Catéchèses Paul VI 23769

23 juillet 1969: LA DECOUVERTE DE DIEU A TRAVERS LES DECOUVERTES SPATIALES

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Chers Fils et Filles,



On a beaucoup parlé ces jours-ci, dans le monde entier, et de toutes les manières possibles, de l'entreprise lunaire ; Nous-même avons dit notre admiration, si bien qu'il semblerait mieux que maintenant Nous Nous taisions plutôt que d'en parler. Mais, justement demain cette excursion planétaire extraordinaire doit se conclure avec le retour, que Nous souhaitons des plus réussis, des astronautes sur la terre. Cet événement imprègne tellement la psychologie de l'opinion publique qu'il constitue une source de pensées, de questions, de spiritualité, et que Nous commettrions un péché d'omission si Nous ne Nous y arrêtions, au cours de cette rencontre familière, pour le méditer un peu. Il est malheureusement vrai que considérer les choses de façon superficielle est une habitude à la mode. Même les impressions les plus fortes, qui nous sont données par l'expérience de la vie moderne, s'effacent vite ; ou bien elles sont dépassées par d'autres impressions successives, si bien que manquent souvent le temps, le désir, de les approfondir et d'en cueillir le sens, la vérité, la réalité. Mais dans ce cas présent, le choc de la nouveauté et de la merveille est si fort, qu'il serait absurde de ne pas réfléchir sur cette aventure surhumaine et historique — pouvons-Nous dire —, à laquelle nous avons tous assisté, de quelque manière — elle aussi merveilleuse — comme spectateurs étonnés et émerveillés.


Une entreprise qui condamne un certain défaitisme


Que chacun y pense à sa manière mais qu'il pense ! L'importance des études scientifiques peut être en soi l'objet de considérations interminables. Par exemple, celle qui concerne le développement et le progrès faits par ces études à notre époque, jusqu'à modifier la mentalité humaniste traditionnelle de notre culture et de notre école, c'est-à-dire de notre vie. Ces études positives et scientifiques sont si actives, qu'elles exercent un grand attrait sur une bonne partie des nouvelles générations et qu'un optimisme rêveur sur leurs conquêtes en fait presque une prophétie. Qu'il en soit ainsi. Le domaine scientifique mérite un grand intérêt.

Mais maintenant Nous pourrions observer, en passant, combien est peu à sa place, du moins dans ce domaine, le défaitisme, aujourd'hui à la mode, contre la société et son contexte, et en général contre la vie moderne. Ce défaitisme séduit actuellement même une partie de la jeunesse, et d'autres hommes de pensée et d'action. Ce défaitisme qualifie de progressistes audacieux, riches d'une personnalité supérieure, ceux qui nourrissent des instincts rebelles et du mépris pour notre âge et son effort créateur. La vie au contraire est sérieuse ; c'est ce que nous enseigne l'immense quantité d'études, d'efforts, de labeurs, d'ordre, d'essais, de risques, de sacrifices, qu'une entreprise colossale comme l'entreprise spatiale, a exigés. Critiquer, contester, est facile ; mais il n'en est pas de même de construire, dans cette initiative naturellement, mais également en bien d'autres domaines d'où est issue notre civilisation actuelle. C'est pourquoi il Nous semble que l'événement que nous fêtons nous oblige à repenser et à apprécier les valeurs de la vie moderne. Nous ne nions pas à la critique ses droits, et Nous ne reprochons pas à l'esprit des jeunes son instinct d'émancipation et de nouveauté. Mais Nous jugeons indigne de la jeunesse l'esprit décadent, iconoclaste et sans amour, des contestateurs professionnels. Les jeunes doivent sentir l'impulsion idéale et positive qui leur est offerte par la magnifique aventure spatiale.

Et voici une autre considération. Notre approbation ouverte pour la conquête progressive du monde naturel, grâce aux études scientifiques, aux développements techniques et industriels, n'est pas en contraste avec notre foi et avec la conception de la vie et de l'univers qu'elle comporte. Qu'il suffise de rappeler ce qu'enseigne à cet égard le récent Concile (Gaudium et spes,
GS 37 GS 58 GS 59, etc.).


