Discours 2005-2013 28146

RENCONTRE AVEC LE CORPS DIPLOMATIQUE AUPRÈS DE LA RÉPUBLIQUE DE TURQUIE Nonciature apostolique d'Ankara Mardi 28 novembre 2006

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Excellences,
Mesdames et Messieurs,

J’ai préparé mon discours en français, car c’est la langue de la diplomatie, espérant qu’il pourra être compris.

Je vous salue avec une grande joie, vous qui, en tant qu’Ambassadeurs, exercez la noble charge de représenter vos pays auprès de la République de Turquie et qui avez bien voulu rencontrer le Successeur de Pierre dans cette Nonciature, et je remercie votre Vice-Doyen, Monsieur l’Ambassadeur du Liban, pour les aimables paroles qu’il vient de m’adresser. Je suis heureux de vous redire l’estime que le Saint-Siège a maintes fois exprimé pour votre haute fonction qui assume aujourd’hui une dimension toujours plus «globale». En effet si votre mission vous conduit, avant tout, à protéger et à promouvoir les intérêts légitimes de chacune de vos nations, «l’inéluctable interdépendance qui aujourd’hui relie toujours davantage tous les peuples du monde invite tous les diplomates à être, dans un esprit toujours neuf et original, les artisans de l’entente entre les peuples, de la sécurité internationale et de la paix entre les nations» (Jean-Paul II, Discours au Corps diplomatique, Mexico, 26 janvier 1979).

Je tiens d’abord à évoquer devant vous le souvenir des visites mémorables de mes deux prédécesseurs en Turquie, le Pape Paul VI, en 1967, et le Pape Jean-Paul II, en 1979. Comment ne pas faire mémoire également du Pape Benoît XV, artisan infatigable de la paix au cours du premier conflit mondial, et du Bienheureux Jean XXIII, le Pape «ami des Turcs», qui fut Délégué apostolique en Turquie et Administrateur apostolique du Vicariat latin d’Istanbul, laissant à tous le souvenir d’un pasteur attentif et plein de charité, spécialement désireux de rencontrer et de connaître la population turque dont il était l’hôte reconnaissant ! Je suis heureux d’être aujourd’hui l’hôte de la Turquie, venu ici en ami et en apôtre du dialogue et de la paix.

Il y a plus de quarante ans, le Concile Vatican II écrivait que «la paix n’est pas une pure absence de guerre et qu’elle ne se borne pas seulement à assurer l’équilibre de forces adverses», mais qu’elle «est le fruit d’un ordre inscrit dans la société humaine par son divin Fondateur, et qui doit être réalisé par des hommes qui ne cessent d’accéder à une justice plus parfaite» (Gaudium et spes
GS 78). Nous avons en effet appris que la véritable paix a besoin de la justice, pour corriger les déséquilibres économiques et les désordres politiques qui sont toujours des facteurs de tensions et de menaces dans toute société. Le développement récent du terrorisme et l’évolution de certains conflits régionaux ont par ailleurs mis en évidence la nécessité de respecter les décisions des Institutions internationales et aussi de les soutenir, en leur donnant notamment des moyens efficaces pour prévenir les conflits et pour maintenir, grâce à des forces d’interposition, des zones de neutralité entre les belligérants. Tout cela reste pourtant inefficace si ce n’est pas le fruit d’un vrai dialogue, c’est-à-dire d’une sincère rencontre entre les exigences des parties concernées, afin de parvenir à des solutions politiques acceptables et durables, respectueuses des personnes et des peuples. Je pense tout particulièrement au conflit du Moyen-Orient, qui perdure de manière inquiétante en pesant sur toute la vie internationale, au risque de voir se généraliser des conflits périphériques et se diffuser les actions terroristes; je salue les efforts des nombreux pays, dont la Turquie, qui se sont engagés aujourd’hui dans la restauration de la paix au Liban, plus nécessaire que jamais. J’en appelle une fois de plus, devant vous, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, à la vigilance de la communauté internationale, pour qu’elle ne se dérobe pas à ses responsabilités et qu’elle déploie tous les efforts nécessaires pour promouvoir, entre toutes les parties en cause, le dialogue qui seul permet d’assurer le respect d’autrui, tout en sauvegardant les intérêts légitimes et en refusant le recours à la violence. Comme je l’ai écrit dans mon premier Message pour la Journée mondiale de la Paix, «la vérité de la paix appelle tous les hommes à entretenir des relations fécondes et sincères; elle les encourage à rechercher et à parcourir les voies du pardon et de la réconciliation, à être transparents dans les discussions et fidèles à la parole donnée» (1er janvier 2006, n. 6).

