Catéchèses Paul VI 17468

17 avril 1968 : ALLELUIA DE PAQUES : LE CHRIST NOTRE JOIE

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Chers Fils et Chères Filles,



Nous vous saluons par l'exclamation qui caractérise la liturgie pascale : Alléluia ! ce qui veut dire : Louange à Dieu. C'est un cri religieux qui nous a été légué par une très ancienne tradition hébraïque. On le trouve dans la Sainte Ecriture, et il est devenu habituel dans la langue liturgique de l'Eglise pour exprimer la joie de louer le Seigneur, spécialement au temps de Pâques. Plutôt qu'un mot ayant un sens déterminé, il est aujourd'hui une acclamation de joie, l'expression d'un vif sentiment d'allégresse (cf. Augustin, In PS 99, P.L. XXXVII, 1272) comme si nous disions en langage moderne: Evviva ! Hurrah ! Hoch !


L'Eglise a jailli de la Résurrection


Mais pour nous cet Alléluia conserve sa double signification originelle de louange et de joie, l'une et l'autre appliquées au Seigneur et jaillissant d'une âme remplie à la fois d'enthousiasme religieux et de joie spirituelle. Et Nous, en accueillant aujourd'hui votre visite, Nous faisons Nôtre la joie et l'émotion de l'Eglise, et Nous vous saluons avec le mot très saint qu'elle emploie : Alléluia ! Alléluia ! Ce faisant, Nous avons une double intention. La première, c'est de vous mettre tous en communion avec l'âme de l'Eglise enivrée par la célébration du mystère pascal. Pouvons-nous oublier cet événement qui évoque et fait revivre en nous la résurrection du Christ, sa victoire sur la mort, sa promesse que nous aussi, un jour nous ressusciterons ? Cette promesse est déjà en voie de réalisation par la vertu et la signification sacramentelle

du baptême. Pouvons-nous oublier que c'est sur la résurrection de Nôtre-Seigneur (cette chose prodigieuse, à la fois réelle et prodigieuse) que se fonde notre foi, notre certitude que Jésus est le Sauveur du monde, notre résolution de faire de notre vie un témoignage qui précisément s'appelle chrétien ? Nous ne pouvons l'oublier. Nous devons, au contraire, rappeler, célébrer, chanter que le Christ est ressuscité et que, de sa résurrection, a jailli l'Eglise, à laquelle l'Esprit-Saint conférera les charismes vivifiants du Christ pour les répandre dans l'humanité, cette humanité avide de vivre et de survivre, consciente de son caractère mortel, mais aveugle sur sa destinée supraterrestre. C'est tout cela que nous disons par cette acclamation conventionnelle : Alléluia ! C'est un acte de foi, de confiance, de joie, de victoire, qui résume tout un ensemble de vérités, de pensées et de sentiments.


Pas de vie chrétienne sans joie


L'autre intention que Nous suggère l'Alléluia pascal, c'est de vous rappeler qu'il ne peut y avoir de vie chrétienne sans joie. Si dans la vie chrétienne il y a d'autres notes, d'autres leçons que celle de la joie (il y a en effet la croix, le renoncement, la mortification, la pénitence, la souffrance, le sacrifice, etc.), elle n'est cependant jamais dépourvue de réconfort, de consolation profonde, de joie, toutes choses qui ne devraient jamais manquer, et qui ne manquent jamais, lorsque nos âmes sont dans la grâce de Dieu. Pouvons-nous être foncièrement tristes, amers et désespérés lorsque Dieu est avec nous ? Non. La joie doit toujours être une prérogative de l'âme chrétienne, au moins au fond d'elle-même.

Un auteur moderne fait remarquer : « J'ai connu des jeunes gens de familles chrétiennes très ferventes qui disaient à leurs parents : « C'est dur d'être catholique ! », et ceux-ci répondaient : « Oh! oui. C'est dur ! Tout le temps des privations ! C'est une religion triste ! ». Cela Nous rappelle la fameuse phrase de Nietzsche, qui reprochait aux chrétiens de prétendre être des rachetés et d'en avoir si peu l'air » (J. leclercq, Croire en Jésus-Christ, p. 21).

Oui, nous chrétiens, nous devrions nous sentir non pas plus malheureux que les autres parce que nous avons accepté de porter le joug du Christ — ce joug qu'il porte avec nous et que pour cette raison il dit être « aisé et léger » (
Mt 11,30), — mais plus heureux, précisément parce que nous avons des motifs splendides et certains de l'être. Le salut que le Christ nous a mérité et qui projette sa lumière sur les problèmes les plus ardus de notre existence, nous autorise à jeter un regard optimiste sur toutes choses.

