Discours 2005-2013 307

307 Permettez-moi à présent de souligner une vérité qui est écrite dans le "code génétique" des Musées du Vatican: à savoir, que la grande civilisation classique et la civilisation judéo-chrétienne ne s'opposent pas entre elles, mais convergent dans l'unique dessein de Dieu. Cela est démontré par le fait que l'origine lointaine de cette institution remonte à une oeuvre que nous pouvons bien qualifier de "profane" - le magnifique groupe sculpté de Laocoon -, mais qui, en réalité, insérée dans le contexte du Vatican, acquiert sa lumière la plus pleine et authentique. C'est la lumière de la créature humaine façonnée par Dieu, de la liberté dans le drame de sa rédemption, tendue entre le ciel et la terre, entre la chair et l'esprit. C'est la lumière d'une beauté qui rayonne à partir de l'intérieur de l'oeuvre d'art et qui conduit l'esprit à s'ouvrir au sublime, là où le Créateur rencontre la créature faite à son image et ressemblance. Nous pouvons lire tout cela dans un chef-d'oeuvre tel que l'est précisément le Laocoon, mais il s'agit d'une logique propre au Musée tout entier, qui, dans cette perspective, apparaît vraiment comme un tout unitaire dans l'articulation complexe de ses sections, qui sont pourtant très différentes entre elles. La synthèse entre Evangile et culture apparaît encore plus explicite dans certains départements et comme "matérialisée" dans certaines oeuvres: je pense aux sarcophages du Musée Pie-chrétien, ou aux tombes de la Nécropole sur la Voie Triomphale, qui cette année a vu sa surface d'exposition muséographique doublée, ou encore à l'exceptionnelle collection ethnologique de provenance missionnaire. Le Musée montre véritablement un mélange permanent entre christianisme et culture, entre foi et art, entre divin et humain. La Chapelle Sixtine constitue, à cet égard, un sommet inégalable.

Chers amis, revenons à présent à vous. Les Musées du Vatican sont votre lieu de travail quotidien. Un grand nombre d'entre vous sont au contact direct des visiteurs: comme votre attitude et votre exemple sont alors importants pour offrir à tous un témoignage de foi simple, mais incisif! Un temple de l'art et de la culture comme les Musées du Vatican demande que la beauté des oeuvres soit accompagnée par celle des personnes qui y travaillent: une beauté spirituelle, qui rend le milieu véritablement ecclésial, en l'imprégnant d'esprit chrétien. Le fait de travailler au Vatican constitue donc un engagement de plus à cultiver sa foi et son témoignage chrétien. A ce propos, une aide utile vous est également offerte, en plus de celle provenant de la participation active à la vie de vos communautés paroissiales, par les moments de célébration et de formation spirituelle animés par vos assistants spirituels, que je remercie de leur dévouement. Je vous invite surtout à faire en sorte que chacune de vos familles soit une "petite Eglise", où la foi et la vie se mêlent, au fil des événements heureux et tristes de tous les jours. C'est précisément pour cela que je suis heureux que soit aujourd'hui présent un grand nombre de vos familles. Que la Vierge Marie et saint Joseph vous aident à vivre dans une action de grâce constante, en goûtant les joies simples de chaque jour et en multipliant les oeuvres de bien. J'assure chacun de vous de ma prière, en particulier les personnes âgées, les enfants et les malades et, alors que je vous remercie de votre visite appréciée, je vous bénis avec affection, ainsi que tous vos proches.


AUX PARTICIPANTS À LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE ORGANISÉ PAR LE CONSEIL PONTIFICAL POUR LA PASTORALE DE LA SANTÉ Salle Clémentine Vendredi 24 novembre 2006

Chers frères et soeurs,

Je suis heureux de vous rencontrer à l'occasion de la Conférence internationale organisée par le Conseil pontifical pour la Pastorale des Services de la Santé. J'adresse à chacun mon salut cordial, en premier lieu au Cardinal Javier Lozano Barragán, que je remercie de ses paroles courtoises. Le choix du thème - "Les aspects pastoraux du traitement des maladies infectieuses" - offre l'opportunité de réfléchir, de divers points de vue, sur les pathologies infectieuses qui accompagnent depuis toujours le chemin de l'humanité. Le nombre et la diversité des façons dont celles-ci menacent, souvent de façon mortelle, la vie humaine, même à notre époque, sont impressionnantes. Des termes tels que la lèpre, la peste, la tuberculose, le SIDA, l'ebola évoquent des images de douleur et de peur. Douleur pour les victimes et pour leurs proches, souvent écrasés par un sentiment d'impuissance face à la gravité inexorable du mal; peur pour la population en général et pour tous ceux qui, en raison de leur profession ou de choix volontaires, sont proches de ces malades.