La Turquie a depuis toujours une situation de pont entre l’Orient et l’Occident, entre le continent asiatique et le continent européen, et de carrefour de cultures et de religions. Au siècle dernier, elle s’est donné les moyens de devenir un grand pays moderne, en faisant notamment le choix d’un État laïque, distinguant clairement la société civile et la religion, afin de permettre à chacune d’être autonome dans son domaine propre, tout en respectant la sphère de l’autre. Le fait que la majorité de la population de ce pays soit musulmane constitue une réalité marquante de la vie sociale dont l’État ne peut que tenir compte, mais la constitution turque reconnaît à tout citoyen les droits à la liberté de culte et à la liberté de conscience. C’est le devoir des Autorités civiles dans tout pays démocratique de garantir la liberté effective de tous les croyants et de leur permettre d’organiser librement la vie de leur communauté religieuse. Je souhaite bien sûr que les croyants, à quelque communauté religieuse qu’ils appartiennent, puissent toujours bénéficier de ces droits, certain que la liberté religieuse est une expression fondamentale de la liberté humaine et que la présence active des religions dans la société est un facteur de progrès et d’enrichissement pour tous. Cela implique bien sûr que les religions elles-mêmes ne recherchent pas à exercer directement un pouvoir politique, car elles n’ont pas vocation à cela, et, en particulier, qu’elles renoncent absolument à cautionner le recours à la violence comme expression légitime de la démarche religieuse. Je salue à cet égard la communauté catholique de Turquie, peu nombreuse mais très attachée à participer de son mieux au développement du pays, notamment par l’éducation de la jeunesse, ainsi qu’à la construction de la paix et à la concorde entre tous les citoyens.

Comme je l’ai rappelé récemment, «nous avons impérativement besoin d’un dialogue authentique entre les religions et entre les cultures, capable de nous aider à surmonter ensemble toutes les tensions, dans un esprit de collaboration fructueuse» (Discours lors de la rencontre avec les ambassadeurs des pays musulmans, Castel Gandolfo, 25 septembre 2006). Ce dialogue doit permettre aux diverses religions de mieux se connaître et de se respecter mutuellement, afin d’oeuvrer toujours plus au service des aspirations les plus nobles de l’homme, en quête de Dieu et du bonheur. Je souhaite, pour ma part, redire à l’occasion de ce voyage en Turquie toute mon estime pour les croyants musulmans, les invitant à s’engager ensemble, grâce au respect mutuel, en faveur de la dignité de tout être humain et pour la croissance d’une société où liberté personnelle et attention à autrui permettent à chacun de vivre dans la paix et la sérénité. C’est ainsi que les religions pourront participer à relever les nombreux défis auxquels les sociétés sont actuellement confrontées. Assurément, la reconnaissance du rôle positif que rendent les religions au sein du corps social peut et doit inciter nos sociétés à approfondir toujours davantage leur connaissance de l’homme et à respecter toujours mieux sa dignité, en le plaçant au centre de l’action politique, économique, culturelle et sociale. Notre monde doit réaliser de plus en plus que tous les hommes sont profondément solidaires et les inviter à mettre en valeur leurs différences historiques et culturelles non pour s’affronter mais pour se respecter mutuellement.

L’Église, vous le savez, a reçu de son Fondateur une mission spirituelle et elle n’entend donc pas intervenir directement dans la vie politique ou économique. Cependant, au titre de sa mission et forte de sa longue expérience de l’histoire des sociétés et des cultures, elle souhaite faire entendre sa voix dans le concert des nations, afin que soit toujours honorée la dignité fondamentale de l’homme, et spécialement des plus faibles. Devant le développement récent du phénomène de la mondialisation des échanges, le Saint-Siège attend de la communauté internationale qu’elle s’organise davantage, afin de se donner des règles permettant de mieux maîtriser les évolutions économiques, de réguler les marchés, voire de susciter des ententes régionales entre les pays. Je ne doute pas, Mesdames et Messieurs, que vous ayez à coeur, dans votre mission de diplomates, de faire se rencontrer les intérêts particuliers de votre pays et les nécessités de s’entendre les uns avec les autres, et que vous puissiez ainsi contribuer grandement au service de tous.

