Catéchèses Paul VI 17129

17 décembre 1969: NOËL : FETE DES FOYERS CHRETIENS

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Chers Fils et Filles,



Il Nous vient spontanément aux lèvres, en ces jours proches de Noël, le voeu qui lui est propre : bon Noël.

Oui, chers visiteurs, bon Noël à tous et à chacun de vous ! Que de pensées, que de souvenirs, que d'émotions, que de désirs, que d'espérances suscite, en Notre coeur, cette sainte et douce fête de Noël ! Nous prierons pour vous, pour que cette fête ne passe pas comme un jour quelconque, mais qu'elle soit remplie pour vous de ces expériences spirituelles, qui font goûter les réalités profondes de la foi et de la vie.

De la foi et de la vie. C'est sur ces objectifs, qui ne sont autres que les réalités dans lesquelles nous sommes plongés, que Nous invitons votre attention à être particulièrement vigilante à l'occasion de cette fête. C'est-à-dire que Nous appuyons notre voeu d'une exhortation : célébrez bien la fête de Noël.


De Saint François d'Assise à Pascal


La première condition pour bien célébrer la fête de Noël est de lui conserver son authenticité religieuse. Nous ne voulons pas parler ici du danger d'étouffer la vraie signification de Noël par les manifestations extérieures et profanes, auxquelles cette fête donne l'occasion, en leur donnant la priorité et en en transformant le caractère. Chacun sait comment peut survenir cette transformation de Noël, même en partant de formes innocentes et sympathiques du folklore ou d'habitudes familiales ou populaires; la crèche elle-même peut devenir un spectacle centré sur des finalités esthétiques et fantaisistes plus que sur le rappel de la représentation de l'humble et sublime fait de la naissance du Sauveur. Ce cadre de fête, artistique, peut aussi avoir son utilité poétique et pratique. Mais ne nous arrêtons pas au cadre : regardons le tableau, et dans le tableau voyons le mystère.

Essayons de voir, de contempler le tableau, c'est-à-dire la scène de Bethléem, en transparence. Ce moment d'attention est tout à fait conforme à l'attitude mentale de notre époque, avide de connaître la signification réelle des faits et des choses, de connaître la réalité d'un événement aussi important et central que la naissance de Celui qui s'appelle Sauveur. Jésus veut dire Sauveur ; Christ veut dire Messie, c'est-à-dire Celui sur lequel se centrent et dans lequel s'accomplissent les desseins divins relatifs à la destinée de l'humanité. Le regard contemplatif devient théologique, (c'est-à-dire révèle la vérité divine et les finalités, les buts de ce que nous contemplons). Nous devons alors considérer Noël comme une apparition. C'est une révélation. Quelle apparition ? Saint Paul nous le dit : « Il apparut la bonté, l'amour de Dieu notre Sauveur envers les hommes » (
Tt 3,4). C'est le secret de Dieu : Dieu est Bonté, Dieu est Amour. Nous comprenons que saint François tombât en extase devant la Crèche ; et que nous-mêmes nous puissions nous sentir transformés devant une découverte qui nous émerveille et nous émeut; nous sommes aimés, aimés de Dieu ! Nous comprenons Pascal : « Joie, joie, joie ; pleurs de joie ! » car « le Verbe de Dieu s'est fait homme et est venu habiter parmi nous » (Jn 1,14). Voilà Noël ! Le Noël de la Foi.

Cela compris, nous pouvons comprendre quelque chose de très beau aussi sur l'autre aspect : le Noël de la vie, de notre vie. La naissance virginale du Christ dans le monde répand sur toute l'humanité une vague régénératrice : toute la vie humaine est atteinte par cette présence, même sur le plan naturel. Un Frère comme le Christ illumine d'une lumière divine le visage de chaque être mortel : chaque homme reflète le visage du Christ. La génération humaine reçoit cette dignité sublime de devenir le véhicule d'une vie appelée à devenir humanité du Christ. La Famille trouve dans la fête de Noël sa propre fête. Si la Famille est chrétienne, c'est un fleuve de grâce, de joie, de paix, qui l'envahit. Oui, soyez en fête, soyez en fête, Familles chrétiennes, le jour où Jésus-Christ est venu habiter dans une famille humaine, former un foyer, le sanctifier par sa présence. Exaltez dans la conscience de son être, de son rôle, de son destin, le concept de Famille, communauté d'amour, source de la vertu créatrice de Dieu, signe et effusion de la charité, par laquelle le Christ aima et aime l'humanité rachetée, l'Eglise.


Une humanité nouvelle


Nous répéterons ce que Nous avons déjà écrit, quand Nous étions Chargé du soin pastoral de l'Eglise Ambrosienne, à propos de la Famille (1960). Aujourd'hui, ce discours est de nouveau opportun. Noël Nous le permet.

