Africae munus FR 84

D. LES MIGRANTS, DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉS

84 Des millions de migrants, déplacés ou réfugiés, cherchent une patrie et une terre de paix en Afrique ou sur d’autres continents. Les dimensions de cet exode, qui touche tous les pays, révèlent l’ampleur cachée des diverses pauvretés souvent engendrées par des défaillances dans la gestion publique. Des milliers de personnes ont essayé et essayent encore de traverser les déserts et les mers à la recherche d’oasis de paix et de prospérité, d’une meilleure formation et d’une plus grande liberté. Malheureusement, de nombreux réfugiés ou déplacés rencontrent toutes sortes de violence et d’exploitation, voire la prison ou trop souvent la mort. Certains États ont répondu à ce drame par une législation répressive.[137] La situation de précarité de ces pauvres devrait susciter la compassion et la solidarité généreuse de tous; au contraire, elle fait naître souvent la peur et l’anxiété. Car beaucoup considèrent les migrants comme un fardeau, les regardent avec suspicion ne voyant en eux que danger, insécurité et menace. Cette perception provoque des réactions d’intolérance, de xénophobie et de racisme. Tandis que ces migrants eux-mêmes sont contraints, à cause de la précarité de leur situation, à effectuer des travaux mal rémunérés souvent illégaux, humiliants ou dégradants. La conscience humaine ne peut que s’indigner de ces situations. La migration à l’intérieur et à l’extérieur du continent devient ainsi un drame multidimensionnel, qui affecte sérieusement le capital humain de l’Afrique, provoquant la déstabilisation ou la destruction des familles.

[137] Cf. Prop. n. 28 : DC 2434 (2009), pp. 1044-1045.

85 L’Église se souvient que l’Afrique fut une terre de refuge pour la Sainte Famille qui fuyait le pouvoir politique sanguinaire d’Hérode[138] en quête d’une terre qui leur promettait la sécurité et la paix. L’Église continuera de faire entendre sa voix et de s’investir pour défendre toutes les personnes.[139]

[138] Cf. Benoît XVI, Discours aux membres du Conseil spécial pour l’Afrique du Synode des Évêques (Yaoundé, 19 mars 2009) : AAS 101 (2009), p. 310 ; DC 2422 (2009), p. 386.
[139] Cf. Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. : AAS 101 (2009), pp. 696-697 ; DC 2429 (2009), p. 785.

E. LA MONDIALISATION ET L'AIDE INTERNATIONALE

86 Les Pères du Synode ont exprimé leur perplexité et leur préoccupation face à la mondialisation. J’ai déjà attiré l’attention sur cette réalité, comme un défi à relever. « La vérité de la mondialisation comme processus et sa nature éthique fondamentale dérivent de l’unité de la famille humaine et de son développement dans le bien. Il faut donc travailler sans cesse afin de favoriser une orientation culturelle personnaliste et communautaire, ouverte à la transcendance, du processus d’intégration planétaire ».[140] L’Église souhaite que la mondialisation de la solidarité aille jusqu’à inscrire « dans les relations marchandes le principe de gratuité et la logique du don, comme expression de la fraternité »,[141] évitant la tentation de la pensée unique sur la vie, la culture, la politique, l’économie, au profit du respect éthique et constant des diverses réalités humaines pour une solidarité effective.

[140] Ibidem, n. : AAS 101 (2009), p. 677 ; DC 2429 (2009), p. 774.
[141] Ibidem, n. : AAS 101 (2009), p. 672 ; DC 2429 (2009), p. 770.

87 Cette mondialisation de la solidarité se manifeste déjà dans une certaine mesure par l’aide internationale. Aujourd’hui la nouvelle d’une catastrophe fait rapidement le tour de la planète et elle suscite bien souvent un mouvement de compassion et des actes concrets de générosité. L’Église rend un service de grande charité en défendant les besoins réels du destinataire. Au nom du droit des nécessiteux et des sans-voix, et au nom du respect et de la solidarité qu’il faut leur apporter, elle demande que « les organismes internationaux et les Organisations non gouvernementales s’engagent à oeuvrer dans la pleine transparence ».[142]

[142] Ibidem, n. : AAS 101 (2009), p. 684; DC 2429 (2009), p. 777 ; cf. Prop. n. 31 : DC 2434(2009), p. 767.