Doctrine chrétienne et progrès scientifiques


Ici Nous touchons un des points les plus délicats de la mentalité moderne concernant notre religion catholique, c'est-à-dire une religion positive, avec ses doctrines bien déterminées, et ordonnées en système unitaire, centré sur Jésus-Christ, sur son Evangile, sur son Eglise. Or il est facile de rencontrer dans la mentalité de l'homme d'aujourd'hui, spécialement chez celui qui se consacre aux études scientifiques, une double difficulté : la première d'ordre essentiel, l'autre d'ordre historique. Comment l'immense patrimoine des découvertes scientifiques — dit aujourd'hui le chercheur — peut-il entrer dans le schéma dogmatique et rituel de la vie catholique, avec l'utilisation libre et totale de la raison et avec la conception qui en résulte pour le monde et l'existence humaine ? Et le chercheur, en observant les changements continuels, rapides et immenses qui surviennent avec le temps dans la pensée et les moeurs de l'homme moderne se demande, en outre, comment la religion traditionnelle, enfermée dans une mentalité statique et périmée, peut rester intacte.

Il faudrait des livres entiers pour formuler ces objections fondamentales comme pour y répondre. Ce n'est certainement pas ici ni maintenant que Nous le ferons. Mais qu'il Nous suffise de vous rassurer. La foi catholique non seulement ne craint pas cette comparaison énorme de son humble doctrine avec les merveilleuses richesses de la pensée moderne, mais elle la désire. Elle la désire parce que la vérité, même si elle se diversifie dans des ordres différents et si elle se réfère à divers titres, est en accord avec elle-même ; elle est unique ; et parce que l'avantage qui peut résulter de cette comparaison pour la foi et pour la recherche et l'étude de tout domaine connaissable est réciproque.

Ce fut là une des affirmations caractéristiques et des plus documentées de la pensée catholique apologétique du siècle passé et de la première moitié de notre siècle, avec des résultats magnifiques, dont nos universités sont les témoignages glorieux.


Dieu présent


Maintenant se fait jour une autre tendance qui suppose, et ne dément pas la précédente ; celle qui se réfère aux fameuses paroles de saint Augustin et que nous pouvons appeler psychologique : « Toi, (ô Seigneur), tu nous as fait pour toi, et notre coeur est inquiet tant qu'il ne repose en toi » (Confess. I, 1). Le besoin de Dieu est inné à la nature humaine, et plus elle progresse, plus elle ressent, jusqu'au tourment, jusqu'à l'expérience dramatique, la nécessité de Dieu. C'est ce que Nous pourrions appeler — pour nous comprendre — la tendance cosmique : qui étudie, qui cherche, qui pense et ne peut se soustraire à une omniprésence objective de Dieu, ancienne vérité que le Saint Livre nous répète toujours : « Où irais-je loin de Ton esprit, (ô Seigneur), et où fuirais-je de Ta face ? » (Ps 138,7). Il est impossible de se soustraire à cette présence, dont la matière, la nature, est, pour qui sait le comprendre, un livre de lecture spirituelle : En lui (c'est-à-dire en Dieu, dit saint Paul), nous avons la vie, le mouvement, et l'être (Ac 17,28). Le Dieu inconnu est toujours là ; toute étude des choses est comme un contact avec un voile derrière lequel on perçoit une présence vivante infinie.

C'est ici le moment sublime, l'instant de la révélation, le moment où le Christ soulève le voile et apparaît dans la scène historique et simple de l'Evangile. Qui est le Christ ? Voilà la question décisive. Saint Jean répond, au premier chapitre de son Evangile : il est le Verbe, il est Dieu, il est Celui en vertu duquel toutes les choses ont été créées. Et saint Paul ajoute : « Il est Celui qui est avant toute chose; et toute chose subsiste en Lui » (Col 1,17) ; et il est Celui qui un jour, le jour final de la restauration de toute chose (de l'« apocatastase », Ac 3,21) « par sa puissance se conformera à lui toutes les choses » (Ph 3,21). C'est-à-dire que le Christ est l'alpha et l'oméga, le principe et la fin (cf. Ap 1,8 Ap 21,6 Ap 22,13), non seulement pour le destin de l'homme, mais pour le cosmos tout entier, qui a son point focal en lui, donc tout sens, toute lumière, tout ordre, toute plénitude.

Ne craignons pas, Fils très chers, que notre foi ne sache pas comprendre les explorations et les conquêtes que l'homme fait du créé, et que nous, disciples du Christ, soyons exclus de la contemplation de la terre et du ciel, et de la joie de leur découverte merveilleuse et progressive. Si nous sommes avec le Christ, nous serons dans la vérité, nous serons dans la vie. Avec Notre Bénédiction Apostolique.





