Catéchèses Paul VI 20869

20 août 1969: L'ORAISON ILLUMINE LA VIE, TIENT EN EVEIL LA VIGILANCE, STIMULE LA CONSCIENCE

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Chers Fils et Filles,


Notre discours s'adresse aujourd'hui à vous, chers visiteurs, qui, Nous le pensons, venez vers Nous, à cette audience, poussés non par la seule curiosité touristique ni par la seule dévotion filiale, mais par un désir secret, comme un besoin, une espérance de recevoir de Notre part une parole de lumière spirituelle.

Nous disions, dans une précédente rencontre comme celle-ci, qu'il est nécessaire — aujourd'hui comme toujours — mais aujourd'hui en raison des conditions présentes de notre existence, si absorbée par l'enchantement de ce qui nous entoure et si troublée par la profondeur et la rapidité des changements en cours, nous disions donc qu'il est plus que jamais nécessaire de nourrir un esprit et une pratique d'oraison personnelle, intime, continue, prière de foi, de charité, on ne peut pas demeurer chrétien ; on ne peut pas utilement et sagement participer à l'efflorescence du renouveau liturgique, on ne peut pas efficacement donner le témoignage de cette authenticité chrétienne dont on parle si souvent, on ne peut pas penser, respirer, agir, souffrir, espérer pleinement avec l'Eglise vivante et en marche. Il faut prier. C'est par déficience de la prière que viennent sans doute à diminuer en nous et peut-être à manquer soit l'intelligence des choses et des événements soit l'aide mystérieuse mais indispensable de la grâce.

Nous pensons que bien des tristes crises spirituelles et morales de personnes instruites et placées à divers niveaux dans l'organisme ecclésiastique sont dues à la langueur et peut-être au manque d'une vie d'oraison régulière et intense, soutenue jusqu'à hier par de sages coutumes extérieures mais qui, abandonnées, voient s'éteindre l'oraison et avec elle la fidélité et la joie.

Nous voudrions aujourd'hui par ces simples paroles réconforter en vous la vie de prière quel que soit votre âge ou votre situation. Nous supposons que chacun de vous prête attention en quelque manière au problème relatif au devoir et au besoin de la prière. Nous vous pensons tous fidèles à la prière et désireux de la retrouver meilleure en elle-même, spécialement grâce à l'animation provoquée par le Concile, et de nouveau fraternellement associée à la vie profane, honnête et moderne. Mais nous voudrions que chacun de vous se situe de lui-même dans une des catégories qu'une observation banale offre à l'expérience commune.


Une piété sans ailes


Il y a une première catégorie, peut-être la plus étendue, celle des âmes spirituellement assoupies. Le feu n'est pas éteint mais il est recouvert de cendres. Le grain n'est pas mort, mais comme dit la parabole évangélique, il est étouffé par la végétation environnante (
Mt 13,7-22) par les « sollicitations du siècle présent » et par « les illusions des richesses ». La tendance à séculariser toute activité humaine exclut graduellement la prière des coutumes publiques aussi bien que des habitudes privées.

Récite-t-on la prière du matin et du soir avec la conscience d'accomplir par elle un geste de signification transcendante, une valeur survivant à une journée fugitive ? Nous voulons bien supposer qu'on fréquente encore l'Eglise, qu'on récite le bréviaire, qu'on assiste à l'office, mais le coeur où est-il ? Une marque de cette déficience spirituelle est le poids que la prière inflige à l'observance privée des choses de dévotion... Sa durée semble toujours trop longue, sa forme est accusée d'incompréhensibilité et d'étrangeté. La prière manque d'ailes. Elle n'est plus un goût, une joie, une paix de l'âme. Serions-nous de cette catégorie ?

Une autre catégorie, accrue en nombre et en anxiété depuis la réforme liturgique conciliaire est celle des soupçonneux, des critiques, des mécontents. Dérangés dans leurs pieuses habitudes ces esprits ne se résignent qu'à contre-coeur aux nouveautés; ils ne cherchent pas à en comprendre les raisons, ils ne trouvent pas heureuses les nouvelles expressions du culte et se réfugient dans leurs plaintes qui enlèvent aux formules d'autrefois leur antique saveur et empêchent de goûter celles que l'Eglise, en ce printemps liturgique offre aux âmes ouvertes au sens et au langage des rites nouveaux, loués par la sagesse et l'autorité de la réforme postconciliaire. Un effort facile d'adhésion et de compréhension donnerait l'expérience de la dignité, de la simplicité, de la « moderne antiquité » des nouvelles liturgies et, à partir de la célébration communautaire, en porterait la consolation et la vigueur dans le sanctuaire de chaque personne.


Un christianisme sans dogmes?


