Discours 2005-2013 19815

RENCONTRE AVEC LES SÉMINARISTES Cologne – Saint-Pantaléon Vendredi 19 août 2005

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Chers confrères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers séminaristes!

Je vous salue tous avec beaucoup d'affection, vous remerciant de votre accueil joyeux et surtout vous remerciant d'être venus à ce rendez-vous de nombreux pays des cinq continents: nous formons véritablement ici une image qui reflète l'Eglise catholique présente dans le monde. J'adresse mes remerciements avant tout au séminariste, au prêtre et à l'évêque qui nous ont offert leur témoignage personnel et je dois dire que j'ai été profondément frappé de voir les voies sur lesquelles le Seigneur a conduit ces personnes, de façon inattendue et contraire à leurs projets. Merci de tout coeur. Je suis heureux de cette rencontre. J'ai voulu - je l'ai déjà dit - qu'au programme de ces journées de Cologne, il y eut une rencontre spéciale avec les jeunes séminaristes, pour qu'apparaisse véritablement et dans toute son importance la dimension vocationnelle, qui est toujours présente dans les Journées mondiales de la Jeunesse. La pluie qui tombe du ciel se révèle être - me semble-t-il - également comme une bénédiction. Vous êtes séminaristes, c'est-à-dire des jeunes qui, en vue d'une importante mission dans l'Eglise, se trouvent dans un temps fort de recherche d'une relation personnelle avec le Christ et de rencontre avec lui. Car voici ce qu'est le séminaire: moins un lieu qu'un temps significatif de la vie d'un disciple de Jésus. J'imagine l'écho que peuvent avoir en vous les paroles du thème de cette vingtième Journée mondiale - "Nous sommes venus l'adorer" - et tout le récit évangélique des Mages dont ce thème est tiré. Chacun à sa façon - nous pensons aux trois témoignages que nous avons écoutés - est, comme eux, une personne qui voit une étoile, qui se met en chemin, qui fait l'expérience également de l'obscurité et qui, sous la direction de Dieu, peut parvenir à l'objectif. Cette page évangélique sur ce que les Mages cherchent et trouvent revêt pour vous une valeur singulière, chers séminaristes, justement parce que vous êtes en train d'accomplir un parcours de discernement - et cela est un véritable chemin - et de vérification de l'appel au sacerdoce. C'est sur cela que je voudrais m'arrêter et réfléchir avec vous.

Pourquoi les Mages de pays lointains sont-ils allés à Bethléem? La réponse est liée au mystère de "l'étoile" qu'ils virent "se lever" et qu'ils identifièrent comme l'étoile du "roi des juifs", c'est-à-dire comme le signe de la naissance du Messie (cf.
Mt 2,2). Et leur voyage fut donc animé par la force d'une espérance, qui dans l'étoile obtenait ensuite sa confirmation et recevait son guide vers "le roi des Juifs", vers la royauté de Dieu lui-même. Parce que cela est la signification de notre chemin: servir la royauté de Dieu dans le monde. Les Mages partirent parce qu'ils nourrissaient un grand désir, qui les poussait à tout laisser et à se mettre en chemin. C'était comme s'ils avaient attendu depuis toujours cette étoile. Comme si ce voyage était depuis toujours inscrit dans leur destin, et se réalisait enfin. Chers amis, c'est cela le mystère de l'appel, de la vocation; mystère qui engage la vie de tout chrétien, mais qui se manifeste avec une plus grande évidence chez ceux que le Christ invite à tout laisser pour le suivre de plus près. Le séminariste vit la beauté de l'appel dans un moment que nous pourrions définir de "passion".Son âme est remplie de stupeur, qui lui fait dire dans la prière: Seigneur, mais pourquoi moi? Et l'amour n'a pas de "pourquoi", il est don gratuit, auquel on répond par le don de soi.

Le séminaire est le temps destiné à la formation et au discernement. La formation, comme vous le savez bien, a diverses dimensions, qui convergent dans l'unité de la personne: elle comprend le domaine humain, spirituel et culturel. Son but le plus profond est de faire connaître intimement ce Dieu qui en Jésus Christ nous a montré son visage. C'est pourquoi une étude approfondie de la Sainte Ecriture de même que de la foi et de la vie de l'Eglise, dans laquelle l'Ecriture demeure comme parole vivante, est nécessaire. Tout cela doit se joindre aux questions de notre raison et donc au contexte de la vie humaine d'aujourd'hui. Cette étude peut parfois sembler pénible, mais elle constitue une partie irremplaçable de notre rencontre avec le Christ et de notre appel à l'annoncer. Tout concourt à développer une personnalité cohérente et équilibrée, en mesure d'assumer valablement, pour ensuite accomplir de façon responsable la mission presbytérale. Le rôle des formateurs est décisif: la qualité du presbyterium dans une Eglise particulière dépend en bonne partie de la qualité du séminaire, et par conséquent de celle des responsables de la formation. Chers séminaristes, c'est pourquoi, avec une vive reconnaissance, nous prions aujourd'hui pour tous vos supérieurs, vos professeurs et vos éducateurs, que nous sentons spirituellement présents à cette rencontre. Demandons au Seigneur qu'ils puissent remplir de la meilleure façon la tâche si importante qui leur est confiée. Le séminaire est un temps de cheminement, de recherche, mais surtout de découverte du Christ. En effet, c'est seulement dans la mesure où il fait une expérience personnelle du Christ que le jeune peut comprendre en vérité sa volonté, et donc sa propre vocation. Plus tu connais Jésus et plus son mystère t'attire; plus tu le rencontres et plus tu es poussé à le chercher. C'est un mouvement de l'esprit qui dure toute la vie, et qui trouve au séminaire une saison riche de promesses, son "printemps".

