Pie XII 1958 - PROBLÈMES DE LA GÉNÉTIQUE DU SANG


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT À LA SEMAINE SOCIALE DU CANADA

(8 septembre 1958) 1






La Semaine sociale des catholiques canadiens de langue française s'est tenue à Moncton, à la fin du mois de septembre. A cette occasion, le Souverain Pontife fit parvenir aux congressistes ses voeux et directives, par une Lettre de Son Excellence Monseigneur Dell'Aequa, Substitut de la Secrétairerie d'Etat. Voici le texte original français de ce document, adressé à Son Eminence le cardinal Léger, archevêque de Montréal2 :

Les prochaines sessions de la Semaine sociale du Canada, qui auront lieu respectivement à Moncton et à Winnipeg pour les catholiques d'expression française et ceux d'expression anglaise, prendront cette année pour thème : le rôle et la formation du Chef social. Pareil sujet ne pouvait que retenir l'attention du Souverain Pontife, et c'est très volontiers qu'en réponse à la filiale requête qui Lui fut présentée, Il me charge d'exprimer à Votre Eminence Révérendissime Ses voeux paternels pour le succès de ces assises.

1 D'après le texte français de VOsservatore Romano, du 10 octobre 1958.

2 Le Souverain Pontife faisait parvenir les mêmes directives en langue anglaise à la Semaine sociale des Canadiens anglais, qui s'est tenue en novembre à Winnipeg. La Lettre pontificale était adressée à Son Eminence le cardinal McGuigan, évêque de Toronto.




Si les Semaines sociales, fidèles à une tradition déjà ancienne, veulent être avant tout une « université itinérante », donnant un enseignement supérieur sur tel ou tel aspect de la doctrine sociale catholique, il importe également de veiller à ce que cet enseignement pénètre de façon efficace les milieux de vie auxquels il est destiné. Cette obligation s'impose particulièrement par rapport au thème d'études de cette année, puisqu'il s'agit de l'art si difficile d'être chef, d'être un vrai chef chrétien conscient de toutes ses responsabilités sociales. Il faut souhaiter que la prochaine session ait une large audience parmi tant de catholiques qui, aux divers postes d'autorité qu'ils occupent dans la vie professionnelle et civique, désirent connaître la voie à suivre pour répondre toujours mieux aux exigences supérieures de la justice et de la charité.

Les maîtres de la Semaine sociale qui y professeront sous la haute présidence de Votre Eminence, puiseront aisément dans les multiples documents du Saint-Siège traitant des obligations sociales du chrétien la matière d'un enseignement nourri et adapté aux besoins de l'auditoire. Je ne voudrais ici que me faire l'interprète de la pensée du Saint-Père sur quelques points particuliers.



L'importance de l'éducation sociale des jeunes.

Le premier concerne l'importance de la formation sociale au cours des longues années d'études exigées de quiconque se prépare à exercer des responsabilités au service de la société. Rien, on le sait, ne peut remplacer cette orientation initiale de l'esprit et de la volonté, ce regard chrétien, vivifié par la charité, qu'un jeune apprend à porter sur le monde qu'il découvre, sur les hommes de toutes conditions qui l'entourent. Aussi ne faut-il pas craindre d'aborder à nouveau sous ce jour, dans les conférences de la Semaine, le problème capital de l'instruction et de l'éducation sociale de la jeunesse étudiante, déjà considéré sous d'autres aspects au cours de précédentes sessions.



Le sens des responsabilités ne peut aller sans une vie intérieure pro-de.

En second lieu, la conduite sociale du chef, quel qu'il soit, demande à être étroitement liée à ses convictions religieuses et à ses efforts de vie morale. Il s'agit, en effet, de porter sur des situations concrètes souvent fort complexes des jugements chrétiens, qui ne sont pas toujours conformes à ceux du milieu où l'on vit, de rectifier en fonction de ces jugements sa propre manière d'agir, de maintenir cette ligne d'action malgré les obstacles ou certaines incompréhensions, de consentir enfin des sacrifices personnels parfois difficiles. Comment semblable attitude serait-elle possible et durable sans une vie spirituelle profonde, pénétrant de sa lumière et de son énergie tous les secteurs de l'activité professionnelle ? C'est pourquoi il serait vain



d'espérer du chef la rectitude de son comportement en matière sociale sans insister en même temps sur les sources indispensables auxquelles un fils de l'Eglise doit puiser pour être fidèle au devoir.



L'union et la persévérance dans l'effort.

Enfin, en traitant du rôle du chef social, il apparaîtra vite que seuls des efforts conjugués et prolongés peuvent avoir une influence de quelque ampleur sur un milieu professionnel donné. Il importe donc de développer, et même de créer opportunément là où elles n'existeraient pas encore, les diverses formes d'action catholique et d'action sociale adaptées aux besoins du pays. Celles-ci permettent en effet aux catholiques exerçant des responsabilités de chef, qui souvent sont lourdes, d'unir leurs efforts et d'agir sur leur propre milieu, en répandant autour d'eux, comme un feu qui se propage, l'esprit de justice et de charité que le Christ est venu apporter sur la terre. La réforme des institutions et des moeurs est une oeuvre de longue haleine et elle ne peut être qu'une oeuvre collective. C'est par l'action humble, lucide, courageuse, de nombreux catholiques dociles aux invitations répétées de leurs pasteurs, que le levain de la parole et de l'exemple peut soulever et régénérer l'ensemble d'un milieu professionnel ou d'une classe sociale.

La difficulté de la tâche, son importance aussi pour l'avenir de votre patrie qui, comme toute nation, a besoin de chefs pénétrés de la grandeur de leurs responsabilités devant Dieu et vis-à-vis de leurs frères, confèrent à la Semaine sociale de 1958 un intérêt tout spécial. Le Saint-Père ne doute pas que la sollicitude de Votre Eminence pour ces prochaines assises ne soit pour elles un gage de succès, et II invoque sur les maîtres et auditeurs de la session une large effusion de grâces divines, leur accordant à tous, et en premier lieu à Votre Eminence elle-même, la faveur d'une très paternelle Bénédiction apostolique.




DISCOURS AU PREMIER CONGRÈS INTERNATIONAL DE NEUROPSYCHOPHARMACOLOGIE

(g septembre ig$8) 1


Du 8 au 13 septembre, le « Collegium internationale neuropsycho-pharmacologicum » a tenu h Rome sa première session générale. Les quelque cinq cents congressistes furent reçus en audience par le Saint-Père qui prononça en français Y allocution suivante :


Vous n'avez pas voulu, Messieurs, que le « Collegium Internationale Neuro-Psycho-Pharmacologicum », fondé l'an dernier à Zurich, inaugurât ses assises générales ailleurs qu'à Rome, où des savants de toutes les spécialités, attirés par le prestige incomparable de la Ville éternelle, aiment à tenir leurs congrès. Cette première réunion internationale de neuropsychopharma-cologie est destinée, suivant les buts que se propose votre « Collegium », à promouvoir les recherches et les échanges d'informations, ainsi que la collaboration entre les sciences psycho-pharmacologiques cliniques et expérimentales. Elle accorde aussi, Nous le soulignons avec plaisir, une attention particulière aux problèmes médico-sociaux, qu'entraîne l'utilisation de la médication psychotrope en thérapeutique psychiatrique. Soyez donc les bienvenus ici et puissiez-vous, pendant ces journées où s'échangeront et se discuteront amicalement les expériences entreprises et les résultats obtenus, connaître la joie de voir progresser les travaux qui vous tiennent à coeur, et trouver là un puissant encouragement à les poursuivre.


I. PROGRÈS RÉCENTS DE LA PSYCHOPHARMACOLOGIE



Depuis longtemps, l'humanité s'intéresse aux produits capables d'agir sur le système nerveux et d'exercer ainsi une influence sur les fonctions psychiques. L'alcool et les opiacés, par exemple, sont universellement connus pour l'euphorie passagère et la détente qu'ils procurent, en éloignant l'individu de la réalité quotidienne douloureuse ou trop exigeante. La découverte des barbituriques est venue ajouter assez récemment une arme nouvelle à l'arsenal médical des produits capables d'exercer une action déprimante sur le système nerveux central, et la chirurgie, en particulier, ne manque pas d'en tirer largement parti. Mais depuis quelques années, on a vu s'introduire dans les laboratoires et dans les cliniques psychiatriques des agents d'un type tout nouveau, qui ont acquis rapidement une large notoriété et suscitent maintenant un intérêt considérable, à en juger par le nombre de publications, de symposia et de congrès qu'on leur consacre en Europe et en Amérique.

On peut les caractériser par leur aptitude à influencer le comportement de l'individu, à le tranquilliser sans provoquer en lui la tendance au sommeil. La psychopharmacologie, qui étudie ces nouvelles drogues, les distingue en « psychomimétiques », utilisées dans un but expérimental, afin de provoquer des troubles du comportement imitant ceux des malades mentaux, et en « tranquillisants », qui exercent un effet sédatif. Ceux-ci intéressent non seulement le laboratoire, mais les cliniciens, auxquels ils apportent un concours précieux pour le traitement des psychoses graves, et surtout des états d'excitation.