Une autre catégorie comprend ceux qui se disent en règle avec la charité envers le prochain pour mettre dans l'ombre ou déclarer superflue la charité envers Dieu. Tous savent quelle force négative a accumulée cette attitude spirituelle selon laquelle ce n'est pas la prière mais l'action qui engendrerait une vigilante et sincère vie chrétienne.

Le sens social remplace le sens religieux. Cette objection dévorante se propage par une littérature audacieuse jusqu'à porter préjudice à l'opinion publique, à la mentalité populaire et se répand dans quelques « groupes spontanés » comme on les appelle, qui, chercheurs inquiets d'une religiosité spéciale, plus intense, éloignée de celle habituelle de l'Eglise qu'ils estiment autoritaire et mécanisée, finissent par perdre la vraie religiosité, remplacée par une sympathie humaine, belle et digne en elle-même, mais rapidement vidée de la vérité théologique et de la charité théologale.

Quelle consistance réelle, quel mérite transcendant peut avoir une religiosité dans laquelle la doctrine de la foi, dans son rapport avec l'absolu, avec Dieu Un et Trine, dans laquelle le drame de la Rédemption, et le mystère de la grâce et de l'Eglise sont ordinairement tus ou offerts aux commentaires de la situation sociale et du moment politique et historique ? Il y aurait tant à dire sur ce thème... mais pas maintenant. Il suffit pour le moment de mettre en garde les esprits généreux, avides d'Evangile et de religion personnelle, sur le faux fondement d'une telle tendance et sur les périls qu'elle peut engendrer par des effets totalement opposés, même sur un plan humain, à ceux que l'on cherche et qui sont : la liberté, l'amour, l'unité, la paix, la réalité religieuse infuse dans la société et dans l'histoire.

Cherchons donc à nous classer parmi ceux que Jésus veut porteurs de lampes allumées : « Que vos lampes soient allumées en vos mains » (Lc 12,35).


Joie et bonheur


Il n'y a rien d'autre : l'oraison illumine la vie, tient en éveil la vigilance, stimule la conscience. Un écrivain célèbre de notre temps fait dire à l'un de ses personnages, un prêtre cultivé et malheureux : « J'ai cru trop facilement qu'on pouvait se dispenser de cette surveillance de l'âme, en un mot, de cette inspection forte et subtile à laquelle nos vieux maîtres donnaient le beau nom d'oraison » (bernanos, L'Impost., p. 64). L'oraison vainc l'obscurité et l'ennui de notre chemin. Ce n'est pas pour rien que le Seigneur nous a laissé ce binôme évangélique : « Veillez et priez » (Mt 26,41). Ce n'est pas le seul. L'oraison, la vie d'oraison, c'est-à-dire l'habituelle direction de notre esprit vers Dieu, moyennant un entretien filial et une concentration silencieuse avec Lui, porte à cette forme de spiritualité qui est remplie du don de la Sagesse de l'Esprit-Saint, (cf. Rm 8,14) et que nous pouvons appeler, même pour les simples fidèles, vie contemplative.

Ainsi le maître S. Thomas, avec son habituelle acuité dit que la vie contemplative constitue, en quelque façon, le commencement de la béatitude (« quaedam incohatio beatitudinis », II-II 180,4). Il se réfère à l'épisode de Marthe et Marie, où cette dernière en dialogue avec le Christ obtint de Lui cette fameuse réponse : « Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera pas ôtée » (Lc 10,42), jamais plus.

Voici donc la consolation que Nous vous souhaitons à tous : que vous puissiez trouver dans l'oraison, cordialement accomplie, bien proportionnée, toujours éclairée dans son intention (Lc 18,1), la source de joie et d'espérance dont a besoin notre pèlerinage terrestre.

Avec Notre Bénédiction Apostolique.





27 août 1969: LA PRIERE DANS LE MONDE MODERNE

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Chers Fils et Filles,



Nous vous le demandons : essayez de Nous comprendre. De Nous comprendre dans une des préoccupations majeures de notre ministère : réveiller le sens religieux dans les âmes des hommes de notre temps. Ce que Nous allons dire doit être relié à ce que Nous avons dit dans d'autres audiences, au sujet de l'obligation et du besoin de la prière. Comment amener l'homme moderne à prier ? Et encore avant de prier, comment l'amener à avoir ce sens, vague peut-être, mais profond, mystérieux, stimulant, de Dieu, qui est prémisse de prière ?


