Africae munus FR 26

2. CRÉER UN ORDRE JUSTE DANS LA LOGIQUE DES BÉATITUDES

26 Le disciple du Christ, uni à son Maître, doit contribuer à former une société juste où tous pourront participer activement avec leurs propres talents à la vie sociale et économique. Ils pourront donc gagner ce qui leur est nécessaire pour vivre selon leur dignité humaine dans une société où la justice sera vivifiée par l’amour.[44] Le Christ ne propose pas une révolution de type social ou politique, mais celle de l’amour, réalisée dans le don total de sa personne par sa mort sur la Croix et sa Résurrection. Sur cette révolution de l’amour se fondent les Béatitudes (Mt 5,3-12). Elles fournissent un nouvel horizon de justice inauguré dans le mystère pascal et grâce auquel nous pouvons devenir justes et construire un monde meilleur. La justice de Dieu, que nous révèlent les Béatitudes, élève les humbles et abaisse ceux qui s’élèvent. Elle se réalise en plénitude, il est vrai, dans le Royaume de Dieu qui se réalisera à la fin des temps. Mais la justice de Dieu se manifeste, d’ores et déjà, là où les pauvres sont consolés et admis au festin de la vie.

[44] Cf. idem.

27 Selon la logique des Béatitudes, une attention préférentielle doit être portée au pauvre, à l’affamé, au malade – par exemple du sida, de la tuberculose ou du paludisme –, à l’étranger, à l’humilié, au prisonnier, au migrant méprisé, au réfugié ou au déplacé, etc. – (cf. Mt 25,31-46). La réponse à leurs besoins dans la justice et la charité dépend de tous. L’Afrique attend cette attention de toute la famille humaine comme d’elle-même.[45] Elle devra cependant commencer par introduire en son propre sein, de manière résolue, la justice politique, sociale et administrative, éléments de la culture politique nécessaire au développement et à la paix. Pour sa part, l’Église apportera sa contribution spécifique s’appuyant sur l’enseignement des Béatitudes.

[45] Cf. Prop. n. 17 : DC 2434 (2009), pp. 140-141.


C. L’AMOUR DANS LA VÉRITÉ : SOURCE DE PAIX

28 La perspective sociale qu’illustre l’agir du Christ, fondé sur l’amour, transcende le minimum qu’exige la justice humaine : c’est-à-dire que l’on donne à l’autre ce qui lui revient. La logique interne de l’amour dépasse cette justice et va jusqu’à donner ce que l’on possède :[46] « N’aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vérité » (1Jn 3,18). À l’image de son Maître, le disciple du Christ ira plus loin encore, jusqu’au don de lui-même pour ses frères (cf. 1Jn 3,16). C’est le prix de la paix authentique en Dieu (cf. Ep 2,14).

[46] Cf. Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. : AAS 101 (2009) p. 644 ;DC 2429 (2009), pp. 754-755.

1. SERVICE FRATERNEL CONCRET

29 Aucune société, même développée, ne peut se passer du service fraternel animé par l’amour. « Celui qui veut s’affranchir de l’amour se prépare à s’affranchir de l’homme en tant qu’homme. Il y aura toujours de la souffrance, qui réclame consolation et aide. Il y aura toujours de la solitude. De même, il y aura toujours des situations de nécessité matérielle, pour lesquelles une aide est indispensable, dans le sens d’un amour concret pour le prochain ».[47] C’est l’amour qui apaise les coeurs blessés, esseulés, abandonnés. C’est l’amour qui engendre la paix ou la rétablit dans le coeur humain et l’instaure entre les hommes.

[47] Benoît XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. : AAS 98 (2006), p. 240 ;DC 2352 (2006), pp. 179-180.

