Pie XII 1957 - I L'APOSTOLAT DE LA VÉRITÉ


II

L'APOSTOLAT DE L'AMOUR

L'apostolat de la vérité, dont Nous venons de vous tracer quelques directives, resterait en grande partie inefficace, s'il ne se prolongeait dans celui de l'amour et celui de l'action. Ces deux apostolats ne constituent en fait que deux aspects d'une même réalité, car l'amour authentique aspire à se traduire dans les oeuvres, tandis que les actes en apparence les plus héroïques restent dépourvus de valeur, s'ils ne sont aussi les messagers d'un amour sincère. Toutefois, comme la femme est appelée par nature à manifester davantage la présence et le rôle de l'élément affectif, il convient que Nous accordions à ce dernier une attention spéciale, et que Nous précisions quelle place il occupe dans les activités apostoliques de vos associations.



La charité inspiratrice des oeuvres.

Rappelons d'abord ce qu'est l'apostolat catholique et ses moyens d'action. Vous savez bien qu'il n'est pas la simple transmission d'une doctrine, d'un ensemble d'exposés dogmatiques et de règles de conduite. Pour nécessaire que soit un tel enseignement, il ne fait que poser un fondement : l'essentiel est dans la pratique de ces vérités, dans la charité vivante, inspiratrice des oeuvres et requise absolument pour la plénitude de la foi. Cette charité doit évidemment remplir celui qui exerce l'apostolat : c'est elle qu'il communique, en même temps qu'il annonce l'Evangile et même déjà avant de l'annoncer. C'est elle aussi qu'il verra naître et s'épanouir au coeur de ses protégés, comme une fleur issue de la semence qu'il a jetée. Aussi le premier gage de succès de votre apostolat sera-t-il de posséder vous-mêmes en abondance ce trésor de l'amour de Dieu, qui pénètre l'amour humain, le dilate, le divinise et le rend capable, à travers les plus humbles signes, d'atteindre ces régions de l'âme, où la personne libre et responsable renonce à son orgueil, à son égoïsme, à ses attachements déréglés, pour s'abandonner à l'amour divin qui vient l'envahir et veut la conduire selon ses propres desseins.

Pour que votre charité atteigne ce résultat, elle devra probablement emprunter des chemins longs et parsemés d'obstacles, car n'espérez pas, sans les y avoir patiemment préparés, faire comprendre et accepter les richesses du don de Dieu par des hommes pécheurs, que leurs passions aveuglent. L'économie de la Rédemption dispose les réalités humaines à recevoir et à porter le divin ; elle les accepte telles qu'elles sont dans leur misère et leur impuissance et entreprend de les modeler, de les épurer, de les corriger sans relâche, comme une mère accueille l'enfant que Dieu lui donne, l'aime, lui consacre son temps et ses forces pour qu'il devienne un jour un homme prêt à affronter la vie. Ce qui mesure généralement la grandeur de l'amour et son héroïsme c'est sa fidélité à pourvoir, jusque dans les détails minimes et avec une délicatesse infinie, à toutes les nécessités de ceux qu'il prend en charge.



Aide en faveur des populations besogneuses.

Vous avez relevé vous-mêmes dans vos enquêtes que l'on attend votre aide en faveur des populations besogneuses sur les trois plans spirituel, culturel et matériel ; seule une action menée de façon simultanée à ces trois niveaux peut enrayer efficacement l'avance du matérialisme, du communisme et des sectes. Le travail d'évangélisation trahirait donc l'Evangile, s'il s'arrêtait à la simple proclamation du message chrétien et négligeait ses implications pratiques, en particulier celles que la doctrine sociale de l'Eglise a mises en évidence. La charité véritable vous demande d'aimer les hommes comme le Christ les a aimés, lui qui ne pouvait renvoyer chez eux ses auditeurs avant de les avoir fait manger pour qu'ils ne défaillent pas en route (Mc 8,3). Mais il faut qu'on aperçoive sans équivoque que votre dévouement est animé par l'amour de Dieu, et pas seulement par un sentiment naturel de pitié ou de sympathie. Peu importe d'ailleurs que vous réussissiez toujours à éveiller en autrui un écho qui réponde à vos efforts de service ; vous ne travaillez pas pour mériter la reconnaissance ou l'affection qu'on vous accordera en retour. Mais que votre désintéressement soit l'indice de la pureté de vos intentions, comme le suggère l'apôtre saint Paul dans son hymne fameux à la charité : « La charité est patiente ; la charité est bonne. La charité n'est pas envieuse, elle n'est pas infatuée ni hautaine. La charité ne fait rien de messéant, elle ne cherche pas son intérêt, elle ne s'emporte pas, elle ne tient pas compte du mal. Elle ne prend pas plaisir à l'injustice, mais elle trouve sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, elle croit tout, elle espère tout, elle endure tout » (1Co 13,4-7).

