Discours 2005-2013 143

AUX DIRIGEANTS DES ASSOCIATIONS CHRÉTIENNES DES TRAVAILLEURS ITALIENS (ACLI) Salle Clémentine Vendredi 27 janvier 2006



Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers membres des ACLI!

Nous nous rencontrons aujourd'hui à l'occasion du 60 anniversaire de la fondation des Associations chrétiennes des travailleurs italiens. Je salue le Président, M. Luigi Bobba, en le remerciant cordialement des paroles courtoises qu'il m'a adressées et qui m'ont véritablement ému; je salue les autres dirigeants et chacun de vous. J'adresse un salut cordial aux Evêques et aux prêtres qui vous accompagnent et qui ont la charge de votre formation spirituelle. Votre association doit sa naissance à l'intuition clairvoyante du Pape Pie XII, de vénérée mémoire, qui voulut donner corps à une présence visible et incisive des catholiques italiens dans le monde du travail, en s'appuyant sur la collaboration précieuse de celui qui était alors Substitut de la Secrétairerie d'Etat, Giovanni Battista Montini. Dix ans plus tard, le 1 mai 1955, le même Souverain Pontife devait instituer la fête de saint Joseph artisan, pour indiquer à tous les travailleurs du monde la voie de la sanctification personnelle à travers le travail, et restituer ainsi à l'effort quotidien la perspective d'une authentique humanisation. Aujourd'hui aussi, la question du travail, au centre de mutations rapides et complexes, ne cesse d'interpeller la conscience humaine, et exige que l'on ne perde pas de vue le principe de fond qui doit orienter tout choix concret: c'est-à-dire le bien de chaque être humain et de la société tout entière.

Dans le cadre de cette fidélité de base au projet originel de Dieu, je voudrais à présent brièvement relire avec vous et pour vous les trois "consignes" ou "fidélités" que vous vous êtes engagés, tout au long de votre histoire, à incarner dans votre activité multiforme. La première fidélité que les ACLI sont appelées à vivre est la fidélité aux travailleurs. C'est la personne qui est "la mesure de la dignité du travail" (Compendium de la Doctrine sociale de l'Eglise, n. 271). C'est pourquoi le Magistère a toujours rappelé la dimension humaine de l'activité du travail, la reconduisant à sa véritable finalité, sans oublier que le couronnement de l'enseignement biblique sur le travail est le commandement du repos. Exiger donc que le dimanche ne soit pas assimilé à tous les autres jours de la semaine et un choix de civilisation.

144 Du primat de la valeur éthique du travail humain découlent d'ultérieures priorités: celle de l'homme sur le travail lui-même (cf. Laborem exercens LE 12), celle du travail sur le capital (ibid.), celle de la destination universelle des biens sur le droit à la propriété privée (ibid., n. 14): en résumé, la priorité de l'être sur l'avoir (ibid., n. 20). Cette échelle de priorités indique avec clarté la façon dont le domaine du travail rentre de plein droit dans la question anthropologique. Il ressort aujourd'hui, sur ce versant, un aspect nouveau et inédit de la question sociale lié à la protection de la vie. Nous vivons une époque dans laquelle la science et la technologie offrent des possibilités extraordinaires d'améliorer l'existence de tous. Mais une utilisation déformée de ce pouvoir peut provoquer des menaces graves et irréparables pour le destin de la vie elle-même. Il faut donc répéter l'enseignement du bien-aimé Jean-Paul II, qui nous a invités à voir dans la vie la nouvelle frontière de la question sociale (cf. Enc. Evangelium vitae EV 20). La protection de la vie, de sa conception à son terme naturel, et partout où celle-ci est menacée, offensée ou foulée aux pieds, est le premier devoir dans lequel s'exprime une authentique éthique de la responsabilité, qui s'étend de façon cohérente à toutes les autres formes de pauvreté, d'injustice et d'exclusion.

La deuxième consigne à laquelle je voudrais vous inviter est - conformément à l'esprit de vos pères fondateurs - la fidélité à la démocratie, qui seule peut garantir l'égalité et les droits pour tous. Il existe en effet une sorte de dépendance réciproque entre démocratie et justice, qui pousse chacun à s'engager de façon responsable afin que soit sauvegardé le droit de chaque personne, en particulier si elle est faible ou marginalisée. La justice est le paramètre d'une authentique démocratie. Cela étant dit, il ne faut pas oublier que la recherche de la vérité constitue dans le même temps la condition de la possibilité d'une démocratie réelle et non apparente: "Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l'histoire" (Centesimus annus CA 46). D'où l'invitation à oeuvrer afin que croisse le consensus autour d'un cadre de références communes. Autrement, l'appel à la démocratie risque de demeurer une simple formalité de procédure qui perpétue les différences et accentue les problématiques.