30 juillet 1969: DANS SON VOYAGE EN OUGANDA PAUL VI A EU SANS CESSE PRESENTS LES DRAMES QUI OBSCURCISSENT L'HORIZON AFRICAIN

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Chers Fils et Filles,



Demain, comme vous le savez, s'il plaît à Dieu, Nous partirons pour l'Afrique. Nous allons à Kampala, en Ouganda, pour la clôture des travaux du symposium des Evêques africains, qui sont réunis dans cette ville; pour la consécration de douze nouveaux évêques indigènes ; pour honorer les martyrs de l'Ouganda, que Nous avons eu le bonheur de canoniser en 1964 et qui sont maintenant honorés dans la construction d'un sanctuaire à leur mémoire et à leur culte (c'est le motif occasionnel de notre voyage) ; et pour conférer les sacrements du Baptême et de la Confirmation à vingt-deux nouveaux chrétiens africains (vingt-deux en souvenir des vingt-deux martyrs). Nous aurons l'honneur de rencontrer divers chefs d'Etat africains et des personnalités, de l'Ouganda comme d'autres pays de ce continent. Nous rendrons visite à des familles, à des écoles, à des hôpitaux, à d'autres institutions de la ville ; Nous aurons aussi une rencontre oecuménique avec les représentants et les communautés des chrétiens qui ne sont pas encore en communion avec l'Eglise catholique mais sont dignes de notre considération particulière, car ils sont eux aussi marqués du sang de leurs victimes au nom du Christ et nos frères par le baptême commun. Nous verrons aussi des représentants de religions non-chrétiennes ; Nous verrons surtout de grandes foules de cette terre, aussi enracinée dans les traditions africaines authentiques qu'elle est ouverte aux rapports et aux conquêtes du progrès moderne. Un vrai contact avec l'Afrique ; le premier qu'un Pape réalise personnellement avec cet immense continent, aux traditions si humaines et aux promesses séduisantes, affranchi, peut-on dire, du colonialisme, qui cependant l'a éveillé à la civilisation moderne, mais qui n'est plus tolérable pour la conscience de ces Peuples nouveaux, même s'ils ne sont pas libérés des très nombreux et graves besoins qui caractérisent ce qu'on appelle le Tiers-Monde. Nous allons en Afrique poussé par le souci particulier, désintéressé et plein d'amour, que l'Eglise nourrit pour ces besoins humains graves, urgents de l'Afrique nouvelle. Nous n'avons pas écrit l'Encyclique Populorum progressio sans assumer les conséquences qu'elles entraînaient quant à Nous ; et avec ce voyage Nous voulons honorer notre signature, mise au bas de ce document qui exhorte à l'aide diversifiée, abondante et positive, dont le « tiers-monde » a actuellement besoin, et à laquelle un nouveau devoir naissant oblige les Peuples et les Associations dotés des moyens autonomes de subsistance suffisants ou abondants.


Espoir de pacification


Une question, qui se fiche comme une flèche dans notre esprit, Nous a été posée : pourquoi le Pape ne va pas aussi, et tout d'abord, dans les régions de l'Afrique où existent de plus grandes souffrances, et spécialement dans celles où, depuis des années, est allumée une guerre terrible que le monde entier suit avec tant d'anxiété et où des populations entières sont menacées par la destruction des armes, et surtout par l'agonie de la faim ? Que le Pape voie de ses propres yeux comment des générations entières d'enfants, d'adolescents, de femmes sont réduites à des conditions de privations inconcevables à cause du manque affreux de vivres, et d'assistance médicale élémentaire, et que le Pape invoque à haute voix pitié, secours, paix ! C'est à cela que Nous exhortait un Evêque, parmi tant d'autres informateurs.

Bien chers Fils ! Combien douloureuse est pour Nous cette suggestion !

Croyez-vous que Nous sommes insensible à tant de calamités, et que Nous préférons aller là où la situation paraît tranquille et ordonnée, et où la fête et l'allégresse des gens Nous accueilleront ? Combien de fois avons-Nous évoqué, pour Nous-même, les deux voyageurs sur les sentiers escarpés de Jérusalem à Jéricho, un prêtre d'abord et un lévite ensuite, qui, dans la parabole évangélique du Samaritain, passent près de l'homme dépouillé et blessé par les assassins, gisant à demi-mort au bord de la route ? Ils passent, regardent et continuent leur chemin, sans se soucier de ce malheureux, qui trouve ensuite secours auprès du Samaritain, étranger mais compatissant. Nous ne voudrions pas, Nous non plus présenter le triste exemple de ces deux ministres du Temple ! Mais Nous voudrions bien imiter, en quelque sorte, le Christ sensible et attentif dans la figure du bon Samaritain !