La charité vous aidera aussi à deviner d'instinct les besoins des autres ; elle vous fera sentir les appels du Règne de Dieu, vous montrera en quels points plus menacés votre intervention est requise. Elle vous permettra de triompher des appréhensions et de l'indolence qui s'en remet à d'autres pour le travail plus pénible ou les initiatives difficiles. Elle vous suggérera les moyens les plus adéquats pour arriver à vos fins. Le dévouement le plus sincère ne peut en effet céder sans discernement à toutes les impulsions spontanées : il doit accepter une règle, s'imposer des limites. On rencontre parfois des âmes très généreuses, mais incapables de modérer leur élan, d'accepter les conseils de discrétion et de prudence, de laisser aux autres la liberté d'action nécessaire, de supporter les contraintes qu'impose toute collaboration. Il n'est pas toujours aisé de se dégager d'un bien particulier, qui attire et comble la sensibilité pour se soumettre aux impératifs austères du bien général. Bref, que votre charité soit judicieuse et ordonnée. Et vous apercevez ici l'importance de ce que Nous disions tantôt au sujet de la soumission à l'Eglise et à ses directives ; cette soumission est d'autant plus nécessaire que la nature féminine subit plus largement l'influence des facteurs affectifs.

Epanouissement de la charité.

Une des conséquences normales de l'apostolat de la charité sera de la faire croître et de la purifier aussi en vous-mêmes. Parmi les conclusions du premier stage latino-américain de l'Union mondiale des Organisations féminines catholiques, vous avez relevé qu'on trouve dans le patrimoine spirituel, familial et social de l'Amérique latine un profond sentiment religieux de base, une forte abnégation dans la vie de la femme, une évidente générosité, et un désir véhément de s'épanouir. Nous sommes certain que des constatations équivalentes pourraient être faites en beaucoup d'autres régions ; en général les femmes, auxquelles vous vous adresserez, possèdent déjà des ressources spirituelles incontestables, mais demeurées souvent cachées et incultes à cause de leurs conditions de vie. N'allez pas à elles avec un sentiment de suffisance, comme si vous aviez tout à leur donner et rien à recevoir. Bien au contraire, la vraie charité s'efface devant la personne qu'elle aborde, elle veut recevoir d'elle le plus possible, elle met en valeur les dons d'autrui et les cultive. Ainsi trouve-t-elle à s'édifier même auprès des plus pauvres et des plus démunis. Car telle est la loi profonde de l'amour qu'il désire le bonheur de l'être aimé et son épanouissement ; son principe de croissance le pousse à se détacher de lui-même : au lieu de se croire capable de satisfaire pleinement autrui par lui seul, il se persuade de son impuissance et laisse agir de plus en plus celui qui seul possède les coeurs, Dieu.

Parvenue à son épanouissement, la charité divine maintiendra aisément l'unité et l'harmonie parmi toutes les tâches et les affections, qui se partagent votre coeur ; sans négliger aucun des devoirs qui vous incombent au sein de la famille et dans votre milieu social, vous trouverez encore en surabondance le temps et la possibilité de vous livrer aux activités apostoliques que requiert le service de l'Eglise.




III

L'APOSTOLAT DE L'ACTION

Ainsi Nous arrivons à la troisième partie de cette allocution : l'apostolat de l'action. Eclairées par les vérités de la foi, entraînées par l'ardeur d'un amour de Dieu brûlant et prêt à tous les sacrifices, vous allez communiquer autour de vous ces biens surnaturels et, par vos conseils, vos exemples, vos interventions, devenir pour d'autres une lumière qui guide, une force qui soutient et encourage. Ici encore, la doctrine catholique et l'expérience séculaire de l'Eglise vous fournissent de précieuses indications, susceptibles d'orienter votre apostolat et de lui conférer une efficacité accrue. Nous considérerons donc d'abord quelques caractères généraux de votre action, puis Nous énoncerons quelques directives pratiques.



