Catéchèses Paul VI 25669

25 juin 1969: L’AUTHENTICITE DOCTRINALE NE DOIT PAS ETRE ALTEREE PAR LE DESIR DE SIMPLIFICATION

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Chers Fils et Filles,



Il Nous semble que notre devoir est encore de réfléchir sur le Concile au cours de ces brèves conversations que sont les audiences générales. Et maintenant Nous le faisons sans remonter à ses enseignements divers et spécifiques, mais en faisant quelques observations de caractère très général. Celle-ci, par exemple, que tous peuvent faire par eux-mêmes : le Concile a créé dans le peuple chrétien une mentalité, sa mentalité propre. Il est clair qu'à l'origine de cette mentalité on trouve une conviction très forte, un postulat, une idée fondamentale que les uns considèrent comme déjà acquise ; d'autres, plus prudents, comme à acquérir. Et cette conviction est que le Concile demande un engagement chrétien plus sérieux, plus authentique, plus vrai. Un approfondissement dans la sincérité. Cette idée, avons-nous dit, est très juste. Nous pouvons et devons la faire nôtre, parce que c'est d'elle qu'est parti le Concile, de même que de cette aspiration à une interprétation parfaite de la vie chrétienne, aussi bien dans la pensée que dans l'action, surgit sans cesse l'action enseignante, sanctificatrice et pastorale, de l'Eglise. Mais, après le Concile, comment s'exprime cette nouvelle mentalité ? Vers quoi va sa recherche d'un christianisme authentique, vivant et adapté à notre temps ? Elle s'exprime de différentes manières. L'une d'elles est de croire désormais facile l'adhésion au christianisme, et donc de tendre à le rendre facile.


Simplifier et spiritualiser


Un christianisme facile : cela nous semble une des aspirations plus évidentes et plus répandues, après le Concile. Facilité: la parole est séduisante ; elle est acceptable, dans un certain sens, mais elle peut être ambiguë. Elle peut constituer une très belle apologie de la vie chrétienne, si on la comprend bien ; elle pourrait également être un déguisement, une conception de laisser-aller, un « minimisme » fatal. Il faut bien prendre garde.

Il est hors de doute que le message chrétien se présente dès le début, dans son essence, dans son intention salvatrice, dans les dessein miséricordieux qui le pénètre, comme facile, heureux, acceptable et supportable. C'est une des certitudes les plus fermes et les plus réconfortantes de notre religion. Oui, bien compris, le christianisme est facile. Il faut le penser, le présenter, le vivre comme tel. Jésus lui-même l'a dit : « Mon joug est doux, et mon fardeau léger » (
Mt 11,30). Il l'a répété, dans ses reproches aux Pharisiens, méticuleux et intransigeants : « Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens » (Mt 23,4 cf. Mt 15,2 et ss.). Et une des idées maîtresses de saint Paul ne fut-elle de libérer les nouveaux chrétiens de l'observance difficile, compliquée et désormais superflue, des prescriptions légales de l'ancienne alliance, avant le Christ ?

Il faudrait quelque chose de semblable pour notre époque, qui est orientée vers des conceptions spirituelles simples et fondamentales, synthétiques et accessibles à tous : le Seigneur n'a-t-il pas condensé dans le suprême commandement de l'amour de Dieu et dans celui, qui le suit et en dérive, de l'amour du prochain, « toute la loi et les prophètes » (Mt 22,40) ? La spiritualité de l'homme moderne l'exige, celle des jeunes surtout ; une exigence pratique d'apostolat et de pénétration missionnaire le réclame. Simplifier et spiritualiser, c'est-à-dire rendre facile l'adhésion au christianisme, telle est la mentalité qui semble jaillir du Concile : pas de juridisme, pas de dogmatisme, pas d'ascétisme, pas d'autoritarisme, diton avec beaucoup trop de désinvolture: il faut ouvrir les portes à un christianisme facile. On tend ainsi à émanciper la vie chrétienne de ce qu'on appelle les « structures » ; on tend à donner aux vérités mystérieuses de la foi une possibilité d'expression dans le langage courant et compréhensible à la mentalité moderne, en les libérant des formulations scolastiques traditionnelles et sanctionnées par le magistère autorisé de l'Eglise ; on tend à assimiler notre doctrine catholique à celle des autres conceptions religieuses ; on tend à défaire les liens de la morale chrétienne, qualifiés vulgairement de « tabous » et de ses exigences pratiques de formation pédagogique et d'observance disciplinaire pour donner au chrétien — même s'il est un ministre des « mystères de Dieu » (1Co 4,1 2Co 6,4) ou appelé à la perfection évangélique (cf. Mt 1,21 Lc 14,33) — une soi-disant intégration au mode de vie commun. On veut, Nous le répétons, un christianisme facile, dans la foi et dans les moeurs.