La troisième consigne est la fidélité à l'Eglise. Seule une adhésion ouverte et passionnée au chemin ecclésial garantira l'identité nécessaire qui sait être indispensable dans tous les milieux de la société et du monde, sans perdre la saveur et le parfum de l'Evangile. Ce n'est pas par hasard que les paroles que Jean-Paul II vous a adressées le 1 mai 1995 - "Seul l'Evangile renouvelle les ACLI" - indiquent aujourd'hui encore la voie maîtresse pour votre association, dans la mesure où elles vous encouragent à placer au centre de la vie associative la Parole de Dieu et à considérer l'évangélisation comme une partie intégrante de votre mission. De plus, la présence des prêtres en tant qu'accompagnateurs de la vie spirituelle, vous aide à valoriser la relation qui existe avec l'Eglise locale et à renforcer l'engagement oecuménique et de dialogue interreligieux. En tant que laïcs et travailleurs chrétiens réunis en associations, ayez soin de la formation de vos membres et dirigeants, dans la perspective du service particulier auquel vous êtes appelés. En tant que témoins de l'Evangile et artisans de liens fraternels, soyez présents avec courage dans les milieux les plus importants de la vie sociale.

Chers amis, le fil conducteur de la célébration de vos 60 ans, a été de réinterpréter ces "fidélités" historiques en valorisant la quatrième consigne, à travers laquelle le Pape Jean-Paul II vous a exhortés à "élargir les frontières de votre action sociale" (Discours aux ACLI, 27 avril 2002). Que cet engagement pour l'avenir de l'humanité soit toujours animé par l'espérance chrétienne. Ainsi vous aussi, en tant que témoins de Jésus ressuscité, espérance du monde, vous contribuerez à apporter un nouveau dynamisme à la grande tradition des Associations chrétiennes des travailleurs italiens, et vous pourrez coopérer, sous l'action de l'Esprit Saint, en vue de renouveler la face de la terre. Que Dieu vous accompagne et que la Sainte Vierge vous protège, ainsi que vos familles et chacune de vos initiatives. Je vous bénis avec affection, en vous assurant de mon souvenir spécial dans la prière.


AU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE À L'OCCASION DE L’INAUGURATION DE L’ANNÉE JUDICIAIRE Salle Clémentine Samedi 28 janvier 2006

Illustres Juges,
Officiers et collaborateurs
du Tribunal apostolique de la Rote romaine!

Presque une année s'est écoulée depuis la dernière rencontre de votre Tribunal avec mon bien-aimé prédécesseur Jean-Paul II. Ce fut la dernière d'une longue série. De l'immense héritage qu'il nous a légué, également en matière de droit canonique, je voudrais aujourd'hui signaler en particulier l'Instruction Dignitas connubii, sur la procédure à suivre dans les causes de nullité matrimoniale. Avec celle-ci, on a voulu rédiger une sorte de vademecum, qui rassemble non seulement les normes en vigueur dans ce domaine, mais les enrichit par des dispositions supplémentaires, nécessaires pour une correcte application des premières. La plus grande contribution de cette Instruction, que je souhaite voir appliquée intégralement par le personnel des tribunaux ecclésiastiques, consiste à indiquer dans quelle mesure et de quelle façon doivent être appliquées dans les causes de nullité matrimoniale les normes contenues dans les canons relatifs au jugement contentieux ordinaire, dans le respect des normes spéciales dictées pour les causes sur l'état des personnes et pour celles de bien public.