Réveiller le sentiment religieux


La prière est un colloque, de notre être conscient avec Lui, l'interlocuteur invisible, mais reconnu présent ; le Vivant par excellence, qui remplit de crainte et d'amour ; le divin ineffable, que le Christ (cf.
Mt 11,27), en nous faisant le don inestimable de la révélation, nous a appris à nommer Père. C'est-à-dire qu'il est source nécessaire et aimante de notre vie, invisible et immense comme le ciel, comme l'univers où il se trouve, créant tout, pénétrant tout et continuellement agissant. Comment réveiller ce sens religieux fondamental par le seul intermédiaire duquel notre petite voix, si pleine pourtant de signification et de spiritualité, trouve son climat, et peut s'exprimer en criant et en chantant cette parole filiale : Notre Père, qui es aux cieux ? Comment peut-on donc réveiller dans l'homme moderne ce sens religieux ? (cf. guardini, Introduction à la prière).

Nous ressentons la difficulté, énorme et toujours plus grande, que les hommes rencontrent pour parler avec Dieu. Le sens religieux est aujourd'hui comme affaibli, éteint, évanoui. Du moins, c'est l'impression que l'on a. Appelez ce phénomène comme vous le voulez : démythisation, sécularisation, rationalisme, autosuffisance, athéisme, antithéisme, matérialisme. Mais le fait est grave, extrêmement complexe, même s'il se présente en pratique de façon simple. Il envahit les masses, trouve support et adhésion dans la culture et dans les moeurs, s'introduit partout, comme s'il était une conquête de la pensée et du progrès ; il semble caractériser l'époque nouvelle, sans religion, sans foi, sans Dieu, comme si l'humanité s'était émancipée d'une situation dépassée et oppressive (cf. Gaudium et spes, GS 7).

Cela ne peut être, vous le savez bien; Vous vous rappelez sans doute — pour user d'une comparaison — la parabole du « fil d'en haut » de Joergensen, ce fil qui soutient toute la trame de la vie, sans lequel toute la vie s'effiloche et décline, perd sa vraie signification, sa valeur étonnante : ce fil est notre rapport avec Dieu, c'est la religion. Elle nous soutient et nous fait expérimenter, dans une gamme très riche de sentiments, la merveille d'exister, la joie et la responsabilité de vivre. Nous en sommes profondément convaincu. Notre ministère y est profondément engagé, et Nous souffrons, quand Nous voyons comment cette génération a du mal pour conserver et pour alimenter ce sens religieux, sublime et indispensable.


Besoin d'un supplément d'âme


Nous comprenons, enfants de ce temps, vos difficultés, surtout celles d'ordre psychologique, et cela augmente notre intérêt, notre amour pour vous. Nous voudrions vous aider ; Nous voudrions vous offrir ce « supplément d'âme », qui manque dans la gigantesque construction de la vie moderne. Notre office apostolique et pastoral est donc de chercher la solution des grands problèmes pédagogiques de notre temps.

Nous disons pédagogiques, c'est-à-dire relatifs à la formation et au développement intégral de l'homme dans l'interprétation de sa nature véritable et mystérieuse, de ses facultés, enfin de son destin. La pédagogie de la vérité et de la plénitude porte l'homme au seuil de la religion ; au besoin de Dieu, à la réceptivité de la foi.

Et la pédagogie est une science ouverte à tous, un art connaturel à une vie authentique et honnête. Qui possède d'instinct cet art, sinon les parents ? qui devrait en connaître les secrets, sinon les éducateurs ? Et en général, tous ceux qui s'adressent aux hommes politiques ? Chacun de nous ne devrait-il pas être un bon maître de lui-même ? A quoi servent autrement la conscience et la liberté ? La religion est au sommet de l'éducation humaine, plus qu'au sommet, à sa racine ; « fondement et couronnement » comme il est dit dans un texte célèbre (l'art. 36 du concordat avec l'Italie), quand la ligne du développement humain suit la ligne qui correspond à sa finalité (cf. maritain, Pour une philosophie de l'éducation, pp. 157 ss.).

C'est pourquoi Nous vous appelons à notre aide, vous et tous ceux qui aiment vraiment l'homme et ont l'intuition de ses nécessités religieuses. Vous pouvez, à partir de l'expérience même du monde, chercher et trouver les sentiers qui conduisent vers le sens religieux, vers le mystère de Dieu, ensuite vers le colloque et l'union à Dieu.