IV. LE DIALOGUE ET LA COMMUNION ENTRE LES CROYANTS

88 Comme nous le révèlent de nombreux mouvements sociaux, les relations interreligieuses conditionnent la paix en Afrique comme ailleurs. Dès lors, il importe que l’Église promeuve le dialogue comme attitude spirituelle afin que les croyants apprennent à travailler ensemble, par exemple dans des associations orientées vers la paix et la justice, dans un esprit de confiance et d’entraide. Les familles doivent être éduquées à l’écoute, à la fraternité et au respect sans crainte de l’autre.[143] Une seule chose est nécessaire (cf. Lc 10,42) et capable d’assouvir la soif d’éternité de tout être humain et le désir d’unité de toute l’humanité : l’amour et la contemplation de Celui devant qui saint Augustin s’est écrié : « O éternelle vérité, vraie charité, chère éternité ! ».[144]

[143] Cf. Prop. nn. 10-13 : DC 2434 (2009), pp. 1038-1039.
[144] Confessions, VII, 10, 16 : PL32, 742.

A. LE DIALOGUE OECUMÉNIQUE ET LE DÉFI DES NOUVEAUX MOUVEMENTS RELIGIEUX

89 En invitant à participer à l’Assemblée synodale nos frères chrétiens orthodoxes, coptes orthodoxes, luthériens, anglicans et méthodistes – et en particulier Sa Sainteté Abuna Paulos, Patriarche de l’Église orthodoxe Tewahedo d’Éthiopie, une des plus anciennes communautés chrétiennes du continent africain – j’ai voulu signifier que le chemin vers la réconciliation passe d’abord par la communion des disciples du Christ. Un christianisme divisé demeure un scandale puisqu’il contredit de facto la volonté du Divin Maître (cf. Jn 17,21). Le dialogue oecuménique vise donc à orienter notre marche commune vers l’unité des chrétiens, en étant assidus à l’écoute de la Parole de Dieu, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières (cf. Ac 2,42). J’exhorte toute la famille ecclésiale – les Églises locales, les Instituts de vie consacrée et les associations et mouvements de laïcs – à poursuivre ce chemin de façon plus résolue, dans l’esprit et sur la base des indications du Directoire oecuménique, et à travers les diverses associations oecuméniques existantes. J’invite par ailleurs à en former de nouvelles là où cela peut représenter une aide pour la mission. Puissions-nous entreprendre ensemble des oeuvres de charité et protéger les patrimoines religieux grâce auxquels les disciples du Christ trouvent les forces spirituelles dont ils ont besoin pour l’édification de la famille humaine ![145]

[145] Cf. Prop. n. 10 : DC 2434 (2009), p. 1038.

90 Au long de ces dernières décennies, l’Église en Afrique s’est interrogée avec insistance sur la naissance et l’expansion de communautés non-catholiques appelées parfois aussi autochtones africaines (African Independent Churches). Souvent, elles dérivent d’Églises et de communautés ecclésiales chrétiennes traditionnelles et elles adoptent des aspects des cultures traditionnelles africaines. Ces groupes ont récemment fait leur apparition dans le panorama oecuménique. Les pasteurs de l’Église catholique devront tenir compte de cette nouvelle réalité pour la promotion de l’unité des chrétiens en Afrique et ils devront, par conséquent, trouver une réponse adaptée au contexte en vue d’une évangélisation plus profonde pour faire parvenir de manière efficace la Vérité du Christ aux Africains.