Le rêve et l'effort de l'Eglise est toujours d'aspirer à une humanité nouvelle, rendue à son dessein primitif, tournée vers un développement ordonné et harmonieux, qui célèbre la vie dans son ascension progressive et l'éduque à sa vocation surnaturelle, qui soit si conforme à son modèle, le Christ Seigneur, qu'elle résolve en Lui ses problèmes, valorise en Lui ses efforts et ses douleurs, et trouve enfin en Lui sa plénitude et son bonheur. Ce n'est pas un rêve, mais un programme, que la caducité humaine ralentit et bouleverse, mais que la mission de l'Eglise reprend continuellement — et donc aussi en cette heure critique de l'histoire —, et avec confiance.



Un appel aux familles


Pratiquement Nous voudrions adresser aux familles chrétiennes une parole d'exhortation et de réconfort : qu'elles reprennent conscience de leur dignité et de leur mission, qu'elles s'engagent résolument à professer les vertus particulières qui caractérisent le foyer, qu'elles retrouvent dans les sources purifiées de l'amour chrétien leur force et leur bonheur, qu'elles ne craignent pas de servir les lois de la vie qui les rendent ministres de l'oeuvre créatrice de Dieu, qu'elles comprennent le rôle régénérateur qu'elles ont dans la vie civile, et qu'elles sentent combien dans l'Eglise elles peuvent occuper une place d'une beauté admirable.

Cette invitation s'adresse en particulier aux jeunes qui pensent à la famille comme à l'état de vie qui leur est destiné. Nous voudrions que le concept de famille prenne dans leur âme une splendeur idéale ; Nous voudrions qu'ils mettent toute leur force limpide à la réalisation de cet idéal ; Nous voudrions qu'ils comprennent la vocation qui se cache et s'annonce dans l'attrait de fonder une famille ; Nous voudrions que pensées impures et habitudes incorrectes ne dévastent pas la veille de leur mariage ; Nous voudrions que des calculs égoïstes n'attristent pas les desseins de leur futur foyer ; Nous voudrions que la science du véritable amour leur vienne du Christ, qui donne sa vie pour la grâce de son épouse, destinée à s'étendre à toute l'humanité ; et que la grâce du sacrement jaillisse comme une fontaine intarissable, en chaque jour de leur vie conjugale. Nous Nous attendons à un nouveau genre de famille de la part de la génération des jeunes, auxquels les terribles expériences de l'histoire actuelle doivent avoir enseigné que seul un christianisme authentique et fort possède la formule de la vraie vie.

Bon Noël, ainsi ! avec Notre Bénédiction Apostolique.






Texte du message de Noël: 24 décembre 1969 - UN HUMANISME VRAI SANS LE CHRIST N'EXISTE PAS

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Salut à vous tous, hommes, auxquels arrive l'écho de Notre voix ! Salut à vous, Romains, qui Nous écoutez ici !

Salut à vous, hommes proches et lointains !

A vous, hommes responsables, qui dirigez le monde ; et à vous tous Peuples de la terre !

A vous, les anciens, les hommes d'hier ; à vous, les jeunes, les hommes de demain !

Salut à vous, les Pauvres ! à vous les souffrants ! à vous tous, Nos amis ! à vous, chrétiens et non-chrétiens !

Salut, au nom de Jésus-Christ, en la fête de sa naissance, qui aujourd'hui est notre fête, la fête de tous, la fête de Noël.

Bon Noël à tous !

Aujourd'hui nous exprimons et recevons ce souhait, qui semble un cri de joie de toute l'humanité, pour toute l'humanité : Bon Noël ! Pouvons-nous tous le faire nôtre ?

Sommes-nous tous chrétiens ? Un philosophe de renom affirmait il y a quelques années — certains d'entre vous s'en souviendront peut-être — que nous, modernes, nous pouvons tous nous dire chrétiens. Eh bien, qu'est-ce que cela signifie, être chrétien ? Voilà la demande, voilà la parole que Nous vous adressons en cette heure sereine, pour faire jaillir la réponse de vos consciences. Chacun doit se ménager aujourd'hui un moment d'intimité avec lui-même, pour répondre à la question capitale sans laquelle Noël n'aurait pas de sens : est-ce que je suis chrétien ?

Chacun explore à sa manière la signification d'une parole aussi dense. Bienheureux ceux qui peuvent l'accueillir sans réserve et qui ambitionnent de la posséder dans sa plénitude et de jouir de la naissance du Christ comme de leur propre naissance à la vie nouvelle, à la vie vraie et éternelle qui nous est communiquée par lui: oui, bienheureux ceux-là !

Mais regardons le monde comme il est. Tous ne répondent pas avec le même enthousiasme, avec la même foi, au nom de chrétien. Beaucoup le refusent. Beaucoup le vivisectionnent, le privant de sa signification mystérieuse, de son contenu religieux.

