Catéchèses Paul VI 22568

22 mai 1968 : FORMES DE L'APOSTOLAT EXTERIEUR DE L'EGLISE

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Chers Fils et Chères Filles,



Nous devons vous parler encore de l'apostolat, c'est-à-dire de la mission qui appartient en propre à l'Eglise, et donc à tous les membres de l'Eglise, de travailler au salut du monde, au salut de tous les hommes. L'Eglise, qui est à la fois le moyen et le but de l'apostolat, considère ce problème comme primordial, spécialement après les enseignements que le Concile nous a donnés sur la nature et la mission de l'Eglise. Nous ne pouvons pas l'oublier. Beaucoup de chrétiens se font encore une idée trop individualiste de leur religion. Or, l'Eglise vivante leur rappelle non seulement le sens communautaire propre à la société des croyants et des disciples du Christ, mais aussi le caractère et l'obligation missionnaire de la vocation chrétienne, conséquence du baptême et de la participation à la vie historique, sociale et dynamique du peuple de Dieu. Nous aurons encore beaucoup de choses à dire sur l'apport d'activité de chaque fidèle au sein de la communauté ecclésiale. Les besoins qu'elle dénonce continuellement ; les services qui lui sont nécessaires pour sa dignité, son authenticité, son efficacité ; la pluralité des formes d'action admises au sein de la famille des croyants ; son devoir de se rajeunir sans cesse, soit en tirant de son propre génie apostolique de nouvelles formes d'activités bienfaisantes pour son salut et celui des autres, soit en cherchant à utiliser les moyens modernes permettant d'assurer d'une façon efficace la diffusion des idées et la formation des âmes, tout cela donnerait matière à parler de tant d'activités apostoliques qui attendent toujours des bons fils de l'Eglise les ouvriers de sa construction pratique et effective, aussi bien dans le domaine de la vie proprement religieuse — comme l'enseignement religieux, les retraites et les exercices spirituels, l'apostolat de la souffrance, la propagande missionnaire, l'action liturgique, la formation au chant sacré — que dans tant d'autres domaines et en premier lieu dans l'école catholique, puis dans la presse catholique, la littérature et la culture catholiques, la charité sous ses multiples formes (assistance, services sanitaires, bienfaisance), l'art chrétien, la promotion sociale des classes défavorisées ; sans oublier les domaines qui pourraient être considérés comme profanes en eux-mêmes (le tourisme, le sport, les spectacles, le crédit, etc.) s'ils n'étaient eux aussi spiritualisés et mis au service plus ou moins direct du Royaume de Dieu, de la formation, des âmes, de la charité, en un mot de la vie même de l'Eglise.

Toute cette activité, qui mérite aujourd'hui d'être promue à la dignité d'apostolat, est généralement classée parmi les activités internes de l'Eglise, du moins en raison de sa fin principale.



L'action de l'Eglise doit s'étendre à la société tout entière


Mais qu'en est-il de l'activité extérieure ? L'activité apostolique se limite-t-elle au monde de l'Eglise, ou bien l'action de l'Eglise va-t-elle aussi au-delà de son propre périmètre social ? L'Eglise est-elle une religion ecclésiastique, un « ghetto » privilégié, ou répond-elle à un dessein universel, catholique ? La réponse ne fait aucun doute : l'action de l'Eglise dépasse ses limites institutionnelles; elle doit atteindre la société tout entière ; elle doit donc se traduire en un apostolat extérieur, comme chacun le sait. L'Eglise, en effet, n'a pas été instituée uniquement pour elle-même ; elle n'est pas une société close ; le Christ lui a ouvert toutes les voies du monde ; saint Paul est l'apôtre des « Gentils », celui qui intentionnellement et effectivement a fait du monde entier l'objet de l'apostolat chrétien. L'Eglise de notre temps, l'Eglise du Concile, ne s'est pas seulement définie comme missionnaire, mais elle a proclamé d'une manière explicite et catégorique qu'elle était au service du monde, au service de ce monde auquel nous appartenons tous et dont tous nous sentons le manque d'intérêt, l'éloignement, l'indifférence, l'hostilité envers le monde religieux en général, envers le monde chrétien et catholique en particulier.

L'Eglise devant un monde qui affirme ne plus avoir besoin d'elle



Tout le monde n'a peut-être pas pris conscience de l'aspect paradoxal et dramatique de la position de l'Eglise catholique à l'égard du monde, au moment précisément où celui-ci déclare, en paroles et en actes, qu'il n'a plus besoin d'elle, qu'il la considère comme une institution historiquement et culturellement dépassée, voire même encombrante et nuisible. Le laïcisme, c'est-à-dire la volonté de se passer de Dieu, est aujourd'hui la formule en vogue. Le monde affirme aujourd'hui qu'il se suffit à lui-même pour résoudre ses problèmes, pour engendrer un humanisme propre, pour trouver son équilibre, sa morale propre, son interprétation propre de la destinée de l'homme, de son histoire et de sa civilisation. Et il l'affirme avec une telle assurance et d'une façon si péremptoire qu'il rend paradoxale, pour ne pas dire vaine et anachronique, l'insertion de l'Eglise dans le processus de la vie moderne. De là, les formes radicales d'opposition à l'Eglise répandues dans diverses nations et surtout dans divers secteurs de la pensée et de la politique : l'Eglise, dit-on, ne nous intéresse pas. L'athéisme s'affirme ensuite comme la forme religieuse, c'est-à-dire absolue, si l'on peut dire, du laïcisme. Et devant cet état de choses, l'Eglise, avec une audace que l'on pourrait croire naïve si elle n'était pas inspirée, se présente au monde comme apostolique, c'est-à-dire intentionnellement déterminée à exercer sa mission de « sel de la terre », de « lumière du monde » (
Mt 5,14-15).