2. L’ÉGLISE COMME UNE SENTINELLE

30 Dans la situation actuelle de l’Afrique, l’Église est appelée à faire entendre la voix du Christ. Elle désire suivre la recommandation de Jésus à Nicodème qui s’interrogeait sur la possibilité de renaître : « Il vous faut naître d’en-haut » (Jn 3,7). Les missionnaires ont proposé aux Africains cette nouvelle naissance « d’eau et d’esprit » (Jn 3,5), une Bonne Nouvelle que toute personne a le droit d’entendre afin de réaliser pleinement sa vocation.[48] L’Église en Afrique vit de cet héritage. À cause du Christ et par fidélité à sa leçon de vie, elle se sent poussée à être présente là où l’humanité connaît la souffrance et à se faire l’écho du cri silencieux des innocents persécutés, ou des peuples dont des gouvernants hypothèquent le présent et l’avenir au nom d’intérêts personnels.[49] Par sa capacité à reconnaître le visage du Christ dans celui de l’enfant, du malade, du souffrant ou du nécessiteux, l’Église contribue à forger lentement mais sûrement l’Afrique nouvelle. Dans son rôle prophétique, chaque fois que les peuples crient vers elle: « Veilleur, où en est la nuit ? » (Is 21,11), l’Église désire être prête à rendre raison de l’espérance qu’elle porte en elle (cf. 1P 3,15) car une aube nouvelle pointe à l’horizon (cf. Ap Ap 22,5). Seul le refus de la déshumanisation de l’homme, et de la compromission – par crainte de l’épreuve ou du martyre – servira la cause de l’Évangile de vérité. « Dans le monde, dit le Christ, vous aurez à souffrir. Mais gardez courage ! J’ai vaincu le monde ! » (Jn 16,33). La paix authentique vient du Christ (cf. Jn 14,27). Elle n’est donc pas comparable à celle du monde. Elle n’est pas le fruit de négociations et d’accords diplomatiques fondés sur des intérêts. C’est la paix de l’humanité réconciliée avec elle-même en Dieu et dont l’Église est le sacrement.[50]

[48] Cf. Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi(8 décembre 1975), nn. EN 53 EN 80 : AAS 68 (1976), pp. 41-42 et 73-74; DC 73 (1976), pp. 11 et 20 ; Jean-Paul II, Lett. enc. Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. RMi 46 : AAS 83 (1991), p. 293; DC 88 (1991), p. 170.
[49] Cf. Deuxième Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l’Afrique, Message final (23 octobre 2009), n. 36 : ORF 3107 (2009), p. 26 ; DC 2434 (2009), p. 1033.
[50] Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 1.


CHAPITRE II

LES CHANTIERS POUR LA RÉCONCILIATION, LA JUSTICE ET LA PAIX

31 À ce point, je souhaite indiquer quelques chantiers que les Pères du Synode ont identifiés pour la mission actuelle de l’Église dans son souci d’aider l’Afrique à s’émanciper des forces qui la paralysent. Le Christ n’a-t-il pas dit tout d’abord au paralytique : « Tes péchés te sont remis » et puis « Lève toi ! » (Lc 5,20 Lc 5,24) ?


I. L’ATTENTION À LA PERSONNE HUMAINE

A. LA METANOIA : UNE AUTHENTIQUE CONVERSION

32 La préoccupation majeure des membres du Synode, face à la situation du continent, a été de chercher comment mettre dans le coeur des Africains disciples du Christ la volonté de s’engager effectivement à vivre l’Évangile dans leur vie et dans la société. Le Christ appelle constamment à la metanoia, à la conversion.[51] Les chrétiens sont marqués par l’esprit et les habitudes de leur époque et de leur milieu. Mais par la grâce de leur baptême, ils sont invités à renoncer aux tendances nocives dominantes et à aller à contre-courant. Un tel témoignage exige un engagement résolu dans « une conversion continue vers le Père, source de toute vraie vie, l’unique capable de nous délivrer du mal, de toute tentation et de nous maintenir dans son Esprit, au sein même du combat contre les forces du mal ».[52] Cette conversion n’est possible qu’en s’appuyant sur des convictions de foi consolidées par une catéchèse authentique. Il convient donc de « maintenir un lien vivant entre le catéchisme mémorisé et la catéchèse vécue, pour conduire à une conversion de vie profonde et permanente ».[53] La conversion se vit de manière particulière dans le Sacrement de la Réconciliation auquel une attention singulière sera accordée pour en faire une véritable « école du coeur ». À cette école, le disciple du Christ se forge, peu à peu, une vie chrétienne adulte, attentive aux dimensions théologales et morales de ses actes, et il devient ainsi capable de « faire face aux difficultés de la vie sociale, politique, économique et culturelle »[54] par une vie empreinte de l’esprit évangélique. La contribution des chrétiens en Afrique ne sera décisive que si l’intelligence de la foi aboutit à l’intelligence de la réalité.[55] Pour cela, l’éducation à la foi est indispensable, sinon le Christ ne sera qu’un nom supplémentaire accolé à nos théories. La parole et le témoignage de vie vont de pair.[56] Mais le témoignage seul ne suffit pas non plus, car « le plus beau témoignage se révélera à la longue impuissant s’il n’est pas éclairé, justifié – ce que Pierre appelait donner “les raisons de son espérance” (1P 3,15) –, explicité par une annonce claire, sans équivoque, du Seigneur Jésus ».[57]