Ce qui est simple ne s'acquiert pas sans effort ni renoncement


Mais ne dépassons-nous pas les limites de l'authenticité à laquelle tous aspirent ? Ce Jésus, qui nous a apporté la Bonne Nouvelle de la bonté, de la joie et de la paix, ne nous a-t-il pas exhorté à passer par « la porte étroite » (Mt 7,13) ? et n'a-t-il pas demandé la foi en sa parole, au-delà de la capacité de notre intelligence (cf. Jn 6,62-67) ? N'a-t-il pas dit que « celui qui est fidèle en peu de choses, l'est également en beaucoup » (Lc 16,10) ? N'a-t-il pas fait consister l'oeuvre de sa rédemption dans le mystère de la Croix, folie et scandale (1Co 1,23) pour ce monde, en ajoutant qu'il faut y participer pour être sauvé ?

Ici la leçon devient longue et difficile. Une question se pose : mais alors le christianisme n'est pas facile ? Alors il n'est pas acceptable par les hommes de ce temps, il ne peut être offert au monde contemporain ? Nous renonçons maintenant à résoudre valablement cette grave difficulté. Nous rappelons seulement que les choses faciles, si elles sont belles, parfaites, et rendues telles en surmontant des obstacles formidables, coûtent toujours cher. Nous pensons par exemple à cette loi qui préside à tous les efforts de la culture et du progrès, quand nous avons l'occasion de voyager en avion : voler, comme c'est facile ! Mais combien d'études, de fatigues, de risques, de sacrifices, cela a coûté !


Pour une religion courageuse


Et puis, pour rester dans notre thème, demandons-nous si le christianisme est fait pour les tempéraments faibles et les personnes à la conscience trop large ? Pour les hommes lâches, tièdes, conformistes, et peu soucieux des exigences austères du Règne de Dieu ? Nous nous demandons aussi parfois s'il ne faut pas chercher parmi les causes de la diminution des vocations à la généreuse suite du Christ, sans réserves et sans retour, celle de la présentation superficielle d'un christianisme édulcoré, sans héroïsme et sans sacrifice, sans la Croix, privé donc de la grandeur morale d'un amour total. Et nous nous demandons encore si parmi les motifs des objections soulevées par l'encyclique « Humanae Vitae » il n'y a pas celle d'une pensée secrète : abolir une loi difficile pour rendre la vie plus facile (Mais si c'est une loi, qui a son fondement en Dieu, que faire ?).

Nous répéterons : oui, le christianisme est facile ; et il est sage, et c'est un devoir d'aplanir tous les chemins qui y conduisent, avec toutes les facilités possibles. Et c'est ce que l'Eglise, après le Concile, essaie de faire de toute manière, mais sans trahir la réalité du christianisme. Celui-ci est vraiment facile à certaines conditions: pour les humbles, qui recourent à l'aide de la grâce, par la prière, par les sacrements, par la confiance en Dieu « qui ne permettra pas — dit saint Paul — que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Avec la tentation il vous donnera le moyen de la supporter » (1Co 10,13) ; pour les courageux, qui savent vouloir et aimer, aimer surtout. Disons avec saint Augustin : le joug du Christ est suave pour qui aime, dur pour qui n'aime pas, « amanti suave est ; non amanti, durum est » (Serm. 30 : PL 38, 192).

Fils très chers, tâchez de faire cette expérience heureuse: rendre la vie chrétienne facile par l'amour ! Avec Notre Bénédiction Apostolique.


Salutations:


Chers Messieurs,

C’est pour Nous une grande joie de vous accueillir ce matin dans notre demeure, vous qui êtes les délégués de l’association des journalistes catholiques de Belgique, et avez à coeur de venir fidèlement Nous remettre le produit des étrennes pontificales pour l’année 1969.

Nous aimons, Mesdames et Messieurs, voir dans votre présence auprès de Nous aujourd’hui un émouvant témoignage de la fidélité de la Belgique catholique au siège de Pierre, un éloquent symbole de sa foi et de sa générosité inébranlables.