Aujourd'hui, beaucoup veulent un Christ sans Dieu ; bien plus : un homme sans Christ, même si l'on veut conserver en cet homme certains caractères supérieurs que le Christ lui a conférés : son droit à la vie, son visage incomparable de personne, sa dignité humaine, sa conscience inviolable, sa liberté responsable, sa beauté spirituelle. Beaucoup, peut-être même tous, veulent reconnaître dans l'homme déformé par la fatigue, par la pauvreté, par l'esclavage, par la faiblesse, un sujet de prédilection du droit, de la solidarité, de l'assistance, proprement comme le Christ l'avait enseigné.

On parle aujourd'hui d'humanisme. C'est à ce mot moderne que l'on semble vouloir réduire le christianisme. C'est le Noël de l'homme que l'on voudrait célébrer aujourd'hui, et non celui du Verbe qui s'est fait chair, ni celui de Jésus qui s'est fait chair, ni celui de Jésus qui est venu vers nous comme Sauveur, Maître, Frère ; c'est le Noël de l'homme qui se sauve par lui-même, de l'homme qui progresse par sa seule sagesse et sa seule force, de l'homme principe et fin à lui-même.

Voici, chers Fils et Frères, ce que Nous devons vous dire en ce jour bienheureux: un humanisme vrai sans le Christ n'existe pas. Nous supplions Dieu et Nous vous demandons à tous, hommes de notre temps : épargnez-vous la fatale expérience d'un humanisme sans le Christ. Une simple réflexion sur l'expérience historique d'hier et d'aujourd'hui suffirait à nous convaincre que les vertus humaines développées sans le charisme chrétien peuvent dégénérer en vices opposés. L'homme qui se fait géant, s'il n'est pas animé d'un souffle spirituel, chrétien, retombe sur lui-même de son propre poids. Il lui manque alors la force morale qui le fait vraiment homme ; il lui manque la faculté de juger la hiérarchie des valeurs ; il lui manque les raisons transcendantes qui fournissent en permanence un motif et un soutien à ses vertus ; il lui manque, pour tout dire, la vraie conscience de soi, de la vie, de ses raisons d'être, de ses destins : l'homme, par lui-même, ne sait pas qui il est. Il lui manque le prototype authentique de l'humanité ; il se crée des idoles, qui sont fragiles et parfois indignes de lui. Il lui manque le vrai Fils de l'homme — Fils de Dieu : modèle efficace de l'homme vrai.

Le véritable humanisme doit être chrétien. C'est notre premier devoir. C'est notre intérêt suprême.

Quel espoir de nouveauté vraie et constructive pourrait vous être donné, à vous les jeunes, sans la parole — qui ne trompe pas et qui est toujours vivante — de Celui qui, en venant au monde, peut dire : « Voici que toute chose est renouvelée » (
2Co 5,17) ?

Quelle libération de l'oppression provoquée par la fatigue et les inégalités sociales pourra être offerte au monde du travail — qui la cherche dans le bouleversement des systèmes économiques — si la voix du Christ ne l'élève pas à un niveau humain et spirituel supérieur, en lui rappelant que « l'homme ne vit pas seulement de pain » (Mt 4,4) ?

Et vous, sages et patients artisans de la paix entre les peuples, entre les classes sociales, dans les conflits de races et de tribus, dans les rivalités de toute sorte qui rendent souvent les hommes avides, égoïstes et méchants les uns envers les autres, où trouverez-vous la force de poursuivre votre interminable et salutaire labeur, si vous n'êtes assistés par Celui qui peut dire avec une certitude triomphante : songez, hommes, que « vous êtes tous frères » (Mt 23,8).

Notre pensée se tourne enfin, avec un souhait spécial et une Bénédiction particulière, vers tous ceux qui souffrent : pour le conflit du Nigeria, en cette terre africaine qui nous est si chère ;

pour celui du Vietnam, où Nous voulons encore espérer que la trêve de ces jours-ci se prolonge et se résolve enfin honorablement dans la réconciliation ;

et finalement pour le conflit du Moyen-Orient, là où se trouve Bethléem et où la paix fut annoncée du Ciel, avec l'hymne de gloire à Dieu, en ce jour sacré de la naissance du Christ Seigneur : oh ! oui ! la paix aux hommes de bonne volonté.

Et ainsi de suite. Le message du Christ est vaste et ouvert à tous.

Ecoutez-le, chers Fils et Frères. Et que chacun de vous puisse se dire à lui-même — et ait la volonté d'en porter témoignage par sa propre vie — : moi aussi, je suis chrétien.

C'est cela, Noël. C'est le bon Noël que Nous vous souhaitons, avec Notre Bénédiction Apostolique.