La voix de l’Église sur la scène diplomatique se caractérise toujours par la volonté, inscrite dans l’Évangile, de servir la cause de l’homme, et je manquerais à cette obligation fondamentale si je ne rappelais pas devant vous la nécessité de mettre toujours davantage la dignité humaine au coeur de nos préoccupations. Le développement extraordinaire des sciences et des techniques que connaît le monde d’aujourd’hui, avec ses conséquences quasi immédiates sur la médecine, sur l’agriculture et la production des ressources alimentaires, mais également sur la communication des savoirs, ne doit pas se poursuivre sans finalité ni sans référence, alors qu’il est question de la naissance de l’homme, de son éducation, de sa manière de vivre et de travailler, de sa vieillesse et de sa mort. Il est plus que nécessaire de réinscrire le progrès d’aujourd’hui dans la continuité de notre histoire humaine et donc de le conduire, selon le projet qui nous habite tous de faire grandir l’humanité et que le livre de la Genèse exprimait déjà à sa manière : «Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la» (1, 28). Permettez-moi enfin, en pensant aux premières communautés chrétiennes qui ont grandi sur cette terre et tout particulièrement à l’apôtre Paul, qui en a fondé lui-même plusieurs, de citer son propos aux Galates : «Or vous, frères, vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour vivre de manière égoïste ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres» (5, 13). La liberté est un service les uns des autres. Je forme le voeu que l’entente entre les nations, que vous servez les uns et les autres, contribue toujours davantage à faire grandir l’humanité de l’homme, créé à l’image de Dieu. Un si noble objectif requiert le concours de tous. C’est pourquoi l’Église catholique entend renforcer la collaboration avec l’Église orthodoxe et je souhaite vivement que ma prochaine rencontre avec le Patriarche Bartholomaios Ier au Phanar y contribue largement. Comme le soulignait le Concile oecuménique Vatican II, l’Église cherche également à collaborer avec les croyants et les responsables de toutes les religions, et particulièrement avec les musulmans, pour «protéger et promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les biens de la morale, la paix et la liberté» (Nostra Aetate NAE 3). J’espère que mon voyage en Turquie portera de nombreux fruits dans cette perspective.

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, sur vos personnes, sur vos familles et sur tous vos collaborateurs, j’invoque de grand coeur les Bénédictions du Très-Haut.




RENCONTRE AVEC SA SAINTETÉ BARTHOLOMAIOS I PATRIARCHE OECUMÉNIQUE DE CONSTANTINOPLE Eglise patriarcale Saint-Georges, Istanbul Mercredi 29 novembre 2006

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"Oui, il est bon et doux pour des frères de vivre ensemble et d'être unis!" (
Ps 133,1).



Votre Sainteté,

Je suis profondément reconnaissant de l'accueil fraternel que vous m'avez personnellement offert, ainsi que le Saint Synode du Patriarcat oecuménique, et j'en conserverai pour toujours le souvenir dans mon coeur avec reconnaissance. Je rends grâce à Dieu pour le don de cette rencontre, si riche de bonne volonté authentique et de signification ecclésiale.

J'éprouve une grande joie de me trouver parmi vous, frères dans le Christ, en cette Eglise cathédrale, alors que nous prions ensemble le Seigneur et que nous rappelons les événements importants qui ont soutenu notre engagement pour travailler à la pleine unité entre catholiques et orthodoxes. Je désire tout d'abord rappeler la décision courageuse d'effacer le souvenir des anathèmes de 1054. Le déclaration commune du Pape Paul VI et du Patriarche Athénagoras, rédigée dans l'esprit d'un amour redécouvert, fut lue de manière solennelle lors d'une cérémonie qui s'est déroulée simultanément dans la basilique Saint-Pierre, à Rome, et dans cette cathédrale patriarcale. Le Tomos du Patriarche était fondé sur la profession de foi johannique: "Ho Theós agapé estín" (1Jn 4,9). Deus caritas est! Dans une harmonie parfaite, le Pape Paul VI choisit de commencer sa propre lettre par l'exhortation paulinienne: "Ambulate in dilectione" (Ep 5,2). "Suivez la voie de l'amour". C'est sur ce fondement d'amour réciproque que de nouvelles relations entre les Eglises de Rome et de Constantinople se sont développées.

