Discours 2005-2013 467


VISITE PASTORALE

À ASSISE

À L'OCCASION DU VIII CENTENAIRE

DE LA CONVERSION DE SAINT FRANÇOIS

ANGELUS Esplanade de la Basilique inférieure Saint-François Dimanche 17 juin 2007

Chers frères et soeurs,

Il y a huit siècles, la ville d'Assise aurait eu du mal à imaginer le rôle que la Providence lui destinait, un rôle qui fait d'elle aujourd'hui une ville aussi renommée dans le monde, un vrai "lieu de l'âme". Ce qui lui a conféré ce caractère, c'est l'événement qui s'est produit ici, et qui l'a marquée d'un signe indélébile. Je me réfère à la conversion du jeune François, qui, après 25 ans de vie médiocre et rêveuse, marquée par la recherche de joies et de succès mondains, s'est ouvert à la grâce, est rentré en lui-même et a reconnu progressivement dans le Christ l'idéal de sa vie. Mon pèlerinage aujourd'hui à Assise veut rappeler cet événement à la mémoire, pour en revivre la signification et la portée.

Je me suis arrêté avec une émotion particulière dans la petite église Saint-Damien, où François a entendu du Crucifié la parole programmatique: "Va, François, répare ma maison" (2 Cel I, 6, 10: FF 593). C'était une mission qui commençait avec la pleine conversion de son coeur, pour devenir ensuite levain évangélique jeté à pleines mains dans l'Eglise et dans la société. A Rivotorto, j'ai vu le lieu où, selon la tradition, étaient relégués ces lépreux dont le saint s'est approché avec miséricorde, en commençant ainsi sa vie de pénitent, et aussi le sanctuaire où est rappelée la pauvre demeure de François et de ses premiers frères. Je me suis rendu dans la basilique Sainte-Claire, la "pianticella", la "petite plante" de François, et, cet après-midi, après la visite à la cathédrale d'Assise, je m'arrêterai à la Portioncule, d'où François a guidé, à l'ombre de Marie, les pas de sa fraternité en expansion, et où il a rendu son dernier soupir. Là, je rencontrerai les jeunes, afin que le jeune François, converti au Christ, parle à leur coeur.

En cet instant, depuis la basilique de Saint-François, où repose sa dépouille mortelle, je désire surtout faire miens ses accents de louange: "Très Haut, Tout puissant, bon Seigneur, à toi les louanges, la gloire, et l'honneur, et toute bénédiction" ( Frère Soleil 1: FF263). François d'Assise est un grand éducateur de notre foi et de notre louange. En tombant amoureux de Jésus Christ, il a rencontré le visage du Dieu-amour, il en est devenu le chantre passionné, comme un vrai "jongleur de Dieu". A la lumière des Béatitudes évangéliques, on comprend la douceur avec laquelle il sut vivre les relations avec les autres, en se présentant à tous avec humilité, et en se faisant témoin et artisan de paix.

De cette Ville de la paix, je désire adresser une salutation aux représentants des autres confessions chrétiennes et des autres religions qui, en 1986, ont accueilli l'invitation de mon vénéré Prédécesseur à vivre ici, dans la patrie de saint François, une Journée mondiale de prière pour la paix. Je considère de mon devoir de lancer d'ici un appel pressant et empreint de tristesse afin que cessent tous les conflits armés qui ensanglantent la terre, que se taisent les armes et que partout la haine cède le pas à l'amour, l'offense au pardon et la discorde à l'union! Nous sentons spirituellement présents ici tous ceux qui pleurent, souffrent et meurent à cause de la guerre et de ses tragiques conséquences, en quelque partie du monde que ce soit. Notre pensée va particulièrement à la Terre Sainte, tant aimée de saint François, à l'Irak, au Liban, à tout le Moyen Orient. Les populations de ces pays connaissent depuis trop longtemps désormais, les horreurs des combats, du terrorisme, de la violence aveugle, l'illusion que la force puisse résoudre les conflits, le refus d'écouter les raisons de l'autre, et de lui rendre justice. Seul un dialogue responsable et sincère, renforcé par le généreux soutien de la Communauté internationale, pourra mettre fin à tant de douleur et redonner la vie et la dignité aux personnes, aux institutions, et aux peuples.