De nouveaux médicaments : la chloropromazine...

Le premier d'entre eux, la chloropromazine, fut employé d'abord en thérapeutique psychiatrique pour renforcer l'action des barbituriques dans les cures de sommeil, et permettre d'en réduire à la fois les doses et les dangers. Mais lorsqu'on mit à l'essai ses propriétés psychotropes, elle se révéla d'une efficacité insoupçonnée pour provoquer rapidement une dépression profonde du système nerveux central. Son application remporta des succès notables allant jusqu'à la guérison en 80 pour cent des cas dans les psychoses aiguës accompagnées d'excitation psychomotrice et, à un degré moindre, dans les psychoses confusionnelles aiguës.

Les résultats les plus étonnants, lorsqu'on l'emploie seule, ont été obtenus dans les psychoses considérées comme les plus rebelles au traitement, les schizophrénies paranoïdes, les crises schizophréniques confusionnelles et délirantes, et les délires hallucinatoires chroniques. Les résultats sont moins nets dans les psychoses dépressives endogènes, et restent modestes dans les psycho-névroses, sauf quand les phénomènes anxieux sont particulièrement marqués. Elle a trouvé également un champ d'action étendu dans les maladies neurologiques, ainsi que dans la thérapeutique de la douleur, pour renforcer l'action des analgésiques et des hypnotiques, ou réduire la composante émotive des douleurs physiques. Elle manifeste aussi des propriétés antiémétiques efficaces.



la réserpine...

Si la chloropromazine est le fruit de recherches de laboratoire portant sur des structures chimiques, dont l'action n'était d'ailleurs point psychotrope, mais anti-histaminique, la « Rau-wolfia serpentina », dont on extrayait en 1952 le principe actif, la réserpine, était connue depuis les temps anciens en Extrême-Orient, où l'on utilisait sa racine pour le traitement de certaines psychopathies. C'est en 1582 que le médecin et naturaliste Léonard Rauwolf, rentrant d'un voyage en Inde, rapporta des spécimens de cette plante. Mais ce n'est qu'à l'époque contemporaine, à partir de 1931, que ses propriétés furent l'objet, de la part des savants indiens, d'une étude systématique. Il fallut attendre jusqu'à ces dernières années avant de voir la réserpine entrer dans la pratique psychiatrique courante. Largement utilisée pour combattre l'hypertension à cause de sa sécurité relative et de son action prolongée, elle rend des services remarquables dans le traitement des malades mentaux, et surtout des schizophrènes, dont les désordres du comportement ont entraîné l'hospitalisation. Son action thérapeutique se manifeste avec plus de force sur les crises aiguës, les phases de confusion mentale, les bouillonnements émotifs soudains, toutes les fois qu'il faut remédier à de fortes tensions émotives, à l'anxiété, aux excitations psychomotrices. On a constaté que l'effet bienfaisant se manifeste immédiatement dans la majeure partie des cas, et provoque une sédation profonde très particulière ; les phénomènes maladifs perdent bientôt leur importance dans la vie émotive du sujet, les hallucinations disparaissent, les difficultés dimiraient. Lorsque la psychose s'est installée depuis un certain temps chez un sujet, dont elle a déformé la personnalité d'une manière permanente, la thérapeutique ordinaire n'obtient pas de résultats définitifs, mais, en prolongeant l'usage du médicament à doses réduites, on obtient cependant dans la majeure partie des cas une amélioration sensible.



... le méprobamate.

A côté de ces deux médicaments principaux, signalons encore le méprobamate, utilisé originairement pour remédier aux spasmes et tension musculaires, et qui sert surtout en psychiatrie pour calmer l'anxiété sous toutes ses formes ambulatoires.

L'utilité de ces médicaments, et de beaucoup d'autres de même type qui leur font cortège et qui sont dus à l'ingéniosité et au labeur incessant des chercheurs, s'est manifestée d'une manière spectaculaire dans les cliniques et les hôpitaux psychiatriques où l'on n'envoie d'habitude que les patients qui présentent pour leur entourage de sérieux inconvénients, et parfois un véritable danger. Or ceux qui souffrent d'hyperactivité ou d'excitation affective, voient par ces drogues leur mobilité exagérée réduite à une mesure normale ; ils cessent d'être une menace pour eux-mêmes et pour les autres, surtout pour le personnel hospitalier, auquel ils imposaient une surveillance épuisante. L'emploi des moyens de contrainte, de l'électrochoc et des barbituriques devient moins nécessaire. C'est l'atmosphère de l'institution tout entière qui vient à se transformer complètement, procurant ainsi aux malades un cadre infiniment plus propice et leur permettant l'exercice d'activités thérapeutiques bienfaisantes et l'établissement de relations plus faciles avec leur entourage.

S'ils ont rénové les méthodes de traitement des psychoses, les nouveaux calmants ne sont pas dépourvus d'effet dans le traitement des névroses, surtout chez les sujets qui, pour échapper à leur anxiété, s'évadent dans l'action. Même dans la vie normale, les cas ne sont pas rares où une tension excessive, provoquée par des difficultés professionnelles ou familiales, ou par la crainte de dangers imminents, trouve dans les médicaments psychotropes un adjuvant précieux, qui permet de faire face à la situation plus fermement et plus sereinement. Les effets secondaires de ces calmants sont en général sans gravité et peuvent être combattus par d'autres médicaments. Vous signalez cependant le danger que présente pour le public un recours sans contrôle à ces drogues, dans le seul but d'éviter systématiquement les difficultés affectives, les craintes et les tensions qui sont inséparables d'une vie active et consacrée aux tâches humaines courantes.


L'avenir des médicaments psychotropes.

Il est difficile à l'heure actuelle de prévoir quel sera l'avenir des médicaments psychotropes. Les premiers résultats enregistrés semblent indiquer qu'un pas sérieux a été fait dans le traitement des maladies mentales, de la schizophrénie en particulier, dont le pronostic était considéré comme très sombre. Mais des voix autorisées se font entendre, qui invitent à la circonspection et mettent en garde contre les enthousiasmes irréfléchis. Plusieurs questions en effet, et des questions fondamentales, attendent encore une solution précise, en particulier celles qui concernent le mode d'action des drogues psychotropes sur le système nerveux central. En parcourant les nombreux travaux qui ont déjà abordé divers aspects de ce problème, on ne peut qu'admirer l'inlassable persévérance des chercheurs, pour arracher les secrets du fonctionnement de ces délicats mécanismes biochimiques, pour préciser le point d'application électif de chacune des drogues, leurs affinités et leurs antagonismes. Dans ce domaine infiniment complexe, vous êtes bien décidés à faire la lumière peu à peu, afin de poser des bases pharma-cologiques sûres aux applications pratiques, dont la thérapeutique retirera tous les avantages.


Les relations entre psychiatrie et neuropsychopharmacologie.

Plus difficile encore est la question des relations de la psychiatrie et de la neuropsychopharmacologie. La médication psychothérapeutique agit-elle réellement sur la cause de la maladie, ou se contente-t-elle de modifier, de manière plus ou moins transitoire, certains symptômes, laissant intacts les causes profondes qui sont à l'origine du mal ? Dans quelle mesure certaines altérations du système nerveux central sont-elles l'origine ou la conséquence des désordres émotifs qu'elles accompagnent ? Certains auteurs notent que l'expérimentation, si largement poussée pendant ces dernières années, a mis en évidence des causes physiques ignorées auparavant. Les psychiatres de leur côté soulignent la nature psychogénique des maladies mentales. Ils se réjouissent que l'usage des médicaments tranquillisants facilite le dialogue entre le malade et son médecin, mais rappellent que l'amélioration du comportement social obtenue grâce à eux ne signifie nullement que les difficultés profondes soient résolues. C'est toute la personnalité qu'il faut redresser, à laquelle il faut rendre l'équilibre instinctif indispensable à l'exercice normal de sa liberté. Il y aurait plutôt danger de cacher au patient ses problèmes personnels, en lui procurant un soulagement tout extérieur et une adaptation superficielle à la réalité sociale.


II. LES EXIGENCES DE L'ORDRE MORAL



Après avoir exposé brièvement les succès enregistrés récemment par la neuropsychopharmacologie, Nous abordons dans cette seconde partie l'examen des principes moraux qui s'appliquent spécialement aux situations que vous rencontrez. Tandis que vous considérez l'homme comme objet de science, et que vous tentez d'agir sur lui par tous les moyens dont vous disposez, afin de modifier son comportement et de guérir ses maladies physiques ou mentales, Nous le regardons ici comme une personne, un sujet responsable de ses actes, engagé dans une destinée qu'il doit accomplir, en restant fidèle à sa conscience et à Dieu. Nous aurons donc à examiner les normes qui déterminent la responsabilité du spécialiste de la neuropsychopharmacologie et de quiconque utilise ses inventions.