Les signes de cet amour ont été soulignés dans de nombreuses déclarations d'engagement partagé et de nombreux gestes riches de signification. Paul VI et Jean-Paul II ont tous les deux été reçus de manière chaleureuse, lors de leur visite dans cette église Saint-Georges, et ils se sont respectivement associés aux Patriarches Athénagoras I et Dimitrios I pour renforcer l'élan vers la compréhension réciproque et la recherche de la pleine unité. Que leurs noms soient honorés et bénis!

En outre, je me réjouis de me trouver sur cette terre si étroitement liée à la foi chrétienne, où de nombreuses Eglises fleurirent au cours des temps antiques. Je pense aux exhortations de saint Pierre aux communautés chrétiennes primitives "dans les provinces du Pont, de Galatie, de Cappadoce, d'Asie et de Bithynie" (1P 1,1), et à la riche moisson de martyrs, de théologiens, de pasteurs, de moines et de saints hommes et femmes que ces Eglises ont engendrée à travers les siècles.

De même, je rappelle les éminents saints et pasteurs qui ont veillé sur le Siège de Constantinople, parmi lesquels saint Grégoire de Nazianze et saint Jean Chrysostome, que l'Occident vénère aussi comme Docteurs de l'Eglise. Leurs reliques reposent dans la Basilique Saint-Pierre au Vatican, et une partie de celles-ci furent données à Votre Sainteté, en signe de communion, par le défunt Pape Jean-Paul II, afin qu'elles fussent vénérées dans cette cathédrale. En vérité, ces saints sont de dignes intercesseurs pour nous auprès du Seigneur.

Dans cette partie du monde oriental se sont déroulés les sept Conciles oecuméniques, que les orthodoxes et les catholiques reconnaissent comme faisant autorité pour la foi et la discipline de l'Eglise. Ils constituent des pierres milliaires permanentes et des guides le long du chemin vers la pleine unité.

Je conclus en exprimant encore une fois ma joie de me trouver parmi vous. Que cette rencontre renforce notre affection mutuelle et renouvelle notre engagement commun à persévérer sur l'itinéraire qui conduit à la réconciliatin et à la paix des Eglises.

Je vous salue dans l'amour du Christ. Que le Seigneur soit toujours avec vous.




DIVINE LITURGIE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME EN LA FÊTE DE SAINT ANDRÉ Eglise patriarcale Saint-Georges, Istanbul Jeudi 30 novembre 2006

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Cette Divine Liturgie célébrée en la Fête de saint André Apôtre, saint Patron de l'Eglise de Constantinople, nous ramène à l'Eglise primitive, à l'époque des Apôtres. Les Evangiles de Marc et Matthieu rapportent que Jésus appela les deux frères, Simon, que Jésus appelle Képhas ou Pierre, et André: "Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheur d'homme" (
Mt 4,19 Mc 1,17). Le quatrième Evangile présente également André comme le premier à être appelé, "ho protoklitos", ainsi qu'il est connu dans la tradition byzantine. C'est André qui amène ensuite son frère Simon à Jésus (cf. Jn 1, 40sq).

Aujourd'hui, dans cette église patriarcale Saint-Georges, nous pouvons faire l'expérience une nouvelle fois de la communion et de l'appel des deux frères, Simon Pierre et André, à travers la rencontre entre le Successeur de Pierre et son Frère dans le ministère épiscopal, le chef de cette Eglise, fondée selon la tradition par l'Apôtre André. Notre rencontre fraternelle souligne la relation particulière qui unit les Eglises de Rome et de Constantinople comme Eglises Soeurs.

Avec une grande joie, je rends grâce à Dieu de donner une nouvelle vitalité aux relations qu'il a développées depuis la mémorable rencontre à Jérusalem en décembre 1964 entre nos prédécesseurs, le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras. Leur échange de lettres, publié dans un ouvrage intitulé Tomos Agapis, témoigne de la profondeur des liens qui ont grandi entre eux, des liens qui se reflètent dans les relations entre les Eglise Soeurs de Rome et de Constantinople.