Que le Seigneur vous bénisse, qu’il bénisse tous ceux qui vous sont chers, qu’il féconde votre apostolat de la presse si important. A une heure où l’on critique et conteste souvent abusivement, soyez les témoins vivants de la charité qui anime l’Eglise, l’écho de la vie de foi et d’espérance qui l’anime, et les porte-parole de l’amour paternel de l’humble successeur de Pierre pour tous vos frères et vos pasteurs.

A tous, notre affectueuse Bénédiction apostolique.



2 juillet 1969: DONNER AU CHRISTIANISME AUTHENTIQUE DES REFERENCES NOUVELLES

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Chers Fils et Filles,



C'est notre désir d'accueillir les grandes paroles du Concile, celles qui en définissent l'esprit et qui, dans leur synthèse dynamique, forment la mentalité de ceux qui, dans l'Eglise et en dehors d'elle, s'y réfèrent. Une de ces paroles est celle de « nouveauté ». C'est un mot simple, très employé, fort sympathique aux hommes de notre temps. Mis dans un contexte religieux, il est merveilleusement fécond ; mais, mal comprise, cette parole peut devenir explosive. Cependant c'est une parole qui nous a été donnée comme un ordre, un programme. Elle nous fut annoncée comme une espérance, et nous vient de l'Ecriture sainte : « Voici, dit le Seigneur, que je ferai des choses nouvelles ». C'est le prophète Isaïe qui parle ainsi ; S. Paul lui fait écho (
2Co 5,17) et puis l'Apocalypse : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21,5). Et Jésus, le maître, ne fut-il pas un innovateur ? « Vous avez entendu ce qui a été dit par les anciens... Mais moi je vous dis » (Mt 5), répète-t-il dans le discours de la montagne. Le baptême, c'est-à-dire le début de la vie chrétienne, n'est-il pas lui aussi une régénération ? « Nous vivons nous aussi dans une vie nouvelle » (Rm 6,4). Il en est ainsi dans toute la tradition du christianisme, en marche vers sa perfection. Il reprend sans cesse l'idée de nouveauté, quand il parle de conversion, de réforme, d'ascèse, de perfection. Le christianisme est comme un arbre toujours au printemps, avec de nouvelles fleurs, de nouveaux fruits ; sa conception est dynamique, à la vitalité inépuisable, dans la beauté.


L'Eglise présente dans un monde en transformation


Voici comment le Concile s'est présenté exactement. Deux termes l'ont défini : renouvellement (cf. Lumen gentium, LG 8, à la fin ; Optatam totius, introd. OT 1) et « aggiornamento ». Cette dernière expression, que le Pape Jean XXIII a lancée, est entrée désormais dans le langage courant, et pas seulement en Italie (cf. AAS 1963, p. 750) ; ce sont deux termes qui parlent de nouveauté, l'un par référence plutôt au domaine intérieur, spirituel ; l'autre, à l'aspect extérieur, canonique, institutionnel.

Il nous plaît beaucoup que cet « esprit de renouveau » (c'est ainsi que s'exprime le Concile dans Optatam totius, à la fin) soit compris par tous et soit vivant. Il répond à un aspect dominant de notre époque, qui est tout entière en transformations rapides et énormes, c'est-à-dire en mesure de produire des nouveautés dans tous les secteurs de la vie. L'objection surgit immédiatement à l'esprit: tout change mais pas la religion ? Ne se produit-il pas alors entre la réalité de la vie et le christianisme, surtout le catholicisme, une différence, une coupure, une incompréhension réciproque, une hostilité mutuelle ? L'une court, l'autre reste immobile : comment peuvent-ils être d'accord ? Comment le christianisme peut-il influencer aujourd'hui la vie ? Et voilà la raison de la réforme entreprise par l'Eglise, spécialement après le Concile ; voilà l'Episcopat occupé à promouvoir le renouveau correspondant aux besoins présents (cf. par exemple le message de l'Episcopat du Trentin et du Haut Adige au clergé 1967) ; voilà les ordres religieux prêts à réformer leurs statuts ; voilà le laïcat catholique en train de s'insérer dans la vie de l'Eglise ; voilà la réforme liturgique, dont tous connaissent l'extension et l'importance ; voilà l'éducation chrétienne qui réexamine les méthodes de sa pédagogie ; voilà toute la législation canonique en révision rénovatrice.