La persistance des maladies infectieuses qui, en dépit des effets bénéfiques de la prévention établie sur la base du progrès de la science, de la technologie médicale et des politiques sociales, continuent à provoquer de nombreuses victimes, souligne les limites inévitables de la condition humaine. Toutefois, l'engagement humain ne doit jamais abandonner la recherche de moyens et de modalités d'interventions plus efficaces pour combattre ces maux et pour diminuer les difficultés de ceux qui en sont les victimes. Par le passé, des foules d'hommes et de femmes ont mis leurs compétences et leur générosité humaine à la disposition des malades souffrant de pathologies repoussantes. Dans le cadre de la communauté chrétienne, nombreuses "ont été les personnes consacrées qui ont fait le sacrifice de leur vie en se mettant au service des victimes de maladies contagieuses, et qui ont ainsi montré que le don de soi jusqu'à l'héroïsme fait partie du caractère prophétique de la vie consacrée" (Exhort. apost. post-synodale Vita consecrata VC 83). A ces initiatives louables et à ces gestes d'amour si généreux s'opposent toutefois de nombreuses injustices. Comment oublier les nombreuses personnes atteintes de maladies infectieuses contraintes de vivre isolées, et parfois stigmatisées de façon humiliante? Ces situations condamnables apparaissent avec une gravité encore plus grande en raison de la disparité des conditions sociales et économiques entre le Nord et le Sud du monde. Il est important d'y répondre à travers des interventions concrètes qui favorisent l'accompagnement du malade, rendent plus vivante l'évangélisation de la culture et proposent des objectifs pouvant motiver les programmes économiques et politiques des gouvernements.

En premier lieu, l'accompagnement du malade frappé par une maladie infectieuse: il s'agit d'un objectif auquel doit toujours tendre la communauté ecclésiale. L'exemple du Christ qui, rompant avec les prescriptions de son temps, non seulement se laissait approcher par les lépreux, mais leur redonnait la santé et leur dignité de personnes, a "contaminé" un grand nombre de ses disciples au cours des plus de deux mille ans d'histoire chrétienne. Le baiser au lépreux de François d'Assise a trouvé des émules non seulement chez des personnages héroïques comme le bienheureux Damien De Veuster, mort sur l'île de Molokai alors qu'il assistait les lépreux, ou comme la bienheureuse Mère Teresa de Calcutta, ou encore les religieuses italiennes tuées il y a quelques années par le virus ebola, mais encore chez les nombreux promoteurs d'initiatives en faveur des personnes atteintes de maladies infectieuses, en particulier dans les pays en voie de développement. Cette riche tradition de l'Eglise catholique doit être maintenue vivante afin que, à travers l'exercice de la charité envers ceux qui souffrent, soient visibles les valeurs inspirées par une humanité authentique et par l'Evangile: la dignité de la personne, la miséricorde, l'identification du Christ au malade. Toute intervention demeure insuffisante si elle ne rend pas perceptible l'amour pour l'homme, un amour qui se nourrit de la rencontre avec le Christ.

A l'accompagnement nécessaire du malade, il faut unir l'évangélisation du milieu culturel dans lequel nous vivons. Parmi les préjugés qui empêchent ou qui limitent une aide efficace aux victimes des maladies infectieuses figure une attitude d'indifférence et même d'exclusion et de rejet à leur égard, qui apparaît souvent dans les sociétés du bien-être. Cette attitude est favorisée également par l'image véhiculée à travers les médias d'hommes et de femmes préoccupés principalement par la beauté physique, par la santé et par la vitalité biologique. Il s'agit d'une tendance culturelle dangereuse qui conduit à se placer au centre, à se refermer sur son petit monde, à fuir l'engagement à servir celui qui est dans le besoin. Dans la Lettre apostolique Salvifici doloris, mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, souhaite au contraire que la souffrance aide "à libérer dans l'homme ses capacités d'aimer, très précisément ce don désintéressé du propre "moi" au profit d'autrui, de ceux qui souffrent". Et il ajoute: "Le monde de la souffrance humaine ne cesse d'appeler, pour ainsi dire, un monde autre: celui de l'amour humain; et cet amour désintéressé, qui s'éveille dans le coeur de l'homme et se manifeste dans ses actions, il le doit en un certain sens à la souffrance" (n. 29). Il faut alors une pastorale capable de soutenir les malades en vue d'affronter la souffrance, en les aidant à transformer leur condition en un moment de grâce pour eux et pour les autres, à travers une participation vivante au mystère du Christ.

