Catéchèses Paul VI 15470

15 avril LE MAGISTERE HIERARCHIQUE GARANT DE LA FOI

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Chers fils et filles,

Dans la dernière audience générale, nous avons repris notre discours sur l'Eglise, discours actuel, spirituel, à cette époque et en cette basilique, discours qui vient du coeur et se révèle nécessaire. Nous nous sommes demandé comment naissait l'Eglise. Nous avons répondu : de la foi, premier principe intérieur, première condition subjective, sans laquelle le baptême, qui est la vraie naissance sacramentelle individuelle et ecclésiale, dans l'Esprit Saint, ne peut produire son effet régénérateur, qui fait ensuite, de la foi elle-même une vertu surnaturelle du chrétien.



L'Apôtre transmet la Foi


Mais maintenant nous nous demandons : Comment arrive-t-on à la foi ? Non uniquement à un sentiment religieux, à une vague connaissance de Dieu et de l'Evangile, mais à un consentement de l'esprit et du coeur à la Parole de Dieu, à la vérité révélée par le Christ et enseignée par le Christ. La question est aussi facile qu'importante ; le premier à se la poser est saint Paul, qui en donne immédiatement la réponse. Dans la lettre qu'il écrit aux Romains, il se demande : « Comment croire sans d'abord entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ? Et comment prêcher sans être d'abord envoyé?» (
Rm 10,14-15). Et il ajoute : « Fides ex auditu ». La foi naît de la prédication, et la prédication de la parole du Christ (ib. Rm 10,17). A son tour, la prédication exige un mandat, une investiture, une mission (cf. cornely, lagrange, h. l.). On comprend le concept et l'importance de l'évangélisation, de l'activité pastorale, de l'activité missionnaire ; ce sont des mots familiers même à notre époque, et qui par rapport à la naissance continue des membres de l'Eglise acquièrent leur grandeur et leur caractère fonctionnel, spécifique. L'Eglise naît de l'Eglise enseignante, non pas d'elle-même en tant que telle ; ou mieux, elle naît du Christ, qui dans le but de sauver les hommes, à travers sa parole et sa grâce, envoie ses apôtres qui sont les témoins oculaires, premiers et directs : « vidimus et testamur » (1Jn 1,2) : nous avons vu, disent les Apôtres, et nous en donnons témoignage. Il faut donc noter que le canal des vérités de la foi est l'Apôtre, accrédité par son expérience personnelle et autorisé par son investiture missionnaire. Après lui suivra, en chaîne, celui qui répand sur la terre et transmet dans l'histoire le même témoignage, non plus immédiat mais médiat (cf. S. Augustin, In Ep. Ioannis ad Parthos, 1, 2, 3 : PL 35, 1979-1980). D'où deux caractères essentiels de ce dessein, dérivant du Christ, en ce qui concerne l'annonce de son Evangile de salut : la fidélité jalouse et textuelle au message, et la charge spécifique, caractéristique, conférée à la succession apostolique de le conserver, de le défendre, de l'expliquer, en un mot : de l'enseigner.



Réalité, authenticité et rôle du Magistère


Ceci montre que l'Eglise possède en elle-même un organe qui l'instruit, qui lui garantit l'expression authentique de la Parole de Dieu, un magistère hiérarchique, qui engendre le Peuple chrétien (dont il fait lui aussi partie, mais avec une fonction d'autorité, providentielle, comme l'oeil pour le corps). Saint Paul disait, en comparant et, en superposant la fonction génératrice et vivifiante de maître à celle de toutes les autres voix de la culture chrétienne ou profane : « Auriez-vous en effet des milliers de pédagogues dans le Christ, vous n'avez pas plusieurs pères ; car c'est moi qui par l'Evangile vous ai engendrés dans le Christ Jésus» (1Co 4,15) ; ainsi parlait-il aux Corinthiens. Quant aux Galates, il leur disait : « Vous que j'enfante à nouveau dans la douleur, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous » (Ga 4,19). Et, comme pour accentuer la causalité efficiente, ou même ministérielle, de son rôle de maître, il n'appelle pas ses interlocuteurs « frères » comme d'habitude, mais « fils bien-aimés », « mes petits enfants » (ib. Ga 4,19). Entre le Christ et les chrétiens s'insère une autorité enseignante ; c'est le magistère hiérarchique.

Or cette insertion, cette autorité, a été et est encore objet dans l'Eglise de graves contestations révolutionnaires. A première vue, on les croirait légitimes. « Dans le domaine de la religion, la notion même de pouvoir semble exclue, parce que la religion est le lien de la conscience à sa source et à sa fin... A fortiori s'il s'agit de la religion de Jésus, qui a réformé la Loi et ses observances et qui appelle toute personne, même la Samaritaine, au culte — en Esprit et en Vérité —, qui est la vraie adoration » (GUITTON).