Arrivés à Bethléem, les Mages "en entrant dans la maison, - comme le dit l'Ecriture - virent l'enfant avec Marie sa mère; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui" (Mt 2,11). Voici enfin le moment tant attendu: la rencontre avec Jésus. "Entrant dans la maison": cette maison représente d'une certaine façon l'Eglise. Pour rencontrer le Sauveur, il faut entrer dans la maison qui est l'Eglise. Durant le temps du séminaire, dans la conscience du jeune séminariste, se produit une maturation particulièrement significative: il ne voit plus l'Eglise "de l'extérieur", mais il la ressent, pour ainsi dire "de l'intérieur", comme sa "maison", parce que c'est la maison du Christ, où habite "Marie sa mère".Et c'est justement la Mère qui lui montre Jésus, son fils, qui le lui présente, qui, en un sens, le lui fait voir, toucher, prendre dans ses bras. Marie lui enseigne à le contempler avec les yeux du coeur et à vivre de lui. A tout moment de la vie de séminaire, on peut faire l'expérience de cette présence aimante de la Madone qui introduit chacun à la rencontre du Christ, dans le silence de la méditation, dans la prière et dans la fraternité. Marie aide à rencontrer le Seigneur surtout dans la Célébration eucharistique, quand, dans la Parole et dans le Pain consacré, Il se fait notre nourriture spirituelle quotidienne.

"Et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui. Ils lui offrirent leurs présents: de l'or, de l'encens et de la myrrhe" (Mt 2,11-12). Tel est le sommet de tout l'itinéraire: la rencontre se fait adoration, s'épanouit en un acte de foi et d'amour qui reconnaît en Jésus, né de Marie, le Fils de Dieu fait homme. Comment ne pas voir préfigurée dans le geste des Mages la foi de Simon Pierre et des autres Apôtres, la foi de Paul et de tous les saints, en particulier des saints séminaristes et prêtres qui ont marqué les deux mille ans d'histoire de l'Eglise? Le secret de la sainteté est l'amitié avec le Christ et l'adhésion fidèle à sa volonté. "Le Christ est tout pour nous", disait saint Ambroise; et saint Benoît exhortait à ne rien préférer à l'amour du Christ. Que le Christ soit tout pour vous! A lui, surtout vous, chers séminaristes, offrez ce que vous avez de plus précieux, comme le suggérait le vénéré Jean-Paul II dans son Message pour cette Journée mondiale: l'or de votre liberté, l'encens de votre prière ardente, la myrrhe de votre affection la plus profonde (cf. n. 4).

Le séminaire est un temps de préparation à la mission. Les Mages "regagnèrent leur pays" et certainement rendirent témoignage de leur rencontre avec le Roi des Juifs. Vous aussi, après le long et nécessaire itinéraire de formation du séminaire, vous serez envoyés pour être les ministres du Christ; chacun de vous ira au milieu des gens comme alter Christus. Dans le voyage de retour, les Mages durent assurément affronter des périls, des fatigues, des désarrois, des doutes... Il n'y avait plus l'étoile pour les guider! Désormais la lumière était en eux. C'est à eux qu'il revenait désormais de la garder et de la nourrir dans la constante mémoire du Christ, de son saint Visage, de son Amour ineffable. Chers séminaristes! Si Dieu le veut, un jour vous aussi, consacrés par l'Esprit Saint, vous commencerez votre mission. Souvenez-vous toujours des paroles de Jésus: "Demeurez dans mon amour" (Jn 15,9). Si vous demeurez dans le Christ, vous porterez beaucoup de fruit. Ce n'est pas vous qui l'avez choisi, - nous venons de l'entendre dans les témoignages - mais lui qui vous a choisis (cf. Jn 15,16). Voilà le secret de votre vocation et de votre mission! Il est conservé dans le coeur immaculé de Marie, qui veille avec un amour maternel sur chacun de vous. Ayez souvent recours à elle avec confiance. Je vous assure tous de mon affection et de ma prière quotidienne, et de tout coeur je vous bénis.



RENCONTRE OECUMÉNIQUE Cologne – Archevêché Vendredi 19 août 2005

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Chers frères et chères soeurs!

Après une journée chargée, permettez-moi de rester assis. Cela ne signifie que je désire parler "ex cathedra". Je m'excuse également de mon retard. Malheureusement les Vêpres ont pris plus de temps que prévu et la circulation a été plus lente que l'on ne pouvait imaginer. Je désire à présent exprimer ma joie de pouvoir, à l'occasion de ma visite en Allemagne, vous rencontrer et vous saluer très cordialement, vous les représentants des autres Eglises et Communautés ecclésiales.