Enfin, je voudrais répéter combien est importante la collaboration avec les diverses instances publiques, afin que soit réalisée la justice sociale dans un secteur délicat comme celui du traitement et de l'assistance aux personnes atteintes de maladies infectieuses. Je voudrais évoquer, par exemple, la distribution équitable des ressources pour la recherche et la thérapie, ainsi que la promotion de conditions de vie qui freinent l'apparition et la diffusion des maladies infectieuses. Dans ce domaine comme dans d'autres, l'Eglise a la tâche "médiate" de "contribuer à la purification de la raison et au réveil des forces morales, sans lesquelles des structures justes ne peuvent ni être construites, ni être opérationnelles à long terme". Tandis que "le devoir immédiat d'agir pour un ordre juste dans la société est au contraire le propre des fidèles laïcs [...] appelés à participer personnellement à la vie publique" (Enc. Deus caritas est ).

Merci, chers amis, pour votre engagement au service d'une cause dans laquelle trouve son accomplissement l'oeuvre curative et salvatrice de Jésus, divin Samaritain des âmes et des corps. En vous souhaitant une heureuse conclusion de vos travaux, je vous donne de tout coeur, ainsi qu'à vos proches, une Bénédiction apostolique particulière.


AUX PARTICIPANTS À LA RENCONTRE ORGANISÉE PAR LA FÉDÉRATION ITALIENNE DES HEBDOMADAIRES CATHOLIQUES Salle Clémentine Samedi 25 novembre 2006

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Chers frères et soeurs,

Je vous accueille avec joie et je vous suis reconnaissant de votre courtoise visite. J'adresse mon salut cordial à chacun, et en premier lieu à Mgr Giuseppe Betori, Secrétaire de la Conférence épiscopale italienne, et à dom Giorgio Zucchelli, Président de la Fédération italienne des Hebdomadaires catholiques, le remerciant également de s'être fait l'interprète des sentiments communs. Mon salut s'étend aux Directeurs des plus de 160 journaux diocésains et aux nombreux collaborateurs qui, de diverses manières, contribuent à la rédaction de chaque hebdomadaire. Je salue le Directeur et les journalistes de l'agence Sir, ainsi que le Directeur du quotidien Avvenire. Je vous suis particulièrement reconnaissant car, en conclusion de votre Congrès sur le thème "Catholiques en politique. Libres ou disparus?", vous avez voulu rendre visite au Successeur de l'Apôtre Pierre, renouvelant ainsi l'assurance de votre fidélité à l'Eglise, au service de laquelle vous consacrez chaque jour vos énergies humaines et professionnelles. A ce propos, je ressens également le devoir de vous remercier pour l'oeuvre de sensibilisation que vous accomplissez auprès des fidèles à l'égard des initiatives de bien du Successeur de Pierre pour les besoins de l'Eglise universelle.