Cinéma et télévision


Prenons un exemple qui est, peut-on dire, celui de tous, l'image fascinante du cinéma, de la télévision. Elle absorbe quasi toute la disponibilité de vie intérieure, dans la jeunesse spécialement. L'image multiforme s'imprime dans la mémoire, et ensuite dans l'esprit ; si elle est recherchée avec une assiduité parfois obsessive, elle remplace la pensée spéculative et peuple l'esprit de vains fantômes (cf. Sg 4,12), le stimule à l'imitation, l'extériorise, l'abaisse au niveau du monde sensible. Comment la vie spirituelle, la prière, la référence au premier principe qui est Dieu, peuvent-elles trouver place dans une conscience encombrée de cette importation habituelle d'images, souvent futiles et nocives ? Il faut introduire dans cette conscience un moment d'arrêt, de réflexion, de critique. Un « ciné-forum » bien guidé peut être un premier instant de reprise d'autonomie libératrice de la suggestion de l'image ; la pensée surnage du rêve fantastique ; un jugement se forme; si celui-ci ne se limite pas à jauger les impressions reçues à la mesure de la technique et de l'esthétique, mais les confronte avec l'idée de l'homme, avec la vie morale, alors un élan vers le haut, c'est-à-dire vers le domaine spirituel, et ensuite, à certains moments, vers la pensée strictement religieuse, est possible, ou même parfois s'impose, « Les usagers, les jeunes tout particulièrement, dit le Concile (Inter Mirifica, IM 10), doivent s'entraîner à la modération et à la discipline dans l'usage de ces moyens et chercher en outre à mieux comprendre ce qu'ils voient, entendent et lisent. Ils en discuteront soit avec leurs éducateurs, soit avec des spécialistes en la matière ; ils apprendront ainsi à se former un jugement droit. « Il faut parcourir en montant le chemin de l'expérience sensible, qui par son attraction et son objet nous porte à la descente. Au « divertissement » de sens pascalien (Pensées 11), c'est-à-dire à la distraction, qui nous porte hors de nous et souvent dans une expérience malsaine, il nous faut remédier par un retour en nous-mêmes, et ensuite rechercher la rencontre religieuse, tonifiante et ineffable.


La prière de celui qui travaille


Nous pourrions prendre un autre exemple, celui du travail industriel et bureaucratique, qui réduit l'homme à une « seule dimension », celle de la limitation, de l'uniformité, du mécanisme, du pur physique, déshumanisant et exténuant. Après un tel travail, l'homme est épuisé, et anéanti. Comment peut-il avoir encore le sens de lui-même et celui de Dieu, dont Nous sommes en train de parler ? Le seul repos physique ne suffit pas ; naissent alors des besoins de liberté et de loisirs, qui peuvent être honnêtes et légitimes, mais qui n'arrivent pas toujours à rendre au travailleur fatigué sa dimension d'homme et de chrétien. Il a besoin d'une thérapeutique qui le fortifie : silence, amitié, amour familial, contact avec la nature, réflexion et application au bien. La prière devient alors facile et vivante. Il n'y a pas de meilleur médecin que lui-même, surtout si à son besoin secret et à son attitude d'attente vient en aide l'offrande intelligente et amicale d'un moment religieux : la prière en famille, brève mais douce, la messe des jours de fête, peuvent être d'un grand réconfort. La vie retrouve alors sa dignité, le coeur sa capacité de sentir et d'aimer. Cela pose le gros problème de l'assistance spirituelle aux travailleurs du monde moderne ! Mais chacun peut trouver sa propre voie pour le résoudre ; la voie royale est celle de plonger une heure dans la communauté ecclésiale, où la Parole de Dieu demande la nôtre, par la supplication et l'hymne de joie, et où la présence sacramentelle du Christ nous remplit de foi, d'espérance et d'amour.


Les raisons de vivre


Nous renonçons pour le moment à considérer le cas de la mentalité, dérivant de la culture moderne, fondée en général sur les critères du rationalisme scientifique et du pessimisme logique et psychologique, c'est-à-dire privée de ces principes rationnels qui rendent possible la montée métaphysique et l'acceptation de la foi, et donc de la vie chrétienne coordonnée avec la culture moderne. La pédagogie peut servir dans ce cas — c'est celui de la contestation actuelle — dans la recherche sage de raisons de vivre, capables de restituer la confiance dans la pensée spéculative et dans l'avenir de l'ordre social ; ces raisons de vivre postulent facilement le sens religieux et s'épanchent joyeusement dans la découverte du message chrétien.

Ce qui importe donc est de trouver la voie pour trouver la vie, que seul le contact avec Dieu peut nous donner. Pensez-y vous aussi, avec Notre Bénédiction Apostolique.





3 septembre 1969: LA REFORME LITURGIQUE

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Chers Fils et Filles,



Nous parlons depuis quelque temps de la nécessité pour ceux qui veulent rester chrétiens, et progresser devant Dieu (
Ep 4,15), de maintenir toujours vivante en eux la foi surnaturelle et donc d'intensifier dans leur esprit et en pratique leur vie de prière.

