approuvée par le Saint-Siège, les oeuvres d'apostolat que le Saint-Siège vous recommande particulièrement, voilà votre programme, en collaboration fraternelle avec les autres ouvriers de la Vigne du Seigneur, qui tous, sous la direction du Saint-Siège et des Evêques, travaillent à l'avènement du règne de Dieu.

22 Epit. Inst., n. 22, g 3, 40.

23 Const., p. VI, c. 1, n. 1 ; Summ. Const., n. 15.

24 Pastor, Geschichte der Paepste, Bd. XVI, 1, 1931, S. 651, Anm. 7.

25 Formula Instituti Societatis Iesu, in Litt. apost. Pauli III, Regimini militantis Ecclesiae, 27 septembre 1540, n. 1 ; Institutum S. I., Florence 1892, vol. I, p. 4.




En gage de la lumière du Saint-Esprit sur les travaux de votre Congrégation et d'une effusion de la grâce divine sur tous et chacun des membres de votre Compagnie, avec l'affection d'un coeur paternel Nous vous accordons la Bénédiction apostolique.




LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A L'UNION DES RELIGIEUSES ÉDUCATRICES PAROISSIALES

(12 septembre 1957) 1






Au nom du Souverain Pontife, Son Exc. Mgr Dell'Aequa, Substitut de la Secrétairerie d'Etat, a adressé la lettre suivante h Son Em. le Cardinal Feltin, archevêque de Paris, sous la présidence duquel eut lieu du 17 au 20 septembre, le IVe Congrès national de l'Union des religieuses éducatrices paroissiales. Le message était rédigé en français.

Le Saint-Père a appris que l'Union des religieuses éducatrices paroissiales de France, née sous les auspices de la hiérarchie au lendemain de la dernière guerre mondiale, s'apprêtait à fêter le dixième anniversaire de sa fondation par un congrès présidé par Votre Eminence et consacré à « La mission de la religieuse face aux problèmes de la vie ouvrière ».

Sa Sainteté connaît et apprécie les services qu'a rendus cette institution au cours des dix premières années de son existence. Elle adresse volontiers à cette occasion à ceux qui en ont été les initiateurs et notamment à son aumônier général, M. l'abbé Gaston Courtois, ses paternels encouragements.

Il est en effet particulièrement opportun à l'heure actuelle que les religieuses qui collaborent avec le clergé paroissial dans les différentes oeuvres d'éducation ou d'apostolat puissent recevoir d'un organisme central bien équipé le supplément de formation et de documentation nécessaire au bon exercice de leurs activités. Les contacts qui s'établissent entre ces religieuses a l'occasion des sessions et congrès organisés par l'Union — et au moyen de publications comme la revue « Educatrices paroi ssiales » — permettent en outre de confronter utilement les expériences et aident à combattre un isolement souvent préjudiciable à l'épanouissement surnaturel des âmes et à l'efficacité de leur action. Enfin, les conditions du monde moderne placent souvent les religieuses vouées à la vie active devant des situations ou des problèmes qu'il est particulièrement indiqué d'étudier en commun : et c'est le cas précisément pour ce qui va faire l'objet du présent congrès, consacré à la « mission de la religieuse face aux problèmes de la vie ouvrière ». On peut dire qu'une exacte connaissance du monde du travail, de sa psychologie, de ses souffrances et de ses espoirs, est indispensable aujourd'hui à quiconque — prêtre, religieux ou religieuse — cherche à y faire pénétrer et fructifier l'esprit chrétien ; tandis qu'inversement leur méconnaissance risquerait de stériliser, en partie au moins, les résultats d'un zèle et d'un dévouement par ailleurs dignes d'éloges. C'est donc bien à propos qu'a été choisi ce sujet d'études, et c'est de grand coeur que Sa Sainteté se plaît à invoquer sur les organisateurs et orateurs du congrès ainsi que sur ceux et celles qui y participeront, les plus abondantes lumières d'en-haut. En gage de ces célestes faveurs, et comme témoignage de sa paternelle bienveillance, le Père commun leur envoie à tous une large Bénédiction apostolique.

