Pie XII 1957 - LETTRE A LA XXX> SEMAINE SOCIALE DES CATHOLIQUES D'ITALIE


DISCOURS A LA RÉGENTE DU BASUTOLAND

(27 septembre 1957) 1






Au cours de l'audience privée accordée à Son Exc. Madame Amelia M'a Ntsébo Seeiso Griffith, régente du Basutoland, qu'accompagnaient plusieurs hautes personnalités laïques et ecclésiastiques, le Saint-Père prononça, en anglais, un discours dont nous donnons la traduction suivante :

La satisfaction et le plaisir avec lesquels Nous vous saluons, honorables et illustres chefs du Basutoland qui accompagnez la Régente en Chef, peuvent être témoignés par la lettre que Nous avons récemment adressée à Nos vénérables Frères-Evê-ques dans le monde entier au sujet de Notre très chère Afrique. C'était Notre intérêt affectueux pour votre vaste continent qui inspirait cette lettre ; chaque ligne était dictée par Notre sollicitude paternelle pour le vrai progrès des peuples africains dans leur recherche de la prospérité humaine et de la paix spirituelle en la possession de la foi. Elle exprimait Notre fierté et Notre joie pour l'expansion de l'Eglise spécialement ces dernières décades et comment Nous suivons la floraison de la semence jetée en terre il y a des générations et alimentée au cours des années par l'effort ardu et les sacrifices secrets de centaines de missionnaires, prêtres, religieux et religieuses, catéchistes et dirigeants laïcs, dont les noms ajoutent une gloire resplendissante aux pages de l'histoire d'Afrique.

Cependant malgré Notre profonde consolation pour la magnifique tâche accomplie, Nous sommes vivement conscient de l'ampleur et de l'urgence du travail qui est encore à faire et Notre coeur n'est pas sans anxiété. L'évolution sociale, économique et politique, qui entraîne à un rythme rapide les vies de tant de peuples d'Afrique, les expose inévitablement à des influences malsaines, susceptibles d'avoir de sérieuses conséquences pour leur avenir. Ce serait pure folie pour la société civile d'agir comme si Dieu n'existait pas ou comme s'il n'avait aucun souci des créatures voulues par son amour tout-puissant. Laissez Dieu à l'écart et la justice n'est plus qu'un mot écrit sur les eaux de la mer. C'est donc avec raison que Nous avons alerté les peuples africains contre le poison mortel du matérialisme athée, qui ne manque pas d'être suivi de la mort, mort pour les droits humains, pour la liberté et le bonheur authentique, et aussi pour le besoin de discerner soigneusement où doit être trouvée la plénitude de la révélation de Dieu. Parce que cette révélation, confiée par le Christ à l'Eglise qu'il fonda sur Pierre, « l'Eglise du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité » (1Tm 3,15), a été donnée pour tous les peuples et pour chaque individu, et elle a pour but d'éclairer la voie aux chefs dans l'Etat, de les guider dans leur noble fonction d'aider les citoyens vers le développement harmonieux de leurs forces naturelles et vers la réalisation de la perfection qui convient à leur nature. Or cette perfection, ce destin final de l'homme, comme vous le savez, le conduit au-delà de l'horizon étroit et trouble de la création visible, dans la vie qui ne connaîtra pas de fin auprès du Créateur.

Lorsque réfléchissant à ces vérités, Nous tournons les yeux vers votre pays, très chers hôtes, Notre consolation s'accroît, Notre anxiété est apaisée. Comme peuple intelligent, vous avez reçu une bénédiction spéciale de Dieu en la personne d'un saint missionnaire d'une stature héroïque, le Père Gérard, et avec un Chef suprême, Nathaniel Griffith Lerotholi, qui, pendant un quart de siècle a gouverné par la parole et l'exemple conformément aux plus hauts principes de la justice et de la charité chrétiennes. Ces mêmes principes guident votre actuelle Régente en Chef, qui vous a introduits en Notre présence ; aussi n'est-on point surpris en entendant l'histoire de votre progrès stable et organisé. Puisse-t-il continuer sur cette voie qui conduit à une paix durable et à une prospérité authentique. Nous savons que dans votre capitale vous avez installé une Université qui porte Notre nom. Nous lui souhaitons tous les succès et Nous Nous plaisons à espérer qu'elle aura longue vie pour rappeler aux étudiants de générations qui ne sont pas encore nées que le



Pape, Vicaire du Christ, dans la Rome lointaine, les aime, prie pour eux et attend d'eux de grandes choses dans le véritable et meilleur intérêt de leur peuple et de toute l'Afrique.