C'est ce qu'a fait la réforme protestante, en excluant le magistère de l'Eglise, et en mettant tout disciple du Christ en contact direct avec la « seule Ecriture » et laissant à chacun le « libre examen » de celle-ci. Mais est-ce ainsi que le Christ a voulu que sa révélation fût communiquée aux croyants ? N'y avait-il pas le danger que la vérité de la Sainte Ecriture perde sa signification univoque, et se brise en mille interprétations différentes et contrastantes ? Qu'est-il arrivé à l'unité de la foi, qui devait justement rendre frères les chrétiens dans cette synthèse : « Un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême ? » (Ep 4,5). L'histoire douloureuse de la division des chrétiens en tant de groupes, encore séparés, le démontre ; comment le généreux effort oecuménique contemporain pourra-t-il recomposer tous les chrétiens dans l'unique corps mystique du Christ «jusqu'à ce que nous convergions tous dans l'unité de la foi » (Ep 4,13), comme nous le rappelle l'Apôtre ? Et nous pourrions encore rappeler ceci : si la Sainte Ecriture suffit pour engendrer le Christianisme, d'où vient la Sainte Ecriture, sinon d'un magistère apostolique oral, qui la précéda, la produisit, la reconnut et la conserva ?

Il faudra en outre observer que le Christ n'a pas fondé une religion abstraite, une pure école de pensée religieuse ; il a fondé une communauté d'apôtres, de maîtres, chargés de diffuser son message et de donner naissance à une société de croyants, à son Eglise, à laquelle il a promis et ensuite envoyé l'Esprit de Vérité (cf. Jn 16,13), et a assuré qu'aucune puissance adverse ne pourrait prévaloir contre elle (cf. Mt 16,18 Siri, La Chiesa, Ed. Studium, p. 54 ss.).



L'enseignement du Concile


Le Concile a laissé une doctrine claire et organique sur ces questions de base ; et nous ferions bien de l'étudier pour réordonner nos pensées à ce propos, spécialement pour ce qui est du point le plus contesté, le magistère ecclésiastique (cf. Dei Verbum, DV 5-10 Betti, Il magistero del Romano Pontefice, en L'Oss. Rom. du 4-IV-1970). Une grande tentation de la culture religieuse, même catholique, est, aujourd'hui, celle de secouer le respect dû au magistère de l'Eglise et l'engagement dogmatique à la doctrine théologique qu'il comporte. On cherche à en changer l'expression textuelle et ensuite à en altérer la valeur des termes, de manière à atténuer et parfois même à annuler la signification objective de la doctrine, pour lui substituer des interprétations, peut-être savantes, mais arbitraires et capables de s'insérer dans les courants de la culture moderne, sans toujours garder le sens univoque et authentique de la révélation, interprétée par l'Eglise et enseignée par elle avec autorité.

Un grand argument pour cet affranchissement du magistère ecclésiastique est celui de la liberté de la science (liberté que l'Eglise reconnaît, dans la mesure où elle est vraiment dans le domaine de la science, c'est-à-dire de la vérité), et de la liberté de conscience, à laquelle également l'Eglise reconnaît ses droits et sa priorité, quand elle s'exerce en prononçant le jugement moral de la conscience sur un acte unique et immédiat à accomplir. Alors la conscience est appelée règle prochaine de l'agir, qui ne peut, qui ne doit pas faire abstraction d'une règle plus haute et générale, qu'on appelle la loi. Ainsi l'oeil ne peut faire abstraction de la lumière qui éclaire son chemin (cf. S. alphonse, Theol. moralis, I p. 3). La conscience, par elle-même, ne suffit pas à donner la connaissance, ni de la réalité des choses, ni de la moralité des actions. Et dans le domaine de la foi, c'est-à-dire des vérités révélées, la conscience (sauf dans le cas de charismes mystiques très spéciaux) ne peut orienter d'elle-même l'esprit du croyant : la foi objective n'est pas une opinion personnelle, mais une doctrine stable et délicate, fondée, comme on l'a dit, sur le témoignage rigoureux d'un organe qualifié, le magistère ecclésiastique, certainement pas arbitraire, mais interprète scrupuleux et qui transmet la foi, au point que saint Augustin (pour le citer encore une fois) disait : « Je ne croirais pas l'Evangile si je n'y étais pas mû par l'autorité de l'Eglise » (Contra Man. V ; PL 42, 176 ; cf. Lumen Gentium, LG 25). Un théologien contemporain lui fait écho : « La conscience du croyant reçoit de l'autorité du magistère ecclésiastique, comme don le plus précieux, une infaillible sécurité dans les vérités morales fondamentales ».