RADIOMESSAGE POUR LE Ville CENTENAIRE DU SANCTUAIRE DE MARIAZELL
(15 septembre 1957) 1






Les catholiques autrichiens réunis à Mariazell pour le VIIIe centenaire de leur sanctuaire national, ont entendu la voix du Souverain Pontife qui s'est adressé à eux, dans leur langue maternelle, en un radio-message dont nous donnons la traduction suivante :

Avec une paternelle affection et une profonde émotion, Nous vous adressons la parole, chers fils et filles d'Autriche, qui, réunis autour de vos Pasteurs spirituels, Nos vénérés Frères, célébrez aujourd'hui le huitième centenaire du sanctuaire national de Mariazell ; et cette fête est l'apogée et le couronnement des manifestations qui se poursuivent depuis des mois et veulent être une expression d'amour et de vénération envers Marie, la « Magna Mater Austriae ».



Mariazell: centre de la fervente dévotion de l'Autriche envers Marie.

1 D'après le texte allemand des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 854 ; traduction française de VOsservatore Romano, du 27 septembre 1957.




Combien de prières et combien de supplications à la Mère de Dieu, Mariazell — cet antique et grand sanctuaire qui domine la région danubienne — accueillit au cours des siècles ! On raconte que dès l'an 1400, des foules de pèlerins, provenant de la Mer Baltique et d'Italie, de France et de Roumanie, affluèrent à ce sanctuaire. Combien de jeunes gens et combien de couples de nouveaux mariés y confièrent la félicité de leur vie à l'amour de Marie ! Combien de personnes dans le besoin et en danger, combien de victimes d'infortunes et de tribulations implorèrent sa protection maternelle et son aide puissante !



Combien de fois, depuis l'époque de Ludovic le Grand de Hongrie, les souverains de votre pays recommandèrent le salut et la prospérité de l'Autriche à la très Sainte Vierge de Mariazell ! Nous pensons au renouveau catholique après les tourmentes de la scission religieuse au XVIe siècle, au pieux empereur Ferdinand II dans la Guerre de Trente Ans, à la terrible invasion des Turcs en l'an 1683. En ces circonstances, vos ancêtres invoquèrent l'aide de la Sainte Vierge à Mariazell, tandis que Notre prédécesseur le Pape Innocent XI, que Nous avons béatifié, s'adressait à Elle de Rome. Innocent XI était un homme de prière, mais aussi d'action. Prévoyant les événements, il aplanit la voie, en de longues et difficiles négociations, au salut de la cité impériale de Vienne et de l'Occident chrétien, en préparant la Ligue entre l'empereur Léopold et le roi de Pologne Jean III Sobieski. Que la fête liturgique du nom de Marie, qu'il institua lui-même en souvenir de la victoire sous les murs de Vienne, et l'appellation de « Patrona Viennensis », que les Viennois donnèrent en esprit de reconnaissance à la Mère de Dieu, rappellent toujours à votre mémoire l'aide miraculeuse accordée par Marie à votre pays en des heures de péril extrême.

Nous pensons enfin aux durs coups infligés, également dans votre pays, à la foi catholique par un illuminisme hostile à l'Eglise et au peuple et par la poussée libérale, ces deux cents dernières années. Petit-être, à Mariazell, ne fut-il jamais autant prié en aucun autre péril.

Le nombre des pèlerins était, dans les temps passés, bien inférieur à celui de nos jours, où ils se rendent à Mariazell par centaines de milliers, chaque année. Le progrès des communications modernes a certainement contribué à cette augmentation. Toutefois ce phénomène tend à prouver, de façon impressionnante, que durant le dernier demi-siècle, où le peuple autrichien fut deux fois bouleversé par des guerres mondiales ainsi que par de très graves convulsions politiques et économiques, sa foi n'a pas défailli, tandis que s'est accrue sa dévotion envers Marie. Nous voulons voir dans la splendeur de la basilique rénovée de Mariazell un symbole de votre fidélité inébranlable et de votre amour pour la Reine céleste.