Etre apostoliquement dans le monde sans être du monde


Très chers Fils, il faut prendre conscience de cette position militante, presque .téméraire, dans laquelle l'Eglise nous situe tous aujourd'hui. Lorsque sa prédication se limitait à dire à ses enfants qu'ils devaient se séparer du monde, elle employait des paroles gênantes (le christianisme a toujours voulu libérer l'homme de la jouissance exclusive du royaume de la terre), mais au fond, elle utilisait un langage plus facile. Aujourd'hui, elle complète évangéliquement sa prédication et elle nous exhorte à être apostoliquement dans le monde, et en même temps à ne pas être du monde (cf. Jn 17,15), ce qui est plus difficile, comme il est plus difficile à un médecin de vivre au milieu des malades pour les guérir sans contracter leurs maladies, ou à un administrateur de gérer la fortune des autres sans se l'approprier d'une manière injuste. Cela veut dire pour chacun de nous qu'il faut être au milieu de notre société telle qu'elle est, pleine de séduction et souvent de corruption, en l'aimant beaucoup, en la servant avec dévouement, sans se laisser assimiler par sa mentalité, par son caractère profane, par son immoralité. L'apostolat pastoral connaît bien ces règles fondamentales de ses contacts avec la vie du monde.


Laïcité et laïcisme


Mais les laïcs, comment doivent-ils se comporter ? Cette question exigerait non pas une, mais plusieurs réponses distinctes. Contentons-nous pour le moment d'une remarque générale préliminaire : l'Eglise d'aujourd'hui, celle de la Constitution Gaudium et Spes, ne craint pas de reconnaître les « valeurs » du monde profane. Elle n'a pas peur d'affirmer ce que Pie XII, Notre prédécesseur de vénérée mémoire, reconnaissait déjà ouvertement : une « légitime et saine laïcité de l'Etat », en laquelle il voyait « l'un des principes de la doctrine catholique » (A.A.S., 1958, p. 220). C'est pourquoi l'Eglise, aujourd'hui, distingue d'une part la laïcité, c'est-à-dire la sphère propre des réalités temporelles régies par leurs principes propres et ayant une relative autonomie correspondant aux exigences intrinsèques de ces réalités (scientifiques, techniques, administratives, politiques, etc.) ; et d'autre part le laïcisme, qui exclut de la société les références morales et pleinement humaines qui postulent des rapports imprescriptibles avec la religion.


L'engagement temporel du chrétien


Aussi, tout en reconnaissant aux laïcs — c'est-à-dire à ceux qui vivent dans la sphère séculière et ne sont pas chargés d'un ministère religieux — le droit d'exercer librement et validement leur activité naturelle et profane, l'Eglise ne les abandonne pas lorsque leur activité a des répercussions sur leur conscience. C'est-à-dire qu'elle ne manque pas de leur donner la double lumière des principes et des fins qui doivent orienter et soutenir la vie humaine en tant que telle. Et c'est en regardant vers cette double lumière avec lucidité et docilité que la vie séculière, les activités profanes, peuvent devenir un modèle, digne d'être pris en considération et imité, qu'elles peuvent devenir un apostolat qui, spécialement par l'exemple, transparaît dans la vie morale et spirituelle du laïc catholique et l'incite constamment à imprimer à son activité temporelle une dignité, une rectitude, une honnêteté, une intention de devoir et de service, une orientation en somme qui y fait, presque sans bruit, resplendir un ordre supérieur, celui voulu par Dieu également dans le domaine des réalités temporelles. Le laïc fidèle et conscient apporte ainsi son témoignage de chrétien; sa probité est son message silencieux, sa façon de servir l'ordre temporel et le bien commun vers lequel doit tendre cet ordre ; elle est son apostolat. L'autonomie du domaine temporel est soustraite à la compétence de l'Eglise (« donnez à César... ») ; ce domaine n'est pas, comme on dit ironiquement, cléricalisé ; mais en même temps il doit s'harmoniser avec les exigences supérieures et complexes de la vision intégrale de l'homme et de son destin supérieur.

C'est là un sujet délicat et inépuisable, mais aujourd'hui on en parle tellement que personne ne peut complètement ignorer cette distinction entre le sacré et le profane. Beaucoup cependant ne savent pas quel équilibre, quel rapport, quelle aide mutuelle peuvent résulter de leur reconnaissance réciproque et respectueuse ; et quelle modération, quelle discrétion, quel respect de la liberté des autres, et en même temps quelle ardeur pour le bien, quelle aide providentielle peut apporter le chrétien qui, au-delà des limites de l'Eglise, va dans le monde avec l'intention d'y répandre la lumière du royaume de Dieu.