[51] Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Note doctrinale sur certains aspects de l’Évangélisation (3 décembre 2007), n. 9 : AAS 100 (2008), pp. 497-498 ; DC 2394 (2008), p. 63.
[52] Deuxième Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques, Lineamenta, (3 décembre 2007), n. 48 : ORF 2940 (2006), p. VII dans le supplément ; DC 2365 (2006), p. 846.
[53] Prop. n. 43 : DC 2434 (2009), p.1051.
[54] Idem.
[55] Cf. Benoît XVI, Discours au Conseil pontifical pour les Laïcs (21 mai 2010) : Insegnamenti, VI/1 (2010), p. 758 ; DC 2452 (2010), p. 753.
[56] Cf. Conc. oecum. Vat. II, Décret sur l’activité missionnaire de l’Église Ad gentes, n. AGD 15.
[57] Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. EN 22 : AAS 68 (1976), p. 20 ;DC 73 (1976), p. 5.


B. VIVRE LA VÉRITÉ DU SACREMENT DE LA PÉNITENCE ET DE LA RÉCONCILIATION

33 Les membres du Synode ont, en outre, souligné qu’un grand nombre de chrétiens en Afrique adoptent une attitude ambiguë face à la célébration du Sacrement de la Réconciliation, alors que ces mêmes chrétiens sont souvent très scrupuleux dans l’application des rites traditionnels de réconciliation. Pour aider le fidèle catholique à vivre une authentique démarche de metanoia dans la célébration de ce Sacrement, où la mentalité tout entière se réoriente vers la rencontre avec le Christ,[58] il serait bon que les Évêques fassent étudier sérieusement les cérémonies traditionnelles africaines de réconciliation pour en évaluer les aspects positifs et les limites. Car ces médiations pédagogiques traditionnelles[59] ne peuvent, en aucun cas, remplacer le Sacrement. L’Exhortation apostolique post-synodale Reconciliatio et Paenitentia du Bienheureux Pape Jean-Paul II a clairement rappelé quels étaient le ministre et les formes du Sacrement de la Pénitence et de la Réconciliation.[60] Ces médiations pédagogiques traditionnelles peuvent uniquement contribuer à réduire la déchirure ressentie et vécue par certains fidèles en les aidant à s’ouvrir avec plus de profondeur et de vérité au Christ, l’Unique grand Médiateur, pour recevoir la grâce du Sacrement de Pénitence. Célébré dans la foi, ce Sacrement est suffisant pour nous réconcilier avec Dieu et avec le prochain.[61] C’est en définitive Dieu qui, en son Fils, nous réconcilie avec Lui et avec les autres.

[58] Cf. Prop. n. 9 : DC 2434 (2009), pp. 1037-1038.
[59] Cf. Prop. n. 8 : DC 2434 (2009), p. 1037.
[60] Cf. nn. 28-34 : AAS 77 (1985), pp. 250-273 ; DC 1887 (1985), pp. 16-27. Cet enseignement a été confirmé par la Lettre apostolique sous forme de Motu proprio Misericordia Dei (2 mai 2002) : AAS 94 (2002), pp. 452-459 ; DC 2270 (2002), pp. 451-455.
[61] Cf. Prop. n. 7 : DC 2434 (2009), p. 1037.

C. UNE SPIRITUALITÉ DE COMMUNION

34 La réconciliation n’est pas un acte isolé mais un long processus grâce auquel chacun se voit rétabli dans l’amour, un amour qui guérit par l’action de la Parole de Dieu. Elle devient alors une manière de vivre, en même temps qu’une mission. Pour réussir une véritable réconciliation, et mettre en oeuvre la spiritualité de communion par la réconciliation, l’Église a besoin de témoins qui soient profondément enracinés dans le Christ, et qui se nourrissent de sa Parole et des Sacrements. Ainsi, tendus vers la sainteté, ces témoins sont capables de s’investir dans l’oeuvre de communion de la Famille de Dieu en communiquant au monde, au besoin jusqu’au martyre, l’esprit de réconciliation, de justice et de paix, à l’exemple du Christ.