Nécessité de l'action.

Le premier point qu'il faut se rappeler, Nous semble-t-il, est celui de la nécessité de l'action, d'une action clairement conçue et voulue avec fermeté. Toute attitude d'acceptation passive des événements, de laisser-aller, toute forme de quiétisme inerte est à rejeter. Vous ne pouvez en aucune manière vous exposer aux reproches du Maître, qui morigène son serviteur, parce qu'au lieu de faire fructifier son talent, il s'est contenté de l'enfouir dans le sol (Mt 25,24-25). Imitez plutôt le bon Samaritain de la parabole (Lc 10,30-37), qui avait compris ses devoirs envers le prochain et que le Seigneur propose en modèle à son interlocuteur : « Va et fais de même ».



Initiative de l'action.

Mais votre intention n'est pas seulement d'accorder votre aide, quand le besoin immédiat s'en présente ; vous prétendez à l'initiative de l'action, à la spontanéité du dévouement, et vous suivez la trace du Seigneur, que rien ne forçait à venir sur terre et qui n'obéit en cela qu'au penchant de sa miséricordieuse bonté. Que vos démarches répondent constamment à l'impulsion d'une générosité inspirée par un amour entièrement désintéressé ! D'ailleurs, le Christ, avant de monter au ciel, a confié à ses Apôtres, et par eux à toute son Eglise, la charge d'évangéliser le monde en son nom. Chaque chrétien doit donc se persuader qu'une partie de cette charge repose sur ses épaules et que personne ne peut s'en acquitter à sa place !



Universalité de l'action.

Un troisième caractère de votre action sera son universalité. Vous avez à secourir les autres dans toute la mesure de vos possibilités et des besoins qui se manifestent. Cette universalité s'exprime pour une part dans le travail de chacune d'entre vous, mais bien davantage, comme il est évident, dans votre Union considérée dans son ensemble. Lorsque trentre-six millions de femmes catholiques répandues sur toute la terre s'emploient à réaliser un programme commun issu des exigences de la foi et de la vie chrétienne, leur association porte certainement l'empreinte de cette catholicité, qui marque déjà son origine même. Pourquoi en effet réunir un Congrès international, échanger les idées et les expériences conduites en différents pays pendant ces cinq dernières années, sinon précisément pour affirmer l'universalité de votre action ?

Ajoutons encore une note typique, qui distingue votre Union des autres groupements féminins internationaux. Celui de qui en définitive relèvent toutes vos entreprises, celui qui leur confère efficacité et succès, c'est Dieu lui-même, dont la Providence aux voies imprévisibles s'entoure toujours d'un halo de mystère. Si parfois les résultats ne répondent pas à votre attente, si des obstacles insurmontables arrêtent votre avance dans tel ou tel secteur, si l'on interprète mal vos intentions les plus pures, vous n'avez encore aucune raison de vous abandonner au découragement. Aucun de vos efforts n'est perdu, soyez-en sûres, car le Seigneur les voit et en tient compte ; mais il a aussi ses plans ; il considère l'ensemble de son oeuvre et dispose comme il l'entend ses divers éléments. Laissez-lui donc les décisions dernières, sans ralentir votre élan, ni manquer en rien à ce qu'il attend de vous. De la sorte vous éviterez aussi plus facilement que l'amertume ou l'envie ne vienne troubler la cordialité et l'harmonie de vos rapports avec d'autres qui partagent le même champ d'apostolat.

Quant à votre champ d'apostolat lui-même et au travail que vous y déployez, Nous constatons que, depuis quelques décades, il s'étend constamment dans presque tous les pays. Les causes les plus diverses comme l'industrialisation, les bouleversements sociaux, l'élévation des niveaux de vie et de culture, la création de nouvelles branches de la technique y ont contribué et continuent encore à agir. Actuellement la femme trouve place dans presque toutes les professions et institutions culturelles, sociales, politiques, ainsi que dans les organismes internationaux. Comme les autres, la femme catholique participe à ce mouvement ; elle ne pourrait ni d'ailleurs ne veut s'y soustraire ; bien au contraire, elle doit assumer ses responsabilités dans tous les domaines et faire face aux exigences d'un apostolat effectif.