Et combien d'autres nouveautés consolantes et prometteuses germent dans l'Eglise en attestant sa vitalité nouvelle, qui montrent en ces années si difficiles pour la religion l'assistance continue de l'Esprit Saint. Le développement de l'oecuménisme, guidé par la foi et la charité, suffit à montrer à lui tout seul un progrès quasi imprévisible sur le chemin et dans la vie de l'Eglise vers l'avenir, emplit son coeur, et le montre en attente. L'Eglise n'est pas vieille, elle est ancienne ; le temps ne la plie pas, au contraire ; si elle est fidèle aux principes intrinsèques et extrinsèques de sa mystérieuse existence, il la rajeunit. Elle ne craint pas la nouveauté, elle en vit. Comme un arbre aux racines fécondes, elle tire de chaque époque historique un nouveau printemps.


Nouveauté dans la fidélité


Vous vous rappellerez sans doute ce que le cardinal Suhard écrivait en 1947 dans une lettre pastorale, restée célèbre », « Essor ou déclin de l'Eglise ? » : « La guerre n'est pas un intermède, mais un épilogue... l'ère qui commence après, prend figure d'un prologue... ». Nous pouvons en dire autant du Concile. Il a ouvert un nouveau cycle. Aujourd'hui personne ne peut croire qu'il manque d'aspects nouveaux, comme Nous le disions. Mais ici l'examen des nouveautés Nous oblige à Nous demander si tous les phénomènes nouveaux post-conciliaires sont bons.

Nous pourrons Nous limiter à vous inviter à tenter cet examen. Certains ont observé que la nouveauté n'apporte pas toujours du progrès. Par elle-même la nouveauté signifie changement. Le changement doit être jugé, non pas tellement en lui-même, mais pour son contenu, sa fin. Est-ce que le nouveau nous porte aujourd'hui à un christianisme vraiment meilleur ? Quels critères peuvent nous aider à juger de la valeur de ce qui est nouveau dans l'Eglise ? Il y en a qui observent des phénomènes, non de progrès, mais de décadence ! Il y en a qui parlent, non d'évolution mais de révolution, non d'augmentation mais de décomposition.

La question de la nouveauté dans la vie catholique est extrêmement complexe. Limitons-Nous à une seule remarque, qui est la suivante : la nouveauté ne peut se produire dans l'Eglise par une rupture avec la tradition. La mentalité révolutionnaire est parfois entrée dans la mentalité de beaucoup de chrétiens, de bons chrétiens. La rupture qui nous est permise est celle de la conversion, de la rupture avec le péché, et non d'avec le patrimoine de foi et de vie, dont nous sommes héritiers responsables et fortunés. Les innovations nécessaires et opportunes, celles auxquelles nous devons aspirer, ne peuvent venir du détachement arbitraire de la racine vivante que nous a transmise le Christ au moment où il est apparu dans le monde et où il a fait de l'Eglise, « un signe et un instrument » de l'authenticité de notre union à Dieu (Lumen gentium, LG 1). En fait la nouveauté consiste essentiellement pour nous, justement dans un retour à la tradition authentique et à sa source, qui est 1'Evangile. « Le renouveau de la vie religieuse comprend le continuel retour aux sources », enseigne le Concile (Perfectae caritatis, PC 2) et ce qui vaut pour les religieux vaut pour tout le peuple de Dieu. Qui le remplace par sa propre expérience spirituelle, le sentiment de la foi subjective, l'interprétation personnelle de la Parole de Dieu produit certainement une nouveauté, mais aussi une ruine. Ainsi celui qui méprise l'histoire de l'Eglise, dans son rôle charismatique pour la tutelle et la transmission de la doctrine et des moeurs chrétiennes, peut créer des nouveautés intéressantes, mais qui manquent de valeur vitale et salvatrice ; notre religion, qui est la vérité, qui est la réalité divine dans l'histoire de l'homme, ne s'invente pas, et même, à proprement parler, ne se découvre pas ; on la reçoit, et pour ancienne qu'elle soit, elle demeure toujours vivante, toujours nouvelle ; toujours capable de fleurir en expressions nouvelles et originales. « Il est clair, dit le Concile, que la sainte tradition, la sainte écriture et le magistère de l'Eglise sont, par une très sage disposition de Dieu, tellement liés entre eux qu'ils ne peuvent subsister indépendamment l'un de l'autre » (Dei Verbum, DV 10).