Provenant moi-même de ce pays, je connais bien la situation pénible que la rupture de l'unité dans la profession de la foi a comportée pour tant de personnes et tant de familles. C'est aussi pour cette raison que, aussitôt après mon élection comme Evêque de Rome, qui est Successeur de l'Apôtre Pierre, j'ai manifesté ma ferme intention de prendre comme une priorité de mon Pontificat le retour à la pleine et visible unité des chrétiens. Ainsi j'ai consciemment voulu suivre les traces de deux de mes grands prédécesseurs: Paul VI qui, il y a désormais plus de quarante ans, a signé le Décret conciliaire sur l'oecuménisme Unitatis redintegratio et Jean-Paul II, qui fit ensuite de ce document le critère inspirateur de son action. Dans le dialogue oecuménique, la place de l'Allemagne revêt sans aucun doute une importance particulière. Nous sommes le pays d'origine de la Réforme; mais l'Allemagne est aussi l'un des pays d'où est parti le mouvement oecuménique du vingtième siècle. A la suite des flux migratoires du siècle dernier, des chrétiens des Eglises orthodoxes et des anciennes Eglises d'Orient ont trouvé dans ce pays une nouvelle patrie. Cela a indubitablement favorisé la confrontation et l'échange, si bien qu'il existe à présent entre nous un dialogue à trois. Ensemble, nous nous réjouissons de constater que le dialogue, au fil du temps, a suscité une redécouverte de notre fraternité et a créé entre les chrétiens des diverses Eglises et Communautés ecclésiales un climat plus ouvert et plus confiant. Dans son encyclique Ut unum sint (1995), mon vénéré Prédécesseur a justement vu en cela un fruit particulièrement significatif du dialogue (cf. nn. 41s; 64).

Je pense, par ailleurs, qu'il n'est pas si évident que cela que nous nous considérions véritablement frères, que nous nous aimions, que nous nous sentions ensemble témoins de Jésus Christ. Cette fraternité est en soi, comme je le crois, un fruit très important du dialogue, dont nous devons nous réjouir et que nous devrions continuer à entretenir et à pratiquer.

La fraternité entre les chrétiens n'est pas simplement un vague sentiment et elle ne naît pas non plus d'une forme d'indifférence envers la vérité. Elle est fondée - ainsi que vous venez de le dire, cher Monseigneur - sur la réalité surnaturelle de l'unique Baptême, qui nous insère tous dans l'unique Corps du Christ (cf.
1Co 12,13 Ga 3,28 Col 2,12). Ensemble nous confessons Jésus Christ comme Dieu et Seigneur; ensemble nous le reconnaissons comme unique médiateur entre Dieu et les hommes (cf. 1Tm 2,5), soulignant notre commune appartenance à lui (cf. Unitatis redintegratio UR 22 Ut unum sint, n. 42). Sur ce fondement essentiel du Baptême, qui est une réalité qui vient de Lui, une réalité dans l'être et puis dans la profession de foi, dans la croyance et dans l'action, à partir de ce fondement décisif, le dialogue a porté ses fruits et continuera de le faire. Je voudrais mentionner le réexamen, souhaité par le Pape Jean-Paul II durant sa première visite en Allemagne des condamnations réciproques. Je pense avec un peu de nostalgie à cette première visite. J'ai pu être présent lorsque nous étions ensemble à Mayence dans un cercle relativement restreint et authentiquement fraternel. Des questions furent posées et le Pape élabora une grande vision théologique, dans laquelle la réciprocité trouvait sa place. De cet entretien naquit ensuite la commission au niveau épiscopal c'est-à-dire ecclésial, sous la responsabilité ecclésiale, qui avec l'aide des théologiens conduisit finalement au résultat important de la "Déclaration commune sur la doctrine de la justification" de 1999 et à un accord sur des questions fondamentales qui, depuis le seizième siècle, étaient objet de controverses. Il faut ensuite reconnaître avec gratitude les résultats constitués par les diverses prises de position communes sur d'importants sujets tels que les questions fondamentales sur la défense de la vie et sur la promotion de la justice et de la paix. Je suis bien conscient que beaucoup de chrétiens en Allemagne, et pas seulement ici, s'attendent à de nouveaux pas concrets de rapprochement, et je les attends moi aussi. En effet, c'est le commandement du Seigneur, mais aussi l'impératif du moment présent, de continuer le dialogue de manière convaincue, à tous les niveaux de la vie de l'Eglise. Cela doit évidemment se réaliser avec sincérité et réalisme, avec patience et persévérance, dans la pleine fidélité aux préceptes de la conscience, dans la conviction que c'est le Seigneur qui, ensuite, donne l'unité, que ce n'est pas nous qui la créons, que c'est à Lui de la donner, mais que nous devons aller à sa rencontre.

Je n'entends pas développer ici un programme pour les thèmes immédiats du dialogue. Cela est la tâche des théologiens en collaboration avec les Evêques: les théologiens sur la base de leur connaissance du problème, les Evêques à partir de leur connaissance de la situation concrète des Eglises dans notre pays et dans le monde. Qu'il me soit permis seulement de faire une petite remarque: on dit qu'à présent, après l'éclaircissement relatif à la Doctrine de la justification, l'élaboration des questions ecclésiologiques et des questions relatives au ministère serait l'obstacle principal restant à surmonter. En définitive cela est vrai, mais je dois dire également que je n'aime pas cette terminologie ni, d'un certain point de vue, cette délimitation du problème, puisqu'il semble que nous devrions à présent débattre des institutions plutôt que de la Parole de Dieu, comme si nous devions mettre au centre nos institutions et mener une guerre à cause d'elles. Je pense que de cette manière le problème ecclésiologique tout comme celui du "ministerium" ne sont pas affrontés correctement. La question véritable est la présence de la Parole dans le monde. L'Eglise primitive au deuxième siècle a pris une triple décision: tout d'abord celle d'établir le canon, en soulignant de cette manière la souveraineté de la Parole et en expliquant que non seulement l'Ancien Testament est "hai graphai", mais que le Nouveau Testament constitue avec lui une unique Ecriture et, de cette manière, est pour nous le souverain véritable. Mais dans le même temps, l'Eglise a formulé la succession apostolique, le ministère épiscopal, dans la conscience que la Parole et le témoin vont de pair, c'est-à-dire que la Parole n'est vivante et présente que grâce au témoin et, pour ainsi dire, reçoit de lui son interprétation, et que réciproquement, le témoin n'est tel que s'il témoigne de la Parole. Et enfin, l'Eglise a ajouté comme troisième chose la "regula fidei" comme clé d'interprétation. Je crois que cette compénétration réciproque constitue un objet de dissension entre nous, même si nous sommes unis sur des choses fondamentales. Par conséquent lorsque nous parlons d'ecclésiologie et de ministère, nous devrions plutôt parler de cet entrelacs entre Parole, témoin et règle de foi et le considérer comme une question ecclésiologique et donc ensemble comme une question de la Parole de Dieu, de sa souveraineté et de son humilité, puisque le Seigneur confie sa Parole aux témoins et concède l'interprétation qui doit toutefois être toujours mesurée à la "regula fidei" et au sérieux de la Parole. Excusez-moi si j'ai exprimé ici une opinion personnelle, mais il me semblait juste de le faire.