Le 7 décembre 1965, à la veille de la session finale du Concile Vatican II, nos vénérés prédécesseurs accomplirent un pas unique et inoubliable respectivement dans l'Eglise patriarcale Saint-Georges et dans la Basilique Saint-Pierre au Vatican: ils effacèrent de la mémoire de l'Eglise les tragiques excommunications de 1054. De cette manière, ils confirmèrent un changement décisif dans nos relations. Depuis lors, de nombreux autres pas importants ont été accomplis sur le chemin d'un rapprochement mutuel. Je rappelle en particulier la visite de mon prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, à Constantinople en 1979, et les visites à Rome du Patriarche oecuménique Bartholomaios I.

Dans le même esprit, ma présence ici aujourd'hui vise à renouveler notre engagement commun à avancer sur la voie menant au rétablissement - avec la grâce de Dieu - de la pleine communion entre l'Eglise de Rome et l'Eglise de Constantinople. Je peux vous assurer que l'Eglise catholique souhaite faire tout son possible pour surmonter les obstacles et pour rechercher, avec nos frères et soeurs orthodoxes, des moyens toujours plus efficaces de co-opération pastorale à cette fin.

Les deux frères, Simon, appelé Pierre, et André, étaient des pêcheurs que Jésus appela à devenir des pêcheurs d'homme. Le Seigneur ressuscité, avant son Ascension, les envoya tous deux aux côtés des autres Apôtres avec la mission de faire de toutes les nations des disciples, en les baptisant et en proclamant ses enseignements (cf. Mt 28, 19sq; Lc 24,47 At Lc 1,8).

Cette tâche qui nous a été confiée par les saints frères Pierre et André est loin d'être achevée. Au contraire, elle est encore plus urgente et nécessaire aujourd'hui. Car elle ne concerne pas seulement les cultures qui n'ont été touchées que marginalement par le message de l'Evangile, mais également les cultures européennes depuis longtemps profondément enracinées dans la tradition chrétienne. Le processus de sécularisation a affaibli la valeur de cette tradition; celle-ci, en effet, a été remise en question, et parfois rejetée. Face à cette réalité, nous sommes appelés, avec toutes les autres communautés chrétiennes, à renouveler la conscience de l'Europe quant à ses racines, ses traditions et ses valeurs chrétiennes, en leur redonnant une nouvelle vitalité.

Nos efforts en vue d'établir des liens plus étroits entre l'Eglise catholique et les Eglises orthodoxes font partie de la tâche missionnaire. Les divisions qui existent entre les chrétiens sont un scandale pour le monde et un obstacle à la proclamation de l'Evangile. La veille de sa Passion et de sa mort, le Seigneur, entouré par ses disciples, pria avec ferveur pour que tous soient un, pour que le monde croie (cf. Jn 17,21). Ce n'est qu'à travers la communion fraternelle entre les chrétiens et à travers leur amour mutuel que le message de l'amour de Dieu pour tous les hommes et les femmes deviendra crédible. Toute personne qui pose un regard réaliste sur le monde chrétien aujourd'hui constatera l'urgence d'un tel témoignage.

Simon Pierre et André furent appelés ensemble à devenir des pêcheurs d'hommes. Mais cette même mission prit une forme différente chez chacun des deux frères. Simon, malgré sa fragilité humaine, fut appelé "Pierre", le "roc" sur lequel l'Eglise fut construite: c'est à lui en particulier que furent confiées les clés du Royaume des Cieux (cf. Mt 16,18). Son itinéraire allait le conduire de Jérusalem à Antioche, et d'Antioche à Rome, afin que dans cette ville il pût exercer une responsabilité universelle. La question du service universel de Pierre et de ses Successeurs a malheureusement été à l'origine de nos différences d'opinion, que nous espérons surmonter, grâce également au dialogue théologique, qui a été renoué récemment.

Mon vénérable prédécesseur, le Serviteur de Dieu, le Pape Jean-Paul II, parla de la miséricorde qui caractérise le service à l'unité de Pierre, une miséricorde dont Pierre lui-même a été le premier à faire l'expérience (Encyclique Ut unum sint UUS 91). C'est sur cette base que le Pape Jean-Paul II lança une invitation à nouer un dialogue fraternel dans le but d'identifier les moyens dont le ministère pétrinien pourrait être exercé aujourd'hui, tout en respectant sa nature et son essence, afin de "réaliser un service d'amour reconnu par les uns et par les autres" (ibid., n. 95). Je souhaite aujourd'hui rappeler et renouveler cette invitation.