Nous sommes dans de meilleures conditions que les autres — ceux qui n'ont pas la lumière de l'Evangile — pour regarder la vie et le monde avec un joyeux émerveillement, pour nous réjouir de tout ce que l'existence nous réserve, même des épreuves dont elle abonde, avec une sérénité faite de sagesse et de reconnaissance. Le chrétien est un homme heureux ; il sait trouver les reflets de la bonté de Dieu dans tous les événements, dans tout ce que lui apprend l'histoire et l'expérience. Il sait que « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qu'il a appelés selon son dessein » (cf. Rm 8,28). Le chrétien doit toujours donner un témoignage de sécurité supérieure, qui laisse entrevoir aux autres d'où il tire cette sereine supériorité spirituelle.

Aujourd'hui, cette attitude de joyeuse santé spirituelle se répand heureusement parmi les chrétiens modernes : ils sont plus décontractés, plus joyeux et c'est un bien, mais à la condition d'éviter de tomber dans un naturalisme jouisseur devenant facilement païen et illusoire. Pour réaliser cette condition, il est nécessaire de puiser la joie intérieure et la sérénité extérieure, non pas seulement dans un heureux état de choses contingent, fait de bien-être temporel, mais dans la foi. Le Christ est notre joie. Répétons en son honneur et pour notre réconfort : Alléluia !

Avec Notre Bénédiction Apostolique.




25 avril 1968 : AGGIORNAMENTO ET CHANGEMENT ARBITRAIRE

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L'audience générale a eu lieu le jeudi 25 avril, au lieu du mercredi, en raison d'une affluence exceptionnelle de pèlerins que l'on avait été obligé de répartir dans la Cour Saint Damase, la Salle des Bénédictions et la Basilique Saint-Pierre.



Chers Fils et Chères Filles,



Votre visite Nous remplit de joie et d'espérance, et Nous pouvons faire Nôtres les paroles qui servent de titre à la célèbre Constitution conciliaire : Gaudium et Spes. Elle Nous remplit de joie en vous voyant si nombreux. Aujourd'hui, la basilique Saint-Pierre n'est pas assez grande pour recevoir tous Nos visiteurs, et Nous sommes obligé de les répartir en trois audiences distinctes. Cette affluence est pour Nous un motif de joie. Nous y voyons comme une évocation biblique : « Jérusalem... lève les yeux aux alentours et regarde : tous se rassemblent et viennent à toi. Tes fils arrivent de loin et tes filles sont portées sur les bras. A cette vue, tu seras radieuse, ton coeur sera gonflé d'émotion... » (
Is 60,4-5). Il y a manifestement quelque chose qui dépasse le phénomène touristique dans ce rassemblement. Ni aises, ni confort, il n'a rien d'autre à vous offrir que la joie de vous savoir ici, au centre de l'Eglise, non seulement en son centre géographique, mais au point canonique, historique et visible, spirituel et mystique de son unité prodigieuse et émouvante ; ici où est le tombeau de l'Apôtre que le Christ a posé comme fondement de sa mystérieuse construction qui est l'Eglise ; ici où il fait si bon se rencontrer avec des gens venant de tous pays, et de se savoir tous frères, tous fidèles, tous unis par la même foi et la même charité, c'est-à-dire tous catholiques. Et ce rassemblement n'est pas fortuit ni organisé sur commande : vous l'avez voulu spontanément, non pas pour donner un spectacle ou y assister, mais pour prier, pour entendre Notre parole et recevoir Notre bénédiction. En cette circonstance et en d'autres semblables, Nous ressentons plus vivement que jamais combien Notre personne humaine est peu de chose, mais combien est grande Notre qualité de Vicaire du Christ.


Nous avons besoin de votre fidélité


Vous Nous causez donc une grande joie. Jamais Nous ne Nous lasserons d'admirer cette vision que Nous offrent Nos pèlerins et Nos visiteurs, et Nous rendons grâce à Dieu en empruntant ces paroles de David : « J'ai vu avec joie ton peuple, ici présent, t'offrir ses dons » (1Ch 29,17), les dons de sa foi et de sa piété.

Et cette joie s'accompagne d'espérance : l'espérance que cette présence servira grandement la cause du Royaume de Dieu, c'est-à-dire la cause du Christ, de son Eglise et de vos personnes elles-mêmes. Nous vous dirons des paroles qui devront vous faire réfléchir : Nous avons besoin de vous, Vous êtes certainement venus ici pour faire un acte de foi, pour donner à l'Eglise une attestation de votre adhésion filiale, pour confirmer vos résolutions de vie chrétienne. Eh bien ! Nous avons besoin de ces dons spirituels. Nous avons besoin du renouveau de votre conscience catholique, de votre fidélité à la sainte Eglise de Dieu, toutes choses qui semblent manifestes et déjà garanties par l'esprit religieux et les sentiments sincères qui vous ont conduits ici. Et c'est cela l'espérance que vous Nous donnez.