Que saint François, homme de paix, obtienne du Seigneur que se multiplient ceux qui acceptent de se faire "instruments de sa paix", à travers les mille petits actes de la vie quotidienne; que ceux qui ont des rôles de responsabilité soient animés par un amour passionné pour la paix, et par une volonté indomptable de l'atteindre, en choisissant des moyens adaptés pour l'obtenir. Que la Vierge sainte, que le Poverello a aimée d'un coeur tendre et qu'il a chantée avec des accents inspirés, nous aide à découvrir le secret de la paix dans le miracle d'amour qui s'est accompli dans son sein avec l'incarnation du Fils de Dieu.

VISITE PASTORALE

À ASSISE

À L'OCCASION DU VIII CENTENAIRE

DE LA CONVERSION DE SAINT FRANÇOIS

CONCÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE

HOMÉLIE Esplanade de la Basilique inférieure Saint-François Dimanche 17 juin 2007

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Chers frères et soeurs,

Que nous dit aujourd'hui le Seigneur, alors que nous célébrons l'Eucharistie dans le cadre suggestif de cette place, où sont rassemblés huit siècles de sainteté, de dévotion, d'art et de culture, liés au nom de François d'Assise? Aujourd'hui, ici, tout parle de conversion, comme nous l'a rappelé Mgr Domenico Sorrentino, que je remercie de tout coeur, pour les paroles aimables qu'il m'a adressées. Je salue avec lui toute l'Eglise d'Assise-Nocera Umbra-Gualdo Tadino, ainsi que les pasteurs des Eglises d'Ombrie. Une pensée reconnaissante va au Cardinal Attilio Nicora, mon Légat pour les deux Basiliques papales de cette ville. J'adresse un salut affectueux aux fils de François, ici présents à travers leurs Ministres généraux des divers Ordres. Je présente mes respects au Président du Conseil des Ministres et à toutes les Autorités civiles qui ont voulu nous honorer de leur présence.

Parler de conversion signifie aller au coeur du message chrétien et en même temps aux racines de l'existence humaine. La Parole de Dieu qui vient d'être proclamée nous illumine, en plaçant devant nos yeux trois figures de convertis. La première est celle de David. Le passage qui le concerne, tiré du deuxième Livre de Samuel, nous présente l'un des dialogues les plus dramatiques de l'Ancien Testament. Au centre de cet échange, se trouve un verdict cuisant, avec lequel la Parole de Dieu, prononcée par le prophète Nathan, met à nu un roi parvenu au sommet de sa gloire politique, mais aussi tombé au niveau le plus bas de sa vie morale. Pour saisir la tension dramatique de ce dialogue, il faut avoir à l'esprit l'horizon historique et théologique dans lequel il se situe. C'est un horizon dessiné par l'acte d'amour avec lequel Dieu choisit Israël comme son peuple, établissant avec lui une alliance et se préoccupant de lui assurer une terre et la liberté. David est un anneau de cette histoire de l'attention permanente de Dieu pour son peuple. Il est choisi à un moment difficile et placé aux côtés du roi Saul, pour devenir ensuite son successeur. Le dessein de Dieu concerne également sa descendance, liée au projet messianique, qui trouvera dans le Christ, "fils de David", sa pleine réalisation.

La figure de David est ainsi une image de grandeur à la fois historique et religieuse. L'abjection dans laquelle il tombe contraste d'autant plus avec cette image, lorsque, aveuglé par sa passion pour Bethsabée, il l'arrache à son époux, l'un de ses plus fidèles guerriers, et ordonne ensuite froidement l'assassinat de ce dernier. C'est quelque chose qui fait frissonner: comment un élu de Dieu peut-il tomber si bas? L'homme est vraiment grandeur et misère: il est grandeur, car il porte en lui l'image de Dieu et il est l'objet de son amour; il est misère, car il peut faire un mauvais usage de la liberté qui est son grand privilège, finissant par se dresser contre son Créateur. Le verdict de Dieu, prononcé par Nathan sur David, éclaire les fibres intimes de la conscience, là où ne comptent plus les armées, le pouvoir, l'opinion publique, mais où l'on est seul avec Dieu seul. "Tu es cet homme": c'est une parole qui renvoie David à ses responsabilités. Profondément frappé par cette parole, le roi développe un repentir sincère et s'ouvre au don de la miséricorde. Voilà le chemin de la conversion.