André, le frère de Simon Pierre, reçut une autre mission du Seigneur, une mission suggérée par son propre nom. Comme il parlait le grec, il devint - avec Philippe - l'Apôtre de la rencontre avec les Grecs qui venaient à Jésus (cf. Jn 12, 20sq). La tradition nous dit qu'il était missionnaire non seulement en Asie mineure et dans les territoires au sud de la Mer Noire, c'est-à-dire ici dans cette région, mais aussi en Grèce, où il a subi le martyre.

L'Apôtre André représente par conséquent la rencontre entre le christianisme des origines et la culture grecque. Cette rencontre, notamment en Asie mineure, devint possible en particulier grâce aux grands Pères de la Cappadoce, qui enrichirent la liturgie, la théologie et la spiritualité des Eglises de l'Orient ainsi que de l'Occident. Le message chrétien, comme le grain de blé (cf. Jn 12,24), tomba sur cette terre et porta beaucoup de fruit. Nous devons être profondément reconnaissants pour l'héritage qui naquit de cette rencontre féconde entre le message chrétien et la culture hellénique. Il a eu une influence durable sur les Eglises d'Orient et d'Occident. Les Pères grecs nous ont laissé un précieux trésor dont les Eglises continuent de tirer des richesses anciennes et nouvelles (cf. Mt 13,52).

La leçon du grain de blé qui meurt afin de pouvoir porter du fruit trouve un parallèle dans la vie de saint André. La tradition nous dit qu'il suivit le destin de son Seigneur et Maître, en finissant ses jours à Patras, en Grèce. Comme Pierre, il subit le martyre sur une croix, la croix diagonale que nous vénérons aujourd'hui comme la croix de Saint-André. De son exemple, nous apprenons que le chemin de chaque chrétien pris individuellement, tout comme de l'Eglise dans son ensemble, conduit à une vie nouvelle, à la vie éternelle, à travers l'imitation du Christ et l'expérience de la croix.

Au cours de son histoire, l'Eglise de Rome et l'Eglise de Constantinople ont souvent fait l'expérience de la leçon du grain de blé. Ensemble, nous vénérons un grand nombre de martyrs dont le sang, selon les célébres paroles de Tertullien, devint la semence de nouveaux chrétiens (Apologeticum, 50, 13). Avec eux, nous partageons la même espérance qui pousse l'Eglise à "avancer dans son pèlerinage à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu" (Lumen gentium LG 8 cf. saint Augustin, De Civitate Dei, XVIII, LG 51,2). Pour sa part, le siècle qui vient de s'achever a connu lui aussi de courageux témoins de la foi que ce soit en Orient ou en Occident. Aujourd'hui aussi, il y a de nombreux témoins dans différentes parties du monde. Nous les rappelons dans notre prière et, de toutes les manières possibles, nous leur offrons notre soutien, tout en demandant aux responsables du monde de respecter la liberté religieuse comme un droit de l'homme fondamental.

La Divine Liturgie à laquelle nous avons participé a été célébrée selon le rite de saint Jean Chrysostome. La croix et la résurrection de Jésus Christ ont été mystiquement présents. Pour nous, chrétiens, cela est une source et un signe d'espérance constamment renouvelée. Nous trouvons cette espérance magnifiquement exprimée dans un texte ancien connu comme la Passion de saint André: "Je te salue, O croix, consacrée par le Corps du Christ et parée de ses membres comme par de précieuses perles... Puissent les fidèles connaître ta joie, et les dons qui sont conservés en toi...".

Cette foi dans la mort rédemptrice de Jésus sur la croix, et cette espérance que le Christ ressuscité offre à toute la famille humaine, sont partagées par nous tous, orthodoxes et catholiques. Puisse notre prière et notre action quotidiennes être inspirées par un fervent désir non seulement d'être présents à la Divine Liturgie, mais d'être en mesure de la célébrer ensemble, de prendre part à l'unique table du Seigneur, en partageant le même pain et le même calice. Puisse notre rencontre d'aujourd'hui servir d'encouragement et de joyeuse anticipation du don de la pleine communion. Et puisse l'Esprit de Dieu nous accompagner sur notre chemin!