Le médecin consciencieux éprouve d'instinct le besoin de s'appuyer sur une déontologie médicale et de ne pas se contenter de règles empiriques. Dans Notre allocution du 10 avril 1958 au 13e Congrès de l'Association internationale de psychologie appliquée, Nous signalions qu'en Amérique on avait publié un Code de déontologie médicale : « Ethical Standards for Psycho-logists », qui se base sur les réponses de 7500 membres de Y American Psychological Association.2 Ce Code manifeste la conviction des médecins qu'il existe pour les psychologues, les chercheurs et les praticiens un ensemble de normes qui donnent non seulement des orientations, mais des indications im-pératives. Nous sommes persuadé que vous partagez ce point de vue et que vous admettez l'existence de normes qui répondent à un ordre moral objectif ; d'ailleurs, l'observation de cet ordre moral ne constitue nullement un frein ou un obstacle à l'exercice de votre profession, Nous aurons l'occasion d'y revenir plus loin.

2 A. A. S., 50, 1958, pp. 271-272 ; cf. ci-dessus', p. 183.


La dignité de la nature humaine.

Il pourrait sembler superflu, après ce que Nous avons dit dans la première partie, de vous parler encore de la dignité de la nature humaine. C'est que Nous envisageons ici non point l'intérêt sincère, dévoué, généreux que vous portez aux malades, mais quelque chose de plus profond encore. Il s'agit de l'attitude de votre « moi » profond à l'égard de la personne des autres hommes. Qu'est-ce qui fonde la dignité de l'homme dans sa valeur existentielle ? Quelle position adopter envers elle ? Doit-on la respecter ? n'en point tenir compte ? la mépriser ? Quiconque dans l'exercice de sa profession entre en contact avec la personnalité d'autrui en viendra nécessairement à adopter l'une de ces trois attitudes.

Or l'ordre moral exige qu'on ait envers autrui de l'estime, de la considération, du respect. La personne humaine est en effet la plus noble de toutes les créatures visibles ; faite à 1'« image et à la ressemblance du Créateur », elle va vers lui pour le connaître et l'aimer. En outre, par la Rédemption, elle est insérée dans le Christ comme membre de son Corps mystique. Tous ces titres fondent la dignité de l'homme, quels que soient son âge et sa condition, sa profession ou sa culture. Même s'il est tellement malade dans son psychisme, qu'il paraisse asservi à l'instinct ou même tombé en dessous de la vie animale, il reste cependant une personne créée par Dieu et destinée à entrer un jour en sa possession immédiate, infiniment supérieur par conséquent à l'animal le plus proche de l'homme.



Les droits inviolables de la personne.

Ce fait commandera l'attitude que vous prendrez à son égard. Et d'abord vous considérerez que l'homme a reçu immédiatement de son Créateur des droits, que les autorités publiques elles-mêmes ont l'obligation de respecter. Maintes fois déjà Nous avons eu l'occasion de le rappeler, en particulier dans Notre allocution du 14 septembre 1052 au premier Congrès international d'histopathologie du système nerveux3. Nous avons exposé et discuté alors les trois motifs sur lesquels on s'appuie pour justifier les méthodes de recherche et de traitement de la médecine moderne : l'intérêt de la science, celui de l'individu et celui de la communauté. Nous avons rappelé que si, en général, les efforts actuels de la recherche scientifique en ce domaine méritent approbation, il faut encore examiner, en chaque cas particulier, si les actes que l'on pose ne violent pas des normes morales supérieures. L'intérêt de la science, celui de l'individu et celui de la communauté ne sont pas en effet des valeurs absolues et ne garantissent pas nécessairement le respect de tous les droits. Nous avons repris ces mêmes points devant les membres du Congrès de psychologie appliquée, le 10 avril 1958 : là aussi, il s'agissait de savoir si certaines méthodes de recherche et de traitement étaient compatibles avec les droits de la personne qui en est l'objet. Nous avons répondu qu'il fallait voir si le procédé en question respectait les droits de l'intéressé, et si celui-ci pouvait y accorder son consentement. En cas de réponse affirmative, il faut se demander si le consentement a été donné réellement et conformément au droit naturel, s'il n'y a pas eu erreur, ignorance ou dol, si la personne avait compétence pour le donner, et finalement s'il ne viole pas les droits d'un tiers. Nous avons nettement souligné que ce consentement ne garantit pas toujours la licéité morale d'une intervention, malgré la règle de droit : « volenti non fit iniuria »4. Nous ne pouvons que vous répéter la même chose, en soulignant encore que l'efficacité médicale d'un procédé ne signifie pas nécessairement qu'il soit permis par la morale.



Les limites du droit de l'homme à disposer de lui-même.

3 À. A. S., XXXXIV, 1952, pp. 779 et suiv. ; Documents Pontificaux 1952, pp. 454 et suiv.

4 A. A. S.f L, 1958, pp. 276-277 ; cf. ci-dessus pp. 188-189.




Pour trancher les questions de fait, dans lesquelles le théologien n'a point de compétence directe, puisqu'elles dépendent des cas particuliers et de circonstances qu'il vous appartient d'apprécier, vous pouvez vous rappeler que l'homme a le droit de se servir de son corps et de ses facultés supérieures, mais non d'en disposer en maître et seigneur, puisqu'il les a reçus de Dieu son Créateur, de qui il continue de dépendre. Il peut se faire qu'en exerçant son droit d'usufruitier, il mutile ou détruise une part de lui-même, parce que c'est nécessaire pour le bien de tout l'organisme. En cela, il n'empiète pas sur les droits divins, puisqu'il n'agit que pour sauvegarder un bien, supérieur, pour conserver la vie, par exemple. Le bien du tout justifie alors le sacrifice de la partie.

Mais à la subordination des organes particuliers envers l'organisme et sa finalité propre, s'ajoute encore celle de l'organisme à la finalité spirituelle de la personne elle-même. Des expériences médicales physiques ou psychiques peuvent, d'une part, entraîner certains dommages pour des organes ou des fonctions mais, d'autre part, il se peut qu'elles soient parfaitement licites, parce qu'elles sont conformes au bien de la personne et ne transgressent pas les limites posées par le Créateur au droit de l'homme à disposer de lui-même. Ces principes s'appliquent évidemment aux expériences de psychopharmacologie. Ainsi Nous avons pu lire dans les documents qui Nous ont été transmis, le compte rendu d'une expérience de délire artificiel, à laquelle trente personnes saines et vingt^quatre malades mentaux ont été soumis. Ces cinquante-quatre personnes ont-elles donné leur assentiment à cette expérience, et cela d'une manière suffisante et valable au droit naturel ? Ici comme dans les autres cas, la question de fait doit être soumise à un examen sérieux.

C'est l'observation de l'ordre moral qui confère valeur et dignité à l'action humaine, qui conserve à la personne sa rectitude profonde et la maintient à la place qui lui revient dans l'ensemble de la création, c'est-à-dire à l'égard des êtres matériels, des autres personnes et de Dieu. Chacun a donc le devoir de reconnaître et de respecter cet ordre moral en lui-même et envers autrui, afin de sauvegarder cette rectitude en soi et en autrui. Telle est l'obligation que Nous considérons maintenant dans le domaine de l'utilisation des médicaments psychotropes actuellement si répandus.



La doctrine chrétienne de la souffrance.

5 A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 129 ; Documents Pontificaux 1957, pp. 43-47.




Dans Notre allocution du 24 février 1957 à la Société italienne d'anesthésiologie 5, Nous avons écarté déjà une objection que l'on pourrait avancer en se basant sur la doctrine catholique de la souffrance. D'aucuns invoquent, en effet, l'exemple du Christ refusant le vin mêlé de myrrhe qu'on lui offrit, pour prétendre que l'usage de narcotiques ou de calmants n'est point conforme à l'idéal de la perfection et de l'héroïsme chrétien. Nous avons répondu alors, qu'en principe rien ne s'opposait à l'emploi de remèdes destinés à calmer ou à supprimer la douleur, mais que renoncer à leur usage pouvait être et était fréquemment un signe d'héroïsme chrétien. Nous ajoutions cependant qu'il serait erroné de prétendre que la douleur est une condition indispensable de cet héroïsme. En ce qui concerne les narcotiques, on peut appliquer les mêmes principes à leur action sédative de la douleur ; quant à l'effet de suppression de la conscience, il faut en examiner les motifs et les conséquences, intentionnelles ou non. Si aucune obligation religieuse ou morale ne s'y oppose et s'il existe de sérieuses raisons pour les utiliser, on peut même les donner aux mourants, s'ils y consentent. L'euthanasie, c'est-à-dire la volonté de provoquer la mort, est évidemment condamnée par la morale. Mais si le mourant y consent, il est permis d'utiliser avec modération des narcotiques, qui adouciront ses souffrances, mais aussi entraîneront une mort plus rapide ; dans ce cas en effet, la mort n'est pas voulue directement, mais elle est inévitable et des motifs proportionnés autorisent des mesures qui hâteront sa venue.



Une éthique médicale naturelle.