François nous invite aujourd'hui sur ce chemin, aux côtés de David. Dans ce que ses biographes nous rapportent de ses années de jeunesse, rien ne fait penser à des chutes aussi graves que celles qui sont imputées à l'ancien roi d'Israël. Mais François lui-même, dans le Testament rédigé au cours des derniers mois de son existence, considère ses vingt-cinq premières années comme une époque où "il était dans les péchés" (cf. 2 Test 1: FF 110). Au-delà des faits particuliers, sa façon de concevoir et d'organiser une vie entièrement centrée sur lui-même, en suivant de vains rêves de gloire terrestre, était un péché. Lorsqu'il était le "roi des fêtes" parmi les jeunes d'Assise (cf. Cel I, 3, 7: FF 588), il ne manquait pas d'une générosité d'âme naturelle. Mais celle-ci était encore bien loin de l'amour chrétien qui se donne sans réserve à l'autre. Comme il le rappelle lui-même, il lui semblait amer de voir les lépreux. Le péché l'empêchait de dominer cette répugnance physique et de reconnaître en eux autant de frères à aimer. La conversion le conduisit à exercer la miséricorde et il obtint en même temps miséricorde. Servir les lépreux, jusqu'à les embrasser, ne fut pas seulement un geste de philanthropie, une conversion, pour ainsi dire, "sociale", mais une véritable expérience religieuse, commandée par l'initiative de la grâce et par l'amour de Dieu: "Le Seigneur - dit-il - me conduisit parmi eux" (2 Test 2: FF 110). Ce fut alors que l'amertume se transforma en "douceur d'âme et de corps" (2 Test 3: FF 110). Oui, mes chers frères et soeurs, nous convertir à l'amour c'est passer de l'amertume à la "douceur", de la tristesse à la joie véritable. L'homme n'est vraiment lui-même et ne se réalise pleinement, que dans la mesure où il vit avec Dieu et de Dieu, en le reconnaissant et en l'aimant dans ses frères.

Dans le passage de la Lettre aux Galates, apparaît un autre aspect du chemin de conversion. Celui qui nous l'explique est un autre grand converti, l'Apôtre Paul. Le contexte de ses paroles est celui du débat dans lequel la communauté primitive se trouve engagée: dans celle-ci, de nombreux chrétiens provenant du judaïsme tendaient à lier le salut à l'accomplissement des oeuvres de l'ancienne Loi, rendant ainsi vaine la nouveauté du Christ et l'universalité de son message. Paul se dresse comme témoin et proclamateur de la grâce. Sur le chemin de Damas, le visage radieux et la voix puissante du Christ l'avaient arraché à son zèle violent de persécuteur et avaient allumé en lui le nouveau zèle du Crucifié, qui réconcilie ceux qui sont proches ou loin dans sa croix (cf. Ep
Ep 2,11-22). Paul avait compris que, dans le Christ, toute la loi est accomplie et que celui qui adhère au Christ s'unit à Lui, accomplit la loi. Apporter le Christ, et avec le Christ l'unique Dieu, à toutes les nations était devenu sa mission. Le Christ "est notre paix: des deux, Israël et les païens, il a fait un seul peuple... il a fait tomber le mur de la haine" (Ep 2,14). Sa confession d'amour très personnelle exprime dans le même temps également l'essence commune de la vie chrétienne: "Ma vie aujourd'hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi" (Ga 2,20). Et comment peut-on répondre à cet amour, si ce n'est en embrassant le Christ crucifié, jusqu'à vivre de sa vie elle-même? "Avec le Christ, je suis fixé à la croix: je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi" (Ga 2,20).