Dieu veuille que l'impression salutaire de cette sécurité soit accordée à cette visite que vous faites à la tombe de l'Apôtre Simon, devenu Pierre par l'appel du Christ, au nom duquel nous vous donnons à tous notre Bénédiction Apostolique.

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Il nous est bien agréable de saluer la présence aujourd’hui, en cette Basilique du Prince des Apôtres, d’une quarantaine de Missionnaires Oblats de Marie Immaculée, assemblée en ce moment à Rome pour la première «Réunion des Conférences générales oblates de la Pastorale et des Missions».

Vous êtes, chers Missionnaires, les témoins parmi nous de l’effort que 1’Eglise ne cesse de poursuivre pour porter la Bonne Nouvelle du salut à tous les peuples, auprès comme au loin. Votre présente réunion ici, au coeur de la chrétienté, pour approfondir les exigences actuelles de l’évangélisation, et coordonner les adaptations qu’elle requiert, est bien le signe - Il Nous plait de le souligner - que le même esprit apostolique qui fut à l’origine de votre Institut anime encore aujourd’hui ses membres. Nous souhaitons à vos travaux de fructueux résultats pour le bénéfice de tous vos confrères répandus dans le monde, et de grand coeur Nous bénissons l’apostolat missionnaire des généreux fils du Père de Mazenod.

Our greeting and our Apostolic Blessing, meant for you today dear Sons, Missionary Oblates of Mary Immaculate, we extend to all your brothers throughout the world. We pray that the Lord may further your work and give you great joy in his service.


22 avril 1970 L'EGLISE COMMUNAUTE DE PRIERE

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Chers fils et filles,


Qui entre dans cette Basilique, et spécialement si c'est la première fois, subit l'attrait de cette construction : sa grandeur, sa surface par rapport aux plus grandes églises du monde, son caractère monumental ; la somptuosité de toutes ses parties, partout un effort de grandeur et d'art, l'étendue de ses espaces, le triomphe en hauteur et en beauté de sa coupole, tout attire le regard, tout attire l'esprit. L'âme se remplit de sentiments. Toute sorte d'impressions enchantent ce lieu : souvenirs historiques, sentiments d'esthétique, comparaisons architectoniques, étranges merveilles, sens de la construction parfaite et géante... L'esprit semble se perdre : sommes-nous dans un musée à admirer et non à habiter ? Dans un temple incompréhensible ? Dans un monde de rêve, d'autant plus éthéré qu'il s'exprime solidement ? Voilà la première impression que l'on a. Puis l'âme se cherche elle-même : je suis ici pour prier; mais où ? Mais comment, dans cet espace splendide qui semble n'offrir aucun recueillement, repos ou silence à l'esprit ? Où est son mystère ? Comment établir une harmonie entre les notes de ce poème triomphant et la voix timide de mon coeur ? Comment exprimer ici mes humbles désirs, mes douleurs, mes doutes, mes plaintes, mes gémissements ingénus ? L'esprit est perplexe et perdu, et cherche dans le bâtiment complexe de la basilique un coin, un refuge, où il pourra reprendre haleine et retrouver sa voix pour murmurer une prière ; cette recherche est vite satisfaite ; ce lieu invite à la prière, à une prière qui se fait aussitôt intense : ici se trouve saint Pierre, le témoin de la foi et le centre de l'unité et de la charité ; ici est l'Eglise, l'Eglise catholique, l'Eglise universelle, c'est-à-dire l'Eglise de tous, mon Eglise, pour moi, pour mon monde, ou plutôt pour tout le monde ; ici est le Christ, présent et invisible, mais qui nous parle de son royaume, de sa vie dans les siècles, de son ciel.



Rassemblés pour la prière


C'est un cheminement commun ; qui entre avec piété dans ce mausolée qui garde la tombe et les reliques de saint Pierre, le parcourt aussitôt avec une fatigue agréable, avec une stupeur satisfaite, avec un désir toujours plus vif d'avancer ; et il arrive à la question que nous nous posons : l'Eglise. Que fait l'Eglise ? A quoi sert l'Eglise ? Quelle est sa manifestation caractéristique ? Quel est son moment essentiel ? Son activité plénière qui Justine et caractérise son existence ? La réponse jaillit des murs mêmes de la Basilique : la prière. L'Eglise est une association de prière. L'Eglise est une « societas Spiritus » (cf.
Ph 2,1 S. augustin, Sermo 71,19, PL 38,462). L'Eglise est l'humanité qui a trouvé, par le Christ, unique et suprême Prêtre, le mode authentique pour prier, c'est-à-dire pour parler à Dieu, pour parler avec Dieu, pour parler de Dieu. L'Eglise est la famille des adorateurs du Père « en esprit et en vérité » (Jn 4,23).