Notre Bénédiction apostolique accompagne Nos bons voeux. Puisse-t-elle attirer sur votre peuple, sur vous, illustres et honorables Chefs et sur tous ceux qui vous sont proches et chers dans votre patrie, d'abondantes grâces de Dieu.


RADIOMESSAGE POUR LA CLÔTURE DE LA MISSION GÉNÉRALE DE BOLIVIE

(29 septembre 1.957)1






La grande « Mission générale » tenue dans toute la Bolivie, durant près de quatre mois, s'est terminée à La Paz. En conclusion, le Saint-Père s'est adressé, le 29 septembre, à tout le peuple bolivien, en un radiomessage prononcé en espagnol, dont nous donnons la traduction ci-dessous :

Très chers fils, tous boliviens qui, avec la clôture de la sainte Mission dans la ville de La Paz, célébrez aussi la fin de la Mission générale qui, durant près de quatre mois, a fait résonner dans tout votre pays un appel extraordinaire pour le renouvellement des esprits.

Cela fait plus de onze ans que, de ce centre de la chrétienté, à l'occasion de l'inoubliable Congrès eucharistique national bolivien, Nous avons eu la consolation de vous adresser Notre parole, en vous exhortant à vivre unis autour du Saint Sacrement de l'autel, comme une famille dont les membres s'assoient à une même table, pour manger un même pain 2.

1 D'après le texte espagnol de Discorsi e radiomessaggi, 19, traduction française de l'Osservatore Romano, du 18 octobre 1957.

2 Discorsi e radiomessaggi, 8, p. 143 et suiv.




Aujourd'hui, en revanche, Notre parole ne s'adresse pas à une assemblée déterminée, si solennelle qu'elle soit ; aujourd'hui, Nous parlons à toute une nation, que Nous imaginons en ce moment comme un seul corps, ému et vibrant, que l'ardeur missionnaire a traversé sans oublier aucune partie, en l'illuminant, le vivifiant et le purifiant tout entier, des hautes cimes de l'Ouest, où les neiges des Andes se reflètent sur les superficies tranquilles de lacs enchanteurs, jusqu'aux plateaux de



l'Orient qui s'échelonnent pour aboutir aux bassins de l'Oré-noque et du Paraguay ; des forêts de l'Amazone du Nord, prodige de fécondité et de verdure, jusqu'aux vastes savanes du Chaco, de long en large de toute cette terre privilégiée avec l'or et l'argent dans ses entrailles ; de Cochabamba et Tarija jusqu'à Oruro et Potosi, Sucre et, maintenant, La Paz, superbe dans son élévation, comme en un nid d'aigles, que protègent les pointes glacées de l'Ilimani.

C'est pour cela même que Nous sommes certain, très chers Boliviens, que ce que vous attendez en ce moment et que Nous pensons devoir faire n'est pas tant que Nous vous parlions du thème général, que vos zélés missionnaires vous ont exposé ces semaines-ci — le retour au Christ : Voie, au moyen de l'observation des commandements ; Vérité, au moyen de votre vie de foi ; et Vie, au moyen de votre participation aux saints sacrements — mais plutôt que Nous prononcions une brève allocution finale ; cette allocution que vous aurez déjà écoutée dans les missions partielles, quand le Ministre du Seigneur vous a bénis et a pris congé de vous en vous arrachant les larmes des yeux.

Félicitations — vous ont-ils dit, sans aucun doute — ; félicitations à tous, aux organisateurs et aux collaborateurs, mais principalement à vous qui avez tiré profit de cette Mission, les uns pour augmenter la ferveur de votre vie chrétienne, les autres pour secouer cette torpeur qui tenait votre âme endormie ; d'autres peut-être aussi pour sortir d'un état qui ne laisse pas reposer en paix leurs consciences et pour acquérir cette tranquillité et cette satisfaction qui les rend si heureux, au point qu'il leur semble avoir commencé une nouvelle existence.