Qui pourrait en douter devant tant de célébrations jubilaires, tant de pèlerinages, qui, ces mois-ci, ont eu et ont pour but le sanctuaire de Mariazell ? Il Nous plaît d'en citer au moins les plus importants :

La Journée de la Mère de Dieu en Styrie. Les pèlerinages du Burgenland et de la Haute-Autriche. La Journée des Femmes autrichiennes. Les pèlerinages de l'Artisanat autrichien, de la Jeunesse rurale catholique de Styrie, de la Jeunesse rurale de Saint-Hippolyte, de la Jeunesse du Burgenland, des Scouts autrichiens et des Fils de Kolping. Le grand pèlerinage de la ville de Vienne. Le pèlerinage des Hommes viennois, comme cela avait lieu également aux temps de votre apôtre Henri Abel Le pèlerinage bavarois et la Journée de la « Patrona Bavariae » Le pèlerinage de la ville de Stuttgart, avec les Allemands exilés de Hongrie et des Sudètes. La Journée de la « Magna Hunga-rorum Domina ». La Journée de la « Mater Gentium Slavorum ». La Journée du IIIe congrès international de l'Union mondiale des Instituteurs catholiques. La Journée de la « Catholica Unio ». La Journée de la Réconciliation des Peuples. La Journée de la Mère des Nations. La Journée de la Pénitence.

Combien de bonne volonté, combien de ferveur sacrée, combien d'espérances, combien de confiance et de dévotion envers Marie renferme cette liste !

A l'occasion de votre grand « Katholikentag » de 1952, Nous vous exhortions : « Confiez à Marie votre destinée, confiez-lui avant tout votre volonté d'un renouveau chrétien. Alors vous n'aurez rien à craindre et vous pourrez vous abandonner à la confiance » 2. L'Eglise, si hautes que puissent être les valeurs en jeu, ne peut donner d'assurances absolues dans le domaine de la vie terrestre. Mais une « volonté de vie de sainteté » implique toutefois une promesse sans conditions, par laquelle Dieu s'engage à faire tout concourir au bien de ceux qui l'aiment (Rm 8,28). Nous ne pouvons donc que répéter ce que Nous avons dit alors, il y a cinq ans, en ajoutant toutefois trois recommandations.



Trois grandes recommandations.

2 A. A. S., XXXXIV, 1952, p. 793 ; cf. Documenta Pontificaux 2952, p. 470.




Premièrement : on entend dire partout qu'est venue l'heure de l'apostolat des laïcs auquel tous sont appelés. — Oui, au moins à l'Apostolat de la prière et du bon exemple. Cet apostolat est en effet aujourd'hui de la plus grande urgence, parce que le monde déçu et rendu prudent par tant de messages qui



se sont révélés fallacieux n'accordera crédit à vos paroles que s'il peut tirer de vos actes la conviction que vous entendez « servir Dieu et traduire en actions ses commandements ». Le précepte « servir Dieu » ne se réfère pas seulement à votre vie privée, mais aussi à votre activité dans la communauté, au travail, à vos devoirs dans la vie publique, à toute votre existence jusque dans ses prolongements les plus intimes. Les hommes et les femmes qui occupent des postes de direction et se comportent en tout comme des chrétiens et des catholiques exemplaires peuvent faire des prodiges pour la cause du Christ et de son Eglise. Un tel « service de Dieu » est un vrai « Cantique à Marie ».

Deuxièmement : soyez conscients de votre responsabilité à l'égard des Etats et des peuples qui vous sont limitrophes ! Non pas que l'Autriche n'ait point déjà fait de grands sacrifices quand, l'automne et l'hiver derniers, des émigrés de Hongrie se réfugièrent sur son territoire en quête de salut. Nous songeons au sort de ces nations et de ces peuples, vers qui va Notre pensée, tandis que vous êtes réunis dans le sanctuaire de Mariazell pour glorifier la Mère de Dieu : Mariazell était également leur sanctuaire, ils s'y rendaient eux aussi en pèlerinage et innombrables sont ceux dont le désir hâte le jour où ils pourront de nouveau témoigner librement leur gratitude et leur dévotion envers la Reine des Cieux. Actuellement, il vous appartient de les représenter devant la Vierge Marie et son divin Fils. Priez pour eux, pour le bien suprême de la liberté dans tout ce qui est digne de l'homme et est accepté par Dieu, et implorez avec l'Eglise : « Dieu, notre Seigneur, tournez votre regard vers nous et protégez-nous contre les périls qui nous menacent de la part de nos ennemis afin que, les angoisses ayant cessé, nous puissions vous servir librement » 3.

Troisièmement : priez dans le sanctuaire de la Vierge des Grâces pour les grandes préoccupations de l'Eglise universelle. L'heure actuelle est caractérisée par la difficulté de dire si c'est l'angoisse pour les peines et les dangers qui oppriment l'Eglise sur des continents entiers, qui est la plus grande, ou bien l'espérance dans les énormes possibilités qui peuvent se confirmer dans le monde. De toute façon, pour tous les fils de l'Eglise, il y a une exigence : prier et se sacrifier.