En parlant du fait qu'il est crucifié avec le Christ, saint Paul fait non seulement allusion à sa nouvelle naissance dans le baptême, mais à toute sa vie au service du Christ. Ce lien avec sa vie apostolique apparaît avec clarté dans les paroles de conclusion de sa défense de la liberté chrétienne, à la fin de la Lettre aux Galates: "Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter. Car moi je porte dans mon corps la marque des souffrances de Jésus" (6, 17). C'est la première fois, dans l'histoire du christianisme, qu'apparaît le terme "marque des souffrances de Jésus". Dans le débat sur la juste façon de voir et de vivre l'Evangile, ce ne sont pas, à la fin, les arguments de notre esprit qui décident; ce qui décide est la réalité de la vie, la communion vécue et soufferte avec Jésus, non seulement dans les idées ou dans les paroles, mais jusqu'au plus profond de l'existence, faisant aussi participer le corps, la chair. Les meurtrissures reçues au cours d'une longue histoire de passion sont le témoignage de la présence de la croix de Jésus dans le corps de saint Paul, ce sont ses stigmates. Et ainsi peut-il dire que ce n'est pas la circoncision qui le sauve: les stigmates sont la conséquence de son baptême, l'expression de sa mort avec Jésus, jour après jour, le signe sûr du fait qu'il est une créature nouvelle (cf. Ga 6,15). Du reste, Paul rappelle, en utilisant l'expression "marque des souffrances de Jésus", l'usage antique d'imprimer sur la peau de l'esclave le sceau de son propriétaire. Le serviteur était ainsi "marqué" comme propriété de son patron et se trouvait sous sa protection. Le signe de la croix, inscrit en longues passions sur la peau de Paul, est son orgueil: il le légitime comme véritable serviteur de Jésus, protégé par l'amour du Seigneur.

Chers amis, François d'Assise nous transmet aujourd'hui ces paroles de Paul, avec la force de son témoignage. Depuis que le visage des lépreux, aimés par amour de Dieu, lui donna l'intuition, d'une certaine manière, du mystère de la "kénose" (cf. Ph 2,7), l'abaissement de Dieu dans la chair du Fils de l'homme, et depuis que la voix du Crucifié de Saint-Damien plaça dans son coeur le programme de sa vie: "Va François, réparer ma maison" (2 Cel I, 6, 10: FF 593), son chemin ne fut que l'effort quotidien de s'identifier au Christ. Il tomba amoureux du Christ. Les plaies du Crucifié blessèrent son coeur, avant même de marquer son corps à La Verne. Il pouvait vraiment dire avec Paul: "Ce n'est plus moi qui vit, mais le Christ qui vit en moi".

Et venons-en au coeur évangélique de la Parole de Dieu d'aujourd'hui. Jésus lui-même, dans le passage de l'Evangile de Luc qui vient d'être lu, nous explique le dynamisme de l'authentique conversion, en nous indiquant comme modèle la femme pécheresse rachetée par l'amour. Il faut reconnaître que cette femme avait beaucoup osé. Sa façon de se placer face à Jésus, en baignant ses pieds de larmes et en les essuyant avec ses cheveux, les embrassant et les oignant d'huile parfumée, était faite pour scandaliser ceux qui regardaient les personnes de sa condition avec l'oeil impitoyable du juge. On est au contraire impressionné par la tendresse avec laquelle Jésus traite cette femme, exploitée et jugée par tant de personnes. Elle a finalement trouvé en Jésus un oeil pur, un coeur capable d'aimer sans exploiter. Dans le regard et dans le coeur de Jésus elle reçoit la révélation de Dieu-Amour!

Pour éviter les équivoques, il faut noter que la miséricorde de Jésus ne s'exprime pas en mettant la loi morale entre parenthèses. Pour Jésus, le bien est le bien, le mal est le mal. La miséricorde ne change pas l'aspect du péché, mais le brûle d'un feu d'amour. Cet effet purifiant et assainissant se réalise si, dans l'homme, se trouve une correspondance d'amour, qui implique la reconnaissance de la loi de Dieu, le repentir sincère, l'intention d'une vie nouvelle. On pardonne beaucoup à la pécheresse de l'Evangile, parce qu'elle a beaucoup aimé. En Jésus, Dieu vient nous donner l'amour et nous demander l'amour.

469 Mes chers frères et soeurs, qu'a été la vie de François converti si ce n'est un grand acte d'amour? C'est ce que révèlent ses prières enflammées, riches de contemplation et de louanges, son tendre baiser à l'Enfant divin à Greccio, sa contemplation de la passion à La Verne, son "vivre selon la forme du saint Evangile" (2 Test 14, FF 116), son choix de pauvreté et sa recherche du Christ dans le visage des pauvres.