Que Notre Bénédiction Apostolique aille vers ce courageux chrétien-et vers vous tous.





29 mai 1968 : DOCTRINE MARIALE DU CONCILE

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Chers Fils et Chères Filles,



Notre pensée se tourne aujourd'hui vers la très Sainte Vierge Marie, que la piété populaire de l'Eglise honore d'une façon particulière pendant le mois de mai. Et ce mois, où le printemps de la nature s'unit au printemps religieux qui devrait fleurir dans nos âmes en contemplant et en vénérant la plus belle fleur de l'humanité rachetée par le Christ, nous ne voudrions pas qu'il se termine sans renouveler notre dévotion envers Marie, la Vierge Mère du Christ et notre Mère spirituelle.

Et cela dans l'esprit du Concile dont s'inspirent habituellement Nos exhortations hebdomadaires. Nous savons tous que dans le huitième et dernier chapitre de la grande Constitution dogmatique sur l'Eglise, le Concile a placé comme au sommet de cette merveilleuse construction doctrinale la douce et lumineuse figure de Marie. Et cela suffit pour que nous nous sentions tous obligés, également par l'autorité rénovatrice du Concile, à renouveler notre culte marial. Le Concile n'a pas voulu exposer de nouveaux dogmes sur Marie, de même qu'il n'a pas voulu dire tout ce qu'on pourrait dire d'elle ; mais il a présenté la Très Sainte Vierge Marie d'une façon, et avec des titres tels que quiconque est fidèle aux enseignements du Concile doit non seulement se sentir réconforté dans la profession de la prière mariale que l'Eglise catholique a toujours tellement tenue en honneur et entourée de ferveur, mais se sentir invité à modeler sa dévotion sur les perspectives larges, authentiques et enthousiastes que la dense et magnifique page conciliaire offre à la contemplation et à la dévotion du chrétien avisé.

Quelles sont ces perspectives ? Il est difficile de répondre tant est immense et profond le ciel où Marie apparaît dans le cadre de la doctrine conciliaire. Nous n'avons rien de mieux à suggérer aux plus résolus et aux plus intelligents de Nos auditeurs que de relire et de méditer ce chapitre VIII : c'est un recueil de trésors, dont chacun mériterait un développement doctrinal et spirituel. Mais pour ne pas manquer de proposer une notion récapitulative élémentaire à laquelle devra se conformer notre culte marial rénové, Nous dirons, avant tout que Marie nous est présentée par le Concile non comme une figure solitaire se détachant sur un ciel vide, mais comme une créature sans égale, très belle et très sainte, précisément en raison des relations divines et mystérieuses qui l'entourent, qui définissent son être unique et qui la remplissent d'une lumière qu'il ne nous est pas donné d'admirer ailleurs dans une simple créature, dans une soeur de notre humanité. Chacun de nous, dans l'ordre de la création et de la grâce, se trouve dans des relations déterminées avec la divinité. En Marie, ces relations s'élèvent à un degré de plénitude indescriptible; les paroles qui l'expriment sont si denses qu'elles s'enfoncent dans le mystère ; nous les connaissons pourtant, mais écoutons-les telles que les énonce le Concile : Marie « reçoit cette immense charge et dignité d'être la Mère du Fils de Dieu [fait homme] et, par conséquent, la fille de prédilection du Père et le sanctuaire du Saint-Esprit, don d'une grâce exceptionnelle qui la met bien loin au-dessus de toutes les créatures dans le ciel et sur la terre » (Lumen gentium
LG 53). On ne peut la contempler sans voir et adorer le cadre divin, trinitaire, dans lequel elle se situe : la transcendance divine resplendit devant nos yeux, éblouis de pouvoir, en quelque sorte, contempler Celle qui, comme nous, est « descendante d'Adam » (ibid. LG 53) ; et c'est cette accessibilité qui explique peut-être la priorité pratique que souvent le culte marial prend dans la vie religieuse de beaucoup de chrétiens, pour lesquels c'est un réconfort instinctif, plutôt que de voler plus loin, de s'arrêter à Marie, comme à Celle qui appartient à notre histoire et est le mieux à la portée de notre expérience humaine et religieuse. Mais Marie, dans son vol transcendant, nous entraîne ensuite vers Dieu. Rappelez-vous le Magnificat.