Comme vous le savez, l'attention consacrée aux procès de nullité matrimoniale dépasse toujours davantage le domaine des spécialistes. En effet, les sentences ecclésiastiques en cette matière influent sur la possibilité ou non de recevoir la Communion eucharistique de la part de nombreux fidèles. C'est précisément cet aspect, si décisif du point de vue de la vie chrétienne, qui explique pourquoi le thème de la nullité matrimoniale est apparu de manière répétée également au cours du récent Synode sur l'Eucharistie. A première vue, il pourrait sembler que la préoccupation pastorale qui se reflète dans les travaux du Synode et l'esprit des normes juridiques rassemblées dans Dignitas connubii divergent profondément entre eux, allant presque jusqu'à s'opposer. D'une part, il semblerait que les Pères synodaux aient invité les tribunaux ecclésiastiques à se prodiguer afin que les fidèles qui ne sont pas mariés canoniquement puissent au plus tôt régulariser leur situation matrimoniale et participer à nouveau au banquet eucharistique. D'autre part, la législation canonique et la récente Instruction sembleraient, en revanche, poser des limites à ce courant pastoral, comme si la principale préoccupation était celle de s'acquitter des formalités juridiques prévues, en risquant d'oublier la finalité pastorale du procès. Derrière cette façon de poser le problème, se cache une prétendue opposition entre le droit et la pastorale en général. Je n'entends pas, à présent, reprendre de manière approfondie la question déjà traitée par Jean-Paul II à plusieurs reprises, en particulier dans l'allocution à la Rote romaine de 1990 (cf. AAS, 82 [1990], PP 872-877). Au cours de cette première rencontre avec vous, je préfère plutôt me concentrer sur ce qui constitue le point de jonction fondamental entre le droit et la pastorale: l'amour pour la vérité. Par ailleurs, avec cette affirmation, je me rattache en esprit à ce que mon vénéré Prédécesseur lui-même vous a dit, précisément dans son allocution de l'année dernière (cf. AAS, 97 [2005], PP 164-166).

145 Le processus canonique de nullité du mariage constitue essentiellement un instrument pour trouver la vérité sur le lien conjugal. Son but constitutif n'est donc pas de compliquer inutilement la vie aux fidèles et encore moins d'en exacerber l'esprit de litige, mais seulement de rendre un service à la vérité. Du reste, l'institution du procès en général n'est pas en soi un moyen pour satisfaire un intérêt quelconque, mais bien un instrument qualifié pour répondre au devoir de justice de donner à chacun ce qui lui est dû. Le procès, précisément dans sa structure essentielle, est l'institution de la justice et de la paix. En effet, le but du procès est la déclaration de la vérité de la part d'un tiers impartial, après qu'aient été offertes aux parties des opportunités semblables de présenter des arguments et des preuves dans un cadre de discussion approprié. Cet échange d'avis est normalement nécessaire, afin que le juge puisse connaître la vérité et, en conséquence, décider de la cause selon la justice. Tout le système du procès doit donc tendre à assurer l'objectivité, l'opportunité et l'efficacité des décisions des juges.

Dans cette matière également, le rapport entre raison et foi est d'une importance fondamentale. Si le procès répond à la juste raison, on ne peut pas s'étonner du fait que l'Eglise ait adopté l'institution du procès pour résoudre des questions intra ecclésiales à caractère juridique. C'est ainsi que s'est désormais consolidée une tradition pluriséculaire, conservée jusqu'à aujourd'hui dans les tribunaux ecclésiastiques du monde entier. Il faut en outre garder à l'esprit que le droit canonique a contribué de manière très importante, à l'époque du droit classique médiéval, à perfectionner les bases de ce même droit des procès. Son application dans l'Eglise concerne tout d'abord les cas où, la matière du contentieux étant disponible, les parties pourraient atteindre un accord qui résoudrait le litige, mais cela ne se produit pas pour divers motifs. Le recours au procès, en cherchant à déterminer ce qui est juste, vise non seulement à ne pas aggraver les conflits, mais il veut les rendre plus humains, en trouvant des solutions objectivement adaptées aux exigences de la justice. Naturellement, cette solution ne suffit pas à elle seule, car les personnes ont besoin d'amour, mais lorsqu'elle apparaît inévitable, elle représente un pas significatif accompli dans la juste direction. Les procès peuvent ensuite également porter sur des matières qui dépassent la capacité de disposer des parties, dans la mesure où ils concernent les droits de toute la communauté ecclésiale. C'est précisément dans ce cadre que s'inscrit le procès déclarant la nullité d'un mariage: en effet, le mariage, dans sa double dimension naturelle et sacramentelle, n'est pas un bien dont les conjoints peuvent disposer et, en raison de son caractère social et public, il n'est pas non plus possible de formuler l'hypothèse d'une forme quelconque d'autodéclaration.