La Fédération italienne des Hebdomadaires catholiques qui, comme vient de le rappeler votre Président, réunit les périodiques diocésains, célèbre ces jours-ci les quarante ans de sa naissance. C'est en effet le 27 novembre 1966 que vos prédécesseurs eurent l'idée de réunir ensemble les potentialités intellectuelles et créatives des divers organes d'information, qui accomplissaient déjà un service fructueux dans les diocèses italiens. L'initiative naquit du désir de donner un caractère plus visible et incisif à la présence et à l'action pastorale de l'Eglise, dont on souhaitait soutenir l'engagement, en particulier dans les moments de grande difficulté. En feuilletant vos hebdomadaires des quatre dernières décennies, il est possible de reparcourir la vie de l'Eglise et de la société en Italie: les événements qui l'ont marquée sont nombreux et les changements sociaux et religieux qui ont eu lieu sont importants. Ces événements et ces changements sont régulièrement enregistrés et commentés dans ces pages, avec une attention particulière pour la vie quotidienne des paroisses et des communautés diocésaines. Face à une action multiforme visant à déraciner les racines chrétiennes de la civilisation occidentale, la fonction particulière des instruments de communication sociale d'inspiration catholique est celle d'éduquer l'intelligence et de former l'opinion publique selon l'esprit de l'Evangile. Leur tâche est de servir la vérité avec courage, en aidant l'opinion publique à regarder, à lire et à vivre la réalité avec les yeux de Dieu. L'objectif du journal diocésain est d'offrir à tous un message de vérité et d'espérance, en soulignant les faits et les réalités dans les lieux où l'Evangile est vécu, où le bien et la vérité triomphent, où l'homme, de manière laborieuse et créative, construit et reconstruit le tissu humain des petites réalités communautaires.

Chers amis, l'évolution rapide des moyens de communication sociale et l'avènement des multiples technologies de pointe dans le domaine des médias n'ont pas rendu vaine votre fonction; au contraire, sous certains aspects, elle est devenue encore plus significative et importante, car elle donne une voix aux communautés locales qui ne peuvent pas trouver un écho approprié dans les grands organes d'information. Les pages de vos périodiques, en racontant et en alimentant la vitalité et l'élan apostolique de chaque communauté, constituent un précieux véhicule d'information et un moyen de pénétration évangélique. Votre large diffusion témoigne de l'importance de votre présence, également réaffirmée de façon opportune au cours du récent Congrès de l'Eglise italienne à Vérone. Vous pouvez également atteindre les lieux où l'on ne peut être présent à travers les instruments traditionnels de la pastorale.

Vos hebdomadaires sont ensuite définis à juste titre comme des "journaux populaires", car ils restent liés aux faits et à la vie des personnes du territoire et transmettent les traditions populaires et le riche patrimoine culturel et religieux de vos villages et de vos villes. En racontant les événements quotidiens, vous faites connaître cette réalité imprégnée de foi et de bonté qui ne fait pas de bruit, mais qui constitue le tissu authentique de la société italienne. Chers amis, continuez à faire de vos journaux un réseau de liaison facilitant les relations et la rencontre entre chaque citoyen et les institutions, entre les associations, les divers groupes sociaux, les paroisses et les mouvements ecclésiaux. Continuez à être les "journaux des personnes, parmi les personnes", des terrains de confrontation et de débat loyal entre les différentes opinions, favorisant ainsi un dialogue authentique, indispensable pour la croissance de la communauté civile et ecclésiale. Il s'agit d'un service que vous pouvez accomplir également dans le domaine social et politique. En effet, comme vous l'avez rappelé dans votre Congrès, si le pluralisme légitime des choix politiques n'a rien à voir avec une diaspora culturelle des catholiques, vos hebdomadaires peuvent représenter plusieurs "lieux" significatifs de rencontre et de discernement attentif pour les fidèles laïcs engagés dans le domaine social et politique, dans le but de dialoguer et de trouver des convergences et des objectifs d'action partagée au service de l'Evangile et du bien commun.

Chers amis, pour mener à bien votre tâche importante, il faut tout d'abord que vous cultiviez vous-mêmes une relation constante et profonde avec le Christ dans la prière, dans l'écoute de sa parole et dans une intense vie sacramentelle. Il est dans le même temps nécessaire que vous restiez des membres actifs et responsables de la communauté ecclésiale, en communion avec vos pasteurs. En tant que Directeurs, rédacteurs et administrateurs d'hebdomadaires catholiques, soyez-en convaincus, vous n'accomplissez pas un "travail quelconque", mais vous êtes les "coopérateurs" de la grande mission évangélisatrice de l'Eglise. Que les difficultés qui ne manquent pas, les obstacles qui peuvent parfois paraître insurmontables, ne vous découragent jamais. L'expérience du passé démontre que les gens ont besoin de sources d'information comme vos journaux. Je confie à la Vierge Marie votre Fédération et le large éventail des lecteurs des hebdomadaires diocésains. Que Marie vous aide dans le service quotidien que vous accomplissez avec diligence. Alors que j'évoque sur vous également l'intercession céleste de saint François de Sales, protecteur des journalistes, je vous bénis de tout coeur, ainsi que vos proches et vos communautés diocésaines.