Pour un christianisme vivant


Quelque contestataire impatient, qualifiera sans doute d'immobilisme une telle attitude. Voilà bien la sclérose qui cristallise le christianisme en formules rigides et dépassées. Nous voulons un christianisme vivant. Oui, un christianisme vivant et Nous le voulons aussi, et plus que tous les autres. Et Nous ne voulons pas vous parler ici, ce serait trop long, des méthodes, par lesquelles on peut vivifier, et ressusciter, si besoin est, notre christianisme. Enumérons seulement quelques étapes de cette opération, qui peut être humble et modeste, ou gigantesque et étonnante. Le premier renouveau, rappelons-le bien, est intérieur, est personnel (cf. Lumen gentium, LG 7-15 Unitatis redintegratio, UR 4 UR 7 UR 8). Renouvelez-vous par une transformation spirituelle, recommandait St Paul (Ep 4,23) : voilà la vraie nouveauté chrétienne, la première, la nôtre ; nous devons y tendre tous et chacun. Puis, si vous voulez y réfléchir, la nouveauté de la vie chrétienne, et de l'Eglise, peut apparaître par purification. C'est une opération en cours, toujours en cours, d'approfondissement : qui peut dire avoir tout compris, avoir tout valorisé dans le trésor de mots, de grâces, de mystère, que nous portons avec nous ? Comme le christianisme peut encore grandir en suivant cette voie ! Et aussi par application : il ne s'agit pas tant d'inventer un christianisme nouveau pour des temps nouveaux que de donner au christianisme authentique les références nouvelles dont il est capable et dont il a besoin. Ne vous semble-t-il pas ? A vous Notre Bénédiction Apostolique.





9 juillet 1969: CHERCHER ET SUIVRE LES VOIES DE LA LIBERTE, VECUE DANS L'ESPRIT EVANGELIQUE

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Chers Fils et Filles,



Nous voulons encore, au cours de ces entretiens familiers, Nous réclamer du Concile, en observant, comme Nous l'avons déjà rappelé, la mentalité qu'il a engendrée : une mentalité ouverte sur certains aspects de la vie chrétienne, dont nous ferions bien de prendre conscience en les déterminant dans leurs justes limites, sans les isoler comme des concepts abstraits, comme des formes vivant par elles-mêmes, mais en les considérant dans le dessein harmonieux de la conception authentique, renouvelée et globale du catholicisme.


Liberté et pensée catholique


Un de ces aspects est celui de la liberté. Le Concile a parlé de liberté, en référence à plusieurs sujets. La liberté est une parole magique. Elle doit être étudiée avec une diligence sérieuse et sereine si on ne veut pas éteindre sa lumière et en faire une expression confuse, équivoque et dangereuse. Personne d'entre nous ne désire la confondre avec l'indifférence idéologique et religieuse, encore moins avec l'individualisme érigé en système, avec l'irresponsabilité, le caprice ou l'anarchie. Ce serait un cours bien long sur les distinctions et les réserves à faire à propos d'une parole à la mode, qui semble être très proche de la liberté : la révolution, avec certains de ses dérivés, aujourd'hui très répandus.

Mais considérée dans son concept humain et rationnel, comme autodétermination, comme libre arbitre, Nous serons parmi les premiers à exalter la liberté, à en reconnaître l'existence, à en revendiquer la tradition dans la pensée catholique, qui a toujours reconnu cette prérogative essentielle de l'homme. Il suffit de rappeler l'encyclique « Libertas » du Pape Léon XIII, en 1888. L'homme est libre, parce que doué de raison, et comme tel, juge et maître de ses propres actions. Contre les théories déterministes et fatalistes, aussi bien de caractère intérieur, psychologique, que de caractère externe, sociologique, l'Eglise a toujours soutenu que l'homme normal est libre, et donc responsable de ses propres actions. Elle tient cette vérité, non seulement des enseignements de la sagesse humaine, mais aussi et surtout de ceux de la révélation ; elle a reconnu dans la liberté un des signes les plus fondamentaux de la ressemblance de l'homme à Dieu, se souvenant parmi tant d'autres de cette parole de la sainte Ecriture : « Dieu au commencement a fait l'homme et il l'a laissé à son conseil » (
Qo 15,14 Dt 30,19). On voit comment de cette prémisse dérive la notion de responsabilité, de mérite et de péché, et comment se relie à cette condition de l'homme le drame de sa chute et de sa rédemption réparatrice. Bien plus, l'Eglise a soutenu que l'abus que le premier homme fit de sa liberté, le péché originel, ne compromet pas de manière totale chez ses héritiers malheureux, la capacité de l'homme d'agir librement comme l'avait dit un moment la réforme protestante (cf. S. augustin, De libero Arbitrio II : PL 32, 1239 sq. ; Retract., ib. 595 sq. ; S. th., I 83,0 ; I-II 109,0; DS 1486 [776], DS 1521 [793], etc.).