DÉCLARATION COMMUNE ENTRE LE PAPE BENOÎT XVI ET LE PATRIARCHE BARTHOLOMAIOS I

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"Voici le jour que le Seigneur a fait, qu'il soit notre bonheur et notre joie" (
Ps 117,24)!

La rencontre fraternelle que nous avons eue, nous, Benoît XVI, Pape de Rome, et Bartholomaios I, Patriarche oecuménique, est l'oeuvre de Dieu et en quelque sorte un don venant de Lui. Nous rendons grâce à l'Auteur de tout bien, qui nous permet encore une fois, dans la prière et l'échange, d'exprimer notre joie de nous sentir frères et de renouveler notre engagement en vue de la pleine communion. Cet engagement nous vient de la volonté de notre Seigneur et de notre responsabilité de Pasteurs dans l'Eglise du Christ. Puisse notre rencontre être un signe et un encouragement pour nous à partager les mêmes sentiments et les mêmes attitudes de fraternité, de collaboration et de communion dans la charité et dans la vérité. L'Esprit Saint nous aidera à préparer le grand jour du rétablissement de la pleine unité, quand et comme Dieu le voudra. Nous pourrons alors nous réjouir et exulter vraiment.

1. Nous avons évoqué avec gratitude les rencontres de nos vénérés prédécesseurs, bénis par le Seigneur, qui ont montré au monde l'urgence de l'unité et qui ont tracé des sentiers sûrs pour y parvenir, dans le dialogue, la prière et la vie ecclésiale quotidienne. Le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras I, pèlerins à Jérusalem sur le lieu même où Jésus Christ est mort et ressuscité pour le salut du monde, se sont ensuite rencontrés de nouveau, ici au Phanar et à Rome. Ils nous ont laissé une déclaration commune qui garde toute sa valeur, soulignant que le vrai dialogue de la charité doit soutenir et inspirer tous les rapports entre les personnes et entre les Eglises elles-mêmes, "doit être enraciné dans une fidélité totale à l'unique Seigneur Jésus Christ et dans un respect mutuel de leurs propres traditions" (Tomos Agapis, 195). Nous n'avons pas non plus oublié l'échange de visites entre Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II et Sa Sainteté Dimitrios I. C'est précisément durant la visite du Pape Jean-Paul II, sa première visite oecuménique, que fut annoncée la création de la Commission mixte pour le dialogue théologique entre l'Eglise Catholique romaine et l'Eglise Orthodoxe. Celle-ci a réuni nos Eglises dans le but déclaré de rétablir la pleine communion.

En ce qui concerne les relations entre l'Eglise de Rome et l'Eglise de Constantinople, nous ne pouvons oublier l'acte ecclésial solennel reléguant dans l'oubli les anciens anathèmes qui, durant des siècles, ont affecté de manière négative les rapports entre nos Eglises. Nous n'avons pas encore tiré de cet acte toutes les conséquences positives qui peuvent en découler pour notre marche vers la pleine unité, à laquelle la Commission mixte est appelée à apporter une contribution importante. Nous exhortons nos fidèles à prendre une part active dans cette démarche, par la prière et par des gestes significatifs.

2. Lors de la session plénière de la Commission mixte pour le dialogue théologique qui s'est tenue récemment à Belgrade et qui a généreusement été accueillie par l'Eglise orthodoxe serbe, nous avons exprimé notre joie profonde pour la reprise du dialogue théologique. Après une interruption de quelques années, due à diverses difficultés, la Commission a pu travailler à nouveau, dans un esprit d'amitié et de collaboration. En traitant le thème "Conciliarité et autorité dans l'Eglise" au niveau local, régional et universel, elle a entrepris une phase d'étude sur les conséquences ecclésiologiques et canoniques de la nature sacramentelle de l'Eglise. Cela permettra d'aborder quelques-unes des principales questions encore controversées. Nous sommes décidés à soutenir sans cesse, comme par le passé, le travail confié à cette Commission et nous accompagnons ses membres de nos prières.