Nous sommes convaincu que le culte divin établi et célébré par l'Eglise hiérarchique. C'est-à-dire la liturgie, comme la piété populaire approuvée et encouragée par l'Eglise, peuvent alimenter « en esprit et en vérité », comme le Christ l'a présagé (Ep 4,15), l'adoration du Père, c'est-à-dire le rapport authentique et efficace avec Dieu. Elles peuvent exprimer ce qu'il y a dans le coeur de l'homme, non moins celui d'aujourd'hui que celui d'hier et lui offrir les expressions les plus élevées et les plus belles. Elles peuvent lui ouvrir aussi bien le sentier de la spéculation spirituelle, satisfaite « dans les pensées contemplatives » (dante, Paradiso 21, 117), que l'art de traduire en prière les voix douloureuses ou heureuses de l'humanité environnante. Elles peuvent lui mettre sur les lèvres les syllabes profondes des heures décisives de la vie.


Essor du mouvement liturgique


Nous devrions relire cette grande page du Concile qu'est la Constitution sur la Sainte Liturgie et essayer de comprendre ce en quoi elle est fidèle à la tradition de prière de l'Eglise, ce qu'elle nous propose de nouveau, et aussi combien elle reflète et accomplit pleinement le mystère de l'Eglise en marche dans le temps (cf. SC 2), et combien elle nous veut non seulement spectateurs, mais participants spécialement au divin sacrifice de l'Eucharistie, au rite sacré.

Nous bénissons le Seigneur en constatant que le mouvement liturgique promu par le Concile s'est répandu dans l'Eglise et pénètre la conscience du clergé et des fidèles. La prière en commun se développe et anime tout le peuple de Dieu ; elle devient consciente et communautaire ; la foi et la grâce la pénètrent de plus en plus ; ainsi la foi surnaturelle s'éveille, l'espérance eschatologique conduit la spiritualité de l'Eglise, la charité reprend sa place de choix, vivifiante et agissante, et précisément en ce siècle profane et païen, sourd aux voix de l'esprit.

Nous voulons encourager ceux qui travaillent de tout leur coeur à cet effort immense pour répandre dans toute la communauté catholique un nouveau style de prière. La révision actuellement en cours des formes et des textes liturgiques exige beaucoup d'étude et de labeur de celui qui l'ordonne, beaucoup de patience et d'assiduité de celui qui doit l'exécuter et beaucoup de confiance et de collaboration filiale de ceux qui, modifiant leurs habitudes et renonçant à leurs préférences, doivent s'y conformer.


Les risques


Mais cette réforme n'est pas sans dangers, en particulier celui de choix arbitraires, susceptibles de désagréger l'unité spirituelle de l'Eglise ainsi que la beauté de la prière et la beauté de la liturgie. L'Eglise, en admettant l'utilisation de langues populaires, certaines adaptations aux désirs locaux, des nouveautés dans les rites, ne veut pas donner à croire qu'il n'existe plus de règle commune, fixe et obligatoire dans la prière de l'Eglise, et que chacun peut l'organiser ou la désorganiser à son gré. Ce ne serait plus du pluralisme dans le domaine du permis, mais de la déformation et parfois non seulement de forme mais de fond, comme par exemple dans les intercommunions avec celui qui n'est pas validement ordonné. Ce désordre, que l'on constate malheureusement ici ou là, cause un grave préjudice à l'Eglise : à cause de l'obstacle qu'il met à la réforme disciplinée, qualifiée et autorisée; à cause des notes fausses ainsi introduites dans l'harmonie spirituelle de la prière commune de l'Eglise ; à cause du subjectivisme religieux qu'il alimente chez le clergé et les fidèles; à cause de la confusion et de la faiblesse qu'il engendre dans l'enseignement religieux des communautés : exemple ni bon, ni fraternel.

Le prétexte pour ce choix arbitraire peut être le désir d'établir une liturgie à son goût, convenant mieux à celui qui y participe. Parfois même on prétend ainsi exprimer un culte plus spirituel. Nous voulons voir dans ces prétentions quelques bons désirs dont la sagesse des pasteurs saura tenir compte. Notre Congrégation pour le Culte Divin a promulgué une Instruction sur la célébration des Messes en des milieux particuliers, hors des édifices consacrés.


Rester dans la communion de l'Eglise


Nous voudrions toutefois exhorter les personnes de bonne volonté, prêtres et fidèles, à ne pas se laisser aller à ce particularisme indocile. Celui-ci offense non seulement les prescriptions canoniques mais le coeur, le sens communautaire du culte catholique dont le prêtre, mandaté par l'évêque, est le médiateur : communion avec Dieu, communion entre frères.