Marie, créature sans égale, éminente par référence au Christ


Et puis, la Sainte Vierge — qui ne le sait ? — est tout entière du Christ : elle est de lui, pour lui, avec lui. Nous ne pouvons, ne serait-ce qu'un instant, oublier cette autre relation qui définit Marie, Mère de Jésus, vivifiée par sa parole et vivant d'elle, associée à sa passion. Cette relation explique toutes ses prérogatives, toute sa grandeur, tous les titres qu'elle a à notre vénération sans borne, à notre amour, à notre confiance. Le Concile nous donne de multiples enseignements au sujet du rang privilégié et de la fonction unique de Marie dans le mystère du Christ. De même que nous ne pouvons nous faire une idée du Christ sans nous référer aux suprêmes vérités évangéliques de son incarnation et de sa rédemption, de même nous ne pouvons faire abstraction de la présence et du ministère que, dans la réalité de ces faits évangéliques, Marie a été appelée à remplir. Aucune créature humaine n'a été plus proche du Christ, plus sienne et plus comblée de sa grâce ; aucune n'a été aussi unie au Christ que Marie sa Mère, et aucune n'a été aussi aimée du Christ que celle qui l'engendra virginalement par l'action du Saint-Esprit, Celle qui accueillit sa parole avec ce fiat par lequel se trouve marquée toute la vie de la Sainte Vierge, Celle qui participa volontairement à tout le mystère de salut du Christ (cf. Lumen gentium LG 61). Personne n'eut autant de foi dans le Christ « bienheureuse Celle qui a cru » (Lc 1,45, etc). Personne n'eut, autant qu'elle, confiance dans la bonté agissante de Jésus (cf. Jn 2,5). Personne, il est facile de le croire, n'eut autant d'amour pour le Christ que sa Mère, non seulement à cause du lien unique qui unit toujours une mère au fruit de ses entrailles, mais aussi à cause de la charité de l'Esprit-Saint qui fut en elle le principe aimant et vivifiant de sa divine maternité, qui l'associa à la passion de son Fils, et qui à la Pentecôte emplit son coeur au point de faire d'elle la Mère spirituelle de l'Eglise naissante, et même la Mère de l'Eglise tout au long des siècles, cette Eglise à laquelle nous appartenons. Et nous sommes heureux de pouvoir lui donner le titre qu'elle prophétisa pour elle-même. « Toutes les nations me diront bienheureuse » (Lc 1,48). Oui, bienheureuse es-tu, Marie, à qui nous avons eu le bonheur immérité d'attribuer explicitement le titre que les siècles chrétiens t'ont toujours reconnu, non dans l'ordre sacramentel, cause de la grâce, mais dans l'ordre de la communion expansive qui est propre au Corps mystique, dans l'ordre de la charité et de la grâce (cf. Lumen gentium LG 56 LG 61 LG 63) : le titre de « Mère de l'Eglise ».

Et ainsi notre culte marial, christocentrique, prend une dimension ecclésiale. Le Concile, en rappelant l'une des louanges les plus hautes et les plus caractéristiques que lui attribuèrent les Pères — parmi lesquels Nous rappelons volontiers saint Ambroise (dans LC 2,7 P.L., XV, 1555) — voit en Marie la figure de l'Eglise et l'exemple éminent des vertus chrétiennes fondamentales, la foi spécialement et l'obéissance à la volonté divine (cf. Lumen gentium LG 63), la première à coopérer « à la naissance et à l'éducation » des frères du Christ avec « son amour maternel » (ibid. LG 63), « signe d'espérance assurée et de consolation devant le Peuple de Dieu en pèlerinage, en attendant le jour du Seigneur » (ibid. n. LG 68).

Très chers fils, ouvrons nos âmes à l'enchantement de cette douce et réconfortante vision. Elle ne nous fait pas oublier l'image triste et impressionnante que nous donne la situation actuelle du monde, mais elle nous éclaire pour nous en montrer les dangers et la façon d'y parer, pour nous en montrer les maux et le remède, c'est-à-dire l'amour et la confiance dans le Christ qui a rendu les hommes frères et leur a apporté, même s'ils sont dans l'erreur ou le refus, un salut toujours possible et victorieux. Et que Notre Bénédiction obtienne pour tous la bénédiction douce et puissante de la Sainte Vierge


Salutations:


Chers Fils de la Société des Missions Africaines,

Nous sommes heureux de pouvoir vous accueillir au terme de la première session de votre douzième chapitre général qui vient de vous réunir à Rome pendant plus d’un mois.

A tous Nous souhaitons la bienvenue, à tous va Notre salut paternel et affectueux. Au Supérieur général, confirmé dans sa charge, à ceux qui le secondent dans sa tâche, à vous tous qui représentez les quelque mille sept cent cinquante membres de votre Société, Nous désirons présenter Nos félicitations pour le travail généreusement entrepris ainsi que Nos encouragements pour ce que vous vous proposez de faire par la suite.

Cette session vous aura permis de procéder à l’adaptation et au renouveau de votre Institut, de vous conformer ainsi aux voeux et directives du Concile, de mieux répondre aussi à l’attente des hommes vers lesquels vous êtes envoyés, au nom du Christ et de l’Eglise, en mission. Ce monde au sein duquel, avec tout le Peuple de Dieu, vous voulez être comme un levain, un sel et une lumière, ce monde est en proie à des mutations profondes qui affectent son être intime et déterminent son avenir. Partout où votre Société est à l’oeuvre, tant parmi les gens de couleur des Etats-Unis d’Amérique que parmi les populations de l’Afrique noire, vous êtes les témoins de cette lente naissance d’une humanité nouvelle. Ces transformations peuvent éventuellement demander à l’Eglise dans son ensemble, et en particulier aux congrégations missionnaires telles que la vôtre, des modes de présence ou d’insertion inédits. Mais toujours le but restera le même, toujours il sera une réponse à l’ordre de mission que le Seigneur a donné à ses apôtres et à travers eux à l’Eglise de tous les temps: «Allez, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit . . .» (Mt 28,19-20).