31 décembre 1969: VIVRE LE TEMPS QUI PASSE DANS LA CONSCIENCE DU TEMPS QUI VIENT

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Chers Fils et Filles,



Nous sommes au dernier jour de l'an. Notre réflexion se porte instinctivement et intensément sur ce mot très employé et indéfinissable qu'est le temps, avec cette observation banale et si mystérieuse : que le temps passe ! Et voici l'aspect original de cette remarque : nous mesurons continuellement la mobilité et la contingence des choses, avec nos montres, avec nos calendriers, avec nos calculs chronométriques et astronomiques très exacts, sans prêter assez d'attention à l'inexorabilité, indépendante de notre volonté et de notre pouvoir, du phénomène chronologique. « Le temps s'en va, et l'homme ne s'en rend pas compte » (dante, Purg. 4, 9) ; et quand on fait attention à cette loi cosmique et historique, un sentiment de peur devant l'irréversibilité de ce phénomène pénètre notre esprit; le temps ne revient jamais en arrière ». « Pense que ce jour ne reviendra jamais ! » (encore dante, Purg. 12, 84). Cette méditation est troublante si elle tient seulement compte de son obscurité et de sa fatalité en référence à notre vie personnelle, à notre destin, qui dans le temps trouve son bonheur et sa ruine (cf. machiavelli, chap. VII, le Prince, qui avait pensé à tout sauf au cas d'une mort soudaine). C'est un thème sur lequel on peut réfléchir sans fin : les philosophes et les hommes de lettres y ont consacré leur vue éblouie et jamais lasse.


Guidés par la Providence


Et nous chrétiens, nous ferions aussi fort bien d'y porter grande attention parce que c'est un thème qui concerne essentiellement notre être fragile et éphémère, qui nous oblige à revoir dans l'échelle des valeurs, quelles sont celles qui sont vraies, qui méritent ou non de l'importance. Rappelons-nous l'Evangile, là où Jésus, montrant l'homme riche et satisfait de ses biens, dit cette phrase terrible : « Malheureux, cette nuit même ta vie te sera enlevée; et tout ce que tu as accumulé, à qui cela appartiendra-t-il » (
Lc 12,10). Donc la considération de la précarité de la vie, du pouvoir de Saturne qui dévore ses enfants, peut être la source d'orientations morales décisives, soit dans un sens hédoniste (cf. le « carpe diem » d'Horace), soit dans un sens spiritualiste ; « pensons encore à la parole du Christ « marchez tant que vous avez la lumière... » (Jn 12,35). Mais ce sont des pensées qui ont difficilement leur place en ces heures trépidantes qui marquent la fin de l'année civile et l'inauguration de la première page d'un nouveau calendrier : c'est l'heure des fêtes sans réflexion qui prévaut généralement. Une pieuse et bonne pensée, au contraire, le dernier jour de décembre, est celle du remerciement ; on chante le Te Deum et se rappelant les événements qui se sont déroulés durant douze mois, on se rend compte que « tout est grâce », que tout a été pénétré et dirigé par une influence mystérieuse et bénéfique, celle de la Providence divine, dont la conduite ou la permission, mène au bien toutes choses (cf. Rm 8,28) ; c'est là une observation, parmi les plus belles et les plus sages, que nous pouvons faire aujourd'hui sur le passé, et qui nous fait rencontrer à ce niveau la Paternité ineffable de Dieu, de qui vient, par qui se fait, vers qui va notre pèlerinage dans le temps. C'est là une attitude chrétienne.


Penser aux desseins essentiels


Si nous voulons compléter à ce point de vue la manifestation de nos sentiments chrétiens nous devons faire un nouveau pas. Il ne suffit pas de regarder en arrière, il faut regarder en avant. Non seulement avec les prévisions pour l'année nouvelle, certainement pas avec des horoscopes fantaisistes sur l'avenir, mais plutôt d'un regard tourné vers le dessein essentiel de notre vie projetée dans le futur, temporel ou éternel, que notre foi nous annonce, même si c'est durant notre vie seulement « in aenigmate », comme dit S. Paul (1Co 13,12), d'une manière confuse. C'est là une exigence fondamentale de notre foi : la pensée de la vie future ne doit jamais nous abandonner. Elle pénètre tout le message évangélique.

La vision, qu'on appelle eschatologique, c'est-à-dire des réalités dernières, est toujours présente dans l'enseignement de Jésus, au point de constituer un élément essentiel et final de son message de salut.