Telle est sa conversion au Christ, jusqu'au désir de "se transformer" en Lui, en devenant son image accomplie, qui explique sa manière de vivre typique, en vertu de laquelle il nous apparaît si actuel également par rapport à de grands thèmes de notre époque, tels que la recherche de la paix, la sauvegarde de la nature, la promotion du dialogue entre tous les hommes. François est un véritable maître dans ce domaine. Mais il l'est à partir du Christ. En effet, c'est le Christ, qui est "notre paix" (cf. Ep
Ep 2,14). C'est le Christ qui est le principe même de l'univers, car en lui tout a été créé (cf. Jn 1,3). C'est le Christ qui est la vérité divine, l'éternel "Logos", en qui chaque "dia-logos" dans le temps trouve son ultime fondement. François incarne profondément cette vérité "christologique" qui se trouve à la racine de l'existence humaine, de l'univers, de l'histoire.

Je ne peux pas oublier, dans le contexte d'aujourd'hui, l'initiative de mon Prédécesseur de sainte mémoire, Jean-Paul II, qui voulut réunir ici, en 1986, les représentants des confessions chrétiennes et des diverses religions du monde, pour une rencontre de prière pour la paix. Ce fut une intuition prophétique et un moment de grâce, comme je l'ai réaffirmé il y a quelques mois dans ma lettre à l'Evêque de cette ville, à l'occasion du vingtième anniversaire de cet événement. Le choix de célébrer cette rencontre à Assise était précisément suggéré par le témoignage de François comme homme de paix, que de nombreuses personnes, même d'autres tendances culturelles et religieuses, considèrent avec sympathie. Dans le même temps, la lumière du Poverello sur cette initiative était une garantie d'authenticité chrétienne, car sa vie et son message reposent si visiblement sur le choix du Christ, qu'ils repoussent a priori toute tentation d'indifférentisme religieux, qui n'aurait rien à voir avec l'authentique dialogue interreligieux. L'"esprit d'Assise", qui depuis cet événement continue à se diffuser dans le monde, s'oppose à l'esprit de violence, à l'abus de la religion comme prétexte pour la violence. Assise nous dit que la fidélité à sa propre conviction religieuse, la fidélité en particulier au Christ crucifié et ressuscité ne s'exprime pas par de la violence et de l'intolérance, mais par le respect sincère de l'autre, par le dialogue, par une annonce qui fait appel à la liberté et à la raison, dans l'engagement pour la paix et la réconciliation. Ne pas réussir à conjuguer l'accueil, le dialogue et le respect pour tous avec la certitude de foi que chaque chrétien, à l'image du saint d'Assise, est tenu de cultiver, en annonçant le Christ comme chemin, vérité et vie de l'homme (cf. Jn 14,6), unique Sauveur du monde, ne pourrait pas être une attitude évangélique, ni franciscaine.

Que François d'Assise obtienne à cette Eglise particulière, aux Eglises qui sont en Ombrie, à toute l'Eglise qui est en Italie, dont il est le Patron avec sainte Catherine de Sienne, aux nombreuses personnes dans le monde qui se réclament de lui, la grâce d'une conversion pleine et authentique à l'amour du Christ.




À SA SAINTETÉ MAR DINKHA IV, CATHOLICOS PATRIARCHE DE L'ÉGLISE ASSYRIENNE DE L’ORIENT Jeudi 21 juin 2007

Votre Sainteté,

Je suis heureux de vous accueillir au Vatican, avec les Evêques et les prêtres qui vous accompagnent au cours de cette visite. J'étends mon salut affectueux à tous les membres du Saint Synode, au clergé et aux fidèles de l'Eglise assyrienne de l'Orient. Je prie avec les paroles de l'Apôtre saint Paul, afin que "le Seigneur de la paix vous donne lui-même la paix, en tous temps et de toute manière" (2Th 3,16).

Votre Sainteté, en diverses occasions, vous avez rencontré mon bien-aimé prédécesseur le Pape Jean-Paul II. Votre visite en novembre 1994, lorsque vous êtes venu à Rome, accompagné par les membres du Saint Synode, afin de signer la Déclaration christologique commune, a été très significative. Cette déclaration incluait la décision de créer une Commission commune pour le Dialogue théologique entre l'Eglise catholique et l'Eglise assyrienne de l'Orient. La Commission commune a entrepris une étude importante sur la vie sacramentelle dans nos traditions respectives et elle a donné vie à un accord sur l'Anaphore des Apôtres Addai et Mari. Je suis très reconnaissant des résultats de ce dialogue qui promet des progrès supplémentaires sur d'autres questions débattues. En effet, ces résultats méritent d'être mieux connus et appréciés, car ils rendent possibles diverses formes de coopération entre nos deux communautés.