En vous appuyant sur les documents conciliaires, en suivant ce que Nous avons dit dans l’Encyclique sur le développement des peuples et dans Notre Message aux peuples d’Afrique, vous trouverez les voies et les moyens les plus aptes à demeurer fidèles à la fois à la mission confiée par le Christ à son Englise et à l’orientation spécifique que Monseigneur de Marion Brésillac, le glorieux fondateur de votre Société, a voulu imprimer à votre apostolat.

C’est dans ces sentiments, chers Fils des Missions Africaines, que Nous invoquons bien volontiers sur vous et sur ceux que vous représentez, une particulière abondance de grâces, en gage desquelles Nous accordons à tous et à chacun une particulière Bénédiction Apostolique.




5 juin 1968 : UTILITE DE LA FOI DANS LE MONDE MODERNE

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Chers Fils et Filles,



Au moment où nous approchons de la fin de cette année que Nous avons consacrée à la foi, en raison du centenaire des grands Apôtres et Martyrs du témoignage du message chrétien à ses origines, Pierre et Paul, de multiples questions peuvent surgir en nous: avons-nous, par exemple, pris au sérieux l'invitation à réfléchir sur cette affaire capitale qu'est la foi pour l'orientation de notre vie, pour le dilemme fatal d'un oui ou d'un non qui se pose pour notre destin, non seulement religieux mais aussi existentiel (rappelez-vous les paroles du Christ rapportées par l'Evangéliste saint , « Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé; celui qui ne croira pas sera condamné » (
Mc 16,16). Avons-nous éclairci, pour nous-mêmes, quelque idée sur cette question si élémentaire mais en même temps si profonde et si complexe ? Avons-nous été capables de formuler quelque résolution concernant notre foi, à l'occasion de la commémoration du centenaire qui vient d'être rappelé, en face de la problématique formidable et chaotique du moment présent de l'histoire ?

La foi, don de la grâce, acte de la pensée à la recherche de la vérité et geste décisif de notre volonté, reste toujours source de problèmes vitaux. Et puis, la foi, ensemble objectif de vérités sublimes qui dépassent notre capacité intellectuelle, semble si différente et si éloignée du champ de nos connaissances ordinaires ! Elle n'est pas acquise une fois pour toutes et elle n'est pas épuisée par les quelques connaissances que nous avons de son contenu ; elle exige de nous une continuelle présence d'esprit, un assentiment intérieur indéfectible, une conviction de ce qu'elle est : une conquête graduelle (rappelez-vous encore l'exclamation si humaine et si caractéristique de ce père qui implorait pour son fils un miracle du Christ qui en conditionnait l'accord à sa foi : « Oui, je crois, Seigneur, mais viens en aide à mon peu de foi » [Mc 9, 23]). Nous sommes-nous un peu entraînés à cet exercice pénible mais fortifiant ? Notre sentiment religieux dépend aujourd'hui en grande partie d'une conscience vigilante et active dans le sens de l'adhésion à la foi, qui est le piédestal du haut duquel nous contemplons le panorama du monde sous la lumière de Dieu. On peut dire aussi que la foi est la pierre d'achoppement qui arrête nos pas dans la zone obscure des idées personnelles et des faciles apostasies doctrinales. C'est dire que la foi soulève une quantité de questions et d'objections qu'il ne serait ni honnête ni utile d'éluder, si nous voulons être victorieux en elle et par elle : « Et telle est la victoire, écrit l'évangéliste saint Jean, qui a triomphé du monde : notre foi » (1Jn 5,4). Et chacun de nous devrait, pour son propre compte, avec l'aide de bons livres ou de bons maîtres, grâce à une réflexion patiente et prête à accueillir les signes de l'Esprit, grâce aussi à la prière qui invoque la lumière, explorer les difficultés principales et persistantes de la foi qu'il rencontre sur son chemin, souvent difficiles, souvent mystérieuses.

Nous vous présentons, dans ce court et modeste entretien, une objection parmi tant d'autres que la mentalité contemporaine oppose à la foi, et qui est : la foi, à quoi sert-elle ? Habitués comme nous le sommes à juger les choses d'après leur utilité et non d'après ce qu'elles sont intrinsèquement, nous nous demandons facilement, même dans l'ordre de la foi, quel avantage elle nous apporte : elle n'est certainement pas susceptible d'une estimation économique qui lui serait un affront radical. Et quels autres avantages apporte-t-elle si elle constitue dans l'ordre intellectuel un obstacle, une anomalie au développement de notre pensée, habituée aux méthodes positives propres aux sciences physiques et naturelles considérées comme la règle fondamentale de la vérité ? A l'esprit scientifique moderne, la foi apparaît comme privée de la rigueur propre aux sciences exactes ; la nature même de sa connaissance, fondée sur le témoignage, semble déconcerter et mortifier l'autonomie de l'intelligence, férue de découvrir et de contrôler par elle-même les vérités qu'elle possède.