Eh bien ! Nous vous dirons que, lorsque Nous décidâmes d'entreprendre ce voyage inaccoutumé, l'intention, bien plus, le désir et l'espoir d'être utile, dans une certaine mesure, à l'apaisement de ce Conflit, furent dans notre coeur, et y sont encore. A la veille, chargée de souffrance et de soucis, de ce voyage, Nous avons toutefois multiplié nos efforts, les contacts et les tentatives même sur le plan pratique pour essayer d'ouvrir un chemin à une négociation honorable.


La difficile action de secours de « Caritas Internationalis »


Nous ajouterons qu'aucune partialité politique n'a de place dans notre esprit à cet égard. Et dans l'oeuvre de secours, commencée à Noël 1967, en faveur des victimes civiles du conflit et des populations qui en sont tourmentées, entreprise immédiatement par Nous aussi, et accomplie avec une audace admirable, et un courage magnifique par notre « Caritas Internationalis », secondée par plusieurs organisations catholiques de charité de divers pays, notre propos a été d'offrir nos aides aux deux parties adverses indistinctement, Sans aucune discrimination, avec la seule préférence pour les lieux où le besoin était plus grave, plus étendu et plus urgent. Cette activité, qui manifeste vraiment le drame et l'héroïsme, Nous a peut-être procuré quelque impopularité au Nigeria même, qui Nous est si cher ; et elle a peut-être engendré le soupçon que les vols des avions de la « Caritas » transportaient aussi des armes et des informations ; cela n'est pas vrai. Pain, médicaments, habillement et réconfort, oui; mais rien d'autre ; et pour aucune autre cause, que celle de sauver des vies humaines de la population civile, les vies délicates et innocentes des enfants en particulier, et de préparer, si possible, les esprits à des solutions par voie de négociations, non par voie d'effusion de sang fraternel et de souffrances provoquées par la faim.

Dans la région du théâtre du conflit, restée isolée par voies de terre et de mer, l'envoi de secours devint toujours plus nécessaire et toujours plus difficile et coûteux. On a dû recourir aux transports aériens pour éviter que des centaines de milliers de personnes mourussent d'inanition. Alors la « Caritas Internationalis » et d'autres institutions catholiques s'associèrent à des organismes d'assistance confessionnels pour constituer un vrai pont aérien, assez dangereux et coûteux (trois mille vols environ ont été effectués), réussissant à sauver un grand nombre de pauvres gens destinés à mourir de faim. Malgré cela, les secours sont assez inférieurs aux besoins, non tant par manque de produits, provenant aussi de la générosité américaine, que par impossibilités techniques de transport. On espère toujours que soient finalement conclus des accords effectifs, concernant le transport par voie fluviale, et l'organisation de vols diurnes, moyennant certains contrôles et avec la garantie de vie sauve. Nous Nous sommes intéressé personnellement à rendre ce service plus facile à la Croix-Rouge.

Mais la situation demeure tragique.

Une de nos visites dans cette région tourmentée s'annonce impossible, à cause des difficultés logistiques, et à cause des interprétations politiques qu'elle susciterait, et qui rendraient encore plus grave la situation, écartant aussi ce peu d'espoir que notre effort impartial peut encore peut-être consentir.

Nous avons essayé d'autres voies, celles du rapprochement des parties en conflit, non sans espoir de quelque résultat favorable, et sans entraver l'éventuelle médiation — au contraire en l'invoquant, — d'autres personnes, bien plus en mesure que Nous d'exercer une influence d'apaisement. Mais les thèses opposées sur lesquelles se fonde le conflit semblent encore fort éloignées. Nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour convaincre les adversaires qu'il faut aboutir à une trêve, garantie, si c'est nécessaire, par quelque Puissance africaine neutre ; et qu'un « compromis », honorable pour les deux parties, n'offense pas leur prestige, ne lèse pas leurs intérêts, et puisse s'accorder avec leurs légitimes prétentions respectives essentielles. Nous avons entrepris des démarches réitérées dans ce sens, et en beaucoup d'autres sens ; et Nous continuerons à les répéter, dussent-elles rester vaines dans leurs résultats, mais propres à démontrer notre bonne volonté, et à rappeler surtout les esprits des Africains et l'opinion publique mondiale à l'unique idée digne d'être professée par tous, celle de la paix, dans la justice et dans la fraternité.

On vient de Nous annoncer le voeu d'une trêve d'armes durant notre voyage en Afrique. Dieu veuille qu'elle soit vraie et efficace, et qu'elle prélude à des négociations pour la solution désirée, réclamée par les exigences supérieures de la paix civile et chrétienne et par l'exemple que le monde attend de la part de la jeune Afrique libre, indépendante et unie.