Félicitations et remerciements. Des remerciements à vos diligents pasteurs, qui n'ont pas hésité à entreprendre une organisation aussi complexe afin de procurer ce bien à vos âmes ; des remerciements aux autorités et à tous ceux qui ont tenu à faciliter une oeuvre si importante ; des remerciements très particuliers aux inlassables missionnaires — ceux d'en deçà et ceux d'au-delà des mers — qui trouveront au ciel la récompense de leurs sueurs apostoliques ; des remerciements à tous ceux qui ont offert pour la Mission des prières et des sacrifices, de la pénombre d'une cellule ou dans l'activité pénible de la rue ; des remerciements à votre très Sainte Mère de Copa-cabana, qui vous a démontré une fois de plus son affection maternelle et sa prédilection, en vous procurant par son intercession cette abondance de dons célestes ; des remerciements surtout au Seigneur, votre Père, au Dispensateur de tout bien, qui vous a accordé cette heure de bénédiction et de consolation, de générosité et de miséricorde, comme une preuve de plus de l'amour qu'il vous porte. Ne la laissez pas échapper, très chers fils ! Ne la laissez pas passer en vain ! N'endurcissez pas vos coeurs, vous qui, ces jours-ci, avez entendu sa voix ; et ainsi le fruit de la Mission générale pourra être admiré immédiatement dans un renouvellement, sérieux et profond, de toute cette vie chrétienne, qui a été et est une des caractéristiques dont s'est toujours le plus honoré votre peuple.

Des félicitations donc parce qu'elles étaient dues ; des remerciements aussi, comme il convient ; mais, en outre, pour leur donner consistance et efficacité, une résolution. Et si vous Nous demandez en quoi devrait consister fondamentalement cette résolution, en raison de l'affection paternelle que Nous avons pour vous et du désir que Nous avons de votre vrai bien, Nous vous dirons qu'elle consiste en une généreuse volonté de toujours se rappeler la grandeur du mariage chrétien, sacrement d'une transcendance incalculable, même sociale, et dont l'oubli est généralement suivi de tant de terribles conséquences de tous ordres ; en une très ferme détermination de veiller sur la sainteté de la famille, que vous devez concevoir comme un de vos plus précieux trésors et dont doivent résulter tant d'autres biens, parce que dans un foyer réellement saint on prie et on travaille de façon ordonnée ; chacun de ses membres observe avec diligence ses propres devoirs à l'égard des hommes, à l'égard de l'Eglise et à l'égard de Dieu ; et l'on ne peut donner au monde moderne, dans son instabilité et son inquiétude, qui préoccupent tant, une base plus solide, plus stable, ni plus sûre. Enfin, d'un foyer saint, comme une conséquence naturelle, sortira cette jeunesse qui doit renouveler la société et sortiront ces âmes pures et pieuses, qui sont le terrain indispensable pour que le Seigneur puisse jeter la semence des vocations sacerdotales et religieuses, dont vous sentez tant la nécessité.

La Mission est terminée ! Comme un fleuve opulent, pacifique et fécondant qui, auparavant, a arrosé ces nations soeurs que sont le Pérou (1954), l'Equateur (1955) et le Venezuela (1956), aujourd'hui le niveau de ses eaux est monté jusqu'à ces hauteurs, coeur de l'Amérique méridionale, où tu es installée,



Bolivie, un bras appuyé sur les cimes neigeuses des Andes et l'autre étendu vers les fécondes plaines orientales, sûre de la richesse que Dieu t'a donnée, le front haut et les yeux sereins, qui regardent l'avenir. Jette-toi à genoux devant le trône de Dieu, qui t'avait réservé ce temps propice, ce temps de salut (2Co 6,2), et promets-lui que cette Mission sera le début d'un nouveau chapitre de ton histoire !