Ce particularisme tend à créer de petites Eglises, presque des sectes. Il tend, comme on dit, à ne pas tenir compte des structures institutionnelles. Dans l'illusion de posséder un christianisme libre et charismatique, on aboutit à un christianisme amorphe, évanescent, exposé « au souffle de tout vent » (cf. Ep 4,14), de la passion ou de la mode, ou de l'intérêt temporel et politique.

Cette tendance à s'affranchir progressivement et obstinément de l'autorité et de la communion de l'Eglise peut malheureusement aller très loin, non pas comme l'ont dit certains, mener dans les catacombes mais mener hors de l'Eglise. Elle peut finalement constituer une fuite, une rupture et donc un scandale, une ruine. Elle ne construit pas, mais démolit.

Rappelons-nous l'exhortation de saint Ignace d'Antioche, le martyr du second siècle : « Un seul autel, comme un seul évêque » (Ad Philad. 4) ; « ne faites rien sans l'évêque » (Ad Trall II, 2) ; car l'évêque est le principe et le fondement de l'Eglise locale, comme le Pape l'est de l'Eglise entière (cf. Denz. DS 1821-1826).

Ici on voit le rapport entre l'Eglise et la prière. Nous n'en parlons pas maintenant ; mais Nous pensons que ceux qui ont à la fois le sens de l'Eglise et le souci d'une prière valide et vivante, peuvent facilement le comprendre. Il est donc nécessaire, fils très chers, de prier avec l'Eglise et pour l'Eglise.

Et c'est ce à quoi Nous vous exhortons avec Notre Bénédiction Apostolique.


Salutations:


Nous voudrions dire maintenant un mot particulier de bienvenue à plusieurs groupes de langue française présents à tette audience. Et tout d’abord aux industriels et représentants de maisons européennes, productrices de matériel sanitaire. Vous vous êtes réunis à Rome pour étudier ensemble les problèmes de débouchés industriels dans le cadre du Marché commun, comme en dehors de ses frontières. Que tette rencontre fraternelle soit pour vous tous, chers Messieurs, l’occasion d’oeuvrer plus généreusement au service de l’homme, et de le faire bénéficier des progrès de la technique, pour son épanouissement équilibré.

Avec joie Nous saluons les pèlerins de Montréal et d’Orléans, et tout particulièrement parmi eux les malades et tous ceux qui sont immobilisés pour longtemps par suite de maladie. Que soient spécialement encouragées l’OEuvre du pèlerinage des malades, sous le patronage de l’oratoire de Saint Joseph du Mont-Royal et la protection spirituelle de l’incomparable apôtre que fut le Frère André, de la Congrégation de Sainte Croix; et aussi la Fraternité catholique des malades et Amicitia, qui s’efforcent de nouer des liens fraternels et spirituels entre tous ceux qui sont atteints par l’épreuve, pour les aider à la porter généreusement, et à l’offrir au Seigneur pour son Eglise et pour la paix du monde.

Nous voulons dire aussi Notre joie de ce que participent à tette audience des pèlerins du Foyer Notre-Dame des Sans-Abri, de Lyon. Que Notre Dame, chers Fils, continue à bénir votre oeuvre admirable de charité chrétienne au service des pauvres et des mal.heureux que vous secourez si fraternellement, en leur donnant asile d’abord, en les aidant à construire des logements d’urgente ensuite. De tout coeur, Nous vous bénissons, et vous encourageons à poursuivre généreusement ce beau témoignage que vous donnez inlassablement, de vrais disciples du Christ.


Au conseil de l'union internationale des magistrats:

Chers Messieurs,

Nous sommes bien conscient de l’importance sociale de la magistrature, et de l’influence qu’exerce votre Profession sur la qualité des rapports humains dans la communauté des hommes, la réparation des délits, l’urbanité de la vie sociale, l’éducation de la conscience civique. Aussi est-ce de grand coeur que Nous vous encourageons dans l’exercice de cette haute Charge, et que Nous appelons sur vous et sur vos efforts l’abondance des divines bénédictions.

(suite en allemand)


10 septembre 1969: LUCIDITE, SOUFFRANCE MAIS CONFIANCE DEVANT LES TENDANCES DANS L'EGLISE

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Chers Fils et Filles,



On parle beaucoup aujourd'hui des troubles qui secouent, de l'intérieur, la vie de l'Eglise, après le Concile, d'une manière inattendue et qui ne provient pas certainement du Concile lui-même par une logique fidèle, mais par une logique contraire à l'esprit, aux espérances et aux normes du Concile. Si bien que, parfois, on ose penser — et même déclarer — le Concile insuffisant, dépassé et requérant des compléments qui en réduisent l'autorité et en compromettent l'authentique fécondité. On qualifie aussitôt cet état de choses par des termes désormais conventionnels dans le langage de l'opinion publique, mais peu exacts pour bien définir des faits de l'Eglise : progressisme, contestation, révolution, ou bien réaction, restauration, immobilisme, etc.