C'est une vision trop souvent oubliée, même dans la mentalité de nombreuses personnes qui se proclament chrétiennes. L'actualité nous absorbe. Le présent seul semble avoir de l'importance, soit comme temps, soit comme cadre de la vie qui se déroule dans le temps ; c'est une des conséquences de la sécularisation, de l'horizontalisme, de l'incrédulité. Ici il faut faire bien attention : le chrétien, lui aussi, vit dans le temps ; il est du temps, avec tous ses devoirs et ses valeurs, il doit en faire grand cas, même plus que les autres. C'est dans le temps que s'accomplissent l'expérience, l'examen, qui fixent le sort de son destin futur et éternel, c'est dans le temps qu'il doit édifier la cité terrestre développée, juste et humaine, dans son progrès et dans son histoire, y engageant l'activité des croyants, citoyens de la terre. Mais c'est d'autre part dans le temps que s'annonce et que commence le règne de Dieu qui aura sa plénitude au-delà du temps. Il faut avoir toujours à l'esprit cette ambivalence du temps pour le chrétien : don présent et promesse pour le futur; et l'attention à cette promesse fait que le don n'est pas dévalué, si on s'y engage intensément et si on en jouit sagement (cf. Gaudium et spes, GS 39 GS 40).


L'Eglise en pèlerinage


Une expression est en usage dans notre langage spirituel, qui vient bien à propos dans cette exhortation de fin d'année, celle qui nous représente tous comme l'« Eglise en pèlerinage ». C'est extraordinaire. C'est vrai. Le Concile l'emploie très souvent dans ses documents, et dans une de ses pages les plus inspirées, remplie de références scripturaires, il parle justement de l'Eglise en pèlerinage sur la terre, dans le monde et dans le temps, mais aussi dans l'infatigable tension de la manifestation finale des fils de Dieu (Lumen gentium, LG 48 LG 49).

Cette évaluation du temps et cette vision des chrétiens en marche vers un but qui les transcende et qui se réalise au-delà de cette frontière terrible qu'est pour nous la mort temporelle, doivent être continuellement devant notre conscience ; qu'elles nous aident à purifier par des souvenirs salutaires la vie passée, et à accueillir comme un don d'en haut, le temps qui vient, celui qui nous est encore concédé dans notre passage sur cette scène fugace du monde (1Co 7,31).

Bonne année donc dans le Seigneur, avec Notre Bénédiction.



Audiences 1970: AVANT-PROPOS

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En présentant ce troisième volume de l’Enseignement de Paul VI —, publication désormais traditionnelle —, on ne peut qu'éprouver un sentiment de reconnaissance à l'égard du Père, qui, sans désemparer, apporte à l'Eglise tout entière, semaine après semaine, la juste doctrine, en même temps que les éléments nous permettant de juger, en toute sécurité, les « signes des temps ».

D'aucuns pourront estimer — si l'on en croit certains commentaires — que ces paroles n'ont pas l'écho dont elles sont dignes. Il suffit, pour mettre en défaut de tels jugements, de constater l'afflux constant et sans cesse renouvelé de pèlerins qui, chaque mercredi, convergent vers Saint-Pierre de Rome, pèlerins de toutes origines, de toutes races, de toutes nations. Il y a là un nouveau « signe des temps » et qui compense — s'il est nécessaire —certaines contestations gratuites, hâtives ou abusives.

Oui, par le Pape et par son enseignement, Rome demeure la Capitale de la Chrétienté et aussi le carrefour du monde.

Mais il y a plus. Paul VI, apôtre et pasteur, se rend au-devant de ses fils qui ne peuvent venir le trouver. Et l'accueil que reçoit sa démarche va bien, au-delà de l'attrait d'un moment de curiosité ou du caractère d'un événement insolite. Le voyage en Asie et en Australie apporte, sur ces points, un témoignage éclatant et émouvant.

C'est pourquoi, aux textes qui rapportent l'enseignement hebdomadaire du Pape, nous avons ajouté ceux des allocutions prononcées en des circonstances extraordinaires ou particulièrement importantes.

Le recul de l'histoire permettra, plus tard, de déterminer l'impact exact de l'enseignement de Paul VI sur ses contemporains et sur l'évolution de l'Église.

D'ores et déjà, cependant, ces pages offriront au lecteur la possibilité d'apprécier, comment, dans la confusion actuelle du monde, la voix du Successeur de Pierre est peut-être la seule qui, avec courage, sérénité et humilité, apporte à tous la lumière et l'espérance.







7 janvier 1970 VIVRE LA FOI MAIS VIVRE AUSSI SELON LA FOI

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Chers fils et filles,

Il semble que ce soit notre devoir que de rechercher encore dans l'esprit et dans l'enseignement du récent Concile le thème de cette rencontre familière. Nous supposons que vous avez, chers visiteurs, une certaine et légitime curiosité dans le coeur: que pense le Pape ? Quel est le sujet de ses réflexions ? Voici notre réponse : nous continuons de penser au Concile. Cet événement ne s'est pas terminé avec la clôture de ses travaux, comme un événement historique, clos dans le temps. Il a été le début d'un renouvellement de l'Eglise, qui doit atteindre dans son développement la vie de toute la communauté ecclésiale. Le Concile a laissé une somme d'enseignements, que nous ne devons pas oublier, que nous devons rappeler, connaître, appliquer. Le Concile doit continuer dans la méditation de l'Eglise, lui donner une nouvelle mentalité, lui imprimer un nouveau comportement, la renouveler, la répandre, la sanctifier.