Au début de l'audience, dom Giorgio Zucchelli, Président national de la Fédération italienne des hebdomadaires catholiques, a adressé un hommage au Saint-Père, dans lequel il a souligné que "depuis plus d'un siècle, de nombreux diocèses ont adopté les hebdomadaires d'information comme importants instruments d'évangélisation et de culture, lieux d'engagement pour de nombreux laïcs. Ils constituent un signe de la créativité de la communauté chrétienne, qui a souvent su anticiper la présence d'autres journaux sur le terrain".

"Cela a été-a-t-il poursuivi - la clairvoyance de certains de nos prédécesseurs, que je rappelle ici avec une grande d'affection, qui a permis de rassembler en communauté les directeurs des hebdomadaires diocésains italiens pour qu'ils établissent des relations d'amitié, qu'ils s'enrichissent mutuellement par l'étude et la confrontation des expériences, qu'ils améliorent toujours davantage leur service d'évangélisation grâce à l'information et qu'ils mettent en oeuvre des initiatives d'aide réciproque, également économique. En quarante ans, de nombreux pas ont été accomplis et nos journaux se sont considérablement améliorés sous tous les points de vue, même si nous ne cachons pas les difficultés à rester sur le marché dans l'horizon actuel de l'édition italienne, caractérisée par des regroupements qui mettent en difficultés la petite presse".

Après avoir rappelé le rapport de collaboration constant avec la Conférence épiscopale italienne "qui est très proche de nous et qui nous soutient", dom Zucchelli a remercié en particulier le Cardinal Camillo Ruini, Président de la Conférence épiscopale italienne, et S.Exc. Mgr Giuseppe Betori, Secrétaire général.



VOYAGE APOSTOLIQUE EN TURQUIE (28 NOVEMBRE - 1er DÉCEMBRE 2006)


RENCONTRE AVEC LES JOURNALISTES À BORD DE L'AVION, AVANT LE DÉPART POUR LA TURQUIE Aéroport de Rome-Fiumicino Mardi 28 novembre 2006

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Chers amis, journalistes, cameramen, je vous salue tous cordialement à bord de ce vol et je voudrais vous exprimer ma gratitude sincère pour le travail que vous accomplissez. Je sais qu'il s'agit d'un travail difficile, un travail qui s'exerce dans des situations souvent difficiles: donner des informations brèves sur des événements complexes et difficiles, faire une synthèse et rendre compréhensible l'essence de ce qui a eu lieu ou de ce qui a été dit. Tous les événements ne parviennent à l'humanité que grâce à votre médiation, et ainsi, vous accomplissez réellement un service de grande importance, pour lequel je vous suis reconnaissant. Nous savons que le but de ce voyage est le dialogue, la fraternité: un engagement pour la compréhension entre les cultures, pour la rencontre des cultures avec les religions, pour la réconciliation. Nous ressentons tous la même responsabilité en ce moment difficile de l'histoire et nous collaborons, et votre travail est d'une grande importance. C'est pourquoi je vous répète, une fois de plus, merci.

Ce voyage qui commence aujourd'hui se présente, en raison des tensions qui s'ajoutent à son caractère oecuménique, comme l'un des plus délicats de l'histoire des voyages pontificaux modernes. Dans quel esprit l'affrontez-vous?

Je l'affronte avec une grande confiance et espérance. Je sais que de nombreuses personnes nous accompagnent par leur sympathie, par leur prière. Je sais également que le peuple turc est un peuple accueillant, ouvert, qui désire la paix. Je sais que la Turquie est depuis toujours un pont entre les cultures et qu'elle est également un lieu de rencontre et de dialogue. Je voudrais souligner qu'il ne s'agit pas d'un voyage politique, mais d'un voyage pastoral et, précisément en tant que voyage pastoral, il a comme définition caractéristique le dialogue et l'engagement commun pour la paix. Un dialogue qui revêt diverses dimensions: dialogue entre les cultures, dialogue entre christianisme et islam, dialogue avec nos frères chrétiens, en particulier l'Eglise orthodoxe de Constantinople, et, généralement, dialogue pour une meilleure compréhension entre nous tous. Naturellement, nous ne devons pas exagérer, on ne peut pas s'attendre à de grands résultats en trois jours, je dirais qu'il s'agit plutôt d'une valeur symbolique, le fruit des rencontres en tant que telles, des rencontres dans l'amitié et le respect, le fait de se rencontrer comme serviteurs de paix a son importance. Il me semble que ce symbolisme de l'engagement pour la paix et la fraternité devrait être le résultat de ce voyage.