Tout ceci vous dit, bien chers fils, comment Notre voyage en Afrique, bien loin d'oublier la plaie, qui la fait saigner, remplit aussi notre coeur d'une douleur profonde et paternelle, tempérée par les espoirs toujours encourageants, et soutenue par les prières communes des gens de bonne volonté. Par les vôtres ! Avec Notre Bénédiction Apostolique.





6 août 1969: KAMPALA : EXEMPLE VIVANT DE LA VOCATION MISSIONNAIRE DE L'EGLISE

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Chers Fils et Filles,



Nous ne pouvons, au moins encore une fois, ne pas vous parler de notre voyage africain, en Ouganda, que nous avons fait la semaine dernière. Nous ne voulons pas vous faire une chronique de ces journées ni une description des lieux visités et des cérémonies célébrées, ou encore des rencontres que nous avons eues. Tout cela a été rapporté par la presse et le sera encore. Si cela vous intéresse vous pourrez y trouver d'abondants comptes rendus et images. Et de même pour l'histoire des martyrs, que nous avons vénérés, au cours d'un pieux pèlerinage, sur les lieux mêmes, actuellement totalement transformés par les constructions de la ville moderne de Kampala, où s'est consommé le drame atroce et glorieux de leur sacrifice pour la foi chrétienne. Lisez vous-mêmes ces comptes rendus, ce ne sera ni difficile, ni inutile.


Le fait missionnaire


Il nous semble de notre devoir d'offrir à votre esprit quelques considérations générales sur le fait missionnaire, qui, observé et médité dans ce cadre caractéristique de son déroulement original et essentiel, nous a semblé être plus impressionnant et plus éloquent, et presque révélateur du sens théologique et de la valeur humaine qui le rendent grand, salutaire et moderne. Il est vrai que cela est bien connu. Et nul n'en ignore, pouvons-nous dire, que ce soit grâce aux chroniques écrites ou rapportées par les protagonistes des missions, les missionnaires eux-mêmes. Et cela est assez clair pour vous également.

De plus, le Concile OEcuménique, par son grand décret sur l'activité missionnaire de l'Eglise Ad Gentes, a si bien défini les principes et les normes, qu'en fait il ne resterait plus rien à ajouter ; toutefois tout devrait être relu et reconsidéré.

Mais l'habitude, l'expérience, plus que la lecture, démontre la vérité des enseignements et en met en évidence les idées fondamentales. Eh bien ! nous vous dirons aujourd'hui, pour terminer nos discours sur ce thème, les trois idées qui nous sont venues à l'esprit à l'occasion de notre pèlerinage africain.


Nécessité de la mission


La première est celle de la nécessité missionnaire. L'activité missionnaire naît d'une nécessité. Ecoutez bien. Non seulement d'une nécessité d'ordre pratique et historique, qui est aussi importante : comment l'Evangile se répandrait-il, s'il n'y avait pas les missions ? Etrange phénomène, qui mérite une réflexion profonde. Pourquoi l'Evangile, qui est la vérité révélée, merveilleuse et salvifique, ne se répand-il pas tout seul ? Les découvertes scientifiques, d'ordinaire, se divulguent toutes seules. La raison humaine, la curiosité des hommes, les intérêts inhérents à leur divulgation donnent à la science une propagation immédiate et facile. Et ainsi les idées à la mode ouvrent leur chemin à travers l'humanité par l'école, la presse, la politique, et aujourd'hui par les merveilleux moyens que sont les communications par radio et télévision, avec une rapidité étonnante. Pourquoi, au contraire, la foi dans le Christ et dans son salut, notre objectif suprême, n'a-t-elle pas cette vertu de diffusion spontanée ? Parce qu'elle est difficile ? Parce qu'elle comporte un nouveau style de vie ? Parce qu'elle engendre une communion, c'est-à-dire une Eglise ? Oui, pour ces raisons et d'autres semblables. Et la réalité est celle-ci : la foi doit être portée, elle doit être annoncée de vive voix : d'une personne à l'autre. Le réseau de communication de la foi, au commencement et puis ordinairement, doit être l'homme. Le missionnaire est nécessaire, l'homme envoyé par l'autorité apostolique de l'Eglise pour que le message divin arrive à destination, c'est-à-dire atteigne le coeur des hommes. On a dit, avec une efficacité paradoxale : Dieu a besoin de l'homme. C'est-à-dire : pour que le mystère d'amour et de salut de la part de Dieu se répande dans le monde, il est nécessaire qu'il y ait ministère d'amour et de sacrifice de la part de l'homme qui accepte la charge, le risque, l'honneur de communiquer ce mystère aux autres hommes, qui en vertu de cela prennent l'aspect de frères. Cet homme indispensable, c'est le missionnaire. La charité de Dieu met à l'épreuve la charité de l'homme pour que se déploie son plan historique et social dans le monde. Et cette nécessité de service au plan divin n'est pas seulement de nature pratique, historique et extérieure, disions-Nous. Elle est aussi à l'intérieur de la vérité, de la charité même de l'Evangile, qui a été annoncé au monde pour couvrir toute la face de la terre. Ecoutons encore une fois la voix de saint Paul, l'Apôtre des peuples, le missionnaire par élection divine (cf.
1Tm 2,7 2Tm 1,11 Ga 2,8 Ac 9,15) : « Une nécessité m'incombe ! Malheur à moi si je ne prêchais pas l'Evangile » (1Co 9,16).