8 Missale, Orationes diversae n. il ; Fostcomm.

Nous recommandons à la Vierge Immaculée les Pasteurs et les prêtres, les représentants des autorités politiques présents en cette occasion, et vous tous, chers fils et filles, toute l'Autriche et son peuple, afin que sa puissante intercession fasse descendre sur vous les effets de la miséricordieuse Providence de Dieu, ainsi que la grâce et l'amour de Jésus-Christ, son divin Fils, en copieuse abondance. De tout coeur, Nous vous en donnons en gage la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX ORGANISATIONS INTERNATIONALES FAMILIALES

(16 septembre 1957) 1






Au cours des « Jounées internationales sur la famille » organisées par l'Union internationale des organismes familiaux, les congressistes ont été reçus en audience par le Souverain-Pontife.

Partant du thème principal de ces fournées : « Les familles privées du père », Sa Sainteté leur a adressé, en français, le discours suivant :

Nous accueillons bien volontiers les congressistes qui participent aux « Journées familiales internationales », organisées par 1'« Union internationale des Organismes familiaux ». Au cours des années précédentes, vous avez étudié nombre de problèmes économiques, sociaux ou éducatifs intéressant la vie des familles ; Nous vous exprimons Nos félicitations pour les résultats obtenus et les améliorations, que vous avez pu déterminer dans un domaine qui Nous tient fort à coeur.

1 D'après le texte français des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. S98. Les sous-titres sont de la Documentation Catholique, t. LIV, col. 12S5 et suiv.




Vous abordez cette année un sujet qui mérite certes la plus vive sollicitude et la sympathie agissante de tous : celui des familles privées de père. Sujet auquel jusqu'ici on n'a pas prêté assez d'attention, en partie à cause de l'impuissance même où se trouvent ces foyers sur le plan de l'action sociale. Aussi appartient-il à des organismes tels que le vôtre d'entreprendre l'examen systématique des conditions de vie toujours pénibles, et parfois écrasantes, qui pèsent sur les veuves et les orphelins. Rassemblant d'abord dans une enquête préalable les informations statistiques sur le nombre et la situation de ces familles, vous avez cherché à tracer un tableau de leur condition juridique ; puis, sur la base de ces données, vous abordez les problèmes économiques, professionnels, psychologiques et éducatifs qui les concernent. Nous espérons que les résultats de ces recherches et discussions ne tarderont pas à se manifester et qu'ils seront désormais, chez tous ceux qui travaillent à améliorer le sort des familles les plus éprouvées, le point de départ d'une action sérieuse et prolongée pour remédier, dans la mesure du possible, à tant de souffrances toujours vives.

Sans traiter expressément les questions que vous étudiez, Nous Nous proposons de dire ici quelques mots sur le problème spirituel et religieux du veuvage et de préciser les attitudes intérieures et les dispositions, qui conviennent à la veuve chrétienne et commandent l'orientation de sa vie. Nous pensons surtout avec une paternelle sollicitude à celles qui, jeunes encore, ont la charge d'une famille à élever et sont donc les plus lourdement frappées par la disparition de leur mari.



Le veuvage : une très lourde croix qu'une résignation passive ne peut aider à porter.

On remarque souvent que le mot même de « veuve » évoque, chez ceux qui l'entendent, une impression de tristesse et même une sorte d'éloignement ; aussi d'aucunes se refusent à le porter et s'efforcent par tous les moyens de faire oublier leur condition, sous prétexte qu'elle humilie, excite la commisération, les met dans un état d'infériorité, dont elles veulent s'évader et effacer jusqu'au souvenir. Réaction normale aux yeux de beaucoup mais, disons-le bien clairement, réaction peu chrétienne ; elle comporte sans doute un mouvement d'appréhension plus ou moins instinctif devant la souffrance, mais trahit aussi une ignorance des réalités profondes.