Dans chacun des secteurs où elle travaille, dans la famille comme épouse et mère, dans l'éducation, dans la vie sociale, dans les organismes législatifs, administratifs, judiciaires et dans les relations internationales, elle doit suivre des normes religieuses et morales particulières sur lesquelles l'Eglise, et les Papes tout spécialement, ont fourni des éclaircissements utiles. Lorsque les circonstances n'étaient pas encore suffisamment définies, ils ont d'habitude tracé les limites à ne pas franchir.

Exhortation à l'apostolat.

Le Siège apostolique ne tolère pas seulement votre action ; il vous exhorte à l'apostolat, à vous dépenser pour réaliser le grand devoir missionnaire des chrétiens, afin de rassembler toutes les brebis égarées en un seul troupeau et sous un seul Pasteur (Jn 10,16). L'initiative individuelle y a sa fonction à côté d'une action d'ensemble organisée et menée par le moyen des diverses associations. Cette initiative de l'apostolat laïc se justifie parfaitement, même sans « mission » préalable explicite de la hiérarchie. La mère de famille qui s'occupe de la formation religieuse de ses enfants, la femme qui s'adonne aux services d'assistance charitable, celle qui montre une fidélité courageuse pour sauvegarder sa dignité ou le climat moral de son milieu, exercent un apostolat véritable. Spécialement dans les pays où les contacts avec la hiérarchie sont difficiles ou pratiquement impossibles, une part très large revient à l'initiative personnelle pour le maintien de la foi et de la vie catholique ; les chrétiens sur qui retombe cette charge doivent dans ce cas, avec la grâce de Dieu, prendre toutes leurs responsabilités. Il est clair toutefois qu'on ne peut, même alors, rien entreprendre qui aille contre la volonté explicite ou implicite de l'Eglise ou soit contraire en quelque manière aux règles de la foi, de la morale ou de la discipline ecclésiastique.

Nous sommes heureux de distinguer parmi vous les membres des jeunes associations d'Afrique et d'Asie. Elles se trouvent maintenant placées devant des tâches ardues et considérables, pour lesquelles elles ont besoin de l'aide de leurs soeurs plus expérimentées. Nous ne doutons nullement que ce Congrès ne renforce les liens de solidarité et l'assurance d'appui efficace au sein de votre Union.

En ce qui concerne l'Amérique latine, il apparaît qu'un travail pressant s'impose dans deux directions. D'abord, pour protéger contre la propagande des confessions non-catholiques une foi devenue souvent superficielle et privée du soutien d'un sacerdoce suffisamment nombreux. Vous vous proposez donc de développer les convictions religieuses personnelles et de veiller à l'approfondissement de la vie chrétienne. En second lieu, vous envisagez une action sociale étendue pour améliorer la situation gravement déficiente d'une bonne partie de la population rurale, comme aussi d'importantes fractions du prolétariat urbain. Il est urgent d'inciter les classes dirigeantes à prendre conscience des exigences de la justice sociale et de la nécessité d'un dévouement personnel dans l'assistance charitable, mais surtout il faut entreprendre sans délai la formation d'élites populaires dans le milieu rural et urbain, pour qu'elles soient comme le levain mêlé à la pâte et qui la travaille du dedans ; ces élites sont irremplaçables dans l'oeuvre du relèvement religieux et social des populations délaissées.

Nous avons souligné au début de cette allocution que l'Union mondiale des Organisations féminines catholiques a statut consultatif auprès de plusieurs organisations internationales. Elle peut ainsi présenter et faire valoir dans les milieux neutres la pensée catholique sur le développement de la personnalité féminine et sur sa mission dans le monde moderne. Nous souhaitons que vous puissiez mettre à profit ces relations et exercer par là votre influence sur des cercles de plus en plus étendus. C'est une forme d'apostolat indirect sans doute, mais de la plus haute importance. Même si l'on n'obtient pas tous les résultats positifs que l'on souhaitait, il est possible souvent d'empêcher certaines déviations ou des orientations dangereuses.