Une priorité urgente dans le dialogue oecuménique est ensuite constituée par les grandes questions éthiques posées par notre temps; dans ce domaine les hommes d'aujourd'hui en recherche s'attendent à juste titre à une réponse commune de la part des chrétiens, qui, grâce à Dieu, en de nombreux cas a été trouvée. Il existe un si grand nombre de déclarations communes de la Conférence épiscopale allemande et de l'Eglise évangélique en Allemagne, que nous ne pouvons qu'en être reconnaissants. Mais malheureusement cela n'arrive pas toujours. A cause de contradictions dans ce domaine le témoignage évangélique et l'orientation éthique que nous devons aux fidèles et à la société perdent de leur force, prenant souvent des caractéristiques vagues, et ainsi nous manquons à notre devoir de donner à notre temps le témoignage nécessaire. Nos divisions sont en contradiction avec la volonté de Jésus et font que nous ne sommes plus crédibles devant les hommes. Je pense que nous devrions nous engager avec une énergie et un dévouement renouvelés à rendre un témoignage commun dans le cadre de ces grands défis éthiques de notre temps.

Et à présent demandons-nous: que signifie rétablir l'unité de tous les chrétiens? Nous savons tous qu'il existe de nombreux modèles d'unité et vous savez aussi que l'Eglise catholique a en vue d'atteindre la pleine unité visible des disciples de Jésus Christ selon la définition qu'en a donnée le Concile oecuménique Vatican II dans divers de ses documents (cf. Lumen gentium LG 8 LG 13 Unitatis redintegratio UR 2 UR 4 etc. ). Cette unité, selon notre conviction, subsiste, oui, dans l'Eglise catholique sans possibilité d'être perdue (cf. Unitatis redintegratio UR 4); l'Eglise en effet n'a pas totalement disparu du monde. D'autre part, cette unité ne signifie pas ce que l'on pourrait appeler un oecuménisme du retour: c'est-à-dire renier et refuser sa propre histoire de foi. Absolument pas! Cela ne signifie pas uniformité de toutes les expressions de la théologie et de la spiritualité, dans les formes liturgiques et dans la discipline. Unité dans la multiplicité et multiplicité dans l'unité: dans l'homélie pour la solennité des saints apôtres Pierre et Paul, le 29 juin dernier, j'ai souligné que pleine unité et vrai catholicité, au sens originel du mot, vont de pair. Une condition nécessaire pour que cette coexistence se réalise est que l'engagement pour l'unité se purifie et se renouvelle continuellement, croisse et mûrisse. Le dialogue peut apporter sa contribution à cet objectif. Il est plus qu'un échange de pensées, qu'une entreprise académique: il est un échange de dons (cf. Ut unum sint UUS 28), dans lequel les Eglises et les Communautés ecclésiales peuvent mettre leurs trésors à la disposition des uns et des autres (cf. Lumen gentium LG 8 LG 15 Unitatis redintegratio, LG 3 14s; Ut unum sint UUS 10-14). C'est bien grâce à cet engagement que le chemin peut continuer pas à pas, jusqu'au moment où, finalement, comme le dit la Lettre aux Ephésiens, nous arriverons "tous ensemble à l'unité dans la foi et la vraie connaissance du Fils de Dieu, à l'état de l'Homme parfait, à la plénitude de la stature du Christ" (Ep 4,13). Il est évident qu'un tel dialogue ne peut en définitive se développer que dans un contexte de spiritualité sincère et cohérente. Nous ne pouvons pas "faire" l'unité par nos seules forces. Nous pouvons seulement l'obtenir comme un don de l'Esprit Saint. L'oecuménisme spirituel, c'est-à-dire la prière, la conversion et la sanctification de la vie, constituent donc le coeur de la rencontre et du mouvement oecuménique (cf. Unitatis redintegratio UR 8 Ut unum sint, nn. 15s; 21, etc.). On pourrait dire aussi: la meilleure forme d'oecuménisme consiste à vivre selon l'Evangile.

Je souhaite moi aussi dans ce contexte rappeler le grand pionnier de l'unité, le Père Roger Schutz, qui a été arraché à la vie de manière si tragique. Je le connaissais personnellement depuis longtemps et j'avais avec lui une relation de cordiale amitié. Il m'a souvent rendu visite et, comme je l'ai déjà dit à Rome, le jour de sa mort j'ai reçu une lettre de lui qui m'est restée dans le coeur parce que dans celle-ci il soulignait son adhésion à mon cheminement et il m'annonçait vouloir venir me rendre visite. A présent il nous rend visite de là-haut et il nous parle. Je pense que nous devrions l'écouter, écouter de l'intérieur son oecuménisme vécu spirituellement et nous laisser conduire par son témoignage vers un oecuménisme intériorisé et spiritualisé.