Préférer la vérité à l'utilité


Et pour l'action, à quoi sert la foi ? L'homme moderne est tout entier porté vers l'action, l'action pratique, le travail. Même à ce point de vue, la foi n'est-elle pas un obstacle, une source de doutes et de scrupules, une perte d'énergie intérieure et de temps extérieur ? Objection tout à fait empirique et injuste, mais combien forte, si elle éloigne facilement de l'idée et de la pratique religieuse un si grand nombre de gens qui affirment n'avoir ni l'esprit ni le temps disponible pour se rendre compte par eux-mêmes de la valeur et donc des exigences de la Parole de Dieu : Parole, dont l'histoire a retenti, dont retentit actuellement le monde des consciences et des événements ; Parole qui fait surgir cette même valeur et ces mêmes exigences devant l'homme et devant ses responsabilités.

Il y a une autre catégorie d'objections, qui se sont exprimées dans la littérature contemporaine d'une manière très vive, et qui rejettent la foi précisément à cause de certains avantages qu'elle apporte aux esprits. Ces objections accusent la foi d'offrir des remèdes illusoires qui favorisent la mollesse, la faiblesse des âmes désireuses de rêves réconfortants. Ces soi-disant réconforts de la foi affaibliraient et fascineraient les âmes qui les reçoivent. La beauté même de la foi, dont l'apologétique du siècle passé s'est tant servie, est repoussée parce que trop séduisante : d'après cette critique, la foi est trop belle pour être vraie. Le courage sans préjugés d'un certain humanisme moderne rejette la séduction d'une foi consolatrice. Et ainsi de suite. Ce genre de difficultés, qui contestent l'utilité de la foi, possède un si riche répertoire qu'il est actuellement impossible d'en faire l'inventaire. Vous vous en êtes peut-être aperçu vous aussi qui vivez dans notre temps.

Mais Nous voulons nourrir l'espoir, Fils très chers, que, justement en vertu de votre expérience et de votre réflexion, vous aurez trouvé les réponses aux objections auxquelles Nous avons fait allusion, et aux autres du même genre que vous avez pu rencontrer dans votre cheminement intellectuel et spirituel. Ces objections pèchent habituellement par leur simplisme. Elles manquent au respect dû à la vérité, et elles lui préfèrent l'utilité, sans dire que la foi présente des aspects d'une réelle utilité pour la vie intégrale de l'homme, au point qu'on doit la considérer vraiment comme une chance.

Il n'est pas vrai, par exemple, que la foi paralyse la pensée et que ses formules dogmatiques arrêtent la recherche de la vérité. C'est le contraire qui est vrai. Le dogme n'est pas une prison pour la pensée ; c'est une conquête, une certitude qui stimule l'esprit à considérer, à explorer soit son contenu, en général profond jusqu'à l'insondable, soit son développement dans le concert et les conséquences des autres vérités. Intellectus quaerens fidem, l'intelligence exerce sa recherche dans la foi, disait un théologien du moyen-âge, saint Anselme; et il ajoutait : fides quaerens intellectum, la foi a besoin de l'intelligence. La foi fait confiance à l'intelligence, la respecte, l'exige, la défend ; et par le fait même qu'elle l'utilise pour l'étude des vérités divines, elle l'oblige à une honnêteté absolue de pensée, à un effort qui ne l'affaiblit pas mais la renforce, aussi bien dans l'ordre spéculatif naturel que dans le surnaturel.


La foi : principe dynamique


De même, il n'est pas vrai que la foi soit une entrave à l'action. A ce point de vue aussi, c'est le contraire qui est vrai : la foi exige l'action, elle est un principe dynamique de moralité (justus ex fide vivit), l'homme inspire sa propre vie d'après sa foi. C'est une expression synthétique de la pensée de saint Paul (He 10,38), et saint Jacques précise : « La foi, si elle n'a pas les oeuvres, est tout à faire morte » (Jc 2,17). La foi comporte une exigence d'action qui débouche dans la charité, c'est-à-dire d'action mue par l'amour de Dieu et du prochain.

On ne peut donc pas soutenir le refus dédaigneux de la foi, comme si elle était un soporifique artificiel pour la douleur humaine et un mythe fallacieux qui écarte l'homme des réalités de la vie : oui, la foi est une vérité splendide et consolante parce qu'elle nous révèle les desseins admirables de la bonté divine, non point pour endormir l'homme dans ses dangers et dans ses tourments, mais bien pour lui donner la conscience et l'énergie afin qu'il les supporte avec une force virile. Elle écarte le désespoir, le scepticisme, la rébellion qui envahissent l'homme moderne aujourd'hui, parce qu'il n'est plus soutenu par la foi, et elle lui donne plutôt le sens de la vie et des choses, l'espérance dans l'action sage et honnête, la force de souffrir et d'aimer.

Oui, la foi sert à quelque chose ; à quoi ? à notre salut.

Soyez-en sûrs, Fils très chers, avec Notre Bénédiction.