C'est en sceau et garantie de ces promesses, en gage des plus précieuses grâces du ciel, que Nous voulons vous donner en ce moment, de tout coeur, la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX ORGANISATIONS FÉMININES CATHOLIQUES

(29 septembre 1957)1






Le XIVe Congrès de l'Union mondiale des Organisations féminines catholiques a réuni près de 700 participantes, représentant 63 pays. Le Saint-Père, qui les a reçues en audience à Castelgandolfo, le dimanche 29 septembre, leur a adressé en français l'important discours que voici :

Poussées par le désir d'offrir au Père commun, en hommage de respect et d'affectueuse dévotion, le fruit de cinq ans d'apostolat et de généreux dévouement au service de l'Eglise, vous vous pressez autour de Nous, chères filles de 1'« Union mondiale des Organisations féminines catholiques », et Nous sommes profondément touché de ce témoignage d'attachement filial. En vous disant Notre joie et Notre satisfaction, Nous félicitons à travers vous les trente-six millions de femmes catholiques inscrites dans les organisations nationales, qui font partie de votre Union, et que vous représentez ici.

Nous Nous plaisons d'abord à souligner l'importance de votre association et l'ampleur de l'influence qu'elle a su acquérir, puisque vous avez maintenant statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations-Unies, de l'UNESCO, de la FAO, de l'OIT, de l'UNICEF, du Conseil de l'Europe et de l'Organisation des Etats Américains. Il vous est possible, de la sorte, de faire connaître dans les secteurs d'opinion les plus différents la pensée de l'Eglise sur le développement de la personnalité de la femme et sur sa mission dans le monde moderne.





Le problème de la « promotion de la femme ».

Ce problème que l'on désigne d'habitude sous la formule : « Promotion de la femme » n'est-il pas en effet au premier plan des préoccupations de nombreuses associations féminines internationales de tendances diverses, protestantes, neutres, ou marxistes, comme aussi des organisations internationales officielles ? Or la société contemporaine subit, en particulier dans les pays de formation récente, de profonds bouleversements ; une multitude de problèmes nouveaux se posent que vous désirez aborder avec le maximum de sécurité dans un esprit de pleine fidélité à la doctrine chrétienne ; vous voulez être sûres d'interpréter par votre action la volonté de l'Eglise, qui vous fait confiance et attend de vos efforts la rénovation chrétienne d'une civilisation entachée de laïcisme, de marxisme ou désorientée par des mouvements religieux aberrants.

C'est pourquoi vous Nous priez de vous donner des directives qui éolaireront votre conduite et vous stimuleront au travail. Vous pouvez et vous devez faire vôtre, sans restrictions, le programme de la promotion de la femme, qui soulève d'un immense espoir la foule innombrable de vos soeurs encore soumises à des coutumes dégradantes, ou victimes de la misère, de l'ignorance de leur milieu, du manque total de moyens de culture et de formation. Mais cette promotion de la femme, vous la voulez conçue en termes chrétiens, dans la lumière de la foi, la perspective de la Rédemption et de votre vocation surnaturelle.

Vos enquêtes, menées en différents pays d'Amérique latine, d'Asie et d'Afrique, vous ont dévoilé trop clairement l'appel urgent qui monte de ces régions et qui attend une réponse vraiment compréhensive et satisfaisante, valable sur tous les plans de la vie individuelle et sociale, et surtout qui aille à la rencontre des vrais besoins spirituels. Pour vous aider dans cette lourde tâche Nous voudrions vous parler de la mission et de l'apostolat de la femme catholique sous ces trois aspects : l'apostolat de la vérité, l'apostolat de l'amour, l'apostolat de l'action.


TROIS ASPECTS DE L'APOSTOLAT DE LA FEMME CATHOLIQUE



I L'APOSTOLAT DE LA VÉRITÉ



Trois points essentiels

Pour remettre sur le droit chemin une civilisation gravement désorientée, il faut commencer par rectifier les principes et les idées erronées qui commandent ses prises de position pratiques. D'ailleurs tout apostolat bien conçu commence par la réflexion, par la considération intellectuelle des vérités de base, sur lesquelles s'appuient toutes les démarches ultérieures. Nous Nous limiterons ici à trois points essentiels, qui doivent former vos convictions personnelles et diriger vos interventions apostoliques, à savoir : la relation de la femme à Dieu, son appartenance au Christ, sa dépendance envers l'Eglise.



Relation de la femme à Dieu.