Nous savons bien que toute une littérature est née du Concile et continue de nous offrir des oeuvres nouvelles. Nous savons aussi que des oeuvres et des institutions ont surgi après le Concile, en vertu de ses prescriptions. Tous savent quels développements doctrinaux dérivent du Concile, alimentant les études et la culture. Invoquons l'Esprit Saint pour que ce processus doctrinal et canonique s'accomplisse avec bonheur. Mais ici nous nous demandons : que peut faire et que doit faire le simple fidèle par rapport au Concile ? Et chacune des communautés d'Eglise ? La réponse nous porte à considérer, d'une manière spéciale, les exigences morales qui dérivent des enseignements et de la célébration même du Concile. C'est-à-dire que nous devons tous chercher vers quelles applications valables, dans la manière de penser comme dans la manière d'agir, nous devons nous engager dans ce domaine, étant admis que chacun de nous veut attribuer à ce grand fait du Concile une importance pratique et bienfaisante, non seulement pour toute l'Eglise, mais aussi pour sa propre vie morale, pour le renouvellement de sa profession chrétienne, concrète et personnelle.



Appliquer le Concile n'est pas détruire


Il serait bon de commencer cette réflexion en traçant immédiatement une voie droite qui évite deux déviations possibles, très dangereuses, dont la première serait de croire que le Concile a ouvert une ère tellement nouvelle qu'elle autorise le détachement, l'intolérance envers la tradition de l'Eglise et la mise en cause de son importance. Il existe chez de nombreuses personnes un état d'esprit qui estime radicalement insupportable le passé de l'Eglise : hommes, institutions, habitudes, doctrines ; tout est mis de côté, de ce qui porte l'empreinte du passé. C'est ainsi qu'un esprit critique implacable condamne, chez ces innovateurs impénitents, tout le « système » ecclésiastique d'hier ; ils ne voient plus que défauts et erreurs, incapacité et impuissance dans les expressions de la vie catholique des années écoulées. Et ceci entraîne des conséquences qui prêteraient à beaucoup de graves considérations et qui obscurciraient ce sens historique de la vie de l'Eglise, précieuse caractéristique de notre culture.

On lui substitue une sympathie facile pour tout ce qui est en dehors de l'Eglise ; l'adversaire devient sympathique et imitable, l'ami devient au contraire antipathique et intolérable. Si cette manière de voir n'est pas modérée, elle finit par conduire à la conviction qu'il est permis de poser l'hypothèse d'une Eglise totalement différente de celle qui est la nôtre aujourd'hui ; une Eglise pour des temps nouveaux, dit-on, dans laquelle serait aboli tout lien d'obéissance ennuyeuse, serait abolie toute limite à la liberté personnelle, toute forme d'engagement sacré. Cette déviation est en fait possible, mais il faut espérer que sa mesure excessive en dénonce l'erreur ; ce n'est certes pas à cette désintégration de la réalité historique, institutionnelle et approuvée que veut tendre l'« aggiornamento », c'est-à-dire le renouveau de l'Eglise, voulu par le Concile.



Appliquer le Concile n'est pas refuser les réformes nécessaires


Une autre déviation serait de confondre les habitudes avec la tradition, et de croire donc que le Concile doit être considéré comme terminé et inopérant, et que les vrais ennemis de l'Eglise suscitent et accueillent les nouveautés venues du Concile lui-même. La tradition, — sous-entendu, l'habitude — doit prévaloir, disent-ils. Ces défenseurs de l'immobilisme formel des coutumes ecclésiales finissent, peut-être par excès d'amour, par exprimer cet amour dans la polémique avec les amis de la maison, comme si ces derniers étaient, plus que d'autres, infidèles, dangereux.



La voie droite


Et alors, la voie droite, quelle est-elle ? C'est celle que l'autorité responsable des pasteurs de l'Eglise, la nôtre, trace devant la communauté ecclésiale. La voix des pasteurs ne se tait pas. Les bons l'écoutent. Ils ne l'ignorent pas. Nous sommes fermement persuadés, dans le Seigneur, que l'Eglise peut non seulement conserver efficacement ses cadres, mais accomplir sa mission de salut et de paix, à cette heure critique de son histoire, grave pour la vie du monde, si sa fonction pastorale s'exerce librement, clairement, fortement et amoureusement et si la communauté des clercs et des fidèles la comprend et l'aide.

Et dans quelle direction va cette route ?

La demande est du domaine des questions que nous posions au début de cet entretien, c'est-à-dire qu'elle tend à savoir quelle ligne morale et spirituelle (occupons-nous de celles-ci, pour le moment) le Concile offre à l'Eglise, parce que c'est justement sur cette ligne que se meut la pastorale.