91 De nombreux mouvements syncrétistes et des sectes ont aussi vu le jour en Afrique au cours de ces dernières décennies. Il est parfois difficile de discerner s’ils sont d’inspiration authentiquement chrétienne ou s’ils sont simplement le fruit d’un engouement pour un leaderprétendant avoir des dons exceptionnels. Leur dénomination et leur vocabulaire prêtent facilement à confusion, ils peuvent égarer des fidèles de bonne foi. Profitant de structures étatiques en élaboration, de l’effritement des solidarités familiales traditionnelles et d’une catéchèse insuffisante, ces nombreuses sectes exploitent la crédulité et offrent une caution religieuse à des croyances multiformes et hétérodoxes non-chrétiennes. Elles détruisent la paix des couples et des familles à cause de fausses prophéties ou visions. Elles séduisent même des responsables politiques. La théologie et la pastorale de l’Église doivent déterminer les origines de ce phénomène non seulement pour endiguer « l’hémorragie » des fidèles des paroisses vers celles-ci, mais aussi pour constituer les bases d’une réponse pastorale appropriée face à l’attraction que ces mouvements et ces sectes exercent sur eux. Ce qui signifie encore une fois : évangéliser en profondeur l’âme africaine.


B. LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX

1. LES RELIGIONS TRADITIONNELLES AFRICAINES

92L’Église vit chaque jour avec les adeptes des religions traditionnelles africaines. Ces religions qui se réfèrent aux ancêtres et à une forme de médiation entre l’homme et l’Immanence, sont le terreau culturel et spirituel d’où viennent la plupart des chrétiens convertis, et avec lequel ils gardent un contact quotidien. Parmi les convertis, il convient de discerner des personnes biens informées pour qu’elles deviennent pour l’Église des guides dans la connaissance toujours plus profonde et précise des traditions, de la culture et des religions traditionnelles. Le repérage des véritables points de rupture en deviendra plus aisé. On parviendra aussi à la distinction nécessaire entre le culturel et le cultuel et l’on écartera les éléments magiques, causes d’éclatement et de ruine pour les familles et les sociétés. Le Concile Vatican II a précisé, dans ce sens, que l’Église « exhorte ses fils, pour qu’à travers le dialogue et la collaboration avec les adeptes des autres religions, menés avec prudence et amour et, en témoins de la foi et de la vie chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et promeuvent les choses bonnes, spirituelles et morales, ainsi que les valeurs socioculturelles découvertes chez ces personnes ».[146] Afin que les trésors de la vie sacramentelle et de la spiritualité de l’Église puissent être découverts dans toute leur profondeur et mieux transmis dans la catéchèse, l’Église pourrait examiner, dans une étude théologique, certains éléments des cultures traditionnelles africaines qui sont conformes à l’enseignement du Christ.

[146] Conc. oecum. Vat. II, Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes Nostra Aetate, n.
NAE 2 ; cf. Prop. n. 13 : DC 2434 (2009), p. 1039.

93 S’appuyant sur les religions traditionnelles, la sorcellerie connaît actuellement une certaine recrudescence. Des peurs renaissent et créent des liens de sujétion paralysants. Les préoccupations concernant la santé, le bien-être, les enfants, le climat, la protection contre les esprits mauvais, conduisent de temps à autre à recourir à des pratiques des religions traditionnelles africaines qui sont en désaccord avec l’enseignement chrétien. Le problème de la « double appartenance », au christianisme et aux religions traditionnelles africaines demeure un défi. Pour l’Église qui est en Afrique, il est nécessaire, à travers une catéchèse et une inculturation profonde, de guider les personnes vers la découverte de la plénitude des valeurs de l’Évangile. Il convient de déterminer la signification profonde de ces pratiques de sorcellerie en identifiant les enjeux théologiques, sociaux et pastoraux qui sont véhiculés par ce fléau.