L'inquiétude qui trouble une partie du monde catholique


Parce que, vous le savez, l'Eglise passe actuellement par un moment spirituel de son histoire qui n'est pas serein, spécialement dans certains pays. C'est là pour les pasteurs de l'Eglise et pour Nous-même un motif de vive appréhension et parfois de grande amertume. Il en est ainsi non seulement parce que le monde moderne tout entier, captivé par la richesse de ses conquêtes scientifiques et techniques, perd le sens de Dieu; non seulement parce que ces conquêtes — pour reprendre l'expression malheureuse employée par certains — exigent « la mort de Dieu », c'est-à-dire une mentalité athée et éloignée de toute religion, alors que ces progrès caractéristiques du monde moderne exigeraient bien plutôt un sens de Dieu plus élevé, plus pénétrant, plus chargé d'adoration, une religion plus pure et plus vivante venant couronner les connaissances humaines ; il en est ainsi, disons-Nous, non seulement en raison de l'apostasie pratique qui est si répandue, mais aussi et spécialement en raison de l'inquiétude qui trouble certains secteurs du monde catholique et affecte la sensibilité de ceux qui ont des responsabilités dans l'Eglise.

Chacun le sait, après le Concile, l'Eglise a connu et connaît encore un grand et magnifique réveil, que Nous sommes le premier à reconnaître et à favoriser. Mais l'Eglise a souffert et souffre encore d'un tourbillon d'idées et de faits qui ne sont certainement pas inspirés par le bon esprit et n'annoncent pas ce renouveau de vie que le Concile a promis et promu. Une idée ambiguë a fait son chemin, également dans certains milieux catholiques : l'idée de changement, qui, chez certains, s'est substituée à l'idée d'aggiornamento, préconisée par le Pape Jean de vénérée mémoire. C'est ainsi que, contrairement à l'évidence et à la justice, on a attribué à ce très fidèle Pasteur de l'Eglise des critères non plus innovateurs, mais parfois même destructeurs de l'enseignement étude la discipline de l'Eglise.


Deux choses qui ne peuvent pas être mises en discussion


Beaucoup de choses peuvent être corrigées et modifiées dans la vie catholique ; beaucoup de doctrines peuvent être approfondies, complétées et exposées en des termes plus compréhensibles ; beaucoup de normes peuvent être simplifiées et mieux adaptées aux besoins de notre temps. Mais il y a spécialement deux choses qui ne peuvent pas être mises en discussion : les vérités de la foi, sanctionnées avec autorité par la tradition et par le magistère de l'Eglise, et les lois constitutionnelles de l'Eglise, lesquelles requièrent l'obéissance au ministère de gouvernement pastoral que le Christ a établi et que la sagesse de l'Eglise a développé et étendu dans les différents membres du Corps mystique et visible de l'Eglise pour guider et réconforter la communauté multiforme du Peuple de Dieu.

C'est pourquoi Nous disons : renouveau, oui ; changement arbitraire, non. Histoire de l'Eglise, toujours nouvelle et toujours vivante, oui ; historicisme dissolvant les fondements dogmatiques traditionnels, non. Développement de la théologie selon les enseignements du Concile, oui ; théologie se conformant aux théories subjectives et libres, souvent empruntées à des sources adverses, non. Eglise ouverte à la charité oecuménique, au dialogue responsable et à la reconnaissance des valeurs chrétiennes existant chez les frères séparés, oui ; irénisme renonçant aux vérités de la foi ou tendant à se conformer à certains principes négatifs qui ont contribué à séparer tant de frères chrétiens du centre de l'unité de la communion catholique, non. Liberté religieuse pour tous dans la société civile, liberté d'adhérer personnellement à la religion que l'on a choisie en conscience et après mûre réflexion, oui ; liberté de conscience envisagée comme critère de la vérité religieuse sans s'appuyer sur l'authenticité d'un enseignement sérieux et autorisé, non ; etc.

C'est pourquoi, très chers fils, l'Eglise a aujourd'hui besoin de votre discernement et de votre fidélité. Telle est l'espérance que, pour Notre grande consolation, Nous apporte votre visite. L'Eglise a besoin de la lucidité d'esprit de ses fils ; elle a besoin de leur fidélité aimante et ferme. Nous apportez-vous, chers fils, cette clarté dans les idées concernant le renouveau de la vie de l'Eglise ? Nous apportez-vous le grand, le précieux, le très cher don de votre fidélité ? Nous l'espérons paternellement.