Soulignons seulement, pour conclure, quelques critères préliminaires. Celui-ci, par exemple, qui est évidemment de toute nécessité: la cohérence. Le chrétien doit reformer son unité spirituelle et morale ; il ne suffit pas de s'appeler chrétien, il faut vivre en chrétien. C'est l'ancienne maxime de l'apôtre « iustus ex fide vivit » : l'homme juste, le chrétien authentique, puise les règles, le style, la force de sa vie, de la foi. Il ne vit pas seulement avec la foi, mais selon la foi. C'est un principe de base. Nous pourrons en parler en d'autres occasions, c'est là le noeud du renouveau voulu par le Concile.

Nous pouvons ajouter deux autres critères fondamentaux, nous les énonçons seulement, pour ne pas vous ennuyer davantage par ce discours. Les voici : il faut mettre le Christ au sommet, au centre, à la source de notre vie, c'est-à-dire de nos pensées, de nos habitudes. Il doit être le Maître, l'exemple, le pain de notre vie personnelle. Le second des critères, il faut pénétrer dans la conception communautaire de la vie chrétienne, même en ce qui concerne la vie intérieure et personnelle, c'est-à-dire qu'il faut entrer dans l'ordre de la charité. La charité est le signe distinctif de ceux qui suivent le Christ; souvenons-nous-en toujours (cf.
Jn 13,35).

Que notre Bénédiction Apostolique rende ces quelques paroles fécondes.



14 janvier 1970 DEPASSER LES INCERTITUDES DU TEMPS PRESENT PAR L'ADHESION A L'ENSEIGNEMENT DU CONCILE

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Chers fils et filles,



Personne ne peut échapper, à cette heure de l'histoire, au vertige de l'incertitude. Nous le savons : trop de choses changent autour de nous; aux mutations des choses succède la mutation des esprits. Le besoin d'adhérer à la réalité met en doute nos idées acquises, nos positions intimes, nos habitudes. Comme la réalité extérieure est en changement constant, le monde est en transformation progressive. L'expérience des choses nouvelles, des faits en mouvement, des idées originales nous attire et devient souvent critère de vérité. Nous croyons êtres libres, parce que nous nous affranchissons de ce que nous avons appris, parce que nous nous soustrayons à l'obéissance et à la règle, parce que nous avons confiance dans le nouveau et l'inconnu. Et souvent nous ne nous rendons pas compte que nous devenons des disciples des idées d'autrui, imitateurs des modes imposées par les autres, partisans de ceux qui osent le plus et se détachent le plus du sens commun. Celui qui définit théoriquement cette attitude aujourd'hui si répandue, parle de relativisme ; c'est-à-dire nous devenons relatifs à ce qui nous entoure et nous conditionne de l'extérieur. On parle d'historicisme, c'est-à-dire de notre adhésion au temps qui fuit et nous fait perdre le goût de ce qui demeure et de ce qui conserve sa raison d'être. On parle d'existentialisme, c'est-à-dire qu'on trouve dans ce qui existe, ou ce qui se fait, le critère suprême des valeurs, sans en chercher la mesure dans la vérité et l'honnêteté. Et ainsi de suite. Mais parlons avec le langage simple du sens commun : nous devons reconnaître qu un phénomène de faiblesse nous atteint tous, une inquiétude habituelle et intérieure nous enlève la sécurité, la satisfaction de ce que nous sommes et de ce que nous faisons. Nous mettons notre espérance dans la transformation, dans la révolution, dans la métamorphose radicale du patrimoine que la tradition et le progrès lui-même nous ont procurées. Il est vrai que nous avons aujourd'hui beaucoup de bonnes raisons pour vouloir quelque innovation. Nous avons maintenant, plus que par le passé, la connaissance de tant de choses imparfaites et injustes qui existent, résistent et parfois croissent autour de nous ; et nous nous faisons un devoir d'y remédier ou de trouver des solutions meilleures.



La vertu de force


Mais dans ce bouleversement même nous sommes désorientés. On ne sait plus ce qu'il est bon de faire ou de penser. Nous devons être reconnaissants envers ceux qui étudient, réfléchissent, voient, enseignent et guident, avec un vrai sens humain. La raison est réhabilitée à nos yeux : le bien de l'homme ne peut être que raisonnable (cf. S. thomas, Sum. Theol.
II-II 123,1). Et le magistère est aussi réhabilité, lui qui, avec responsabilité et sagesse, enseigne aux autres la valeur des choses et le sens des fins. Nous pouvons ajouter: l'autorité est réhabilitée, c'est-à-dire la fonction de celui qui légitimement donne aux autres le service de guide et d'ordre. Mais ajoutons encore : nous devons de l'estime et de l'appui à celui qui, personnellement, ou dans l'exercice de ses propres devoirs, se maintient ferme. La force n'est pas une vertu suffisamment honorée : elle suppose souvent impopularité et sacrifice, fidélité à quelque engagement irréversible, à quelque choix irrévocable, à quelque loi indiscutable.