Je vois un motif réconfortant d'optimisme dans le fait qu'aujourd'hui se développe une sorte de "réseau" de liens spirituels entre catholiques et chrétiens des diverses Eglises et Communautés ecclésiales: chacun s'engage dans la prière, dans la révision de sa vie, dans la purification de la mémoire, dans l'ouverture de la charité. Le père de l'oecuménisme spirituel, Paul Couturier, a parlé à ce sujet d'un "monastère invisible", qui rassemble entre ses murs les âmes passionnées du Christ et de son Eglise. Je suis convaincu que, si un nombre croissant de personnes s'unit intérieurement à la prière du Seigneur pour que "tous soient un" (Jn 17,21), une telle prière au nom de Jésus ne tombera pas dans le vide (cf. Jn 14,13 Jn 15,7 Jn 15,16). Avec l'aide qui vient d'En-Haut, nous trouverons, pour les diverses questions encore ouvertes, des solutions pratiques, et enfin le désir d'unité, quand et comme Il le voudra, se réalisera. A présent parcourons ensemble ce chemin dans la conscience qu'être en chemin ensemble est une forme d'unité. Rendons grâce à Dieu pour cela et prions-le afin qu'il continue de tous nous guider.



RENCONTRE AVEC LES REPRÉSENTANTS DE DIVERSES COMMUNAUTÉS MUSULMANES Cologne Samedi 20 août 2005

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Chers amis musulmans,

C'est pour moi un motif de grande joie de vous accueillir et de vous adresser mon salut cordial. Comme vous le savez, je suis ici à Cologne pour rencontrer les jeunes de toutes les parties de l'Europe et du monde. Les jeunes sont l'avenir de l'humanité et l'espérance des nations. Mon bien-aimé prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, disait un jour aux jeunes musulmans réunis dans le stade de Casablanca, au Maroc: "Les jeunes peuvent construire un avenir meilleur s'ils mettent d'abord leur foi en Dieu et s'ils s'engagent à édifier ce monde nouveau selon le plan de Dieu, avec sagesse et confiance" (n. 4: La Documentation catholique 82 [1985], p 943). C'est dans cet esprit que je m'adresse à vous, chers et estimés amis musulmans, pour partager avec vous mes espérances et aussi pour vous faire part de mes préoccupations en ces jours particulièrement difficiles de l'histoire de notre temps.

Je suis sûr d'interpréter aussi votre pensée en mettant en évidence, parmi les préoccupations, celle qui naît du constat de l'expansion du phénomène du terrorisme. Je sais que vous avez été nombreux à repousser avec force, même publiquement, en particulier tout lien de votre foi avec le terrorisme et à le condamner clairement. Je vous en remercie, car cela renforce le climat de confiance dont nous avons besoin. Des actions terroristes continuent à se produire dans diverses parties du monde, jetant les personnes dans les larmes et le désespoir. Ceux qui ont pensé et programmé ces attentats démontrent leur désir de vouloir envenimer nos relations et détruire la confiance, en se servant de tous les moyens, même de la religion, pour s'opposer à tous les efforts de convivialité pacifique et sereine. Grâce à Dieu, nous sommes d'accord sur le fait que le terrorisme, quelle qu'en soit l'origine, est un choix pervers et cruel, qui bafoue le droit sacro-saint à la vie et qui sape les fondements mêmes de toute convivialité sociale. Si nous réussissons ensemble à extirper de nos coeurs le sentiment de rancoeur, à nous opposer à toute forme d'intolérance et à toute manifestation de violence, nous freinerons ensemble la vague du fanatisme cruel qui met en danger la vie de nombreuses personnes, faisant obstacle à la progression de la paix dans le monde. La tâche est ardue, mais elle n'est pas impossible. Le croyant - et nous tous en tant que chrétiens et musulmans sommes croyants - sait en effet qu'il peut compter, malgré sa fragilité, sur la force spirituelle de la prière.

Chers amis, je suis profondément convaincu que nous devons proclamer, sans céder aux pressions négatives du moment, les valeurs de respect réciproque, de solidarité et de paix. La vie de tout être humain est sacrée, que ce soit pour les chrétiens ou pour les musulmans. Nous avons un grand champ d'action dans lequel nous nous sentons unis pour le service des valeurs morales fondamentales. La dignité de la personne et la défense des droits qui découlent de cette dignité doivent être le but de tout projet social et de tout effort mis en oeuvre dans ce sens. Il s'agit d'un message rappelé sans équivoque par la voix ténue mais claire de la conscience. Il s'agit d'un message qu'il faut écouter et faire écouter: si l'écho s'en éteignait dans les coeurs, le monde serait exposé aux ténèbres d'une nouvelle barbarie. C'est uniquement sur la reconnaissance du caractère central de la personne que l'on peut trouver un terrain commun d'entente, dépassant les éventuelles oppositions culturelles et neutralisant la force explosive des idéologies.