La vérité la plus méconnue des hommes d'aujourd'hui, au moins dans leurs attitudes courantes, et cependant la plus fondamentale pour vous, est la relation de la femme à Dieu. La femme vient de Dieu ; elle lui doit son existence, les caractéristiques de son être, de sa tâche terrestre, et la destinée éternelle qui couronnera l'accomplissement fidèle de sa mission. Cette vérité, que déjà la raison fait connaître, acquiert dans la lumière de la foi sa pleine signification et une certitude absolue, qui vous prêtera un appui indispensable, lorsque vous serez exposées au flux et reflux des idées, que le roman, le cinéma, le théâtre, diffusent sans cesse dans les masses et qui leur donnent de la femme une conception profondément viciée.

Vous connaissez suffisamment l'enseignement de la foi catholique sur l'origine de l'homme et de la femme, pour qu'il soit inutile de l'exposer en détail. Dieu les créa tous deux, à son image et à sa ressemblance, c'est-à-dire comme des êtres intelligents et libres, capables de le connaître, de l'aimer, capables aussi de se perpétuer, de dominer la création et de l'utiliser pour leur bien propre et pour son service. Cette origine divine de la créature humaine ne s'impose pas seulement comme un fait passé depuis des millénaires, mais comme un fait actuel, une réalité de tous les instants, car à aucun moment Dieu ne cesse de donner l'existence à chaque être humain, d'imprimer dans son intelligence le signe de sa présence, de mettre dans son coeur une attirance invincible vers le bien, vers l'absolu, vers la béatitude parfaite. Aussi le sens de la vie humaine peut-il se résumer d'un mot : « chercher Dieu », chercher celui qui incessamment appelle à lui sa créature, pour la combler toujours davantage de la plénitude de sa vie et de son amour.

Quelle attitude adopte le monde moderne à l'égard de cette vérité fondamentale de l'origine divine de l'homme et de la femme ? Vous le savez par l'expérience directe que vous avez de votre milieu et par les diverses enquêtes que les organisations féminines ont entreprises en différentes régions du monde sur la condition de la femme. L'idée de Dieu apparaît comme superflue dans un monde tombé aux mains de l'homme, au pouvoir de la science et de la technique, et d'où on a éliminé les croyances encombrantes et les superstitions. Cette atmosphère d'athéisme combatif ou latent menace plus gravement la femme que l'homme, tant dans sa vie personnelle que dans son rôle social : car, Nous le soulignerons encore plus loin, par ses dispositions innées et la fonction à laquelle sa nature la destine, la femme est davantage en harmonie avec les réalités spirituelles ; elle les perçoit plus aisément, elle en vit plus consciemment, elle les interprète et les rend sensibles aux autres, en particulier à ceux dont elle a la charge comme épouse et comme mère. Sa dignité personnelle, le respect qu'on lui doit, sont motivés d'abord par la sauvegarde de cette mission spirituelle et donc, en dernière analyse, par sa proximité de Dieu. Le respect de la femme et la reconnaissance de son rôle véritable sont étroitement liés aux conceptions religieuses du groupe social, auquel elle appartient.

Vous voyez ainsi quel sera le premier objectif de votre apostolat au service de la vérité : restaurer dans toute son intégrité la foi en Dieu, parce que Dieu est la source de votre être et la fin dernière que vous poursuivez, et parce que le relèvement de la condition de la femme suppose comme première étape l'affermissement du principe qui l'assure.

Non seulement Dieu a donné à la femme d'exister, mais la personnalité féminine dans sa structure physique et psychique répond à un dessein particulier du Créateur. L'homme et la femme sont les images de Dieu et, selon leur mode propre, des personnes égales en dignité et possédant les mêmes droits, sans qu'on puisse soutenir en aucune manière que la femme soit inférieure. Elle est appelée en effet à collaborer avec l'homme à la propagation et au développement de la race humaine et assume en cela le rôle délicat et sublime de la maternité : celle-ci comporte des joies et des peines d'une intensité peu communes, parce qu'elle implique l'immense responsabilité de mettre l'enfant au monde, de le protéger, de le nourrir, de veiller à sa croissance, à son éducation première, de le suivre avec sollicitude pendant la période difficile de l'adolescence et de le préparer ainsi à ses responsabilités d'adulte. Aussi Dieu a-t-il dispensé à la femme des dons inestimables, qui lui permettent de transmettre non seulement la vie physique, mais aussi les dispositions les plus intimes de l'âme et les qualités d'ordre spirituel et moral, qui déterminent le caractère. Les études modernes de psychologie mettent assez en évidence la complexité et l'originalité de la nature féminine, pour qu'il ne soit pas nécessaire de Nous y attarder. Remarquons encore que ces mêmes qualités se déploient aussi avec bonheur dans tous les autres domaines de la vie sociale et culturelle ; elles en constituent même un apport indispensable, et les civilisations qui les méconnaissent ou écartent leur influence subissent inéluctablement des déformations plus ou moins graves qui entravent leur épanouissement et les condamnent tôt ou tard à la stérilité et au déclin.