Il n'y a point à redouter que le respect des lois de la conscience ou, si l'on veut, de la foi et de la morale, puisse entraver ou rendre impossible l'exercice de votre profession. Dans l'allocution déjà citée du 10 avril 1958, Nous avons énuméré quelques normes qui facilitent la solution des questions de fait en certains cas intéressant les psychologues, et semblables à ceux qui vous concernent (ainsi, par exemple, l'emploi du « lie-detector », des drogues psychotropes aux fins de la narco-ana-lyse, de l'hypnose, etc.) ; Nous répartissions alors en trois groupes les actions intrinsèquement immorales, soit que leurs éléments constitutifs s'opposent directement à l'ordre moral, soit que la personne qui agit n'ait point le droit de le faire, soit qu'elles provoquent des dangers injustifiés. Les psychologues sérieux, dont la conscience morale est bien formée, doivent pouvoir discerner assez facilement, si les mesures qu'ils se proposent de prendre rentrent dans l'une de ces catégories.

Vous savez aussi -que l'utilisation sans discernement des médicaments psychotropes ou somatotropes peut conduire à des situations regrettables et moralement inadmissibles. En plusieurs régions, nombre de ces médicaments sont à la disposition du public sans aucun contrôle médical, et d'ailleurs celui-ci ne suffit pas, comme l'expérience le prouve, pour empêcher les excès. En outre, certains Etats manifestent une tolérance difficilement compréhensible à l'égard de certaines expériences de laboratoire ou de certains procédés de clinique. Nous ne voilions pas en appeler ici à l'autorité publique, mais aux médecins eux-mêmes, et surtout à ceux qui jouissent d'une autorité particulière dans leur profession. Nous sommes persuadé, en effet, qu'il existe une éthique médicale naturelle, fondée sur le jugement droit et sur le sentiment de responsabilité des médecins eux-mêmes, et Nous souhaitons que son influence s'impose toujours davantage.



Estime du Pape pour le progrès de la science médicale.

Nous avons, Messieurs, pour vos travaux, pour les buts que vous poursuivez et pour les résultats déjà acquis une estime sincère. En examinant les articles et les ouvrages publiés sur les sujets qui vous intéressent, il est aisé de voir que vous rendez de précieux services à la science et à l'humanité ; vous avez déjà pu, Nous l'avons relevé, secourir efficacement bien des souffrances, devant lesquelles la médecine s'avérait impuissante, il y a à peine trois ou quatre ans. Vous avez maintenant la possibilité de rendre la santé mentale à des malades que l'on considérait naguère comme perdus, et Nous partageons sincèrement la joie que cette assurance vous procure.

Dans l'état actuel de la recherche scientifique, des progrès rapides ne peuvent être obtenus que grâce à une large collaboration sur le plan international : collaboration dont le présent Congrès d'ailleurs Nous donne une preuve frappante. Il est souhaitable qu'elle s'étende non seulement à tous les spécialistes de la psychopharmacologie, mais aussi aux psychologues, psychiatres et psychothérapeutes, à tous ceux, en un mot, qui s'occupent à quelque titre des maladies mentales.

Si vous adoptez envers les valeurs morales que Nous avons évoquées une attitude positive fondée sur la réflexion et la



conviction personnelles, vous exercerez votre profession avec le sérieux, la fermeté, la sûreté tranquille, qu'appelle la gravité de vos responsabilités. Vous serez alors pour vos malades, comme pour vos collègues, le guide, le conseiller, le soutien qui a su mériter leur confiance et leur estime.

Nous souhaitons, Messieurs, que la première réunion du « Collegium Internationale Neuro-Psycho-Pharmacologicum » donne une impulsion accrue aux efforts magnifiques des chercheurs et des cliniciens, et les aide à remporter de nouvelles victoires contre ces redoutables fléaux de l'humanité que sont les troubles mentaux. Que le Seigneur accompagne vos travaux de ses grâces ! Nous l'en supplions ardemment, et vous en accordons, comme gage pour vous-mêmes, pour vos familles et pour vos collaborateurs, Notre Bénédiction apostolique.


DISCOURS À L'INSTITUT NATIONAL ESPAGNOL DE PRÉVOYANCE

(11 septembre 1958) 1






Recevant en audience spéciale un groupe de dirigeants et employés de l'Institut national espagnol de prévoyance, le Souverain Pontife prononça un discours en espagnol, dont voici la traduction :

Très chers fils — dirigeants, fonctionnaires et adhérents de 1'« Instituto Nacional Espaiïol de Prévision » — vous avez voulu, pour la célébration des noces d'or de votre société, venir à Rome en pieux pèlerinage, afin de rendre grâces à l'Auteur de tout bien pour les bienfaits reçus pendant ce demi-siècle de vie, implorer les secours divins en vue de l'avenir et recevoir la Bénédiction du Vicaire du Christ, qui suit votre oeuvre avec tant d'intérêt ! Soyez les bienvenus en cette maison du Père commun, qui se réjouit de vous accueillir les bras ouverts, parce qu'il se rend compte de l'excellence de l'idée, des sacrifices que sa réalisation a exigés et de l'esprit vraiment filial qui l'a inspirée.

Nous avons dit que Nous suivons votre oeuvre avec le plus grand intérêt. Les Souverains Pontifes, depuis ceux que l'on peut appeler des précurseurs du grand mouvement social catholique moderne jusqu'à celui qui, en ce moment, occupe indignement sa place, ont été poussés par cet amour paternel qui les incite à désirer toujours le plus grand bien de leurs fils et de toute l'humanité, mais spécialement de ceux qui sont les plus nécessiteux ; ils ont recommandé à plusieurs reprises des instituts comme le vôtre, qui sont appelés à donner à l'homme cette tranquillité et cette sécurité, en face des difficultés de la



vie, particulièrement celles imprévues, que pourrait difficilement s'assurer l'individu isolé. Il Nous serait bien facile de citer des documents et surtout les célèbres encycliques Rerum Novarum de Léon XIII et Quadragesimo Anno de Pie XI, en Nous bornant à répéter, comme Nous l'avons dit à l'époque, que « ces conditions de prévoyance sociale doivent être mises en pratique, si l'on veut que la société ne se voie pas agitée périodiquement par des ferments de troubles et de dangereuses convulsions »2.

Nous n'avons pas non plus l'intention, étant donné l'intimité du moment présent que Nous préférons considérer comme une réunion familiale, de Nous attarder ici sur ce que Nous pourrions appeler les aspects techniques et scientifiques de vos problèmes. Vous connaissez parfaitement votre fonction et le mode de la remplir ; et Nous constatons que certaines de vos réalisations ont à juste titre attiré l'attention des vôtres et des étrangers. Mais cela n'empêche pas que, retenant une idée du filial et respectueux message que vous Nous avez adressé, Nous ajoutions une parole que Nous considérons un peu comme une conséquence de ce que suppose votre présence à cette date et en ce lieu.



Rien n'est grand sans la charité.

2 Aux travailleurs d'Italie, 13 juin 1943 ; Discorsi e radiomessaggi, vol. V, p. 85.




Oui, très chers fils, il n'est personne qui ne reconnaisse que les assurances sociales visent à élargir la zone des droits de ceux qui en ont besoin, en pénétrant ouvertement dans tous les domaines de la justice. Mais, en même temps, il faudra toujours se rappeler que sans le souffle de la charité pour le prochain, c'est-à-dire de cet amour surnaturel, qui ne fait qu'un avec celui qui nous conduit à Dieu et nous unit à Lui, toutes vos organisations languiraient, comme une plante privée de sa sève vitale, et parfois en arriveraient à mourir, comme un corps auquel on a arraché l'âme, dégénérant enfin en un poids pour ceux qui sont appelés à les maintenir, en une fonction froide et mécanique pour ceux qui doivent assister et aider, en une bureaucratie hypertrophiée qui dévore les énergies pour ceux qui doivent les diriger, et peut-être même en un frein fatal pour le sentiment naturel spontané d'aide fraternelle et de secours.

En revanche, quand règne la charité, tout se réalise avec le coeur et avec un véritable zèle, parce que caritas patiens est, benigna est (1Co 13,4) ; personne n'offense son frère en l'approchant d'un air dédaigneux et hautain ; il n'y a pas de danger de succomber aux tentations d'une corruption possible, parce qu'« elle n'est pas intéressée, ne s'irrite pas ni ne pense mal »; on avance toujours sur le bon chemin sans se laisser guider par d'autres intentions, parce qu'on ne se réjouit pas de l'injustice et que l'on se complaît avec la vérité » ; et enfin écartant tout apparat, ce que l'on fait se revêt du blanc manteau de la simplicité évangélique. Vous dites que vous avez voulu renforcer la charité par une aspiration de justice ; mais Nous vous exhortons à ce que cette justice soit toujours vivifiée par le souffle divin de la charité ; de cette charité « qui vient de Dieu » (1Jn 4,7) et qui nous fera demeurer habituellement en Lui (ibid. iv, 16).



multiples intentions du Pape.

Nous vous félicitons bien cordialement pour tout ce que vous avez fait pendant ces derniers lustres ; Nous vous sommes sincèrement reconnaissant au nom de tant de Nos fils bien-aimés, qui, précisément parce qu'ils sont les plus nécessiteux, sont l'objet particulier de Nos préférences ; et Nous sommes certain d'un avenir fécond et radieux, dont Nous ne pourrions douter, connaissant la rectitude de vos intentions et le ferme propos qui vous anime d'avancer toujours sur la voie sûre que vous trace la doctrine sociale de l'Eglise.