12 juin 1968 : CROIRE EN DIEU

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Chers fils et Filles,



Ce sont les paroles du Christ qui viennent sur nos lèvres pour vous, chers visiteurs, chers pèlerins de cette tombe de l'Apôtre Pierre, paroles dites aux disciples pendant la dernière Cène au moment où ils n'étaient plus que onze après le départ du traître : « Que votre coeur cesse de se troubler. Croyez en Dieu et aussi en moi » (
Jn 14,1). Oui, c'est ce que nous désirons pour vous, c'est ce que nous vous recommandons : ayez foi en Dieu, et ayez foi dans le Christ. C'est le thème de l'année qui, avec la fin de ce mois, va se conclure, et que nous avons appelée l'année de la foi, en mémoire et en l'honneur du centenaire du martyre des saints Apôtres Pierre et Paul.


Des noms nouveaux et étranges


En disant ces paroles solennelles et bénies, Nous Nous rendons compte du contraste qu'elles présentent avec les idées courantes du monde contemporain sur le saint nom de Dieu, et qui, comme une vague terrible, submergent la foi de tant d'hommes de notre temps. Ces idées, vous en entendrez certainement parler et peut-être vous les sentirez s'imprimer violemment dans vos esprits, ou encore s'insinuer avec une séduction logique et convaincante. Elles sont nombreuses, graves et compliquées, et prennent des noms nouveaux et étranges : sécularisation, démythisation, désacralisation globale, et finalement athéisme, et antithéisme, c'est-à-dire absence ou négation de Dieu, aux cent visages elle aussi, selon les écoles philosophiques dont dérive ce refus de Dieu, selon les mouvements sociaux et politiques qui le défendent et le promeuvent, ou selon la négligence pratique de tout sentiment et de tout devoir religieux.

Ce tourbillon ténébreux investit aujourd'hui la foi en Dieu ! Au point que Nous pouvons tout résumer en une question : est-il encore possible aujourd'hui de croire en Dieu ? Question formidable, qui exigerait des volumes pour y répondre. Mais Nous la proposons ici non pas tellement pour la discuter, comme il faudrait le faire dans un exposé adéquat, mais pour vous rappeler les paroles déjà mentionnées du Christ : N'ayez pas peur, ayez foi. Il Nous suffit maintenant de vous rassurer par l'exhortation du divin Maître : oui ; il est encore possible de croire aujourd'hui en Dieu et dans le Christ. Nous pouvons même pousser cette affirmation plus loin : aujourd'hui il y a plus de possibilité qu'hier d'avoir foi en Dieu, s'il est vrai qu'aujourd'hui l'intelligence humaine est plus développée, plus formée à la réflexion, plus portée à rechercher les raisons intimes et ultimes de chaque chose.


Savoir bien penser : préalable à une vraie connaissance de Dieu


Parce que tout est là : savoir bien penser. Quand nous disons cela, il faut se rappeler que dans cette grande question, le mot foi est employé par nous dans sa première signification, connaissance naturelle de Dieu, c'est-à-dire cette connaissance que nous pouvons avoir de sa divinité par les forces ordinaires de notre intelligence ; parce que, si nous parlons de foi comme de la vraie connaissance surnaturelle de Dieu, dérivée de sa révélation, alors les forces ordinaires de notre intelligence sont nécessaires et servent bien sûr, mais ne suffisent pas ; elles doivent être aidées par une aide spéciale de Dieu lui-même, que nous appelons grâce ; la foi est alors un don, que Dieu lui-même nous concède ; c'est cette vertu théologale, qui, tout en restant dans l'obscurité du mystère qui entoure toujours Dieu, nous donne la certitude et la joie de si nombreuses vérités sur lui. Prêtons maintenant attention à la première signification que nous pouvons appeler la connaissance rationnelle de certaines vérités religieuses, et première entre toutes, celle de l'existence de Dieu qui est la vérité aujourd'hui tant discutée et tant attaquée.

Nous soutenons que c'est une vérité fondamentale et qui n'est pas vaincue par les innombrables objections qui lui sont opposées. Faisons attention : une chose est affirmer que Dieu existe, une autre serait d'affirmer Qui Il est ; nous pouvons connaître avec certitude l'existence de Dieu, nous connaissons, au contraire toujours assez mal, l'essence de Dieu, qui Il est (cf. S. Thomas, Summa c. Gentes, SCG 1,14).

Et pour arriver à la certitude de cette existence ineffable et souveraine, il suffit, disions-nous, de bien penser. L'enseignement explicite du Concile du Vatican I, nous en donne la garantie, lorsque, reprenant la doctrine ancienne de l'Eglise et, pouvons-nous ajouter, de la philosophie humaine, il affirme que « Dieu, principe et fin de toute chose », peut être connu avec sécurité par la lumière naturelle de la raison à travers les choses créées » (Denzinger S. DS 3004). Pourquoi alors, tant d'hommes, même très cultivés disent-ils le contraire ? Parce que, répondons-nous, ils n'emploient pas leur intelligence selon les lois authentiques de la pensée à la recherche de la vérité.