Cette nécessité intrinsèque, cette impulsion qui jaillit de la nature même de l'Evangile, ce devoir primordial de l'Eglise responsable, qui se définit catholique et apostolique, c'est-à-dire missionnaire (cf. Ad Gentes, AGD 1 et AGD 6), est aussi urgente aujourd'hui qu'hier, comme aux premiers temps du christianisme. Et du fait qu'aujourd'hui, encore plus clairement, l'Eglise « ne rejette rien de ce qui est vrai et saint » dans les religions non chrétiennes, qui « assez souvent reflètent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes, elle annonce cependant et est tenue constamment d'annoncer le Christ, qui est la voie, la vérité et la vie » (cf. Décl. Conc. Nostra aetate, NAE 2). La nécessité missionnaire est permanente. Nous devons tous la soutenir. Un irénisme indifférent quant à cette nécessité, fondé sur l'impossibilité pratique d'étendre à toute la terre l'action missionnaire, et quant à la miséricorde divine, à laquelle on ne peut mettre aucune limite, ne peut être admis par les exigences mêmes du plan divin révélé au monde (cf. Ep 1,9-10). Nous avons toujours besoin de missionnaires comme le Père Lourdel ; de personnes qui se lancent dans l'aventure de l'évangélisation ; ne serait-ce que parce que la terre est grande, et que la plus grande partie de notre terre ne connaît pas encore ou ne reconnaît pas Jésus-Christ, comme Sauveur et Maître.


Universalité du Christianisme


Ici jaillit la seconde idée, qui Nous est venue au cours de cette brève mais impressionnante expérience africaine. Le christianisme, et avec lui l'Eglise qui le prêche et le réalise, comme elle le peut, est universel. Il est pour tous. Il n'a ni limites géographiques, ni limites ethniques, ni limites culturelles. Il est unique, rigoureusement unique dans son contenu essentiel (cf. Ep 2 Ep 4,1-7), mais organique, c'est-à-dire différencié, dans sa composition communautaire. Il peut être adapté et s'exprimer dans toute forme de culture humaine, saine. On parle beaucoup aujourd'hui de ce pluralisme dans l'expression de l'Evangile (cf. Ad Gentes, AGD 22). Il ne s'agit pas de fractionner l'Eglise, de dissocier sa communion intime, de libérer les Eglises locales de l'harmonie avec les Eglises soeurs et de la collégialité qui oblige les Pasteurs de l'Eglise à une solidarité fraternelle et hiérarchique. Il s'agit d'admettre dans le concert des voix de la même unité la catholicité des voix différentes, différentes comme les a faites le Seigneur (1Co 12,16-21), la marque de la race, l'histoire locale, la nature particulière, la tradition culturelle. Il est merveilleux de constater comme notre religion catholique est catholique, c'est-à-dire universelle. Non seulement elle peut s'adapter aux diverses conditions de race, de moeurs, de génie des peuples, mais elle est capable de tirer de ces conditions ce qu'elles possèdent de plus original, de plus caractéristique et de plus spécifique, virtuellement ou effectivement. Tous, hommes et peuples, peuvent être catholiques, sans renier les talents qu'ils ont reçus, mais en les développant, et en les portant à un degré supérieur de plénitude d'expression et de beauté humaine. Il est merveilleux d'observer, nous le répétons, comment l'idée d'universalité dans l'Eglise est innée, et comment par conséquent elle a anticipé de bien des siècles l'universalité civile et internationale, vers laquelle se dirige le monde moderne.