A ce point, la deuxième observation va de soi. Aucun procès n'est strictement contre l'autre partie, comme s'il s'agissait de lui infliger un dommage injuste. L'objectif n'est pas d'ôter un bien à quelqu'un, mais d'établir et de sauvegarder l'appartenance des biens aux personnes et aux institutions. A cette considération, valable pour chaque procès, s'en ajoute une autre plus spécifique dans l'hypothèse de nullité matrimoniale. Il n'y a là aucun bien disputé entre les parties qui doive être attribué à l'un ou à l'autre. L'objet du procès est, en revanche, de déclarer la vérité à propos de la validité ou de l'invalidité d'un mariage concret, c'est-à-dire à propos d'une réalité qui fonde l'institution de la famille et qui concerne au plus haut point l'Eglise et la société civile. En conséquence, on peut affirmer que, dans ce genre de procès, le destinataire de la demande de déclaration est l'Eglise elle-même. En raison de la présomption naturelle de validité du mariage formellement contracté, mon prédécesseur, Benoît XIV, éminent canoniste, imagina et rendit obligatoire la participation du défenseur du lien à ces procès (cf. Cons. apost. Dei miseratione, 3 novembre 1741). De cette façon, on garantit davantage la dialectique du procès visant à découvrir la vérité.

Le critère de la recherche de la vérité, de même qu'il nous guide à comprendre la dialectique du procès, peut également nous servir pour saisir l'autre aspect de la question: sa valeur pastorale, qui ne peut pas être séparée de l'amour pour la vérité. Il peut en effet se produire que la charité pastorale soit parfois contaminée par des attitudes complaisantes envers les personnes. Ces attitudes peuvent sembler pastorales, mais en réalité, elles ne répondent pas au bien des personnes et de la communauté ecclésiale elle-même; en évitant la confrontation avec la vérité qui sauve, elles peuvent même avoir un effet contraire en ce qui concerne la rencontre salvifique de chacun avec le Christ. Le principe de l'indissolubilité du mariage, réaffirmé avec force par Jean-Paul II en ce lieu (cf. les discours du 21 janvier 2000, in AAS, 92 [2000],
PP 35-355, et du 28 janvier 2002 in AAS, 94 [2002], PP 340-346), appartient à l'intégrité du mystère chrétien. Aujourd'hui, il nous est malheureusement donné de constater que cette vérité est parfois voilée dans la conscience des chrétiens et des personnes de bonne volonté. C'est précisément pour cette raison que le service que l'on peut offrir aux fidèles et aux conjoints non chrétiens en difficulté, en renforçant en eux, ne serait-ce qu'implicitement, la tendance à oublier l'indissolubilité de leur propre union, est trompeur. De cette façon, l'intervention éventuelle de l'institution ecclésiastique dans les causes de nullité risque d'apparaître comme la simple constatation d'un échec.

Toutefois, la vérité recherchée dans les procès de nullité matrimoniale n'est pas une vérité abstraite, étrangère au bien des personnes. C'est une vérité qui s'inscrit dans l'itinéraire humain et chrétien de chaque fidèle. Il est donc important que sa déclaration arrive dans des délais raisonnables. La Providence divine sait bien sûr tirer le bien du mal, même s'il arrivait aux institutions ecclésiastiques de négliger leur devoir ou de commettre des erreurs. Mais c'est une grave obligation que de rendre l'oeuvre institutionnelle de l'Eglise dans les tribunaux toujours plus proche des fidèles. En outre, la sensibilité pastorale doit conduire à chercher à prévenir les nullités matrimoniales lors de l'admission au mariage et à tout mettre en oeuvre afin que les conjoints résolvent leurs éventuels problèmes et trouvent la voie de la réconciliation. La même sensibilité pastorale face aux situations réelles des personnes doit cependant conduire à sauvegarder la vérité et à appliquer les normes prévues pour la protéger au cours du procès.

Je souhaite que ces réflexions servent à mieux faire comprendre comment l'amour pour la vérité rattache l'institution du procès canonique de nullité matrimoniale à l'authentique sens pastoral qui doit animer ces procès. Selon cette clef de lecture, l'Instruction Dignitas connubii et les préoccupations qui sont apparues pendant le dernier Synode se révèlent tout à fait convergentes. Très chers amis, réaliser cette harmonie est la tâche difficile et fascinante pour l'accomplissement discret de laquelle la communauté ecclésiale vous est si reconnaissante. Avec le voeu cordial que votre activité judiciaire contribue au bien de tous ceux qui s'adressent à vous et favorise leur rencontre personnelle avec la Vérité qui est le Christ, je vous bénis avec reconnaissance et affection.