De même l'Eglise a toujours défendu la thèse que « personne ne pouvait être obligé par force d'embrasser la foi » (Declar. Dignitatis humanae, DH 12), et elle a aussi affirmé, durant sa longue histoire, au prix d'oppressions et de persécutions, la liberté pour chacun de professer sa propre religion ; personne a-t-elle déclaré, ne peut être empêché, ne peut être contraint, en ce qui concerne sa propre conscience religieuse (ib., DH 2).


L'enseignement du Concile


En simplifiant beaucoup l'immense matière si complexe de la liberté, nous pouvons avant tout observer que le Concile n'a pas en fait découvert ou inventé la liberté : il a revendiqué pour la conscience ses droits inaliénables ; il l'a appuyée de la magnifique théologie du nouveau testament, il l'a proclamée pour tous dans le cadre de la société civile ; c'est-à-dire qu'il a soutenu, non seulement l'existence, mais aussi l'exercice de la liberté dans deux directions principales. D'abord on trouve la direction de la personne, admettant pour chacun un haut degré d'autonomie, reconnaissant le pouvoir de la conscience, règle dernière et irréfutable (cf. Rm 14,23) de l'action morale; cette conscience qui doit être d'autant plus éclairée par la vérité et soutenue par la grâce (cf. Ga 5,1 Jn 8,36) qu'elle tend à se déterminer aujourd'hui davantage par elle-même (cf. Gaudium et spes, GS 16 et GS 17). La deuxième direction est la direction sociale, exigeant, comme Nous le disions, une liberté religieuse vraie et publique, dans le respect, naturellement, des droits d'autrui et de l'ordre public (Dignitatis humanae, DH 7, etc.) et soutenant le « principe de subsidiariété » (Gaudium et spes, GS 86) qui, dans une société bien organisée, tend à laisser la plus grande liberté possible aux personnes et aux organisations inférieures, et à rendre obligatoire seulement ce qui est nécessaire pour un bien important, qui ne serait pas atteint autrement, et d'une manière générale pour le bien commun (Dignitatis humanae, DH 7).

La mentalité favorisée par les enseignements du Concile porte le jeu de la liberté, plus que jamais dans le passé, au for interne de la conscience ; elle tend donc à diminuer l'ingérence des lois externes, mais tend à augmenter celle des lois internes, celle de la responsabilité personnelle, celle de la réflexion sur les devoirs suprêmes de l'homme, qui sont la rectitude virile dans la pratique du bien, jusqu'à la perfection de la sainteté, et le sens de la loi naturelle, c'est-à-dire de la rationalité morale ontologique, qu'on admire tant aujourd'hui chez les héros antiques (cf. les personnages principaux des tragédies grecques) et modernes (les champions de la résistance, de la bonté, du sacrifice), alors qu'en même temps on en discute au point de douter de son existence et de sa permanence (on le voit dans des contestations en référence à la loi naturelle qui se trouve rappelée dans notre encyclique Humanae Vitae). Nous savons combien l'Evangile a accentué l'intériorité de l'obligation morale, comme il en a fixé l'incomparable synthèse dans le précepte-clé, trop souvent oublié aujourd'hui, de l'amour total de Dieu, dont dérive, par manière de ressemblance, l'amour du prochain, qui s'étend à tous, parents, amis, étrangers, lointains et ennemis, c'est-à-dire à toute l'humanité. Cette attitude morale en faveur de la personne et de la liberté particulière permet un développement plus ample et plus spontané de la liberté, plus précoce aussi; elle engendre une pluralité de contenus, dans ce qu'elles ont de contingent ; elle favorise la richesse des expressions locales, libres et légitimes, linguistiques, culturelles; elle élargit, même à l'intérieur de l'Eglise, cette liberté d'étude et d'initiatives, dont jouissaient déjà de nombreux fidèles (par exemple la multiplicité des institutions caritatives, religieuses, culturelles, missionnaires, que l'autorité de l'Eglise, même avant le Concile, non seulement permettait, mais aussi favorisait), dont on sent si fort le grand élan aujourd'hui et dans lesquelles Nous voulons voir une promesse authentique de vraie vie catholique.