35 Je voudrais rappeler ce que le Pape Jean-Paul II proposait à toute l’Église comme conditions d’une spiritualité de communion :être capable de percevoir la lumière du mystère de la Trinitésur le visage des frères qui sont à nos côtés ;[62] se montrer attentif, « dans l’unité profonde du Corps mystique, à son frère dans la foi, le considérant donc comme “l’un des nôtres”, pour partager ses joies et ses souffrances, pour deviner ses désirs et répondre à ses besoins, pour lui offrir une amitié vraie et profonde » ;[63]être capable en outre de reconnaître ce qu’il y a de positif dans l’autre pour l’accueillir et le valoriser comme un don que Dieu me fait à travers celui qui l’a reçu, bien au-delà de sa personne qui devient alors un intendant des grâces divines ; enfin « savoir “donner une place” à son frère, en portant “les fardeaux les uns des autres” (Ga 6,2) et en repoussant les tentations égoïstes qui continuellement nous tendent des pièges et qui provoquent compétition, carriérisme, défiance, jalousies ».[64]

Ainsi mûrissent des hommes et des femmes de foi et de communion faisant preuve de courage dans la vérité et l’abnégation, et illuminés par la joie. Ils donnent alors un témoignage prophétique d’une vie cohérente avec leur foi. Marie, Mère de l’Église, qui a su accueillir la Parole de Dieu, est leur modèle : par son écoute de la Parole, elle a su entendre les besoins des hommes et intercéder pour eux dans sa compassion.[65]

[62] Cf. Jean-Paul II, Lett. apost. Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), n. NM 43 : AAS 93 (2001), pp. 296-299; DC 2240 (2001), pp. 83-84.
[63] Idem. NM 43
[64] Idem. NM 43
[65] Cf. Prop. n. 9 : DC 2434 (2009), pp. 1037-1038.

D. L’INCULTURATION DE L'ÉVANGILE ET L'ÉVANGÉLISATION DE LA CULTURE

36 Pour réaliser cette communion, il serait bon de revenir sur une nécessité évoquée lors de la première Assemblée synodale pour l’Afrique : une étude approfondie des traditions et des cultures africaines. Les membres du Synode ont constaté l’existence d’une dichotomie entre certaines pratiques traditionnelles des cultures africaines et les exigences spécifiques du message du Christ. Le souci de la pertinence et de la crédibilité impose à l’Église un discernement approfondi pour identifier les aspects de la culture qui font obstacle à l’incarnation des valeurs de l’Évangile, tout comme ceux qui les promeuvent.[66]

[66] Cf. Prop. n. 33 : DC 2434 (2009), pp. 1046-1047.

37 Cependant, il ne faut pas oublier que l’Esprit Saint est l’authentique protagoniste de l’inculturation, « c’est lui qui préside de manière féconde au dialogue entre la Parole de Dieu, qui s’est révélée dans le Christ, et les requêtes les plus profondes qui jaillissent de la multiplicité des hommes et des cultures. Ainsi se poursuit dans l’histoire, dans l’unité d’une même et unique foi, l’événement de la Pentecôte, qui s’enrichit à travers la diversité des langages et des cultures ».[67]L’Esprit Saint fait que l’Évangile soit capable d’imprégner toutes les cultures, sans se laisser asservir par aucune.[68] Les Évêques auront à coeur de veiller à cette exigence d’inculturation dans le respect des normes fixées par l’Église. Discerner quels éléments culturels et quelles traditions sont contraires à l’Évangile permettra de pouvoir séparer le bon grain de l’ivraie (cf. Mt 13,26). Tout en restant pleinement lui-même, dans l’absolue fidélité à l’annonce évangélique et à la tradition ecclésiale, le christianisme revêtira ainsi le visage des innombrables cultures et des peuples où il est accueilli et enraciné. L’Église deviendra alors une icône de l’avenir que l’Esprit de Dieu nous prépare,[69] icône à laquelle l’Afrique apportera sa contribution propre. Dans cette oeuvre d’inculturation, il ne convient pas d’oublier la tâche, elle aussi essentielle, de l’évangélisation du monde de la culture contemporaine africaine.