Au terme de cet exposé, en remerciant le Seigneur de tout ce qu'il a déjà accompli par vos associations, Nous pouvons jeter un regard de confiance sur l'avenir. Certes les menaces les plus graves ne cessent de peser sur une humanité divisée en blocs hostiles, aux prises avec la tentation envahissante d'un matérialisme impitoyable qui, tantôt sous l'aspect d'une jouissance égoïste des biens de cette terre, tantôt sous celui plus repoussant encore de l'oppression collective de peuples et de nations entières, prétend rendre l'homme à lui-même, en l'arrachant totalement à Dieu. Vous voulez au contraire apporter aux individus, aux familles, aux sociétés, le message de Rédemption sur le plan



temporel et spirituel à la fois, par une action concertée de toutes les femmes catholiques qui, grâce à votre Union, prennent maintenant davantage conscience de leur mission commune, de l'effort qui les appelle solidairement, comme membres vivants d'une même Eglise, à faire pénétrer partout le règne du Christ. Le triomphe définitif de la foi chrétienne peut vous apparaître encore lointain, mais vous savez qu'il faut apporter une à une les pierres de la cité sainte, qui rassemblera un jour tous les enfants du Père dans la joie et l'amour. Lentement, mais sûrement, la construction s'élève ; loin de vous abandonner au doute ou au pessimisme, rappelez-vous les promesses du Seigneur, celle de son assistance indéfectible, celle aussi de son avènement glorieux. « Vous aurez des tribulations dans le monde ! » disait-il aux siens « mais courage ! j'ai vaincu le monde » (Jn 16,33).

Comme gage de la protection divine et de Notre paternelle affection, Nous vous accordons pour vous-mêmes, pour tous les membres de votre Union et ceux qui leur sont chers, Notre Bénédiction apostolique.


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE DES CHARITÉS CATHOLIQUES

(30 septembre 2957) 1






Voici le texte original de la lettre adressée par Son Exc. Mgr Dell' Aequa, Substitut de la Secrétairerie d'Etat, à M. Ferdinando Baldini, président de la Conférence internationale des Charités catholiques, qui a tenu à Rome sa quatrième Assemblée générale :

A la veille de la quatrième Assemblée générale de la Conférence internationale des Charités catholiques, je tiens à vous exprimer la satisfaction du Saint-Siège pour les multiples et bienfaisantes activités déployées par les Caritas au cours de ces dernières années. Elles continueront, ce n'est pas douteux, à collaborer avec générosité et loyauté et les résultats déjà acquis sont garants des fruits plus abondants encore qu'elles porteront dans l'avenir.

La tâche assignée aux Caritas acquiert en effet, de jour en jour, une importance croissante. Elles doivent d'une part, sur le plan international, faire face à des besoins sans cesse accrus. D'autre part, elles rencontrent sur ce terrain des organismes internationaux laïques, que non seulement elles ne peuvent ni doivent ignorer, mais sur lesquels elles ont au contraire à exercer une influence positive. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'étant donné la place que tient dans l'Eglise l'exercice de la charité, de la bienfaisance et de l'assistance, le Saint-Siège est grandement intéressé au bon fonctionnement de la Caritas Internationalis, à la parfaite coordination de tous ses membres vers le but commun et à leur étroite entente avec le Saint-Siège.

A ce propos, il est possible que l'évolution constante des circonstances et des situations conseille une révision et une mise au point des statuts de la Caritas Internationalis. C'est là une tâche qui demandera un examen attentif et pondéré et qui ne pourra se faire fructueusement qu'en tenant compte des indications et désirs du Saint-Siège. D'une façon générale, d'ailleurs, il est souhaitable que se maintiennent à l'avenir des contacts toujours plus étroits entre la Caritas Internationalis et la Secrétairerie d'Etat de Sa Sainteté.