Février 2006



AUX ÉVÊQUES DU CONGO EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM" Lundi 6 février 2006

Chers Frères dans l’Épiscopat,

C’est avec joie que je vous accueille alors que vous venez en pèlerinage sur les lieux où les Apôtres Pierre et Paul ont témoigné du Christ Sauveur jusqu’au martyre. Je souhaite vivement que vos rencontres avec le Pape et ses collaborateurs, expression de communion de vos Églises locales au Siège de Pierre, fassent grandir en vous l'élan apostolique au service du peuple de Dieu qui vous est confié. Je vous remercie de tout ce dont vous m’avez fait part au cours de nos rencontres. Assurez vos diocésains de ma proximité spirituelle, alors qu’ils sont invités, avec tous les habitants du pays, à se mobiliser pour travailler à la paix et à la réconciliation, au lendemain des années de guerre qui ont fait, spécialement dans votre région, des millions de victimes. Qu’ils soient de courageux défenseurs de la dignité de tout être humain et des témoins audacieux de la charité du Christ, pour bâtir une société toujours plus juste et plus fraternelle !

L’engagement pour la paix est un défi lancé à la mission évangélisatrice de l’évêque. Vos rapports quinquennaux décrivent les conditions difficiles dans lesquelles vous exercez votre ministère. Les conflits passés et les foyers d’insécurité qui perdurent laissent de profondes blessures dans la population, provoquant lassitude et découragement. En cette année que votre Église locale consacre à la Bienheureuse Anuarite Nengapeta, je souhaite que l’impératif de la charité vous mobilise et que, par la sainteté de vos vies et par le dynamisme missionnaire qui vous anime, vous soyez vous-mêmes des prophètes de la justice et de la paix. En effet, la «charité n’est pas pour l’Église une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer» (Lettre Encyclique Deus caritas est ). Je me réjouis du travail pastoral de proximité réalisé dans les Communautés ecclésiales vivantes par les prêtres, par les personnes consacrées ainsi que par les différents organismes caritatifs, pour porter en commun ce souci de la charité vécue au service des plus petits, en devenant des témoins crédibles de l’amour que le Christ leur porte. Travaillez à l’unité du peuple de Dieu et donnez-vous sans compter pour le constituer en peuple de frères, rassemblés par le Christ et envoyés par Lui !

Il importe que vous poursuiviez la tâche exigeante de l’enracinement de l’Évangile dans votre culture, en respectant les riches et authentiques valeurs africaines mais aussi en purifiant ces valeurs de tout ce qui pourrait les rendre incompatibles avec la vérité de l’Évangile. Il est aussi souhaitable qu’une nouvelle vitalité soit donnée au Sacrement de la pénitence, par lequel Dieu libère l’homme du péché, lui permettant d’être toujours davantage ferment de réconciliation et de paix dans l’Église et dans la société. Les prêtres et les fidèles sont appelés à redécouvrir dans l’Eucharistie le centre de leur existence, accueillant dans cette grande école de paix le sens profond de leurs engagements et un appel puissant à devenir des artisans de dialogue et de communion (cf. Mane nobiscum Domine, n. 27).

146 Édifier l’Église Famille de Dieu dans votre pays, comme ailleurs, est une tâche exigeante, mais je connais le dynamisme apostolique qui vous anime. Il est heureux que la Conférence épiscopale nationale du Congo, par ses multiples interventions, n’ait pas ménagé ses efforts pour ouvrir dans les coeurs et dans les consciences des chemins de réconciliation et de communion fraternelle. À ce propos, on souhaite que la campagne de sensibilisation mise en oeuvre, en relation avec les Responsables des autres confessions religieuses, afin de proposer à tous les citoyens une éducation civique, porte de bons fruits. L’Église est appelée à participer à cette oeuvre, à la place qui lui revient et selon sa vocation propre, et à apporter une contribution spécifique au bien commun et à la consolidation de l’état de droit, manifestant son engagement quotidien au bien-être matériel et spirituel de tous les Congolais. Pour cela, il importe de proposer aux responsables politiques du pays une formation spécifique. En approfondissant le riche patrimoine de la doctrine sociale de l’Église, ils pourront réfléchir à leur engagement au service du bien commun et en mesurer les exigences morales, pour travailler à la mise en place d’institutions justes, au service du renouvellement de la société.