Il serait intéressant ici de réétudier la raison pour laquelle le mot « église » attribué à l'édifice construit pour la prière est le même que l'« église », assemblée de croyants, qu'ils soient à l'intérieur ou en dehors du temple qui les rassemble en prière. On peut alors remarquer, entre autres choses, que l'édifice matériel, destiné à rassembler les fidèles en prière, peut, et dans une certaine mesure (ici majestueuse) doit être non seulement lieu de prière, domus orationis, mais aussi signe de prière, édifice spirituel et prière elle-même, expression de culte, art pour l'esprit ; d'où la nécessité pratique de construire des lieux de culte pour donner au peuple chrétien la possibilité de se réunir et de prier; d'où aussi le mérite de ceux qui s'adonnent à la construction de « nouvelles églises », qui doivent accueillir et éduquer à la prière les nouvelles communautés dépourvues de leurs domus orationis indispensables, des maisons où ils peuvent se réunir pour leur prière communautaire.

Ainsi nous voudrions en ce lieu et en ce moment vous rappeler le nom qui définit si bien le catholicisme : Ecclesia orans, Eglise qui prie. Ce caractère parfaitement religieux de l'Eglise est essentiel et providentiel pour elle. Le Concile nous l'enseigne dans sa première Constitution, celle sur la Liturgie. Et nous devons reconnaître ce caractère de l'Eglise, sa nécessité et sa priorité. Que serait l'Eglise sans sa prière ? Que serait le christianisme s'il n'enseignait pas aux hommes comment ils peuvent et doivent communiquer avec Dieu ? Un humanisme philanthropique ? Une sociologie purement temporelle ?



Prière personnelle


On sait combien aujourd'hui on a tendance à tout « séculariser » et comme cette tendance pénètre aussi dans la psychologie des chrétiens, même dans le clergé et chez les religieux. Nous en avons parlé d'autres fois ; mais il est bon d'en reparler, car la prière aujourd'hui est en déclin. Nous précisons tout de suite : la prière communautaire et liturgique acquiert de nouveau une certaine diffusion, une participation, une compréhension, qui est certainement une bénédiction pour notre peuple et notre temps. Nous devons même faire avancer les prescriptions de la réforme liturgique actuelle, qui ont été voulues par le Concile, qui ont été étudiées avec un soin patient et sage par les meilleurs liturgistes de l'Eglise et suggérées par d'excellents experts des exigences pastorales. Ce sera la vie liturgique, bien ordonnée, bien absorbée par les consciences et les habitudes du peuple chrétien qui maintiendra éveillé et actif le sens religieux de notre temps, si profane et si désacralisé, et qui donnera à l'Eglise un nouveau printemps de vie religieuse et chrétienne.

Mais nous devons en même temps déplorer le fait que la prière personnelle diminue, menaçant ainsi la liturgie d'appauvrissement intérieur, de ritualisme extérieur, de pratique purement formelle. Le sentiment religieux lui-même peut disparaître par manque du double caractère indispensable à la prière : l'intériorité et l'individualité. Il faut que chacun apprenne à prier en lui et par lui seul. Le chrétien doit avoir une prière personnelle. Chaque âme est un temple. « Ne savez-vous pas — dit saint Paul — que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? ». Quand entrons-nous dans le temple de notre conscience pour adorer le Dieu présent ? Sommes-nous des âmes vides, bien que chrétiennes, des âmes absentes, oublieuses du rendez-vous mystérieux et ineffable que Dieu, Dieu Un et Trine, daigne offrir à notre colloque filial ? Ne nous rappelons-nous pas les paroles du Seigneur lors de la dernière Cène : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure ? » (Jn 14,23). C'est la charité qui prie (S. Augustin) : avons-nous un coeur animé de la charité qui nous habilite à cette prière intime et personnelle ?

L'« Ecclesia orans » est un choeur rassemblant des voix vivantes, conscientes, aimantes. Une initiative spirituelle intérieure, une dévotion personnelle, une méditation avec son coeur, un certain degré de contemplation par la pensée, l'adoration, la supplication et la joie, voilà ce que demande l'Eglise qui se renouvelle et nous veut témoins et apôtres.

Ecoutons l'hymne vers le Christ, vers Dieu, qui s'élève de cette Basilique et faisons en sorte d'y répondre de notre humble voix. Ici et maintenant ; puis partout et toujours. Avec notre Bénédiction Apostolique.