DISCOURS A SON EXC. M. DE VALERA, PREMIER MINISTRE D'IRLANDE

(4 octobre 1957) 1






Recevant en visite officielle Son Exc. M. Eamon De Volera, premier ministre d'Irlande, le Saint-Père prononça le discours suivant traduit de l'anglais :

Avec l'affection particulière que Notre coeur paternel a réservée ces nombreuses années, comme vous le savez bien, à votre Ile d'Emeraude, Nous vous souhaitons la bienvenue ce matin, « Taoiseach », avec la suite officielle venue vous faire une si distinguée et aimable compagnie. Que la chaleur et la profondeur de sa sincérité vous offrent, à chacun et à tous, le meilleur gage de Notre intérêt à l'égard de l'heureuse mission qui vous amène une fois de plus « chez vous à Rome » ; qu'elles soient un témoignage renouvelé de constante confiance en Nos Vénérables Frères de la hiérarchie irlandaise, en vos prêtres et en votre peuple ; et une marque supplémentaire de haute estime pour votre illustre Président et pour le gouvernement, qui vient de confier pour la troisième fois la charge responsable de premier Ministre à votre main expérimentée et compétente.

Les années de grâce pleines d'événements qui se sont écoulées depuis qu'un gouvernement irlandais a été constitué ont offert à un monde troublé et durement éprouvé l'évidence encourageante de la capacité d'un solide peuple, catholique militant, de se gouverner lui-même sagement et efficacement, tout en respectant ses devoirs fraternels envers les autres nations de la famille humaine.

Votre Constitution (Bunreact na hEireann) entend être un instrument de « Prudence, Justice et Charité » au service d'une communauté, qui, au cours de sa longue histoire chrétienne, n'a jamais eu aucun doute au sujet des devoirs aussi bien temporels qu'éternels de ce bien commun, qu'elle s'applique à chercher au moyen à la fois de la prière, du travail et, souvent, du sacrifice héroïque de ses fils.

Etablies sur la base de la loi naturelle, ces prérogatives humaines fondamentales que votre Constitution se charge d'assurer à chaque citoyen d'Irlande, dans les limites de l'ordre et de la moralité, ne pourraient trouver une plus ample ni plus sûre garantie contre les forces athées de subversion, contre l'esprit de faction et de violence, que dans une confiance mutuelle entre les autorités de l'Eglise et de l'Etat, chacune indépendante dans sa propre sphère, mais aussi alliées pour le bien-être commun conformément aux principes de la foi et de la doctrine catholiques.

C'est à la demande du Siège apostolique que la foi en le Dieu vivant — bouclier, support et salut des nations comme des hommes — fut apportée en Irlande par votre incomparable saint Patrick. Elle a été nourrie et développée en une flamme missionnaire par des milliers de vos saints compatriotes sur ses traces. Elle est devenue une partie organique de votre culture grâce à de si prodigieux savants et hommes d'Eglise, tels que cette gloire de l'Ordre des Frères Mineurs, Luke Wadding, dont vous allez clore les célébrations centenaires ces jours-ci dans la Ville éternelle.

Le peuple qui a le Seigneur pour Dieu (Ps 143,15) est heureux en vérité, même sous un aspect humain raisonnable. Durant cette période de crise spirituelle et d'angoisse révolutionnaire, à travers chaque phase de sa vaillante lutte pour survivre, pour la paix et la prospérité avec son honneur intact, l'Irlande n'a jamais oublié que son Rédempteur est avec elle (Jb 19,25) et, au plus profond de son coeur, l'Irlande a su qu'il ne l'abandonnerait jamais à l'heure de l'épreuve ou du triomphe. Ce fut le plus solide de ses nombreux nobles instincts, guidé par la grâce divine, qui la poussa à proclamer sa Constitution « au Nom de la Très Sainte Trinité, de laquelle vient toute autorité et à laquelle, comme notre fin ultime, doivent se référer toutes les actions à la fois des hommes et des Etats ».

En Nous réjouissant, « Taoiseach », des heureux résultats pour la famille, la foi et la fraternité que la fidélité de votre peuple à l'esprit chrétien a ainsi atteints, Notre plus affectueuse Bénédiction apostolique entend implorer de cette même Trinité toujours bénie et indivisible, pour vous tous ici présents, comme pour ceux qui vous sont chers dans votre pays ou au-delà des mers, une plus grande abondance de lumière et de force contre l'épreuve inévitable des années que le Seigneur, Trinité d'amour, vous réserve encore. Que Dieu bénisse toujours l'Irlande !