« Nous avons vu un peuple »


Une troisième idée a envahi notre esprit au contact de la jeune Eglise africaine : son humanité. L'Eglise ne s'occupe ni de commerce, ni de politique, ni d'explorations géographiques ou scientifiques, mais d'âmes. Elle s'occupe de la vie de l'homme, de son existence physique, de sa dignité personnelle, de sa perfection morale, de sa liberté sociale, en un mot de l'être humain en tant que tel, dans son intégralité inviolable de fils de Dieu, de frère du Christ, de tabernacle de l'Esprit Saint, de membre d'un seul corps mystique, l'Eglise, et par conséquent de citoyen instruit, travailleur, honnête, conscient, aimant sa famille, son pays, sa patrie, l'humanité. Cette intégralité humaine nous l'avons vue dans son être et dans son devenir. Nous avons vu un Peuple. Et dans la lumière de son christianisme, un Peuple bon, un Peuple ouvert à la vision difficile et sublime de la paix ; de la paix domestique, nationale, mondiale. Et tout ce cadre humain est lié à une parole très simple, héritée des martyrs de l'Ouganda : la prière, donc à la religion, à la foi, à l'Eglise, au Christ. Humanité très belle, simple, vivante, africaine et chrétienne. Nous la saluons encore. Et Nous vous bénissons avec elle.





13 août 1969: LA NECESSITE DU RETOUR A LA PRIERE PERSONNELLE

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Chers Fils et Filles,


Dans Notre brève exhortation de dimanche passé, avant la récitation de l'« Angélus », Nous avons rappelé à Nos visiteurs l'opportunité de réserver, durant la période des vacances d'été, quelques moments à la vie de l'esprit, au silence, à la réflexion et à la prière. Durant cette rencontre rapide, mais peut-être importante, nous voulons reprendre ce même motif avec vous, très chers fils, sous un aspect plus général, celui de la nécessité de retourner à la prière personnelle.

Pourquoi retourner ? Parce que Nous avons la conviction, que Nous voudrions voir démentie par les faits (comme elle l'est, heureusement, dans plusieurs cas), qu'aujourd'hui, même les bons, même les fidèles, même ceux qui sont consacrés au Seigneur, prient moins qu'autrefois. Disant cela Nous croyons de Notre devoir d'en donner la preuve et d'en dire le pourquoi. Mais Nous ne Nous acquitterons pas maintenant de ce devoir. Cela exigerait un très long discours. Nous invitons plutôt chacun de vous à faire lui-même cette enquête : Est-ce qu'on prie aujourd'hui ? L'homme moderne sait-il prier ? En sent-il l'obligation ? En sent-il le besoin ? Et même le chrétien a-t-il la facilité, le goût et le besoin de l'oraison ? A-t-il toujours l'affection de ces formes de prière, que la piété de l'Eglise, tout en ne les déclarant pas officielles, a tant enseignées et recommandées, comme le chapelet, le Chemin de Croix etc. et spécialement la méditation, l'adoration du Saint-Sacrement, l'examen de conscience et la lecture spirituelle ?


Rite et Mystère


Personne ne voudra attribuer à la liturgie la diminution de la prière personnelle et surtout de la vie spirituelle, de la vie intérieure, de la « piété » comprise comme expression du don de l'Esprit-Saint par lequel nous nous adressons à Dieu, dans l'intimité du coeur, avec le nom familier et profond de Père (cf.
Rm 8,15-16 S. thomas, II-II 121,1), à la liturgie, c'est-à-dire à la célébration communautaire et ecclésiale de la Parole de Dieu et des mystères de la Rédemption (cf. Sacr. Conc., SC 2). Cette liturgie qui, grâce à un intense et vaste mouvement religieux, a été couronnée et même canonisée par le récent Concile, a assumé un progrès, une dignité, une accessibilité et une participation dans la conscience et la vie spirituelle du Peuple de Dieu. Nous souhaitons qu'elle en assume davantage dans le proche avenir. La liturgie possède, en sa primauté, la plénitude, et de par elle-même, une efficacité que nous devons tous reconnaître et promouvoir. Mais la liturgie, de par sa nature publique et officielle dans l'Eglise, ne remplace ni n'appauvrit la religion personnelle. La liturgie n'est pas uniquement un rite. C'est un mystère. Et, comme telle, elle exige l'adhésion consciente et fervente de ceux qui y prennent part. Elle suppose la foi, l'espérance et la charité, et bien d'autres vertus et sentiments, actes et conditions comme l'humilité, le repentir, le pardon des offenses, l'intention, l'attention, l'expression intérieure et vocale qui disposent le fidèle à se plonger dans la Réalité divine que la célébration liturgique rend présente et opérante. La religion personnelle, selon les possibilités de chacun, est une condition indispensable à la participation liturgique authentique et consciente. De plus elle est le fruit, la conséquence de cette participation qui vise justement à sanctifier les âmes et à corroborer en elles le sens de l'union avec Dieu, avec le Christ, avec l'Eglise et avec les frères de l'humanité entière.