Si la femme exprime communément le don d'elle-même dans le mariage et par la maternité, elle peut aussi répondre aux intentions divines d'une manière plus directe et faire fructifier ses richesses spirituelles par la virginité consacrée qui, loin d'être un repliement sur soi ou un recul en face des tâches de l'existence, répond au désir d'un don plus total, plus pur, plus généreux. En pays chrétien, comme en terre de mission, la femme qui renonce au mariage pour s'adonner sans obstacles au soulagement des malades et des malheureux, à l'éducation des enfants, à l'amélioration du sort des familles, manifeste ainsi aux esprits non prévenus la présence et l'action divines. Elle s'acquitte par là de sa vocation propre avec la plus haute fidélité et le maximum d'efficacité.

Vous comprenez aisément, chères filles, les conséquences qui découlent pour votre apostolat des principes et des faits, que Nous venons de rappeler. En vous proposant de travailler de toutes vos forces au relèvement de la femme, à l'expansion de son influence dans la vie sociale, vous vous engagez aussi à ne développer ses dons que dans une perspective chrétienne, seule capable de leur conférer leur vraie et pleine valeur. Quel progrès merveilleux sur tous les continents, quelle élévation radicale du niveau social et culturel des peuples, si toutes les femmes prenaient conscience de l'emprise de Dieu sur leur personne et consacraient leur influence à le faire connaître et aimer !



Appartenance de la femme au Christ.

La seconde vérité, que Nous voudrions souligner comme l'une des bases de l'apostolat de la femme catholique, est celle de son appartenance au Christ. Ce fait est clairement exprimé dans l'Ecriture en maints endroits ; il découle d'ailleurs de la nature même de l'oeuvre de la Rédemption. Comment pourrez-vous sauver les autres, si vous ne leur portez pas le Christ ? Et comment pourrez-vous le leur porter, si vous ne le possédez pas vous-mêmes ? « Tous est à vous », dit l'apôtre des nations, « mais vous, vous êtes au Christ » (1Co 3,23). Telle est la conviction profonde qui pénètre toute âme chrétienne, gouverne sa vie, dirige son apostolat. Vous transmettez aux autres la vérité et la grâce du Christ ; l'Evangile, les sacrements, la liturgie, les promesses de la résurrection et de la vie éternelle, s'adressent à vous dans toute leur plénitude, et s'il ne paraît pas indispensable de démontrer une telle vérité dans les pays chrétiens, il faut qu'elle apparaisse avec éclat dans les pays d'Asie et d'Afrique, partout où les cultes païens maintiennent encore vivaces des conceptions de la femme qui la diminuent ou la relèguent à un plan inférieur. Il suffit d'ailleurs de lire l'Evangile et l'histoire de l'Eglise, pour se rendre compte aussitôt qu'aucune forme d'héroïsme et de sainteté n'est inaccessible aux femmes et que, dans tous les champs d'apostolat, elles ont occupé et occupent des charges multiples et irremplaçables.