[67] Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Note doctrinale sur certains aspects de l’Évangélisation (3 décembre 2007), n. 6 : AAS 100 (2008), p. 494 ; DC 2394 (2008), p. 62.
[68] Cf. Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), nn. EN 19-20 : AAS 68 (1976), pp. 18-19; DC 73 (1976), pp. 4-5.
[69] Jean-Paul II, Lett. apost. Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), n. NM 40 : AAS 93 (2001), p. 295; DC 2240 (2001), p. 82.

38 Les initiatives de l’Église dans l’appréciation positive et la sauvegarde des cultures africaines sont connues. Il est très important de poursuivre cette tâche, à l’heure où le brassage des peuples, tout en constituant un enrichissement, fragilise souvent les cultures et les sociétés. L’identité des communautés africaines se joue dans ces rencontres interculturelles. Il faut donc s’engager à transmettre les valeurs que le Créateur a insufflées dans les coeurs des Africains depuis la nuit des temps. Elles ont servi de matrice pour façonner des sociétés vivant dans une certaine harmonie, car portant en leur sein des modes traditionnels de régulation pour une coexistence pacifique. Il s’agit donc de mettre en valeur ces éléments positifs, en les illuminant de l’intérieur (cf. Jn 8,12) pour que le chrétien soit effectivement rejoint par le message du Christ, et pour qu’ainsi la lumière de Dieu puisse briller aux yeux des hommes. Alors, voyant les bonnes actions des chrétiens, les hommes et les femmes pourront glorifier « le Père qui est dans les cieux » (Mt 5,16).

E. LE DON DU CHRIST : L’EUCHARISTIE ET LA PAROLE DE DIEU

39 Au-delà des différences d’origine ou de culture, le grand défi qui nous attend tous, est de discerner dans la personne humaine, aimée de Dieu, le fondement d’une communion qui respecte et intègre les contributions particulières des diverses cultures.[70] Nous « devons ouvrir réellement ces frontières entre tribus, ethnies, religions à l’universalité de l’amour de Dieu ».[71] Des hommes et des femmes différents par l’origine, la culture, la langue ou la religion, peuvent vivre ensemble harmonieusement.

[70] Cf. Prop. n. 32 : DC 2434 (2009), p. 1046.

40 En effet, le Fils de Dieu a dressé sa tente parmi nous ; il a versé son Sang pour nous. Conformément à sa promesse d’être avec nous jusqu’à la fin des temps (cf. Mt 28,20), il se donne à nous chaque jour comme nourriture dans l’Eucharistie et dans les Écritures. J’ai écrit dans l’Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini, que « la Parole et l’Eucharistie sont corrélées intimement au point de ne pouvoir être comprises l’une sans l’autre: la Parole de Dieu se fait chair sacramentelle dans l’événement eucharistique. L’Eucharistie nous ouvre à l’intelligence de la Sainte Écriture, comme la Sainte Écriture illumine et explique à son tour le Mystère eucharistique ».[72]

[71] Benoît XVI, Deuxième Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques, Méditation durant l’Heure de Tierce (5 octobre 2009) : AAS 101 (2009), p. 924 ; ORF 3104 (2009), p. 5.
[72] N. 55 : AAS 102 (2010), pp. 734-735.

41 L’Écriture Sainte atteste en effet que le Sang versé du Christ devient, par le baptême, le principe et le lien d’une nouvelle fraternité. Celle-ci est à l’opposé de la division, du tribalisme, du racisme, de l’ethnocentrisme, etc. (cf. Ga 3,26-28). L’Eucharistie est la force qui rassemble les enfants de Dieu dispersés et les maintient dans la communion,[73] « puisque dans nos veines circule le même Sang du Christ, qui fait de nous les fils de Dieu, membres de la Famille de Dieu ».[74] Recevant Jésus dans l’Eucharistie et l’Écriture, nous sommes renvoyés au monde pour lui offrir le Christ en nous mettant au service des autres (cf. Jn 13,15 1Jn 3,16).[75]

[73] Cf. Prop. n. 45 : DC 2434 (2009), p. 1051.
[74] Benoît XVI, Discours aux membres du Conseil spécial pour l’Afrique du Synode des Évêques, (Yaoundé, 19 mars 2009) : AAS 101 (2009), p. 313 ; DC 2422 (2009), pp. 385-388.
[75] Cf. Benoît XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum caritatis (22 février 2007), n. 51 :AAS 99 (2007), p. 144 ; DC 2377 (2007), p.324.