L'Eglise assyrienne de l'Orient est enracinée dans des terres antiques dont les noms sont associés à l'histoire du dessein salvifique de Dieu pour toute l'humanité. Au temps de l'Eglise primitive, les chrétiens de ces terres apportèrent une contribution importante à la diffusion de l'Evangile, en particulier à travers leur activité missionnaire dans les régions les plus reculées de l'Orient. Aujourd'hui, tragiquement, les chrétiens de cette région souffrent aussi bien sur le plan matériel que spirituel. En particulier en Irak, patrie de tant de fidèles assyriens, les familles et les communautés chrétiennes ressentent la pression croissante exercée par l'insécurité et par l'agression et ils éprouvent un sentiment d'abandon. Beaucoup d'entre eux ne voient pas d'autres possibilités que de quitter le pays et de chercher un nouvel avenir à l'étranger. Ces difficultés sont pour moi une source de grande préoccupation et je désire exprimer ma solidarité aux pasteurs et aux fidèles des communautés chrétiennes qui restent là-bas, souvent aux prix de sacrifices héroïques. Dans ces régions tant éprouvées, les fidèles, aussi bien catholiques qu'assyriens, sont appelés à collaborer. J'espère et je prie afin qu'ils trouvent les manières les plus efficaces de se soutenir et de s'assister mutuellement pour le bien de tous.

La conséquence de ces vagues successives d'émigration est qu'un grand nombre des chrétiens des Eglises orientales vivent à présent en Occident. Cette nouvelle situation lance une série de défis à leur identité chrétienne et à leur vie en tant que communauté. Dans le même temps, lorsque les chrétiens d'Orient et d'Occident vivent côte à côte, se présentent à eux une précieuse opportunité d'enrichissement réciproque et la possibilité de comprendre plus pleinement la catholicité de l'Eglise, qui, en pèlerinage dans ce monde, vit, prie et rend témoignage au Christ dans différentes situations culturelles, sociales et humaines. Avec le respect absolu des traditions disciplinaire et doctrinale les uns des autres, les chrétiens catholiques et assyriens sont appelés à refuser les attitudes d'antagonisme et les déclarations polémiques, dans le but de développer la compréhension de la foi chrétienne qu'ils partagent et de témoigner en frères et soeurs de Jésus Christ de la "puissance de Dieu et [de la] sagesse de Dieu" (1Co 1,24).

Les nouvelles espérances et possibilités suscitent parfois de nouvelles craintes, et cela vaut également pour les relations oecuméniques. Certains développements récents dans l'Eglise assyrienne de l'Orient ont créé plusieurs obstacles à l'oeuvre prometteuse de la Commission commune. Il faut espérer que l'oeuvre féconde que la Commission a réalisée au cours des années puisse se poursuivre, sans jamais perdre de vue le but ultime de notre chemin commun, visant au rétablissement de la pleine communion.

470 En effet, travailler pour l'unité des chrétiens est un devoir qui dérive de notre fidélité au Christ, le Pasteur de l'Eglise, qui a donné sa vie "afin de rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés" (Jn 11,51-52). Toutefois, même si le chemin vers l'unité peut sembler long et laborieux, le Seigneur nous demande d'unir nos mains et nos coeurs, afin qu'ensemble, nous puissions lui rendre un témoignage plus clair et mieux servir nos frères et soeurs, en particulier dans les régions tourmentées de l'Orient où un grand nombre de nos fidèles se tournent vers nous, leurs pasteurs, avec espoir et attente.

Votre Sainteté, avec ces sentiments, je vous remercie encore une fois de votre présence ici, aujourd'hui, et de votre engagement à poursuivre le chemin du dialogue et de l'unité. Que le Seigneur bénisse en abondance votre ministère et vous soutienne, ainsi que vos fidèles que vous servez avec ses dons de sagesse, de joie et de paix.


AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE DE LA RÉUNION DES OEUVRES POUR L'AIDE AUX ÉGLISES ORIENTALES (ROACO) Salle Clémentine Jeudi 21 juin 2007

Béatitude,
Chers frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
chers amis de la ROACO!

La rencontre d'aujourd'hui ravive en moi la joie de la récente visite à la Congrégation pour les Eglises orientales, à l'occasion du 90 anniversaire de son institution. Eminence, vous m'aviez exprimé un salut particulier au nom des agences liées au dicastère, et à présent, vous vous êtes fait à nouveau l'interprète de ce cordial hommage commun. Je réponds avec plaisir à la pensée de Sa Béatitude le Cardinal Ignace Moussa Daoud, à Mgr le Secrétaire Antonio Maria Vegliò, aux collaborateurs de la Congrégation, aux responsables des OEuvres qui composent la ROACO (Réunion des OEuvres pour l'Aide aux Eglises orientales) et à tous les participants à cette rencontre annuelle.

La présence de vénérés Prélats orientaux me permet de partager la peine et la préoccupation pour la délicate situation que connaissent de vastes régions du Moyen-Orient. La paix, tant implorée et attendue, est malheureusement encore largement malmenée. Elle est malmenée dans le coeur des personnes, et cela compromet les relations interpersonnelles et communautaires. L'affaiblissement de la paix se fait ressentir ultérieurement en raison d'injustices anciennes et nouvelles. Ainsi, celle-ci s'éteint, laissant place à la violence, qui dégénère souvent en guerre plus ou moins déclarée jusqu'à représenter, comme de nos jours, une question internationale pressante. Avec chacun de vous et me sentant en communion avec toutes les Eglises et communautés chrétiennes, mais également avec ceux qui vénèrent le nom de Dieu et le recherchent avec une conscience sincère, et avec tous les hommes de bonne volonté, je désire en appeler à nouveau au coeur de Dieu, Créateur et Père, pour demander avec une immense confiance le don de la paix. J'en appelle au coeur de ceux qui ont des responsabilités spécifiques, afin qu'ils adhèrent au grave devoir de garantir la paix à tous, sans distinction, la libérant de la maladie mortelle de la discrimination religieuse, culturelle, historique ou géographique.

Qu'avec la paix, toute la terre retrouve sa vocation et mission de "maison commune", pour chaque peuple et nation, grâce à l'engagement partagé d'un dialogue toujours sincère et responsable. Je vous assure une fois de plus que la Terre Sainte, l'Irak et le Liban sont présents, avec l'urgence et la constance qu'ils méritent, dans la prière et l'action du Siège apostolique et de toute l'Eglise. Je demande à la Congrégation pour les Eglises orientales et à chacune des OEuvres qui y sont liées de confirmer la même sollicitude afin de rendre plus incisive la proximité et l'intervention en faveur de tant de nos frères et soeurs. Que ceux-ci ressentent d'ores et déjà le réconfort de la fraternité ecclésiale et, comme nous le souhaitons avec une prière fervente, qu'ils puissent bientôt entrevoir la lueur des jours de la paix.

Avec ces sentiments, je renouvelle à Sa Béatitude la Patriarche chaldéen, qui est aujourd'hui avec nous, les condoléances du Pape pour le meurtre barbare d'un prêtre sans défense et de trois sous-diacres survenu au terme de la Liturgie du dimanche, le 3 juin dernier en Irak. Que l'Eglise tout entière accompagne avec affection et admiration tous ses fils et ses filles et les soutienne en ces heures de martyre authentique au nom du Christ. J'adresse un salut tout aussi affectueux au Représentant pontifical et aux Pasteurs provenant d'Israël et de Palestine, afin qu'ils le transmettent à leurs fidèles en vue de renforcer leur espérance éprouvée. J'étends ma pensée cordiale au Nonce apostolique et aux chers prélats venus de Turquie, et je suis heureux de constater la considération réservée à cette bien-aimée communauté ecclésiale dans le souvenir de mon voyage apostolique.