2. L’ISLAM

94 Les Pères du Synode ont mis en évidence la complexité de la réalité musulmane sur le continent africain. Dans certains pays, une bonne entente règne entre chrétiens et musulmans ; en d’autres, les chrétiens locaux n’ont qu’une citoyenneté de second rang et des catholiques étrangers, religieux ou laïcs, ont du mal à obtenir visas et permis de séjour ; en d’autres, les éléments religieux et politiques ne sont pas suffisamment distingués, en d’autres enfin l’agressivité existe. J’exhorte l’Église, dans toute situation, à persévérer dans l’estime des « musulmans, qui adorent le Dieu Un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes ».[147] Si nous tous, croyants en Dieu, désirons servir la réconciliation, la justice et la paix, nous devons oeuvrer ensemble pour bannir toutes les formes de discrimination, d’intolérance et de fondamentalisme confessionnel. Dans son oeuvre sociale, l’Église ne fait pas de distinction religieuse. Elle aide qui est dans le besoin, qu’il soit chrétien, musulman ou animiste. Elle témoigne ainsi de l’amour de Dieu, créateur de tous et encourage les adeptes d’autres religions à une attitude respectueuse et à une réciprocité dans l’estime. J’invite toute l’Église à chercher, par un patient dialogue avec les musulmans, la reconnaissance juridique et pratique de la liberté religieuse, de telle sorte qu’en Afrique chaque citoyen jouisse, non seulement du droit au choix libre de sa religion[148] et à l’exercice du culte, mais aussi du droit à la liberté de conscience.[149] La liberté religieuse est la voie de la paix.[150]

[147] Conc. oecum. Vat. II, Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes Nostra Aetate, n.
NAE 3.
[148] Cf. Deuxième Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l’Afrique, Message final (23 octobre 2009), n. 41 : ORF 3107 (2009), p. 26 ; DC 2434 (2009), pp. 1033-1034.
[149] Cf. Prop. n. 12 : DC 2434 (2009), pp. 1038-1039.
[150] Cf. Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale pour la paix 2011 : AAS 103 (2011), pp. 46-58 ; DC 2459 (2011), pp. 2-9.

C. DEVENIR « SEL DE LA TERRE » ET « LUMIÈRE DU MONDE »

95 La mission d’évangélisation de l’Église en Afrique puise à plusieurs sources : les Saintes Écritures, la Tradition et la vie sacramentelle. Comme un grand nombre de Pères synodaux l’ont fait remarquer, le ministère de l’Église s’appuie efficacement sur le Catéchisme de l’Église catholique. Par ailleurs, le Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, est un guide pour la mission de l’Église comme « Mère et Éducatrice » dans le monde et la société, et par là-même un outil pastoral de premier ordre.[151] Un chrétien qui s’alimente à la source authentique, le Christ, est transformé par Lui en « lumière du monde » (Mt 5,14), et il transmet Celui qui est « la lumière du monde » (Jn 8,12). Sa connaissance doit être animée par la charité. En effet, le savoir, « s’il veut être une sagesse capable de guider l’homme à la lumière des principes premiers et de ses fins dernières, doit être “relevé” avec le ‘sel’ de la charité ».[152]

[151] Cf. Prop. n. 18 : DC 2434 (2009), p. 1041.
[152] Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. : AAS 101 (2009), p. 665 ; DC2439 (2009), p. 766.

96 Pour réaliser la tâche que nous sommes appelés à accomplir, faisons nôtre l’exhortation même de saint Paul : « Tenez-vous donc debout, avec la vérité pour ceinture, la justice pour cuirasse, et pour chaussures le zèle à propager l’évangile de la paix ; ayez toujours en main le bouclier de la foi, grâce auquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Mauvais ; enfin recevez le casque du Salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu. Vivez dans la prière et les supplications ; priez en tout temps, dans l’Esprit » (Ep 6,14-18).


DEUXIÈME PARTIE


« À CHACUN LA MANIFESTATION DE L'ESPRIT EST DONNÉE EN VUE DU BIEN COMMUN »