Dans la rencontre que j'ai eue au mois d'avril avec les Délégués des Eglises et Communautés ecclésiales, et avec les représentants des diverses Traditions religieuses, j'ai déclaré: "Je vous assure que l'Eglise souhaite continuer d'établir des ponts d'amitié avec les membres de toutes les religions, dans la recherche du bien véritable de toute personne et de la société dans son ensemble" (La Documentation catholique, 102 [2005], p. 550). L'expérience du passé nous enseigne que le respect mutuel et la compréhension, malheureusement, n'ont pas toujours marqué les relations entre chrétiens et musulmans. Combien de pages de l'histoire évoquent les batailles et aussi les guerres qui se sont produites, en invoquant, de part et d'autre, le nom de Dieu, en laissant presque penser que combattre l'ennemi et tuer l'adversaire pouvaient lui être agréables. Le souvenir de ces tristes événements devrait nous remplir de honte, connaissant bien les atrocités qui ont été commises au nom de la religion. Les leçons du passé doivent nous servir à éviter de répéter les mêmes erreurs. Nous voulons rechercher les voies de la réconciliation et apprendre à vivre en respectant chacun l'identité de l'autre. En ce sens, la défense de la liberté religieuse est un impératif constant, et le respect des minorités est un signe indiscutable d'une véritable civilisation.

A ce propos, il est toujours opportun de se rappeler ce que les Pères du Concile Vatican II ont dit concernant les relations avec les musulmans: "L'Eglise regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes, et aux décrets duquel, même s'ils sont cachés, ils s'efforcent de se soumettre de toute leur âme, comme s'est soumis à Dieu Abraham, à qui la foi islamique se réfère volontiers [...]. Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés sont nées entre chrétiens et musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé, à pratiquer sincèrement la compréhension mutuelle, ainsi qu'à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les biens de la morale, la paix et la liberté" (Déclaration Nostra aetate
NAE 3). Ces paroles du Concile Vatican II restent pour nous la "Magna Charta" du dialogue avec vous, chers amis musulmans, et je suis heureux que vous nous ayez parlé avec le même esprit et que vous ayez confirmé ces intentions.

Chers amis estimés, vous représentez certaines Communautés musulmanes qui existent dans le pays dans lequel je suis né, dans lequel j'ai étudié et vécu une bonne partie de ma vie. C'est précisément pour cela que j'avais le désir de vous rencontrer. Vous guidez les croyants de l'Islam et vous les éduquez dans la foi musulmane. L'enseignement est le moyen par lequel se communiquent idées et convictions. La parole est la voie royale de l'éducation des esprits. Vous avez donc une grande responsabilité dans la formation des nouvelles générations. J'apprends avec gratitude dans quel esprit vous cultivez cette responsabilité. Ensemble, chrétiens et musulmans, nous devons faire face aux nombreux défis qui se posent en notre temps. Il n'y a pas de place pour l'apathie, ni pour le désengagement, et encore moins pour la partialité et le sectarisme. Nous ne pouvons pas céder à la peur, ni au pessimisme. Nous devons plutôt cultiver l'optimisme et l'espérance. Le dialogue interreligieux et interculturel entre chrétiens et musulmans ne peut pas se réduire à un choix passager. C'est en effet une nécessité vitale, dont dépend en grande partie notre avenir. Les jeunes, provenant de nombreuses parties du monde, sont ici à Cologne comme des témoins vivants de la solidarité, de la fraternité et de l'amour. Je souhaite de tout mon coeur, chers et estimés amis musulmans, que le Dieu miséricordieux et plein de compassion vous protège, vous bénisse et vous éclaire toujours. Que le Dieu de la paix soutienne nos coeurs, nourrisse notre espérance et guide nos pas sur les chemins du monde!

Merci!


VEILLÉE AVEC LES JEUNES - Marienfeld Samedi 20 août 2005

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Chers jeunes!

Dans notre pèlerinage avec les mystérieux Mages d'Orient, nous sommes arrivés au moment que saint Matthieu, dans son Evangile, décrit ainsi: "En entrant dans la maison (sur laquelle l'étoile s'était arrêtée), ils virent l'enfant avec Marie sa mère; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui" (
Mt 2,11). Le cheminement extérieur de ces hommes était achevé. Ils étaient parvenus à leur but. Mais, à ce point, commence pour eux un nouveau cheminement, un pèlerinage intérieur qui change toute leur vie, parce qu'ils avaient sûrement imaginé ce Roi nouveau-né d'une manière différente. Ils s'étaient précisément arrêtés à Jérusalem pour recueillir auprès du Roi local des informations sur le Roi promis qui venait de naître. Ils savaient que le monde était désordonné, et c'est pourquoi leur coeur était inquiet. Ils étaient certains que Dieu existait et qu'il était un Dieu juste et bienveillant. Et peut-être avaient-ils entendu parler des grandes prophéties dans lesquelles les prophètes d'Israël annonçaient un Roi qui serait en harmonie intime avec Dieu et qui, en son nom et pour son compte, rétablirait l'ordre dans le monde. Pour chercher ce Roi, ils s'étaient mis en route: au plus profond d'eux-mêmes, ils étaient à la recherche du droit, de la justice qui devait venir de Dieu, et ils voulaient servir ce Roi, se prosterner à ses pieds et ainsi contribuer eux-mêmes au renouveau du monde. Ils appartenaient à cette sorte de gens "qui ont faim et soif de la justice" (Mt 5,6). Une telle faim et une telle soif les avaient accompagnés dans leur pèlerinage - ils s'étaient fait pèlerins à la recherche de la justice qu'ils attendaient de Dieu, pour pouvoir se mettre à son service.