Liberté et loi de Dieu


Nous abordons donc une époque de la vie de l'Eglise, et par conséquent de chacun de ses enfants, où l'on trouvera une plus grande liberté, c'est-à-dire moins d'obligations légales et moins d'inhibitions intérieures. La discipline formelle sera réduite, l'intolérance arbitraire sera supprimée comme tout absolutisme; la loi positive sera simplifiée, l'exercice de l'autorité sera tempéré ; on retrouvera le sens de cette liberté chrétienne, qui fut si chère à la première génération chrétienne, quand elle se sentit libérée de l'observance de la loi mosaïque et des prescriptions rituelles compliquées (cf. Ga 5,1). Nous devons cependant nous éduquer à l'usage sincère et complet de la liberté chrétienne, soustrait au pouvoir des passions (cf. Rm 8,21) et de l'esclavage du péché (Jn 8,34), intérieurement animés de l'impulsion joyeuse de l'Esprit Saint, parce que, comme disait saint Paul, « ceux qui sont guidés par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont enfants de Dieu » (Rm 8,14).

Mais nous devons être en même temps conscients que notre liberté chrétienne ne nous soustrait pas à la loi de Dieu, à ses exigences suprêmes de sagesse humaine, de fidélité évangélique, d'ascèse pénitentielle, d'obéissance à l'ordre de la communauté, caractéristique de la société ecclésiale. La liberté chrétienne n'est pas charismatique dans le sens arbitraire que certains s'arrogent. « Vous êtes libres, nous enseigne saint Pierre, sans faire de la liberté un voile à mettre sur votre malice, mais en serviteurs de Dieu » (1P 2,16) ; ce n'est pas un défi, un préjugé contre les normes en vigueur dans la société civile, dont l'autorité, c'est saint Paul qui parle, oblige en conscience (Rm 13,1-7) ; ce n'est pas non plus un défi contre les normes en vigueur dans la société ecclésiastique, fondée sur la foi et la charité, gouvernée par une autorité revêtue de pouvoirs qui ne proviennent pas de la base, mais qui sont d'origine divine, par l'institution du Christ et par succession apostolique ; ces pouvoirs, indiscutables (Lc 10,16 1Jn 4,6) et graves (1Co 4,21), sont nécessaires, même s'ils ont pour but, plus que la domination (cf. 2Co 1,23 1Co 13,10), l'édification, c'est-à-dire la libération spirituelle des fidèles.

Résumons-Nous donc : notre époque, dont le Concile se fait interprète et guide, réclame la liberté. Nous devons nous sentir heureux et conscients de cette chance historique. Où donc trouverons-nous la vraie liberté, sinon dans la vie chrétienne ? Or la vie chrétienne exige une Communauté organisée, exige une Eglise, selon la pensée du Christ, exige un ordre, exige une obéissance libre mais sincère ; elle exige donc une autorité, qui garde et enseigne la vérité révélée (2Co 10,5) ; cette vérité est donc la racine intime et profonde de la liberté, comme a dit Jésus : « La vérité vous fera libres » (Jn 8,32).

Rappelez-vous cela, Fils très chers, avec Notre Bénédiction Apostolique.





16 juillet 1969: DIEU MANIFESTE A TRAVERS LES DECOUVERTES INTERPLANETAIRES

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Chers Fils et Filles,

Nous devons nous aussi participer, par l'observation et la réflexion, au grand voyage des astronautes vers la lune, qui commence aujourd'hui. Nous nous rappelons les lectures que nous faisions il y a bien des années, spécialement celle du livre de Jules Verne : « De la Terre à la Lune ». Mais c'était l'époque de la fantaisie, une fantaisie prophétique si vous voulez, mais gratuite, irréelle. Aujourd'hui au contraire nous sommes dans le royaume de la réalité. Laissons de côté pour le moment toute considération sur l'instrument prodigieux et les protagonistes héroïques de cette expédition (qui méritent par eux seuls une autre méditation) ; cherchons à regarder la réalité devant laquelle nous nous trouvons du fait de ce vol transplanétaire.


Regarder au-delà du domaine terrestre


Et d'abord les astres, l'espace et le temps ; en parlant empiriquement, le monde, l'univers. Nous autres, modernes, nous sommes si souvent pris par l'observation et les intérêts immédiats que nous sommes habitués à ramener notre horizon d'idées à un domaine très limité et fermé sur lui-même. Nous ne prétendons pas nous aventurer dans une dissertation sur l'espace, le ciel, le cosmos. Nous disons seulement que cette entreprise si audacieuse, qui s'impose aujourd'hui à l'attention de tous, nous oblige à regarder en haut, au-delà du domaine terrestre, à nous rappeler la réalité immense et mystérieuse au sein de laquelle notre petite vie se déroule. Lès anciens regardaient le ciel plus que nous ; ils faisaient jouer leur fantaisie, construisaient des mythes inconsistants et des théories arbitraires, attribuaient aux astres une valeur de cause à effet ; ils ne connaissaient pas les lois physiques et mathématiques de la science moderne mais pensaient plus que nous à l'existence de l'univers. Une leçon d'astronomie nous serait salutaire, aussi. Un regard vers en haut qui tente de pénétrer la profondeur de l'espace nous suffira pour nous sentir envahis par l'étonnement, le vertige, le mystère. La comparaison entre les dimensions de l'espace-temps disponibles pour nous, et celles du cosmos nous effraient. Pascal l'avait noté dans ses fameuses « Pensées » (205 et 206, éd. Brunschvig) ; à l'espace et au temps s'ajoute un autre élément qui en accroît le mystère : le silence : « le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie ».