(1Co 12,7)
97 Les orientations de la mission que je viens d’indiquer ne deviendront réalité que si l’Église agit, d’une part, sous la conduite de l’Esprit Saint, et, d’autre part, comme un seul corps, pour reprendre l’image de saint Paul qui présente ces deux conditions de manière articulée. En effet, dans une Afrique marquée par des contrastes, l’Église doit indiquer clairement le chemin vers le Christ. Elle doit montrer comment se vit, dans la fidélité au Christ Jésus, l’unité dans la diversité enseignée par l’Apôtre : « Il y a, certes, diversité de dons spirituels, mais c’est le même Esprit ; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. À chacun la manifestation de l’Esprit est donnée en vue du bien commun » (1Co 12,4-7). En exhortant chaque membre de la famille ecclésiale à être « le sel de la terre » et « la lumière du monde » (Mt 5,13 Mt 5,14), j’entends insister sur cet “être” qui, par l’Esprit, devrait agir en vue du bien commun. On n’est jamais chrétien tout seul. Les dons faits par le Seigneur à chacun– évêques, prêtres, diacres, religieux et religieuses, catéchistes, laïcs – doivent contribuer à l’harmonie, à la communion et à la paix dans l’Église elle-même et dans la société.

98 Nous connaissons bien l’épisode de l’homme paralysé que l’on porte à Jésus pour qu’il le guérisse (cf. Mc 2,1-12). Pour nous aujourd’hui, cet homme symbolise tous nos frères et soeurs d’Afrique et d’ailleurs, paralysés de diverses manières, et hélas, souvent dans une profonde détresse. Face aux défis que j’ai esquissés fort brièvement à la suite des communications des Pères synodaux, méditons sur l’attitude des porteurs du paralysé. Ce dernier n’a pu accéder à Jésus qu’avec l’aide de ces quatre personnes de foi, qui ont bravé l’obstacle physique de la foule en faisant preuve de solidarité et de confiance absolue en Jésus. Le Christ « voit leur foi ». Il ôte alors l’obstacle spirituel en disant au paralysé : « Tes péchés te sont pardonnés ». Il ôte ce qui empêche l’homme de se relever. Cet exemple nous enjoint de grandir dans la foi et de faire preuve, nous aussi, de solidarité et de créativité pour soulager ceux qui portent de lourds fardeaux, en les ouvrant ainsi à la plénitude de la vie dans le Christ (cf. Mt 11,28). Face aux obstacles tant physiques que spirituels qui se dressent devant nous, mobilisons les énergies spirituelles et les ressources matérielles du corps entier qui est l’Église, sûrs que le Christ agira par l’Esprit Saint en chacun de ses membres.


CHAPITRE I

LES MEMBRES DE L'ÉGLISE

99 Chers fils et filles de l’Église, et vous en particulier chers fidèles d’Afrique, l’amour de Dieu vous a comblés de toutes sortes de bénédictions et il vous a rendus capables d’agir comme le sel de la terre. Vous tous, comme membres de l’Église, vous devez être conscients que la paix et la justice naissent d’abord de la réconciliation de l’être humain avec lui-même et avec Dieu. C’est le Christ seul qui est le vrai et l’unique « Prince de la paix ». Sa naissance est le gage de la paix messianique telle qu’elle a été annoncée par les prophètes (cf. Is 9,5-6 Is 57,19 Mi 5,4 Ep 2,14-17). Cette paix ne vient pas des hommes, mais de Dieu. Elle est le don messianique par excellence. Cette paix conduit à la justice du Royaume qu’il convient de chercher à temps et à contretemps dans tout ce qui se fait (cf. Mt 6,33), afin qu’en toute circonstance la gloire soit rendue à Dieu (cf. Mt 5,16). Or nous savons que le juste est fidèle à la loi de Dieu car il s’est converti (cf. Lc 15,7 Lc 18,14). Cette fidélité nouvelle est apportée par le Christ pour nous rendre « irréprochables et purs » (cf. Ph 2,15).



I. LES ÉVÊQUES

100 Chers frères dans l’épiscopat, la sainteté à laquelle l’Évêque est appelé exige l’exercice des vertus – en premier lieu des vertus théologales – et celui des conseils évangéliques.[153] Votre sainteté personnelle doit rejaillir au bénéfice de ceux qui ont été confiés à votre sollicitude pastorale, et que vous devez servir. Votre vie de prière irriguera de l’intérieur votre apostolat. Un Évêque doit être un amoureux du Christ. Votre autorité morale et votre prestance qui soutiennent l’exercice de votre pouvoir juridique, ne proviendront que de la sainteté de votre vie.