Faites une prière spéciale, aussi fervente que vous le pourrez, pour Nos intentions quand vous serez de retour à Madrid et vous recueillerez dans la douce pénombre de la chapelle de la Vierge du Perpétuel Secours, qui est le coeur de votre siège central et aussi de tout l'Institut.

Présentez-lui toutes les douleurs et toutes les angoisses du Vicaire du Christ pour tout ce que souffrent encore tant de ses fils, pour lesquels le passé est peut-être un souvenir amer, le présent une fatigue pénible et l'avenir une inconnue et une préoccupation ; dites-lui que Nous désirons, certes, qu'ils apprennent à porter la Croix avec un esprit chrétien dans la pleine conscience de sa valeur comme moyen de sanctification, de rédemption et de réparation, mais qu'en même temps Nous



voulons les voir soulagés de leurs peines et que, dans ce sens, Nous ne manquons pas d'exhorter ceux qui peuvent les aider ; rappelez-lui que Nous confions tout à Elle, à son Cceur immaculé et maternel, non moins qu'à sa puissante intercession, afin que cette pauvre humanité puisse finalement voir la première lumière de ce jour où, le soleil de la justice et de la charité resplendissant sur l'univers, tout reverdira, tout se renouvellera et fleurira dans une atmosphère sereine de paix.

Avec la protection de votre très douce Mère, Nous invoquons donc en votre faveur les meilleures grâces du ciel, en vous bénissant paternellement. Que la Bénédiction de Dieu tout-puissant, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, descende comme une délicate rosée sur vous et sur votre Institut pour l'enrichir des fruits les plus abondants de justice et de charité.

DISCOURS AU VIIe CONGRÈS INTERNATIONAL D'HÉMATOLOGIE
(12 septembre 1958) 1






Le 7e Congrès international d'hématologie, qui réunissait des médecins de 53 pays, s'est tenu à Rome au début de septembre. Les nombreux congressistes (près de 2000) furent reçus en audience par le Souverain Pontife, qui prononça en français l'allocution suivante.

Dans la seconde partie de son discours, le Pape répond aux diverses questions qui lui avaient été soumises par la Société internationale d'hématologie.

Le VIIe Congrès international d'hématologie, qui rassemble à Rome plus de mille spécialistes de différents pays, vous a suggéré, Messieurs, la pensée de Nous rendre visite. Nous en sommes très touché et vous souhaitons cordialement la bienvenue. Votre assemblée a été précédée par le Congrès international pour la transfusion du sang, auquel Nous avons eu le plaisir d'adresser aussi la parole.

Un simple coup d'ceil sur les sujets énumérés dans votre programme suffit à montrer la variété et l'abondance des problèmes, qui se posent aujourd'hui en hématologie. Nous y relevons, parmi les sujets traités dans les séances plénières, des questions concernant 1'immunohématologie, les malaises hémorragiques, la leucémie, la rate et le système réticuloendothélial, l'anémie, l'utilisation des isotopes radioactifs en hématologie. A cela s'ajoutent les exposés et discussions, qui font l'objet des symposiums. Vous aurez ainsi la possibilité d'enrichir votre savoir scientifique et de mieux appliquer ces connaissances dans la vie de tous les jours, aux individus et aux familles, à qui finalement ces acquisitions sont destinées. On peut dire que les



problèmes du sang, hérités des générations antérieures, et dont les hommes d'aujourd'hui prennent conscience, non sans éton-nement ni crainte parfois, revêtent un caractère d'universalité, qui justifie amplement vos efforts, et que souligne entre autres la représentation largement internationale de votre Congrès.



Essais de solution.

L'ouvrage que Nous avons déjà cité dans Notre allocution précédente au sujet de la consultation génétique2 expose les différentes manières, dont on envisage couramment la solution du problème de l'hérédité défectueuse.

2 Sheldon C. Reed, Counseling in Médical Cenetics.

Selon ses dires, depuis qu'on a découvert la technique de la fécondation artificielle, la semi-adoption a été utilisée sur une large échelle pour avoir des enfants, lorsque le mari est stérile, ou lorsque le couple a découvert qu'il était porteur d'un gène récessif grave. Si le père adoptif a des doutes sur la légalité de l'enfant que sa femme a engendré par cette méthode, on peut y remédier très simplement par l'adoption. Une relation scientifique publiée en 1954 souligne que les couples, qui se suspectent mutuellement de stérilité, ont tendance à vouloir déterminer lequel des conjoints est en cause, en recourant à l'adultère volontaire. Pour prévenir des expériences tragiques de ce genre, une clinique de la fécondité peut être d'un grand secours.

Un autre cas assez typique est celui de la femme qui s'adresse à la consultation génétique, parce qu'elle se sait porteuse d'une maladie héréditaire, et qui, ne pouvant accepter les moyens anti-conceptionnels, a l'intention de se soumettre à la stérilisation.



Nouvelle condamnation de l'insémination artificielle.


Le premier cas mentionné envisage, comme solution au problème de la stérilité du mari, l'insémination artificielle, laquelle suppose évidemment un donneur étranger au couple. Nous avons déjà eu l'occasion de prendre position contre cette pratique dans l'allocution adressée au IVe Congrès international des médecins catholiques, le 29 septembre 1949. Nous y avons réprouvé absolument l'insémination entre personnes non-mariées et même entre époux3. Nous sommes revenu sur cette question dans Notre allocution au Congrès mondial de la fertilité et de la stérilité, le 19 mai 1956 4, pour réprouver à nouveau toute espèce d'insémination artificielle, parce que cette pratique n'est pas comprise dans les droits des époux et qu'elle est contraire à la loi naturelle et à la morale catholique. Quant à l'insémination artificielle entre célibataires, déjà en 1949 Nous avions déclaré qu'elle violait le principe de droit naturel, que toute vie nouvelle ne peut être procréée que dans un mariage valide.

La solution par l'adultère volontaire se condamne elle-même, quels que soient les motifs biologiques, eugéniques ou juridiques, par lesquels on tenterait de la justifier. Aucun époux ne peut mettre ses droits conjugaux à la disposition d'une tierce personne, et toute tentative d'y renoncer reste sans effets ; elle ne pourrait pas non plus s'appuyer sur l'axiome juridique : volenti non fit iniuria.


3 Documents Pontificaux 1949, pp. 411-414.
4 Documents Pontificaux 1956, pp. 315-316.

Stérilisation directe et indirecte.

On envisage aussi comme solution, la stérilisation, soit de la personne, soit de l'acte seul. Pour des motifs biologiques et eugéniques ces deux méthodes acquièrent maintenant une faveur croissante et se répandent progressivement à la faveur de drogues nouvelles, toujours plus efficaces et d'emploi plus commode. La réaction de certains groupes de théologiens à cet état de choses est symptomatique et assez alarmante. Elle révèle une déviation du jugement moral, allant de pair avec une promptitude exagérée à reviser en faveur de nouvelles techniques les positions communément reçues. Cette attitude procède d'une intention louable, qui, pour aider ceux qui sont en difficulté, refuse d'exclure trop vite de nouvelles possibilités de solution. Mais cet effort d'adaptation est appliqué ici d'une façon malheureuse, parce qu'on comprend mal certains principes, ou qu'on leur donne un sens ou une portée qu'ils ne peuvent avoir. Le Saint-Siège se trouve alors dans une situation semblable à celle du bienheureux Innocent XI, qui se vit, plus d'une fois, obligé à condamner des thèses de morale avancées par des théologiens animés d'un zèle indiscret et d'une hardiesse peu clairvoyante 5.

5 Cf. DS 1151-1216 DS 1221-1288.

Plusieurs fois déjà Nous avons pris position au sujet de la stérilisation. Nous avons exposé en substance que la stérilisation directe n'était pas autorisée par le droit de l'homme à disposer de son propre corps, et ne peut donc être considérée comme une solution valable pour empêcher la transmission d'une hérédité maladive. « La stérilisation directe, disions-Nous le 29 octobre 1951, c'est-à-dire celle qui vise, comme moyen ou comme but, à rendre impossible la procréation, est une violation grave de la loi morale, et donc elle est illicite. Même l'autorité publique n'a pas le droit, sous prétexte d'une indication quelconque, de la permettre, et beaucoup moins encore de la prescrire ou de la faire exécuter contre des innocents. Ce principe est déjà énoncé dans l'encyclique Casti connubii de Pie XI sur le mariage. Aussi lorsque, il y a une dizaine d'années, la stérilisation commença à être toujours plus largement appliquée, le Saint-Siège se vit dans la nécessité de déclarer expressément et publiquement que la stérilisation directe, perpétuelle ou temporaire, de l'homme comme de la femme, est illicite en vertu de la loi naturelle, dont l'Eglise elle-même, comme vous le savez, n'a pas le pouvoir de dispenser 6. »


6. Documents Pontificaux 1951, p. 482.
7. Documents Pontificaux 195), pp. 492-498.




Par stérilisation directe, Nous entendions désigner l'action de qui se propose, comme but ou comme moyen, de rendre impossible la procréation ; mais Nous n'appliquons pas ce terme à toute action, qui rend impossible en fait la procréation. L'homme, en effet, n'a pas toujours l'intention de faire ce qui résulte de son action, même s'il l'a prévu. Ainsi, par exemple, l'extirpation d'ovaires malades aura comme conséquence nécessaire de rendre impossible la procréation ; mais cette impossibilité peut n'être pas voulue soit comme fin, soit comme moyen. Nous avons repris en détail les mêmes explications dans Notre allocution du 8 octobre 1953 au Congrès des urologistes "'. Les mêmes principes s'appliquent au cas présent et interdisent de considérer comme licite l'extirpation des glandes ou des organes sexuels, dans le but d'entraver la transmission de caractères héréditaires défectueux.