Même si les autres personnes, celles qui étaient restées chez elles, les considéraient peut-être comme des utopistes et des rêveurs - ils étaient au contraire des personnes qui avaient les pieds sur terre et qui savaient que, pour changer le monde, il faut disposer du pouvoir. C'est pourquoi ils ne pouvaient chercher l'enfant de la promesse ailleurs que dans le palais du Roi. Maintenant, ils se prosternent cependant devant un enfant de pauvres gens, et ils en viennent rapidement à savoir que, fort de son pouvoir, Hérode - le Roi auprès duquel ils s'étaient rendus - avait l'intention de le poursuivre, en sorte qu'il ne resterait plus à la famille que la fuite et l'exil. Le nouveau Roi, devant lequel ils s'étaient prosternés, était très différent de ce qu'ils attendaient. Ainsi, ils devaient apprendre que Dieu est différent de la façon dont habituellement nous l'imaginons. C'est ici que commença leur cheminement intérieur. Il commença au moment même où ils se prosternèrent devant l'enfant et où ils le reconnurent comme le Roi promis. Mais la joie qu'ils manifestaient par leurs gestes devait s'intérioriser.

Ils devaient changer leur idée sur le pouvoir, sur Dieu et sur l'homme, et, ce faisant, ils devaient aussi se changer eux-mêmes. Maintenant, ils le constataient: le pouvoir de Dieu est différent du pouvoir des puissants de ce monde. Le mode d'agir de Dieu est différent de ce que nous imaginons et de ce que nous voudrions lui imposer à lui aussi. Dans ce monde, Dieu n'entre pas en concurrence avec les formes terrestres du pouvoir. Il n'a pas de divisions à opposer à d'autres divisions. Dieu n'a pas envoyé à Jésus, au Jardin des Oliviers, douze légions d'anges pour l'aider (cf. Mt 26,53). Au pouvoir tapageur et pompeux de ce monde, Il oppose le pouvoir sans défense de l'amour qui, sur la Croix - et ensuite continuellement au cours de l'histoire - succombe et qui cependant constitue la réalité nouvelle, divine, qui s'oppose ensuite à l'injustice et instaure le Règne de Dieu. Dieu est différent - c'est cela qu'ils reconnaissent maintenant. Et cela signifie que, désormais, eux-mêmes doivent devenir différents, ils doivent apprendre le style de Dieu.

Ils étaient venus pour se mettre au service de ce Roi, pour conformer leur royauté à la sienne. Telle était la signification de leur geste de déférence, de leur adoration. Leurs présents - or, encens et myrrhe -, dons qui s'offraient à un Roi considéré comme divin, en faisaient aussi partie. L'adoration a un contenu et comporte aussi un don. Voulant par leur geste d'adoration reconnaître cet enfant comme leur Roi, au service duquel ils entendaient mettre leur pouvoir et leurs capacités, les hommes provenant d'Orient suivaient assurément les traces justes. En le servant et en le suivant, ils voulaient, avec Lui, servir la cause de la justice et du bien dans le monde. Et en cela, ils avaient raison. Maintenant, ils apprennent cependant que cela ne peut se réaliser simplement en donnant des ordres et du haut d'un trône. Maintenant, ils apprennent qu'ils doivent se donner eux-mêmes - un don moindre que celui-là ne suffit pas pour ce Roi. Maintenant, ils apprennent que leur vie doit se conformer à cette façon divine d'exercer le pouvoir, à cette façon d'être de Dieu lui-même. Ils doivent devenir des hommes de la vérité, du droit, de la bonté, du pardon, de la miséricorde. Ils ne poseront plus la question: à quoi cela me sert-il? Ils devront au contraire poser la question: avec quoi est-ce que je sers la présence de Dieu dans le monde? Ils doivent apprendre à se perdre eux-mêmes et ainsi à se trouver eux-mêmes. Quittant Jérusalem, ils doivent demeurer sur les traces du vrai Roi, à la suite de Jésus.

Chers amis, nous nous demandons ce que tout cela signifie pour nous. Car ce que nous venons de dire sur la nature différente de Dieu, qui doit orienter notre vie, sonne bien, mais reste plutôt indéfini et vague. C'est pourquoi Dieu nous a donné des exemples. Les Mages venant d'Orient sont seulement les premiers d'un long cortège d'hommes et de femmes qui, dans leur vie, ont constamment cherché du regard l'étoile de Dieu, qui ont cherché le Dieu qui est proche de nous, les êtres humains, et qui nous indique la route. C'est le grand cortège des saints - connus ou inconnus -, par lesquels le Seigneur, tout au long de l'histoire, a ouvert devant nous l'Evangile et en a fait défiler les pages; c'est la même chose qu'il est en train de faire maintenant. Dans leur vie, comme dans un grand livre illustré, se dévoile la richesse de l'Evangile. Ils sont le sillon lumineux de Dieu, que Lui-même, au long de l'histoire, a tracé et trace encore. Mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, a béatifié et canonisé une grande foule de personnes, de périodes lointaines et récentes. Par ces figures, il a voulu nous montrer comment il faut faire pour être chrétien; comment il faut faire pour mener sa vie de manière juste - pour vivre selon le mode de Dieu. Les bienheureux et les saints ont été des personnes qui n'ont pas cherché obstinément leur propre bonheur, mais qui ont simplement voulu se donner, parce qu'ils ont été touchés par la lumière du Christ. Ils nous montrent ainsi la route pour devenir heureux, ils nous montrent comment on réussit à être des personnes vraiment humaines. Dans les vicissitudes de l'histoire, ce sont eux, les saints, qui ont été les véritables réformateurs qui, bien souvent, ont fait sortir l'histoire des vallées obscures dans lesquelles elle court toujours le risque de s'enfoncer à nouveau; ils l'ont illuminée chaque fois que cela était nécessaire, pour donner la possibilité d'accepter - parfois dans la douleur - la parole prononcée par Dieu au terme de l'oeuvre de la création: "Cela est bon". Il suffit de penser à des figures comme saint Benoît, saint François d'Assise, sainte Thérèse d'Avila, saint Ignace de Loyola, saint Charles Borromée, aux fondateurs des Ordres religieux du dix-neuvième siècle, qui ont animé et orienté le mouvement social, ou aux saints de notre temps - Maximilien Kolbe, Edith Stein, Mère Teresa, Padre Pio. En contemplant ces figures, nous apprenons ce que signifie "adorer", et ce que veut dire vivre selon la mesure de l'Enfant de Bethléem, selon la mesure de Jésus Christ et de Dieu lui-même.