C'est pourquoi, d'un coeur rempli de joie et d'espérance, Nous vous bénissons tous affectueusement.




1° mai 1968 : CONCEPTION CHRETIENNE DU TRAVAIL

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Chers Fils et Chères Filles,



C'est aujourd'hui le 1er mai, la fête du Travail, une fête nouvelle que l'Eglise a inscrite à son calendrier ces dernières années. Il est bien clair qu'elle manifeste par là une intention rédemptrice, Nous dirions presque un désir de recouvrement et qu'elle poursuit certainement un objectif de sanctification. Au cours de ces derniers siècles, un fossé s'était créé entre la psychologie du travail et la psychologie religieuse. Ce fossé a eu de grandes répercussions sociales ; et aujourd'hui encore il maintient éloignées de la foi tant de foules d'hommes et de femmes pour qui le travail représente non seulement leur activité professionnelle, mais leur qualification spirituelle, l'expression de leur conception suprême de la vie, opposée à la conception chrétienne. C'est l'un des plus grands malentendus de la société moderne, un malentendu que chacun devrait maintenant pouvoir résoudre de lui-même, pour le bien non seulement de la vérité, mais du travail lui-même et des travailleurs, dont la vie est marquée par la peine et l'activité productrice.


Comme toute honnête activité humaine le travail est sacré


En effet, la pensée chrétienne — et donc l'Eglise — considère le travail comme l'expression des facultés humaines, non seulement physiques mais aussi spirituelles, qui donnent au travail manuel l'empreinte de la personnalité humaine, et font donc de lui un facteur de progrès, de perfection de la personne, profitable sur le plan économique et social. Le travail est l'expression normale des facultés physiques, morales et spirituelles, du talent, du génie de l'homme, génie de la production et de la perfection. Il exprime sa pédagogie fondamentale, le niveau de son développement. Il obéit au dessein primitif du Dieu créateur qui a voulu que l'homme explore, conquière, domine la terre, avec, ses trésors, ses énergies, ses secrets. Le travail n'est donc pas en soi un châtiment, une déchéance, un esclavage comme le pensaient même les meilleurs parmi les anciens. Il est l'expression du besoin naturel chez l'homme d'exercer ses forces et de les mesurer avec les difficultés des choses, pour les réduire à son service. Il est l'expression libre et consciente des facultés humaines, des mains de l'homme guidées par son intelligence. Le travail est donc noble, et, comme toute honnête activité humaine, il est sacré.


L'Eglise et les conditions injustes du travail


Ces pensées Nous amènent à nous poser deux questions parmi tant d'autres, et d'abord celle-ci : que devons-nous dire du travail lorsqu'il est pénible, opprimant, lorsqu'il ne permet pas d'atteindre ce premier objectif qui est d'assurer le pain, d'assurer un niveau de vie suffisant ; lorsqu'il sert à enrichir les autres avec la sueur et la misère du travailleur ; lorsqu'il manifeste et scelle en quelque sorte des inégalités économiques et sociales insurmontables et intolérables ? La réponse théorique est facile, bien que dans la pratique elle soit souvent bien difficile ; c'est la réponse forte de la souffrance humaine, dont la force finit par devenir victorieuse : il faut revendiquer pour le travail des conditions meilleures, progressivement meilleures ; il faut instaurer dans le travail une justice qui substitue à son aspect pénible et humiliant un aspect vraiment humain, fort, libre, joyeux, rayonnant de la conquête des biens, non seulement matériels — de ces biens qui assurent une vie digne et saine — mais des biens supérieurs de la culture, des loisirs, de la légitime joie de vivre et de l'espérance chrétienne.

Beaucoup a déjà été fait dans ce sens, mais beaucoup reste encore à faire. Les grandes encycliques pontificales ont fait entendre sur ce point leur voix noble et grave ; des pasteurs, des maîtres, des représentants du laïcat catholique ont également élevé la voix. Nous rappelons aujourd'hui ces paroles magistrales, qui sont comme l'écho de nos textes liturgiques. L'Eglise honore donc le travail. Elle marche non pas à l'arrière-garde, mais sur la grande route de la civilisation de notre temps.