Ils permettent aussi de résoudre une question très discutée aujourd'hui chez les médecins et les moralistes : Est-il licite d'empêcher l'ovulation au moyen de pilules utilisées comme remèdes aux réactions exagérées de l'utérus et de l'organisme, quoique ce médicament, en empêchant l'ovulation, rende aussi impossible la fécondation ? Est-ce permis à la femme mariée qui, malgré cette stérilité temporaire, désire avoir des relations avec son mari ? La réponse dépend de l'intention de la personne. Si la femme prend ce médicament, non pas en vue d'empêcher la conception, mais uniquement sur avis du médecin, comme un remède nécessaire à cause d'une maladie de l'utérus ou de l'organisme, elle provoque une stérilisation indirecte, qui reste permise selon le principe général des actions à double effet. Mais on provoque une stérilisation directe, et donc illicite, lorsqu'on arrête l'ovulation, afin de préserver l'utérus et l'organisme des conséquences d'une grossesse, qu'il n'est pas capable de supporter. Certains moralistes prétendent qu'il est permis de prendre des médicaments dans ce but, mais c'est à tort. Il faut rejeter également l'opinion de plusieurs médecins et moralistes, qui en permettent l'usage, lorsqu'une indication médicale rend indésirable une conception trop prochaine, ou en d'autres cas semblables, qu'il ne serait pas possible de mentionner ici ; dans ces cas l'emploi des médicaments a comme but d'empêcher la conception en empêchant l'ovulation ; il s'agit donc de stérilisation directe.

Pour la justifier, on cite parfois un principe de morale, juste en soi, mais qu'on interprète mal : licet corrigere defectus naturae dit-on, et puisqu'en pratique il suffit, pour user de ce principe, d'avoir une probabilité raisonnable, on prétend qu'il s'agit ici de corriger un défaut naturel. Si ce principe avait une valeur absolue, l'eugénique pourrait sans hésiter utiliser la méthode des drogues pour arrêter la transmission d'une hérédité défectueuse. Mais il faut encore voir de quelle manière on corrige le défaut naturel et prendre garde à ne point violer d'autres principes de la moralité.



Les préservatifs.

On propose ensuite comme moyen capable d'arrêter la transmission d'une hérédité défectueuse, l'utilisation des préservatifs et la méthode Ogino-Knaus. — Des spécialistes de l'eugénique, qui en condamnent l'usage absolument, lorsqu'il s'agit simplement de donner cours à la passion, approuvent ces deux systèmes, lorsqu'il existe des indications hygiéniques sérieuses ; ils les considèrent comme un mal moindre que la procréation d'enfants tarés. Même si d'aucuns approuvent cette position, le christianisme a suivi et continue à suivre une tradition différente. Notre prédécesseur Pie XI l'a exposée d'une manière solennelle dans son encyclique Casti connubii du 31 décembre 1930. Il caractérise l'usage des préservatifs comme une violation de la loi naturelle ; un acte, auquel la nature a donné la puissance de susciter une vie nouvelle, en est privé par la volonté humaine : quemlibet matrimonii usum, écrivait-il, in quo exercendo, actus, de industria hominum, naturali sua vitae procreandae vi destituatur, Dei et naturae legem infringere, et eos qui tale quid commiserint gravis noxae labe commaculari8.



méthode Ogino-Knaus.

Par contre, la mise à profit de la stérilité temporaire naturelle, dans la méthode Ogino-Knaus, ne viole pas l'ordre naturel, comme la pratique décrite plus haut, puisque les relations conjugales répondent à la volonté du Créateur. Quand cette méthode est utilisée pour des motifs sérieux proportionnés (et les indications de l'eugénique peuvent avoir un caractère grave), elle se justifie moralement. Déjà Nous en avons parlé dans Notre allocution du 29 octobre 1951, non pour exposer le point de vue biologique ou médical, mais pour mettre fin aux inquiétudes de conscience de beaucoup de chrétiens, qui l'utilisaient dans leur vie conjugale. D'ailleurs, dans son encyclique du 31 décembre 1930, Pie XI avait déjà formulé la position de principe : Neque contra naturae ordinem agere ii dicendi sunt coniuges, qui iure suo recte et naturali ratione utuntur, etsi ob naturales sive temporis sive quorundam defectuum causas nova inde vita oriri non possit9.

Nous avons précisé dans Notre allocution de 1951 que les époux, qui font usage de leurs droits conjugaux, ont l'obligation positive, en vertu de la loi naturelle propre à leur état, de ne pas exclure la procréation. Le Créateur en effet a voulu que



A. A. S., 22, 1930, pp. 559-560. A. A. S., 22, 1930, p. 561.

le genre humain se propageât précisément par l'exercice naturel de la fonction sexuelle. Mais à cette loi positive Nous appliquions le principe qui vaut pour toutes les autres : elles n'obligent pas dans la mesure où leur accomplissement comporte des inconvénients notables, qui ne sont pas inséparables de la loi elle-même, ni inhérents à son accomplissement, mais viennent d'ailleurs, et que le législateur n'a donc pas eu l'intention d'imposer aux hommes, lorsqu'il a promulgué la loi.



L'adoption.

Le dernier moyen mentionné plus haut, et sur lequel Nous voulions exprimer Notre avis, était celui de l'adoption. Lorsqu'il faut 'déconseiller la procréation naturelle, à cause du danger d'une hérédité tarée, à des époux qui voudraient quand même avoir un enfant, on leur suggère le système de l'adoption. On constate par ailleurs que ce conseil est en général suivi d'heureux résultats et rend aux parents le bonheur, la paix, la sérénité. Du point de vue religieux et moral, l'adoption ne soulève aucune objection ; c'est une institution reconnue presque dans tous les Etats civilisés. Si certaines lois contiennent des dispositions inacceptables en morale, cela ne touche pas l'institution elle-même. Du point de vue religieux, il faut demander que les enfants de catholiques soient pris en charge par des parents adoptifs catholiques ; la plupart du temps en effet les parents imposeront à leur enfant adoptif leur propre religion.



Réponse aux questions posées.

10 Voici les questions posées :

1. Faut-il conseiller, en général, la visite prénuptiale et, en particulier, l'examen du sang, en Italie et dans le bassin méditerranéen ?

2. Si cet examen est positif, en ce qui concerne deux fiancés déterminés, y a-t-il lieu de déconseiller le mariage 7

3. Le mariage une fois consommé, si l'on constate, chez les' deux époux, le « désordre hématologique méditerranéen », est-il permis de déconseiller la progéniture ?

4. Cette situation, si elle était ignorée des' époux au moment du mariage, peut-elle être considérée comme une raison de nullité de ce dernier ?

5. Est-il permis, sur le plan technique, de faire une propagande destinée à souligner les dangers, pour la progéniture, du mariage entre consanguins' ?




Après avoir discuté les solutions proposées couramment, au problème de l'hérédité défectueuse, il Nous reste encore à donner réponse aux questions que vous Nous avez posées10.

Elles s'inspirent toutes du désir de préciser l'obligation morale découlant de résultats de l'eugénique, que l'on peut considérer comme acquis.

Il s'agit, dans des différents cas présentés, de l'obligation générale d'éviter tout danger ou dommage plus ou moins grave, tant pour l'intéressé, que pour son conjoint et ses descendants. Cette obligation est proportionnée à la gravité du dommage possible, à sa probabilité plus ou moins grande, à l'intensité et à la proximité de l'influence pernicieuse exercée, à la gravité des motifs que l'on a de poser des actions dangereuses et d'en permettre les conséquences néfastes. Or ces questions sont en majeure partie des questions de fait, auxquelles seuls l'intéressé, le médecin et les spécialistes consultés peuvent donner réponse. Au point de vue moral, on peut dire en général que l'on n'a pas le droit de ne pas tenir compte des risques réels que l'on connaît.



La visite prénuptiale.

D'après ce principe de base, on peut répondre affirmativement à la première question que vous posiez : faut-il conseiller, en général, la visite prénuptiale et, en particulier, l'examen du sang, en Italie et dans le bassin méditerranéen ? Cette visite est à conseiller, et même, si le danger est vraiment grave, on pourrait l'imposer en certaines provinces ou localités. En Italie, dans tout le bassin méditerranéen et les pays qui accueillent des groupes d'émigrés de ces pays, il faut tenir compte spécialement du désordre hématologique méditerranéen. Le moraliste évitera de se prononcer, dans les cas particuliers, par un „ oui " ou un „ non " apodictique ; seule l'observation de toutes les données de fait permet de déterminer si l'on se trouve devant une obligation grave.
On peut parfois déconseiller le mariage, mais non l'interdire.