II. VIVRE ENSEMBLE


A. LA FAMILLE

42 La famille est le « sanctuaire de la vie » et une cellule vitale de la société et de l’Église. C’est en elle que « se modèle de manière primordiale le visage d’un peuple ; c’est là que ses membres reçoivent les acquis fondamentaux ; ils apprennent à aimer en étant aimés gratuitement ; ils apprennent le respect de toute autre personne en étant respectés ; ils apprennent à connaître le visage de Dieu en en recevant la première révélation d’un père et d’une mère pleins d’attentions. Chaque fois que ces expériences fondatrices font défaut, c’est l’ensemble de la société qui souffre violence et qui engendre à son tour de multiples violences ».[76]

[76] Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre aux Évêques de l’Église catholique sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et dans le monde (31 mai 2004), n. 13 :AAS 96 (2004), p. 682.

43 La famille est bien le lieu propice pour l’apprentissage et la pratique de la culture du pardon, de la paix et de la réconciliation. « Dans une saine vie familiale, on fait l’expérience de certaines composantes fondamentales de la paix : la justice et l’amour entre frères et soeurs, la fonction d’autorité manifestée par les parents, le service affectueux envers les membres les plus faibles parce que petits, malades ou âgés, l’aide mutuelle devant les nécessités de la vie, la disponibilité à accueillir l’autre et, si nécessaire, à lui pardonner. C’est pourquoi, la famille est la première et irremplaçable éducatrice à la paix ».[77] En raison de son importance capitale et des menaces qui pèsent sur cette institution – la distorsion de la notion de mariage et de famille elle-même, la dévaluation de la maternité et la banalisation de l’avortement, la facilitation du divorce et le relativisme d’une « nouvelle éthique » – la famille a besoin d’être protégée et défendue,[78] pour qu’elle rende à la société le service qu’elle attend d’elle, c’est-à-dire lui donner des hommes et des femmes capables d’édifier un tissu social de paix et d’harmonie.

[77] Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2008 : AAS 100 (2008), pp. 38-39 ; DC 2393 (2008), p. 3.
[78] Cf. Prop. n. 38 : DC 2434 (2009), pp. 1048-1049.

44 J’encourage donc vivement les familles à puiser inspiration et force dans le Sacrement de l’Eucharistie, afin de vivre la nouveauté radicale apportée par le Christ au coeur des conditions communes de l’existence, amenant chacun à être un témoin rayonnant dans son milieu de travail et dans la société tout entière. « L’amour entre l’homme et la femme, l’accueil de la vie, la tâche éducative, se révèlent être des lieux privilégiés où l’Eucharistie peut manifester sa capacité de transformer et de porter l’existence à sa plénitude de sens ».[79] Il apparaît clairement que participer à l’Eucharistie dominicale est requis par la conscience chrétienne et en même temps forme celle-ci.[80]

[79] Benoît XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum caritatis (22 février 2007), n. 79 :AAS 99 (2007), pp. 165-166 ; DC 2377 (2007), pp. 335-336.
[80] Cf. idem, n. 73.

45 Par ailleurs, donner en famille toute sa place à la prière, personnelle et communautaire, signifie respecter un principe essentiel de la vision chrétienne de la vie : le primat de la grâce. La prière nous rappelle constamment le primat du Christ, et, en lien avec lui, le primat de la vie intérieure et de la sainteté. Le dialogue avec Dieu ouvre le coeur au flot de la grâce et permet à la Parole du Christ de passer à travers nous avec toute sa force ! Pour cela, l’écoute assidue et la lecture attentive de l’Écriture Sainte au sein des familles sont nécessaires.[81]

[81] Cf. Jean-Paul II, Lett. apost. Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), nn.
NM 38-39 : AAS 93 (2001) pp. 293-294 ; DC 2240 (2001), pp. 81-82.