[153] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le Ministère pastoral des Évêques, Apostolorum successores (22 février 2004), nn. .

101 Comme le disait saint Cyprien au milieu du IIIe siècle à Carthage : « L’Église repose sur les Évêques, et toute sa conduite obéit à la direction de ces mêmes chefs ».[154] C’est la communion, l’unité et la collaboration avec le presbyterium, qui serviront d’antidote aux germes de divisions et qui vous aideront à vous mettre tous ensemble à l’écoute de l’Esprit Saint. Il vous conduira par le juste chemin (cf. Ps 23,3). Aimez et respectez vos prêtres ! Ils sont les précieux collaborateurs de votre ministère épiscopal. Imitez le Christ ! Il a créé autour de lui un climat d’amitié, d’affection fraternelle et de communion qu’il a puisé dans les profondeurs du mystère trinitaire. « Je vous invite à rester soucieux d’aider vos prêtres à vivre dans une union intime avec le Christ. Leur vie spirituelle est le fondement de leur vie apostolique. Vous les exhorterez avec douceur à la prière quotidienne et à la célébration digne des Sacrements, surtout de l’Eucharistie et de la Réconciliation, comme le faisait saint François de Sales pour ses prêtres. […]Les prêtres ont besoin de votre affection, de votre encouragement et de votre sollicitude ».[155]

[154] Epistula, 33, 1 : PL 4, 297 ; L. Bayard éd.; Les Belles Lettres, Paris (1962²), p. 84.
[155] Benoît XVI, Discours aux Évêques de France (Lourdes, 14 septembre 2008) : Insegnamenti, IV/ 2, 2008, p. 321 ; DC 2409 (2008), p. 859.

102 Soyez unis au Successeur de Pierre avec vos prêtres et l’ensemble de vos fidèles. Ne gaspillez pas vos énergies humaines et pastorales dans la recherche vaine de réponses à des questions qui ne sont pas de votre compétence directe, ou dans les méandres d’un nationalisme qui peut aveugler. Suivre cette idole, tout comme celle de l’absolutisation de la culture africaine, est plus facile que de suivre les exigences du Christ. Ces idoles sont des leurres. Bien plus elles sont une tentation, celle de croire que, par les seules forces humaines, on peut faire advenir le Royaume du bonheur éternel sur la terre !

103 Votre premier devoir est de porter à tous la Bonne Nouvelle du Salut, et de donner aux fidèles une catéchèse qui contribue à une connaissance plus approfondie de Jésus-Christ. Veillez à donner aux laïcs une vraie conscience de leur mission ecclésiale, et incitez-les à la réaliser avec le sens des responsabilités, envisageant toujours le bien commun. Les programmes de formation permanente des laïcs, en particulier pour les leaders politiques et économiques, devront insister sur la conversion comme condition nécessaire pour transformer le monde. Il est bon de toujours commencer par la prière, puis de poursuivre par la catéchèse qui conduira à agir concrètement. La création de structures viendra après si c’est vraiment nécessaire, car elles ne remplaceront jamais la puissance de la prière.

104 Chers frères dans l’Épiscopat, soyez, à la suite du Christ-bon Pasteur, de bons bergers et des serviteurs du troupeau qui vous est confié, exemplaires par votre vie et votre comportement. La bonne administration de vos diocèses requiert votre présence. Pour que votre message soit crédible, faites que vos diocèses deviennent des modèles quant au comportement des personnes, à la transparence et la bonne gestion financière. Ne craignez pas d’avoir recours à l’expertise des audits comptables pour donner l’exemple aussi bien aux fidèles qu’à la société tout entière. Favorisez le bon fonctionnement des organismes ecclésiaux diocésains et paroissiaux tels qu’ils sont prévus par le droit de l’Église. La recherche de l’unité, de la justice et de la paix vous incombe en tout premier lieu, parce que vous avez la responsabilité des Églises locales.