Pour que la Parole de l’Évangile soit entendue en tout point du pays et pour que l’enseignement de l’Église influe en profondeur sur les consciences, les mentalités et les moeurs, l’utilisation des moyens de communication sociale, en particulier la radio et la télévision, s’avère plus que jamais nécessaire et demeure pour vous une préoccupation constante. Aussi grâce à ces moyens, l’Église pourra-t-elle mieux accomplir son ministère prophétique, en particulier pour limiter l’action des sectes qui utilisent abondamment les technologies nouvelles pour attirer et confondre les fidèles. Les médias modernes permettent une activité éducative, animée par la passion de la vérité, mais aussi une action visant à défendre la liberté et le respect de la dignité de la personne, et à favoriser la culture authentique de votre peuple (cf. Christifideles laici
CL 44).

L’évangélisation de la famille constitue aussi une priorité pastorale. Les mouvements de personnes réfugiées ou déplacées, la pandémie du sida, mais aussi les mutations importantes de la société contemporaine, ont disloqué de nombreuses familles, fragilisant l’institution familiale, avec le risque de porter atteinte à la cohésion de la société elle-même. Il importe, à tous les niveaux de la vie diocésaine et sociale, d’encourager les catholiques à préserver et à promouvoir les valeurs fondamentales de la famille. Dans cet esprit, il convient d’être attentif à la préparation humaine et spirituelle des couples et au suivi pastoral des familles, rappelant l’éminente dignité du mariage chrétien, unique et indissoluble, et proposant une spiritualité conjugale solide pour que les familles grandissent en sainteté.

La Vie consacrée est présente en République démocratique du Congo dans la riche diversité de ses formes. Je salue bien affectueusement toutes les personnes consacrées; elles ont le souci de témoigner de l’amour du Christ auprès leurs frères. Je rends notamment hommage à ceux et celles qui, dans des conditions extrêmes, ont choisi de rester auprès des populations éprouvées pour leur apporter l’assistance, le réconfort et le soutien spirituel nécessaires. J’invite toutes les personnes consacrées, signes irremplaçables du Royaume qui vient, à donner un témoignage prophétique dans l’Église et dans la société congolaise, les appelant notamment, dans une fidélité parfaite aux conseils évangéliques, à rejeter toute tentation de repli identitaire et à propager un réel esprit de fraternité entre tous.

Les jeunes font preuve d’une grande vitalité; ils sont une vraie richesse pour l’Église et pour tout le pays. Ils constituent cependant une population fragilisée par l’insécurité devant l’avenir, par l’expérience de la précarité, par les inquiétants ravages du sida. Il vous revient de nourrir leur foi et leur espérance, en leur proposant une formation chrétienne solide. On pense en particulier aux initiatives pastorales destinées à permettre aux enfants de la rue et aux enfants soldats de se reconstruire humainement et spirituellement. J’appelle aussi les écoles catholiques, ainsi que toutes les personnes qui portent le souci de la formation et de l’éducation des jeunes, à leur donner les moyens de grandir dans la charité, de cultiver le goût de l’effort et de s’entraîner au respect mutuel, à l’apprentissage du dialogue et du service de la communauté, afin qu’ils soient des membres actifs de l’évangélisation et du renouvellement du tissu social.

Chers Frères dans l’Épiscopat, au terme de notre rencontre, comment ne pas vous redire l’espérance fondée que je partage avec vous de voir la réconciliation et la paix triompher dans votre pays et dans toute la Région des Grands Lacs ! Que tous ceux qui président aux destinées de la nation agissent de manière concertée et responsable pour parvenir à une paix durable ! J’appelle aussi la Communauté internationale à ne pas oublier l’Afrique, en poursuivant notamment des actions courageuses et déterminées pour consolider la stabilité politique et économique de votre pays. J’exhorte enfin vos communautés à s’engager «dans une action intense et capillaire d’éducation et de témoignage qui fasse grandir en chacun la conscience de l’urgence de découvrir toujours plus profondément la vérité de la paix» (Message pour la célébration de la Journée mondiale de la paix 2006, 8 décembre 2005, n. 16). En retournant dans vos diocèses, portez à tous vos prêtres, diacres, religieux, religieuses, catéchistes et fidèles laïcs l’affection du Successeur de Pierre, qui les appelle à vivre au quotidien le service de la charité, en étant toujours plus unis au Christ, et qui leur adresse, ainsi qu’à vous-mêmes, une particulière Bénédiction apostolique.


AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE LA CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI Salle Clémentine Vendredi 10 février 2006

Messieurs les Cardinaux,
Vénérés Frères dans l'épiscopat et le sacerdoce,
chers frères et soeurs!

147 Je suis heureux de rencontrer, au terme de sa Session plénière, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, une Congrégation que j'ai eu la joie de présider pendant plus de vingt ans, sur mandat de mon Prédécesseur, le vénéré Pape Jean-Paul II. Vos visages rappellent à ma mémoire également toutes les personnes qui, au cours de ces années, ont collaboré avec le dicastère: je repense à tous avec gratitude et affection. En effet, je ne peux me souvenir qu'avec émotion de cette période si intense et fructueuse que j'ai passée à la Congrégation, qui a pour tâche de promouvoir et de sauvegarder la doctrine sur la foi et sur les comportements dans l'Eglise catholique tout entière (cf. Pastor Bonus ).

Dans la vie de l'Eglise, la foi possède une importance fondamentale, car le don que Dieu fait de lui-même dans la Révélation est fondamental, et ce don de soi de Dieu est accueilli dans la foi. C'est là qu'apparaît l'importance de votre Congrégation qui, dans son service à toute l'Eglise et en particulier aux Evêques, en tant que maîtres de la foi et pasteurs, est appelée, dans un esprit de collégialité, à encourager et à rappeler précisément le caractère central de la foi catholique, dans son expression authentique. Lorsque la perception de ce caractère central s'affaiblit, le tissu de la vie ecclésiale perd lui aussi sa vivacité originelle et se détériore, dégénérant dans un activisme stérile ou se réduisant à des stratégies politiques à caractère matériel. Si la vérité de la foi est en revanche posée avec simplicité et fermeté au centre de l'existence chrétienne, la vie de l'homme est alors nourrie et ravivée par un amour qui ne connaît ni pauses, ni limites, comme j'ai eu également l'occasion de le rappeler dans ma récente Lettre encyclique Deus caritas est.

La charité, à partir du coeur de Dieu à travers le coeur de Jésus Christ, se diffuse grâce à son Esprit dans le monde, comme amour qui renouvelle tout. Cet amour naît de la rencontre avec le Christ dans la foi: "A l'origine du fait d'être chrétien, il n'y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive" (Deus caritas est ). Jésus Christ est la Vérité faite Personne, qui attire le monde à Lui. La lumière qui rayonne de Jésus est splendeur de la vérité. Toute autre vérité est un fragment de la Vérité qu'Il est et renvoie à Lui. Jésus est l'étoile polaire de la liberté humaine: sans Lui, celle-ci perd son orientation, car sans la connaissance de la vérité, la liberté se dénature, s'isole et se réduit à un arbitraire stérile. Avec Lui, on retrouve la liberté, on reconnaît qu'elle tend vers le bien et s'exprime à travers des actions et des comportements de charité.

C'est pourquoi Jésus donne à l'homme une familiarité totale avec la vérité et l'invite sans cesse à vivre en elle. C'est une vérité offerte comme réalité qui restaure l'homme et, à la fois, le dépasse et le domine; comme Mystère qui accueille et, dans le même temps, va au-delà de l'élan de son intelligence. Et rien autant que l'amour de la vérité ne réussit à entraîner l'intelligence humaine vers des horizons inexplorés. Jésus Christ, qui est la plénitude de la vérité, attire à lui le coeur de chaque homme, le dilate et le comble de joie. Seule la vérité est en effet capable d'envahir l'esprit et de le combler totalement de joie. C'est cette joie qui agrandit les dimensions de l'âme humaine, en la libérant des angoisses de l'égoïsme et en la rendant capable d'un amour authentique. C'est l'expérience de cette joie qui émeut, qui attire l'homme vers une libre adoration, non en se prosternant, mais en inclinant son coeur face à la Vérité qu'il a rencontrée.