Vous demandez ensuite s'il est permis de déconseiller le mariage à deux fiancés, chez lesquels l'examen du sang a révélé

6.A un couple se trouvant dans la « situation Rh », est-il permis de déconseiller toujours la procréation ou seulement après le premier incident ?

7. Dans le cas où la « situation Rh » se présenterait particulièrement grave, s'il est donné de constater des facteurs mortels dès la première grossesse, empêchant ainsi totalement la procréation, cela peut-il constituer un motif de nullité du mariage ?

la présence du mal méditerranéen ? Lorsqu'un sujet est porteur du mal hématologique méditerranéen, on peut lui déconseiller le mariage, mais non le lui interdire. Le mariage est un des droits fondamentaux de la personne humaine, auquel on ne saurait porter atteinte. Si l'on a peine parfois à comprendre le point de vue généreux de l'Eglise, c'est que l'on perd trop facilement de vue le présupposé que Pie XI exposait dans l'encyclique Casti connubii sur le mariage : les hommes sont engendrés non pas d'abord et surtout pour cette terre et pour la vie temporelle, mais pour le ciel et l'éternité. Ce principe essentiel semble étranger aux préoccupations de l'eugénique. Et cependant il est juste ; il est même le seul pleinement valable. Pie XI affirmait encore, dans la même encyclique, qu'on n'a pas le droit d'empêcher quelqu'un de se marier ou d'user d'un mariage légitimement contracté, même lorsque, en dépit de tous les efforts, le couple est incapable d'avoir des enfants sains. En fait, il sera souvent difficile de faire coïncider les deux points de vue, celui de l'eugénique et celui de la morale. Mais pour garantir l'objectivité de la discussion, il est nécessaire que chacun connaisse le point de vue de l'autre et soit familiarisé avec ses raisons



On peut parfois déconseiller les époux d'avoir des enfants, mais non leur interdire.

On s'inspirera des mêmes idées pour répondre à la troisième question : si après le mariage l'on constate la présence du mal hématologique méditerranéen chez les deux époux, est-il permis de leur déconseiller d'avoir des enfants ? On peut leur déconseiller d'avoir des enfants, mais on ne peut pas le leur défendre. Par ailleurs, il reste à voir quelle méthode le conseiller (qu'il soit médecin, hématologue ou moraliste) leur suggérera à cette fin. Les ouvrages spécialisés refusent ici de répondre et laissent aux époux intéressés toute leur responsabilité. Mais l'Eglise ne peut se contenter de cette attitude négative ; elle doit prendre position. Comme Nous l'avons expliqué, rien ne s'oppose à la continence parfaite, à la méthode Ogino-Knaus, ni à l'adoption d'un enfant.





» Cf. A. A. S., 22, 1930, pp. 564-565.

L'ignorance d'une tare héréditaire ne peut rendre nul un mariage contracté sans conditions.

La question suivante concerne la validité du mariage contracté par des époux porteurs du mal hématologique méditerranéen. Si les époux ignorent leur état au moment du mariage, ce fait peut-il être une raison de nullité du mariage ? Abstraction faite du cas où l'on pose comme condition12 l'absence de toute hérédité maladive, ni la simple ignorance, ni la dissimulation frauduleuse d'une hérédité tarée, ni même l'erreur positive qui aurait empêché le mariage si elle avait été décelée, ne suffisent pour mettre en doute sa validité. L'objet du contrat de mariage est trop simple et trop clair, pour qu'on puisse en alléguer l'ignorance. Le lien contracté avec une personne déterminée doit être considéré comme voulu, à cause de la sainteté du mariage, de la dignité des époux, et de la sécurité des enfants engendrés, et le contraire doit être prouvé clairement et sûrement. L'erreur grave ayant été cause du contrat " n'est pas niable, mais elle ne prouve pas l'absence de volonté réelle de contracter mariage avec une personne déterminée. Ce qui est décisif dans le contrat, ce n'est pas ce que l'on aurait fait, si l'on avait su telle ou telle circonstance, mais ce qu'on a voulu et fait en réalité, parce que, de fait, on ne savait pas.



La « situation Rh ».

Dans la septième question, vous demandez si l'on peut considérer la « situation Rh » comme un motif de nullité de mariage, lorsqu'elle entraîne la mort des enfants dès la première grossesse. Vous supposez que les époux n'ont pas voulu s'engager à avoir des enfants, qui seraient victimes d'une mort précoce à cause d'une tare héréditaire. Mais le simple fait que des tares héréditaires entraînent la mort des enfants ne prouve pas l'absence de la volonté de conclure le mariage. Cette situation évidemment est tragique, mais le raisonnement s'appuie sur une considération qui ne porte pas. L'objet du contrat matrimonial n'est pas l'enfant, mais l'accomplissement de l'acte matrimonial naturel, ou, plus précisément, le droit d'accomplir cet acte ; ce droit reste tout à fait indépendant du patrimoine

12 Can. 1092.

13 Can. 1084.

héréditaire de l'enfant engendré, et de même de sa capacité de vivre.

Dans le cas d'un couple en « situation Rh » vous demandez aussi s'il est permis de déconseiller toujours la procréation ou s'il faut attendre le premier incident ?

Les spécialistes de la génétique et l'eugénique sont plus compétents que Nous en ce domaine. Il s'agit en effet d'une question de fait, qui dépend de facteurs nombreux, dont vous êtes les juges compétents. Au point de vue moral, il suffit d'appliquer les principes, que Nous avons exposés plus haut, avec les distinctions nécessaires.



mariages entre consanguins.

Vous demandez enfin s'il est permis de faire de la propagande sur le plan technique pour souligner les dangers inhérents au mariage entre consanguins. Sans aucun doute, il est utile d'informer le public des risques sérieux qu'entraînent les mariages de ce genre. On tiendra compte ici également de la gravité du danger pour juger de l'obligation morale.

Avec sagacité et persévérance, vous tentez d'explorer toutes les issues possibles à tant de situations difficiles ; vous vous employez sans relâche à prévenir et guérir une infinité de souffrances et de misères humaines. Même si des précisions ou des modifications apparaissent souhaitables en certains points, cela n'enlève rien au mérite incontestable de vos travaux. Nous les encourageons bien volontiers. Nous apprécions hautement la collaboration active et sérieuse, qui permet aux diverses opinions de s'exprimer librement, mais ne s'arrête jamais aux critiques négatives. C'est la seule voie ouverte au progrès réel, aussi bien dans l'acquisition de nouvelles connaissances théoriques, que dans leur application clinique.

Puissiez-vous continuer votre oeuvre avec courage et avec le souci constant de sauvegarder les plus hautes valeurs spirituelles, qui seules peuvent couronner dignement vos efforts. En gage de Notre bienveillance et des faveurs divines, Nous vous accordons à vous-mêmes et à tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique.

ALLOCUTION À LA IIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L'OFFICE INTERNATIONAL DE L'ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
(14 septembre 1958)1






Recevant en audience, le dimanche 14 septembre, les membres de la troisième Assemblée générale de l'Office international de l'enseignement catholique (O.I.E.C.), le Saint-Père prononça en français l'allocution suivante :

La troisième Assemblée générale de l'Office international de renseignement catholique qui vous réunit à Rome, chers fils, Nous donne l'occasion de vous accorder cette audience, que vous avez demandée avec instance. C'est de grand cceur que Nous répondons à votre désir et que Nous appuyons de Nos encouragements les efforts, que vous avez déployés, d'abord pour fonder, puis pour développer votre Office.



Buts et activités de l'O.I.E.C.

1 D'après le texte français des A. A. S., 50, 1958, p. 696. Les sous-titres sont ceux de la Documentation Catholique, t. LV, col. 1285-1288.




Les catholiques d'aujourd'hui, plus encore que ceux d'hier, attachent aux problèmes de l'enseignement une importance considérable. Dans tous les pays où la foi s'enracine, surgissent bientôt des écoles de tous degrés, jardins d'enfants, écoles élémentaires, collèges secondaires, facultés universitaires englobant toutes les branches du savoir. Soucieuses de former le plus tôt possible une élite et de favoriser l'épanouissement d'une culture chrétienne, les autorités ecclésiastiques, aidées par le dévouement admirable d'enseignants laïcs et par le soutien financier du peuple chrétien, mettent tout en oeuvre pour que

les jeunes baptisés reçoivent, dans des instituts chrétiens, la formation religieuse et intellectuelle qui leur est nécessaire. Souvent cependant, les efforts sont poursuivis en ordre dispersé, d'après les besoins du moment et les impulsions d'initiatives généreuses, sans qu'une étude rationnelle de la situation ait déterminé plus exactement les conditions, dans lesquelles ces efforts produiraient les fruits les meilleurs ; il en résulte une perte évidente d'énergies et une moindre efficacité de l'apostolat.