46 De plus « la mission éducative de la famille chrétienne [est] un vrai ministère, grâce auquel l’Évangile est transmis et diffusé, à tel point que la vie familiale dans son ensemble devient chemin de foi et en quelque sorte initiation chrétienne ou école de vie à la suite du Christ. Dans la famille, consciente d’un tel don, comme l’a écrit Paul VI, “tous les membres de la famille évangélisent et sont évangélisés”. En vertu de ce ministère d’éducation, les parents, à travers leur témoignage de vie, sont les premiers hérauts de l’Évangile auprès de leurs enfants. […]Ils deviennent pleinement parents en ce sens qu’ils engendrent non seulement à la vie selon la chair mais aussi à celle qui, à travers la renaissance dans l’Esprit, jaillit de la Croix et de la Résurrection du Christ ».[82]

[82] Jean-Paul II, Exhort. apost. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n.
FC 39 : AAS 74 (1982), pp. 130-131 ; DC 1821 (1982), pp. 15-16 ; Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. EN 71 : AAS 68 (1976), pp. 60-61 ; DC 73 (1976), p. 16.

B. LES PERSONNES ÂGÉES

47 En Afrique, les personnes âgées sont entourées d’une vénération particulière. Elles ne sont pas bannies des familles ou marginalisées comme dans d’autres cultures. Au contraire, elles sont estimées et parfaitement intégrées dans leur famille dont elles constituent le sommet. Cette belle réalité africaine devrait inspirer les sociétés occidentales afin qu’elles accueillent la vieillesse avec plus de dignité. La Sainte Écriture parle des personnes âgées avec fréquence. « La couronne des vieillards, c’est une riche expérience, leur fierté, c’est la crainte de Dieu » (Qo 25,6). La vieillesse, malgré la fragilité qui semble la caractériser, est un don qu’il convient de vivre quotidiennement dans la disponibilité sereine envers Dieu et le prochain. C’est aussi le temps de la sagesse, car le temps vécu a appris la grandeur et la précarité de la vie. Et, en homme de foi, le vieillard Siméon proclame avec enthousiasme et sagesse non pas un adieu angoissé à la vie, mais une action de grâce au Sauveur du monde (cf. Lc 2,25-32).

48 C’est à cause de cette sagesse, parfois chèrement acquise, que les personnes âgées peuvent agir sur la famille de diverses manières. Leur expérience les conduit naturellement non seulement à combler le fossé intergénérationnel, mais encore à affirmer la nécessité de l’interdépendance humaine.
Elles sont un trésor pour toutes les composantes de la famille, surtout pour les jeunes couples et les enfants qui trouvent chez elles compréhension et amour. N’ayant pas uniquement transmis la vie, elles contribuent par leur comportement à consolider leur famille (cf.
Tt 2,2-5) et, par leur prière et leur vie de foi, à enrichir spirituellement tous les membres de leur famille et la communauté.

49 Très souvent encore en Afrique, la stabilité et l’ordre social sont confiés à un conseil d’anciens ou à des Chefs traditionnels. Les personnes âgées peuvent contribuer par ce biais de manière efficace à l’édification d’une société plus juste qui va de l’avant, non pas grâce à des expériences, parfois hasardeuses, mais graduellement et avec un équilibre prudent. Les personnes âgées pourront ainsi participer à la réconciliation des personnes et des communautés par leur sagesse et leur expérience.

50 L’Église regarde les personnes âgées avec grande estime. Avec le bienheureux Jean-Paul II, je désire vous redire : « L’Église a besoin de vous, mais la société civile a besoin de vous, elle aussi ! […] Sachez employer généreusement le temps dont vous disposez et les talents que Dieu vous a accordés […] Contribuez à annoncer l’Évangile […] Consacrez du temps et de l’énergie à la prière […] ».[83]

[83] Jean-Paul II, Homélie lors du Jubilé du « Troisième âge » (17 septembre 2000), n. 5 : AAS 92 (2000), p. 876 ; DC 2234 (2000), p. 856 ; cf. également : Lettre aux personnes âgées (1er octobre 1999) : AAS 92 (2000), pp. 186-204 ; DC 2214 (1999), pp. 967-974.