C'est pourquoi le service à la foi, qui est un témoignage à Celui qui est la Vérité tout entière, est également un service à la joie et c'est cette joie que le Christ veut diffuser dans le monde: c'est la joie de la foi en Lui, de la vérité qui se communique à travers Lui, du salut qui vient de Lui! C'est cette joie dont le coeur fait l'expérience quand nous nous agenouillons pour adorer Jésus dans la foi! Cet amour de la vérité inspire et oriente également l'approche chrétienne du monde contemporain et l'engagement évangélisateur de l'Eglise, des thèmes sur lesquels vous vous êtes arrêtés pour réfléchir au cours des travaux de votre Session plénière. L'Eglise accueille avec joie les conquêtes authentiques de la connaissance humaine et reconnaît que l'évangélisation exige également une réelle prise en charge des horizons et des défis que présente le savoir moderne. En réalité, les grands progrès du savoir scientifique, auxquels nous avons assisté au siècle dernier, ont aidé à mieux comprendre le mystère de la création, marquant profondément la conscience de tous les peuples. Toutefois, les progrès de la science ont parfois été si rapides qu'il est devenu très difficile de comprendre s'ils sont compatibles avec les vérités de Dieu sur l'homme et sur le monde. Parfois, certaines affirmations du savoir scientifique ont même été opposées à ces vérités. Cela peut avoir provoqué une certaine confusion chez les fidèles et constitué également une difficulté pour la proclamation et l'accueil de l'Evangile. C'est pourquoi, chaque étude qui se propose d'approfondir la connaissance des vérités découvertes par la raison, avec la certitude qu'il n'y a pas de "compétitivité entre la raison et la foi" (Fides et ratio
FR 17), est d'une importance vitale.

Nous ne devons pas avoir peur d'affronter ce défi: Jésus Christ est en effet le Seigneur de toute la création et de toute l'histoire. Le croyant sait bien que "tout a été créé par lui et pour lui... et tout subsiste en lui" (Col 1,16 Col 1,17). En approfondissant sans cesse la connaissance du Christ, centre de l'univers et de l'histoire, nous pouvons montrer aux hommes et aux femmes de notre temps que la foi en Lui n'est pas sans importance pour le destin de l'humanité: elle est même l'accomplissement de tout ce qui est authentiquement humain. Ce n'est que dans cette perspective que nous pourrons offrir des réponses convaincantes à l'homme en quête. Cet engagement est d'une importance décisive pour l'annonce et la transmission de la foi dans le monde contemporain. De fait, la tâche de l'évangélisation exige aujourd'hui un tel engagement comme priorité urgente. Le dialogue entre foi et raison, religion et science, offre non seulement la possibilité de montrer à l'homme d'aujourd'hui, de manière plus efficace et convaincante, le caractère raisonnable de la foi en Dieu, mais aussi de montrer qu'en Jésus Christ se trouve l'accomplissement définitif de toute aspiration humaine authentique. En ce sens, un effort d'évangélisation sérieux ne peut pas ignorer les interrogations qui naissent également des découvertes scientifiques actuelles et de la pensée philosophique.

Le désir de la vérité appartient à la nature même de l'homme et toute la création est une immense invitation à rechercher ces réponses qui ouvrent la raison humaine à la grande réponse qu'elle recherche et attend depuis toujours: "La vérité de la Révélation chrétienne, que l'on trouve en Jésus de Nazareth, permet à quiconque de recevoir le "mystère" de sa vie. Comme vérité suprême, tout en respectant l'autonomie de la créature et sa liberté, elle engage à s'ouvrir à la transcendance. Ici, le rapport entre la liberté et la vérité devient suprême, et l'on comprend pleinement la parole du Seigneur: "Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera" (Jn 8,32)" (Fides et ratio FR 15).

La Congrégation trouve ici le motif de son engagement et l'horizon de son service. Votre service à la plénitude de la foi est un service à la vérité et donc à la joie, une joie qui provient des profondeurs du coeur et qui jaillit des abîmes d'amour que le Christ a révélés à travers son coeur ouvert sur la Croix et que son Esprit diffuse dans le monde avec une générosité inépuisable. De ce point de vue, votre ministère doctrinal peut être défini, de manière appropriée, comme "pastoral". En effet, votre service est un service à la pleine diffusion de la lumière de Dieu dans le monde! Que la lumière de la foi, exprimée dans sa plénitude et son intégralité, puisse toujours éclairer votre travail et être l'"étoile" qui vous guide et vous aide à accompagner le coeur des hommes vers le Christ! Telle est la tâche difficile et fascinante qui appartient à la mission du Successeur de Pierre, à laquelle vous êtes appelés à collaborer. Je vous remercie de votre travail et de votre service!

Avec ces sentiments, je vous donne à tous ma Bénédiction.

Discours 2005-2013 143