Les saints, avons-nous dit, sont les vrais réformateurs. Je voudrais maintenant l'exprimer de manière plus radicale encore: c'est seulement des saints, c'est seulement de Dieu que vient la véritable révolution, le changement décisif du monde. Au cours du siècle qui vient de s'écouler, nous avons vécu les révolutions dont le programme commun était de ne plus rien attendre de Dieu, mais de prendre totalement dans ses mains le destin du monde. Et nous avons vu que, ce faisant, un point de vue humain et partial était toujours pris comme la mesure absolue des orientations. L'absolutisation de ce qui n'est pas absolu mais relatif s'appelle totalitarisme. Cela ne libère pas l'homme, mais lui ôte sa dignité et le rend esclave. Ce ne sont pas les idéologies qui sauvent le monde, mais seulement le fait de se tourner vers le Dieu vivant, qui est notre créateur, le garant de notre liberté, le garant de ce qui est véritablement bon et vrai. La révolution véritable consiste uniquement dans le fait de se tourner sans réserve vers Dieu, qui est la mesure de ce qui est juste et qui est, en même temps, l'amour éternel. Qu'est-ce qui pourrait bien nous sauver sinon l'amour?

Chers amis, permettez-moi d'ajouter seulement deux brèves pensées. Ceux qui parlent de Dieu sont nombreux; au nom de Dieu on prêche aussi la haine et on exerce la violence. Il est donc important de découvrir le vrai visage de Dieu. Les Mages d'Orient l'ont trouvé quand ils se sont prosternés devant l'enfant de Bethléem. "Celui qui m'a vu a vu le Père", disait Jésus à Philippe (Jn 14,9). En Jésus Christ, qui, pour nous, a permis que son coeur soit transpercé, en Lui, est manifesté le vrai visage de Dieu. Nous le suivrons avec la grande foule de ceux qui nous ont précédés. Alors, nous cheminerons sur le juste chemin.

Cela veut dire que nous ne nous construisons pas un Dieu privé, nous ne nous construisons pas un Jésus privé, mais que nous croyons en Jésus et que nous nous prosternons devant Lui, devant ce Jésus qui nous est révélé par les Saintes Ecritures et qui, dans la grande foule des fidèles appelée Eglise, se révèle vivant, toujours avec nous, et dans le même temps toujours devant nous. On peut beaucoup critiquer l'Eglise. Nous le savons, et le Seigneur lui-même nous l'a dit: elle est un filet avec de bons et de mauvais poissons, un champ avec le bon grain et l'ivraie. Le Pape Jean-Paul II, qui, dans les nombreux bienheureux et saints qu'il a proclamés, nous a montré le vrai visage de l'Eglise, a aussi demandé pardon pour ce que, dans le cours de l'histoire, en raison de l'action et de la parole d'hommes d'Eglise, s'est produit de mal. De cette manière, il nous a aussi fait voir notre vraie image et il nous a exhortés à entrer avec tous nos défauts et toutes nos faiblesses dans le cortège des saints, qui a commencé avec les Mages d'Orient. En définitive, que l'ivraie existe dans l'Eglise est consolant. Ainsi, avec tous nos défauts, nous pouvons néanmoins espérer nous trouver encore à la suite de Jésus, qui a précisément appelé les pécheurs. L'Eglise est comme une famille humaine, mais elle est aussi, en même temps, la grande famille de Dieu, par laquelle Il forme un espace de communion et d'unité dans tous les continents, dans toutes les cultures et dans toutes les nations. Nous sommes donc heureux d'appartenir à cette grande famille que nous voyons ici; nous sommes heureux d'avoir des frères et des amis dans le monde entier. Nous faisons précisément l'expérience, ici, à Cologne, du fait qu'il est beau d'appartenir à une famille vaste comme le monde, qui comprend le ciel et la terre, le passé, le présent et l'avenir, et toutes les parties de la terre. Dans ce grand rassemblement de pèlerins, nous marchons avec le Christ, nous marchons avec l'étoile qui éclaire l'histoire.

"En entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie sa mère; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui" (Mt 2,11). Chers amis, il ne s'agit pas d'une histoire lointaine, survenue il y a très longtemps. Il s'agit d'une présence. Ici, dans la sainte hostie, Il est devant nous et au milieu de nous. Comme en ce temps-là, il se voile mystérieusement dans un silence sacré et, comme en ce temps-là, se dévoile précisément le vrai visage de Dieu. Il s'est fait pour nous le grain de blé tombé en terre, qui meurt et qui porte du fruit jusqu'à la fin du monde (cf. Jn 12,24). Il est présent comme en ce temps-là à Bethléem. Il nous invite au pèlerinage intérieur qui s'appelle adoration. Mettons-nous maintenant en route pour ce pèlerinage et demandons-lui de nous guider. Amen.




Discours 2005-2013 19815