La forme nouvelle du travail


L'autre question, qui se pose spontanément lorsqu'on parle du travail, c'est celle de la forme nouvelle qu'a revêtue le travail aujourd'hui : le travail industriel, mécanisé, visant à la production de masse, qui a transformé notre société, créé une distinction et une opposition entre les classes sociales. Qu'en dirons-Nous ? On a déjà tant parlé, écrit, travaillé sur ce sujet, que Nous ne voudrions pas donner une réponse qui pourrait paraître simpliste. Mais vous savez combien Notre entretien veut être foncièrement simple. Aussi, Notre première réponse sera celle-ci : l'Eglise admire et encourage cette expression puissante du travail moderne ; d'abord parce qu'elle aspire à la multiplication des biens matériels, de telle sorte que tout le monde puisse en bénéficier d'une façon suffisante ; et ensuite parce que, grâce à la machine, le travail pèse moins lourd sur les épaules de l'homme (cf. Danusso). Nous pourrions aussi ajouter : parce que, organisé comme il l'est, le travail moderne crée de nouveaux rapports sociaux, une nouvelle solidarité, une nouvelle amitié entre les hommes, spécialement entre les travailleurs. Et cela est un bien, si vraiment la solidarité de l'amour les unit et instaure dans la société des rapports humains plus étroits et plus conscients. Les travailleurs se trouvent ainsi associés d'abord sur le plan des catégories entre lesquelles se répartit nécessairement le travail complexe et organisé, et ensuite sur le plan de la défense des intérêts communs. En même temps, ils sont formés à une conception organique de la société, où il s'agit non pas du heurt d'avidités irréductiblement opposées, mais d'une collaboration harmonieuse en vue d'instaurer un ordre juste pour tout le monde, et de participer à un bien commun rationnellement réparti. Ce n'est là encore, en bonne partie, qu'une espérance, mais aussi une réalité qui mûrit là où le progrès moderne s'inspire de la conception chrétienne de la société et de la notion sacrée de la personne humaine, telle que seul l'Evangile peut finalement la configurer et la défendre.

Que de choses Nous aurions encore à dire! Mais ce qui va de soi, c'est que la religion est à la racine et au sommet du processus d'élévation, tant de la conception que de la réalité du travail. Elle a une doctrine également pour l'aspect pénible que le travail ne perd jamais. Elle en rappelle l'origine malheureuse (cf.
Gn 3,19), et en même temps l'heureux et sublime épilogue, sa valeur rédemptrice (cf. Mt 5,6). Et comme si son enseignement ne suffisait pas à nous persuader de l'honneur et de l'amour que nous devons au travail humain, elle nous offre aujourd'hui un exemple et un protecteur dans l'humble et grand saint Joseph, maître d'oeuvre du Christ entre les mains divines duquel est née l'oeuvre de la création et de la rédemption. Vénérons saint Joseph, le charpentier de Nazareth, et, en son nom, Nous saluons et Nous bénissons aujourd'hui tous les travailleurs.

Et de tout coeur, Nous vous bénissons tous, vous qui, d'une façon ou d'une autre, êtes des travailleurs.





8 mai 1968 : PAUL VI ANNONCE SON VOYAGE EN COLOMBIE

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Aujourd’hui, Nous prendrons pour thème de Notre entretien hebdomadaire l'annonce du voyage que, si Dieu le veut, Nous ferons à Bogota, en Colombie, pour y assister, au mois d'août prochain, à la conclusion du Congrès eucharistique international, lequel sera présidé, comme cela a déjà été annoncé, par Notre légat a latere, le cardinal Lercaro ; Nous ouvrirons, aussitôt après, la Conférence générale des évêques d'Amérique latine. Comme de coutume, ce voyage sera très rapide (Nous irons en avion) et très bref (il durera deux ou trois jours). Il s'agit là de deux grands événements de la vie de l'Eglise. Le premier est destiné à honorer le « mystère de la foi », c'est-à-dire l'Eucharistie, qui, en reproduisant le sacrifice rédempteur du Christ, réalise sa présence sacramentelle et, en même temps, comme nous le rappelle le Concile, signifie et célèbre l'unité de l'Eglise (cf. Unitatis redintegratio,
UR 2). Le second est destiné à favoriser l'efficacité hiérarchique et communautaire de l'Eglise dans les territoires vastes et variés de l'Amérique latine. Il semble que Nous ne puissions manquer d'être humblement mais personnellement présent à ces deux événements religieux et ecclésiaux d'une importance exceptionnelle, aujourd'hui où les prodigieux moyens de transport modernes rendent cette présence possible. Nous devons également faire remarquer que les invitations officielles de Nos frères dans l'épiscopat et de Nos fils dans la communion de la foi et de la charité ont aimablement contraint le Pape à sortir de la réserve traditionnelle qui veut qu'il ne s'éloigne pas de son siège. De plus, les invitations pressantes et courtoises que Nous adressaient en même temps les autorités civiles Nous ont ouvert le chemin et Nous ont permis de séjourner dans ce pays hospitalier et ami qu'est la Colombie.