3. Comme Pasteurs, nous avons tout d'abord réfléchi à la mission d'annoncer l'Evangile dans le monde d'aujourd'hui. Cette mission, "Allez donc, de toutes les nations faites des disciples" (Mt 28,19), est aujourd'hui plus que jamais actuelle et nécessaire, même dans les pays traditionnellement chrétiens. De plus, nous ne pouvons pas ignorer la montée de la sécularisation, du relativisme, voire du nihilisme, surtout dans le monde occidental. Tout cela exige une annonce renouvelée et puissante de l'Evangile, adaptée aux cultures de notre temps. Nos traditions représentent pour nous un patrimoine qui doit être partagé, proposé et actualisé continuellement. C'est pourquoi nous devons renforcer les collaborations et notre témoignage commun devant toutes les nations.

4. Nous avons évalué positivement le chemin vers la formation de l'Union européenne. Les acteurs de cette grande initiative ne manqueront pas de prendre en considération tous les aspects qui touchent à la personne humaine et à ses droits inaliénables, surtout la liberté religieuse, témoin et garante du respect de toute autre liberté. Dans chaque initiative d'unification, les minorités doivent être protégées, avec leurs traditions culturelles et leurs spécificités religieuses. En Europe, tout en demeurant ouverts aux autres religions et à leur contribution à la culture, nous devons unir nos efforts pour préserver les racines, les traditions et les valeurs chrétiennes, pour assurer le respect de l'histoire, ainsi que pour contribuer à la culture de la future Europe, à la qualité des relations humaines à tous les niveaux. Dans ce contexte, comment ne pas évoquer les très anciens témoins et l'illustre patrimoine chrétiens de la terre où a lieu notre rencontre, en commençant par ce que nous dit le livre des Actes des Apôtres, évoquant la figure de saint Paul, Apôtre des nations. Sur cette terre, le message de l'Evangile et l'ancienne tradition culturelle se sont rejoints. Ce lien, qui a tant contribué à l'héritage chrétien qui nous est commun, demeure actuel et portera encore des fruits dans l'avenir, pour l'évangélisation et pour notre unité.

5. Notre regard s'est porté sur les lieux du monde d'aujourd'hui où vivent les chrétiens et sur les difficultés auxquelles ils doivent faire face, en particulier la pauvreté, les guerres et le terrorisme, mais également les diverses formes d'exploitation des pauvres, des émigrés, des femmes et des enfants. Nous sommes appelés à entreprendre ensemble une action en faveur du respect des droits de l'homme, de tout être humain, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, du développement économique, social et culturel. Nos traditions théologiques et éthiques peuvent offrir une base solide de prédication et d'action communes. Nous voulons avant tout affirmer que tuer des innocents au nom de Dieu est une offense envers Lui et envers la dignité humaine. Nous devons tous nous engager pour un service renouvelé de l'homme et pour la défense de la vie humaine, de toute vie humaine.

Nous avons profondément à coeur la paix au Moyen-Orient, où notre Seigneur a vécu, a souffert, est mort et est ressuscité, et où vivent, depuis tant de siècles, une multitude de frères chrétiens. Nous désirons ardemment que soit rétablie la paix sur cette terre, que se renforce la coexistence cordiale entre ses diverses populations, entre les Eglises et entre les différentes religions qui s'y trouvent. Pour cela, nous encourageons l'établissement de rapports plus étroits entre les chrétiens et d'un dialogue interreligieux authentique et loyal, en vue de lutter contre toute forme de violence et de discrimination.

6. Actuellement, devant les grands dangers concernant l'environnement naturel, nous voulons exprimer notre souci face aux conséquences négatives pour l'humanité et pour la création tout entière qui peuvent résulter d'un progrès économique et technologique qui ne reconnaît pas ses limites. En tant que chefs religieux, nous considérons comme un de nos devoirs d'encourager et de soutenir tous les efforts qui sont faits pour protéger la création de Dieu et pour laisser aux générations futures une terre dans laquelle elles pourront vivre.

7. Enfin, notre pensée se tourne vers vous tous, les fidèles de nos Eglises présents partout dans le monde, Evêques, prêtres, diacres, religieux et religieuses, hommes et femmes laïques engagés dans un service ecclésial et tous les baptisés. Nous saluons en Christ les autres chrétiens, les assurant de notre prière et de notre disponibilité au dialogue et à la collaboration. Avec les paroles de l'Apôtre des Gentils, nous vous saluons tous: "A vous, grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ" (2 Co 1, 2).

Phanar, le 30 Novembre 2006.


Benedictus PP. XVI


Bartholomaios I





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