Etant habitué à référer chaque chose à Notre évaluation spirituelle plutôt qu'à une évaluation profane Nous préférons considérer les faits et phénomènes qui nous entourent à la lumière d'une autre terminologie, la terminologie spirituelle.


Crise de méfiance


Nous pourrions ainsi, d'une manière générale, qualifier ce trouble actuel de crise de confiance, si on considère ceux chez qui elle naît et fermente. Ou mieux encore, une crise de méfiance, vue sous l'aspect négatif, qui est celui qui nous préoccupe maintenant. Une tentation de méfiance envahit un certain nombre de milieux ecclésiastiques. Méfiance à l'égard des actes mêmes de renouveau de l'Eglise ; et cela devient résistance chez certains, indifférence chez d'autres. Méfiance à l'égard de l'Eglise telle qu'elle est ; et cela devient crise de charité et recours souvent ingénu et servile aux idéologies contraires et aux moeurs profanes. Ici et là se répand le soupçon que l'Eglise est incapable de se soutenir et de se renouveler. On, renonce à l'espérance d'un nouveau printemps chrétien, on fait recours à des théologies arbitraires, ou à des suppositions charismatiques gratuites pour combler le vide intérieur de la confiance perdue : en Dieu, en la conduite de l'Eglise, en la bonté des hommes et même en soi-même.

Devons-Nous vous dire que Nous aussi, et avec Nous des personnes et des organes responsables dans l'Eglise de Dieu, sommes suspectés de méfiance ? Il y a quelques jours un ecclésiastique Nous confiait son impression, partagée d'ailleurs — disait-il — par d'autres personnes sages, sur la vie de l'Eglise, l'impression que l'Eglise en son centre, et le Pape lui-même étaient envahis d'une certaine méfiance quant au cours général de la période postconciliaire, et semblaient timides et incertains, plus que francs et décidés. Cette observation Nous a porté à réfléchir. Serions-Nous Nous aussi pris par la méfiance ? Homo sum ; et en soi il n'y aurait rien d'étonnant. Pierre lui-même ou mieux Simon, fut faible et inconstant, et alterna entre des attitudes d'enthousiasme et de peur. Dans ce cas nous devrions Nous jeter aux pieds du Christ, et lui répéter dans une humilité infinie avec Pierre : « ... homo peccator sum » (
Lc 5,8) ; mais aussi avec un amour infini : « Tu scis quia amo Te » (Jn 21,15-17) ; et puis faire, face à Nos Frères et à Nos Fils, l'humble examen de Nous-même, dans le seul but d'effacer en eux l'impression éventuelle dont Nous parlions plus haut, et pour leur dire toute la certitude intérieure par laquelle le Seigneur daigne réconforter Notre conscience. Notre ministère. Nous osons donc faire Nôtres les paroles de l'apôtre : « Qui pourra nous séparer de l'amour du Christ ?... Oui, j'en suis sûr... rien ne pourra nous séparer... » (Rm 8,35-38) ; « ce trésor nous le portons en des vases d'argile, pour qu'on voie bien que cette extraordinaire puissance appartient à Dieu et ne vient pas de nous. Nous sommes pressés de toutes parts, mais non pas écrasés ; ne sachant qu'espérer, mais non désespérés... » (2Co 4,7-8).


Amertume mais confiance


C'est ainsi. Comment en effet le Pape, et ceux qui avec lui portent la responsabilité de la conduite pastorale de l'Eglise, pourraient-ils ne pas souffrir en voyant que les difficultés les plus grandes naissent aujourd'hui au sein même de l'Eglise, que les plus grandes peines lui sont procurées par l'indocilité et l'infidélité de certains de ses ministres et de quelques-unes de ses âmes consacrées, que les surprises les plus décevantes lui viennent des milieux les plus aidés, favorisés, et aimés ? Comment ne pas éprouver de la douleur devant la dispersion de tant d'énergies, employées non pour faire croître l'Eglise mais pour susciter des problèmes superflus et les rendre complexes, irritants ?

Mais autre chose est le regret et autre chose la méfiance. L'amertume, que Nous pouvons et devons ressentir devant certaines épreuves de l'Eglise à l'heure actuelle, ne diminuent pas notre confiance à son égard. Elles la font grandir peut-être même, quand elles Nous obligent à la fonder davantage sur la sagesse divine, sur l'assistance divine. Nous laissons le Seigneur Nous prendre par la main et Nous gronder : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » (Mt 14,31) et Nous rappeler le degré incroyable auquel Nous pouvons pousser notre confiance. Celle-ci, bien sûr, trouve dans les ressources inépuisables des réalités surnaturelles mystérieuses un réconfort puissant et doux, jusqu'à le communiquer aux autres, à l'Eglise (cf. 2Co 1,3 ss.). Le Christ est notre espérance, notre force, notre paix.