105 Le Synode a rappelé que « l’Église est une communion qui engendre une solidarité pastorale organique. Les Évêques, en communion avec l’Évêque de Rome, sont les premiers promoteurs de la communion et de la collaboration dans l’apostolat de l’Église ».[156] Les Conférences épiscopales nationales et régionales ont la mission de consolider cette communion ecclésiale et de promouvoir cette solidarité pastorale.

[156] Prop. n. 3 : DC 2434 (2009), p. 1035.

106 Pour une plus grande visibilité, cohérence et efficacité dans la pastorale sociale de l’Église, le Synode a ressenti le besoin d’une action plus solidaire à tous les niveaux. Il serait bon que les Conférences épiscopales régionales et nationales ainsi que l’Assemblée de la Hiérarchie Catholique d’Égypte (A.H.C.E.) renouvellent leur engagement de solidarité collégiale.[157] Cela implique concrètement une participation tangible aux activités de ces structures, aussi bien en ce qui concerne le personnel que les moyens financiers. L’Église témoignera ainsi de l’unité pour laquelle le Christ a prié (cf. Jn 17,20-21).

[157] Cf. Prop. n. 4 : DC 2434 (2009), p. 1036.

107 Il m’apparaît également souhaitable que les Évêques s’engagent davantage à promouvoir à soutenir effectivement et affectivement le Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et de Madagascar (S.C.E.A.M.) comme structure continentale de solidarité et de communion ecclésiale.[158] Il est bon aussi de cultiver de bonnes relations avec la Confédération des Conférences des Supérieurs Majeurs d’Afrique et de Madagascar (CO.S.M.A.M.), les Associations des Universités catholiques et d’autres structures ecclésiales continentales.

[158] Cf. Idem.


II. LES PRÊTRES

108 Collaborateurs proches et indispensables de l’Évêque, les prêtres[159] ont la charge de poursuivre l’oeuvre d’évangélisation. La deuxième Assemblée du Synode pour l’Afrique a été célébrée au cours de l’année que j’avais consacrée au sacerdoce, lançant un appel particulier à la sainteté. Chers prêtres, souvenez-vous que votre témoignage de vie pacifique, par-delà les frontières tribales et raciales, peut toucher les coeurs.[160]L’appel à la sainteté nous invite à devenir des pasteurs selon le coeur de Dieu,[161] qui font paître le troupeau avec justice (cf. Ez Ez 34,16). Céder à la tentation de vous transformer en guides politiques[162] ou en agents sociaux, serait trahir votre mission sacerdotale et desservir la société qui attend de vous des paroles et des gestes prophétiques. Saint Cyprien le disait déjà : « Ceux qui ont l’honneur du divin sacerdoce […] ne doivent prêter leur ministère qu’au sacrifice et à l’autel, et ne vaquer qu’à la prière ».[163]

[159] Cf. Prop. n. 39: DC 2434 (2009), p. 1049.
[160] Cf. Deuxième Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l’Afrique, Message final (23 octobre 2009), n. 20 : ORF 3107 (2009), p. 25 ; DC 2434 (2009), p. 1029.
[161] Cf. Prop. n. 39 : DC 2434 (2009), p. 1049.
[162] Cf. Benoît XVI, Discours à la Curie romaine à l’occasion de l’échange des voeux (21 décembre 2009) : AAS 102 (2010), p. 35 ; DC 2439 (2010), p. 109.
[163] Epistula, 66, 1 : PL 4, 398 ; L. Bayard éd.; Les Belles Lettres, Paris (1962²), p. 2.

109 En vous consacrant surtout à ceux que le Seigneur vous confie pour les former aux vertus chrétiennes, et les conduire à la sainteté, non seulement vous les gagnerez à la cause du Christ, mais vous en ferez aussi les protagonistes d’une société africaine renouvelée. Face à la complexité des situations auxquelles vous êtes confrontés, je vous invite à approfondir votre vie de prière et votre formation continue ; que celle-ci soit à la fois spirituelle et intellectuelle. Devenez des familiers des Saintes Écritures, de la Parole de Dieu que vous méditez chaque jour et que vous expliquez aux fidèles. Développez aussi votre connaissance du Catéchisme, des documents du Magistère ainsi que de la Doctrine sociale de l’Église. Vous serez ainsi capables, à votre tour, de former les membres de la communauté chrétienne dont vous êtes les responsables immédiats pour qu’ils deviennent d’authentiques disciples et témoins du Christ.