DISCOURS AUX PARTICIPANTS AU Ile CONGRÈS MONDIAL POUR L'APOSTOLAT DES LAÏCS

(5 octobre 1957) 1



La séance inaugurale du IIe Congrès mondial pour l'apostolat des laïcs, tenu à Rome du 5 au 13 octobre, débuta par l'audience accordée par le Souverain Pontife en la Basilique Vaticane. Voici le texte du discours que le Pape adressa en français à l'importante assemblée :


Six ans se sont écoulés, chers fils et chères filles, depuis que, parlant au premier Congrès mondial pour l'apostolat des laïcs, Nous disions en terminant Notre discours : « S'il est une puissance au monde capable... de disposer les âmes à une franche réconciliation et à une fraternelle union entre les peuples, c'est bien l'Eglise catholique. Vous pouvez vous en réjouir avec fierté. A vous d'y contribuer de toutes vos forces 2. »

1 D'après le texte français des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 922.
2 Discours du 14 octobre 1951 ; cf. Documents Pontificaux 1951, p. 429.


Aujourd'hui Nous contemplons avec joie l'assemblée choisie qui réunit, pour ce deuxième Congrès mondial, deux mille représentants venus de plus de quatre-vingts nations, et parmi lesquels on compte des Cardinaux, des Evêques, des prêtres, des laïcs éminents. Nous vous adressons Notre salut paternel et cor-dial et vous félicitons du travail considérable accompli en quelques années pour réaliser les objectifs qu'on vous avait fixés. La documentation, rassemblée par le « Comité permanent des Congrès internationaux pour l'apostolat des laïcs », révèle d'abord qu'un grand nombre d'Evêques ont consacré à ce sujet des lettres pastorales ; elle rappelle ensuite la série des congrès nationaux provoqués par celui de 1951 et destinés à prolonger son action: en Inde, au Soudan, en Suisse, en Belgique (où plus de trois mille dirigeants laïcs se rencontrèrent à Louvain), au Mexique, en Espagne, au Portugal ; à Kisubi (Ouganda) pour toute l'Afrique, à Manille pour l'Asie, à Santiago et à Montevideo pour treize pays de l'Amérique centrale et méridionale. Ajoutons-y encore les rencontres destinées à préparer le deuxième Congrès mondial, et qui se sont tenues à Gazzada, Castel-gandolfo, Rome, Wiirburg et Paris.

Sans aucun doute, le premier Congrès mondial pour l'apostolat des laïcs fut comme un puissant appel, qui provoqua partout de multiples échos. Il a incité les catholiques à considérer non seulement leurs devoirs envers eux-mêmes, mais aussi ceux qu'ils ont envers l'Eglise, envers la société civile et toute l'humanité. Il a souligné avec force l'importance de l'engagement personnel des laïcs pour assumer et mener à bien de nombreuses tâches dans le domaine religieux, social et culturel. Il a ainsi fortifié en eux le sens de leurs responsabilités dans la société moderne et le courage de les affronter, et il a contribué notablement à promouvoir la collaboration et la coordination entre les différentes formes d'apostolat des laïcs.

Comme thème du présent Congrès, qui fut soigneusement préparé par des théologiens et des spécialistes des questions sociales et internationales, vous avez choisi : « Les laïcs dans la crise du monde moderne : responsabilités et formation ». Si, pour répondre à votre souhait, Nous vous adressons la parole au commencement de votre Congrès, c'est dans l'intention de compléter ce que Nous disions, il y a six ans, par quelques remarques sur les principes directeurs de l'apostolat des laïcs et sur certains points pratiques, concernant la formation et l'action de l'apôtre laïc.


I - QUELQUES ASPECTS FONDAMENTAUX DE L'APOSTOLAT DES LAÏCS



HIÉRARCHIE ET APOSTOLAT

Nous prendrons comme point de départ de ces considérations l'une des questions destinées à préciser la nature de l'apostolat des laïcs : « Le laïc chargé d'enseigner la religion avec „ missio canonica ", avec le mandat ecclésiastique d'enseigner, et dont cet enseignement constitue peut-être même l'unique activité professionnelle, ne passe-t-il pas, par là même, de l'apostolat laïc à „ l'apostolat hiérarchique " ? ».