A présent, on voit se multiplier les échanges internationaux et les organisations publiques et privées s'occupant d'activités culturelles et éducatives sur le plan mondial. L'école catholique doit donc elle aussi affirmer sa valeur propre, s'adapter aux exigences de la formation du chrétien dans le monde moderne, se défendre contre les attaques dont elle est l'objet en plusieurs régions. Ainsi s'explique la création d'une organisation qui se propose, comme le déclarent vos statuts 2, « d'affirmer sur le plan international le rôle de l'enseignement organisé sous l'égide de l'Eglise ». Les Universités, les étudiants, les intellectuels, les enseignants catholiques ont déjà la possibilité d'aborder dans leurs groupements respectifs les questions qui les intéressent plus particulièrement. Mais il fallait encore représenter l'enseignement catholique dans son ensemble et mettre en valeur son point de vue auprès des organisations internationales gouvernementales et non-gouvernementales. C'est avec cette idée qu'en novembre 1950, se réunirent pour la première fois à La Haye, les personnalités représentatives de l'enseignement catholique de six nations. Après que la hiérarchie ecclésiastique des pays intéressés eut donné son approbation au premier projet, l'assemblée constitutive de l'Office se réunit à Lucerne en septembre 1952 et en rédigea les statuts. Depuis lors le nombre des adhérents s'est constamment accru.

Bien que limité dans son action par l'insuffisance de ses ressources, l'Office a déjà réalisé depuis sa fondation un travail notable ; en particulier il a assuré sa représentation aux diverses réunions d'organisations internationales, la rédaction de nombreux rapports, études et articles, la constitution d'une documentation étendue sur la situation scolaire des différents pays et la réponse aux fréquentes demandes d'informations. Actuelle-



ment, vous concentrez votre attention sur les projets de l'UNESCO relatifs à l'enseignement primaire en Amérique latine, à l'appréciation mutuelle des valeurs culturelles de l'Orient et de l'Occident, et vous prêtez votre collaboration à l'organisation de l'enseignement catholique en Afrique.



La présence de l'école catholique aux réalités du monde moderne.

3 Art. 4, a.




Votre Congrès actuel aborde un sujet très ample : « la nature et le rôle de l'école catholique et sa présence aux réalités du monde moderne ». Ce faisant, vous réalisez un des points importants de vos statuts, celui qui envisage « l'étude des principes qui sont à la base de l'instruction et de l'éducation chrétienne de la jeunesse, ainsi que les problèmes que pose leur application » 3. Les problèmes d'ordre pédagogique et ceux de l'école en général ont acquis ces dernières années un relief très accusé : problèmes de l'accroissement considérable des effectifs scolaires, de la prolongation de la scolarité, qui répond aux besoins de la science et de l'industrie moderne en personnel qualifié, mais aussi problèmes plus délicats résultant d'une extension rapide des moyens de culture et du contenu même de celle-ci. C'est ici qu'on aperçoit davantage l'opportunité d'une enquête approfondie sur la situation de l'école catholique dans le monde moderne et sur la façon dont elle s'adapte au rythme accéléré de son évolution. Par ailleurs, le climat politique et social de la vie internationale ne peut manquer d'influencer largement les orientations à prendre : conflit des idées et des systèmes politiques, constitution des nations en blocs opposés, appel des régions sous-développées, utilisation commune des nouvelles sources d'énergie. La solution correcte de ces questions redoutables ne pourra venir que d'une élite aux idées justes et au coeur large, qui saura les considérer avec toute la compétence technique requise, mais aussi avec l'intuition des impératifs essentiels de la conscience humaine. L'école catholique prétend mettre ses élèves en face de toutes leurs responsabilités, et contribue par là à faire prévaloir dans le monde les principes fondamentaux d'un équilibre harmonieux entre les individus et entre les nations.

Les exigences de l'école chrétienne.

Pour qu'elle ne manque point à sa mission, il importe que tous ses responsables gardent devant les yeux les recommandations de Notre vénéré prédécesseur Pie XI dans son encyclique Divini illius Magistrii. Pour qu'une école soit chrétienne, il ne suffit pas que l'on y dispense chaque semaine un cours de religion, ni que l'on y impose certaines pratiques de piété ; mais il faut d'abord que des maîtres chrétiens communiquent à leurs disciples, en même temps que la formation de l'esprit et du caractère, les richesses de leur vie spirituelle profonde ; pour cela il importe que l'organisation extérieure de l'école, sa discipline, ses programmes, constituent un cadre adapté à sa fonction essentielle et pénétré, même dans ses détails en apparence les plus humbles et les plus matériels, d'un sens spirituel authentique. Croit-on qu'il soit indifférent d'adopter tel ordre du jour, tel choix des matières, telle méthode didactique, tel système disciplinaire ? Les exigences légales ou l'opportunité ont maintes fois entraîné en ce domaine des abandons regrettables et compromis dans une large mesure l'efficacité de l'éducation religieuse elle-même. Aussi croyons-Nous que vous ferez oeuvre très utile, en rendant possible aux maîtres chrétiens la comparaison des méthodes et des résultats obtenus en d'autres pays ; ils épargneront ainsi le coût d'expériences inutiles ou dommageables, et écarteront plus sûrement de leurs propres méthodes tous les éléments qui trahissent des influences étrangères à l'inspiration chrétienne véritable.



La raison d'être de l'école chrétienne : former de solides chrétiens.

4 A. A. S., 21, 1029, p. 752.




Toutefois, l'efficacité d'un système éducatif dépend en définitive de sa fidélité entière au but premier qu'il se propose. L'école chrétienne justifiera sa raison d'être dans la mesure où ses maîtres, clercs et laïcs, religieux et séculiers, réussiront à former de solides chrétiens. Que leur zèle s'applique donc inlassablement à associer toujours davantage leurs élèves à la vie de l'Eglise, à les faire participer à sa liturgie et à ses sacrements, puis à les initier, selon les capacités de leur âge, à l'apostolat parmi leurs compagnons, dans leurs familles, dans leur milieu de vie ; qu'ils les habituent aussi à regarder l'immense champ missionnaire, qui s'ouvre en réalité aux portes mêmes de l'école ou du collège. Qu'ils leur révèlent les possibilités apostoliques qui s'offrent à leur générosité, dans la vocation sacerdotale et religieuse, ou parmi les formes si variées de l'action laïque. Jamais les élèves d'un institut catholique ne devraient concevoir leur future carrière comme une simple fonction sociale, nécessaire sans doute pour eux-mêmes et pour leurs semblables, mais sans relation immédiate avec leur condition de baptisés. Qu'ils la conçoivent toujours au contraire comme l'exercice d'une responsabilité dans l'oeuvre du salut du monde, par laquelle, en s'engageant sérieusement comme chrétiens sur le plan temporel, ils réalisent leur destinée spirituelle la plus haute.



Les services rendus à la communauté nationale.

On aurait tort de penser pour cela que l'école chrétienne tient en moindre estime ou relègue au second plan les tâches spécifiquement scolaires. Les objectifs d'ordre intellectuel, but précis de l'enseignement, reçoivent au contraire de son orientation spirituelle un sens plus ferme, une sûreté et une force accrues. C'est pourquoi, lorsque des élèves païens ou appartenant à d'autres confessions fréquentent les établissements catholiques, ils en retirent une culture, qui ne le cède en rien à celle qu'ils auraient reçue ailleurs. Il n'est même pas rare que les instituts catholiques jouissent dans les milieux non-chrétiens d'une réputation, due avant tout à la qualité de leurs études et aux services éminents, qu'ils rendent à ce titre à la communauté nationale.

B Cf. Documents Pontificaux x957, pp. 674-677.




Malheureusement, en dépit de ses mérites évidents, l'école catholique ne trouve pas toujours auprès des pouvoirs publics l'appui qu'elle serait en droit de recevoir. Nous avons déjà évoqué ce problème dans Notre allocution du 10 novembre 1957 au Congrès international des écoles privées européennes5. On peut espérer que le mouvement, qui pousse les nations à s'unir en des ensembles plus vastes, incitera les gouvernants à dépasser, en cette matière, des oppositions néfastes à ceux-là mêmes qui les créent.

Il Nous reste à vous souhaiter, chers fils, de (poursuivre avec courage et persévérance les tâches que vous vous êtes proposées. Vous pouvez bien, pour stimuler votre zèle, répéter l'exclamation de saint Paul, fier de la charge que Dieu lui avait confiée, de proclamer le Mystère du Christ : « Ce Christ nous l'annonçons, disait-il, avertissant tout homme et instruisant tout homme en toute sagesse, afin de rendre tout homme parfait dans le Christ ! » (Col 1,28). Tel est le terme magnifique de votre labeur et de celui de tous les maîtres chrétiens : annoncer le Seigneur à ceux qui l'ignorent, rendre parfaits ceux qui le connaissent.

Que le Saint-Esprit vous éclaire et guide vos pas ! Nous l'en supplions instamment et en même temps que Nous appelons ses grâces sur vous-mêmes et sur tous vos collaborateurs, Nous vous en accordons comme gage Notre paternelle Bénédiction apostolique.


Pie XII 1958 - PROBLÈMES DE LA GÉNÉTIQUE DU SANG