A dire vrai, une longue série de pays d'Amérique latine Nous ont adressé des appels chaleureux et autorisés pour que Nous allions leur rendre visite à l'occasion de ce premier voyage accompli par un Pape dans ce continent. Malheureusement, à Notre sincère regret, et tout en étant très sensible à ces aimables invitations, Nous ne pourrons pas matériellement y répondre. Nous sommes cependant reconnaissant à ces pays et Nous leur serons uni en esprit.


Les voyages du Pape


Ce nouveau voyage intéressera ceux qui sont à l'affût des nouvelles et ceux qui observent les événements extérieurs. Mais pour Nous il constitue un fait remarquable dans les vicissitudes historiques actuelles et futures de l'Eglise. C'est la raison pour laquelle Nous le proposons à votre réflexion spirituelle.

La première réflexion a déjà été provoquée par Nos pèlerinages précédents : le Pape voyage. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire d'abord qu'il a retrouvé sa liberté de mouvements, ce qui peut être inscrit à l'actif de la condition historique et politique qui est la sienne à l'heure actuelle. Cela veut dire ensuite que la mobilité qui caractérise la vie moderne s'est infiltrée dans les habitudes plutôt statiques de la vie pontificale, laquelle n'est pas, par conséquent, tout à fait à l'écart du rythme des présentes fluctuations humaines. Et cela veut dire surtout que les voies du monde sont ouvertes au ministère du Pape, même sur le plan des transports. Cela est très important et significatif. Peut-être, avec le temps, pourra-t-il en résulter des changements notables dans l'exercice pratique de son ministère apostolique. Nous en voyons déjà les symptômes dans le fait que se multiplient les invitations qui Nous sont adressées de toutes les parties du monde, lesquelles, par ailleurs, ne favoriseraient pas la régularité et l'intensité de Notre travail à Rome. L'avenir répondra. Mais dès maintenant, la simple hypothèse d'une plus grande facilité de déplacement pour la personne du Pape et ses activités laisse entrevoir la possibilité d'une circulation de charité plus intense dans l'Eglise, rendue possible par un phénomène faisant mieux apparaître son unité et sa catholicité.


Confirmer la doctrine de l'Eucharistie


Mais laissons ces songes — ou ces présages — et tournons Notre réflexion vers le Congrès eucharistique international auquel Nous Nous proposons de participer. Ce n'est pas la solennité extérieure qui Nous y attire, bien que, elle aussi, ait une très grande valeur en raison du culte qu'elle veut rendre à Dieu et de l'édification collective qu'elle veut créer dans la foule qui participe au Congrès. Ce qui Nous y attire, c'est l'affirmation du mystère eucharistique. Cette affirmation voudrait, dans la mesuré du possible, être universelle. Mais, de toute façon, elle veut affermir puissamment et exprimer sans équivoque la foi de toute la sainte Eglise catholique dans la triple vertu sanctificatrice de l'Eucharistie : la mémoire de la passion rédemptrice du Christ, qui doit être en nous ineffaçable et vivante ; le prodige réel de la présence sacramentelle du Christ, qui vit avec son Eglise, partage sa vie, se tient à son côté, la soutient, l'alimente, l'attache à lui, l'unit, la caractérise, la sublime, l'enivre ; et enfin le prélude eschatologique, c'est-à-dire la promesse de la parousie, le gage, propre à l'Eucharistie, du retour final et éclatant du Christ au terme de l'histoire présente de l'humanité (cf. dans la liturgie : O sacrum convivium, etc. ; Vonier, La Clé de la doctrine eucharistique, p. 31).

Ce que Nous voulons, c'est confirmer aujourd'hui la doctrine de l'Eucharistie, doctrine capitale dans l'Eglise devant les insuffisances, l'ambiguïté, les erreurs dont souffre une certaine partie de notre génération à l'égard du mystère central de nos autels. Le Congrès eucharistique remet sur Nos lèvres et sur les lèvres de tous ceux qui seront en communion avec Nous la profession de saint Pierre : « A qui irions-nous, Seigneur ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,69).