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Nous sommes heureux de vous saluer, chers représentants de l’«Association sportive de la Préfecture de Police de Paris», et nous saluons les membres de vos familles qui vous ont accompagnés. A la rencontre amicale avec le groupe sportif des Agents de Ville de Rome vous avez voulu ajouter une rencontre de foi avec le Représentant de Pierre au centre de la chrétienté. Soyez-en félicités et remerciés. Puissiez-vous emporter de votre séjour romain une joie durable, celle qui résulte de la fraternité humaine et celle, plus profonde encore, qui est le fruit de la grande fraternité des enfants de Dieu dans le Christ. C’est en son nom que nous vous bénissons de grand coeur, et que nous bénissons aussi, avec ceux que vous représentez ici, tous ceux qui vous sont chers.



29 avril 1970 COMME LE MONDE, L'EGLISE SOUFFRE

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Chers fils et filles,



Nous répondons encore une fois à une des nombreuses questions qui nous sont souvent posées, comme dans un soupir, parfois comme une plainte: que fait l'Eglise ? l'Eglise fait beaucoup de choses ; elle est dans une période d'activité intense. Le Concile a réveillé en elle la conscience de sa vocation et donc celle de nouveaux devoirs, de nouvelles réformes, de nouvelles activités ; et le Concile, nous en sommes sûr, lui a infusé de nouvelles énergies, de nouvelles impulsions de l'Esprit Saint. Il faut louer Dieu et reconnaître que l'Eglise se trouve aujourd'hui à un moment d'intense vitalité. Sans aucun triomphalisme, l'Eglise s'étudie, l'Eglise enseigne et renouvelle sa catéchèse et sa liturgie, l'Eglise prie et réforme la liturgie, l'Eglise perfectionne et développe ses structures, resserre les rangs, augmente ses activités, revoit le droit canon, étend le domaine missionnaire, ouvre le dialogue avec les frères séparés, détermine et vivifie sa position dans le monde d'aujourd'hui qui a d'autant plus besoin d'elle qu'il se sécularise et progresse.



Raisons de cette souffrance


Mais il y a un aspect de l'Eglise qui aujourd'hui est plus évident et plus sensible : l'Eglise souffre, l'Eglise résiste, l'Eglise supporte. Cette question : « L'Eglise que fait-elle ? » se justifie donc ; en cette question angoissante est déjà exprimée la réponse : elle souffre. Elle souffre; comme du reste partout souffre la société. Si développée soit-elle la société n'est pas satisfaite, n'est pas heureuse; le progrès a tellement augmenté ses désirs, tellement révélé ses déficiences, tellement multiplié ses polémiques, tellement exacerbé ses extrémismes, tellement amolli ses moeurs, qu'elle est rarement contente d'elle-même, rarement confiante des principes qui la dirigent et des buts qu'elle poursuit. Elle est intoxiquée par l'angoisse, la rhétorique, les fausses espérances, les radicalismes exaspérés. Ce malaise collectif, qui est peut-être une crise de croissance, se répercute aussi sur l'Eglise : il lui communique l'angoisse du transformisme et du conformisme, il diminue sa confiance en elle-même, il lui enlève le goût de son unité intérieure, il la submerge de particularismes contestataires, il lui donne l'illusion de nouveautés qui se détachent de la racine de la tradition, etc.

Ce qui rend caractéristique ce malaise est le fait qu'il trouve souvent — même s'il se confond avec celui de la société extérieure — à l'intérieur de l'Eglise ses causes et ses promoteurs. Ce sont les trésors de l'Eglise souvent menacés ou dissipés ; ce sont certains de ses fils, maîtres et ministres, qui souvent la contestent ; certains d'entre eux abandonnent la place qu'ils avaient choisie et qui leur a été assignée ; phénomènes isolés, heureusement, mais amplifiés par la publicité et qualifiés parfois de gestes de renouveau post-conciliaire ou de libération : la tradition ecclésiale semble n'avoir pour certains ni poids ni sens ; la réglementation canonique indispensable, qui est l'enveloppe protectrice des mystères de la révélation, de la communauté, des charismes de l'Esprit, est qualifiée de juridisme arbitraire, oppressif et répressif ; l'autorité est facilement contrariée et dissoute parfois dans un pluralisme excessif où il semble que doive prévaloir, non plus la charité qui unit, mais un certain égoïsme instinctif.

Nous n'en disons pas plus. Les causes internes de la souffrance de l'Eglise, celles-ci et d'autres, sont assez connues de tous désormais. Nous devrions faire aussi allusion aux causes externes qui dans quelques régions sont actuellement multiples et graves; dans certains pays, très graves ; elles tendent à étouffer l'Eglise, à la supprimer. On le sait.