Votre Sainteté, vous arrivez dans un pays marqué par de nombreuses tensions, mais également de nombreuses espérances qui souhaite devenir une nation européenne. Pensez-vous que l'Europe puisse apporter une aide à la Turquie afin que l'on puisse parler de façon plus consciente d'intégration, de respect des diverses identités culturelles et également religieuses?

Sans doute est-il utile de rappeler que le Père de la Turquie moderne, Kemal Atatürk, avait devant lui comme modèle de reconstruction de la Turquie la Constitution française. A l'origine de la Turquie moderne figure le dialogue avec la raison européenne et avec sa pensée, sa façon de vivre, pour être réalisé de façon nouvelle dans un contexte historique et religieux différent. Le dialogue entre la raison européenne et la tradition musulmane turque est donc inscrit précisément dans l'existence de la Turquie moderne et, dans ce sens, nous avons une responsabilité réciproque les uns envers les autres. En Europe, nous assistons au débat entre laïcité "saine" et laïcisme. Et il me semble précisément que cela est également important pour le véritable dialogue avec la Turquie. Le laïcisme, c'est-à-dire une idée qui sépare totalement la vie publique de toute valeur des traditions, est une impasse, une voie sans issue. Nous devons redéfinir le sens d'une laïcité qui souligne et conserve la véritable différence et autonomie entre tous les domaines, mais également leur coexistence, la responsabilité commune. Ce n'est que dans le contexte de valeurs qui ont fondamentalement une origine commune, que la religion et la laïcité peuvent vivre, dans une relation féconde réciproque. Nous, Européens, devons repenser notre raison laïque, laïciste et la Turquie doit donc, à partir de son histoire, de ses origines, réfléchir avec nous sur la façon de reconstruire à l'avenir ce lien entre laïcité et tradition, entre raison ouverte, tolérante, qui a comme élément fondamental la liberté, et les valeurs qui confèrent son contenu à la liberté.

Au cours de ce voyage, la visite et la rencontre avec le Patriarche Bartholomaios occupent une place importante. Quelle signification cela a-t-il dans le programme d'engagements en vue du rapprochement avec les Eglises chrétiennes que vous avez affirmé dès le début de votre Pontificat?

Ce ne sont pas les chiffres ou la quantité qui comptent: c'est le poids symbolique, historique et spirituel qui compte. Et nous savons que Constantinople est comme la "deuxième Rome". Elle a toujours été le point de référence pour l'orthodoxie, elle nous a donné la grande culture byzantine orthodoxe, et demeure toujours un point de référence pour tout le monde orthodoxe et donc également pour toute la chrétienté. C'est donc également la valeur symbolique du Patriarcat de Constantinople qui est importante aujourd'hui. Même si le Patriarche ne possède pas de juridiction comme le Pape, il représente toutefois un phare pour le monde orthodoxe. C'est une rencontre avec le Patriarche, avec l'Eglise de l'Apôtre André, frère de saint Pierre. C'est une rencontre de grande qualité entre les deux Eglises soeurs de Rome et de Constantinople, et donc un moment très important dans la recherche de l'unité des chrétiens. Il existe d'autres communautés chrétiennes; avec chacune d'elles, même si elles sont petites, mais présentes, nous nous rencontrons, et naturellement également avec la petite communauté catholique. Disons qu'il s'agit d'un événement de communion, plutôt que de relations entre les domaines géographiques et culturels. Dans ce sens, je pense que le symbole n'est pas seulement quelque chose en soi, vide, mais quelque chose riche de réalité. Et ce symbolisme de Constantinople, cette fonction véritable et réelle du Patriarche de l'Orthodoxie, lui confère également une grande importance pour tout le chemin oecuménique.