L'Amérique latine


Et Nous voulons aussi que cette affirmation religieuse ait lieu dans cette Amérique latine qui Nous est très chère en raison de sa foi catholique, de ses évêques, du réveil de la charité sociale qui anime les bons catholiques de ce continent, des besoins spirituels de ces populations, des admirables efforts pastoraux qui y sont faits, des foules de pauvres et d'humbles qui attendent une nouvelle et sage justice civile pour la paix et la prospérité chrétienne de cet immense monde latino-américain, auquel Nous adressons dès maintenant Notre salut et Notre Bénédiction.





15 mai 1968 : COLLABORATION DE TOUT CHRETIEN A LA MISSION DE L'EGLISE

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Chers Fils et Chères Filles,



La présence de visiteurs si nombreux, parmi lesquels Nous sommes heureux de voir de beaux et chers groupes de jeunes, Nous apporte une grande consolation. Elle Nous porte à croire que vous tous qui êtes ici vous avez compris l'affirmation du récent Concile, qui veut « rendre plus intense l'activité apostolique du Peuple de Dieu » (Ap. Act.
AA 1). Le Concile attend également des laïcs, en tant que membres vivants du Corps mystique du Christ qui est l'Eglise, la contribution d'une collaboration vivante et personnelle tant à la mission salvifique de l'Eglise (cf. Lumen gentium, LG 33) qu'à l'instauration de l'ordre temporel selon le dessein de Dieu (cf. Ac 5). Cette affirmation n'est pas en elle-même une nouveauté, parce qu'elle a sa source dans la nature même de la vocation chrétienne ; mais elle a tellement été mise en évidence par le Concile, elle a été exprimée avec une telle autorité et répétée avec une telle insistance qu'elle constitue pour le chrétien conscient une question nouvelle: celle de l'apport de tout chrétien à la vitalité et au développement de l'Eglise.

Pour Nous, en cette rencontre spirituelle et ecclésiale, Nous vous poserons à ce propos une question à laquelle, pensons-Nous, vous apporterez tous une réponse positive. Ces visiteurs ont-ils compris ce que l'Eglise du XX° siècle leur demande ? Sont-ils vraiment les fidèles du Peuple de Dieu ? Sont-ils vraiment pour Nous des amis ? Veulent-ils Nous aider à conserver et à répandre la pensée chrétienne dans la vie moderne ? Quelle est leur véritable attitude envers l'Eglise ? Est-ce une attitude passive et inconsciente, ou bien une attitude active et consciente ? Sont-ils ici pour une visite purement occasionnelle, ou bien pour rénover et fortifier leur foi au Christ et leur adhésion à l'Eglise ? Sont-ils ici comme des touristes curieux, ou bien comme des fils désireux d'avoir quelque expérience de la vertu secrète qui fait d'eux des disciples authentiques du Christ, des disciples attentifs de l'Evangile, et même des apôtres ?

Nous croyons qu'il en est ainsi. Si, par exemple, Nous vous disions d'une manière plus développée ce que l'Eglise pense aujourd'hui de vous, de chacun de vous, accepteriez-vous son jugement comme une définition qui vous engage ? Nous Nous bornerons à dire ceci : l'Eglise voit en vous des chrétiens authentiques, appelés à cette forme d'amour envers le Christ et son Eglise qui s'explicite dans l'action ou, comme on dit couramment aujourd'hui, dans l'apostolat. Etes-vous prêts, êtes-vous disponibles pour professer cette forme d'amour qu'est l'action, l'apostolat ? La perspective de l'action, de l'apostolat, fait peur à beaucoup. Qui peut s'estimer capable d'agir pour le nom du Christ ? Combien se tiennent sur la défensive quand on leur demande de donner quelque chose d'eux-mêmes ? Quelle résistance opposeraient-ils si, avec l'Eglise, Nous répétions cette parole de saint Paul : « Je ne vous demande pas vos biens, mais vous-mêmes » (2Co 12,14) ?

Cela est compréhensible. Mais faites attention. C'est encore saint Paul qui offre la solution à notre perplexité devant la vocation à l'apostolat, c'est-à-dire à la fonction qu'est appelé à remplir le chrétien inséré dans la communauté ecclésiale. Saint Paul nous enseigne la diversité, la pluralité des formes selon lesquelles un chrétien peut coopérer au bien général de la cause du Christ. Il insiste sur l'image du corps dont les membres sont nombreux, les fonctions différentes, le bien unique et qui est organisé dans la variété (cf. 1Ch 12,12 s.). Le Concile rappelle cet enseignement à propos des laïcs et, pour plus de clarté, il le simplifie en affirmant qu'il y a deux domaines dans lesquels les laïcs peuvent exercer leur apostolat multiforme : le domaine interne de l'Eglise et le domaine externe (cf. Ap. Act. AA 9-10). Cette division élémentaire est très importante parce qu'elle supprime beaucoup d'hésitations et qu'elle permet d'expliquer les attitudes différentes selon lesquelles chacun, suivant son tempérament et sa préparation, peut collaborer à l'apostolat.