Caractère normal de cette souffrance


Ce que nous voulons considérer maintenant est la souffrance de l'Eglise qui résulte de tout cela comme un destin qui, pourrions-nous dire, est normal, comme connaturel à son existence. C'est ainsi. Souvent nous sommes si convaincus que la vie chrétienne, défendue par l'Eglise, est la vraie formule, la bonne formule, l'heureuse formule aussi bien pour chaque fidèle que pour la communauté bien organisée qui l'assimile ou encore pour la société temporelle qui en ressent les bénéfices au niveau de la liberté et de la moralité, si convaincus que facilement nous nous illusionnons sur la possibilité de jouir d'une tranquillité acquise et stable. Nous ne nous rappelons pas assez que la profession chrétienne porte en elle-même, de par sa nature (parce que différente du monde et opposée à ses séductions corruptrices — à ses « pompes » comme disait jusqu'à il y a peu de temps le rituel du baptême) un drame, une position défavorable, un risque, un effort, un « martyre » (c'est-à-dire un témoignage difficile), un sacrifice. Le Seigneur dit à ses disciples : « S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » (
Jn 15,20) ; « le monde jouira ; vous, au contraire, vous serez tristes et pleurerez » (Jn 16,20). Je ne suis pas venu porter la nonchalance pacifique, mais l'épée du courage moral, enseigne-t-il (cf. Mt 10,34). Il est un «signe de contradiction » (Lc 2,34). Qui veut le suivre doit porter sa croix avec Lui (Mt 10,38). Et les croix qui sont infligées à l'Eglise, de l'intérieur de sa communion et qui offensent et déchirent cette communion, ne sont pas moins cruelles et funestes que celles qui sont infligées de l'extérieur. La douleur plus acerbe pour le coeur d'une mère est celle qui lui est causée par un de ses fils.



Le réconfort dans la souffrance


Cette méditation sur les souffrances de l'Eglise, hier et aujourd'hui, serait sans fin. Une page, belle et consolante, aujourd'hui nous suffit, même nous console et nous édifie ; c'est celle qui est écrite avec une patience silencieuse par tant d'âmes humbles, courageuses et fidèles, qui acceptent et partagent les peines de l'Eglise. Il n'y a pas de réconfort plus doux pour le coeur d'une mère que celui qui lui est offert, fort et doux à la fois, par ses fils sincères.

Et combien, combien de fils sincères réconfortent la sainte Eglise en souffrant avec elle et pour elle. Nous le savons. Nous les connaissons. Nous les remercions. Nous les encourageons. C'est une grande chose dans l'économie chrétienne que la communion dans l'adversité.

Il y a tant de bons chrétiens qui ont de la peine à cause des difficultés légales dont ils souffrent dans certaines régions des populations encore fidèles à l'Eglise catholique ; elles ne sont pas moins attristées par les tribulations internes et agitées qui en blessent le coeur et parfois l'honneur et la paix. Ce sont en général des prêtres et des laïcs catholiques éprouvés dans un long et fidèle service ; ou bien des jeunes qui voudraient tout de suite atteindre des résultats positifs et tangibles ; des esprits simples et encore fermement attachés à la norme de la foi et de la loi ecclésiastique ; ce sont les humbles, les pauvres en esprit, les héritiers de cette tradition qui a continué pendant des siècles, jusqu'à nous, l'annonce et la catéchèse du « règne des cieux » ; ce sont les gardiens de ce « sensus Ecclesiae », de cette sagesse intuitive catholique qui fait germer la sainteté, peut-être ignorée de la publicité, mais certes non ignorée de l'oeil de Dieu. « Hic est patientia et fides sanctorum », ici se trouvent la persévérance et la foi des saints (Ap 13,10). C'est l'Eglise existante, résistante, patiente : sustinens, l'Eglise qui supporte.

C'est à cette Eglise que sont toujours attachés les chrétiens qui prient. La prière est l'âme de la résistance aux maux de l'Eglise : extérieurs et intérieurs. Nous voudrions répéter à tous ceux qui sentent les difficultés présentes de l'Eglise les paroles graves et réconfortantes du Seigneur : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26,41). Et à cette Eglise patiente se rattachent ses fils obéissants. La tendance de certains de ses fils à s'affranchir de son autorité est souvent suggérée par un désir instinctif de se soustraire à la solidarité dans sa fermeté éprouvée. Ces fils obéissants, au contraire participent à la tension expérimentée par l'Eglise souffrante et ils expérimentent eux-mêmes le charisme inné de fidélité et de force ; ils en partagent le mérite.