Quand la mort frappe un chef de famille dans la force de l'âge et l'enlève à son foyer, elle plante en même temps au coeur de l'épouse une croix très lourde, une douleur ineffaçable, celle de l'être à qui on arrache la meilleure part de lui-même, la personne aimée qui fut le centre de son affection, l'idéal de sa vie, la force calme et douce, sur laquelle il était si rassurant de s'appuyer, le consolateur capable de comprendre toutes les peines et de les apaiser. Soudain, voici que la femme se trouve affreusement seule, délaissée, pliée sous le poids de sa douleur et des responsabilités qu'elle doit affronter : comment assurer sa subsistance et celle de ses enfants ? Comment résoudre le cruel



dilemme : s'occuper des siens ou quitter ,1a maison pour aller gagner son pain quotidien ? Comment conserver son indépendance légitime malgré les recours nécessaires à l'aide de proches parents ou d'autres familles ? Il suffit d'évoquer ces questions pour comprendre à quel point l'âme de la veuve éprouve une sensation d'accablement et parfois de révolte devant l'immensité de l'amertume qui l'abreuve, de l'angoisse qui l'enserre comme d'une infranchissable muraille. Aussi certaines s'abandonnent à une sorte de résignation passive, perdent le goût de vivre, refusent de sortir de leur souffrance, tandis que d'autres, au contraire, tâchent d'oublier et se créent des alibis, qui les dispensent d'affronter loyalement et courageusement leurs vraies responsabilités.



Une prolongation des grâces du mariage et la préparation de leur épanouissement dans la lumière de Dieu.

Aux premiers siècles de l'Eglise, l'organisation des communautés chrétiennes assignait aux veuves un rôle particulier. Le Christ durant sa vie mortelle leur témoignait une bienveillance spéciale, et les apôtres, après lui, les recommandent à l'affection des chrétiens et leur tracent des règles de vie et de perfection. Saint Paul décrit la veuve comme « celle qui a mis son espoir en Dieu et persévère nuit et jour dans les supplications et les prières » (1Tm 5,5).

Bien que l'Eglise ne condamne pas les secondes noces, elle marque sa prédilection pour les âmes, qui veulent rester fidèles à leur époux et au symbolisme parfait du sacrement de mariage. Elle se réjouit de voir cultiver les richesses spirituelles propres à cet état. La première de toutes, Nous semble-t-il, est la conviction vécue que, loin de détruire les liens d'amour humain et surnaturel contractés par le mariage, la mort peut les perfectionner et les renforcer. Sans doute, sur le plan purement juridique et sur celui des réalités sensibles, l'institution matrimoniale n'existe plus ; mais ce qui en constituait l'âme, ce qui lui donnait vigueur et beauté, l'amour conjugal avec toute sa splendeur et ses voeux d'éternité, subsiste, comme subsistent les êtres spirituels et libres qui se sont voués l'un à l'autre. Quand l'un des conjoints, libéré des attaches charnelles, entre dans l'intimité divine, Dieu le délivre de toute faiblesse et de toutes les scories de l'égoïsme ; il invite aussi celui qui est resté sur terre à s'établir dans une disposition d'âme plus pure et plus spirituelle. Puisque l'un des époux a consommé son sacrifice, ne faut-il pas que l'autre accepte de se détacher davantage de la terre et de renoncer aux joies intenses, mais fugaces, de l'affection sensible et charnelle, qui liait l'époux au foyer et accaparait son coeur et ses énergies ? Par l'acceptation de la croix, de la séparation, du renoncement à la présence chère, il s'agit maintenant de conquérir une autre présence, plus intime, plus profonde, plus forte. Une présence qui sera aussi purifiante ; car celui, qui voit Dieu face à face, ne tolère pas en ceux, qu'il a le plus aimés pendant son existence terrestre, le repliement sur soi, le découragement, les attachements inconsistants. Si déjà le sacrement de mariage, symbole de l'amour rédempteur du Christ pour son Eglise, applique à l'époux et à l'épouse la réalité de cet amour, les transfigure, les rend semblables l'un au Christ, qui se livre pour sauver l'humanité, l'autre à l'Eglise rachetée, qui accepte de participer au sacrifice du Christ, alors le veuvage devient en quelque sorte l'aboutissement de cette consécration mutuelle ; il figure la vie présente de l'Eglise militante, privée de la vision de son époux céleste, avec qui cependant elle reste indéfectiblement unie, marchant vers lui dans la foi et l'espérance, vivant de cet amour qui la soutient dans toutes ses épreuves, et attendant impatiemment l'accomplissement définitif des promesses initiales.