Nous savons que ce que nous disons est grave. Mais c'est vrai. On pourrait ouvrir une discussion sans fin sur le devoir et sur l'art de bien penser, selon les exigences et les critères de l'authentique sagesse humaine et selon la logique réclamée par la science même et par le cours honnête et correct du sens commun. Cette ligne de la pensée religieuse, qui semble pourtant obvie et inscrite tant dans l'intelligence saine de l'homme que dans le rapport des vérités qu'elle réussit à établir avec les choses connues, est aujourd'hui contestée comme une prétention enfantine et dépassée, alors qu'elle est et sera toujours le chemin royal, qui conduit immanquablement l'esprit humain du monde sensible et scientifique au seuil du monde divin.


Civilisation technique et foi


Laissons de côté la mention qui devrait être faite des systèmes philosophiques relatifs à ce problème essentiel. Le caractère élémentaire de notre colloque nous empêche de le faire. Mais nous nous contenterons d'insister sur un des obstacles majeurs qui arrêtent aujourd'hui le raisonnement vers son but qui est Dieu et qui donne sens et valeur à tout le savoir humain ; nous voulons parler de la mentalité technique, qui a ses racines dans la mentalité scientifique et qui se complaît dans le couronnement de l'ensemble merveilleux des instruments innombrables et puissants mis dans les mains de l'homme, fier de ses inventions, libéré de ses fatigues, projeté dans le règne de la science-fiction, où tout semble explicable et tout possible, sans recourir ni par la pensée, ni par la prière, à un Dieu transcendant et mystérieux. La maîtrise des choses et des forces naturelles, le primat reconnu à l'action pratique et utile, l'organisation totalement nouvelle de la vie, résultant de l'emploi multiforme de la technique enlèvent à l'homme le souvenir de Dieu et éteignent en lui le besoin de la foi et de la religion. Déjà notre prédécesseur Pie XII, dans une admirable analyse de ce thème, traité au cours du radiomessage de Noël en 1953, parlait de l'« esprit technique », dont est imbue la mentalité moderne ; et il le définissait « en ceci, que l'on considère comme donnant à la vie humaine sa plus haute valeur, le fait de tirer le plus grand profit des forces et des éléments de la nature » (Discorsi e Rad. XV, p. 552). Et encore : « Le concept technique de la vie n'est donc rien d'autre qu'une forme particulière du matérialisme dans la mesure où il offre, comme ultime réponse à la question de l'existence, une formule mathématique, un calcul utilitaire » (ibid. p. 527).

Mais si, comme a reconnu le Concile, cela « peut souvent rendre plus difficile l'accès à Dieu » (Gaudium et spes GS 19), cela ne l'empêche pas, et même devrait le faciliter par le stimulant de la découverte des profondeurs existentielles de la nature et par l'expérience de l'intelligence humaine qui n'invente pas ces profondeurs, mais qui les découvre et les utilise. Il s'agit de garder les yeux ouverts, d'utiliser son intelligence, comme c'est son pouvoir et son devoir, pour regarder par delà l'écran du sensible et pour rechercher les causes essentielles et finales des choses.

Alors la transparence du règne divin se révèle, et loin de déprécier le règne de la nature et de la science qui l'explore, et la technique qui le domine, elle illumine ces valeurs merveilleuses d'une beauté nouvelle et libératrice, qui enlève au monde technologique ce sens d'organisation oppressive et d'angoisse, qui dérive des limites propres du milieu matérialiste, et qui justement en ces jours éclate en une rébellion violente et irrationnelle presque comme si c'était pour dénoncer l'impuissance radicale de notre civilisation désacralisée à satisfaire les exigences inaliénables de l'esprit humain. Dieu est nécessaire, comme le soleil.

Et si nous avons tant de difficultés, nous modernes, à nous rendre compte de cela, c'est le signe que nous devons purifier le concept banal et faux, que nous avons souvent de la divinité, et tenter inlassablement l'effort de donner au nom de Dieu la richesse infinie de sa transcendance et la douceur ineffable, pleine de révérence et d'amour de son omniprésence, de son immanence. Nous devons « croire en Dieu ».

Mais n'est-il pas trop difficile pour nous cet effort, auquel la mentalité moderne nous a déshabitués, jusqu'à nous habituer au cri de blasphème de notre cécité : Dieu est mort ?

Il est difficile. Mais voici que vient le Maître qui ajoute : « croyez aussi en moi ». Le Christ nous habilite à la foi, naturelle et surnaturelle. Saint Augustin nous le rappelle : « Pour que (l'homme) avance avec plus de confiance vers la vérité, la Vérité même, Dieu Fils de Dieu, fait homme, sans cesser d'être Dieu, établit... et fonda la foi, afin que le cheminement de l'homme vers Dieu fût ouvert à l'homme à travers l'homme Dieu. Celui-ci est en effet le médiateur entre Dieu et les hommes, l'homme Christ Jésus » (De civ. Dei, XI, 2, P.L. 41, 318).

Ecoutez à nouveau, Fils très chers, sa voix : « Croyez en Dieu, et croyez aussi en moi ». C'est la voix de la vérité et du salut. Méditez-la. Avec Notre Bénédiction Apostolique.





Catéchèses Paul VI 22568