110 Vivez avec simplicité, humilité et amour filial, votre obéissance à l’Évêque de votre diocèse. « Par respect pour celui qui nous a aimés, il convient d’obéir sans aucune hypocrisie ; car ce n’est pas cet Évêque visible que l’on abuse, mais c’est l’Évêque invisible que l’on cherche à tromper. Car, dans ce cas, ce n’est pas de chair dont il s’agit, mais de Dieu qui connaît les choses cachées ».[164] Dans le cadre de la formation permanente des prêtres, il me semble opportun que soient relus et médités certains documents, comme le Décret conciliaire sur le ministère et la vie des prêtres : Presbyterorum ordinis, ou l’Exhortation apostolique post-synodalePastores dabo vobis de 1992, ou le Directoire pour le Ministère et la Vie des prêtres de 1994, ou encore l’Instruction Le prêtre, pasteur et guide de la Communauté paroissiale, de 2002.

[164] S. Ignace d’Antioche, Ad Magnesios, III, 2 : éd. F. X. Funk, 233 ; SC 10bis, p. 83.

111 Édifiez vos communautés chrétiennes par votre exemple en vivant dans la vérité et la joie vos engagements sacerdotaux : le célibat dans la chasteté et le détachement des biens matériels. Vécus avec maturité et sérénité, ces signes qui sont particulièrement conformes au style de vie de Jésus, expriment « le don total et exclusif au Christ, à l’Église et au Règne de Dieu ».[165] Investissez-vous intensément dans la mise en oeuvre de la pastorale diocésaine pour la réconciliation, la justice et la paix, notamment par la célébration des sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie, la catéchèse, la formation des laïcs et l’accompagnement des responsables de la société. Tout prêtre doit pouvoir se sentir heureux de servir l’Église.

[165] Benoît XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum caritatis (22 février 2007), n. 24 :AAS 99 (2007), p. 125 ; DC 2377 (2007), p. 313.

112 Suivre le Christ sur le chemin du sacerdoce demande à faire des choix. Ils ne sont pas toujours faciles à vivre. Les exigences évangéliques, codifiées au cours des siècles par l’enseignement du Magistère, paraissent radicales aux yeux du monde. Il est difficile parfois de les suivre, mais cela n’est pas impossible. Le Christ nous apprend qu’il n’est pas possible de servir à la fois deux maîtres (cf. Mt 6,24). Il fait certes référence à l’argent, ce trésor temporel qui peut occuper notre coeur (cf. Lc Lc 12,34), mais il fait également référence aux innombrables autres biens que nous possédons : notre vie, notre famille, notre éducation, nos relations personnelles par exemple. Il s’agit là de biens précieux et admirables qui sont constitutifs de nos personnes. Mais, le Christ demande à celui qu’il appelle, de s’abandonner totalement à la Providence. Il demande un choix absolu(cf. Mt 7,13-14) qu’il nous est parfois difficile de comprendre et vivre. Mais, si Dieu est notre trésor véritable – cette perle rare qu’il faut acquérir à tout prix même en effectuant de grands sacrifices (cf. Mt 13,45-46) – alors nous désirerons que notre coeur et notre corps, que notre esprit et notre intelligence soient pour lui seul. Cet acte de foi nous permettra de voir ce qui nous semble important sous un autre regard, et de vivre notre relation à notre corps et nos relations humaines familiales ou amicales, à la lumière de l’appel de Dieu et de son exigence au service de l’Église. Il convient de réfléchir à cela profondément. Cette réflexion commencera dès le séminaire pour être continuée durant toute la vie sacerdotale. Le Christ, connaissant les forces et les faiblesses de notre coeur, comme pour nous encourager, nous dit : « Cherchez d’abord le Royaume et sa justice, et tout vous sera donné par surcroît » (Mt 6,33).


Africae munus FR 84