Croire en la sincérité de chacun Force des âmes ardentes et fidèles


Nous vous dirons même davantage. D'autres raisons, toujours d'ordre ecclésial, mais humaines, alimentent notre confiance. Résumons-les sous deux aspects, le premier étant la connaissance que Nous aussi avons des hommes. Nous savons le fond de bonté qui est en chaque coeur, Nous connaissons les motifs de justice, de vérité, d'authenticité, de renouveau, qui sont à la racine de certaines contestations, même quand celles-ci sont excessives et injustifiées et donc répréhensibles ; celles des jeunes, en particulier, naissent, en général de réactions et d'aspirations qui méritent qu'on les prenne en considération et obligent à rectifier le jugement de l'éthique sociale, vicié par les abus invétérés et aujourd'hui insupportables. Et Nous savons combien certains maux, qui font souffrir comme l'ivraie dans le champ de blé, ont eux aussi un rôle providentiel : celui de secouer la somnolence qui en a permis et protégé la naissance, celui de porter à l'exercice de la patience et de la charité, celui de Nous pousser à une prière plus fervente et à une fidélité plus consciente. Les scandales eux-mêmes, dans les desseins mystérieux de Dieu, peuvent être fatalement nécessaires ; Jésus l'a dit, et a fait à qui les provoque les menaces les plus sombres : (cf. Mt 18,7). Ces considérations, et d'autres semblables Nous libèrent de cette crainte qui rendrait timoré et paresseux notre service à la cause du Christ, et de ce pessimisme qui Nous rendrait juge non autorisé de nos semblables et Nous ferait perdre la confiance dans la possibilité de revirement de toute âme humaine. De plus, beaucoup de situations qui ne sont malheureusement pas conformes aux prévisions légitimes et aux normes établies, n'en sont pas pour autant négatives ; et au lieu de mériter la méfiance pour l'ennui qu'elles causent, elles devraient provoquer une plus grande générosité et plus de prévoyance en faveur de leur processus de décantation responsable.

L'autre raison qui renforce notre confiance, la fait grandir et Nous procure de la joie est de savoir qu'il y a dans l'Eglise d'aujourd'hui, l'Eglise postconciliaire, d'innombrables âmes fortes et fidèles, ardentes dans leur prière, disposées à obéir à tout ordre autorisé, entraînées au sacrifice silencieux et volontaire, fidèles aux lignes de l'Evangile, attentives à toute possibilité de service dans la charité, toujours tournées vers un idéal de perfection chrétienne : des âmes saintes. Et il y en a beaucoup ! Elles sont l'honneur et la joie de l'Eglise. Elles sont la force du Peuple de Dieu. Elles sont notre confiance.

Laissez-Nous à cet égard, Fils très chers, vous faire confiance à vous tous et à ceux qui reçoivent en écoutant Nos paroles paternelles Notre Bénédiction Apostolique.


Salutations


C’est avec joie que Nous saluons, parmi les Religieuses ici présentes, les Soeurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, et tout particulièrement leur nouvelle Supérieure générale et ses Assistantes, pour lesquelles Nous formons les voeux les meilleurs.

Vous avez fêté ces jours-ci, chères Filles, le centenaire de votre fondation, et Nous savons les mérites que votre Congrégation s’est acquis par son apostolat missionnaire en terre d’Afrique depuis que vos premières Soeurs ont répondu avec générosité, il y a un siècle, à l’appel de l’Archevêque d’Alger, Monseigneur Lavigerie. Qui ne connaît l’apport des Soeurs Blanches dans la promotion humaine et chrétienne des peuples africains et même dans le développement de la vie religieuse féminine de ce continent? Nous vous en félicitons et, avec vous, Nous faisons monter vers Dieu Notre action de grâces pour tout le travail accompli.

C’est pour mieux répondre à votre belle vocation que vous êtes réunies actuellement en Chapitre spécial, cherchant ensemble comment adapter votre vie et votre apostolat aux besoins de l’Afrique d’aujourd’hui, dans une fidélité généreuse à l’Eglise du Christ, aux enseignements du Concile et à l’esprit de votre Fondateur. Puisse cette recherche commune vous aider à rendre plus vivant encore votre témoignage évangélique!

De grand coeur, Nous appelons sur vos travaux l’abondance des divines grâces, et, vous confiant à la protection de Notre-Dame, Nous vous accordons, ainsi qu’à toutes vos Soeurs, une particulière Bénédiction Apostolique.





Catéchèses Paul VI 20869