Dieu principe du monde


Cette réalité infinie qui nous entoure et que nous sommes invités à considérer en ce moment, nous oblige à reprendre et à répéter quelques pensées fondamentales, non pas tant scientifiques que philosophiques. Deux parmi d'autres. Le cosmos existe, l'univers existe en dehors de l'homme, avant et après lui, qui l'observe, le découvre, l'étudié, l'explore. L'homme n'est pas le principe, l'homme n'est pas la cause du monde. Celui qui veut restreindre la réalité, le tout, à la pensée de l'homme, joue avec l'absurde. Notre vérité ne produit pas les choses. Elle les connaît, les pense, les intériorise, les rend spirituellement siennes, mais ne les crée pas. Une grande humilité est à la base de notre science qui fait notre grandeur. En outre, si ce cosmos existe et s'il se manifeste, d'une part, comme imprégné d'un ordre mystérieux (les sciences nous le disent : la mathématique, la physique spécialement ; les mouvements, les énergies, les lois qu'on y rencontre le confirment), et d'autre part, comme chargé d'une pensée qui n'est pas la sienne mais infuse, réfléchie, agissante, déchiffrable, connaissable, utilisable, cela indique que ce cosmos dérive d'un principe transcendant, d'une pensée créatrice, d'une puissance secrète et supérieure, c'est-à-dire qu'il est créé.


Voir Dieu dans le monde


C'est là une brève mais toujours actuelle leçon de catéchisme, qui illumine notre méditation difficile sur le cosmos. Ecoutez, comme une voix profonde qui surgit des abîmes, des espaces et des siècles : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » (
Gn 1,1). Observez le panorama du ciel et du monde ; mesurez-en — si vous le pouvez — la grandeur ; faites-vous une idée de la densité de réalité, de vérité et de mystère qui y est contenue. Ressentez un frisson d'émerveillement devant la grandeur infinie que nous avons devant nous ; affirmez la distinction irréductible entre le Dieu créateur et le monde créé, et en même temps reconnaissez, confessez, célébrez la nécessité inséparable qui unit la création à son créateur (comment pourrait-elle être un seul instant sans lui ?) ; et rappelez-vous cette parole si étonnante et si souvent répétée de la Bible, toujours au premier chapitre de la Genèse (vv. Gn 1,12 Gn 1,18 Gn 1,21 Gn 1,25 Gn 1,31) : Dieu vit que cela était bon ; son oeuvre était belle, elle était digne d'être connue, possédée, travaillée, utilisée par nous...

Cette découverte nouvelle du monde créé est fort importante pour notre vie spirituelle. Voir Dieu dans le monde, et le monde en Dieu : qu'y a-t-il de plus extraordinaire ? N'est-ce pas cela la lumière amicale et stimulante qui doit soutenir les veilles scientifiques du chercheur ? N'est-ce pas ainsi qu'il fuit la terreur du vide que le temps démesuré et l'espace infini produisent autour de ce microcosme que nous sommes ? Notre solitude insondable, c'est-à-dire le mystère de notre destinée, n'est-elle pas ainsi comblée par une vague de Bonté vivante et aimante ? Les paroles familières mais toujours grandioses enseignées par le Christ ne nous viennent-elles pas aux lèvres : «Notre Père qui êtes aux cieux » ?

Oui, Fils très chers, elles viennent sur nos lèvres ces paroles très profondes, alors que nous contemplons la grande entreprise des premiers astronautes qui mettront le pied sur le satellite pâle et silencieux de la terre, défiant des difficultés inouïes, comme s'ils cherchaient à honorer l'oeuvre immense du créateur, et répétons-le pour eux, pour l'humanité, pour nous.

Avec Notre Bénédiction Apostolique.






Catéchèses Paul VI 25669