En un mot, les forts, les fidèles, les témoins et souvent les héros sont les fils de l'Eglise « sustinens » en pèlerinage et en pleurs : « euntes ibant et flebant » (Ps 125,6). Devons-nous nous soustraire ou nous résigner à ce sort, propre à l'Eglise et propre à qui lui appartient et vit en elle ? Ou devons-nous l'accepter virilement et joyeusement, pensant que c'est le sort du Christ dans la passion pour être, en partie déjà maintenant, dans la joie ?

Certainement, c'est ainsi : « venientes autem venient cum exultatione » (ib. Ps 125,6) : le terme du pénible chemin de l'Eglise patiente sera la victoire et la joie. Que ce voeu, expression de notre vie chrétienne et catholique, soit valorisé pour vous par notre Bénédiction Apostolique.



6 mai 1970 LA VOIX DE L'EGLISE REVELE L'HOMME A LUI-MEME

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Chers fils et filles :


Nous invitons encore aujourd'hui à la réflexion sur l'Eglise. Le Concile nous a obligés à la prolonger sur ce thème sans limites. Nous essayons encore de mieux comprendre ce qu'est et ce que fait l'Eglise dans le monde. Notre question en ce moment, à la fois si simple et si vaste, fixe notre attention sur la signification étymologique de la parole : que veut dire le mot Eglise ? Eglise veut dire appelée. Appelée par qui ? Appelée par Dieu. Appel qui s'adresse à qui ? A l'humanité.

Immédiatement ce mot présente des éléments grandioses et mystérieux. Cachent-ils une histoire ? Oui, celle de l'Ancien Testament, d'abord ; puis la nôtre, celle du Nouveau Testament, caractérisée par la venue du Christ, Verbe de Dieu fait homme « pour rassembler les fils de Dieu qui étaient dispersés » (
Jn 11,52), et par l'extension de cet appel à toute l'humanité. Cette parole « Eglise » rassemble en elle, toute la richesse, l'originalité, la vérité de la religion et des destinées humaines. Si l'appel vient de Dieu, l'initiative est sienne, le plan qui en résulte est sien, l'amour qui s'y révèle est sien. Il faut relire la lettre de saint Paul aux Ephésiens, spécialement les deux premiers chapitres ; il faut lire la constitution dogmatique « Lumen Gentium », elle aussi dans ses premiers chapitres, pour avoir une idée de l'Eglise, comme d'un appel de Dieu, d'une religion qui ne part pas de l'homme mais de Dieu, et qui ne demeure pas, comme le sont les tentatives religieuses de l'homme, unilatérale, incomplète, et trop souvent inefficace et erronée, mais constitue un rapport certain, un dialogue vrai, et enfin une communion, et donc un salut et une béatitude.



Une voix qui appelle


L'Eglise est l'humanité appelée qui a répondu ; elle est l'assemblée des hommes convoqués par Dieu dans le Christ. Elle est royaume de Dieu, Peuple de Dieu, réunion de croyants (cf. S. Jérôme in Eph, PL 26, 534) ; elle est une famille engendrée par une vocation, qui est parole et grâce de Dieu. C'est pourquoi dire « Eglise » et penser à ce mystère surnaturel de bonté divine, doit être pour nous la même chose. Voilà la première de nos pensées.

Deux autres en dérivent immédiatement. Le mot « Eglise » peut être compris dans deux sens, passif et actif. L'Eglise, de même que la parole « appel », peut être comprise comme « congregatio », effet et résultat de l'appel, c'est-à-dire réunion, assemblée : « Ecclesia est idem quod congregatio », l'Eglise dit Saint Thomas, signifie communauté ; et elle peut aussi être comprise comme « congregans », une voix qui appelle, une invitation, une convocation (cf. de lubac, Méd, sur l’Eglise, p. 78 ss.).

Ce dernier aspect de l'Eglise devrait retenir notre attention parce qu'il est pour nous tous très intéressant. Quand nous nous demandons : que fait l'Eglise ? Nous pouvons répondre : elle nous appelle. Elle est la répétition de la Parole de Dieu, elle est la continuation de la mission du Christ qui dit à chaque apôtre : « viens », et à tous les hommes de ce monde qui ont besoin de réconfort et de salut : « venez à moi vous tous... ». C'est pourquoi l'Eglise est appelée « Lumen Gentium », comme le Christ, lumière des peuples, le « sacrement du Christ » ; elle ne représente pas seulement le Christ Seigneur, mais elle répand aussi sa lumière et sa grâce, son Esprit. Elle est une invitation (cf. denz. sch. DS 3014) ; une invitation vivante et permanente, un appel, un amour qui cherche, une responsabilité qui avertit, un choix à faire, une richesse à posséder. Elle est l'appel apologétique, l'appel pastoral, l'appel missionnaire. Offrande de la vérité qui calme et qui sauve ; indicateur de l'histoire humaine, main tendue pour la rédemption et le bonheur. L'Eglise appelle : nous sommes tous chargés de faire nôtre sa voix ; mais l'organe qualifié et autorisé de cette voix, vous le savez, est l'apôtre, rendu par le Christ prédicateur, maître, pasteur, véhicule de l'Esprit : c'est la hiérarchie de l'Eglise.