Pour répondre à cette question, il faut se rappeler que le Christ a confié à ses apôtres eux-mêmes un double pouvoir : d'abord le pouvoir sacerdotal de consacrer qui fut accordé en plénitude à tous les apôtres ; en second lieu, celui d'enseigner et de gouverner, c'est-à-dire, de communiquer aux hommes, au nom de Dieu, la vérité infaillible qui les engage et de fixer les normes qui règlent la vie chrétienne.

Ces pouvoirs des apôtres passèrent au Pape et aux Evêques. Ceux-ci par l'ordination sacerdotale, transmettent à d'autres, dans une mesure déterminée, le pouvoir de consacrer, tandis que celui d'enseigner et de gouverner est le propre du Pape et des Evêques.

Quand on parle d'« apostolat hiérarchique » et « d'apostolat des laïcs », il faut donc tenir compte d'une double distinction : d'abord, entre le Pape, les Evêques et les prêtres d'une part, et l'ensemble du laïcat d'autre part ; puis, dans le clergé lui-même, entre ceux qui détiennent dans sa plénitude le pouvoir de consacrer et de gouverner, et les autres clercs. Les premiers (Pape, Evêques et prêtres) appartiennent nécessairement au clergé ; si un laïc était élu Pape, il ne pourrait accepter l'élection qu'à condition d'être apte à recevoir l'ordination et disposé à se faire ordonner ; le pouvoir d'enseigner et de gouverner, ainsi que le charisme de l'infaillibilité, lui seraient accordés dès l'instant de son acceptation, même avant son ordination.

Maintenant, pour répondre à la question posée, il importe de considérer les deux distinctions proposées. Il s'agit, dans le cas présent, non du pouvoir d'ordre, mais de celui d'enseigner. De celui-ci, seuls les détenteurs de l'autorité ecclésiastique sont dépositaires. Les autres, prêtres ou laïcs, collaborent avec eux dans la mesure où ils leur font confiance pour enseigner fidèlement et diriger les fidèles3. Les prêtres (qui agissent vi muneris sacerdotalis) et les laïcs aussi peuvent en recevoir le mandat qui, suivant les cas, peut être le même pour tous les deux. Ils se distinguent cependant par le fait que l'un est prêtre, l'autre laïc, et que, par conséquent, l'apostolat de l'un est sacerdotal, celui de l'autre est laïc. Quant à la valeur et l'efficacité de l'apostolat exercé par l'enseignant de religion, elles dépendent de la capacité de chacun et de ses dons surnaturels. Les enseignants laïcs, les religieuses, les catéchistes en pays de mission, tous ceux qui sont chargés par l'Eglise d'enseigner les vérités de la foi, peuvent eux aussi s'appliquer à bon droit la parole du Seigneur : « Vous êtes le sel de la terre » ; « vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,13-14).

Il est clair que le simple fidèle peut se proposer — et il est hautement souhaitable qu'il se propose — de collaborer d'une manière plus organisée avec les autorités ecclésiastiques, de les aider plus efficacement dans leur labeur apostolique. Il se mettra alors plus étroitement sous la dépendance de la hiérarchie, seule responsable devant Dieu du gouvernement de l'Eglise. L'acceptation par le laïc d'une mission particulière, d'un mandat de la hiérarchie, si elle l'associe de plus près à la conquête spirituelle du monde, que mène l'Eglise sous la direction de ses Pasteurs, ne suffit pas à en faire un membre de la hiérarchie, à lui donner les pouvoirs d'ordre et de juridiction qui restent étroitement liés à la réception du sacrement de l'ordre, à ses divers degrés.

Nous n'avons pas considéré jusqu'ici les ordinations qui précèdent la prêtrise et qui, dans la pratique actuelle de l'Eglise, ne sont conférées que comme préparation à l'ordination sacerdotale. L'office attaché aux ordres mineurs est depuis longtemps exercé par des laïcs. Nous savons qu'on pense actuellement à introduire un ordre du diaconat conçu comme fonction ecclésiastique indépendante du sacerdoce. L'idée, aujourd'hui du moins, n'est pas encore mûre. Si elle le devenait un jour, rien ne changerait à ce que Nous venons de dire sinon que ce diaconat prendrait place avec le sacerdoce dans les distinctions que Nous avons indiquées.




Pie XII 1957 - I L'APOSTOLAT DE LA VÉRITÉ