Telle est la grandeur du veuvage, quand il est vécu comme le prolongement des grâces du mariage et la préparation de leur épanouissement dans la lumière de Dieu. Quelle pauvre consolation humaine pourrait jamais égaler ces merveilleuses perspectives ? Mais aussi faut-il mériter d'en pénétrer le sens et la portée, et demander cette compréhension par une prière humble, attentive, et par l'acceptation courageuse des volontés du Seigneur.



Le pardon rédempteur pour l'époux qui a fait souffrir.

Il est relativement facile pour une femme, qui vit intensément son christianisme et dont le mariage n'a jamais connu de crises graves, de s'élever jusque là. Mais d'aucunes ont traversé, dans leur vie conjugale, des périodes pénibles à cause de l'incompréhension ou de l'inconduite de leur époux ; d'autres ont résisté héroïquement pour ne pas déserter un foyer, qui ne leur apportait que déceptions, humiliations, épuisement physique et moral. La mort du conjoint peut apparaître dans ces cas comme une libération providentielle d'un joug devenu trop lourd.

Et cependant, devant le mystère de la mort et des jugements divins, au souvenir des promesses de miséricorde et de résurrection qu'apporte la révélation chrétienne, l'épouse malheureuse et non coupable ne peut nourrir d'autres sentiments que ceux du Christ lui-même devant les hommes pécheurs : celui du pardon volontaire, celui de l'intercession généreuse. Les blessures du passé, les souvenirs attristants deviennent alors un moyen efficace de rachat ; offerts à Dieu pour l'âme du défunt, mort dans la charité du Christ, ils expient pour ses fautes et hâtent pour lui la vision béatifique. Une telle attitude, inspirée par un sens profond de l'union conjugale et de sa valeur de rédemption, n'est-elle pas la seule solution authentiquement chrétienne, capable de guérir les plaies encore saignantes, d'effacer amertume et vains regrets, et de restaurer ce qui semblait irrémédiablement perdu ?

Comme il serait erroné, par contre, de profiter du veuvage pour s'affranchir de la réserve et de la prudence qui conviennent aux femmes seules, et s'abandonner aux vanités d'une vie facile et superficielle. C'est méconnaître la faiblesse du coeur humain, trop avide de peupler une solitude ingrate, et les périls de fréquentations apparemment inoffensives, mais sanctionnés trop souvent par des chutes regrettables.



nécessité de cultiver sa vie spirituelle.

Aussi souhaitons-Nous vivement que les efforts entrepris pour faire comprendre la grandeur du veuvage chrétien soient poursuivis avec persévérance. Nous savons que déjà beaucoup de veuves, dirigées par des guides spirituels compétents et grâce à l'entraide de leurs groupements, se sont ouvertes aux sublimes enseignements de la foi. Que chacune de celles, dont le compagnon de route a été rappelé à Dieu, se persuade de la nécessité impérieuse de cultiver sa vie spirituelle, si elle veut garder la paix intérieure et faire face sans défaillir à toutes ses tâches. Qu'elle ne laisse passer aucun jour, sans s'accorder un temps de recueillement, quelques moments privilégiés où elle se sentira plus près du Seigneur et plus près de celui qui/continue à veiller sur elle et sur son foyer. Qu'elle se réserve aussi chaque année quelques jours consacrés plus exclusivement à la réflexion et à la prière, loin du bruit, des soucis quotidiens tellement accablants. Elle y trouvera une sécurité inexprimable qui illuminera toutes ses décisions et lui permettra d'assumer avec fermeté ses responsabilités de chef de famille. Cette prière s'accompagnera, il va sans dire, de la pratique sacramentelle, de la participation à la liturgie et de la mise en oeuvre des autres moyens de sanctification, qui l'aideront à se défendre des tentations insidieuses, celles du coeur et des sens en particulier.



Le souvenir de l'absent doit inspirer courage à la veuve dans sa tâche d'éducatrice.