Une voix de vie, de poésie, de prière



Voici encore un aspect de l'Eglise qui appelle, c'est-à-dire l'écho que la voix de l'Eglise a ou devrait avoir dans le coeur de chaque auditeur. Le cadre devient intérieur, psychologique, personnel et moral. Cette voix arrive-t-elle aujourd'hui aux hommes de ce temps ? Est-ce une voix qui peut être accueillie, comprise, acceptée et suivie ? Que de discours se font aujourd'hui sur cet aspect de la vie chrétienne ! que d'efforts pour rendre intelligible la voix de la foi ; efforts excellents, nécessaires, s'ils tendent, par la sagesse et l'amour, à rendre plus simple, plus agréable, et plus compréhensible, plus convaincant et pénétrant, le message chrétien, l'appel de l'Eglise. Dans un monde comme le nôtre, si défiant à l'égard de tout langage philosophique, et tout entier tourné vers le langage de l'histoire et encore plus vers celui de l'expression sensible, quel effort doit accomplir celui qui veut communiquer la voix de la foi pour se faire écouter : voilà la nécessité d'un renouveau dans la catéchèse, la prédication, le symbolisme religieux, les communications sociales ? A une condition cependant : que dans ce processus de réforme du langage religieux ne s'altère pas, ne se disperse pas le contenu divin et immuable du message confié par le Christ à l'Eglise et gardé par son magistère, qui est providentiel et responsable de la fidélité perpétuelle à la parole révélée.

Nous ajoutons : peut-être qu'en écoutant avec plus d'attention la voix de l'Eglise, sans préjugé, sans l'ambition de l'interpréter selon son propre gré, cette voix serait encore compréhensible et même rayonnante d'une vérité joyeuse, même si elle est recouverte de l'enveloppe du langage des Pères, des Conciles, des Papes, des Théologiens d'autres temps.

Mais en tout cas, nous voyons, et au besoin nous découvrons, avec un heureux émerveillement que l'Eglise est un appel intérieur : cette voix n'étourdit pas, ne fait pas peur, ne distrait pas, n'offense pas, ne gronde pas ; cette voix réveille, remplit l'âme de vérité, de certitude, d'énergie. Elle appelle la pensée à penser, la volonté à vouloir, le sentiment à chanter. C'est une voix de vie, de poésie, de prière. Elle élargit, elle libère, elle révèle. Parfois elle révèle l'homme à lui-même, lui fait comprendre son droit, son devoir, son destin, disons-le : sa vocation.

C'est ce que fait l'Eglise encore aujourd'hui : elle appelle.

Ecoutons sa voix, tous et vous aussi, avec notre Bénédiction Apostolique.


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Il nous est particulièrement agréable de vous souhaiter une cordiale bienvenue, chers délégués des Aumôniers militaires des diverses confessions religieuses des Armées de l’Air alliées en Europe. Hôtes du Vicariat aux armées de l’Italie - dont Nous avons plaisir à saluer l’ordinaire, Mgr Luigi Maffeo, présent au milieu de vous - vous êtes venus à Rome pour étudier de concert les problèmes pastoraux qui vous sont communs.

En vous remerciant d’avoir voulu Nous rendre ainsi visite, il Nous plaît de citer en exemple, dans cette basilique Saint Pierre, le beau témoignage d’unité que vous donnez par-delà vos diverses responsabilités propres, de coopération au service de ceux dont vous avez la charge devant Dieu. Se réunir et travailler ensemble dans une même préoccupation de service, c’est déjà se dépasser pour mieux accomplir votre ministère pastoral.

Chers Aumôniers, de grand coeur, Nous vous assurons de Notre prière devant le Seigneur, pour qu’il bénisse et féconde votre apostolat.

Nous vous saluons aussi, chers pèlerins vietnamiens venus de France pour les solennités de dimanche prochain. Comment ne pas penser, en vous voyant ici, au conflit dont souffre votre pays bien-aimé, conflit dont l’extension survenues ces derniers jours risque encore de multiplier le poids des misères qu’il entraîne en même temps que le nombre des victimes. Que votre prière, unie à celle de tous les croyants, rejoigne la nôtre en vue de soutenir les efforts de tous ceux qui font oeuvre sincère de paix, et d’obtenir du Dieu Tout-Puissant cette paix si attendue que les hommes sont impuissants à établir.





Catéchèses Paul VI 15470