471 Chers amis, dans la visite au dicastère oriental que j'ai mentionnée, en pensant à l'activité de la ROACO, je disais: "Il faudra que se poursuive et même que croisse ce mouvement de charité que, sur mandat du Pape, la Congrégation supervise afin que, de manière ordonnée et équitable, la Terre Sainte et les autres régions orientales reçoivent le soutien spirituel et matériel nécessaire pour faire front à la vie ecclésiale ordinaire et à des nécessités particulières". Je vous remercie d'avoir consolidé une tradition louable de collaboration avec la Congrégation. Je vous encourage à continuer, afin que la contribution irremplaçable que vous apportez au témoignage de la charité ecclésiale trouve son plein développement dans la forme communautaire de son exercice. Votre présence confirme la volonté d'éviter une gestion individualiste de la programmation des interventions et de l'affectation des ressources louables engendrées par la charité des fidèles. Vous savez, en effet, combien l'illusion de pouvoir oeuvrer de façon plus efficace seuls est dangereuse: l'effort de la confrontation et de la collaboration sont toujours la garantie d'un service plus ordonné et équitable. Et cela est la claire confirmation que ce ne sont pas les personnes, mais bien plutôt l'Eglise, qui donne ce que le Seigneur a destiné à tous dans sa bonté providentielle.

En ce qui concerne le caractère irréversible du choix oecuménique et le caractère impératif du choix interreligieux, que j'ai réaffirmés à plusieurs reprises, j'ai à coeur de souligner en cette occasion combien ceux-ci se nourrissent du mouvement de la charité ecclésiale. Ces choix ne sont autres que des expressions de la charité elle-même, la seule capable de stimuler les progrès du dialogue et d'ouvrir des horizons inespérés. Tandis que nous implorons le Seigneur afin qu'il hâte le jour de la pleine unité entre les chrétiens, et celui, très attendu également, d'une coexistence interreligieuse sereine, animée par une réciprocité respectueuse, nous lui demandons de bénir nos efforts et de nous illuminer afin que ce que nous accomplissons n'aille jamais au détriment, mais au bénéfice de la communauté ecclésiale. Qu'Il nous rende toujours attentifs afin que, rejetant toute sorte d'indifférentisme, nous n'éludions jamais dans l'exercice de la charité la mission de la communauté catholique locale. Toujours avec sa participation et dans la plus cordiale reconnaissance pour les diverses expressions rituelles, notre sensibilité oecuménique et interreligieuse devra trouver une application concrète.

Nous rappelant de la parole de saint Paul: "Ainsi donc, ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose, mais celui qui donne la croissance: Dieu" (
1Co 3,7), nous trouverons toujours dans la prière la véritable source de l'engagement de charité et nous vérifierons en elle son authenticité. L'avertissement de l'Apôtre est clair: "Que chacun prenne garde à la manière dont il y bâtit. De fondement, en effet, nul n'en peut poser d'autre que celui qui s'y trouve, c'est-à-dire Jésus Christ" (1Co 3,10-11). L'enracinement eucharistique est indispensable à notre action. Sur la "mesure eucharistique", devront se développer les perspectives du mouvement de la charité ecclésiale: seul ce qui ne contredit pas, mais plus encore qui se retrouve et se nourrit du mystère de l'amour eucharistique et de la vision de l'univers, sur l'homme et sur l'histoire qui jaillit de lui, donne une garantie d'authenticité à notre offrande et un fondement sûr à ce que nous bâtissons. C'est ce que j'ai affirmé dans l'Exhortation post-synodale Sacramentum caritatis: "La nourriture de la vérité nous pousse à dénoncer les situations indignes de l'homme, dans lesquelles on meurt par manque de nourriture en raison de l'injustice et de l'exploitation, et elle nous donne des forces et un courage renouvelés pour travailler sans répit à l'édification de la civilisation de l'amour" (n. 90). Mais c'est précisément l'inspiration eucharistique de notre action qui interpellera en profondeur l'homme, qui ne peut pas vivre uniquement de pain (cf. Lc 4,4), pour lui annoncer la nourriture de la vie éternelle, préparée par Dieu dans son Fils Jésus.

Je vous confie ces perspectives avec une grande confiance et je renouvelle mon remerciement le plus profond à Sa Béatitude le Cardinal Ignace Moussa Daoud, qui s'est beaucoup prodigué au cours de ces années également comme Président de la ROACO. En invoquant sur vos travaux l'intercession de la Très Sainte Mère de Dieu, je donne à tous de tout coeur la Bénédiction apostolique.



Discours 2005-2013 467