Et à présent, je vous demande pardon, car nous ne pouvons pas faire une véritable Conférence de presse, nous n'avons pas assez de temps, j'espère au moins avoir dit quelque chose qui puisse être utile.




RENCONTRE AVEC LE PRÉSIDENT POUR LES AFFAIRES RELIGIEUSES Salle des Conférences au "Diyanet", Ankara Mardi 28 novembre 2006

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Excellence, Mesdames et Messieurs!

Je suis heureux d'avoir l'opportunité de visiter cette terre, si riche d'histoire et de culture, d'admirer ses beautés naturelles, de voir de mes yeux la créativité du peuple turc, et de goûter votre culture ancienne tout comme votre longue histoire, à la fois civile et religieuse.

Dès mon arrivée en Turquie, j'ai été reçu avec gentillesse par le Président de la République. Rencontrer également et saluer le Premier ministre, M. Erdogan, à l'aéroport a été pour moi un grand honneur. En les saluant, j'ai été heureux d'exprimer mon profond respect pour les habitants de cette grande nation et de rendre hommage, dans son Mausolée, au fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk.

J'ai à présent la joie de vous rencontrer, vous qui êtes le Président du Directoire pour les Affaires religieuses. Je vous exprime mes sentiments respectueux, en reconnaissance de vos grandes responsabilités, et j'étends mes salutations à tous les responsables religieux de Turquie, en particulier aux grands Muftis d'Ankara et d'Istanbul. A travers vous, Monsieur le Président, je salue tous les musulmans en Turquie avec une estime particulière et une considération affectueuse.

Votre pays est très cher aux chrétiens: un grand nombre des premières communautés de l'Eglise ont été fondées ici et y ont atteint leur maturité, inspirées par la prédication des Apôtres, en particulier de saint Paul et de saint Jean. La tradition qui est parvenue jusqu'à nous affirme que Marie, la Mère de Jésus, a vécu à Ephèse, dans la maison de l'Apôtre saint Jean.

Cette noble terre a également connu une remarquable floraison de la civilisation musulmane dans les domaines les plus divers, y compris l'art et la littérature, ainsi que dans ses institutions.

Un grand nombre de monuments chrétiens et musulmans portent le témoignage du glorieux passé de la Turquie. Vous en tirez à juste titre une grande fierté, en les préservant pour l'admiration d'un nombre toujours croissant de visiteurs qui accourent nombreux.

Je me suis préparé à cette visite en Turquie avec les mêmes sentiments que ceux exprimés par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII, lorsqu'il arriva ici en tant qu'Archevêque, Mgr Giuseppe Roncalli, pour assurer la charge de Représentant pontifical à Istanbul: "Je ressens de l'amitié pour le peuple turc, auprès duquel le Seigneur m'a envoyé... J'aime les Turcs, j'apprécie les qualités naturelles de ce peuple qui a également toute sa place dans la marche de la civilisation" (Journal de l'âme , pp.
PP 231 PP 237).

Pour ma part, je souhaite moi aussi souligner les qualités de la population turque. Ici, je fais miennes les paroles de mon prédécesseur immédiat, le Pape Jean-Paul II de vénérée mémoire, qui déclara à l'occasion de sa visite en 1979: "Je me demande s'il n'est pas urgent, précisément aujourd'hui où chrétiens et musulmans sont entrés dans une nouvelle période de l'histoire, de reconnaître et de développer les liens spirituels qui nous unissent, afin de protéger et de promouvoir ensemble, pour tous les hommes "la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté"" (Discours à la communauté catholique d'Ankara, 29 novembre 1979, n. 3).

Ces questions ont continué à se poser aux cours des années suivantes; en effet, ainsi que je l'ai indiqué au tout début de mon pontificat, elles nous poussent à faire progresser notre dialogue comme un échange sincère entre amis. Lorsque j'ai eu la joie de rencontrer des membres des communautés musulmanes l'année dernière à Cologne, à l'occasion de la Journée mondiale de la Jeunesse, j'ai réaffirmé le besoin d'aborder le dialogue interreligieux et interculturel avec optimisme et espérance. Il ne peut pas se réduire à un choix optionnel: au contraire, c'est "une nécessité vitale, dont dépend en grande partie notre avenir" (Discours aux représentants des communautés musulmanes, Cologne, 20 août 2005).