C. LES HOMMES

51 Dans la famille, les hommes ont une mission particulière à remplir. De par leur rôle d’époux et de père, ils exercent la noble responsabilité de donner à la société les valeurs dont elle a besoin à travers la relation conjugale et l’éducation des enfants.

52 Avec les Pères du Synode, j’encourage les hommes catholiques à contribuer vraiment dans leur famille à l’éducation humaine et chrétienne des enfants, à l’accueil et à la protection de la vie dès le moment de sa conception.[84] Je les invite à instaurer un style chrétien de vie, enraciné et fondé dans l’amour (cf. Ep 3,17). Avec saint Paul, je leur redis : « Aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église ; il s’est livré pour elle […] ; les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Aimer sa femme, c’est s’aimer soi-même. Car nul n’a jamais haï sa propre chair […] on en prend soin. C’est justement ce que le Christ fait pour l’Église » (Ep 5,25-29). N’ayez pas peur de rendre visible et tangible qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime (cf. Jn 15,13), c’est-à-dire en premier lieu sa femme et ses enfants. Cultivez une joie sereine dans votre foyer ! Le mariage est un « don du Seigneur », disait saint Fulgence de Ruspe.[85] Votre témoignage rendu à la dignité inviolable de chaque personne humaine sera un antidote efficace pour lutter contre des pratiques traditionnelles qui sont contraires à l’Évangile et qui oppriment particulièrement les femmes.

[84] Cf. Deuxième Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l’Afrique, Message final (23 octobre 2009), n. 26 : ORF 3107 (2009), p. 25; DC 2434 (2009), p. 1031.
[85] Epistula 1, 11 : PL 65, 306C ; SC 487, p. 89.

53 En manifestant et en vivant sur terre la paternité même de Dieu (cf. Ep 3,15), vous êtes appelés à garantir le développement personnel de tous les membres de la famille, berceau et moyen le plus efficace pour humaniser la société, lieu de rencontre de plusieurs générations.[86]Par la dynamique créatrice de la Parole de Dieu même,[87] que grandisse votre sens des responsabilités, jusqu’à vous engager concrètement dans l’Église ! Celle-ci a besoin de témoins convaincus et efficaces de la foi qui promeuvent la réconciliation, la justice et la paix[88] et apportent leur contribution enthousiaste et courageuse à la transformation du milieu de vie et de la société dans son ensemble. Vous êtes ces témoins par votre travail qui permet d’assurer habituellement votre subsistance et celle de votre famille. Bien plus, par l’hommage de ce travail à Dieu, vous êtes associés à l’oeuvre rédemptrice de Jésus-Christ qui a donné au travail une dignité éminente en oeuvrant de ses propres mains à Nazareth.[89]

[86] Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. Familiaris consortio (22 novembre 1981), nn. 25.43 : AAS 74 (1982), pp. 110-111 et 134-135 ; DC 1821 (1982), pp. 9-10 et 17.
[87] Cf. Prop. n. 45: DC (2009), n. 2434, p. 1051.
[88] Cf. Deuxième Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l’Afrique, Message final (23 octobre 2009), n. 26 : ORF 3107 (2009), p. 25 ; DC (2009), n. 2434, p. 1031.
[89] Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n. GS 67.

54 La qualité et le rayonnement de votre vie chrétienne dépendent d’une vie de prière profonde, nourrie de la Parole de Dieu et des Sacrements. Soyez donc vigilants à maintenir vivante cette dimension essentielle de votre engagement chrétien ; votre témoignage de foi dans les tâches quotidiennes, votre participation aux mouvements ecclésiaux y trouvent la source de leur dynamisme ! Ce faisant, vous devenez aussi des modèles que les jeunes gens voudront imiter, et vous pouvez ainsi les aider à entrer dans une vie adulte responsable. N’ayez pas peur de leur parler de Dieu et de les introduire, par votre exemple, à la vie de foi et à l’engagement dans les activités sociales ou caritatives, les amenant à découvrir en vérité qu’ils sont créés à l’image et à la ressemblance de Dieu : « Les signes de cette image divine en l’homme peuvent être reconnus, non dans la forme du corps qui se corrompt, mais dans la prudence de l’intelligence, dans la justice, la modération, le courage, la sagesse, l’instruction ».[90]

[90] Origène, Traité des principes, IV, 4, 10 ; SC 268 (1980), p. 427.


Africae munus FR 26