Dans son foyer, la veuve continuera à pratiquer le don d'elle-même, qu'elle a promis au jour de son mariage. Ses enfants attendent tout d'elle, puisqu'elle tient aussi la place du père. La veuve de son côté reporte sur ses enfants l'affection sensible qu'elle donnait à son mari ; elle s'attache tendrement à eux et pourtant, en cela aussi, elle doit rester fidèle à sa mission, faire taire les appels trop pressants d'un coeur sensibilisé à l'extrême, pour assurer à ses enfants une formation virile, solide, ouverte sur la société, pour leur laisser la liberté à laquelle ils ont droit, en particulier dans le choix d'un état de vie. Il serait funeste de se consumer en vains regrets, de se complaire en souvenirs amollissants où, à l'inverse, de se laisser épouvanter par de sombres perspectives d'avenir. La veuve se consacrera à sa tâche d'éducatrice avec la délicatesse et le tact d'une mère sans doute, mais restera unie en esprit à son mari, qui lui suggérera en Dieu les attitudes à prendre, lui donnera autorité et clairvoyance. Il faut que le souvenir de l'absent, au lieu d'empêcher ou de ralentir l'élan généreux et l'application aux tâches nécessaires, inspire le courage de les accomplir intégralement.



Le témoignage d'un bonheur plus profond, plus stable, plus lumineux.

Dans les relations sociales, la veuve ne peut renoncer à la place qui lui revient. Sans doute, apparaît-elle du dehors entourée d'une réserve plus marquée, car elle participe davantage au mystère de la Croix et la gravité de son comportement trahit l'emprise de Dieu sur sa vie. Mais précisément pour cette raison, elle possède un message à délivrer aux hommes qui l'entourent : elle est celle qui vit davantage de la foi, celle qui a conquis par sa douleur l'accès d'un monde plus serein, surnaturel. Elle ne prend pas appui sur l'abondance des biens temporels, dont elle est souvent dépourvue, mais sur sa confiance en Dieu. Aux foyers trop fermés ou repliés sur eux-mêmes, et qui n'ont pas encore découvert le sens plénier de l'amour conjugal, elle dira les purifications et les détachements nécessaires, la fidélité sans repentance qu'il exige. Auprès des autres veuves en particulier, elle se sentira spécialement chargée de les aider à parfaire leur sacrifice, à en saisir la signification, en s'élevant au-dessus des simples vues humaines pour en percevoir les prolongements éternels. Pour tous, elle sera celle dont la charité silencieuse et délicate s'empresse à rendre service, d'un mot, d'un geste, partout où se révèle un besoin plus urgent, une peine plus vive. Dans ses relations familiales, professionnelles ou d'amitié, elle apportera la note distinctive qui caractérise son apostolat : le témoignage de sa fidélité à une mémoire chère, et celui d'avoir trouvé, dans cette fidélité et dans les renoncements qu'elle impose, un bonheur plus profond, plus stable, plus lumineux, que celui auquel elle a dû renoncer.



richesse des petits services partis d'un coeur grandi par l'épreuve.

Aux heures plus austères et dans les tentations de découragement, elle évoquera la chaste héroïne Judith, qui n'hésita pas à courir les plus graves périls pour sauver son peuple de la ruine et mit en Dieu toute sa confiance. Elle pensera surtout à la Vierge Marie, veuve elle aussi, qui après le départ de son fils, resta dans l'Eglise primitive celle, dont la prière, la vie intérieure, le dévouement caché attiraient sans cesse les bénédictions divines sur la communauté. Lorsqu'elle éprouvera davantage le déclin de ses forces physiques, sa pauvreté, son impuissance à travailler beaucoup, à prendre encore part aux activités de charité ou d'apostolat, qu'elle se rappelle la parole de Jésus regardant les riches déposer leurs offrandes dans le trésor, et, après eux, une pauvre veuve qui y mettait deux menues pièces de monnaie : « Vraiment, je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus qu'eux tous » (Lc 21,2-3). Ce que le Seigneur disait de cette modeste obole s'applique aussi aux moindres services qu'une veuve peut rendre, pourvu qu'ils partent d'un coeur appartenant davantage à Dieu, d'un coeur grandi par l'épreuve, plus proche aussi de ceux qu'il aime, et capable de



répandre autour de lui les reflets les plus purs de l'amour qui le possède.

En gage des faveurs divines, que Nous appelons sur vous-mêmes, sur vos familles et ceux qui vous sont chers, et sur toutes celles qui dans le monde entier découvrent dans le veuvage une voie qui tend vers la découverte plénière de l'amour divin, Nous vous accordons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.

Pie XII 1957 - ALLOCUTION AUX MEMBRES DE LA FÉDÉRATION DENTAIRE INTERNATIONALE