Les fruits de la période postconciliaire


Très chers fils, nous ne voulons faire, en ce moment, ni l'analyse ni la critique de notre temps. Nous faisons allusion à la confusion qui envahit tant de zones de la pensée moderne et de l'activité actuelle, pour rappeler que, hélas, une certaine confusion pénètre aussi dans la vie ecclésiale et dans l'effort même que l'Eglise, après le Concile, est en train de faire pour se retrouver elle-même, pour s'améliorer. L'examen de conscience provoqué par la Concile est en train de produire, nous le croyons, des fruits excellents : tout, peut-on dire, est soumis à la réflexion, et beaucoup de choses sont en voie de révision; vous le savez, vous le voyez. Et si le Saint Esprit assiste l'Eglise dans sa double intention fondamentale — être comme le Christ et être prête, toujours mieux, en faisant usage de ses institutions traditionnelles et de ses expériences spirituelles, à diffuser dans le monde moderne l'énergie de la foi et de la grâce — son visage apparaîtra aujourd'hui tout à fait jeune et serein, avec un regard qui voit tout : l'histoire passée, le drame présent, l'espérance, et avec la beauté de la sainteté et de la conformité à son divin modèle, le Fils de Dieu qui s'est fait Fils de l'homme (cf. Rm 8,29).

Voilà la base : le Concile. Notre devoir est de nous accrocher à cette grande parole que l'Eglise, dans la plénitude de sa conscience et de son autorité, dans l'invocation et l'obéissance au charisme de l'Esprit Saint, qui l'assiste et l'affranchit, dans la vision du monde, dans lequel elle vit et pour qui elle vit, a prononcé pour cette heure de l'histoire. Dans le Concile se trouve la clarté ; que dans l'après Concile soit la force.

Parce que, vous le savez, vous le voyez, le réveil, non seulement accepté, mais voulu par le Concile, tend à s'assoupir chez beaucoup de chrétiens et dans beaucoup de formes de vie chrétienne ; l'indolence nous vainc, la paresse semble supprimer ou détacher toute question, ou bien le réveil se traduit en esprit critique corrosif et démolisseur, attaque l'obéissance et laisse l'arbitraire modeler selon son bon plaisir une conception commode de l'Eglise, conforme à l'esprit et aux coutumes du monde plus qu'aux exigences de son génie surnaturel et de sa mission apostolique.



Le Christ notre garantie


C’est pour cela que nous vous disons : restons dans l'esprit du Concile. Il doit nous ôter ce sens d'incertitude, qui trouble tant aujourd'hui l'humanité. Pèlerins dans le temps, nous avons notre lampe qui éclaire le chemin. Nous voudrions vous infuser ce réconfort qui vient de la sécurité de savoir que nous nous trouvons sur le bon chemin. Nous vous le disons, à vous, prêtres, assaillis par tant de doutes sur votre état, dans l'Eglise et dans le monde ; n'ayez crainte, relisez les pages du Concile qui vous concernent, et allez de l'avant avec confiance et avec courage. Nous vous le disons à vous, religieux, attaqués vous aussi par les critiques dans votre choix magnanime qui caractérise votre vie : vous avez choisi la meilleure part, et si vous êtes fidèles dans votre vocation particulière, « personne ne vous l'enlèvera » (cf. Lc 10,42) ; n'ayez pas peur. A vous, les jeunes, militants de la contestation : les raisons de justice et de liberté, qui vous font aspirer à une vie sociale nouvelle, plus vraie et plus fraternelle, ne seront pas déçues et sans effets ; seulement, il faut que tant d'énergies dont vous disposez et dont quelques-uns parmi les plus courageux d'entre vous faites usage, peut-être inconsciemment, en les gaspillant en dehors et contre le nom du Christ, vous vouliez les employer au sein de l'authentique vie ecclésiale. Ne craignez pas que l'Eglise ne sache vous accueillir et vous comprendre, et que la fermeté de ses principes puisse paralyser votre dynamisme. Ce sont des pivots et non des chaînes ; n'ayez pas peur. Vous tous, fidèles fervents et réfléchis du peuple de Dieu: sachez adhérer avec fermeté à la sainte Eglise, dont vous êtes des membres vivants et saints ; et ne craignez point, écoutez, au dessus du fracas aujourd'hui répandu, la voix certaine et ineffable, parce que divine, du Christ : « Ayez confiance, j'ai vaincu le monde » (Jn 16,33).

Avec notre Bénédiction Apostolique.




Catéchèses Paul VI 17129