L'appartenance de la femme au Christ prend dans le mariage un relief spécial, que l'apôtre saint Paul a vigoureusement fait ressortir. Il écrit en effet aux Ephésiens : « Maris, aimez vos femmes, comme le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré lui-même pour elle » (Ep 5,25). « Que les femmes soient soumises a leurs maris, comme au Seigneur... De même que l'Eglise est soumise au Christ, que les femmes le soient aussi en tout à leur mari » (ibid., 5, 22, 24). En élevant à la dignité de sacrement le mariage des baptisés, le Christ conférait aux époux une dignité incomparable et assignait une fonction rédemptrice à leur union. Quand il affirme que les femmes doivent être soumises à leur mari comme l'Eglise au Christ, saint Paul établit entre les époux une différence bien nette, mais, par là même, il illustre la force qui les associe l'un à l'autre et maintient l'indissolubilité du lien qui les unit. Les Etats modernes et les peuples jeunes, qui depuis la dernière guerre sont arrivés à l'indépendance ou y aspirent, tendent de plus en plus, dans leur législation et leurs moeurs, à mettre sur un pied d'égalité l'homme et la femme dans la famille, comme sur le plan social, politique, professionnel. Cette évolution présente des aspects légitimes, et d'autres qui le sont moins, surtout quand elle s'inspire de principes matérialistes ; Nous ne voulons pas ici discuter cette question trop vaste, mais seulement vous rappeler que votre apostolat doit maintenir fermement la conception chrétienne de l'épouse et du rôle de la femme dans la famille : cette conception seule inspire, entre les conjoints, le vrai respect, l'estime mutuelle, le dévouement sans réserves, la fidélité totale et, par-dessus tout, l'amour prêt à tous les sacrifices et à tous les pardons.

L'union du Christ et de la femme a trouvé son plus grand éclat et son parfait accomplissement dans la Vierge Marie. « Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,14). C'est par la Vierge Marie que Dieu a pris la nature humaine et qu'il s'est inséré dans la race des fils d'Adam. La dignité de Mère de Dieu a appelé sur Marie des grâces insignes et d'extraordinaires privilèges, la préservation du péché originel et de toute faute personnelle, la splendeur des vertus et des dons de l'Esprit-Saint, la participation intime à tous les mystères de la vie du Christ, à ses souffrances, à sa mort et à sa résurrection, à la continuation de son oeuvre dans l'Eglise et à sa Royauté sur toutes les créatures : tout cela lui fut donné parce qu'elle était Mère de Dieu et parce qu'ainsi elle avait à remplir un rôle unique dans la Rédemption du monde.

Quelles sont les conséquences de tout cela pour vous-mêmes et pour votre apostolat ? Tout d'abord, vous devez en concevoir la fierté de votre sexe. C'est d'une femme, que la puissance du Très-Haut a couverte de son ombre, que la deuxième personne de la Trinité prit sa chair et son sang, sans la collaboration de l'homme. Si la vie révèle jusqu'à quelles profondeurs du vice et de l'abjection la femme descend parfois, Marie montre jusqu'où la femme peut monter, dans le Christ et par le Christ, jusqu'à s'élever au-dessus de toutes les créatures. Quelle civilisation, quelle religion a jamais poussé l'idéal féminin à de telles hauteurs, l'a exalté jusqu'à cette perfection ? L'humanisme moderne, le laïcisme, la propagande marxiste, les cultes non chrétiens les plus évolués et les plus répandus, n'offrent rien qui puisse même être comparé à cette vision, à la fois si glorieuse et si humble, si transcendante et pourtant si aisément accessible !

Nous voulions vous esquisser l'idéal de la femme tel que la foi vous le présente : vous le trouvez en Marie et il s'explique par l'intimité des liens qui la rattachent au Christ. Dans la conduite de votre vie personnelle, dans tout votre apostolat ne perdez jamais de vue cet exemple : qu'il inspire vos paroles, vos attitudes, vos démarches, quand vous vous emploierez à mettre en lumière la dignité de la femme et la noblesse de sa mission.

Il ne suffit pas cependant de connaître Marie et ses grandeurs ; il faut aussi s'approcher d'elle et vivre dans le rayonnement de sa présence. Qu'une femme catholique engagée dans l'apostolat n'entretienne pas une dévotion fervente à la Mère de Dieu, ce serait presque une contradiction. La dévotion mariale favorisera en vous une meilleure compréhension du Christ et une union plus intense à ses mystères. Vous recevrez, pour ainsi dire, le Christ des bras de sa Mère et elle vous apprendra à l'aimer et à l'imiter. Priez-la, pour qu'elle vous donne la force de le suivre jusqu'au bout dans la foi et l'amour ardent ! Priez-la, pour qu'elle vous aide à conduire les femmes d'aujourd'hui sur le chemin qui mène à lui !