La diminution, s'il en est, de la vie religieuse personnelle devrait être cherchée dans une tout autre direction. Essayez encore de vous demander : pourquoi, aujourd'hui, la vie intérieure. Nous voulons dire la vie de prière, est-elle moins intense et moins facile chez les hommes de notre temps, c'est-à-dire en nous-mêmes ? Cette demande exigerait une réponse extrêmement complexe et difficile, que nous pouvons maintenant synthétiser ainsi : nous sommes éduqués à la vie extérieure qui a pris une fascination et un développement merveilleux, et ne le sommes guère à la vie intérieure, dont nous connaissons peu les lois et les satisfactions. Notre pensée s'exerce principalement dans le domaine du sensible : « civilisation de l'image » : radio, télévision, photographie, symboles et schémas mentaux, etc., et dans le domaine social, c'est-à-dire, dans la conversation et dans les rapports avec les autres, nous sommes tournés vers l'extérieur. Enfin la théologie cède souvent le pas à la sociologie ; la conscience morale elle-même est submergée par la conscience psychologique, et revendique une liberté qui, s'abandonnant à elle-même, la fait errer en dehors de soi, dans la poursuite aveugle de la mode. Où est Dieu ? Où est, le Christ ? Où est la vie religieuse, dont cependant nous sentons encore et toujours un besoin obscur mais insatisfait ?


Une certitude, un réconfort


Vous savez que cet état de choses constitue le drame spirituel et, nous pouvons dire, humain et civil de notre temps. Mais, maintenant, en ce qui nous concerne nous, fils de l'Eglise, il nous suffit de rappeler avec une pensée célèbre de S. Augustin (« Intus eras et ego foras » ; Conf. 10, 27 : PL 32, 795), que le point essentiel de rencontre avec le mystère religieux, avec Dieu, est au-dedans de nous, dans la cellule intérieure de notre esprit, dans cette activité personnelle que nous appelons oraison. C'est dans cette attitude de recherche, d'écoute, de supplication, de docilité (cf. Jn 6,45) que l'action de Dieu nous atteint normalement, qu'elle nous donne la lumière et le sens des réalités invisibles du royaume céleste, qu'elle nous rend meilleurs, forts, fidèles, qu'elle nous fait comme Lui nous veut.

A vous, frères et soeurs consacrés au Seigneur, Nous disons : vous avez le droit et le devoir d'entretenir une conversation intime avec Lui ; à vous, jeunes, avides de trouver la clef du siècle nouveau ; à vous, chrétiens, qui voulez découvrir la synthèse possible, purifiante et béatifiante de la vie vécue, aujourd'hui, et celle de la foi qui vous est chère ; à vous, hommes de notre temps, lancés dans le tourbillon de vos occupations obsédantes et qui sentez le besoin d'une certitude et d'un réconfort que rien au monde ne vous donne ; à vous tous Nous disons: priez, frères ! orate, fratres ! Ne vous fatiguez pas de faire sourdre du fond de votre esprit, avec votre voix intime ce : Toi ! adressé au Dieu ineffable, à cet Autre mystérieux qui nous observe, qui nous attend et nous aime. Et certainement vous ne serez ni déçus ni abandonnés, mais vous éprouverez la joie nouvelle d'une réponse enivrante : Ecce adsum, Voici, je suis là (Is 58,9).

Avec Notre Bénédiction Apostolique : priez, Frères !


Salutations dans la salle du Suiise


A vous, chers Messieurs, Nous voulons dire un mot de particulière gratitude pour avoir organise ce pèlerinage de vos chers compatriotes. Il leur a donne l’occasion de Nous redire leur foi vivante au Christ et leur fidélité généreuse à l’Eglise, dans l’amour intrépide pour le successeur de Pierre. Et à Nous il permet de recevoir cet hommage comme un nouveau témoignage de la Pologne toujours fidèle au Christ et à l’Eglise, toujours fidèle à l’Eglise de Rome.

Aussi est-ce bien volontiers qu’en gage de l’abondance des divines grâces sur vous-mêmes, sur vos familles, sur tous ceux qui vous sont chers, Nous vous donnons Notre paternelle Bénédiction Apostolique.





Catéchèses Paul VI 23769