Chrétiens et musulmans, en suivant leurs religions respectives, insistent sur la vérité du caractère sacré et de la dignité de la personne. C'est la base de notre respect et de notre estime mutuels, c'est la base de notre collaboration au service de la paix entre les nations et les peuples, le souhait le plus cher de tous les croyants et de toutes les personnes de bonne volonté.

Pendant plus de quarante ans, l'enseignement du Concile Vatican II a inspiré et guidé l'approche du Saint-Siège et des Eglises locales du monde entier dans les relations avec les disciples des autres religions. En suivant la tradition biblique, le Concile enseigne que toute la race humaine partage une origine commune et un destin commun: Dieu, notre créateur et but de notre pèlerinage terrestre. Chrétiens et musulmans appartiennent à la famille de ceux qui croient dans le Dieu unique et qui, selon leurs traditions respectives, sont les descendants d'Abraham (cf. Concile Vatican II, Déclaration sur les Relations de l'Eglise avec les religions non-chrétiennes Nostra Aetate NAE 1,3). Cette unité humaine et spirituelle dans nos origines et notre destinée nous engage à chercher un itinéraire commun, tout en jouant notre rôle dans cette recherche de valeurs fondamentales qui est si caractéristique des personnes de notre époque. En tant qu'hommes et femmes de religion, nous sommes placés face au défi de l'aspiration, largement répandue, à la justice, au développement, à la solidarité, à la liberté, à la sécurité, à la paix, à la protection de l'environnement et des ressources de la terre. Parce que nous aussi, tout en respectant l'autonomie légitime des affaires temporelles, avons une contribution spécifique à offrir dans la recherche des solutions adaptées à ces questions pressantes.

En particulier, nous pouvons offrir une réponse crédible à la question qui se fait jour clairement dans la société d'aujourd'hui, même si elle est souvent mise de côté; c'est-à-dire la question portant sur le sens et le but de la vie, pour chaque individu et pour l'humanité tout entière. Nous sommes appelés à oeuvrer ensemble, afin d'aider la société à s'ouvrir au transcendant, en reconnaissant à Dieu tout-puissant la place qui lui revient. Le meilleur moyen d'aller de l'avant passe par le dialogue authentique entre chrétiens et musulmans, fondé sur la vérité et inspiré par le souhait sincère de mieux nous connaître les uns les autres, en respectant les différences et en reconnaissant ce que nous avons en commun. Cela conduira dans le même temps à un respect authentique pour les choix responsables que fait chaque personne, en particulier ceux qui concernent les valeurs fondamentales et les convictions religieuses personnelles.

Pour illustrer le respect fraternel avec lequel chrétiens et musulmans peuvent oeuvrer ensemble, je voudrais citer les paroles adressées par le Pape Grégoire VII en 1076 à un Prince musulman de l'Afrique du Nord, qui avait agi avec une grande bienveillance à l'égard des chrétiens placés sous sa juridiction. Le Pape Grégoire VII parla de la charité particulière que chrétiens et musulmans se doivent mutuellement "parce que nous croyons en un seul Dieu, quoique d'une manière différente, et parce que nous le louons et le vénérons chaque jour comme créateur des siècles et gouverneur de ce monde" (PL 148, 451).

La liberté de religion, garantie par les institutions et respectée de manière effective, tant pour les individus que pour les communautés, constitue pour tous les croyants la condition nécessaire de leur contribution loyale à l'édification de la société, dans une attitude de service authentique, en particulier à l'égard des plus vulnérables et des plus pauvres.

Monsieur le Président, je souhaiterais terminer en rendant grâce à Dieu tout-puissant et miséricordieux pour cette heureuse occasion qui nous permet de nous retrouver ensemble en son nom. Je prie pour que cela constitue le signe de notre engagement commun au dialogue entre chrétiens et musulmans, tout comme un encouragement à persévérer sur ce chemin, dans le respect et l'amitié. Je souhaite que nous puissions mieux nous connaître, en resserrant les liens d'affection entre nous, dans notre souhait commun de vivre ensemble dans l'harmonie, la paix et la confiance mutuelle. En tant que croyants, nous tirons de la prière la force nécessaire pour surmonter toute trace de préjugés et offrir un témoignage commun de notre solide foi en Dieu. Puisse sa Bénédiction être toujours sur nous! Merci!




Discours 2005-2013 307