Dépendance de la femme envers l'Eglise.

Dès qu'elle s'engage dans une tâche apostolique, la femme catholique se trouve prise aussitôt dans un fourmillement d'idées, d'opinions, de tendances, de systèmes, qui la sollicitent de toute part ; il importe donc qu'elle sache s'orienter avec facilité suivant les circonstances et, pour cela, qu'elle possède des normes sûres, lui permettant de se tracer une ligne de conduite, ainsi que la force morale indispensable pour y rester fidèle et pour déceler et redresser les erreurs éventuelles. Où trouvera-t-elle cette règle ferme de pensée et d'action, sinon au sein de la communauté chrétienne, dans l'Eglise catholique ?

Par la volonté de son divin Fondateur, l'Eglise est dépositaire de la Révélation surnaturelle, elle en est la gardienne et l'unique interprète autorisée ; le magistère qu'elle exerce à l'égard du dépôt sacré suppose le pouvoir de juger de toute vérité, puisque la destinée éternelle de l'homme est unique et que rien dans sa vie n'échappe à cette finalité. Les réalités culturelles, politiques, sociales et morales influencent toutes l'orientation de sa conduite ; chargée de le conduire à Dieu et possédant les moyens infaillibles de discerner le vrai du faux, l'Eglise est capable d'apprécier la valeur exacte des principes intellectuels et moraux, ainsi que les comportements qui répondent aux exigences de la vérité dans les situations concrètes de la vie individuelle et sociale.

Dès lors dans sa conduite personnelle, comme dans son apostolat, la femme catholique doit se préoccuper de rester en contact étroit avec la source vive de lumière que le Seigneur a mise en son Eglise : aussi longtemps qu'elle reste sous sa direction, qu'elle accepte son enseignement, et observe ses directives, elle jouit d'une sécurité infiniment précieuse, qui confère à toutes ses entreprises une autorité et une stabilité empruntées à celles de l'Eglise même.

D'aucuns ont voulu limiter l'objet de la compétence du magistère ecclésiastique au domaine des principes, et en exclure celui des faits, de la vie concrète. On prétend que celui-ci relève du laïc, que le laïc se trouve là sur son terrain propre, où il déploie une compétence qui manque à l'autorité ecclésiastique. Qu'il Nous suffise de répéter ici que cette affirmation est insoutenable : dans la mesure où il s'agit non de constater simplement l'existence d'un fait matériel, mais d'apprécier les implications religieuses et morales qu'il comporte, la destinée surnaturelle de l'homme est en jeu, et par conséquent la responsabilité de l'Eglise est engagée ; elle peut et elle doit, en vertu de sa mission divine et des garanties reçues à cet effet, préciser la mesure de vérité et d'erreur, que contient telle ou telle ligne de conduite, telle ou telle manière d'agir.

Bien que l'Eglise refuse de voir limiter indûment le champ de son autorité, elle ne supprime ni ne diminue de ce fait la liberté et l'initiative de ses enfants. La hiérarchie ecclésiastique n'est pas toute l'Eglise, et elle n'exerce pas son pouvoir de l'extérieur à la manière d'un pouvoir civil, par exemple, qui traite avec ses subordonnés sur le seul plan juridique. Vous êtes des membres du Corps mystique du Christ, insérés en lui comme dans un organisme animé par un seul Esprit, vivant d'une seule et même vie. L'union des membres avec la tête n'implique nullement qu'ils abdiquent leur autonomie ou qu'ils renoncent à exercer leurs fonctions ; bien au contraire, c'est de la tête qu'ils reçoivent sans cesse l'impulsion, qui leur permet d'agir avec force et précision, en parfaite coordination avec tous les autres membres, pour le profit du corps entier.

Que les femmes catholiques entretiennent avec joie le sentiment d'appartenir jusqu'au plus profond de leur être au corps de l'Eglise, comme des personnes libres et responsables, et d'assurer pour leur part les tâches qui leur sont réservées et qui contribuent à sa croissance et à son expansion !




Pie XII 1957 - LETTRE A LA XXX> SEMAINE SOCIALE DES CATHOLIQUES D'ITALIE