L'apostolat interne


Portant maintenant notre attention sur la collaboration apostolique au sein de l'Eglise, Nous devrons faire remarquer que celle-ci est ouverte à tous, tandis que l'activité extérieure n'est pas toujours accessible pratiquement à tous. Chacun, en effet, quels que soient son âge et sa condition, peut et doit offrir sa contribution d'amour actif envers le Christ et son Eglise en adhérant résolument à une ou plusieurs des nombreuses formes d'activité qui alimentent la ferveur, la spiritualité, l'efficacité, la cohésion organisée de la communauté réunie authentiquement autour du nom du Christ, c'est-à-dire de l'Eglise.

Il est surtout important de découvrir le caractère communautaire, organisé, non seulement idéal et spirituel, mais visible, concret, institutionnel (comme on dit aujourd'hui) de l'Eglise, et de donner à cette Eglise sociale — qui reflète et continue le mystère de l'Incarnation et qui n'est pas sans limites ni défauts, car elle est humaine — son adhésion fidèle et cordiale. Voilà le premier apostolat. Que chacun se demande quel est le degré de son adhésion. Est-elle totale ou partielle, sincère ou ambiguë, aimante ou méprisante, active ou inerte, stable ou intermittente, confiante ou méfiante, etc. ? Et qu'il se demande aussi s'il a une conception exacte de cette expression première de la communauté chrétienne qu'est la paroisse, sa paroisse ; et si, en bon fidèle, il fait quelque chose pour cet organe ecclésial, première source autorisée et responsable de la parole de Dieu et de la grâce du Christ, ne serait-ce que par son affection, sa fréquentation, son aide.

C'est là un deuxième degré d'apostolat, dont personne n'est incapable et auquel personne ne devrait se soustraire. Si nous parvenons à donner à l'institution paroissiale sa plénitude de prière et de charité, d'organisation et de solidarité, de conscience ecclésiale et d'action bienfaisante et pédagogique, nous aurons déjà accompli une grande, moderne et excellente oeuvre d'apostolat. Et l'on voit comment tous peuvent y collaborer; il est merveilleux que les plus petits soient les premiers à donner à la paroisse son sens apostolique profond. Les enfants qui fréquentent le catéchisme, qui y ont un patronage — cette magnifique institution polyvalente, à la fois pédagogique, récréative, religieuse, sociale — qui font partie des associations prévues pour eux et égayent les fêtes de la communauté, exercent eux aussi un apostolat interne de qualité et très méritant.

Que dirons-Nous des pauvres qui honorent la paroisse de leur patience et qui acceptent l'humble pain du curé ? Ne donnent-ils pas à l'Eglise l'auréole apostolique de la charité ? Que dirons-Nous des malades qui acceptent de la paroisse amitié et assistance ; des chômeurs, de tous ceux qui sont dans le besoin, qui, en donnant leur confiance à ce centre de charité, incapable certes de répondre à tous d'une manière adéquate, font à leur manière l'apologie la meilleure de l'Eglise du Christ, de l'Eglise des Pauvres ?

Nous n'en finirions pas de parler de l'apostolat interne de l'Eglise si Nous voulions rappeler tout l'ensemble de l'organisation dont dispose aujourd'hui la communauté catholique, de l'apostolat de la prière à l'Action catholique, et spécialement aux associations de toutes sortes comme les scouts, les bibliothèques paroissiales, la société de Saint-Vincent de Paul, les groupes sportifs, etc. Celui qui donne son adhésion, son travail, son obole, sa prière, son coeur à ces formes multiples d'activité excellente et qualifiée accomplit une très belle oeuvre d'apostolat. Nous voudrions vous parler de la famille chrétienne, conçue et organisée comme une communauté d'amour chrétien, d'éducation humaine et religieuse, de témoignage moral et spirituel, pour lui appliquer le grand éloge qu'elle a mérité du Concile précisément en tant que foyer d'apostolat (cf. Ap. Act. AA 11 AA 30, etc.). Mais qu'il suffise ici d'en avoir fait mention pour illustrer par un argument irréfutable cette thèse si simple : nous sommes tous appelés aujourd'hui à l'apostolat, et vous laïcs, vous y êtes spécialement exhortés. Tous, au moins d'une certaine manière et dans une certaine mesure au sein de l'Eglise, nous le pouvons, nous le devons. Et que vous y aide Notre Bénédiction apostolique.






Catéchèses Paul VI 17468